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Ergothérapie

Reçu le :
17 mars 2009
Accepté le :
Apports de l’ergothérapie auprès d’enfants
21 mai 2010
Disponible en ligne
présentant une dyspraxie
15 septembre 2010

Contributions of occupational therapy with dyspraxic children


Disponible en ligne sur G. Lefeverea, A. Alexandreb,*
a
Sessad APF, 55, rue Gustave-Courbet, 92220 Bagneux, France
b
www.sciencedirect.com Sessad L’Adapt, 2, rue Pajol, 75018 Paris, France

Summary Résumé
Whether occupational therapists work in a home environment or in a L’ergothérapeute, qu’il intervienne en service de soin à domicile ou
practice, they meet a growing number of children who are diagnosed en libéral, rencontre de plus en plus d’enfants pour qui le diagnostic
with developmental dyspraxia. In collaboration with a multi-field de dyspraxie est posé. En collaboration avec une équipe pluridisci-
team, they can intervene starting in grade school and throughout plinaire, il peut intervenir à partir de l’entrée à l’école primaire
adulthood if necessary. Their purpose is to enable children to gain jusqu’à l’âge adulte si besoin. Son objectif est de permettre à l’enfant
the independence and autonomy that are needed in everyday life. d’acquérir son indépendance et son autonomie. Pour cela, il propose
Therefore, they offer individual sessions at school and/or at home and des séances de rééducation individuelle à l’école et/ou à la maison et
give advice to parents and teaching teams. Rehabilitation is done conseille les parents et l’équipe enseignante. La rééducation se fait
mostly through a cognitive method where children are presented with majoritairement sur un mode cognitiviste, en proposant à l’enfant
compensation strategies using mainly the auditivo-verbal channel to d’apprendre des stratégies de compensation : utiliser au maximum le
compensate the visuo-motor channel’s defect. Through verbalization canal audioverbal pour pallier le déficit du canal visuomoteur. Grâce
and sequentialization, children learn how to break up their visual à la verbalisation et la séquentialisation, l’enfant apprend à décom-
analysis and their gestural programming to acquire more precision in poser son analyse visuelle et sa programmation gestuelle pour
their visual analysis and more fluidity in their gestures. acquérir plus de précision dans son analyse visuelle et plus de
ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. fluidité dans ses gestes.
ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Keywords: Occupational therapy, Dyspraxia, Rehabilitation, Com-
pensation, Daily Life Mots clés : Ergothérapie, Dyspraxie, Rééducation, Compensation, Vie
quotidienne

Introduction si bien que l’enfant manifeste une maladresse dans ses gestes
et une forte désorganisation spatiale.
L’ergothérapeute accompagne de plus en plus souvent des En 2006, V. Leroy Malherbe rapporte d’ailleurs que « chez
enfants porteurs de dyspraxie. Qu’elle soit associée à une l’enfant, la dyspraxie est rapportée à un défaut dans l’ima-
paralysie cérébrale (IMC) ou isolée comme c’est le cas dans les gerie interne (Ayres, 1968) ou à un défaut d’organisation dans
troubles du développement, cette pathologie a un fort impact l’exécution (Mazeau, 2000). Il s’agit bel et bien d’un handicap
dans la vie quotidienne de l’enfant et de l’adulte en devenir. cognitif avec retentissement moteur. Ce dysfonctionnement
En effet, c’est l’organisation cérébrale du geste qui est altérée, va interagir avec le développement habituel des activités
motrices de l’enfant (Hauer, 1994) et celui de la connaissance
de l’espace (Pecheux, 1990) » [1]. C’est parce qu’il se positionne
* Auteurs correspondants.
aisément comme le rééducateur du quotidien que l’ergothé-
e-mail : alexandreaude@gmail.com, gwenaelle.lefevere@gmail.com rapeute trouve sa place dans l’équipe pluridisciplinaire qui

0242-648X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
10.1016/j.jrm.2010.06.001 Journal de réadaptation médicale 2011;31:22-30
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Apports de l’ergothérapie auprès d’enfants présentant une dyspraxie

accompagne l’enfant porteur de dyspraxie. Il conseille la comprise par l’enfant. La dyspraxie a donc une incidence
famille pour les actions de la vie quotidienne, il recommande dès la classe de maternelle : les tâches prégraphiques, praxi-
les adaptations de la vie scolaire, effectue de la rééducation ques, constructives et toutes les activités nécessitant de
spécifique et n’hésite pas, quand cela est nécessaire, à guider manipuler un outil le mettent en échec. Dès le primaire,
la compensation du déficit par une aide technique : c’est la l’enfant présentant une dyspraxie visuospatiale est souvent
spécificité de la réadaptation. Dans cet article, nous commen- gêné pour accéder à la lecture car sujet à des confusions de
cerons par observer le parcours d’un enfant dyspraxique et ses lettres morphologiquement proches (exemple : p/q), à des
nombreux obstacles. Par la suite, nous aborderons concrète- oublis de mots. L’enfant peut être en difficultés en mathé-
ment les modalités d’intervention : l’évaluation, la rééduca- matiques dans les domaines de la numération et de la
tion, la réadaptation et le conseil. Pour finir, nous illustrerons géométrie, en géographie face aux cartes à mémoriser, etc.
cet article par la présentation du suivi d’Hugo pendant ses Au fur et à mesure des classes, l’enfant dyspraxique est de
cinq années d’école primaire. plus en plus confronté à des situations de double tâche :
réciter la comptine tout en pointant du doigt les objets à
dénombrer, écrire ce que dicte l’enseignant tout en pensant à
L’enfant porteur de dyspraxie l’orthographe des mots. Au collège s’ajoutent de nouvelles
difficultés : l’enfant se sent souvent démuni face à la multi-
Même si une suspicion de dyspraxie peut être émise assez tôt plicité des enseignants, des matières, des salles de classe, de la
dans le développement du petit enfant, le diagnostic de somme de savoirs à mémoriser, pour copier un schéma, etc.
dyspraxie est rarement posé avant le cours préparatoire La dyspraxie a des incidences importantes, que ce soit dans la
(CP). En effet, la dyspraxie n’est pas une pathologie facile à vie quotidienne avec ces « savoir-faire » moteurs décalés par
déceler (les diagnostics différentiels étant nombreux) et le rapport au niveau attendu, ou dans la vie scolaire. Pourtant,
diagnostic définitif ne peut être posé que par un médecin l’enfant dyspraxique a beaucoup de compétences dans le
coordonnant une équipe pluridisciplinaire qui a observé domaine verbal, c’est un enfant vif, curieux, qui parle beau-
l’enfant dans des actes moteurs, spatiaux mais aussi sur le coup et s’intéresse au monde et qui présente un imaginaire
plan langagier et dans sa dynamique psychoaffective. Un foisonnant.
diagnostic tardif, notamment à l’adolescence, fragilise parti- La dyspraxie a aussi des répercussions importantes dans les
culièrement le jeune et ses relations avec ses pairs [2]. activités de la vie quotidienne (AVQ) de l’enfant faisant
Par ailleurs, pour pouvoir constater un déficit, il faut que des appel à de bonnes représentations spatiales, à la maı̂trise
apprentissages classiques aient été proposés et qu’ils n’aient des gestes complexes, des actes moteurs fins ainsi qu’à la
pas permis de faire les acquisitions escomptées. Par exemple, nécessité de planifier ses actions. Certains apprentissages
il est difficile de savoir si l’enfant présente un trouble de gestuels et leur automatisation sont difficiles, voire impos-
l’organisation spatiale graphique avant de le mettre en situa- sibles pour eux alors qu’ils sont devenus pour leurs cama-
tion d’apprentissage d’écriture et de dessins complexes rades des « routines » construites et mémorisées. L’enfant
(frises, formes géométriques, etc.). L’ergothérapeute se rend dyspraxique est décrit comme maladroit, lent, fatigable, en
alors à l’école pour échanger avec l’enseignant autour des difficulté face à une double tâche, présentant des perfor-
difficultés de l’enfant, observer ses cahiers, ses productions, mances variables sur une même tâche en fonction du temps
l’observer en action pour constater l’éventuel décalage entre dont il dispose.
l’effort (important) et le résultat (malheureusement pas à la Il peut se montrer réticent face à l’habillage/déshabillage du
hauteur de l’effort). fait de l’ampleur des difficultés rencontrées : orienter ses
Toutes les activités motrices, manuelles et spatiales peuvent habits et ses chaussures puis les enfiler correctement, maı̂-
être touchées : respecter les consignes de la gymnastique au triser l’ensemble des systèmes de fermeture. L’accès à la
sol, mettre son manteau pour aller en récréation, découper propreté s’avère également difficile : se laver, s’essuyer aux
des étiquettes, coller une grande feuille d’exercice dans son toilettes, se brosser les dents, etc. restent des AVQ qui néces-
cahier, tailler ses crayons, ranger sa case, souligner la date, sitent souvent plus longtemps l’aide d’un parent. L’enfant
reproduire une frise, etc. dyspraxique est en difficulté pour préparer un repas, manger
La dyspraxie est à l’origine de difficultés scolaires qui peuvent sans se tacher, etc. La vie de l’enfant implique également ses
entraı̂ner, s’il n’y a pas de diagnostic puis d’accompagnement loisirs car, en dépit de sa maladresse, il peut et doit développer
de l’enfant, des troubles du comportement, des difficultés une vie sociale harmonieuse. De nombreuses activités ne sont
socioémotionnelles du type isolement de ses pairs et/ou pas conseillées pour les enfants dyspraxiques, qui y portent
sentiment de dévalorisation [3]. L’enfant dyspraxique acquiert d’ailleurs souvent peu d’intérêt : jeux de construction et
une motricité globale dans les délais « normaux », mais activités manuelles, activités sportives où la coordination et
parfois une gêne dans la mise en place des coordinations l’équilibre sont très sollicités, pratique d’un instrument, etc.
motrices fines et complexes le met en difficulté dans les Cependant, certains apprentissages sont possibles bien que
activités préscolaires alors que la tâche demandée est souvent plus longs à maı̂triser.

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Afin d’aider correctement l’enfant, l’ergothérapeute doit Souvent, la pose d’un diagnostic de dyspraxie a un « effet
connaı̂tre les domaines dans lesquels l’enfant est en difficulté. thérapeutique », soulageant l’enfant et sa famille, par rapport
Il doit donc procéder à une évaluation s’adressant aux domai- à l’incompréhension de l’entourage parfois rencontrée jus-
nes de la motricité manuelle, de la prise d’information qu’alors.
visuelle, de l’analyse perceptive visuelle, de l’organisation Dans un premier temps, le psychologue ou neuropsychologue
spatiale, des constructions (graphique et en 3D) et de l’écri- rencontre l’enfant pour déterminer son quotient intellectuel,
ture. Il va ensuite recouper ces éléments avec les observations cela afin d’affirmer que le déficit est isolé, c’est-à-dire que
des tâches de vie courante qu’il aura observée. l’efficience verbale est normale, et afin d’écarter toute défi-
cience intellectuelle ou trouble psychiatrique.
Dans un second temps, le psychomotricien et/ou ergothéra-
Évaluation en ergothérapie des troubles peute évalue les fonctions non verbales en sachant que ces
pratiques de l’enfant deux disciplines ont des champs de recouvrement (praxies,
graphisme et écriture, etc.) mais aussi chacune leurs spécifi-
Afin de construire une évaluation suffisamment large pour cités.
balayer tout le spectre des activités praxiques, et suffisam- L’ergothérapeute s’entretient au préalable avec l’enfant et sa
ment précise pour ne pas passer à côté d’un déficit impactant famille, afin de cerner la plainte dans les AVQ, la vie scolaire et
fortement sur le quotidien, l’ergothérapeute peut s’appuyer leurs attentes, pour repérer des signes d’appel (appétence
sur des modèles théoriques. pour le dessin, etc.), pour connaı̂tre le vécu de l’enfant vis-à-vis
Nous trouvons alors un intérêt à nous situer en regard d’un de ses difficultés mais aussi ce qu’il aime, ses loisirs, etc. Les
modèle, notamment pour structurer notre pensée autour d’un questionnaires de la mesure d’indépendance fonctionnelle
cadre de réflexion et ainsi proposer un type d’évaluation et môme ou de la mesure des habitudes de vie pour les plus
rééducation en adéquation avec une dominante patholo- grands sont des trames intéressantes quand nous disposons
gique. Le Dr C.-L. Gérard a proposé, dès 1991, un modèle très de temps, notamment pour plus cibler le domaine de l’indé-
concret que de nombreux ergothérapeutes ont adopté pour pendance et l’autonomie dans les AVQ et la notion d’initiative
son côté clinique [4]. Il n’aborde pas directement le trouble de de l’enfant ou du jeune [5,6].
base, mais s’intéresse à l’expression symptomatique de la La démarche de l’évaluation en ergothérapie est la suivante :
dyspraxie. Il définit trois types de syndrome dyspraxique : une fois l’enfant bien installé, nous proposons des épreuves
 le type 1 correspond à un trouble de la coordination multifactorielles faisant appel à des compétences transver-
motrice ; sales (dessin, constructions). Puis, en fonction des observa-
 le type 2 se réfère à un trouble mettant en jeu la pensée tions cliniques (réussites ou difficultés rencontrées,
spatiale ; procédures adoptées par l’enfant, etc.) nous envisageons
 le type 3 est à mettre en lien avec un trouble du contrôle d’autres épreuves de tests plus spécifiques d’une fonction
exécutif du geste, associé parfois avec un trouble de cognitive afin d’en déterminer l’efficience et l’impact dans les
l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA(H)). épreuves transversales échouées. Les bilans utilisés sont le
Pour l’ergothérapeute, l’évaluation et la rééducation d’un plus souvent étalonnés et validés pour une certaine tranche
enfant présentant une dyspraxie de type 2 s’orienteront vers d’âge, les résultats obtenus sont présentés sous la forme de
des activités visuospatiales alors que l’accompagnement d’un notes standard ou de déviation standard, permettant de
enfant porteur de dyspraxie de type 3 sera plus large, balayant situer l’enfant par rapport à la moyenne de sa classe d’âge.
toutes les activités de vie quotidienne, cherchant avec lui des
moyens de compenser ses troubles de planification, au moyen
Domaine de la perception visuospatiale
de check-lists et de méthodes rigoureuses.
À l’origine de l’évaluation s’exprime la plainte des parents et/ Nous allons observer sa prise d’information visuelle et les
ou des enseignants, concernant la maladresse, le graphisme, stratégies d’exploration visuelle employées face à des épreu-
la mauvaise tenue des cahiers de l’enfant. Le bilan en ergo- ves de barrage (barrage des cloches) ou de pointage (test des
thérapie se fait sur prescription médicale d’un médecin voitures) [7,8]. Évaluer ensuite son analyse perceptive visuelle
(pédiatre ou neuropédiatre le plus souvent). Il décrit l’anam- est essentiel à la bonne compréhension des difficultés rencon-
nèse, le développement psychomoteur et l’examen clinique trées par l’enfant : analyse des positions spatiales puis des
initial et demande une évaluation complémentaire. Différents orientations (Relations topologiques et directionnelles [RTD]
professionnels sont aussi concernés par l’évaluation des trou- de Lacert) et enfin des dimensions (perception de la notion de
bles praxiques et leurs différents regards sur l’enfant sont volume en trois dimensions) [9]. Enfin, nous observons sa
recherchés par l’ergothérapeute pour étayer le diagnostic, perception des relations visuospatiales avec la passation des
tout comme d’éventuels comptes rendus des bilans antérieurs épreuves non motrices du Developmental Test of Visual Per-
(éléments visuels et oculomoteurs) ou des suivis déjà mis en ception (DTVP-2) [10]. En effet, toute difficulté de représenta-
place (en orthophonie par exemple). tion visuospatiale aura une incidence sur les épreuves

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Apports de l’ergothérapie auprès d’enfants présentant une dyspraxie

multifactorielles (analyse des orientations lors d’une copie de l’enfant, de l’origine de la dysgraphie, des éléments du bilan, du
figure par exemple) mais aussi dans le contexte de vie scolaire type de scolarité, de l’avis des parents et des possibilités
face à un tableau à double entrée ou lors de la pose d’opé- d’accompagnement thérapeutique.
rations par exemple. Nous analysons ensuite à la fois les résultats, les procédures
mises en place par l’enfant et nos observations afin d’en faire
Domaine des praxies constructives une synthèse en reprenant le(s) symptôme(s) pathologique(s)
Nous évaluons les praxies constructives et observons et le trouble de base. Bien souvent, l’enfant ne présente pas
comment l’enfant planifie son action pour assembler des un type de dyspraxie « pure » au regard du modèle de Gérard
unités et reproduire un modèle avec différents tests étalon- mais ressortent des difficultés prédominantes dans un des
nés, selon l’âge de l’enfant : copie du modèle de la figure de domaines (visuospatial, visuoconstructif et/ou gestuel) avec
Rey ou de Taylor, les praxies constructives en deux dimensions parfois l’intrication de troubles associés (troubles des appren-
(test des bâtonnets d’Albaret et Couderc) et/ou les praxies tissages, de l’attention, troubles psychoaffectifs, etc.). Nous
constructives en trois dimensions (test de praxies constructi- reprenons ces différents éléments dans un compte rendu
ves tridimensionnelles de Benton) [11–14]. d’évaluation, assorti d’observations sur le comportement de
l’enfant (instabilité motrice, mésestime de soi), de préconi-
Domaine de la motricité fine et des praxies sations à la fois en termes de canaux facilitateurs (canal
gestuelles audioverbal), d’axes de rééducation et de modalités de suivi
thérapeutique. En fonction de l’âge et du niveau scolaire de
Nous complétons l’évaluation par différents bilans chrono- l’enfant, les indications thérapeutiques et les professionnels
métrés évaluant la dextérité digitale (épreuves du Purdue intervenants sont différents : en 2007, L. Vaivre-Douret indi-
pegboard, de tapping répétitif et séquentiel de bilan neuro- quait que « les prises en charge prioritaires sont essentielle-
psychologie de l’enfant [NEPSY]), la coordination oculo- ment axées dans un premier temps (. . .) en psychomotricité
manuelle (précision visuomotrice de la NEPSY) et les praxies (schéma corporel, intégration sensorimotrice, organisation et
gestuelles, qu’elles soient unimanuelles ou bimanuelles (imi- structuration temporelle et spatiale, coordinations globales,
tation de position de mains et séquences motrices manuelles praxies) puis en ergothérapie (organisation visuospatiale,
de la NEPSY) [15,16]. organisation du regard sur le plan exploratoire, motricité fine,
Nous avons une approche spécifique en regardant l’incidence planification des gestes quotidiens, pratique du clavier d’un
d’éventuelles difficultés de motricité fine ou/et gestuelle sur ordinateur. . .) » [3].
des tâches de vie courante comme la manipulation des outils
scolaires (souligner à la règle, découpage d’une forme géomé-
trique, tracer un cercle au compas, etc.) ou la réalisation du
laçage de chaussures.
Accompagnement de l’enfant
dyspraxique dans son environnement
Domaine du graphisme et de l’écriture
Accompagner l’enfant
Le graphisme et l’écriture font partie des praxies les plus
complexes puisqu’ils mettent en jeu de nombreuses compé- Par le biais de l’activité et en s’appuyant sur les connaissances
tences (perception visuelle, planification, etc.) [17]. Nous déter- du développement psychomoteur de l’enfant, l’ergothérapeute
minons un éventuel retard graphique de l’enfant avec une guide l’enfant vers l’autonomie, en vue d’une meilleure inté-
épreuve de copie de figures, comme le test d’intégration gration dans son environnement familial, scolaire, social et
visuomotrice de Beery par exemple [18]. À partir et au-delà dans ses loisirs. Il distingue l’indépendance de l’enfant (compé-
du CP, nous proposons le BHK (Concise Evaluation Scale For tences physiques : se déplacer, manger) de l’autonomie
Children Handwriting/évaluation rapide de l’écriture), l’évalua- (compétences cognitives : imaginer une stratégie face à un
tion de la vitesse d’écriture et l’évaluation de la vitesse de problème, choisir une activité). Il contribue à prévenir et réduire
frappe au clavier [19–21]. Nous prenons en compte plusieurs les conséquences des déficits ou des retards du développement
éléments pour orienter le projet thérapeutique vers un entraı̂- en cherchant à développer l’ensemble des fonctions neurosen-
nement du graphisme manuel et/ou la proposition d’un sorimotrices, perceptivocognitives et affectives de l’enfant.
apprentissage de l’outil informatique : l’ampleur de la dysgra- Suite à l’évaluation, un certain nombre de séances d’ergothé-
phie d’un point de vue qualitatif (la lisibilité par l’enfant et un rapie à une fréquence donnée sont prescrites par le médecin. De
tiers, détérioration dans le temps) et quantitatif (vitesse d’écri- manière générale, nous pouvons envisager qu’une à trois
ture pour évaluer l’efficacité de la prise de notes en situation années d’ergothérapie à raison de deux séances d’une heure
scolaire) et l’automatisation possible ou non du geste [22]. Ce par semaine permettent à un enfant de se connaı̂tre suffisam-
choix entre écriture manuelle ou dactylographique est polé- ment pour savoir contourner seul ses troubles par la suite. Un
mique et en constante discussion entre les équipes de terrain enfant dyspraxique peut être suivi en ergothérapie en cabinet
[23,24]. La réflexion doit se faire en tenant compte de l’âge de libéral, en Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile

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(SESSD), ou au sein d’un service hospitalier de rééducation dyspraxique apprend à connaı̂tre ses difficultés et à mettre en
neuropsychologique infantile : ces deux dernières modalités place les stratégies pour les contourner. L’apprentissage des
d’accompagnement sont mises en place quand le trouble de méthodes de compensation du trouble de base est utile dans
l’enfant est massif ou associé à d’autres troubles d’apprentis- la vie de tous les jours : l’apprentissage de la décomposition
sage et/ou à des troubles moteurs ou neuromoteurs. En fonc- séquentielle par exemple sera utile pour construire un modèle
tion de l’incidence des difficultés sur le quotidien de l’enfant, de cubes, pour réaliser des constructions de mécano, bricoler
l’ergothérapeute intervient en séances individuelles dans son chez lui, préparer une sortie, décrire à un ami l’itinéraire pour
environnement scolaire, et/ou à domicile et ce en étroite venir chez lui, etc. Les deux méthodes que nous utilisons le
collaboration avec la famille, les enseignants et les autres plus fréquemment sont la verbalisation (ou description ver-
rééducateurs. bale) et la séquentialisation (ou génération de scripts).
En pratique, l’ergothérapeute propose à l’enfant des activités
qui ont du sens pour lui (jeux, AVQ, logiciels) afin de déve-
La description verbale
lopper ses capacités d’action, ses apprentissages et les compé-
tences souhaitées sous-tendues par l’activité. Il peut être Nous utilisons le canal verbal, souvent surdéveloppé chez les
amené à proposer des adaptations, aménager l’environne- enfants présentant des troubles praxiques [25]. S’il n’est pas
ment scolaire ou même le domicile. Le travail en ergothérapie particulièrement développé, il est indispensable de fournir à
implique un lien étroit avec la famille ainsi qu’une collabora- l’enfant le maximum de vocabulaire (spatial et caractérisant)
tion avec d’autres professionnels. pour qu’il puisse s’appuyer dessus. Cette méthode est utilisée
La spécificité de la profession d’ergothérapeute est d’élargir pour toutes les tâches perceptives : comprendre une figure
ses missions professionnelles au-delà du champ exclusif de la géométrique, comprendre un plan de quartier, etc. Il ne s’agit
rééducation, en y intégrant également un versant de compen- pas encore d’agir, mais de décrire ce qu’on voit, pour l’appré-
sation et de réadaptation, ce qui est propre à la profession. La hender, en fabriquer une image mentale identique à la réalité.
compensation exprime l’idée d’un contournement de la fonc- Il s’agit d’énoncer à voix haute puis à terme, à voix inté-
tion lésée, en passant par d’autres fonctions similaires ou riorisée, les caractéristiques en termes de position, de forme,
pouvant faire fonction. d’orientation, de relation spatiale, etc.
La réadaptation est un terme qui désigne les actions mises en De la même manière que pour les activités perceptives
place pour adapter l’environnement à la personne souffrant visuelles, nous utilisons également la méthode de description
d’une incapacité fonctionnelle. Ce n’est plus ici la personne verbale, pour le travail moteur (par exemple en kinésithérapie
qui se conforme aux contraintes de son environnement, c’est ou en psychomotricité) lorsqu’il s’agit d’imiter une position,
l’environnement qui s’ajuste à la personne, en fonction de ses une posture. Nous demandons alors à l’enfant de décrire avec
compétences lésées et préservées. Par exemple, pour l’enfant des mots précis les positions du corps, des articulations. Le
dyspraxique qui s’épuise à écrire à la main, nous pourrons lui thérapeute a un rôle important dans l’utilisation du vocabu-
proposer d’utiliser un clavier d’ordinateur ou encore un logi- laire précis : c’est à lui de donner le vocabulaire approprié et de
ciel de dictée vocale. ne pas laisser l’enfant dans un flou verbal.
Pour l’enfant dyspraxique, quelles que soient ses difficultés, Dans le même ordre d’idée que la description verbale, nous
l’ergothérapeute se situe toujours simultanément à ces trois pouvons utiliser une méthode dite « d’association d’images
niveaux : rééducation, compensation, réadaptation. figuratives ». Il s’agit de demander à l’enfant : « À quoi ça te
L’utilisation de la modalité thérapeutique de compensation a fait penser ? » lorsqu’il rencontre une forme, un dessin non
pour objectif de contourner les canaux qui dysfonctionnent figuratif, et qu’il a peu d’éléments à sa disposition pour
(les canaux visuels et kinesthésiques le plus souvent) en l’analyser ou le reproduire. Nous utilisons ici l’imagerie men-
surinvestissant un canal souvent très préservé : l’audioverbal. tale visuelle, pour peu qu’elle soit intègre.
Ainsi, nous évitons toute rééducation à visée productive Par ailleurs, pour aider l’enfant dans la discrimination visuelle
immédiate de type rééducation symptomatique, qui se situe- entre les traits et entre les formes, nous pouvons utiliser la
rait dans une dynamique d’entraı̂nement, de répétition et de décomposition par couleur. Il s’agit d’utiliser des feutres ou
conditionnement. Bien que cette dynamique ait l’avantage des crayons de différentes couleurs afin de matérialiser d’une
d’être rapide et efficace sur le symptôme en question, elle a couleur différente plusieurs formes à distinguer. Par exemple,
l’inconvénient de ne pas se transférer sur l’ensemble des nous pouvons utiliser une couleur par forme lorsqu’elles sont
fonctions déficitaires. Elle répond à la demande à court terme, enchevêtrées, ou bien encore une couleur par direction de
mais ne se situe pas dans une approche holistique et pro- trait.
jective. Exemple pratique : un enfant dyspraxique qui développe une
Ainsi, l’ergothérapeute préfère souvent une approche réédu- dysgraphie suite à un trouble visuospatial a souvent de
cative centrée sur le trouble de base, plus efficace à long grandes difficultés à former ses lettres car il ne perçoit pas
terme et plus profitable pour l’enfant, car transférable dans d’emblée le geste qu’il faut faire pour reproduire le dessin des
une majorité de ses activités de vie quotidienne. Le jeune lettres. Nous pouvons le guider en lui décrivant chaque lettre

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Apports de l’ergothérapie auprès d’enfants présentant une dyspraxie

avec un vocabulaire qui aura préalablement été choisi des caisses de couleur dont le contenu est noté avec des
ensemble. La lettre « a » en écriture cursive peut se décrire symboles, des boı̂tes de rangement pour les affaires scolaires,
comme « un pont en arrière, suivi d’un trou en avant, suivi des petits casiers bien définis pour les vêtements. Pour aider
d’un petit trou », la lettre « b » comme « un tire-fesse qui l’enfant à s’organiser dans le rituel du soir (pyjama, brossage
monte, suivi d’un pont en arrière, suivi d’une chute d’eau des dents, etc.), un panneau peut être fabriqué avec les étapes
brutale puis d’un trou en avant pour finir par une galipette ». symbolisées par des dessins suivant l’ordre chronologique.
Ce type de rééducation de l’écriture manuscrite en passant par Nous parlons aussi de réadaptation dans le cadre de la pro-
les images figuratives et la décomposition des lettres en position d’une aide technique pour contourner un trouble.
unités graphiques s’appuie sur les méthodes d’éducation L’exemple le plus courant est le matériel informatique dont
thérapeutique instrumentale (ETI) et ABC Boum [26,27]. se voient dotés la plupart des enfants et adolescents dyspra-
xiques. Le choix d’utiliser un ordinateur est important, et doit
La séquentialisation
être longuement discuté avec l’enfant, ses parents et ses
Il s’agit d’amener l’enfant à décrire la succession des étapes enseignants. La question de l’utilisation est cruciale : pour
nécessaires à la réalisation motrice d’un dessin, d’une cons- quelle utilisation ? Où ? Qui supervise l’impression ? Qui fera
truction, d’un geste ou d’une posture. Il doit apprendre à la maintenance technique ? Nous voyons parfois des ordina-
décomposer, fragmenter les séquences motrices et les ima- teurs attribués à des enfants qui ne sont pas utilisés suite à une
giner mentalement avant de les reproduire. La décomposition réflexion peu aboutie en amont ou un manque de préparation
séquentielle est également appelée « génération de script de l’utilisation de cet outil et des différents logiciels avant leur
anticipé » car nous amenons l’enfant à créer le scénario de son mise en place en classe. L’ergothérapeute est le professionnel
action avant de la faire. Les enfants qui présentent un déficit qui coordonne cette réflexion technique, en collaboration avec
dans la programmation motrice de leurs actions ont du mal à tous les partenaires impliqués.
prendre un temps de réflexion avant de se lancer dans
l’activité. Il est important de leur démontrer la différence
Accompagner les parents et l’équipe enseignante
de résultat entre une production réalisée impulsivement et
une autre faite avec une génération de script anticipé. Vis-à-vis de la famille, le rôle de l’ergothérapeute est
Pour compléter ces méthodes, nous pouvons également pro- d’accompagner et de conseiller : peu à peu, les parents
poser à l’enfant de barrer au fur et à mesure (distinction de ce peuvent reprendre ce qui est appris en séance de rééducation
qui est fait et de ce qu’il reste à faire) quand il s’agit de dans les AVQ, que ce soit l’habillage ou l’entraı̂nement à la
reproduire ou de suivre une « recette ». C’est une méthode frappe au clavier [28,29].
simple et efficace à appliquer, qui consiste bien souvent à Faciliter le quotidien de l’enfant revient à adopter des vête-
utiliser des surligneurs fluos. Par exemple, nous pouvons l’uti- ments faciles à enfiler (avec des étiquettes-repères), des chaus-
liser pour la géométrie, la construction de figures complexes, la sures avec velcro (pour éviter les lacets), de la vaisselle adaptée
reproduction de figures sur quadrillage, mais aussi pour des (assiettes creuses, sets de table antidérapants, gobelets en
exercices de français, d’histoire, ou des exercices sur des fichiers plastique dur avec anses quand ils sont petits). Quand les
avec des présentations chargées. L’intérêt se situe dans le parents disposent de plus de temps avec l’enfant (week-end
contraste visuel qui matérialise la différence entre ce qui est ou vacances) au calme, nous leur conseillons par exemple
surligné et ce qui ne l’est pas. d’essayer avec leur enfant de manipuler les attaches les plus
L’accompagnement de l’enfant porteur de dyspraxie passe difficiles (fermeture éclair, lacets, boutons) en commentant à
donc par des séances régulières individuelles où il apprend des l’oral les étapes.
méthodes de travail qui lui sont propres. Au-delà de cet Même si l’enfant est maladroit dans la vie de la maison, nous
accompagnement systématique, l’ergothérapeute développe conseillons de toujours lui confier un rôle à la mesure de son
aussi des compétences de réadaptation, qui consiste à adap- savoir-faire et de ses intérêts : penser les menus du week-end,
ter l’environnement de l’enfant pour contourner ses troubles. mettre et débarrasser les couverts à table (les moins fragiles !),
Lorsque nous parlons de réadaptation, nous intégrons systé- remplir et vider le lave-linge, etc.
matiquement l’entourage de l’enfant dans cette démarche car Il s’agit aussi pour nous de faciliter les loisirs en préconisant
il faut connaı̂tre parfaitement les limites de l’environnement certaines activités extrascolaires plus pertinentes que d’autres
en question. Qui mieux que les parents connaı̂t les difficultés et les adaptations matérielles parfois nécessaires. Ainsi, il faut
du domicile ? Qui mieux que l’enseignant connaı̂t les diffi- que l’enfant fasse une activité où l’accent est mis sur son plaisir
cultés induites par l’environnement de l’école ? à y participer et moins sur la notion de compétition.
Adapter l’environnement, c’est choisir un mobilier et des Auprès de l’équipe enseignante, l’ergothérapeute a pour
outils pratiques : bureau, armoire, cartable, trousse, etc. sont mission de faciliter la scolarité en programmant, quand cela
des achats à faire en concertation avec les parents. est possible (en termes de locaux et de créneaux horaires
Nous pouvons par exemple choisir avec eux un mode de disponibles), les séances d’ergothérapie à l’école. Nous ren-
rangement de la chambre très structuré et organisé, avec controns alors régulièrement l’enseignant sur les temps de

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récréation par exemple pour répondre à ses interrogations, d’accompagnement en ergothérapie d’Hugo, de ses sept
mettre en évidence les compétences et les points forts de ans à ses 12 ans.
l’enfant et parler des points plus faibles. Nous pouvons guider Lorsqu’Hugo a été admis au service de soins à domicile, il
l’enseignant à concevoir les adaptations pédagogiques et à achevait son CP. Ses parents ont été orientés vers une structure
adopter les grands principes d’accompagnement de l’enfant de soin par le psychologue scolaire de l’école de son quartier, lui-
dyspraxique dans sa scolarité. Il importe avant tout de sou- même alerté par l’institutrice. En maternelle, Hugo n’avait
lager l’enfant en proposant moins d’écrits : éviter les tâches de jamais été très « doué » pour les activités proposées : le collage
copie, privilégier les photocopies, instaurer un système de de gommettes, le découpage de ribambelles, le traçage de frises
tutorat avec un élève de la classe, donner des contrôles avec sur les œufs de Pâques étaient des tâches qui le mettaient en
des textes à trous en respectant l’octroi du tiers-temps sup- échec et le décourageaient. Toutefois, c’était un des enfants les
plémentaire. Il est nécessaire de lui proposer des documents plus brillants à l’oral : il retenait toutes les chansons, les poésies,
aérés et éviter les activités nécessitant une habileté manuelle connaissait les dates d’anniversaire de la moitié de la classe,
importante (écriture et dessin, découpage, tracés à la règle, racontait ses week-ends avec force détails. L’année de CP s’était
collage). La multiplication simultanée des tâches (écouter, avérée déroutante : il retenait toujours aussi aisément les
regarder au tableau et copier, s’organiser dans son matériel) leçons, le calcul le passionnait, l’initiation aux sciences et à
est épuisante pour l’enfant porteur de dyspraxie. l’histoire était un vrai plaisir, et il lisait parfaitement au mois de
En maternelle, nous demandons aux instituteurs de ne pas mars. Mais son graphisme était catastrophique : il reproduisait
insister sur les tâches graphiques mais bien plutôt d’utiliser des gribouillis à la place des lettres que la maı̂tresse traçait sur
des lettres magnétiques ou des mots-étiquettes, des pochoirs son cahier sans parvenir à respecter les lignes, barbouillait les
et des tampons pour le dessin. coloriages associés aux poésies, traçait les chiffres en miroir.
En primaire, nous encourageons les instituteurs à adopter des Hugo a alors été orienté vers un centre de référence des
« astuces » pour faciliter le travail de l’élève : utiliser un troubles d’apprentissage qui a diagnostiqué au mois de
surlignage fluo pour faciliter la lecture, adopter un système mai une dyspraxie visuospatiale sévère. Une évaluation de
avec une couleur par colonne pour la pose des opérations, etc. l’efficience intellectuelle a été réalisée avec le Wechsler Intel-
Au collège, il faut accepter les difficultés importantes en ligence Scale for Children (WISC)-III et a révélé un score en
géométrie, dispenser l’élève de la réalisation des cartes de verbal légèrement supérieur à la moyenne (116) alors que son
géographie, des schémas et dessins (ou bien lui donner la score en performance était inférieur de 38 points (78) [26]. Il
possibilité de les dicter à l’adulte), des manipulations en est entré au service de soins à domicile à la fin du mois de juin
chimie et constamment l’aider dans la gestion du matériel. pour une évaluation pluridisciplinaire et un suivi à partir de la
Au regard de l’environnement scolaire en général (conseiller rentrée de septembre de son cours élémentaire première
principal d’éducation [CPE], surveillants, camarades), nous année (CE1). L’évaluation proposée en ergothérapie s’articulait
avons un rôle d’information sur le handicap de leur camarade, surtout autour du graphisme et des compétences visuospa-
car l’incompréhension des troubles de l’élève dyspraxique tiales (tableau I).
conduit régulièrement à des moqueries et de l’énervement. Au cours de son CE1 et de son cours élémentaire deuxième
année (CE2), il a bénéficié de deux séances de 45 minutes par
semaine, dont une à la maison et une à l’école. Le suivi était
Cas clinique individuel, et les axes de rééducation les suivants :
 explication à Hugo de ses troubles, de leurs répercussions
Pour illustrer de manière concrète les propos théoriques dans sa vie à la maison et en classe, mais aussi à son
abordés plus haut, nous vous présentons la démarche environnement (camarades, parents et enseignants) ;

Tableau I
Observations qualitatives et déviations standard obtenues aux sept épreuves de test passées par Hugo en septembre de son CE1 (7 ans
5 mois).
Compétences visuospatiales Observations
RTD Lacert points 1,5 DS (moyenne à 0) Hugo est particulièrement en difficulté lorsqu’il s’agit d’analyser
RTD Lacert barres 4,2 DS (moyenne à 0) et de comparer l’orientation de traits diversement orientés.
DTVP-2 quotient perceptif 64 (moyenne à 100) En revanche, la localisation dans l’espace et l’intégration
DTVP-2 quotient visuomoteur 92 (moyenne à 100) visuomotrice sont relativement préservées

Compétences graphiques Observations


BHK qualité 4,6 DS Hugo a un graphisme totalement illisible,
BHK vitesse 2,2 DS le dessin des lettres est compliqué à
Les lenteurs d’écriture vitesse en répétition 1,8 DS reproduire. En revanche, la vitesse
d’exécution graphique est moins pénalisée

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Apports de l’ergothérapie auprès d’enfants présentant une dyspraxie

 apprentissage et stabilisation d’un vocabulaire spatial ses affaires, ses sorties. Il a appris à programmer l’agenda de
riche et précis avant d’aborder les méthodes de description son téléphone portable pour aller à ses entraı̂nements, à ses
verbale et séquentielle ; après-midi chez ses copains, à préparer son cartable le soir, ses
 utilisation de la verbalisation et de la décomposition pour vêtements pour le lendemain, etc. Rien n’était parfait dans
qu’Hugo développe son écriture manuscrite et pour lui cette organisation mais Hugo était visiblement heureux
apprendre à reconnaı̂tre puis à dessiner les formes géomé- d’être acteur de sa vie de préadolescent et de ne plus s’enten-
triques de base. dre dire par ses parents : « Hugo, c’est l’heure. . . Hugo,
À la fin du CE2, Hugo avait neuf ans et avait beaucoup prépare tes affaires. . . Hugo, tu as encore oublié. . . ».
progressé : son écriture restait très lente mais tout à fait Hugo, tout comme les autres enfants qui bénéficient ou ont
lisible, il écrivait sur les lignes de son cahier bien que le bénéficié de séances d’ergothérapie, ne sera jamais « guéri »
calibrage soit supérieur à deux interlignes. Sa vitesse s’était de sa dyspraxie. Les stratégies qui lui permettent de structurer
ralentie pour pouvoir accroı̂tre la lisibilité, c’est le coût cognitif sa pensée spatiale et gestuelle restent des processus cognitifs
de la réflexion du tracé des lettres : celle-ci augmente après énergétiquement coûteux et relativement chronophages.
une relative automatisation. Par ailleurs, il pouvait reproduire Même si ses réalisations motrices gagnent en qualité et en
un carré, un triangle et un losange (normalement acquis à précision, c’est souvent au prix d’un accroissement du temps
sept ans) mais pas les figures plus complexes chargées de réalisation et d’une grande fatigabilité.
visuellement. En classe, il ne pouvait pas suivre le rythme
des écrits : nous avons proposé à la maı̂tresse de lui écrire les
leçons ou de faire des photocopies. Nous avons également Conclusion
conseillé à sa mère d’écrire sous sa dictée les réponses à ses
devoirs, pour lui éviter une fatigue supplémentaire. Même si L’ergothérapeute est un professionnel intervenant à la croisée
Hugo savait désormais tracer les lettres et les enchaı̂ner, ce des secteurs médicaux et sociaux. Nous avons à la fois des
serait toujours une tâche consciente, volontaire, jamais auto- connaissances médicales pointues permettant de comprendre
matisée, si bien qu’il ne pourra se concentrer simultanément les troubles résultant des lésions physiques et cérébrales et
sur le tracé, l’orthographe et le sens de ce qu’il veut dire. nous agissons suffisamment au quotidien des enfants avec
Son année de cours moyen première année (CM1) a été très qui nous travaillons pour cerner au mieux leurs besoins
hétérogène : il s’est brillamment illustré à l’oral pour toutes concrets et pratiques. Ainsi, pour l’enfant porteur de dyspra-
les activités scientifiques, littéraires et culturelles mais a raté xie, nous veillons à intervenir à la fois chez l’enfant et dans son
tous ses contrôles : soit la maı̂tresse ne parvenait pas à le école pour être en contact permanent avec les adultes qui le
relire, soit il ne finissait pas ses exercices dans le temps connaissent et vivent à ses côtés. Nous pouvons – au-delà des
imparti. Il ne pouvait pas écrire vite et bien à la fois. L’ergo- séances de rééducation – être l’interface entre les méthodes
thérapeute a alors décidé, en concertation avec les parents et spécifiques de rééducation et l’application concrète dans la vie
l’équipe du service de soins, de lui proposer un moyen alter- de tous les jours.
natif à l’écriture manuscrite : taper au clavier. Une année Nos valeurs nous portent à penser l’enfant dans sa globalité,
entière à raison de deux fois 30 minutes par semaine a été incluant tous les aspects de sa vie, autant ses loisirs que sa
nécessaire pour lui apprendre à taper au moins aussi vite au scolarité, ses relations avec ses amis et celles avec sa fratrie.
clavier qu’il écrivait à la main. Il a appris tout le fonctionne- Nous le poussons à acquérir le plus d’indépendance et d’auto-
ment d’un ordinateur : créer un dossier, enregistrer, imprimer, nomie possibles, malgré les obstacles consécutifs à sa dys-
etc. À son entrée en 6e, il était parfaitement autonome dans la praxie. L’autonomie ne se conçoit sans une certaine
gestion de son ordinateur portable et notait ses cours dessus. motivation de l’enfant et elle contribue à la construction
Les troubles visuospatiaux s’exprimaient moins, car il avait de sa personnalité [30].
appris à compenser en décrivant dans sa tête les dessins, et les Au fil des séances d’ergothérapie, l’enfant puis l’adolescent
schémas. Il les reproduisait toujours approximativement mais apprend à connaı̂tre ses difficultés – qu’elles soient gestuelles,
suffisamment pour faire illusion. visuospatiales ou exécutives – et à les contourner. Malgré
C’est alors que nous avons été confrontés à une symptoma- tout, les adolescents et les adultes dyspraxiques restent
tologie que nous avions jusqu’à présent compensée pour lui. fatigués après une journée de travail à laquelle succèdent
Hugo était totalement désorganisé, bien plus qu’un élève sports et loisirs créatifs, même s’ils y mettent toute leur bonne
ordinaire de 6e : il ne savait pas à quelle date noter ses volonté, car les processus de compensation sont réalisés de
devoirs, ne prenait pas le bon matériel pour les bons cours, manière consciente et volontaire, rarement complètement
ratait l’horaire de ses entraı̂nements de foot, ne savait pas automatisés. Il s’avère difficile pour eux d’envisager la cons-
préparer son cartable ou son sac pour partir chez ses grands- truction de leur projet de vie : le plus souvent, ils s’éloignent
parents, etc. Un trouble dysexécutif a été mis en évidence. des professions faisant appel à des activités motrices comple-
L’ergothérapeute a alors travaillé avec Hugo à la fabrication xes et des activités constructives telles que le dessin, l’archi-
de check-lists qu’il devait suivre point par point pour préparer tecture, le design, le paysagisme et s’orientent vers des

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activités et des professions qui savent mettre en avant leurs [15] Béguet M, Albaret J-M. Étalonnage du Purdue Pegboard sur une
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