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Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-215-B-65

37-215-B-65

Troubles des conduites alimentaires


à l’adolescence
M Corcos
G Agman
D Bochereau
Résumé. – Nous évoquerons uniquement les troubles des conduites alimentaires se déclenchant à
J Chambry
l’adolescence (anorexie mentale et boulimie), laissant de côté d’autres troubles prenant une certaine
PH Jeammet
extension, en particulier dans les pays anglo-saxons, que sont l’hyperphagie, le « craving », le « binge eating
disorder » et l’obésité, et ne disant que quelques mots sur les troubles des conduites alimentaires dans
l’enfance et la préadolescence. Ces affections se situent au carrefour de la psychologie individuelle, des
interactions familiales, du corps dans son aspect le plus biologique et de la société (dite de
« consommation ») en général.
Le comportement alimentaire dépend de facteurs génétiques et psychologiques individuels, en étroite
interaction avec des facteurs environnementaux familiaux et socioculturels.
Nous sommes donc dans un modèle étiopathogénique polyfactoriel qu’il faut bien intégrer dans sa diversité.
De plus, il faut prendre en compte la rapidité d’installation de l’autorenforcement biologique de la conduite et
des complications sévères dans ces troubles (biologiques, scolaires, professionnelles et psychologiques), qui
entretiennent et perpétuent l’affection.
Anorexie et boulimie offrent un modèle des enjeux de l’adolescence, s’intégrant parmi les conduites
d’addiction ou de dépendance qui se développent préférentiellement à cet âge. Plus qu’une organisation
psychopathologique avérée, il convient plutôt d’évoquer une absence d’organisation stable du Moi, et la
difficulté de celui-ci à mettre en place des modalités défensives efficaces autres que corporelles et
comportementales.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : anorexie mentale, boulimie, adolescence, dépression, addiction, narcissisme, dépendance.

Données épidémiologiques plus âgées (en particulier si l’âge est supérieur à 25 ans) et chez les
garçons. Si les auteurs notaient des diagnostics plus précoces et des
Il semblait à de nombreux auteurs que la fréquence de l’anorexie hospitalisations plus nombreuses, ils récusaient toute notion
mentale était en hausse sensible, en particulier depuis la fin des d’« épidémie ». Pour Fombonne [35], qui souligne que les troubles du
années 1960. L’intérêt croissant des psychiatres pour cette affection comportement alimentaire (TCA) ont des taux d’incidence faibles
et l’absence de consensus sur des critères diagnostiques (en (1-2 ‰) chez les femmes, ce qui rend difficile la mise en évidence
particulier, avant l’avènement dans les années 1970-1980 du Research d’une tendance évolutive (nécessité de très larges échantillons), il
Diagnostic Criterias [RDC]) ont été à l’origine de nombreux biais n’y a pas d’évolution séculaire de l’incidence de l’anorexie mentale.
dans l’évaluation rigoureuse de son incidence. Ces critères restent Il estime que sa prévalence dans la tranche d’âge 15-19 ans est
toujours problématiques quant à leur possibilité d’identification des comprise entre 2 et 5 ‰. Aux États-Unis, l’anorexie mentale est la
troubles précoces (avant 16 ans) et des formes subsyndromiques [77] troisième maladie chronique chez l’adolescente (obésité, asthme) ;
puisqu’ils ne cotent que des formes avérées, déjà installées et 0,48 % dans la tranche des 15-19 ans [70]. La prévalence pour la vie
souvent graves. entière est estimée à 0,5 % [63].
Une étude de Lucas et al [70] portant sur l’incidence et la variation de Rappelons ici l’existence de deux formes cliniques particulières plus
l’affection à Rochester dans le Minnesota (États-Unis), sur une rares pour lesquelles les données épidémiologiques manquent :
période de 50 ans (1934-1984), conclut à l’augmentation depuis les l’anorexie prépubère et l’anorexie tardive.
années 1930 de la fréquence de l’anorexie mentale dans la Enfin, certains auteurs soulignent une légère augmentation des cas
population des adolescentes de 15 à 24 ans (avec une fréquence masculins dont on pense qu’ils restent rétifs à consulter, mais il n’y
accrue des formes modérées comparativement au passé), tandis que a pas d’étude probante sur le sujet.
l’affection semble avoir été stable dans les populations de femmes Notons, avant d’aborder la boulimie, la fréquence des formes mixtes
d’emblée (anorexie-boulimie). Dans 30 à 50 % des cas, la boulimie
survient pendant ou après une période d’anorexie.
Les études épidémiologiques sur la boulimie étant récentes et assez
Gilles Agman : Assistant. disparates dans leur méthodologie, on manque de recul pour
Maurice Corcos : Assistant.
Denis Bochereau : Assistant. confirmer ou infirmer l’idée probablement juste d’une augmentation
Jean Chambry : Chef de clinique. récente de l’incidence du trouble. Une étude portant, dans la même
Philippe Jeammet : Chef de service.
Service du professeur Jeammet, département de psychiatrie adolescent jeune adulte, institut mutualiste
université, sur trois échantillons d’étudiants examinés par
Montsouris, 42, boulevard Jourdan 75674 Paris cedex 14, France. autoquestionnaire en 1980, 1983 et 1986 [79, 80], met en évidence une

Toute référence à cet article doit porter la mention : Corcos M, Agman G, Bochereau D, Chambry J et Jeammet PH. Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier
SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-215-B-65, 2002, 15 p.

150 572 EMC [295]

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augmentation relative de la prévalence de la boulimie entre 1980 fesses ont disparu. Les joues creuses, les yeux enfoncés dans les
(1 %) et 1983 (3,2 %), puis une faible diminution en 1986 (2,2 %). orbites, et le nez pincé confèrent au visage une apparence
La prévalence vie entière de la boulimie nerveuse (boulimie nervosa cadavérique. La fonte musculaire, également impressionnante,
[BN]) est comprise entre 1 et 3 % [39, 63], mais les auteurs soulignent donne aux membres un aspect décharné en « baguettes de tambour »
qu’il existe une prévalence comparable de formes subsyndromiques exhibé ou au contraire masqué sous des vêtements amples. Les
dont le devenir est incertain. œdèmes de carence ne sont pas rares. Les cheveux sont secs et
Concernant les formes subsyndromiques, en France, dans une ternes, les ongles striés et cassants. Les troubles circulatoires sont
préenquête qui portait sur environ 3 500 élèves, c’est-à-dire la moitié constants : pâleur, rougeur et cyanose des extrémités qui sont froides
des élèves scolarisés en Haute-Marne, les auteurs notaient que les et moites, tension artérielle basse, pouls ralenti. L’hypertrichose est
préoccupations corporelles concernaient un tiers des jeunes filles, fréquente avec apparition du lanugo. En regard de cet
que 20 % avaient des conduites de restriction et de jeûne sans amaigrissement, la méconnaissance de leur maigreur par les
répondre aux critères d’une pathologie déterminée comme ceux du malades est, à des degrés divers, constante. Elle reflète l’importance
DSM-III-R, 3 % avaient des vomissements et des abus de laxatifs ou du trouble de la perception de l’image de leur corps par ces
de diurétiques, près de 10 % une crise de boulimie hebdomadaire, patientes. Cela rend compte de leur absence d’inquiétude sur leur
et que le taux de prévalence de la boulimie type DSM-III-R était de état de santé dont elles nient la gravité. Le plus souvent, au
1 à 1,1 % et autour de 0,1 % pour l’anorexie mentale [68]. Selon Kaplan contraire, leur maigreur croissante les plonge dans un sentiment de
et Sadock [60] , environ 5 % des jeunes femmes présentent des bien-être, d’élation et de triomphe qui les conduit à nier le danger
symptômes d’anorexie mentale sans répondre à l’ensemble des auquel elles s’exposent. Le désir éperdu de minceur et la peur de
critères diagnostiques, et les conduites de frénésie alimentaire grossir se renforcent mutuellement pour guider l’essentiel des
apparaissent très fréquentes puisque qu’elles sont observées dans attitudes mentales de ces patientes et de leurs comportements : elles
plus de 40 % des cas dans une population de collégiennes aux États- se voient et se dessinent toujours plus grosses qu’elles ne sont en
Unis. L’ensemble de ces données invite à considérer les TCA dans réalité ; elles se livrent à d’incessantes mesures de vérifications :
un continuum du normal-pathogène-pathologique dans un aspect pesées postprandiales, recherches sur la valeur calorique des
dimensionnel plutôt que sur un mode catégoriel réducteur. aliments, mensuration des « rondeurs » éventuelles. Il peut y avoir
Soulignons en effet, après avoir rapporté ces données une prédominance du désir de minceur ou de la peur de grossir et
épidémiologiques, que le DSM-IV, classification la plus utilisée dans celle-ci peut s’appuyer sur des fixations de type
ces recherches, repère les états pathologiques avérés, c’est-à-dire les dysmorphophobique centrées sur des parties du corps ou du visage,
formes symptomatiques majeures, organisées et relativement stables, ou être constituée de craintes de grossir diffuses ou focalisées.
du fait des critères somatiques requis (poids, aménorrhée, fréquence
des crises de boulimie…). Cette classification laisse donc de côté les Anorexie
formes subsyndromiques. Ces formes avérées sont celles où la
composante génétique est prévalente (dépression, troubles Elle est le maître symptôme. Ses caractères particuliers traduisent sa
obsessionnels et compulsifs [TOC]), tandis que les formes dimension psychologique et sa signification de conduite
subsyndromiques sont celles où l’influence des facteurs relationnelle. C’est l’anorexie qui annonce le plus souvent le début
environnementaux est plus forte. Cela soulève plusieurs questions. des troubles, et l’amaigrissement lui est secondaire. Il s’agit d’une
Les formes subsyndromiques sont-elles en augmentation du fait conduite active de restriction alimentaire. Elle est, au début,
d’une dimension socioculturelle favorable ? Si oui, quelle place ont- « justifiée » par un régime du fait d’un discret embonpoint, de
elles dans une approche dimensionnelle développementale (du difficultés digestives ou de gastralgies. Ce n’est que très tardivement
normal au pathologique) ? Quel est leur devenir potentiel qu’une véritable anorexie, avec perte de l’appétit, intolérance
(autorenforcement psychobiologique et évolution vers les formes gastrique ou intestinale à l’alimentation peut s’installer.
caractérisées ou abrasement et disparition) ? Force est de constater Contrairement à ce qui est longtemps allégué par l’intéressée, cette
que nous n’avons pas de données sur le sujet. Soulignons enfin que restriction alimentaire représente une lutte acharnée contre la faim.
l’évaluation diagnostique des TCA doit tenir compte de l’évolution Mais la persistance de cette sensation de faim n’est reconnue
séculaire de la date d’apparition des règles (plus précoces) et de qu’ultérieurement et avec honte, parfois seulement dans le cadre
l’augmentation moyenne de la masse corporelle des jeunes femmes d’une relation psychothérapeutique.
dans nos sociétés occidentales. Une étude sur de larges échantillons
de l’évolution des TCA reste donc à promouvoir. Une étude Cette anorexie fait partie d’un ensemble d’attitudes particulières et
spécifique sur l’évolution du sex-ratio et de son incidence dans les d’un intérêt exagéré pour tout ce qui a trait à la nourriture : la
populations migrantes l’est de même. patiente pense à la nourriture toute la journée, collectionne les
recettes, fait la cuisine et nourrit les autres sans participer aux repas
qu’elle prépare. Elle vole fréquemment des aliments.
Étude clinique Outre la restriction alimentaire, la façon de manger signe en elle-
même le diagnostic : tri des aliments en fonction de critères
personnels, grignotage par portions infimes, mâchonnement
CONDUITE ANOREXIQUE interminable qui peut s’accompagner d’un stockage des aliments
Le tableau clinique classique de la conduite anorexique est dans la bouche et de leur rejet clandestin après ou même pendant le
remarquable par sa constance au travers des époques et des pays. repas avec une dextérité incroyable. Certains comportements ont
C’est celui d’une jeune fille adolescente entre 12 et 20 ans qui une signification de gravité particulière :
présente la triade symptomatique : amaigrissement-anorexie-
– la potomanie, qui peut conduire jusqu’à l’ingestion d’une dizaine
aménorrhée.
de litres par jour et menace directement et gravement l’équilibre
hydroélectrolytique ;
¶ Triade symptomatique
– le mérycisme, souvent difficile à mettre en évidence et qui traduit
Amaigrissement un dysfonctionnement psychopathologique particulièrement sévère ;
Il est souvent spectaculaire et dépasse 25 % du poids initial pour – la stratégie de contrôle du poids s’exerce également sur
atteindre parfois plus de 50 % du poids normal à cet âge. L’aspect l’évacuation de la nourriture par des vomissements provoqués, la
de la jeune fille est évocateur : corps efflanqué, tout en os, anguleux. prise de laxatifs et de diurétiques à des doses parfois considérables
La fonte des réserves graisseuses superficielles et profondes est qui créent des troubles graves hydroélectrolytiques, intestinaux ou
massive : les formes féminines se sont effacées ; seins, hanches et rénaux et mettent parfois la vie en danger.

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L’échec de ce contrôle, sentiment constant dans le vécu intime de Sexualité


l’anorexique, peut se traduire dans les faits par des accès
Elle fait l’objet d’un refoulement massif, tant dans ses composantes
boulimiques, suivis de vomissements intermittents ou occupant
physiologiques que dans sa dimension de désir. On observe un
parfois le devant de la scène.
défaut d’investissement érogène du corps. Si une activité sexuelle
L’investissement de la sensation de faim est particulier et bon existe, elle semble se faire sans plaisir, machinalement et s’inscrit
nombre de patientes recherchent et provoquent cette sensation [66]. dans les comportements de maîtrise. Par la suite, si une émergence
L’ensemble des besoins du corps peut faire l’objet d’une semblable de désir sexuel est possible, ce domaine reste probablement le plus
méconnaissance de leur nécessité et de leur fonction de garant de la conflictuel et le plus profondément insatisfaisant. En revanche, dans
vie pour être utilisés à des fins de maîtrise et de satisfaction la dimension de maîtrise, les comportements de séduction ne sont
autoérotique. L’hyperactivité et le surinvestissement de la motricité pas rares. Cette aversion pour toute forme sensorielle de plaisir
en sont un exemple démonstratif. s’accompagne par ailleurs d’un surinvestissement du regard et du
couple de pulsions partielles : voyeurisme/exhibitionnisme.
Aménorrhée
Elle survient constamment au cours de l’évolution. Elle coïncide le Fonctionnement intellectuel
plus souvent avec le début de l’anorexie, mais peut aussi la précéder
Il est classiquement considéré comme excellent avec un
ou la suivre. Elle peut être primaire si la jeune fille n’était pas encore
surinvestissement de ce domaine, de bons résultats scolaires et des
réglée ou secondaire dans le cas contraire. On parle d’aménorrhée
évaluations psychométriques au-dessus de la moyenne. Il convient
après une interruption de 3 mois des règles précédemment
cependant de nuancer ce jugement : les résultats sont meilleurs pour
régulières, ou de 6 mois si elles étaient irrégulières. Elle est
l’apprentissage que pour la créativité et les processus intellectuels
habituellement un des derniers symptômes à disparaître.
sont souvent pris dans l’organisation défensive anorexique et, de ce
L’aménorrhée est un symptôme cardinal de l’anorexie mentale lié à fait, finalement entravés dans leur développement. On y retrouve
l’importance de la dénutrition et de l’exercice physique et à leurs les caractéristiques du style anorexique : boulimie de connaissance,
effets sur l’axe hypothalamohypophysaire gonadique, mais aussi à hyperactivité intellectuelle, mais aussi agrippement, excès de
certaines dimensions psychopathologiques comme le suggèrent les vérification, en fait peur de la réalité psychique interne
données cliniques : aménorrhée précédant l’amaigrissement dans potentiellement désorganisante. Le refuge dans « l’intellectualisme
30 % des cas, persistance fréquente et durable de l’aménorrhée après pur » prend une valeur défensive à l’égard des émotions.
la réquilibration pondérale. Cependant, il n’est pas rare que la conduite anorexique ait un effet
S’il est effectif, le rôle de la perte de poids dans le déterminisme des stimulant sur les conduites d’apprentissage et que l’assouplissement
altérations de la fonction gonadotrope et de l’aménorrhée ne peut de l’anorexie provoque au contraire des difficultés de concentration,
être tenu pour exclusif. L’insuffisance du poids interviendrait plutôt une apathie et une baisse de l’efficience intellectuelle.
comme un élément de plus grande sensibilité à impact défavorable
sur les processus ovulatoires. ¶ Évolution symptomatique
¶ Autres signes cliniques Les différents éléments de ce tableau clinique s’associent
progressivement de telle sorte que l’on peut décrire plusieurs phases
L’absence de fatigue et l’hyperactivité motrice s’associent souvent à
dans l’évolution [11].
la diminution de la durée de sommeil et à des mesures d’ascétisme :
se tenir sur une jambe, marcher jusqu’à épuisement, dormir à même Le début semble souvent réactionnel à un événement, à un
le sol, etc. Mensonges et manipulations de l’entourage se changement dans le mode de vie de l’adolescente :
surajoutent, en nombre et en combinaison variables ; la kleptomanie – première relation sentimentale ;
est fréquente, notamment le vol d’aliments. Il existe enfin un signe
négatif important : l’absence de troubles mentaux majeurs. On – séjour à l’étranger, changement de résidence ou de scolarité ;
entend par là l’absence de symptômes de la série psychotique – remarque de l’entourage sur des transformations du corps liées à
(délires, signes dissociatifs). Cela exclut du cadre de l’anorexie la puberté ;
mentale les restrictions alimentaires sous-tendues par un délire
– modification du lien préférentiel qui la rattachait à un membre de
d’empoisonnement par exemple, ou accompagnant un épisode
la fratrie qui s’éloigne ou a, de son côté, une liaison amoureuse ;
mélancolique.
Pourtant, les éléments de cette triade, s’ils sont nécessaires au – parfois deuil, traumatisme, séparation, séduction, et surtout peut-
diagnostic et si leur association, leurs modalités de survenue et être déception.
d’évolution, ainsi que l’âge et le sexe constituent une constellation La conduite de restriction alimentaire s’installe sous le prétexte d’un
très évocatrice, ils ne prennent leur réelle valeur que si on les intègre régime amaigrissant. Elle s’accroît ensuite d’elle-même alors que
à un ensemble d’attitudes psychologiques particulières. Ce sont elles l’humeur s’altère sur un mode volontiers dépressif.
qui signent l’existence d’un conflit psychique spécifique de La deuxième phase, au contraire, est souvent celle de l’optimisme.
l’anorexie mentale. Les premières inquiétudes des parents sont aisément apaisées par la
logique du discours de l’adolescente. Les parents sont
Vie relationnelle insidieusement amenés à se faire les complices inconscients de leur
La vie relationnelle de l’anorexique est marquée par un fille en évitant tout conflit ouvert avec elle. La restriction alimentaire,
comportement paradoxal qui caractérise en fait l’ensemble de ses la maigreur obtenue, renforcent le sentiment de contrôle de soi-
conduites : comment tenir à distance de soi ce dont on ne peut se même et des autres.
passer. Trois ordres de réponses se dégagent : La troisième phase est plus variable : la patiente développe une
– le maintien d’une relation de dépendance et d’attachement aux hyperactivité frénétique qui ne parvient pas toujours à masquer des
objets d’investissement, réalisant un véritable agrippement ; éléments dépressifs, un retour de l’angoisse, parfois l’apparition de
conduites boulimiques. Cet état peut durer, entrecoupé de périodes
– la tentative de dénier ces liens et le besoin de ces liens par une
d’amélioration minimes et mener, soit à l’anorexie chronique, soit à
affirmation d’autosuffisance ;
des tableaux de cachexie extrême si aucune mesure n’est prise.
– la reprise d’un lien avec l’objet sur un mode qui assure sa
permanence et son contrôle par le développement d’une relation
d’emprise sadomasochiste de type manipulatoire. SYNDROME BOULIMIQUE
L’attitude de défi exprime bien la situation de contrainte à laquelle La forme clinique la plus caractéristique est la forme compulsive
la patiente soumet son entourage. normopondérale évoluant par accès avec vomissements.

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L’accès boulimique se déroule suivant un scénario assez stéréotypé. troubles que leurs approches thérapeutiques dans l’un et l’autre
Son déclenchement brutal, son caractère impérieux, son déroulement sexe, concluent à des résultats comparables. Notre expérience nous
d’un seul tenant jusqu’au malaise physique ou au vomissement lui amène néanmoins à considérer que les garçons présentant une
confèrent un caractère de crise. anorexie mentale sont plus souvent concernés par des troubles
graves de la personnalité mettant en jeu leur sentiment d’identité et
Cette crise boulimique consiste en l’ingurgitation massive, quasi
plus particulièrement leur identité sexuée.
frénétique, d’une grande quantité de nourriture. Cette ingestion
rapide s’accomplit en général en cachette d’une façon totalement Une comorbidité importante avec les troubles de l’humeur et les
indépendante des repas, survient souvent en fin de journée, et TOC a été constatée. De plus des antécédents familiaux de troubles
répond fréquemment à un sentiment de solitude que le sujet aggrave de l’humeur (20 %) et d’alcoolisme (20 %) ont été mis en évidence [14,
en s’isolant pour manger et en demeurant seul après la crise du fait
90, 99]
.
de son dégoût de lui-même. Il n’est pas rare que le sujet prépare
l’accès et achète ou vole en prévision de celui-ci la nourriture ¶ Conduite boulimique masculine
nécessaire. Nous ne disposons que de très peu d’études. Cependant,
Les aliments sont choisis en raison de leur richesse calorique (pain, Woodside [110] a trouvé dans une vaste étude canadienne en
beurre, pâtes, chocolat) et surtout de leur caractère « bourratif ». La population générale une prévalence de 0,13 % pour les formes
quantité prime toujours sur la qualité, le besoin d’engloutir sur la complètes, de 0,95 % en incluant les formes partielles avec
recherche du goût. L’accès est le plus souvent suivi de vomissements respectivement un sex-ratio autour de 1/10 et de 3/1. Ces formes
provoqués mais qui, avec le temps, deviennent quasi automatiques. masculines ne semblent pas différentes des formes féminines, mais
Un certain nombre de patientes boulimiques repoussent avec force la grande majorité de ces patients échappent aux réseaux de soins.
et dégoût l’idée même et la possibilité du vomissement. Après les La honte liée au fait de souffrir d’une maladie étiquetée féminine
vomissements, la boulimie peut reprendre tant que de la nourriture vient redoubler celle liée aux perturbations du comportement
reste disponible. alimentaire.
La fin de l’accès peut être suivie d’un état de torpeur à la limite Des antécédents de surpoids sont fréquemment constatés [14], ainsi
d’un vécu de dépersonnalisation. Cet état s’accompagne de douleurs qu’une comorbidité avec les troubles de l’humeur (60 %), la prise de
physiques violentes, surtout abdominales. Il entraîne le plus souvent toxiques, les troubles de la personnalité du cluster B (71 %) [14, 99].
un sentiment de malaise, de honte, de dégoût de soi, des remords et
des autoreproches. Malgré cette souffrance, et la conscience du
FACTEURS DE RISQUE
caractère anormal de ce comportement, le malaise va être vite
annulé. Il n’y a pas de signes d’appel à proprement parler permettant un
L’usage de différents médicaments, laxatifs, diurétiques, dépistage précoce d’un TCA avant un trouble avéré et les facteurs
anorexigènes, peut donner lieu à des abus considérables et à des de risque existants sont parfois confondus avec des signes d’appel.
complications somatiques graves. Parmi les facteurs de risque fixes, on trouve, avec la prédominance
féminine, l’adolescence et certaines catégories sociodémographiques.
Comme dans l’anorexie mentale, l’image du corps fait l’objet de En ce qui concerne les facteurs variables, ceux-ci se divisent
préoccupations exagérées souvent obsédantes. Mais il n’y a pas de généralement en facteurs socioculturels, familiaux et de vulnérabilité
distorsion massive de la perception de la réalité du corps. Le poids individuelle. Ils doivent être considérés comme des marqueurs
est le plus souvent normal, un peu au-dessous des normes. cliniques de vulnérabilité potentielle non spécifiques. Ils
Cependant, des conduites boulimiques se retrouvent chez des obèses circonscrivent un « état mental à risque », mais le point de bascule
ou des patientes ayant une surcharge pondérale modérée. vers une affection avérée reste indéterminé.
La fréquence des accès est très variable, de un à deux par semaine à
plus de 15 par jour au cours de véritables « états de mal – L’augmentation de fréquence des TCA parallèle à celle des
boulimiques ». Cette pratique peut être régulière ou survenir par addictions en général apparaît congruente avec un mode de société
périodes de plusieurs mois ou semaines avec des intervalles libres libérale. Le rôle de tels facteurs socioculturels est difficile à mettre
de durée variable. en évidence. Néanmoins, plusieurs études ont montré que les
pathologies alimentaires étaient plus fréquentes dans certains
Entre les crises peuvent survenir des conduites de grignotage, de milieux où le corps est au centre de l’activité professionnelle
restriction alimentaire, ou de régimes alimentaires associés à des (danseurs, mannequins, sportifs de haut niveau…).
exercices physiques plus ou moins extravagants.
– Il est probable que les formes des troubles avec dimension
obsessionnelle et dépressive se recrutent préférentiellement chez les
FORMES CLINIQUES MASCULINES anorexies mentales restrictives pures, tandis que les formes borderline
où l’influence de l’environnement est prévalente, se retrouvent plus
¶ Anorexie mentale du garçon volontiers chez les anorexies mentales purging-type et les
boulimiques. Le « perfectionnisme » est une caractéristique clinique
Décrite depuis 1964 par Morton, elle demeure relativement rare, de
singulière et discriminante dans l’anorexie renvoyant probablement
l’ordre de 10 % des cas, mais ce chiffre est sous-évalué, car très peu
à une vulnérabilité génétique.
d’études en population générale ont été menées. Ainsi, l’étude de
Woodside [110] retrouve en population générale une prévalence de – Les futures anorexiques et boulimiques vivent plus difficilement
0,16 % selon les critères du DSM-IV avec un sex-ratio de 25 %. Le que les autres ce moment-clef de leur maturation physique et
tableau clinique se rapproche de celui de la fille avec une psychique que constitue la période pubertaire. Leur trouble est déjà
prédominance des formes avec boulimie et vomissements. La perte focalisé sur l’image du corps et l’image de soi, intimement liées à
de toute libido et de toute érection est considérée comme cet âge, et sur des difficultés relationnelles tant avec la mère qu’avec
l’équivalent de l’aménorrhée. Une obésité prémorbide est le groupe social [22].
fréquemment retrouvée [14, 50, 90]. – La question du rôle joué par les antécédents d’abus sexuels pendant
Pendant longtemps, la conduite anorexique du garçon a été l’enfance (ASE) dans la pathogenèse des TCA est complexe. Les
considérée comme un mode d’entrée dans une pathologie comparaisons de patientes boulimiques avec des sujets sains ou
psychotique. De nombreux auteurs [28, 74] décrivent désormais des souffrant d’autres troubles psychiatriques ont montré peu de
modalités évolutives comparables aux formes féminines. Ainsi, différences, ce qui tendrait à prouver que les relations entre ASE et
Andersen et al ont étudié les particularités cliniques et le TCA en termes de co-occurrence, n’ont rien de spécifique.
fonctionnement mental des hommes présentant des TCA. Leurs Les seules études qui aient pris en considération les atmosphères
études, concernant tant les mécanismes psychopathologiques de ces incestueuses, afin de les distinguer au mieux d’événements

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traumatiques dans la réalité, retrouvent des chiffres équivalents avec Les premiers psychanalystes qui ont eu à s’occuper d’anorexiques
un pourcentage d’abus sexuels patents dans une population de ont ainsi été conduits à mettre en avant le rôle de la régression
femmes boulimiques égale à 7 %, c’est-à-dire voisine de celle devant la sexualité génitale et celui des fantasmes inconscients de
observée dans la population générale [33]. fécondation orale et d’incorporation anale du pénis paternel. Ces
Les études longitudinales se rejoignent dans leurs conclusions : une thèmes seront repris par Fénichel [32]. Un double mouvement affecte
baisse de l’estime de soi est prédictive sans être spécifique d’un la sexualité génitale : l’un l’amène à déplacer les représentations la
TCA. concernant sur l’oralité et à conflictualiser celle-ci qui fait l’objet de
– Concernant la comorbidité TCA/dépression au vu de la littérature dégoût, d’inhibition et de refoulement ; l’autre, plus
récente, la prévalence excède de beaucoup celle retrouvée en authentiquement régressif, conduit à une réactivation des relations
population générale (entre 11 et 66 % selon les études au moment d’objet et d’un érotisme qui appartient aux stades antérieurs de la
du diagnostic de TCA en ce qui concerne les épisodes dépressifs libido, anal et oral. On a pu ainsi rattacher à l’analité : les formations
majeurs) avec une fréquence accrue chez les patientes réactionnelles, les rites alimentaires, les pensées obsédantes, les
boulimiques [20]. conduites de vérifications, la fécalisation des aliments, du corps et
Si la dépression est donc souvent associée au TCA, elle n’est pas des besoins en général, en contrepoint d’une idéalisation de
pour autant prédictive. De fait, elle est souvent confondue avec une l’intellect et du corps mince et érigé, et surtout le surinvestissement
baisse de l’estime de soi. de la maîtrise, de l’hyperactivité musculaire, des relations d’emprise
et manipulatoires sur les objets. La réactivation des mécanismes
– La dynamique familiale est très fortement impliquée, mais on ne d’incorporation, et de leur inhibition, l’importance de l’envie, des
sait pas si c’est au niveau des facteurs primaires ou secondaires. Les relations en tout ou rien, de l’avidité et de l’insatiabilité telles
familles de boulimiques sont plus désorganisées et on y retrouve qu’elles apparaissent à l’occasion des accès boulimiques sont
des caractéristiques qui sont celles de leurs enfants. Les familles davantage de l’ordre de l’oralité (le vomissement condense des
d’anorexiques ont davantage de problèmes d’anxiété et de maîtrise, aspects liés à l’oralité et à l’analité). La régression conduit également
les références à l’idéal y jouent un rôle beaucoup plus contraignant, à une désintrication pulsionnelle et à une libération d’une agressivité
bien que ces éléments ne soient pas d’une grande spécificité. libre qui nourrit les symptômes anorexiques et boulimiques.
– La fréquence des antécédents familiaux de troubles psychiatriques Progressivement, les auteurs vont conférer au symptôme non plus
(dépression [25 versus 8 %] ; addiction alcoolique ; abus de drogue) la signification d’une issue au conflit pulsionnel, mais la finalité de
est avérée [34]. Elle est plus élevée chez les boulimiques que chez les répondre aux failles d’ordre psychotique de l’organisation du Moi
anorexiques. par la tentative de rétablissement de l’unité mère-enfant. On peut
Une étude récente, parmi les plus rigoureuses sur le plan considérer que le symposium de Göttingen sous la direction de
méthodologique, réalisée sur un échantillon de 210 sujets, retrouve Meyer et Feldmann [73] officialise un tournant dans la conception
une prévalence de 27 % de troubles de la personnalité dans les psychopathologique de l’anorexie mentale. Les conclusions de ce
TCA [49] . Les anorexiques-boulimiques ont plus souvent une congrès ayant fait l’objet d’un consensus sont les suivantes :
pathologie de la personnalité (39 %) que les boulimiques (21 %) et l’anorexie mentale a une structure spécifique ; le conflit essentiel se
les anorexiques (22 %). Le type de pathologie appartient plus situe au niveau du corps et non au niveau des fonctions alimentaires
souvent au cluster C (personnalités évitantes, dépendantes, sexuellement investies. L’anorexie mentale exprime une incapacité à
obsessives compulsives et passives-agressives) pour les anorexiques assumer le rôle génital et les transformations corporelles, propres à
pour lesquels on ne retrouve pas de personnalité borderline. Les la puberté. Ces conclusions vont alors être reprises et développées
sujets boulimiques au contraire se situent essentiellement dans le dans des voies spécifiques par différents auteurs.
cluster B (personnalités borderline, histrioniques, narcissiques et Bruch [6, 7] considère que le trouble fondamental et pathognomonique
antisociales). De fait, plusieurs caractéristiques cliniques sont est un trouble de l’image du corps secondaire à des perturbations
communes à la boulimie et à la personnalité borderline : l’instabilité de la perception interoceptive. L’ampleur de cette triade : troubles
affective, l’impulsivité, la consommation de substances, les conduites de l’image du corps, de la perception interoceptive et de l’autonomie
pathologiques telles que le vol, les tentatives de suicide. prend un caractère déréel, sinon délirant et place l’anorexie primaire
– Une recherche remarquable sur le plan méthodologique [30, 31] a dans la lignée des schizophrénies dont elle constituerait une forme
tenté de mettre en exergue des facteurs de risque spécifiques. Les particulière.
facteurs qui différencient spécifiquement les anorexiques des autres Selvini-Palazzoli [88] fait de l’anorexie mentale une forme de
troubles psychiatriques sont une autoévaluation très abaissée et un « psychose monosymptomatique » qu’elle qualifie de « paranoïa
perfectionnisme élevé. Dans le cas de la boulimie, on constate une intrapersonnelle » et qui se situe à mi-chemin entre les positions
plus grande vulnérabilité aux influences familiales ou sociales schizoparanoïde et dépressive. Elle fait l’hypothèse que l’anorexie
valorisant les régimes et la minceur, qui n’est pas retrouvée pour est une lutte contre l’impulsion boulimique.
l’anorexie mentale ; une plus grande fréquence de remarques
Kestemberg et al [66] mettaient en avant les modalités spécifiques de
négatives de l’entourage sur leur apparence physique, ainsi que plus
la régression et de l’organisation pulsionnelle. La régression est
d’obésité dans leur enfance et chez les parents. Enfin, les règles
« vertigineuse » en ce qu’elle ne rencontre aucun point de fixation et
surviennent un peu plus précocement.
d’organisation au niveau des zones érogènes. Celles-ci, dans leurs
Au total, s’il y a bien des facteurs de vulnérabilité, ils ne prédisent
modalités spécifiques d’organisation de la relation objectale, sont
pas le mode d’expression de la difficulté psychique et la forme
« inefficaces », « balayées » par le mouvement régressif qui ne trouve
psychiatrique que celle-ci va prendre au moment de l’adolescence.
à s’arrêter qu’au niveau de ce que les auteurs appellent les
précurseurs de la relation avec l’objet et de l’organisation du Moi et
qu’ils conceptualisent dans une acceptation très originale du Soi. La
Mécanismes étiopathogéniques conduite boulimique est alors considérée comme une tentative de
résolution dans un acte, avec un plaisir plus ou moins dénié de ces
conflits fondamentaux de l’anorexie mentale.
APPROCHE PSYCHANALYTIQUE
Ces différentes études psychopathologiques, qui ont chacune leur
¶ Psychopathologie individuelle approche et leur théorisation propre, placent la problématique de
l’identité au cœur des TCA. Elles soulignent l’importance du conflit
L’éclairage psychopathologique va successivement être porté sur la dépendance/autonomie et la vulnérabilité fondamentale de ces
nature des fantasmes et sur le conflit pulsionnel sous-jacent au sujets [66]. Pour autant, l’anorexie mentale, la boulimie sont-elles des
symptôme, puis se déplacer sur la pathologie de l’organisation de la symptômes ou renvoient-elles à des structures psychiques
personnalité et du lien [8]. particulières ?

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37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

On a voulu successivement en faire des symptômes rattachables à Cette dépressivité est une modalité particulière du fonctionnement
des entités psychiatriques déjà connues en fonction des vogues des psychique servant à aménager un temps des angoisses archaïques
différents modèles qui se sont succédé. désorganisantes, mais qui nécessite une énergie considérable et
L’hystérie fut évoquée en premier et reste la référence la plus totalement improductive pour se maintenir. C’est la chronicisation
habituelle, non seulement dans les descriptions princeps de Gull [43] de cette « solution dépressive » et de ses effets de barrage à un
et Lasègue [67] puis de Charcot et Déjerine, Silverman [91], mais travail de deuil qui fait craindre la pérennisation d’une organisation
également pour Janet, et Freud [36] lui-même qui, dans ses premiers en faux self, l’évolution vers une dépression essentielle et un risque
travaux, évoque une forme de conversion par refoulement de psychosomatique à terme.
l’érotisme oral, thèse qui sera plus récemment reprise par La dimension addictive de ces conduites a conduit certains auteurs
Couvreur [26], et par Valabrega [104] qui en fait un symptôme de à les intégrer dans le vaste champ des toxicomanies. Jeammet et al [58]
conversion susceptible de se retrouver sur des structures différentes. regroupent dans le concept d’addiction des conduites différentes
La dépression mélancolique est, après l’hystérie, le modèle le plus comme l’alcoolisme, le tabagisme, le jeu pathologique, les TCA
souvent pris comme référence, mais les études les plus récentes (anorexie, boulimie), les surconsommations médicamenteuses, en
soulignent que l’on ne peut réduire la boulimie à une manifestation particulier de psychotropes, mais aussi certaines conduites
dépressive, même si cette dimension dépressive y est centrale [24]. suicidaires et/ou de prise de risque. Ce regroupement repose sur
De même, aucune preuve n’est venue étayer sérieusement des constatations cliniques qui apparaissent très voisines dans les
l’hypothèse de la parenté de l’anorexie mentale et des boulimies différents troubles :
avec la psychose maniacodépressive [27]. – début à l’adolescence avec réactivation de l’histoire
La maladie psychosomatique représente le troisième modèle le plus événementielle de l’enfance ;
souvent retenu. On ne peut qu’être frappé en effet par certaines – compulsivité avec obsessions idéatives concernant l’objet et la
caractéristiques de ces patientes : les difficultés associatives, la conduite addictive ;
pauvreté ou l’absence d’élaboration des fantasmes, la tendance à la
reduplication projective, l’entrave aux capacités projectives – sentiment de manque ou de vide et impulsivité précédant le
prisonnières des formations de caractère et de l’adhérence à la réalité recours à l’objet addictif ;
objective qui évoquent des difficultés de liaison entre processus – substitution d’une dépendance à l’objet humain par une
primaire et secondaire, une carence du rôle du préconscient, que dépendance à un objet externe inanimé, disponible et manipulable ;
l’on retrouve dans la pensée opératoire des malades décrits par
Marty [72]. – vécu de dépersonnalisation, sorte d’état second hypnotique puis
honte et culpabilité mêlées lors des crises ;
Dans le même sens, Brusset décrit la crise boulimique comme
[12]

« la mise en œuvre d’un palier de réorganisation par rapport à une – dépressivité et lutte antidépressive lors des intervalles libres,
régression mortifère, ou une désorganisation susceptible d’entraîner manifestations somatiques lors du sevrage, maintien masochique de
dépression essentielle et somatisation ». la conduite malgré les effets du manque et les conséquences
À partir de données épidémiologiques et cliniques, Corcos [19] relève délétères psychologiques, biologiques et sociales ;
que la majorité des conduites addictives alimentaires les plus graves, – fréquence des coaddictions lors de l’évolution.
dans une approche nosologique diagnostique catégorielle, se situent Ces données cliniques traduisent une problématique narcissique
non dans un registre névrotique structuré ou dans le monde commune. C’est dire que, si le « choix » du type de conduite et les
narcissiquement clos de certaines psychoses, mais dans des registres effets de l’objet d’addiction sont radicalement différents, la genèse et
narcissiques ou limites (psychoses passionnelles froides, toxicomanie la pérennisation de la conduite comportent des points communs
d’objet), ou encore névrotiques précaires (névrose de (failles narcissiques, structuration psychique précaire, acte anti-
dépersonnalisation), c’est-à-dire dans un cadre de structuration éprouvé et antipensée, mécanismes neurobiologiques de dépendance
vacuolaire ou d’astructuration à risque psychosomatique. similaires).
Dans une approche dimensionnelle, 50 à 70 % des cas présentent Les auteurs conçoivent la place, le rôle et la fonction du symptôme
une dimension alexithymique à risque psychosomatique. addictif dans ces conduites en tant que défense contre des affects
Cette dimension alexithymique rend compte d’une constante dépressifs non structurés, pressentis dangereux, et en tant
clinique observée dans ces conduites : la phobie du relationnel qu’on qu’élément permettant d’accéder à une jouissance solitaire plus ou
peut rattacher à une angoisse plus régressive face à l’altérité. Elle moins masquée ou élément permettant une autostimulation face à
objective un mode de vie opératoire très tôt organisé. L’évitement un sentiment de vide désorganisateur.
de la pensée, mais aussi de l’éprouvé mis en place par le sujet dans Sans avoir l’ampleur et la rapidité d’impact d’une drogue
ses relations ultérieures, a pour fonction essentielle de ne pas mettre proprement dite, un comportement pathologique, en particulier
en péril une organisation d’être au monde sécurisante. alimentaire, est susceptible d’avoir certains des effets psychotropes,
La dimension alexithymique apparaît essentielle à considérer dans que ce soit par l’apaisement qu’il peut procurer ou en étant source
ces conduites car elle condense deux inaptitudes foncières : d’excitations stimulantes pour le psychisme, avec pour conséquence
l’aptitude hédonique et l’aptitude à se déprimer font défaut ou l’apparition d’un certain degré de dépendance (avec la difficulté de
plutôt sont court-circuitées par la compulsion addictive, ou encore séparer dépendance physique et psychique) mais également
font l’objet de dérivation endogène (circuit pervers, régression d’accoutumance. Ces répercussions peuvent être le fait de
psychosomatique). phénomènes purement psychiques, en lien avec le sens et la fonction
Ces deux inaptitudes se rejoignent fondamentalement dans de ce comportement dans l’équilibre mental des patients, ou résulter
l’incapacité « à s’ouvrir à soi et à l’autre sans se perdre », en des effets psychiques propres des sensations procurées par le
particulier dans un affect dépressif ou dans le plaisir. Enfin, certaines comportement [9], ou de ceux des modifications biologiques, en
spécificités de la dépression observées dans les TCA (dépression particulier des neuromédiateurs, secondaires à la pratique de ce
narcissique anaclitique par défaut d’étayage et dépressivité plus que comportement. Ainsi, les mécanismes neurobiologiques de la
dépression avérée) constituent les éléments prédictifs d’un risque dépendance à un objet toxique existent de la même manière dans
évolutif vers un fonctionnement alexithymique associé ou non à des les addictions comportementales tels les TCA.
maladies psychosomatiques. Cette dépressivité habite un symptôme On peut faire l’hypothèse qu’il en est de même des conduites
d’ordre à la fois comportemental et corporel. Les variations addictives alimentaires et dans d’autres conduites comportementales
thymiques corrélées à des sentiments contradictoires et conflictuels où les bases et les mécanismes neurobiologiques de la dépendance
vis-à-vis de l’objet sont exprimées par des voies comportementales sont les mêmes que dans les toxicomanies [102]. On sait avec
et somatiques plus que psychiques. Fullerton [37] et Hawkes [45] que les crises alimentaires sont à l’origine

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Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

de production intracérébrale de substances opioïdes à effet – des altérations de l’image du corps témoignant d’une
morphinique. Pour l’anorexie, l’état d’élation et le sentiment de bien- indifférenciation partielle d’avec le corps maternel ;
être physique malgré la dénutrition et l’« orgasme de la faim » – à des degrés divers, un mouvement actif d’attaques des processus
semblent correspondre de même à une sécrétion de b-endorphines mentaux de représentation et un surinvestissement du sensoriel. Ce
endogènes [2]. mouvement peut n’intéresser qu’une partie du fonctionnement
L’hypothèse essentielle est que l’anorexie mentale, comme la mental, qui par ailleurs reste « normal » ;
boulimie, font partie des conduites de dépendance. Le fond commun – un mode relationnel organisé autour de l’angoisse du manque qui
de cette problématique de dépendance crée les conditions d’un condense la perte d’objet, la déperdition narcissique et la castration ;
antagonisme entre la sauvegarde narcissique et la lignée objectale
pulsionnelle. Cette situation aboutit à une sorte de paradoxe, dont – un registre défensif varié, mais partiellement inopérant et donnant
l’anorexie est le paradigme, et qui peut se formuler ainsi : « ce dont l’image d’un « avortement » du travail psychique.
j’ai besoin, parce que j’en ai besoin et à la mesure même de ce besoin, ¶ Psychopathologie familiale
c’est ce qui me menace ».
Le passage à l’acte boulimique bat en brèche cette organisation Dans une perspective psychanalytique, la psychopathologie
défensive de l’anorexie mentale. Ce choix de la conduite boulimique individuelle du patient, telle qu’elle s’est organisée au cours de son
trouve sa spécificité à un second niveau : celui des modalités de la histoire, est prise en compte afin d’essayer de la relier à la
régression qui accompagne ces dysrégulations narcissiques et personnalité respective de l’un ou des deux parents. La première
objectales, et plus encore celui des aménagements de cette enfance y tient alors une place essentielle. Les études de la
régression. La crise boulimique représente alors un aménagement psychopathologie individuelle de chacun des membres de la famille
de la régression particulier par ses facteurs déclenchants, les ont, dans un premier temps, porté essentiellement sur le rôle de la
modalités de son arrêt et les réaménagements auxquels il donne mère.
lieu : Rôle de la mère
– le détonateur en est le plus souvent la confrontation à la situation Les mères sont décrites d’une façon qui peut apparaître
œdipienne, à la différence des sexes, et à tout ce qui renvoie à contradictoire :
l’incomplétude du sujet ; il se caractérise par l’échec des zones
– d’un côté, on insiste sur leur caractère de personnage fort, rigide,
érogènes à stopper cette régression et à l’organiser ;
dominant et même tyrannique, peu chaleureux ;
– l’aménagement postrégressif est ce qu’il y a de plus spécifique :
– d’un autre côté, on relève l’importance des manifestations
c’est la relation que la personne boulimique entretient avec son
dépressives. Cet état dépressif peut être repéré dans les premières
objet-symptôme, la crise boulimique elle-même, toujours
années de la vie de l’enfant, empêchant la mère d’être en empathie
potentiellement accessible.
avec lui et de lui fournir un étayage affectif. On le retrouve parfois
L’aménagement de la régression correspond à une variante dans les mois ou l’année ayant précédé le déclenchement des
d’aménagement pervers. L’utilisation du besoin physiologique troubles.
comme néo-objet [5] prend le relais des objets de la réalité externe
Cette contradiction n’est qu’apparente si l’on considère que la
devenus dangereux. La conduite boulimique, comme l’anorexie ou
rigidité des positions de caractère reflète une dépression sous-
la toxicomanie, constitue « une voie finale commune de décharge de
jacente. Quant à la position dominante, elle peut être le fait d’une
toutes les excitations » [12]. L’apparition de TCA (pas plus que
mère déprimée qui se perçoit comme faible, débordée et dévalorisée.
d’autres conduites agies ou addictives) reflète l’instabilité de
Dans cette perspective, il est nécessaire, au-delà du comportement
l’organisation psychique, mais ne signe pas en elle-même la présence
manifeste, de considérer la place qu’occupe chacun dans le fantasme
d’une structure psychique particulière. En revanche, elle témoigne
des autres. La « future anorexique » occupe dans les fantasmes de sa
d’une vulnérabilité de la personnalité à la fois suffisamment
mère une place particulière : l’investissement maternel est de nature
spécifique pour être une condition nécessaire à l’apparition de telles
essentiellement narcissique et valorise des performances de l’enfant
conduites, mais pas assez pour que celles-ci soient une réponse
reconnues socialement au détriment de tout ce qui est plus
inévitable ni même la seule possible. Plus qu’une organisation stable
personnel, pulsionnel et affectif [66, 93]. Le surinvestissement apparent
de la personnalité, et plus encore qu’une structure définie, ces TCA
de l’enfant par la mère contraste avec le caractère frustrant de celle-
semblent réaliser un aménagement pervers d’une vulnérabilité liée
ci, son manque de chaleur, son insatisfaction permanente. On a
au maintien d’une dépendance excessive aux objets externes.
surtout décrit la dépendance d’un enfant à l’égard d’une mère qui
La perversion a pu également être évoquée, tant dans sa dimension lui fait prendre ses besoins à elle pour les siens propres [7]. À ce titre,
caractérielle de perversité avec manipulations des personnes, la fréquence des antécédents maternels de TCA, surtout
mensonges, mythomanie, que dans sa dimension structurale de déni infracliniques, est à noter.
de la castration, fétichisation du corps, réactivation de la sexualité
L’organisation fantasmatique de la mère et la place qu’y occupe sa
prégénitale. C’est ainsi, par exemple, que la boulimie a pu être
fille ne peuvent se comprendre que par rapport à ses relations à ses
décrite comme un acting out défensif sur le corps propre d’un
propres parents. Les grand-mères, et notamment la grand-mère
fantasme sado-masochique semi-symbolique [86].
maternelle, apparaissent ainsi comme les personnages-clés de ces
Pour Chabert [ 1 7 ] , l’aménagement pervers des mouvements familles. Les relations de la mère à ses propres parents peuvent se
pulsionnels réalisé par la conduite boulimique constitue une résumer schématiquement par une relation idéalisée mais
tentative de colmatage de brèches narcissiques et dépressives profondément ambivalente à leur mère, une vive déception
d’allure mélancolique. œdipienne par rapport à leur père [66]. Cette ambivalence se reflète
Tests psychologiques dans la relation de la mère à sa fille sous une forme également
masquée par l’idéalisation. Elle se manifeste parfois de façon très
Chabert [16], présentant une revue des études sur les épreuves
violente par le rejet, notamment pendant la phase de guérison de
projectives, montre la juxtaposition chez les anorexiques de
l’anorexie, alors que la patiente ne peut plus répondre au rôle
différents niveaux de fonctionnement et d’organisation et le rôle joué
attendu par la mère. La mère vit sa fille tantôt comme un double
par l’étayage sur des relations dans le choix du niveau utilisé. Les
consolateur, ce que n’avait pas su être sa propre mère, tantôt comme
configurations psychopathologiques de la boulimie, au travers du
la représentante surmoïque de celle-ci.
test de Rorschach exposées par Birot [3] , mettent en évidence
certaines constantes du fonctionnement mental : Rôle du père
– l’investissement massif du test et, au moment de la séparation, Le rôle éventuel du père fut pris en compte plus tardivement pour
l’expression d’un sentiment de vol, de dépossession de la production souligner son caractère effacé, soumis, incapable de faire preuve
fantasmatique ; d’autorité, souvent exclu de fait de la vie familiale. Comme pour les

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mères, Dally et Gomez [28] signalent la fréquence des épisodes boulimiques, elle observe du côté de la patiente une disqualification
dépressifs chez ces pères dans les mois précédant le déclenchement de ses messages par son comportement, et du côté de la famille, des
de l’anorexie. Ils nous sont apparus en difficulté personnelle, plus moments de confusion psychotique et de rupture de la
encore que les mères [4]. Leur identité est plus mal assurée du fait en communication.
particulier de la prévalence de leurs identifications féminines. Plus
encore que chez les mères, on rencontre des niveaux d’organisation
et de fonctionnement psychiques différents dont un certain nombre Approche biologique :
proches de la psychose.
régulation de la prise alimentaire
Ces difficultés se traduisent par des attitudes qui vont, d’un repli
sensitif chez les uns, à une relation plus ouverte et nuancée chez les Le poids corporel de l’adulte tend vers une valeur relativement
autres, mais avec une position contre-œdipienne massive et des stable, ce qui suggère l’existence d’une homéostasie pondérale. En
relations de séduction avec leur fille, en passant, enfin chez d’autres, effet, un ensemble de mécanismes régulateurs vise à corriger les
par un rôle essentiellement maternant. écarts produits par les variations des milieux internes et externes,
Cette réalité de la relation que le père noue avec sa fille nous est les paramètres d’équilibre étant la prise alimentaire, les dépenses
apparue corrélée avec la forme d’organisation psychopathologique énergétiques et le niveau d’adiposité.
de la patiente : aux pères avec une position contre-œdipienne très Le contrôle central de la régulation du poids se situe au niveau de
active correspondent toujours les formes avec modalités hystériques l’hypothalamus, ventral et médian, qui intègre les différents stimuli
de fonctionnement, mais aussi les formes avec boulimie et et organise les réponses, surtout par la mise en jeu des systèmes
vomissements. Plus le père fonctionne sur le versant narcissique du sérotoninergique et catécholaminergique.
repli et de la persécution, plus l’anorexie constitue le seul
aménagement défensif et plus les traits schizoïdes et dépressifs sont La sérotonine est le neuromédiateur dont le rôle dans le pondérostat
présents. est actuellement le mieux connu. L’effet le plus anciennement décrit
est la modification du comportement alimentaire, avec une variation
L’intérêt s’est progressivement déplacé des individus qui composent de la satiété. D’autre part, la sérotonine a un effet global de
la famille sur celle-ci en tant que groupe naturel. Le tableau le plus diminution des ingestats caloriques par un ensemble de
fréquemment décrit est celui d’une famille conventionnelle, fixée phénomènes sélectifs sur la prise alimentaire. La sérotonine agit au
rigidement sur les apparences, fermée sur elle-même, avec une peur niveau de l’hypothalamus médian en diminuant la prise alimentaire,
du monde externe et surtout une volonté d’éviter les conflits en particulier celle des hydrates de carbone (la sérotonine fait partie
internes. Sours [93] trouve que ces familles cherchent à apparaître d’une boucle très complexe de régulation de l’absorption
parfaites dans une caricature de normalité. Les auteurs retrouvent glucidique). Cet effet a été remarqué chez des patients obèses
une plus grande hétérogénéité dans le fonctionnement familial des présentant en dehors des repas des compulsions sélectives pour les
familles boulimiques. Ces familles sont plus chaotiques, manquent hydrates de carbone (carbohydrates-cravers [CHC]) lors de moments
de contrôle, les conflits et l’hostilité y sont plus intenses [107]. Igoin [52] de tension intérieure. L’absorption de collations sucrées entraîne une
distingue les foyers très « unis » dont les tensions restent marquées, sédation de cette tension. La prescription chez ces patients de
des foyers « brisés » avec séparation des parents parfois violente. dexfenfluramine (agoniste cérébral de la sérotonine) entraînait une
diminution de l’intensité des crises. Ainsi était suggérée l’hypothèse
Rôle de la fratrie
hyposérotoninergique dans la boulimie. Un déficit sérotoninergique
Reste enfin le problème de la fratrie. Plus que la place du patient est par ailleurs évoqué dans certains troubles dépressifs et troubles
dans l’ordre chronologique, apparaissait importante sa place dans la du contrôle de l’impulsivité que l’on retrouve en clinique dans la
fantasmatique des parents et le rôle de complément narcissique joué constellation symptomatique de la boulimie. Pour autant, l’impact
par un membre en général plus âgé de la fratrie. La fréquence des de la sérotonine dans le comportement boulimique doit être articulé
cas d’anorexie mentale dans la fratrie est peu élevée, mais il semble avec l’effet des autres éléments régulateurs de la prise alimentaire.
en revanche que les signes de difficultés psychologiques sérieuses y Le système catécholaminergique régule le poids de façon centrale par
soient plus répandus qu’une vue superficielle ne le laisserait croire. l’activation des récepteurs centraux :
La théorie familiale systémique a trouvé avec l’anorexie mentale un
champ d’application immédiat. Deux auteurs se sont – a induisant une augmentation de la prise alimentaire par
particulièrement intéressés aux TCA : Minuchin [74] et Selvini l’élévation caractérisée du volume et de la durée des repas, et la
Palazolli [87, 89]. sélection de glucides ;
Pour Minuchin, la famille où survient une anorexie mentale est une – b entraînant à l’inverse une diminution de la prise alimentaire.
famille dysfonctionnelle qui entre dans le cadre des familles Les travaux de recherche se développent sur les neuropeptides
psychosomatiques. Elles se caractérisent : par l’enchevêtrement entre impliqués dans la régulation physiologique de la prise alimentaire
les membres d’une même famille, leur excessive proximité et et concernent essentiellement la norépinéphrine, les opioïdes
l’intensité des interactions ; la surprotection ; la rigidité ; l’intolérance (enképhaline, brendorphine, dymorphine) et les peptides
aux conflits, leur évitement et leur non-résolution. pancréatico-intestinaux (y-yy) ; toutes sont des substances
Pour éviter un conflit insupportable, les parents transforment leurs orexigènes puissantes. Le système NPY-leptine-ghréline paraît
difficultés de couple en un problème avec leur enfant. La actuellement être un régulateur important de la prise alimentaire.
préoccupation concernant la nourriture est plus importante dans les
familles de boulimiques que dans les familles d’anorexiques. La
APPROCHE GÉNÉTIQUE
pathologie familiale serait plus grande dans les familles de
boulimiques (normopondérales ou anorexiques) que dans les Une certaine vulnérabilité génétique serait corrélée étroitement avec
familles d’anorexies restrictives [107] . l’existence de troubles dépressifs majeurs dans la famille, ce qui ne
Selvini considère comme Minuchin que le problème central réside concerne qu’une minorité des troubles alimentaires. De nombreux
dans un système d’alliance et de coalition au sein de la famille. Elle auteurs dont Rivinius [83] ont montré une fréquence de deux à quatre
parle de « mariage à trois », chaque parent étant également dans une fois supérieure des troubles thymiques chez les apparentés au
relation incestueuse avec un des enfants. Elle insiste sur la premier degré des patientes anorexiques et boulimiques par rapport
désillusion profonde qui se cache derrière l’unité de façade du aux apparentés des sujets contrôles. Strober [101] a précisé que cette
couple parental. Elle reprend les modèles d’analyse de la notion s’appliquait aux familles d’anorexiques avec comportement
communication de Watzlawick et de l’école de Palo Alto pour boulimique, et non aux familles d’anorexiques restrictives pures.
repérer comment chaque membre de ces familles qualifie ses propres Les études sur l’association génétique au TOC [15] se développent,
communications et celles des autres. Dans les familles de mais la plupart des anorexiques et une partie des boulimiques sont

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Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

dans une logique obsessionnelle défensive [ 9 4 ] avec une l’appétit. Le métabolisme se réduisant, cela renforce la nécessité de
obsessionnalité plus importante en cas de comportement restrictif et mettre en place des restrictions diététiques, bouclant ainsi le cercle
une compulsivité plus importante en cas de comportement vicieux.
boulimique. La comorbidité TCA-TOC est donc importante, mais le Il va de soi que d’autres aspects interviennent à un niveau ou à un
lien psychopathologique est non spécifique. autre de la chaîne que nous venons de décrire : une pathologie
Il est probable que les formes endogènes avec dimension anxieuse ou dépressive, des attitudes obsessionnelles compulsives,
obsessionnelle et dépressive des troubles se recrutent une sensibilité interpersonnelle particulière, la présence d’éventuels
préférentiellement chez les anorexies mentales restrictives pures, troubles de personnalité, d’une dépendance à une substance ou
tandis que les formes borderline, où l’influence de l’environnement encore une manière défaillante de gérer son stress.
est prévalente, se retrouvent plus volontiers chez les anorexies Nombreux sont les modèles proposés pour comprendre la boulimie.
mentales purging-type et les boulimiques. À cet égard, Halmi et al [44] Le lecteur ayant un intérêt particulier peut consulter l’excellente
estiment que le « perfectionnisme » est une caractéristique clinique revue faite par Vanderlinden et al [105]. Pour notre propos, nous
singulière et discriminante dans l’anorexie et qu’elle renvoie à une évoquons le modèle cognitif imaginé par Fairburn [29], qui met en
vulnérabilité génétique. son centre les préoccupations exclusives de la boulimique pour la
L’anorexie mentale étant une maladie rare, les études de génétique forme de son corps et son poids, raisons pour lesquelles elle se doit
doivent pouvoir inclure un nombre très important de patients pour d’être très stricte et contrôlante. La diète extrême, les vomissements,
que les données soient interprétables. L’héritabilité, c’est-à-dire le l’abus de laxatifs, les préoccupations liées à l’alimentation et à la
poids des facteurs génétiques, est estimée à 50-70 %. Une forte nourriture, la sensibilité exacerbée pour tout changement corporel
héritabilité ne signifie pas forcément que les gènes (connus pour le ou du poids suivi par des pesages fréquents ou des évitements des
moment) les plus impliqués aient un poids considérable. Par pesages, constituent les conséquences les plus marquantes des
exemple, l’anorexie mentale a une héritabilité estimée autour de préoccupations (cognitions) de ce type de patiente. De la sorte,
70 %, mais l’allèle de vulnérabilité le plus impliqué à l’heure actuelle l’image de soi est améliorée à travers un sentiment de maîtrise
n’augmente le risque d’anorexie mentale que de 1,8 (risque relatif). absolue, même des paramètres physiques. Nous rajoutons au
Collier et al [18] ont mis en évidence une association significative modèle de Fairburn deux types de vulnérabilité initiales et la notion
entre anorexie mentale et un polymorphisme du gène codant pour d’image de soi. Comme pour tout trouble psychique, une certaine
le récepteur sérotoninergique 5HT2A. Ce résultat, répliqué plusieurs vulnérabilité semble exister également pour la boulimique, en
fois, apparaît très significatif chez les anorexiques avec forte l’occurrence à caractère biologique et psychologique. De plus, la
dimension obsessionnelle. L’effet est très significatif mais modéré [41]. boulimique se caractérise par une ambivalence spécifique vis-à-vis
Les études d’agrégation familiale estiment à 3 % le risque d’avoir de son environnement. Il s’agit d’un côté de montrer son corps
un enfant anorexique si un apparenté a le trouble et à 0,3 % si ce (visibilité), critère unique d’évaluation aux yeux des autres, et d’un
n’est pas le cas [100]. autre côté, de faire des épisodes de frénésie alimentaire avec ou sans
vomissements à l’abri des regards (invisibilité). Comme tout un
Un sujet ayant une vulnérabilité génétique, sur le 5HT2A par
chacun, la boulimique tente de donner une image rehaussée d’elle-
exemple, a un risque relatif faible (× 1,8) s’il ne s’y associe pas
même, raison pour laquelle elle se préoccupe d’une façon exclusive
d’autres vulnérabilités génétiques (sur d’autres gènes, il faut donc
ou unidimensionnelle de sa forme et de son poids. Pour cela, il lui
exclure la notion de gène candidat car la transmission est
faut développer des stratégies d’autocontrôle strict dont la réussite
probablement oligogénétique, voire polygénétique) et des facteurs
lui apporte un sentiment de maîtrise. La bonne image de soi est
d’environnement favorisants. Or, ces conditions d’interactions sont
ainsi donnée et le cercle vicieux fermé.
rarement réunies, ce qui explique la dispersion au bout de trois
générations…, le dernier sujet ayant autant de risques que dans la
population générale.
Les études de concentration familiale tentent de spécifier le spectre
Évolution et pronostic
phénotypique, en regard des liens entre troubles alimentaires,
Les études concernant le devenir des patients souffrant de TCA ont
dépression et alcoolisme. Gershon et al [40] ont mis en évidence le
fait l’objet de nombreuses publications depuis les années 1980.
fait que c’est l’anorexie restrictive pure, sans vomissements
Cependant, la disparité des méthodes utilisées rend les résultats
provoqués et crise de boulimie, qui augmente significativement le
difficiles à comparer. Les problèmes méthodologiques concernent
risque d’anorexie mentale chez les apparentés. Maloney et al [71] ont
aussi bien le nombre de patientes de l’étude, le moyen de
mis en exergue la fréquence des TCA subcliniques chez les
recrutement et les critères d’inclusion, que la durée du suivi, le
apparentés féminins des sujets anorexiques.
nombre de perdus de vue et les moyens d’évaluation.
Treasure et al [103] ont retrouvé plus souvent un alcoolisme chez les
sujets souffrant de boulimie (12 %) et non d’anorexie mentale (4,8 %).
Ces données génétiques invitent donc à individualiser l’anorexie DEVENIR ET PRONOSTIC DE L’ANOREXIE MENTALE
restrictive pure des autres troubles.
¶ Analyse de la littérature
APPROCHE COGNITIVISTE ET COMPORTEMENTALISTE En 1988, Hsu [51], à partir d’une revue de la littérature, concernant
les principales études à moyen terme (4 à 10 ans) pouvant satisfaire
En ce qui concerne l’anorexie mentale, nous avons retenu le modèle
à des critères méthodologiques rigoureux, retrouve un devenir
proposé par Williamson et al [109], qui postule l’existence de trois
global qui se répartit en : bonne évolution 36 à 58 % ; intermédiaire
« entités » au sein de la problématique anorexique : une perturbation
19 à 36 % ; mauvaise évolution : 20 à 34 % selon les critères de
perceptive au niveau de l’image du corps, une peur de prendre du
Morgan et Russel.
poids et une préoccupation marquée pour la forme du corps. Les
trois éléments centraux postulés par Williamson et al entrent en Plus récemment, à partir de l’analyse de 22 articles publiés entre
interaction avec des caractéristiques de base de la psychopathologie 1981 et 1989, Steinhausen [95, 97] note, selon le Global Clinical Score,
de l’anorexique de la manière suivante. Les restrictions diététiques les résultats suivants : bonne évolution 25 à 75 % ; intermédiaire : 1
déterminent l’apparition de la faim et une baisse de l’énergie vitale. à 47 % ; mauvaise évolution : 5 à 30 %.
Cela fait interrompre la diète, mais déclenche des phénomènes Ratnasuriya [81] publie une étude à long terme, après un suivi de
anxieux liés à la prise potentielle de poids et au sentiment de perte 20 ans, sur une population dans laquelle l’âge moyen de début de la
de contrôle sur son alimentation. Cette étape se poursuit maladie est 18 ans, il retrouve : 30 % de bonne évolution ; 32,5 %
« naturellement » par l’évitement de l’alimentation, qui permet une d’évolution intermédiaire ; 37,5 % de mauvaise évolution
réduction de l’anxiété et une diminution, voire une suppression de comprenant les décès et les évolutions chroniques. Il n’utilise comme

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critère que le poids et les menstruations et la population étudiée Concernant les complications somatiques observées dans les TCA et
mêle adolescents et adultes jeunes. Il note par ailleurs un moins bon la conduite à tenir face à celles-ci, nous renvoyons les lecteurs
devenir parmi les patients ayant débuté leur anorexie après 18 ans. intéressés à l’article de Corcos et al [21].
Lowe [69], en 2001, a publié une étude portant sur le devenir de Soulignons pour conclure que le devenir et le pronostic de l’anorexie
84 patients souffrant d’anorexie mentale, sur une période de 21 ans ; mentale et de la boulimie demeurent dans une large mesure affaire
50 % présentent une bonne évolution, 21 % une évolution de physiopathologie individuelle et de possibilité de prise en charge
intermédiaire et 10 % une évolution défavorable. précoce.
Neumärker [76], en 1997, à partir d’une vaste méta-analyse, a retrouvé
un taux de mortalité de 5,9 % dont les principales causes étaient le
suicide et la mort subite suite à des complications somatiques, en Traitement
particulier du rythme cardiaque.
Sur le plan psychosocial, l’insertion professionnelle ou scolaire est PRINCIPES GÉNÉRAUX
bonne [59]. Si les relations interpersonnelles sont en général assez
Il est important de considérer simultanément la conduite
préservées, les patientes ont cependant souvent des difficultés dans
symptomatique en tant que telle et l’ensemble de la personnalité de
les relations sexuelles (20 à 45 %) [47, 81]). Enfin, il est fréquemment
la patiente avec les conflits familiaux favorisant le trouble et
retrouvé la persistance d’un lien de dépendance vis-à-vis de
auxquels participe la patiente. Il faut souligner d’emblée qu’il est,
l’entourage familial [81].
d’une façon générale, plus facile de lever une conduite de restriction
comme l’anorexie que d’inhiber une conduite de décharge comme
¶ Principaux facteurs pronostiques la boulimie.
– Âge de début de l’anorexie. La réponse thérapeutique doit être graduée et adaptée à chaque cas
Des résultats contradictoires ont été constatés, mais une majorité et à chaque étape de l’évolution. De très nombreuses méthodes
d’auteurs (Morgan [75], Garfinkel [38], Herpetz [47], Bryant Waugh [13], peuvent être utilisées et il est important de pouvoir diversifier les
Steinhausen [95]) ne retrouve pas de corrélation par rapport à l’âge réponses en une palette favorisant une large répartition des
de début. investissements. Mais quel que soit le choix de la méthode, il est
important de se rappeler que, chez ces personnalités, la suggestion
– Attitude familiale.
de type hypnotique comme le négativisme jouent un très grand rôle.
Dès 1983, Morgan a montré que si les relation familiales étaient
Le fait de s’intéresser à elles peut être plus important que le moyen
difficiles, elles étaient corrélées à un pronostic défavorable. Ces
de le faire, ce qui peut aider à rendre compte du succès spectaculaire
résultats ont été confirmés par les travaux de Jeammet [59],
obtenu à leur début par des méthodes en apparence opposées quand
Ratnasuriya [81], North [78].
elles sont appliquées par des thérapeutes qui ont à cœur de prouver
– Poids. l’efficacité de leur méthode.
Gowers [42], en 2000 et Lowe [69] en 2001, ont montré que plus le poids Cette diversité des méthodes doit permettre de composer avec le
ou l’indice de masse corporelle (IMC) est bas lors du début de prise danger potentiel que représente pour les patientes la relation duelle.
en charge, plus le risque d’une évolution défavorable est grand, en Face à ce danger, prend aussi toute son importance l’introduction
particulier lorsque l’IMC est inférieur à 13. d’un personnage tiers [64], de dispositifs de prise en charge
– Hospitalisation. bifocaux [57] comme pour le traitement des états limites et de
Dans plusieurs études, la durée et le nombre d’hospitalisations certaines psychoses. C’est dans cette même perspective qu’il faut
constituent des variables de pronostic défavorable [42, 59, 97]. souligner l’intérêt de l’introduction de différentes médiations dans
la relation, dont le plus exemplaire est représenté par le contrat [53],
– Comorbidité.
qu’il soit établi dans un traitement ambulatoire ou dans le cadre de
L’existence d’un trouble de la personnalité est un facteur de
l’hospitalisation.
pronostic défavorable [47, 75, 81]. Il en serait de même en ce qui
concerne un diagnostic de dépression [92, 95]. La prise en compte de l’environnement familial, non pas tant dans
l’évaluation de son éventuel rôle pathogène, mais surtout dans sa
– Vomissements. fonction souhaitable d’allié thérapeutique, doit être un souci
Des résultats contradictoires ont été retrouvés, mais l’existence de constant.
vomissements représente pour plusieurs auteurs l’indice d’un Dans tous les cas et dès le départ, une personne référente doit
pronostic défavorable [38, 59]. assurer la cohérence du projet thérapeutique et apparaître comme le
garant de la propre compétence et valeur de la patiente.
L’importance de la dépendance et de la vulnérabilité narcissique de
Devenir et pronostic de la boulimie ces patientes expliquent également l’effet tout particulier de la
première rencontre thérapeutique ou de la première hospitalisation.
La description plus récente de la boulimie nerveuse [84] explique le Tout au long du traitement, il est nécessaire de donner la priorité au
fait que nous disposons de peu de données en comparaison avec soutien narcissique, au renforcement du Moi, à la restauration des
l’anorexie mentale. capacités hédoniques sur l’interprétation des conflits.
Keel [61] a conclu, à partir d’une revue de 88 articles de 1988 à 1995 Enfin, la gravité des troubles sous-jacents de la personnalité peut
sur des études de 5 à 10 ans d’évolution, que 50 % des patientes nécessiter une action thérapeutique très longue.
avaient une évolution favorable et 20 % d’entre elles évoluaient vers
une forme chronique. En 1999, Steinhausen a montré dans une méta-
analyse que 47,5 % des patients avaient une évolution favorable, MÉTHODES THÉRAPEUTIQUES
26 % une évolution intermédiaire et 26 % une évolution défavorable.
¶ Traitements ambulatoires
Le taux de mortalité est estimé entre 0,3 et 0,5 % [61, 62].
Les études portant sur les facteurs pronostiques ont trouvé des Le recours à un contrat de poids pour les anorexiques peut
résultats contradictoires et inconstants. Seule l’existence d’une s’appliquer en dehors de l’hospitalisation et constituer une limite
comorbidité telle qu’une consommation d’alcool, un trouble de la qui autorise la famille, comme les thérapeutes, à avoir une plus
personnalité type borderline, des antécédents de tentatives de suicide grande liberté d’action.
est un facteur de pronostic défavorable [95, 97]. La durée d’évolution Les thérapies bifocales ou multifocales donnent la possibilité
de la maladie a fait l’objet de nombreuses controverses sans qu’il d’engager des actions individuelles et/ou familiales tout en assurant
soit possible aujourd’hui de pouvoir trancher cette question. la prise en compte du symptôme.

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Certaines équipes [106] ont pu mettre en place des dispositifs de soins L’ensemble des auteurs soulignent la fréquence réelle d’une
des TCA en hôpital de jour. Le projet thérapeutique peut y associer comorbidité addictive chez les patients souffrant de boulimie :
des approches nutritionnelles, psychologiques et sociales et drogues, alcool et, à un moindre degré, médicaments psychotropes
représente une intéressante alternative à l’hospitalisation. comme les amphétamines, les tranquillisants, voire les barbituriques.
L’abus de substances psychoactives est estimé entre 30 et 37 % des
Psychothérapies cas chez les patientes boulimiques, et entre 12 et 18 % des cas chez
Elles sont très largement utilisées mais suivant des modalités les patientes anorexiques. La comorbidité avec l’abus (voire
pratiques et des références théoriques si différentes qu’il est difficile dépendance) de drogue et d’alcool, et à un moindre degré, de
de les classer et d’en apprécier les résultats. Les psychothérapies de tranquillisants et d’amphétamines avec la boulimie n’est pas
soutien et d’invigoration sont les plus répandues. La continuité négligeable (la consommation de psychotropes étant moindre chez
relationnelle, associée à l’idéalisation habituelle du thérapeute, l’anorexique). Corcos et al [25] montrent que les anorexiques sont plus
contribue à assurer à la patiente l’apport narcissique nécessaire à la consommatrices régulières de psychotropes (51,7 %) que les
restauration de son propre sentiment de continuité. La relation peut boulimiques (41,5 %). Cela est cependant à mettre en lien avec la
d’autant se maintenir qu’elle est médiatisée par un discours portant prescription médicale plus fréquente chez les boulimiques. Si l’on
essentiellement sur les éléments de la réalité externe et rendue considère l’autoprescription, il apparaît alors que les boulimiques
tolérable par la méconnaissance du transfert [10]. consommant régulièrement des psychotropes le font dans 30 % des
cas par autoprescription contre 13 % des cas pour les anorexiques.
Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique, beaucoup plus Dans un certain nombre de cas, il apparaît nettement une corrélation
souvent que des cures psychanalytiques classiques, ont pu être entre restriction calorique et usage d’amphétamines, ou gravité de
proposées, en veillant à l’aménagement des modalités techniques et la conduite boulimique et abus de tranquillisants, purge et prise
du cadre comme dans le cas des états limites. d’alcool et de cigarettes.
Le psychodrame psychanalytique est une variante intéressante de
cette méthode [65]. Approche nutritionnelle et diététique.
La relaxation et les différentes méthodes d’approche corporelle Thérapies comportementales et cognitivistes
peuvent représenter une médiation intéressante dans l’abord de ces Les conseils et le suivi diététique peuvent être une étape importante
patientes, qu’elles restent très techniques ou qu’elles soient un de la restauration d’une alimentation normale. Le risque est de
moyen d’introduire une relation psychothérapique. renforcer les obsessions alimentaires de ces patientes en prescrivant
des mesures diététiques trop strictes.
Chimiothérapie
Cette approche semble surtout utile dans le cas des conduites
Une chimiothérapie psychotrope n’a que peu de place dans le boulimiques où, comme le souligne Aimez [1], « elle comporte une
traitement de l’anorexie mentale, en dehors d’une utilisation dimension didactique et une composante de restructuration
d’appoint d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs. Soulignons la très cognitive s’adressant aux distorsions de l’image du corps et du
mauvaise tolérance de ces patientes aux neuroleptiques, et l’absence rapport à l’aliment » (le contrat, le programme, les consignes, le
de gain pondéral stable dans les recherches utilisant ce type de carnet alimentaire, etc).
psychotropes. Les TCA représentent un champ d’application privilégié de ces
Soulignons par ailleurs la nécessité, en cas d’affect dépressif méthodes. D’abord appliquées à l’anorexie mentale, deux types de
survenant lors de l’hospitalisation, de ne pas se précipiter vers la méthodes ont été employés : le déconditionnement de l’anxiété sous-
prescription d’un traitement antidépresseur en dehors des cas jacente par la désensibilisation suivant le modèle appliqué aux
d’effondrement dépressif sévère. En effet, cette phase constante de phobies, et le conditionnement opérant avec renforcements positifs
l’évolution constitue un moment privilégié d’élaboration pour la et négatifs. L’appréciation des résultats varie beaucoup d’un auteur
patiente, qui s’autorise, privée de sa « carapace comportementale », à l’autre. Des critiques ont été faites à ces méthodes, leur reprochant
à exprimer ses émotions, ses doutes, voire son désarroi. d’aggraver le sentiment d’incapacité, de dépendance et de solitude
Insistons enfin sur l’utilité parfois de contrôler, par des anxiolytiques de ces patientes.
à doses filées, des débordements anxieux (pouvant prendre dans les Il semble plus intéressant de les considérer comme des indications
formes extrêmes un aspect de confusion, ou une tonalité « panique » utiles à certaines phases de l’évolution des TCA et surtout comme
avec dépersonnalisation et déréalisation), lors de la séparation un élément d’appoint dans un traitement diversifié dans le dessein
instituée par l’hospitalisation, en faisant attention à l’action de tenter de se libérer rapidement du handicap parfois extrême que
désinhibitrice des benzodiazépines. représente le symptôme. La nature même de ces troubles oblige en
Un traitement par agoniste sérotoninergique (fluoxétine [Prozact] effet les thérapeutes à prendre à un moment de l’évolution des
ou Deroxatt) à dose optimale (40 à 60 mg) peut permettre l’abrasion mesures de contrainte et à s’engager sur le plan comportemental [82].
transitoire d’une symptomatologie boulimique par un effet direct Ces méthodes ont été complétées par d’autres qui cherchent à
sur le contrôle de la satiété. Si leur efficacité n’apparaît pas obtenir, outre la rééducation nutritionnelle, une « restructuration
supérieure à celle observée avec les tricycliques, ils sont mieux cognitive » par correction des erreurs de certains raisonnements. Les
tolérés et moins à risque en cas de tentative de suicide. contre-propositions positives sont opposées au propos du sujet au-
L’échappement au traitement est cependant souvent observé après delà de la question du comportement alimentaire, et concernant
quelques mois et à l’arrêt, surtout si la prescription ne s’accompagne l’image négative que le sujet a de lui-même et de son corps.
pas d’une prise en charge psychothérapeutique. Les études les plus L’efficacité de l’approche comportementale sur certains aspects du
récentes [108] montrent bien que les résultats thérapeutiques sous comportement alimentaire semble donc bien démontrée par
traitement par agonistes sérotoninergiques à 5 ans ne sont pas certaines études. Les résultats des programmes diffèrent, en ce qui
meilleurs que ceux observés lors d’une évolution spontanée, qu’ils concerne les anorexiques, en fonction des différences entre les deux
soient associés ou non à une psychothérapie cognitivo- types cliniques restrictif ou boulimique. Comme dans le cas des
comportementale. conduites addictives, il semble intéressant d’associer une approche
Il faut noter l’importance d’éviter la prescription chez ces patientes corporelle à ces approches cognitives et comportementales.
dépendantes de toute substance amphétamine-like (libération de
dopamine). Groupes
Signalons enfin que la sensibilité aux effets indésirables, en Comme dans toutes les pathologies narcissiques et les conduites
particulier de type digestif (nausées, vomissements), semble d’addiction, il est souvent souhaitable de fournir des appoints
importante et que l’appétence toxicomaniaque et le risque de narcissiques qui respectent les aménagements défensifs et laissent le
tentative de suicide avec le traitement ne sont pas négligeables. temps de trouver des formes d’équilibre plus acceptables. Les

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groupes d’entraide que l’on voit se multiplier, notamment dans les


pays anglo-saxons, les thérapies de groupe, surtout celles gérées par Tableau I. – Signes cliniques et paracliniques de gravité au cours de
l’anorexie mentale, imposant l’hospitalisation [46, 48, 96, 98].
les patients eux-mêmes, tels les groupes de Weight Watchers,
peuvent donner des résultats appréciables qui répondent peut-être Indice de Quetelet [indice de masse grasse = BMI (Body Mass Index) :
à ce besoin. Poids (kg)/taille (mètre) au carré] < 14 kg/m2
Amaigrissement important et rapide (brutal) ; arrêt total de prise alimentaire,
Les thérapies de groupe de l’anorexie mentale semblent en revanche aphagie et vomissements
assez rarement mises en œuvre. Les groupes ont pourtant démontré Épuisement physique souligné par la patiente
leur intérêt dans une prise en charge multimodale et leur riche Troubles de la conscience et de la vigilance, céphalées, malaises orthostatiques
complémentarité avec l’abord individuel, une fois passée la période Tension artérielle systolique < 80 mmHg ; diastolique < 50 mmHg
aiguë ou de grande maigreur [ 8 2 ] . Signalons l’importance Bradycardie < 50 ou fréquence cardiaque > 90/min
Température < 35,5 °C
incontestable des groupes de parents d’adolescentes anorexiques [54]. Leucocytes < 1 500/mm3, neutrophiles < 1 000/mm3, plaquettes < 50 000/mm3
Hypokaliémie < 3 mmol/L malgré l’apport de potassium per os
¶ Hospitalisation Natrémie < 125 mmol/L ou > 150 mmol/L
Créatininémie < 100 µmol/L ; urée > 15 mmol/L
Elle n’est ni un passage obligé ni le seul cadre possible dans le projet Hypophosphorémie
de soins des TCA. Toujours considérée comme une aide possible, Augmentation des transaminases, taux de prothrombine < 50 %
elle ne doit jamais être présentée comme une menace, mais plutôt ECG : anomalies électriques
comme un outil.
Péricardite, prolapsus mitral avec insuffisance mitrale
Elle peut être gardée en réserve comme moyen ultime afin de lui
conserver toute sa portée mutative, même si l’on ne peut éviter sa ECG : électrocardiogramme.

répétition. Si elle est rendue nécessaire par l’état de la patiente, elle


ne doit pas renforcer les défenses de cette dernière, mais être au
contraire utilisée pour modifier sa personnalité et l’ouvrir à des Tableau II. – Facteurs pouvant précipiter une décompensation soma-
modalités relationnelles nouvelles. C’est la vie même de l’institution, tique aiguë au cours de l’anorexie mentale.
les échanges entre individus occupant des statuts différents, les Séjour en altitude > 1 500 m
règles explicites et implicites, les activités qui sont utilisés à des fins Effort physique intense
thérapeutiques. Les modalités du recours à l’hospitalisation sont Diarrhée
différentes en fonction de la prévalence du TCA. Maladie infectieuse intercurrente (en particulier gastroentérite)
Prise de psychotropes

Quand l’anorexie mentale est au premier plan


L’hospitalisation répond essentiellement au retentissement physique d’alimentation va dans le sens de leurs défenses. C’est un danger
de la conduite anorexique. Elle comporte alors plusieurs versants et potentiel car il favorise le caractère artificiel de la reprise alimentaire
peut avoir plusieurs objectifs. et amène souvent les patientes, en cas de rechute, à obliger les
Traiter le symptôme majeur, le TCA, est la démarche prioritaire car soignants à recourir à nouveau à ces moyens. Le caractère
celui-ci a des conséquences physiques graves, parfois mortelles, mécanique et dépersonnalisant de cette méthode doit être pondéré
surtout dans le cas de l’anorexie mentale (les indications urgentes par la présence régulière et fréquente des soignants. Après une
d’hospitalisation sont figurées dans le tableau I, les facteurs de phase d’opposition, parfois atténuée par un traitement sédatif à
décompensation aiguë dans le tableau II), une tendance à doses filées, les soignants peuvent trouver dans cette présence
s’autoentretenir et à s’autorenforcer sur un mode toxicomaniaque, patiente, fidèle et cadrante, l’occasion privilégiée de montrer la
et enfin des effets psychologiques négatifs. fiabilité de l’équipe et de nouer une relation plus confiante.
La réalimentation par sonde gastrique est réservée aux cas de
• Réalimentation patients très dénutris, en situation de danger vital, ou qui ne
Elle peut devenir une nécessité et une urgence car il n’est pas rare répondent pas aux mesures de séparation habituelles. Soulignons
que la malade, sa famille, et parfois les médecins attendent l’extrême que les modalités thérapeutiques centrées sur la séparation ne sont
limite pour mettre en place le traitement. Chaque fois que cela est pas la règle dans les services de nutrition, et sont plus délicates dans
possible, cette réalimentation se fait par des moyens naturels et le leur faisabilité dans les services de pédiatrie. La nutrition par sonde
plus souvent en n’ayant recours qu’au repas normal commun à tous y est plus fréquemment observée.
les patients. Compte tenu des complications décrites dans la littérature et de
L’aggravation de la perte de poids, la persistance de vomissements notre expérience, il nous est apparu possible de préciser les examens
provoqués nécessitent parfois une surveillance plus stricte du repas, utiles chez les sujets dénutris (tableau III).
son accompagnement par un soignant, une période de repos de Certains examens, jugés ici non fondamentaux, n’en sont parfois pas
2 heures après chaque repas. moins utiles dans certains services de spécialité habitués à un outil
Une dénutrition extrême ou un refus total de s’alimenter entraînent de travail (impédancemétrie). Certaines investigations, comme
la mise en place d’une alimentation assistée. Les difficultés et les l’ostéodensitométrie, constituent des outils nécessaires à une
dangers d’une réalimentation trop brutale par voie parentérale amélioration de la prévention des complications.
engagent à l’éviter au maximum et à ne l’envisager que dans des Nous souhaitons insister sur un point majeur : si un suivi somatique
situations tout à fait extrêmes ; dans ces cas, il faut avoir recours à et un bilan médical sont indispensables, l’excès de prescriptions
des services spécialisés dans la réanimation des dénutris. paracliniques, de surveillance rapprochée et/ou la déclinaison à la
Des perturbations métaboliques graves (refeeding syndrome) sont patiente et à sa famille de toutes les complications potentielles ont
fréquentes lors de la renutrition : hypophosphorémie (complications des effets contre-productifs et délétères (fascination, accentuation du
multiples secondaires à la déplétion des stocks d’adénosine déni, décompensation anxiodépressive, installation d’un rapport
triphosphate [ATP]), hypokaliémie et hypomagnésémie. Enfin, la sadomasochiste).
renutrition, en entraînant un déplacement d’eau vers le secteur
cellulaire et plasmatique (élimination des œdèmes), va augmenter la • Abord des troubles de la personnalité
diurèse, ce qui entraîne une perte de poids. et des facteurs familiaux de dysfonctionnement
D’une façon générale, il faut lui préférer une alimentation par sonde Cet objectif est étroitement lié à l’usage du contrat d’hospitalisation.
nasogastrique, en veillant à éviter tout caractère violent et punitif à Il s’agit le plus souvent, dans le cas d’anorexie mentale, d’un contrat
cette mesure. La bonne adaptation des patients à ce type en deux temps, élaboré autour du repère de deux poids :

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Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

La contrepartie nécessaire au maintien de l’intangibilité du contrat


Tableau III. – Examens à réaliser dans l’anorexie mentale. est la possibilité concomitante qui leur est offerte de nouer des
Chez tous les patients relations vivantes et personnalisées et d’éviter de les laisser dans
une solitude mortifère.
- Examen clinique complet incluant fréquence cardiaque et tension artérielle
- Évaluation du stade pubertaire chez l’adolescent (appréciation d’un retard puber-
La durée de l’hospitalisation peut être très variable et n’a pas de
taire) valeur pronostique. Elle semble osciller dans les diverses
- Ionogramme sanguin avec natrémie, kaliémie, chlorémie et réserve alcaline publications entre 3 et 6 mois. Dans certains cas très graves et avec
- Urée et créatinine plasmatique un passif d’hospitalisations antérieures inefficaces, elle nous a paru
- Électrocardiogramme devoir être beaucoup plus longue.
- Ostéodensitométrie « initiale », à répéter une fois par an (évolutivité parfois rapide)
Cette hospitalisation peut déboucher sur une formule permettant de
En cas de dénutrition sévère (indice de masse corporelle [BMI] < 13 kg/m2) prolonger l’aménagement de cette distance entre l’adolescente et ses
- La température doit être surveillée et une hypotension orthostatique recherchée
parents (internat, foyer...). La séparation trouve aussi parfois des
- Évaluation métabolique : phosphorémie, magnésémie, glycémie limites. Dans certaines situations de fragilité narcissique particulière,
- Recherche d’une souffrance multiviscérale : transaminases (ASAT, ALAT), taux de on peut être amené à observer une véritable désorganisation
prothrombine, CPK, numération-formule sanguine, numération plaquettaire psychique, un effondrement des défenses de la patiente qui nécessite
- Échographie cardiaque d’aménager cette première phase de séparation. Il est alors possible,
- Bandelette urinaire avec recherche de protéines, leucocytes, hémoglobine, nitrites,
acétone et contrôle de la densité urinaire et du pH par exemple, de limiter les échanges à des entretiens familiaux
réguliers espacés qui ne remettent pas nécessairement en cause le
Au cours d’une renutrition orale (ou entérale par sonde) contrat. Enfin, dans certains cas, le besoin de maîtrise peut atteindre
Surveillance clinique
de telles proportions qu’il amène à une confrontation constante et à
- Pesée au moins deux fois par semaine pour éviter une prise de poids trop rapide une pervertisation progressive du contrat qui perd sa valeur de
(> à 1,5 kg/semaine en dehors de la correction d’une déshydratation) médiation pour représenter un véritable objet fétiche. Dans ces
- Recherche d’œdèmes situations, on peut être amené à aménager des solutions de
- Test de l’acidité gastrique par bandelette réactive ou radiographie pulmonaire compromis pour ne pas se laisser enfermer dans une relation
après pose d’une sonde gastrique
- Repère bien visualisable sur la sonde pour contrôler à vue un éventuel déplace-
d’emprise réciproque.
ment
Quand la conduite boulimique est au devant de la scène
Surveillance biologique
- Ionogramme sanguin, phosphorémie, magnésémie et transaminases une fois par L’indication de l’hospitalisation doit être soigneusement évaluée.
semaine Elle peut être rendue nécessaire par le désarroi du patient ou de sa
- Examens perturbés lors de l’évaluation initiale à répéter à un rythme fonction de
l’importance des perturbations
famille secondaire, à la fréquence accrue des accès ou à l’importance
de l’état dépressif. Un cadrage nutritionnel et relationnel est souvent
Cas particuliers efficace sur le moment, mais pour une courte durée.
Amylasémie Le contrat reste une médiation nécessaire, mais il ne peut s’articuler
- Discutable si volonté du référent psychiatre ou somaticien de surveiller l’évolution sur des repères symptomatiques de poids ou de comportement. Il
des vomissements est souvent préférable de l’envisager en termes de contrat de durée
- Indispensable devant un syndrome douloureux abdominal aigu, une amylasémie d’hospitalisation, considérée comme un moment nécessaire mais
élevée conduisant à demander les isoamylases pancréatiques et une lipasémie
clairement délimitée dans le temps.
Potomanie
- Surveillance de la diurèse, de l’ionogramme urinaire, de la densité urinaire Les risques de pervertisation de l’hospitalisation par des
- Vomissements connus : examen stomatologique transgressions permanentes (frénésie alimentaire, vols...) sont
En l’absence d’antécédents personnels ou familiaux ou des signes évocateurs, un particulièrement importants.
bilan lipidique et une évaluation des axes thyréotrope, gonadotrope, somatotrope ou
corticotrope nous semblent inutiles • Place de la famille dans le traitement
CPK : créatine phosphokinase ; ALAT : alaline aminotransférase ; ASAT : aspartate aminotransférase. Traiter les dysfonctionnements familiaux est le plus souvent
nécessaire. Préexistant et/ou découlant du trouble, ils jouent un rôle
– un premier poids qui correspond à une période de séparation plus ou moins grand dans leur entretien. Leur abord et leur
d’avec l’environnement habituel (et non pas seulement avec les traitement exigent au minimum un travail de consultations
parents). Cette séparation n’est pas synonyme d’isolement dans la parentales et parents-patiente, parfois une véritable thérapie
mesure où l’hospitalisation va permettre d’ouvrir des possibilités de familiale (systémique ou d’inspiration psychanalytique). Les
relations nouvelles au travers de la vie institutionnelle avec l’équipe objectifs sont, schématiquement, d’aider à se dégager de la
et avec les autres patients ; polarisation sur les symptômes alimentaires, d’assouplir les
– un second poids, à partir duquel la sortie peut être envisagée. modalités les plus rigides et les plus pathogènes de communication,
Cette deuxième période permet d’évaluer dans quelle mesure de de faciliter la restauration d’une identité propre et de limites plus
nouvelles modalités relationnelles ont pu s’élaborer pendant la satisfaisantes chez chaque membre de la famille. Le groupe de
séparation. parents est également une formule intéressante en ce qui concerne
les anorexiques [54].
Ce contrat est l’instrument privilégié et indispensable de cette
modalité d’utilisation de l’hospitalisation. Il est établi, négocié, Il est difficile de ne pas inclure les parents dans les perspectives
discuté au moment de l’indication d’hospitalisation entre l’équipe, thérapeutiques et ce, quelles que soient les positions sur leur
la patiente et les parents. Une fois négocié et accepté, il demeure éventuel rôle pathogénique. Ils interviennent en effet à toutes les
invariable et indépendant des désirs de chacun. C’est dans ces phases du traitement :
conditions qu’il peut : – dans l’établissement du diagnostic et le retard apporté au
traitement en participant inconsciemment au déni ou à la
– représenter une médiation, une limite qui s’interpose entre la
minimisation des troubles de la patiente ;
patiente et les autres, et constituer une barrière à l’interpénétration
de leurs désirs réciproques ; – dans la décision thérapeutique, du fait de leurs difficultés à
prendre une décision, à l’imposer et à la maintenir. Il leur est difficile
– témoigner par sa permanence de la fiabilité des soignants ;
de supporter une situation de conflit avec leur enfant et d’assurer
– créer un espace propre à la patiente, condition de son autonomie une position de parents ;
et du respect de son individualité ; – dans le maintien de la conduite thérapeutique et sans une aide
– permettre l’expression d’attaques violentes dont les effets appropriée, ils répondent en écho aux passages à l’acte de leur fille
destructeurs potentiels sont démentis par sa permanence. et aux tentatives de celle-ci de rompre le contrat thérapeutique ;

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– enfin, ils sont fréquemment intolérants aux changements de sur l’obsession de la minceur. Rapidement, ces programmes se sont
comportement et aux troubles du caractère qui accompagnent enrichis grâce à l’aide des anciens patients ou des patients en voie
l’abandon du TCA et l’évolution au cours du traitement. de guérison pour informer leurs camarades. Or, tous ces travaux
L’établissement du projet de soins et tout particulièrement du d’information pédagogique se sont avérés inefficaces, et ce pour
contrat nécessite un accord et une collaboration des parents. C’est là deux raisons :
l’une des conditions essentielles du succès. Cela nécessite des – la première est l’absence de restructuration cognitive préalable des
contacts fréquents avec les parents et une compréhension de leur patientes à qui ils s’adressaient. Ainsi l’information, aussi juste soit-
part de l’importance de leur rôle sans pour autant accroître une elle, ne « passait pas » auprès de patients enfermés dans un système
culpabilité et une ambivalence à l’égard des médecins, déjà grandes cognitif clos ;
au départ.
– la seconde est l’effet de fascination qu’ont exercé ces informations,
Les modalités de cette action auprès des parents varient suivant les
en particulier lorsque l’on soulignait les dangers de ces
auteurs, mais doivent tenir compte de la spécificité des cas et
comportements.
s’adapter à la personnalité des parents, ainsi qu’au moment de
l’évolution de la patiente et à la nature et la durée d’éventuels soins Cette approche pragmatique, collective, plaquée fait l’impasse sur
antérieurs. l’histoire individuelle et les aménagements économiques consentis
Les thérapies familiales proprement dites peuvent être également par l’appareil psychique et contribue à couper le sujet de sa
une indication intéressante. Leur objectif commun, quelles qu’en problématique interne.
soient les modalités d’application, est de se dégager de la Quant aux programmes éducationnels pour les parents, les
désignation d’un symptôme concernant une patiente pour se centrer professeurs, les médecins afin de permettre une détection précoce,
sur les règles qui régissent les échanges et les communications au les dangers sont similaires. Il vaut mieux selon nous privilégier la
sein du système familial [74, 87, 89]. réflexion sur les comportements à risque plutôt que de cibler
Certains auteurs pensent que cette approche n’est efficace que pour l’attention sur des troubles spécifiques et ainsi les valoriser. Dans
des formes légères prises au début, et surtout chez les très jeunes cette réflexion, il s’agit d’élaborer les paradoxes tels que la nécessité
adolescentes [85]. impérieuse pour certains de se mettre en danger pour s’épanouir et
la culpabilité quant au plaisir ressenti qui génère l’attaque du corps.
Il semble surtout intéressant de considérer ces thérapies familiales
comme une approche complémentaire d’un projet thérapeutique Au total, il importe de promouvoir dans les recherches une
plus complexe. Leur intérêt peut être plus de dégager des perspective systémique écologique du développement humain, et
hypothèses sur le mode de fonctionnement familial, de rétablir les de favoriser des stratégies de prévention fondées sur une meilleure
limites de l’identité de chacun, que de proposer des interventions compréhension développementale.
plus actives ou des prises de décisions qui relèvent plutôt du rôle Pour les auteurs psychanalytiques mettant en exergue l’interaction
du référent du projet de soins. de la psychopathologie parentale sur le développement de l’enfant,
c’est à ce niveau que la prévention serait la plus efficace.
Plus que de grandes campagnes ciblées sur les troubles du
Prévention comportement, il semblerait que l’intérêt de la société serait de
maintenir vivantes un certain nombre de valeurs telles que
Les premiers essais de prévention ont été d’ordre éducatif. Ces l’importance de l’environnement et des échanges marqués par le
programmes (patient education and counselling) adoptent un modèle plaisir pour le développement de l’enfant ; l’importance de la
comportemental où se mêlent des informations sur la nutrition, les fonction de l’appareil psychique, qui prend le relais des parents dans
effets négatifs des restrictions alimentaires et de l’obésité, des la mission de veiller sur eux et qui demeure la ressource essentielle
« enseignements » sur la reconnaissance et l’expression des pour arriver à gérer les risques inhérents à la vie sans tomber dans
émotions, des informations sur la pression sociale…, en particulier une folie de la maîtrise.

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