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Le trouble alimentaire pédiatrique. De quoi parle-t-on ?

Quel traitement choisir ? Le point de vue du logopède

par Pascale GREVESSE – Logopède aux Cliniques Universitaires Saint-Luc.


Formatrice en Troubles Alimentaires Pédiatrique. Master en logopédie à l’UCLouvain

à nos patients. Quelles sont les interventions qui ont


Pierre a 4 ans ; il présente une trisomie montré leur efficacité dans la prise en charge du trouble
21 et un trouble du spectre de l’autisme. Il alimentaire pédiatrique ? Comment élaborer un plan
a un retard de développement, ne parle de soins de manière documentée ? Comment mesurer
pas mais communique avec quelques l’efficacité des pratiques ?
gestes et des pictogrammes. L’alimentation est
très compliquée. Pierre présente un retard de
développement des compétences alimentaires :
De quoi parle-t-on ?
il mange une alimentation mixée sans morceaux
Dysphagie pédiatrique, picky eater (« mangeur
ni grumeaux. Il est néophobe, refusant de goûter
chipoteur »), ARFID (Avoidant/Restrictive Food Intake
les aliments nouveaux et présente une sélectivité
Disorder), mangeur sélectif, dysoralité, trouble de
importante aux textures : ni morceaux tendres,
l’oralité alimentaire, anorexie, troubles du comportement
ni textures croustillantes ou croquantes. Il boit
alimentaire, trouble alimentaire : de nombreuses
exclusivement au biberon et refuse le gobelet.

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appellations sont utilisées. Si le point commun de toutes
Enfin, ses compétences d’auto-alimentation sont
ces appellations est de toute évidence l’acte de manger, il
très limitées ; il ne mange que si on lui donne à
n’existe pas de consensus sur les terminologies utilisées,
manger. Les repas et la présentation des aliments
leurs critères diagnostiques et leur conceptualisation
sont perturbés par de nombreux mécanismes de
(Estrem et al., 2017).
refus et de défense : il proteste, repousse la cuillère
ou l’aliment que l’adulte lui tend, se détourne, ferme
fortement la bouche. Si un aliment non familier entre L’évolution d’un concept
dans sa bouche, soit il le rejette, soit il présente un
réflexe nauséeux. Ses parents sont soucieux d’offrir Historiquement, les troubles de l’alimentation étaient
à leur enfant une alimentation variée mais ne définis sous forme d’une dichotomie entre troubles
savent plus comment gérer les repas. Quelle prise organiques et non organiques (Esterm et al., 2017), avec
en charge proposer dans ce cas de figure ? une tradition de culpabilité maternelle ou parentale bien
ancrée jusqu’au début des années 90. En 1945, Spitz
avance une carence maternelle en tant que cause du
Plusieurs approches coexistent pour tenter d’améliorer retard de croissance ; au début des années 70, Fishoff,
les compétences alimentaires chez l’enfant : approches (1971 in Estrem et al., 2017) soutient l’inadéquation de la
sensorielles, oro-motrices, comportementales, pharma- mère nourricière, un concept qui colle encore à la peau
cologiques, etc. Elles peuvent être proposées selon des de beaucoup de mères aujourd’hui. ll faut attendre le
modalités différentes : intervention monodisciplinaire début des années 90 pour voir apparaître le concept de
ou multidisciplinaire, directe ou indirecte, en présentiel dysphagie pédiatrique sous l’impulsion des logopèdes,
ou en télépratique. En tant que logopède, nous avons alors que les théories de l’attachement sont encore bien
le devoir de fournir la meilleure intervention possible ancrées dans les mentalités (fig. 1).

Tradition de culpabilité
de la mère ou de
culpabilité
parentale 1990 2019
1980 SLP: dysphagie pédiatrique TAP (Goday
(ASHA) et al., 2019)
Dichotomie organique vs non
Théories attachement Cadre conceptuel
1970 organique (Cupoli, 1980)
encore bien ancrées transdisciplinaire
Inadéquation de la FTT (Failure to thrive): retard de
croissance ARFIF
mère nourricière
(Fishoff et al, 1971) Anorexie infantile (Chatoor, 1983) Trouble alimentaire
1945 NOFT (Non organic failure thrive): Problème alimentaire
Carence maternelle retard de croissance non organique Comportements inappropriés
cause du retard de (culpabilité parentale) (Skuse, 1985) aux repas
croissance (Spitz, 1945) Refus alimentaires

Figure 1 : Évolution du concept : traduction et adaptation personnelle d’après Estrem et al. (2017)

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L’alimentation, par sa complexité, se situe à un carrefour par des habitudes d’absorption orale dues à un manque
entre de nombreuses disciplines médicales (ex : de nourriture ou conformes à des normes culturelles (ex :
pédiatrie, ORL, gastroentérologie, pédopsychiatrie) et régimes alimentaires non adaptés).
paramédicales (ex : logopédie, kinésithérapie, diététique,
ergothérapie). Chacune des disciplines a naturellement Au niveau médical, le TAP peut être observé dans le
tendance à mettre le focus sur son champ d’action cadre de nombreuses pathologies, malformations et
spécifique. Cette vision unilatérale n’est pas sans maladies, notamment :
conséquences pour l’enfant et sa famille ; elle risque
de retarder l’identification et le traitement des enfants • Les altérations de la structure et/ou du
avec troubles alimentaires (Bahr & Johanson, 2013). fonctionnement du système cardiorespiratoire et
Ainsi, l’âge moyen du début de prise en soins spécialisés neurologique associées à une dysphagie : les enfants
d’un enfant présentant des troubles alimentaires est de présentant une cardiopathie sont susceptibles de
2 ans. Or, les parents ont souvent signalé un problème vivre des hospitalisations prolongées, voire des
plus tôt dans la vie de l’enfant (Rommel et al., 2003). Les séjours en soins intensifs durant lesquels ils prennent
premiers signes d’alerte sont parfois hétérogènes et non du retard dans l’acquisition de leurs compétences
spécifiques : il n’est pas toujours évident de différencier alimentaires. La dysphagie peut se manifester par
des difficultés d’alimentation qui s’inscrivent dans un des infections des voies respiratoires répétées (ex :
processus développemental, par exemple la réponse pneumonie), mais également par des manifestations
néophobe identifiée chez près de 70 % des enfants de cliniques plus discrètes identifiées par un examen
24 mois (Birch, 1987), d’un réel trouble alimentaire. En objectif de la déglutition ou suspectées suite à
présence de signes d’alerte, convient-il de proposer des refus de s’alimenter. Les enfants avec troubles
à l’enfant et à sa famille une attente attentive ou neurologiques ont un risque accru de TAP : avec la
une réelle intervention (Patel, 2013) ? Pour proposer croissance, leurs besoins nutritionnels augmentent
des soins de qualité dans ce domaine, un consensus mais leurs compétences alimentaires ne se
interdisciplinaire est indispensable. C’est pourquoi, développent pas en parallèle. Lorsqu’une dysphagie
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Goday et al. (2019) proposent la terminologie « Pediatric neurogène est observée durant la petite enfance le
feeding disorder » ou PFD, traduit littéralement en langue risque de morbidité et de mortalité par aspiration
française par « Trouble alimentaire pédiatrique » ou TAP. chronique augmente.
Cette terminologie unificatrice résultant d’un consensus
• Un dysfonctionnement du tractus gastro-intestinal
entre professionnels de différentes disciplines
supérieur : anomalies ou maladies gastro-intestinales
(pédiatres gastro-entérologues et nutritionnistes,
(intolérances alimentaires, vomissements chroniques),
neuropédiatres, dentistes, diététiciens, psychologues,
anomalies oropharyngées et laryngées, reflux
logopèdes, ergothérapeutes) s’inscrit dans le cadre de la
gastro-œsophagien, œsophagite à éosinophiles,
Classification Internationale du Fonctionnement (OMS1).
troubles de la motilité de l’œsophage ou des
Elle s’appuie sur quatre composantes : le statut médical,
intestins, séquelles d’atrésie œsophagienne opérée,
le statut nutritionnel, les compétences alimentaires et
intolérance au volume alimentaire, gastroparésie
les préoccupations psychosociales.
(problème de vidange gastrique) observée chez les
enfants avec statut médical complexe.
Qu’est-ce que le « trouble alimentaire • Les maladies des voies respiratoires et pulmonaires,
pédiatrique » ? les maladies pulmonaires chroniques (ex : la dysplasie
broncho-pulmonaire du prématuré)
Le trouble alimentaire pédiatrique (ensuite TAP) est une • Les retards de développement et troubles neuro-
altération de l’absorption de nutriments par voie orale développementaux : On peut observer chez
qui n’est pas adaptée à l’âge (ex : un enfant de 6 ans qui les enfants présentant ce type de trouble, en
mange uniquement des purées mixées sans grumeaux) et particulier les troubles du spectre de l’autisme, une
qui persiste au moins deux semaines. Goday distingue consommation insuffisante de nutriments pour
le TAP aigu (entre deux semaines et trois mois) et le permettre une croissance normale. Les retards
TAP chronique (persistant au-delà de trois mois). Plus moteurs et cognitifs sévères sont généralement
précisément, cette altération consiste en une difficulté corrélés à d’importantes difficultés d’alimentation.
à consommer une quantité et/ou une variété d’aliments
adéquats ; il peut s’agir d’un refus ou d’une incapacité
de manger et de boire des quantités suffisantes pour Au niveau nutritionnel, on identifie des restrictions
maintenir des apports nutritionnels adéquats et assurer au niveau de la qualité, la quantité et/ou de la variété
la croissance de l’enfant (Yang, 2017). Cette altération des aliments liquides ou solides consommés avec
est associée à au moins un des éléments suivants : un pour conséquences la malnutrition, la dénutrition, des
dysfonctionnement médical, un dysfonctionnement carences ou de la toxicité et parfois la surnutrition.
nutritionnel, un dysfonctionnement des compétences
alimentaires et/ou un dysfonctionnement psycho-social. Pour comprendre l’impact de ces restrictions sur la
Le trouble alimentaire pédiatrique n’est causé ni par des santé de l’enfant, il convient de faire la différence
processus cognitifs compatibles avec des troubles de la entre macro et micronutriments : les macronutriments
nutrition (ex : anorexie, altération de l’image corporelle), ni fournissent des calories et donnent de l’énergie ;

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www.who.int/fr

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ce sont les lipides, les glucides, les protéines. Les Les compétences alimentaires concernent tous les aspects
micronutriments n’ont pas réellement de rôle sensori-moteurs en lien avec la fonction d’alimentation. Le
énergétique, mais ils sont indispensables au bon développement alimentaire du jeune enfant se développe
fonctionnement de l’organisme ; ce sont les vitamines en parallèle de son développement morpho-physiologique
(ex : A, C, E), les minéraux (ex : fer, cuivre, magnésium) et moteur (Bruns & Thompson, 2012). En un peu plus
et les oligo-éléments (ex : iode, cuivre, sélénium, fluor). de deux ans, l’enfant passe d’une alimentation réflexe
spécifique de l’allaitement aux patterns de l’alimentation
La malnutrition est caractérisée par des apports adulte (Morris et Klein, 2000). Durant ces deux années,
en nutriments insuffisants pour répondre aux l’anatomie oropharyngée et le mode de déglutition se
besoins nutritionnels : l’enfant peut présenter des modifient, permettant ainsi au nourrisson de passer du
déficits cumulatifs en énergie, en protéines ou mécanisme « Suckling-Feeding-Swallowing » (SFS) vers le
en micronutriments avec un impact négatif sur sa mode de déglutition de l’adulte (Maynard et al., 2020).
croissance, son développement et sa santé en général. Le mécanisme SFS est caractérisé par un comportement
La malnutrition concerne entre 25 à 50 % des enfants d’alimentation continu durant lequel le nourrisson ne
atteints de TAP et elle est plus fréquente chez les enfants fait pas de pause pour respirer : grâce à la position haute
en cas de maladies chroniques ou de troubles neuro- du larynx, l’épiglotte vient se verrouiller contre la partie
développementaux. La dénutrition (Hankard et al., 2012) postérieure du voile du palais (luette), permettant ainsi
s’installe de manière progressive lorsque les besoins de créer des canaux séparés pour une simultanéité de la
alimentaires de l’enfant ne sont plus rencontrés par respiration par voie nasale et de la déglutition (fig. 3).
les apports alimentaires. Elle se base sur un diagnostic
clinique caractérisé par une perte de poids, une perte
de la masse maigre (ex : atrophie musculaire) et un
ralentissement de la croissance.

• Les carences sont consécutives à la sélectivité

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alimentaire, parfois extrême, observée chez certains
enfants, notamment les enfants avec autisme, dont
le panel alimentaire est largement restreint ou qui
excluent de leur alimentation certains groupes
d’aliments (ex : fruits, légumes).
Figure 3 : Schéma de l’anatomie du nourrisson et
• La toxicité est caractérisée par une consommation du mouvement continu SFS (Maynard et al., 2020)
excessive d’aliments, de boissons ou de compléments
alimentaires spécifiques.
Progressivement, l’anatomie fonctionnelle ainsi que
• La surnutrition fait référence à un apport la mécanique de l’alimentation et de la déglutition
énergétique excessif, en particulier lorsque les évoluent vers la déglutition adulte en trois phases
besoins énergétiques sont plus faibles, avec son (orale, pharyngée et œsophagienne) permettant une
corolaire inévitable : la surcharge pondérale, voire progression dans les textures des aliments et une
l’obésité. adaptation des ustensiles utilisés pour boire et manger.

Le pédiatre contrôle régulièrement les courbes de


croissance de l’enfant (fig. 2) et calcule l’indice de
masse corporelle (IMC), sachant qu’il existe des courbes
spécifiques à certains syndromes, comme la trisomie 21
ou le syndrome de Silver Russel.
Figure 2 : Courbe de croissance

Figure 4 : Schéma de l’anatomie et de la déglutition


de l’adulte en trois phases (Maynard et al., 2020)

Lorsqu’ils surviennent durant les premières années


de vie, une maladie grave, un traumatisme, un retard
neuro-développemental, des anomalies ou lésions
acquises de la sphère orale, peuvent perturber les
expériences alimentaires du jeune enfant voire inhiber
ses compétences alimentaires. Des altérations du
fonctionnement sensoriel oral peuvent impacter
l’acceptation des aliments liquides et solides en fonction
de leurs caractéristiques sensorielles (goût, température,
texture, apparence, volume). On distingue l’hypo et
l’hyper sensibilité (fig. 5).

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Hyposensibilité Hypersensibilité

Faible conscience sensorielle Réponse exagérée aux entrées sensorielles en bouche


de l’aliment en bouche

Difficulté de formation du bolus Nauséeux pour certaines textures,


Fuite de nourriture pour une taille de bolus spécifique
Tendance à se remplir trop la bouche Mastication excessive
Nauséeux Sélectivité alimentaire
Refus de textures (liquides ou solides)
fournissant une entrée sensorielle inadéquate

Préférence et recherche d’une taille de Préférence et recherche de saveurs douces,


bolus accrue, de saveurs fortes, d’aliments de textures finement granuleuses, de bolus de petite
épicés et/ou d’odeur forte, de températures taille, d’aliments à température ambiante.
et textures extrêmes

Figure 5 : Différenciation entre l’hypo et l’hyper sensibilité


(définition, caractéristiques et aliments préférés)

Les troubles fonctionnels oro-moteurs génèrent des l’environnement alimentaire. Des dysfonctionnements
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difficultés de contrôle du bolus ; la consommation psycho-sociaux peuvent contribuer à l’émergence du


des liquides et/ou des solides est inefficace avec une TAP en générant des comportements alimentaires
désorganisation de l’alimentation, une formation et une problématiques ou à entretenir le TAP en pérennisant ces
propulsion du bolus lentes ou inefficaces et la persistance comportements. Or, les comportements problématiques
de résidus alimentaires en bouche après déglutition. Les en contexte d’alimentation font partie des premières
troubles du fonctionnement moteur pharyngé altèrent préoccupations parentales et des soignants. Ainsi, les
ou inhibent les mouvements pharyngés et diminuent la troubles du comportement aux repas identifiés chez
force et la coordination des mouvements. un enfant dont le niveau de développement est faible
sont corrélés à un haut niveau de stress parental, à
Ainsi, le dysfonctionnement des compétences une détresse parentale, à des dysfonctionnements des
alimentaires peut avoir pour conséquences : interactions parents-enfant et à une perception négative
de l’enfant (enfant « difficile »). Le niveau de stress
• une alimentation orale dangereuse : étouffement, parental est le plus élevé chez les parents d’enfants plus
aspirations, événements cardiorespiratoires, âgés présentant des comportements agressifs lors des
nausées, vomissements, fatigue, refus alimentaires ; repas (Silverman, Erato & Goday, 2020).
• un retard de développement alimentaire : incapacité
de consommer des textures adaptées à l’âge, Les facteurs psycho-sociaux se divisent en quatre
nécessité de modifier la texture des aliments catégories :
solides et/ou liquides, préférence pour des textures
inadaptées à l’âge, nécessité d’adapter l’équipement, • les facteurs développementaux concernant les
les ustensiles, le positionnement, nécessité d’utiliser enfants avec retard de développement ;
des stratégies d’alimentation ;
• les facteurs de santé mentale concernant tous les
• une alimentation orale inefficace : allongement de la problèmes de santé mentale et comportementaux
durée des repas (durée excédant 30 minutes), prise au niveau de l’enfant, du parent/soignant ou de la
orale de nourriture inadéquate, nécessité d’adapter dyade parent/enfant ;
les textures des aliments et/ou l’équipement,
• les influences sociales et attentes culturelles ;
utilisation de stratégies d’alimentation particulières,
nécessité d’apporter des compléments alimentaires • l’environnement.
voire dans les situations extrêmes, de recourir à une
alimentation artificielle parentérale ou entérale.
La figure 6 reprend quelques exemples de perturbations
Enfin, les facteurs psycho-sociaux peuvent être des facteurs psycho-sociaux et leurs répercussions sur
propres à l’enfant, à la personne qui le nourrit et/ou à l’alimentation de l’enfant.

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Développement Santé mentale Influence sociale Environnement

Retard moteur. Problèmes de santé Attentes parentales Distractions (TV).


Focus

Retard langagier. mentale du parent. inadaptées en contexte Perturbation des


Retard mental. de repas. rythmes des repas.

Décalage entre les Dépression. Mauvaise interprétation Manque de


Problèmes

capacités alimentaires Anxiété. des signaux de faim et cohérence.


réelles de l’enfant et Stress. de satiété de l’enfant. L’enfant mange pour
les attentes de l’adulte Croyances culturelles de mauvaises raisons.
chargé de le nourrir. concernant la nutrition.

Aversion alimentaire Modification des Régimes alimentaires Renforcement des


acquise si le soignant interactions aux repas. inadaptés. comportements
Conséquence

persiste à nourrir Sous contrôle ou sur Conséquences sur la problématiques (en


l’enfant conformément contrôle dans les façon dont le soignant partant parfois d’une
à son âge pratiques parentales. nourrit l’enfant et bonne intention).
chronologique plutôt sur les réponses de Contexte empêchant
qu’en tenant compte l’enfant. l’enfant de fournir des
de son niveau réponses appropriées.
développement.

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Figure 6 : Perturbations de facteurs psycho-sociaux et répercussions.

Le dysfonctionnement psycho-social peut avoir diverses des aliments préférés, biberon au-delà de l’âge
conséquences : approprié, etc.). Ces stratégies ont pour intention
d’améliorer l’état nutritionnel de l’enfant, toutefois,
• les aversions alimentaires « apprises » : l’enfant si elles sont inadaptées, elles contribuent à
développe des stratégies d’évitement et des pérenniser ou à aggraver les dysfonctionnements
comportements aversifs en raison de la répétition de l’alimentation.
d’expériences négatives précoces ;
• le stress et la détresse soit chez l’enfant, soit chez le
parent/soignant ; La prise en charge logopédique de
• des comportements perturbateurs actifs (ex : l’enfant avec TAP : choisir le meilleur
repousser les aliments, s’enfuir, frapper, crier) ou traitement possible.
passifs (ex : refuser, fermer la bouche) incompatibles
avec l’alimentation ; L’ASHA2 recommande un panel de bonnes pratiques
• de la sélectivité alimentaire (« mangeur chipoteur ») : qui peuvent être ventilées à la lumière des quatre
l’enfant consomme une variété limitée d’aliments composantes de Goday (fig. 6).
(ex : moins de 20 aliments différents), exclut de son
alimentation une ou plusieurs catégories d’aliments La rééducation logopédique doit être fonctionnelle et se
(ex : pas de fruit, pas de légume), refuse de goûter concentrer aussi vite que possible sur l’alimentation afin
les aliments nouveaux (néophobie) ; de minimiser les comportements inappropriés. La nature
multidimensionnelle des troubles de l’alimentation
• un régime et/ou des habitudes alimentaires chez l’enfant requiert une approche interdisciplinaire
inadaptés à l’âge (ex : un enfant de 6 ans ne mange (intégrant le logopède) tant pour l’évaluation que
que des petits pots du commerce dédiés aux enfants le traitement. Dans tous les cas, la prise en charge
de 6 mois) ; logopédique, si elle est indiquée, ne sera entamée
• du « grazing » : l’enfant mange de petites quantités qu’après un examen médical et nutritionnel complet.
de nourriture tout au long de la journée sans faire de
réel repas, conduisant à un faux sentiment de satiété
et à une consommation globale souvent réduite ;
• l’utilisation par le parent/soignant de stratégies
inappropriées (ex : forçage, présentation uniquement

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www.asha.org

17 2022 • N°03
Médical Nutritionnel Compétences Psycho-social
alimentaires

Prise en compte des Adaptations diététiques Traitement oro-moteur Approche


éléments médicaux (ex : textures) Techniques posturales comportementale
sous-jacents Introduction prioritaire Modifications de
Adaptations techniques
Précautions des aliments indispen- l’environnement
sables Manœuvres facilitatrices
Guidance parentale
Stratégies d’alimentation
Stimulations sensorielles

Figure 7 : Ventilation des recommandations de l’ASHA à la lumière


des composantes du TAP selon Goday (2019)

Intervention précoce 2. Les approches fonctionnelles oro-motrices


L’enfant au développement typique acquiert facilement La terminologie « intervention oro-motrice » est un
de nouvelles compétences alimentaires : chaque terme générique regroupant différentes approches
nouvelle expérience est source d’apprentissage, complémentaires ; elles font partie des recommandations
lorsqu’elle est réalisée dans la période critique, c’est- de l’ASHA dans la prise en charge des troubles
à-dire entre 0 et 2 ans (Issanchou & Nicklaus, 2018). Si
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alimentaires chez l’enfant.


les apprentissages ne se font pas durant la période
optimale, il faut souvent mettre en place des stratégies
2.1 L’intervention oro-motrice chez le bébé
d’entraînement spécialisées, de la répétition (l’enfant
nécessite davantage de pratique pour acquérir des prématuré
compétences efficaces), un apprentissage structuré et
L’intervention oro-motrice chez le bébé prématuré est bien
des adaptations environnementales. Il est essentiel
documentée (Arvedson, 2019; Morris et al., 2017 ; Perroteau
d’orienter précocement les enfants avec TAP vers des
et al., 2018 ; Liu et al., 2017). Des protocoles standardisés
traitements qui bénéficient d’un soutien empirique.
d’intervention motrice orale chez le prématuré, étudiés
dans des essais randomisés contrôlés, mettent en
Au niveau logopédique, on identifie habituellement trois
évidence une amélioration de la transition de la nutrition
types d’approche : sensorielle, fonctionnelle oro-motrice
artificielle (ex : par sonde naso-gastrique) vers l’alimentation
ou sensori-motrice et comportementale (Morris et al. ;
orale autonome et une maturation des compétences
2017). Les points suivants s’intéressent aux traitements
alimentaires. L’effet synergique de solutions sucrées (ex :
utilisés pour les troubles de l’alimentation en pédiatrie
Babycalmine) et de la succion non-nutritive (avec une
et aux recherches actuelles sur ces approches.
sucette) est démontré comme traitement médicamenteux
de la douleur lors de gestes thérapeutiques mineurs (ex :
1. Les approches sensorielles changement de perfusion). Enfin, la consommation de lait
maternel chez les prématurés est corrélée positivement
Les techniques sensorielles sont populaires (Barton et avec une augmentation du poids, de la taille et du
al., 2015; Morris et al., 2017; Peterson, Piazza, & Volkert, périmètre crânien. En revanche, la force d’aspiration de la
2016 ; Zimmer et al., 2012). Elles sont souvent utilisées, succion ne semble pas affectée par les stimulations orales :
soit dans les prises en charge individuelles, soit dans les l’aspiration est plus faible chez les bébés prématurés nés
programmes de traitement interdisciplinaires. Il s’agit avant 32 semaines et elle augmenterait naturellement chez
notamment de la manipulation de la nourriture avec tous les bébés, qu’ils aient bénéficié ou pas de stimulations
les mains, de stimulations orales à l’aide de vibrations, orales (Skaaning et al., 2020).
de l’utilisation d’ustensiles texturés visant à améliorer
la conscience sensorielle, de « régimes » sensoriels, etc. 2.2 Les exercices oro-moteurs chez l’enfant
Dans l’état actuel des connaissances, il n’existe aucune
preuve qu’un traitement utilisant des techniques Une variété d’exercices de motricité orale est décrite
sensorielles seules entraîne une amélioration de la dans la littérature ; il s’agit notamment d’étirements, de
prise orale de nourriture. Il importe donc d’informer les tapotements, de vibrations, de pressions, de massages,
familles de l’absence de données probantes concernant d’effleurements, d’exercices de souffle et d’autres
l’efficacité des thérapies sensorielles et le cas échéant, exercices des muscles buccaux. Ces exercices ont pour
de surveiller les effets du traitement en déterminant objectifs d’agir sur le tonus musculaire et les mouvements
des objectifs spécifiques, explicites et fonctionnels et en de la langue, d’améliorer l’amplitude des mouvements et
fixant une date limite pour atteindre les objectifs fixés. d’augmenter la force et l’endurance pendant l’alimentation

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www.beckmanoralmotor.com

DOSSIER • HORS-SÉRIE 18
orale. Selon la revue de littérature réalisée par Morris • L’enfant et sa famille sont intégrés au moment de
(2017), quelques études soutiennent l’utilisation des la planification et de l’implémentation du plan de
exercices oro-moteurs pour réduire la poussée de la soin. Le clinicien tient compte des préférences et
langue (notamment le protocole de Beckman3), mais dans habitudes alimentaires de la famille. La notion de
l’état actuel des connaissances, aucune preuve d’autres « patient partenaire » prend ici tout son sens : la mise
avantages ne peut être mise en évidence. en commun de savoirs respectifs et complémentaires
dans un processus de concertation est indispensable
si l’on vise l’implication de la famille dans les soins et
2.3 L’intervention sensori-motrice son autonomie (Lecocq at al., 2018).
Les fonctions sensori-motrices orales concernent tous • L’objectif de la prise en charge est d’améliorer
les aspects et mouvements de la cavité orale et du ou de restaurer l’alimentation par voie orale. Les
pharynx, jusqu’au niveau du sphincter œsophagien exercices et aménagements proposés doivent être
supérieur, au moment où la nourriture entre dans fonctionnels et améliorer aussi vite que possible la
l’œsophage (Arvedson, 2019). L’intervention sensori- prise orale de nourriture.
motrice est multimodale : elle est directe lorsqu’elle
• L’adaptation de la posture et de l’installation de
propose à l’enfant des exercices oraux afin d’encourager
l’enfant visent l’alignement structurel tête-cou-
l’exploration buccale et d’améliorer les mouvements et
tronc afin d’améliorer la tenue de la tête, éviter
patterns. Elle est indirecte, lorsqu’il s’agit notamment
les mécanismes compensatoires pathologiques et
d’aménager l’environnement ou de travailler sur la
obtenir une déglutition sécurisée.
posture et l’installation de l’enfant. Les stimulations des
structures orales doivent être réalisées avec précaution; • Le travail du tonus et des patterns de la mandibule,
en effet, les gestes invasifs peuvent générer des de la langue, des lèvres, des joues et du voile du
mécanismes aversifs chez l’enfant. palais visent à remplacer les mouvements anormaux
et à améliorer la coordination des mouvements
Le plan de soins logopédiques s’articule autour de durant l’alimentation.

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quelques principes généraux (fig. 8) s’inscrivant dans
une modalité tantôt directe, tantôt indirecte (Arvedson, • L’amélioration ou la normalisation des expériences
2019; Korth & Rendell, 2015 ; Morris & Klein, 2000). sensorielles au repas est conditionnée à l’exposition
aux aliments. Ainsi, il convient de varier dès que
• L’amélioration de la préparation à l’alimentation possible les caractéristiques sensorielles des
consiste à réguler les rythmes et les routines aliments présentés à l’enfant pour agir sur la
des repas et à aménager l’environnement pour diversification alimentaire (ex : varier le timing de
améliorer les capacités de compréhension et de présentation de la nourriture, varier les textures, les
concentration de l’enfant (ex : réduire les distracteurs goûts, la température des aliments, modifier la taille
tels que la télévision durant le repas) ou tenir compte et la forme du bolus, etc.).
de ses particularités sensorielles. Ainsi, Zobel-
• Les traitements sensori-moteurs sont inclus de
Lachiusa (2015) a mis en évidence l’efficacité de
manière naturelle et fonctionnelle dans les routines
stratégies sensorielles (ex : lumière tamisée, casque
de la vie quotidienne, avec une priorité accordée aux
anti-bruit) pour améliorer les repas des enfants
soins bucco-dentaires complets et réguliers.
TSA, pour augmenter le confort des familles et
diminuer le stress lié aux repas. Il convient enfin
Les interventions oro-motrices donnent de meilleurs
de veiller aux signaux de communication, tant au
résultats en combinant une approche directe et indirecte
niveau expressif que réceptif (ex : proposer une
intégrant l’enfant, sa famille et son environnement
séquence visuelle sous forme de pictogrammes), pour
(Arvedson, 2010, 2019), en favorisant l’apprentissage
soutenir la compréhension et réduire les troubles du
implicite et en maximisant les pratiques dans les routines
comportement.
de la vie quotidienne et dans des environnements naturels
• Sachant l’impact négatif du stress et de l’anxiété (Eckman et al., 2008). Enfin, l’approche multimodale
autour du repas sur le bien-être des enfants et semble la plus efficace, notamment pour stimuler et
des parents (Mitchell et al., 2013), la relation renforcer la mastication, en combinant des exercices
de confiance entre l’enfant, les parents et le de motricité orale, des stimulations sensorielles, la
logopède doit être au centre de la prise en charge. modification des textures, le positionnement de l’enfant
Une intervention axée sur la guidance parentale et le rythme des repas (Wilson et al., 2021).
permet d’optimiser les pratiques parentales et le
développement alimentaire de l’enfant ; en effet, ce
sont les parents qui contrôlent la nourriture offerte
à l’enfant ; ils ont une responsabilité au niveau de
la qualité, la diversité et la quantité des aliments
présentés et peuvent influencer la manière dont se
déroule le repas. Leur rôle est crucial, notamment
pour diminuer la réponse néophobique (refus de
goûter des aliments nouveaux) de l’enfant (Wardle et
al., 2003 ; Carruth, Ziegler, Gordon, & Barr, 2004)

19 2022 • N°03
Améliorer la préparation à l’alimentation

Privilégier la relation (confiance) Enfant / feeder /environnement

Intégrer l’enfant et sa famille Planification / implémentation

Améliorer/restaurer l’alimentation Fonctionnalité

Adapter la posture et les mouvements corporels Améliorer la motricité orale

Améliorer le tonus et les patterns Remplacer les mouvements anormaux

Améliorer la coordination

Normaliser les expériences sensorielles orales au repas En lien avec les aliments

Inclure les traitements sensorimoteurs dans les routines Fonctionnalité

Figure 8 : Principes généraux de l’intervention sensori-motrice,


traduction et adaptation d’après Arvedson (2019)
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2.4 L’implémentation de l’apprentissage moteur • fournir une rétroaction extrinsèque : l’adulte agit
comme un guide pour l’enfant en lui donnant des
Sheppard (2008) met en évidence quelques stratégies informations sur l’adéquation des performances.
influençant l’efficacité de l’apprentissage oro-moteur et Ainsi, le plaisir de l’adulte lors de la performance de
l’adéquation des performances en cas de déficience oro- l’enfant est particulièrement utile aux débutants et
motrice : fait office de renforcement (McKirdy et al., 2008).

• respecter la séquence du développement


alimentaire de l’enfant typique (ce qui implique de
maîtriser cette séquence) ;
• proposer des tâches d’entraînement spécifiques
en lien avec la compétence-cible ; dans un premier
temps, la tâche peut être simulée (ex : simuler le
geste masticatoire au moyen de Chewy-Tubes® (fig.
9) puis transférer le plus rapidement possible la tâche
entraînée dans un contexte d’alimentation, avec un Figure 9 : Chewy-Tubes®
objectif de fonctionnalité) ;
• proposer un apprentissage implicite privilégiant 3. Les approches comportementales
l’action aux explications, avec façonnage des
comportements attendus et renforcement de toute Les manifestations comportementales du TAP sont
réussite ; nombreuses ; les repas sont souvent décrits par les
parents comme une « bataille » : mécanismes de refus
• maximiser les stratégies de répétition et les
et de défense actifs ou passifs, allongement de la
opportunités de pratiquer : l’intensité et la répétition
durée des repas, nauséeux ou vomissements fréquents
permettent d’acquérir une représentation du(des)
durant le repas, sélectivité parfois extrême (ex : 3 à 10
mouvement(s) à réaliser et d’intégrer la coordination
aliments différents), stockage de la nourriture en bouche
de mouvements impliqués dans la tâche. Au fur
(packing), etc. Ces manifestations peuvent survenir
et à mesure de la progression de l’apprentissage,
de manière secondaire, après guérison de problèmes
les mouvements sont mieux construits, l’adulte
médicaux primaires (ex: fistule, lymphangiome), lorsque la
peut diminuer le soutien à apporter et l’enfant
période optimale d’apprentissage est dépassée, après un
commence à s’autocorriger, pour enfin automatiser
épisode d’ étouffement ou encore suite à des manœuvres
les mouvements ;
invasives au niveau de la sphère orale (Swigert, 2000).
• alterner les pratiques : les séquences alimentaires
sont présentées dans un ordre aléatoire en alternant Les interventions comportementales (fig.10) ont pour
les pratiques différentes acquises précédemment principe de modifier le comportement de l’enfant
(ex: mâcher un chips, l’avaler, puis boire de l’eau à en augmentant les actions et/ou les comportements
petites gorgées au gobelet, puis boire à la paille). La appropriés et en réduisant les comportements
pratique aléatoire soutient la capacité de récupérer inadaptés ou indésirables (ASHA). Elles suggèrent donc
ce qui a été appris précédemment et de le refaire de d’enseigner à l’enfant le comportement attendu. Dans
manière appropriée (Schmidt & Wrisberg, 2004) ; le domaine du TAP, les interventions comportementales

DOSSIER • HORS-SÉRIE 20
bénéficient d’un soutien empirique solide : l’efficacité Les méthodes par inhibition ont pour objet de réduire
des thérapies alimentaires comportementales est la fréquence des comportements alimentaires
démontrée par des paramètres objectifs et mesurables problématiques, par la mise en place de différentes
et pour des pathologies de base variées : trisomie 21 procédures telles que l’extinction qui consiste à négliger
et enfants avec histoire médicale complexe (Eckman et le comportement problématique, à ne pas y prêter
al., 2008), TSA (Peterson, 2016), mangeur « chipoteur » attention (ex : ignorer les cris, le nauséeux) ; l’application
(Babik, 2021), syndrome de charge (Smith, 2021), etc. d’une conséquence négative après l’observation
Les prises en charge comportementales impliquent un du comportement problématique (ex : ramasser les
entraînement des parents : en effet, les parents ne sont aliments jetés par terre) et la désensibilisation en
pas nécessairement conscients qu’ils peuvent renforcer exposant progressivement l’enfant au stimulus-cible
les comportements négatifs de leur enfant. Par ailleurs, jusqu’à l’acceptation de sa présence (ex : approcher
les parents sont en première ligne pour le transfert et la progressivement la cuillère de la bouche de l’enfant, laisser
généralisation des acquis. Ces interventions sont toujours l’aliment devant l’enfant jusqu’à ce qu’il s’apaise).
réalisées en parallèle avec une surveillance médicale et
nutritionnelle des enfants ; en effet, il est requis que le Les méthodes environnementales mettent l’accent sur
patient soit jugé physiologiquement prêt (ex : s’autoriser l’environnement lors des repas, en contrôlant les stimulus
une légère perte de poids le temps de l’apprentissage). et en privilégiant un cadre sans distracteurs. Elles visent
un régime alimentaire et des ustensiles adaptés au
Les méthodes par renforcement sont axées sur la développement de l’enfant. Elles mettent en place le
contingence caractérisée par la vitesse de réaction de principe d’exposition répétée, en présentant de manière
la réponse donnée à l’enfant. Le renforcement peut répétée les aliments-cibles à l’enfant : l’appréciation d’un
être positif : l’adulte félicite, récompense l’enfant aliment est un apprentissage (Issanchou & Nicklaus, 2018).
lorsque le comportement cible est observé dans En termes de timing, elles déterminent les horaires des
l’optique d’augmenter la probabilité de reproduction repas pour tenter de promouvoir la motivation par la
du comportement. Dans ce cas, il s’agit d’un stimulus faim, limitent la durée des repas (maximum 30 minutes)

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motivant. Le renforcement négatif inversement augmente et soignent les transitions, notamment par la mise en
la fréquence d’un comportement souhaité en supprimant place de routines visant à faciliter le passage à table.
la condition rendant le comportement improbable (ex :
réduire la taille des bouchées, ne plus acheter de chocolat,
de sorte que l’enfant ne mange plus de chocolat).

But Stratégie Exemples


thérapeutique

Félicitations lors de l’acceptation des bouchées.


Renforcement positif Récompense sous forme de nourriture préférée ou d’un
jeu/jouet.

Proposer une pause immédiatement


Renforcement négatif après l’acceptation de la bouchée.
Augmentation des Réduire la taille des bouchées.
comportements
alimentaires appropriés Adaptation des chaises, des ustensiles.
Structuration de
Organisation des rythmes des repas.
l’environnement en
Environnement tenant compte des particularités
contexte de repas
sensorielles de l’enfant (lumières, bruits)

Commencer par de petites bouchées (0,5 CC) et


Estompage
augmenter progressivement la taille des bouchées.

Diminution des Négliger les cris.


comportements Procédure d’extinction Maintenir la cuillère ou la bouchée à proximité de la
alimentaires indésirables bouche de l’enfant sans faire de commentaires.

Renforcement des Associer progressivement le parent en tant que


Entraînement des
compétences du « nourrisseur » en lui fournissant des conseils sur la
parents
« feeder » manière de mettre en œuvre le plan de traitement.

Figure 10 : Synthèse des approches comportementales


(traduction et adaptation d’après Arvedson, 2019)

21 2022 • N°03
Premièrement, il appartient au clinicien d’essayer • modélisation de l’intervention par le logopède,
de comprendre pourquoi l’enfant a un trouble du le(s) parent(s) observe(nt) ;
comportement alimentaire (ex : cracher), à quel moment
• intervention conjointe, le logopède donne un
cela se produit (ex : avec quel type d’aliments), quelles
feedback au(x) parent(s) ;
en sont les manifestations et ce que l’enfant cherche à
obtenir ou à éviter par son comportement. Comprendre • reproduction de l’intervention par le(s) parent(s) à
et analyser le trouble du comportement alimentaire domicile le jour même.
implique l’observation d’un repas en contexte naturel
en s’intéressant d’une part à l’enfant et d’autre part Cet entraînement parental vise notamment à augmenter
aux réponses que donne le parent à l’enfant. Une fois les compétences parentales dans le domaine alimentaire, à
la situation cernée, le clinicien peut aider les parents à leur enseigner des techniques de présentation d’aliments
comprendre le comportement de l’enfant pour réagir efficaces, à augmenter la modélisation et à gérer la
de manière appropriée et ainsi permettre à l’enfant de néophobie. Lorsque les difficultés sont trop importantes,
réagir adéquatement. avec des répercussions graves sur la santé de l’enfant ou la
santé mentale de la famille, il convient parfois de recourir à
Comme dans toute prise en charge logopédique, les effets des programmes de guidance multidisciplinaires intensifs
de la prise en charge sont contrôlés par des variables à domicile, ambulatoires ou résidentiels, dont l’efficacité à
objectives et mesurables. Dans le domaine du TAP, citons court et long termes est démontrée (Shalem, et al., 2016 ;
par exemple la taille des bouchées acceptées (de 0,5 CC Silverman et Begotka, 2018).
à 2 CC), le pourcentage de bouchées acceptées (nombre
de bouchées acceptées divisé par le nombre de bouchées Des sessions collectives de guidance, permettent à des
présentées * 100), la propreté de la bouche après couples de parents de comprendre le TAP, d’apprendre les
déglutition, à vérifier avec un écouvillon ou « Toothette techniques de présentation des aliments, de s’entraîner
» (fig. 11) , une grille d’observation des comportements aux stratégies enseignées dans un environnement
aux repas, le nombre d’aliments acceptés, les quantités structuré et de les généraliser à domicile. La dynamique
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absorbées (ex : Protocole d’évaluation du TAP, Grevesse, de groupe suscite un soutien et une motivation entre
Morsomme, Hermans, 2022). pairs et le partage d’un vécu souvent commun (Evrard,
Thomas, Grevesse, Leybaert, 2019). Dans ce domaine,
la télépratique, à condition qu’elle soit dispensée
par des cliniciens spécialisés permet d’observer des
améliorations sur des variables comportementales,
telles que la mise en place de routines lors des repas,
l’acceptation d’ustensiles en bouche, l’acceptation
d’aliments nouveaux , sur des variables fonctionnelles,
telles que le contrôle salivaire ou la consommation des
liquides à la paille et enfin sur la qualité de vie des familles
(Hill et Miller, 2012, Malandraki et al., 2014, Raatz, 2021).
Figure 11 : Écouvillon pour soins buccaux

Et les parents ? Conclusion


Les pratiques alimentaires parentales et le stress Le trouble alimentaire pédiatrique est une problématique
parental influencent le développement alimentaire de complexe et multifactorielle nécessitant une intervention
l’enfant (Hubbs-Tait et al., 2008; Mitchell et al., 2013). interdisciplinaire tant au niveau de l’évaluation que
En effet, les stratégies mises en place par les parents du suivi. Cette approche interdisciplinaire s’appuie
pour faire goûter à l’enfant un aliment nouveau ont des sur quatre composantes : le statut médical, le statut
répercussions sur ses préférences alimentaires souvent nutritionnel, les compétences alimentaires et les
à long terme (Nicklaus, 2009). La modélisation parentale préoccupations psychosociales. L’orientation précoce
(ex : manger avec l’enfant, manger le même aliment) et des enfants avec TAP vers des cliniciens et équipes
le principe d’exposition répétée (présenter plusieurs fois spécialisés est essentielle. Dans l’état actuel des
de suite le même aliment, même si au départ cet aliment connaissances, seules les approches comportementales
est rejeté par l’enfant) sont des principes robustes bénéficient d’un soutien empirique solide. Elles doivent
associés à l’acceptation d’aliments nouveaux chez se situer au cœur de la prise en charge interdisciplinaire.
l’enfant (Issanchou, S., & Nicklaus, 2018). Inversement, Les interventions fonctionnelles sensori-motrices sont
des pratiques d’alimentation trop permissives ou trop également recommandées bien qu’il existe encore des
autoritaires sont davantage associées à des difficultés controverses quant à leur spécificité. Les cliniciens ne
d’alimentation chez l’enfant (Hubbs-Tait et al., 2008). doivent pas exclure les approches novatrices , à condition
toutefois de vérifier les effets du traitement à court et
Manger est pour la plupart des enfants une fonction moyen terme avec des variables objectives, spécifiques
naturelle, associée au plaisir. Lorsqu’un enfant présente et fonctionnelles. Enfin, la prise en charge de l’enfant
un TAP, la formation, le soutien et l’entraînement avec TAP englobe ses parents et plus largement son
parental par des cliniciens spécialisés sont indispensables environnement, dans un partage de connaissances et
(Eckman et al., 2008 ; Manikam, 2000, Lamm, Hallström & une relation de confiance mutuelle.
Landgren, 2021). En séance logopédique, ce soutien peut
se faire en trois temps :

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