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Equilibres et déséquilibres dans l’alimentation des jeunes étudiants :

proposition d’un modèle conceptuel

Andréa Gourmelen *

Maître de Conférences

Université Montpellier, laboratoire MRM

Angélique Rodhain

Maître de Conférences

Université Montpellier, laboratoire MRM

* Université Montpellier - IUT Montpellier-Sète, 99 avenue d’Occitanie 34296 Montpellier

Cedex 5.
Equilibres et déséquilibres dans l’alimentation des jeunes étudiants : proposition d’un
modèle conceptuel

Résumé:

A partir de l’analyse de 36 entretiens semi-directifs, cette recherche montre la pertinence du

modèle du life course paradigm (Moschis, 2007) pour comprendre l’évolution du comporte-

ment alimentaire des jeunes étudiants, en fonction de leur départ du foyer familial. Les com-

portements alimentaires les plus sains semblent provenir d’un capital humain développé (con-

naissances et compétences acquises par le passé) et du rôle de la famille. Inversement, les

choix non sains proviendraient essentiellement d’un faible capital humain, de l’influence des

pairs et de stratégies de coping pour faire face au stress engendré par la gestion des res-

sources.

Mots-clés : alimentation, étudiants, entretiens, décohabitation, parcours de vie

Young students’ healthy and unhealthy feeding behavior: Proposition for a conceptual

model

Abstract:

From the analysis of 36 semi-structured interviews, this research emphasizes the pertinence of

the life course paradigm (Moschis, 2007) for the understanding of young students’ feeding

behavior according to a specific life event: living the home of origin. The results show that

healthy behaviors are linked to a strong human capital (knowledge and skill) and the role of

parents. Whereas unhealthy behaviors are more linked to the role of peers and to the presence

of coping strategies that appear to reduce the stress associated to ressource management.

Keywords: food, students, interviews, life course perspective, living the home of origin
Equilibres et déséquilibres dans l’alimentation des jeunes étudiants : proposition d’un
modèle conceptuel

Introduction
« Stabiliser la prévalence de l’obésité et réduire le surpoids chez les adultes. Diminuer la
prévalence de l’obésité et du surpoids chez les enfants et les adolescents ». Ces objectifs
phares du Programme National Nutrition Santé (PNNS) 2011-20151 traduisent une focalisa-
tion sur l’équilibre alimentaire durant trois grandes périodes de vie : l’enfance, l’adolescence
et l’âge adulte. En effet, les bonnes habitudes alimentaires s’acquièrent dès l’enfance et se
transmettent à l’âge adulte (Ayadi et Brée, 2010 ; Escalon et Beck, 2013). Cependant, qu’en
est-il de la période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte, plus particulièrement chez
les jeunes étudiants ? Certains sociologues, démographes et études gouvernementales
s’accordent sur l’existence d’une phase de transition entre l’adolescence et l’âge adulte, dans
laquelle l’individu est un « jeune adulte » ou « adulte émergent » (Cicchelli, 2001 ; Jauneau,
2007 ; Moulin, 2012). Or, si les jeunes adultes font l’objet d’études et statistiques spécifiques
dans le cadre de l’insertion sociale (Jauneau, 2007 ; Solard et Coppoletta, 2014), de l’habitat
(Ménard et Vallet, 2012) ou encore de la sécurité routière (Observatoire National Interminis-
tériel de la Sécurité Routière, 2013), ils ne sont pas considérés par le PNNS comme une popu-
lation spécifique. En effet, les guides et conseils relatifs à la nutrition s’adressent soit aux ado-
lescents (12-18 ans), soit aux adultes (18-50 ans). Plus précisément, les arguments développés
au sein de ces guides semblent destinés d’une part aux collégiens, voire lycéens (« Peut-être
que les autres te traitent de minus au collège parce que tu es un peu moins baraqué
qu’eux »)2 ; d’autre part aux adultes ayant une vie familiale stable (« Le bien-être alimentaire
de votre famille est pour vous une priorité ? mais pensez-vous également au vôtre ? »)3.
Ainsi, les jeunes adultes ont jusqu’à présent peu intéressé les recherches sur l’alimentation et
actions du PNNS, alors qu’ils se situent dans une période charnière, durant laquelle ils sont
amenés à prendre en charge tout ou partie de leur alimentation selon leur degré de décohabita-
tion (c’est-à-dire qu’ils aient quitté ou non la résidence familiale). Or, cette nouvelle autono-
mie donnerait naissance à un rapport paradoxal à l’alimentation. Cette période présente la par-
ticularité d’être celle où les individus perçoivent manger le moins équilibré 4. En effet, ils pri-
vilégient la praticité (Marquis, 2005), le plaisir et la liberté (Cailliez et al., 2014), après avoir

1
http://www.mangerbouger.fr/PNNS/Le-PNNS/Les-objectifs-de-sante-publique
2
J’aime manger, j’aime bouger, le guide nutrition pour les ados, p13
3
http://www.mangerbouger.fr/Manger-Mieux/Manger-mieux-a-tout-age/Adultes
4
Selon l’Observatoire de la Jeunesse, 2012, numéro 7.

1
subi l’alimentation imposée par les parents et les institutions scolaires. Paradoxalement, c’est
une période où les individus vouent une grande importance à leur apparence physique (Diasio,
2014), jusqu’à développer presque une phobie de l’obésité (Cailliez et al., 2014). Cette con-
tradiction peut être explorée par la théorie du parcours de vie (Moschis, 2007) qui, à notre
connaissance, n’a jamais été appliquée au comportement alimentaire des jeunes adultes ame-
nés à devenir autonomes. Pourtant, les étudiants seraient conscients de vivre une période de
transition particulière (Moulin, 2012). Cette recherche propose ainsi d’explorer ce qui façonne
les choix alimentaires des étudiants à cette période plus ou moins marquée par un événement
de vie : le départ du foyer familial.

1. Théorie du parcours de vie appliquée aux jeunes étudiants

Selon la perspective du parcours de vie, un comportement ne peut s’étudier de façon isolée.


Les changements de comportement d’un individu trouvent leurs sources dans ses expériences
passées, les relations qu’il entretient avec les groupes sociaux auxquels il appartient et le con-
texte dans lequel ces changements opèrent. La perspective du parcours de vie intègre des
théories complémentaires issues de la psychologie, de la sociologie ou encore de la psychia-
trie (De Montigny et de Montigny, 2014). Tout d’abord, l’individu connaît des stades de dé-
veloppement tout au long de sa vie et non seulement jusqu’à l’âge adulte comme l’avançait
Piaget. Selon le concept de life span (ou durée de vie), les événements de vie ont des réper-
cussions jusqu’à la mort. Ensuite, selon le concept de l’agency (ou agentivité), l’individu fait
preuve de réflexivité en interprétant les changements auxquels il fait face et il y réagit en
s’ajustant (coping). Enfin, la trajectoire de vie est liée aux interactions sociales que connaît
l’individu, notamment avec la famille et les pairs (la socialisation). Soulignons que cette tra-
jectoire est liée, de façon plus large, au contexte historique et social dans lequel l’individu
évolue. La complexité de la perspective du parcours de vie rend malaisée son application de
façon complète, tant les variables sont multiples et inter-reliées. C’est ainsi qu’il faut la com-
prendre comme un cadre à adapter en fonction de la problématique et de la cible étudiée. Ce-
pendant, elle s’est avérée efficace, par exemple pour mieux comprendre, grâce à l’étude sys-
tématique de cohortes sur plusieurs années, l’impact du contexte politico-social sur le passage
à l’âge adulte (Shanahan, 2000) ou l’addiction à la cigarette en liant des variables tant psycho-
logiques que démographiques et sociologiques (Chen et Jacques-Tiura, 2014).

1.1 La théorie du parcours de vie en comportement du consommateur

2
La théorie du parcours de vie a été adaptée en comportement du consommateur, discipline
dans laquelle elle est abordée comme un cadre théorique servant de modèle conceptuel de
base pour l’élaboration d’études quantitatives relatives à un comportement de consommation
précis. Selon Moschis (2007), le parcours de vie (life course paradigm) constitue un cadre
théorique pertinent pour appréhender les phénomènes de consommation, notamment les évo-
lutions dans les choix réalisés tout au long de la vie, en insistant sur les expériences passées.
L’auteur a ainsi proposé un modèle intégrateur comportant trois processus. (1) Selon une
perspective normative, certains événements de la vie servent de passage dans des rôles nou-
veaux (tels que le fait de devenir parent, ou encore le départ à la retraite) et c’est par le pro-
cessus de socialisation que les individus vont acquérir les compétences et attitudes de con-
sommation relatives à ce nouveau rôle. (2) Selon la perspective du stress, les différents évé-
nements de la vie créent des déséquilibres. Par le processus de coping, les individus
s’adaptent à ces évolutions. (3) Enfin, selon la perspective du capital humain, les individus
ont acquis tout au long de leur vie des compétences et connaissances de consommation grâce
aux liens qu’ils ont entretenus avec les groupes proches (famille, pairs) et dans leur culture.
Ces trois perspectives doivent être prises en compte conjointement afin de comprendre com-
ment un événement de vie survenu en t1, va engendrer des comportements de consommation
en t2 (figure 1).

Capital
humain

Evénement de
vie (T1) Comportement
Stress
de consommation
(T2)
Processus de
socialisation

Figure 1 : Théorie du parcours de vie (adaptation de Moschis, 2007 ; Benmoyal-Bouzaglo et


Moschis, 2009)

Si la théorie du parcours de vie a été utilisée pour comprendre la consommation de personnes


âgées suite aux événements clés du vieillissement, tels que la retraite (Guillemot, 2010), le
cadre générique de Moschis (2007) est valable pour tout événement de vie, quel que soit l’âge
des individus étudiés. Chez les jeunes adultes, ce cadre a d’ailleurs été mobilisé pour expli-

3
quer l’adoption de valeurs matérialistes (Benmoyal-Bouzaglo et Moschis, 2010) et la con-
sommation compulsive (Benmoyal-Bouzaglo et Moschis, 2009). Dans les deux cas, les « évé-
nements de vie » étudiés ont été réduits à la question de l’explosion de la cellule familiale due
à divers aspects tels que les divorces ou séparations.

1.2 La décohabitation, événement de vie caractéristique des jeunes étudiants

Si la littérature semble unanime sur l’existence d’une période de transition entre l’adolescence
et l’âge adulte (Cicchelli, 2001 ; Jauneau, 2007 ; Moulin, 2012), les jeunes adultes sont une
population difficile à définir en termes d’âge. Les études les plus récentes évoquent les 16-30
ans (Solard et Coppoletta, 2014), ce qui a pour inconvénient d’étudier conjointement des étu-
diants, des lycéens ainsi que des personnes entrées sur le marché du travail. Il n’y aurait donc
pas de consensus sur les limites d’âge de cette phase charnière, mais plutôt une succession
d’événements caractéristiques de celle-ci, dont la fin des études, le départ du foyer familial, le
mariage ou le premier enfant (Shanahan, 2000 ; Solard et Coppoletta, 2014). Cette recherche
s’intéresse principalement à l’un des événements intervenant en amont du passage à l’âge
adulte : la décohabitation, ou départ du foyer familial. Dans le cas des étudiants, celle-ci
s’avère souvent partielle : elle ne suppose pas une totale indépendance, notamment financière,
mais est nécessaire pour se rapprocher du lieu d’études (Séné et Cordazzo, 2014). 61% des
étudiants vivraient de manière indépendante (ni chez les parents, ni dans un internat), seuls ou
à plusieurs durant la période universitaire (Ronzeau et Van de Velde, 2014). Ils sont alors
amenés à s’autonomiser et ont véritablement conscience de vivre une phase de transition
(Moulin, 2012). Ces éléments convergent vers l’importance du départ du foyer comme un
événement de vie caractéristique du début de la phase de transition entre adolescence et âge
adulte, potentiellement source de stress pour l’individu et conduisant à une redéfinition des
rôles, notamment en tant que décideur autonome de sa consommation alimentaire.

L’objectif de cet article consiste alors à déceler les variables les plus influentes sur le compor-
tement alimentaire suite au départ du foyer. Pour ce faire, il convient d’adapter le modèle in-
tégrateur de Moschis (2007) à l’alimentation du jeune étudiant décohabitant, c’est-à-dire
ayant récemment quitté le cocon familial.

2. Méthodologie

Si le modèle intégrateur de Moschis (2007) permet de modéliser les diverses influences pou-
vant s’exercer sur le comportement du consommateur lors d’une phase d’adaptation à un évé-

4
nement, il convient de préciser ses limites méthodologiques, qui permettent de comprendre le
choix d’une recherche à visée exploratoire. En effet, Guillemot (2015) note que cette théorie
combine des concepts issus de diverses disciplines et par conséquent de paradigmes épistémo-
logiques qui peuvent entrer en conflit. Selon cet auteur, la théorie du parcours de vie peut ain-
si servir de cadre de référence en comportement du consommateur uniquement si elle n’est
pas considérée comme une théorie unifiée. En effet, le modèle demeure générique. En fonc-
tion du comportement étudié, le capital humain, le coping face au stress et le processus de so-
cialisation peuvent respectivement jouer un rôle plus ou moins important dans
l’aboutissement du comportement. Il n’y a pas nécessairement une influence égale de ces trois
éléments. Il en résulte la nécessité d’adapter le modèle au comportement étudié. D’où le choix
d’une étude exploratoire, afin d’aboutir à un modèle conceptuel adapté à l’alimentation du
jeune étudiant en phase de transition vers l’âge adulte. Par conséquent, une méthodologie qua-
litative reposant sur des entretiens semi-directifs a été privilégiée.

2.1 Choix de l’échantillon

La jeunesse étant un concept comprenant des réalités multiples, nous avons fait le choix de
concentrer cette étude qualitative sur la cible des étudiants de premier cycle, considérée
comme pertinente car spécifique pour l’étude des habitudes alimentaires (Rozin et al., 2003).
Les étudiants sont ainsi considérés comme un groupe social à étudier de façon spécifique
(Béguinet, 2013) car présentant notamment une gestion spécifique du quotidien dont
l’alimentation fait partie. En outre, bien que l’événement de vie de départ nous intéressant
étant le départ du foyer familial, notre échantillon comporte aussi bien des étudiants ayant
quitté ce foyer que ceux y résidant encore, pour pouvoir effectuer des comparaisons lorsque
nécessaire. En outre, la décohabitation est reconnue comme un processus évolutif (Ramos,
2001), dans lequel le jeune adulte voit son autonomie s’amplifier. C’est ainsi que les étudiants
vivant en appartement déclarent tous rentrer de façon plus ou moins régulière chez leurs pa-
rents (week-end, vacances), ce qui est cohérent avec la littérature antérieure sur le sujet (Séné
et Cordazzo, 2014). Au total, 36 étudiants de 18 à 22 ans, alors au niveau bac+1 à bac+3 de
diverses filières ont été interrogés (annexe 1 – Liste des entretiens). L’échantillon est varié en
termes de sexe (18 femmes et 18 hommes) et de situation de résidence (14 vivent encore en
famille, 22 vivent en appartement ou résidence universitaire).

Les répondants ont été recrutés et interrogés par des étudiants de même âge, dans le cadre
d’un cours de méthodologie de recherche. Ce choix résulte, outre la facilité de recrutement et

5
de gain de temps, du désir de limiter le biais de sélection et de désirabilité sociale entre un
chercheur et un jeune. Les interviewers, formés au préalable à la technique d’entretiens semi-
directifs, étaient amenés à instaurer un climat de confiance avec leurs répondants.

2.2 Méthode d’analyse

Les entretiens (d’une durée moyenne de 30 minutes chacun), intégralement enregistrés (an-
nexe 2 – guide d’entretien), puis retranscrits (environ 196 pages de retranscription soit 98300
mots) ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique à l’aide du logiciel NVivo11 (an-
nexe 3 – évaluation de la recherche selon les critères de qualité de Miles et Huberman, 2003).
Ce logiciel nous a facilité le travail de comparaison entre décohabitants et non-décohabitants
et également permis d’appréhender le lien entre les variables du modèle théorique en croisant
certains thèmes à travers des matrices. Plus précisément, deux types de requêtes d’encodage
matriciel ont été effectuées : des requêtes classiques (type « and ») permettant de croiser
codes et attributs5 (tableaux n°1, 2, 4, 5, 7) et des requêtes de contenu proche (de type
« near »), permettant de croiser des codes entre eux (tableaux n°3, 6). L’objectif de ce type de
requête est de déceler le nombre d’individus parlant de deux thématiques (ex : stress temporel
et repas sautés) dans un même entretien (requête near de type « in same scope item ») ou au
sein d’une même partie d’entretien, telle qu’un paragraphe (requête near de type « in custom
context» au maximum soit 99 mots)6. Les objectifs de chaque requête étant différents, il
s’avère parfois pertinent de mettre en avant le nombre de verbatims, parfois le nombre de per-
sonnes concernées par chaque croisement. Pour chaque tableau, l’unité choisie (verbatims ou
individus) est ainsi précisée. En complément, des requêtes de fréquence de mots ont été effec-
tuées pour comparer le vocabulaire employé par les étudiants s’exprimant sur leurs rôles so-
ciaux et situations de consommation alimentaire. Ces analyses ont été réalisées dans un objec-
tif exploratoire : la quantification des résultats ne sert pas de confirmation à des hypothèses
posées mais vient illustrer l’ampleur du phénomène mis en exergue par l’analyse.

3. Résultats

3.1 Le départ du foyer : un événement de vie bouleversant l’alimentation

Devenir étudiant et majeur marque le début de l’indépendance, que l’individu demeure chez
ses parents ou non. En termes d’alimentation, les jeunes vivant chez leurs parents se sentent
5
Sont considérés comme attributs des variables fixes de type socio-démographique caractérisant l’individu
(genre, décohabitation ou non, âge, niveau d’études…)
6
http://help-nv11.qsrinternational.com/desktop/deep_concepts/combine_criteria_in_queries.htm

6
effectivement plus libres qu’au lycée, notamment le midi, en raison de leur statut d’étudiant.
Leur alimentation du soir demeure néanmoins dictée par les parents « Au niveau de l'alimen-
tation, pas grand chose étant donné que je vis toujours avec ma mère. Sauf que je ne mange
plus à la cantine, donc le midi c'est plus agréable de manger » (Caroline, 19 ans, bac+1).
Chez les décohabitants, la liberté est perçue à chaque repas de la journée : « Je suis étudiant,
ça fait deux ans que j'ai mon appartement, ça fait deux ans que je fais un peu ce que je veux »
(Charles, 21 ans, bac+3). Ainsi, en termes d’alimentation, la décohabitation semble avoir un
impact plus fort que le simple passage de lycéen à étudiant. En effet, les étudiants décohabi-
tants doivent gérer eux-mêmes leur alimentation toute la semaine. D’ailleurs, ils s’expriment
davantage sur le sujet de l’alimentation (le nombre de verbatims est plus important chez les
décohabitants, quelle que soit leur perception de leur alimentation – tableau 1).

CHEZ PARENTS DECOHABITANTS


n=14 n=22
Nombre de Individus7 Nombre de Individus
Perception de sa propre alimentation verbatims verbatims
Plutôt déséquilibrée 7 4 (29%) 20 7 (32%)
Plutôt saine ou équilibrée 18 10 (71%) 23 11 (50%)
Variable - faire ce qu'on peut - essai 12 8 (57%) 29 15 (68%)
d'équilibre pas toujours réussi
Perception de son alimentation de ma- Nombre de Individus Nombre de Individus
nière comparative verbatims verbatims
Comme les autres jeunes 6 5 (36%) 12 9 (41%)
Mieux que les autres jeunes 7 5 (36%) 12 6 (27%)
Mieux que parents 3 1 (7%) 0 0 (0%)
Moins bien que parents 2 2 (14%) 11 8 (36%)
Tableau 1 : Perception par les étudiants de leur propre alimentation

Si le nombre de verbatims reflétant une alimentation perçue comme plutôt équilibrée est rela-
tivement élevé dans les deux catégories d’étudiants, les étudiants vivant chez leurs parents ont
une vision globalement plus positive de leur alimentation que les autres. En revanche, les dé-
cohabitants semblent davantage conscients de la difficulté de maintenir un certain équilibre
alimentaire au quotidien (29 verbatims contre 12). Paradoxalement, la perception de leur
propre alimentation s’avère plus positive lorsqu’ils se comparent aux jeunes de leur âge. S’ils
avouent commettre des erreurs, ils jugent néanmoins leur alimentation comme équivalente à
celle des autres jeunes : « Bah après dans mon entourage, je pense qu’on est à peu près tous

7
Les résultats relatifs au nombre d’individus sont traduits en pourcentages pour améliorer la lisibilité compara-
tive (et non pour en tirer des conclusions statistiques) car les deux sous-échantillons sont de taille différente.

7
pareils, on a les mêmes galères » (Marie, 22 ans, bac+2) ; voire meilleure : « Je trouve que
j’ai une alimentation pas mal, par rapport aux autres étudiants que je côtoie, parce que je ne
bois pas de soda, je mange rarement au fast-food […] même si j’ai la flemme de me faire à
manger » (Kévin, 22 ans, bac+2). Quant aux étudiants vivant chez leurs parents, l’examen des
verbatims révèle qu’ils ne se comparent pas entre eux, mais avec les jeunes décohabitants. Ils
affirment ainsi que grâce à leurs parents, leur alimentation est plus équilibrée que les décoha-
bitants : « Je pense que ceux qui vivent avec leurs parents, comme moi, ont une alimentation
assez équilibrée, car ils sont encore encadrés par leurs parents. [Et ceux qui vivent seuls ?]
Pour eux c'est plus compliqué, car ils gèrent eux-mêmes leur alimentation. Ils ont un budget à
respecter et en général ils mangent à la va-vite car avec les cours c'est compliqué » (Caroline,
19 ans, bac +1). Inversement, les décohabitants se comparent volontiers à leurs parents et es-
timent que ces derniers ont un bien meilleur équilibre alimentaire qu’eux : « Quand je vois
comment je mange chez moi et comment je mange avec mes parents, forcément je trouve que
mon alimentation n’est pas saine, je trouve que je mange plus qu’eux et je ne mange pas for-
cément des aliments très équilibrés » (Olivier, 19 ans, bac+1).
Ainsi, au-delà du fait de devenir étudiant, le fait de quitter le foyer familial a bien une inci-
dence sur les comportements alimentaires. Examinons à présent les mécanismes par lesquels
cette influence s’exerce, au regard des éléments du life course paradigm de Moschis (2007), à
savoir le stress, le capital humain et le processus de socialisation.

3.2. Un stress lié à la gestion des ressources spécifique à la décohabitation

Si la littérature évoque des stratégies de coping liées au stress engendré par tout événement de
vie, l’analyse des résultats montre les spécificités du stress chez les décohabitants. Celui-ci
n’est pas lié au départ du foyer à proprement parler, mais davantage à la gestion des res-
sources au quotidien. En effet, ce début d’autonomisation amène à gérer des ressources limi-
tées : le temps et l’argent. D’autres facteurs apparaissent davantage comme des freins à la li-
berté de s’alimenter des étudiants que comme des phénomènes de stress (liés à la décohabita-
tion). Il s’agit de la peur de grossir ou des répercussions physiques de l’alimentation : « Je me
sens libre de manger ce que je veux tout en réduisant certaines semaines parce que sinon je
grossis et l’été en maillot c’est pas top » (Jeanne, 19 ans, bac+1) ; et de la peur des maladies :
« On peut avoir après des maladies comme le cholestérol et je n’ai pas envie d'avoir ce genre
de maladies plus tard à cause d'excès que j'aurais fait dans ma jeunesse » (Floriane, 19 ans,
bac +1). Cependant, pour ce dernier point, 14 individus expriment davantage une conscience
de l’impact de l’alimentation sur la santé sans peur réelle de contracter une maladie à cause de

8
certains comportements alimentaires : « Tout ce qui pousse naturellement, qui n’est pas culti-
vé […] avec des produits chimiques, je pense que c’est un peu moins mauvais pour la santé »
(Joris, 19 ans, bac+1). Seuls les stress temporel et financier apparaissent relatifs à l’événement
de vie que constitue le départ du foyer familial au sens où ils s’avèrent plus prononcés chez
les décohabitants (tableau 2).

CHEZ PARENTS DECOHABITANTS


n=14 n=22
Nombre de verbatims
Stress financier 14 32
Stress temporel 5 28
Peur de grossir - répercussions physiques 33 31
Peur des maladies 25 31
Conscience du lien alimentation - santé sans peur 4 17
Tableau 2 : Stress engendré par la décohabitation et freins à la liberté de s’alimenter

Pour refléter au mieux la réalité et montrer en quoi des comportements alimentaires non sains
peuvent être considérés comme des stratégies de coping face au stress ressenti par les décoha-
bitants, nous avons réalisé une requête d’encodage matriciel dans le but de prendre en compte
uniquement les verbatims traitant des deux thématiques (stress et comportements alimen-
taires) dans un même paragraphe (tableau 3).

Stress financier Stress temporel


Critères de choix d'aliments nombre de verbatims
Consistance 8 5
Prix 29 7
Rapidité (à manger ou préparer) 16 23
Comportements liés à la fréquence de repas nombre de verbatims
Grignotage entre les repas 6 8
Grignotage qui remplace un repas 0 2
Faible grignotage 6 0
Présence repas sautés 4 5
Tableau issu d'une requête d'encodage matriciel de type "near - in custom context" dans un périmètre de 99
mots - sur l'échantillon de décohabitants (22 étudiants)
Tableau 3 : Stratégies de coping face aux stress financier et temporel

Les stress temporels et financier conduisent les décohabitants à des stratégies de coping rela-
tives à des comportements alimentaires plutôt déséquilibrés, ce qui se traduit (outre par le
nombre de verbatims) dans le contenu de leurs propos : « C'est facile à dire, mais encore faut-
il avoir assez d'argent pour faire ça, parce que 5 fruits et légumes par jour... Enfin quand
même les fruits et les légumes c'est pas donné non plus, à part si c'est en boîte » (Alison, 19
ans, bac+1) ; « Quand je rentre tard et tout ça, fatiguée et tout, je me vois pas éplucher les
patates et compagnie » (Agathe, 19 ans, bac+1). Ils vont ainsi opter pour des critères de choix

9
d’aliments tels que la consistance, le prix, la rapidité de cuisson, pour tenter d’optimiser leurs
ressources financières ou temporelles : « j’ai mangé des gâteaux, des petites gaufres, de la
brioche… c’est des choses sucrées dans la journée, je n’ai pas trop le temps de faire à man-
ger je travaille pas mal » (Bastien, 22 ans, bac+1). Ils vont également adopter des comporte-
ments non sains relatifs au rythme des repas (grignotage, repas sautés), ce qui apparaît en lien
avec les premiers comportements. En effet, le jeune décohabitant souhaite combler la pénurie
de temps et d’argent. Ainsi, il achète des aliments peu chers mais le plus consistants possible
pour pouvoir les manger sur le pouce, sautant alors de vrais repas. Notons néanmoins que
dans certains cas, le stress financier peut inversement conduire à un comportement alimentaire
sain : la limitation du grignotage : « Quand j'ai vraiment trop faim, y a une petite machine dis-
tributeur de gâteaux, ça m'arrive de prendre des petits biscuits secs, que je trempe dans le ca-
fé exactement, […] mais ça n'arrive pas tout le temps parce que ça a un coût […] donc ça ar-
rive, on va dire, une ou deux fois par mois » (Christopher, 18 ans, bac+1).

3.3. Le capital humain : un capital essentiellement culinaire

Le capital humain est l'ensemble des aptitudes, talents, qualifications et expériences accumu-
lés par un individu (Guillemot, 2010 :74). En ce sens, les acquis du passé vont servir aux dé-
cohabitants qui vont puiser dans leur savoir-faire culinaire, connaissances et affects alimen-
taires liés à leur propre vécu ; pour faire face aux bouleversements engendrés par la décohabi-
tation. Outre les connaissances en termes d’alimentation saine : « boire beaucoup d’eau,
manger plus le midi et moins le soir » (Ophélie, 18 ans, bac+1), qui semblent admises tels des
principes généraux, sans mention de la source de ces connaissances (famille, médias,
école…), le capital humain acquis à ce stade par les répondants semble avant tout transmis par
les parents. Ces derniers ont voulu transmettre à leurs enfants des valeurs, liées au comporte-
ment à table, à l’équilibre alimentaire, au savoir-faire culinaire, ou à l’amour des bons pro-
duits. D’autres éléments semblent avoir été transmis involontairement. Par imitation, les ré-
pondants disent avoir acquis certaines habitudes de leurs parents, comme les horaires des re-
pas ou la fréquence de consommation de certains types d’aliments : « Les féculents, dans ma
famille on en mange beaucoup avec les pâtes et les pommes de terre. Du coup, c’est devenu
une habitude, je me demande même pas pourquoi j’en mange » (Charlotte, 20 ans, bac+2).
Les habitudes et valeurs transmises par les parents semblent varier selon le sexe de leur en-
fant. Les femmes semblent davantage avoir appris à aimer les produits de qualité et à les tra-
vailler tout en limitant les plus néfastes pour la santé, comme les sodas. Les hommes semblent

10
plus marqués par des notions d’équilibre alimentaire (entre viande, légumes, féculents) et

d’alimentation variée. Le capital culinaire apparaît plus élevé chez les femmes, qui ont davan-

tage appris à cuisiner avec leurs parents (essentiellement des plats basiques), contrairement
aux hommes, déclarant plus souvent avoir appris seuls à cuisiner (tableau 4)8.

Valeurs ou habitudes
FEMMES HOMMES
transmises par les parents Exemples de verbatims
n=18 n=18
dans le passé
indivi- verba- verba-
Relatives à l'alimentation individus
dus tims tims
J’ai aussi appris à apprécier le goût des
Plaisir des bons produits 9 14 3 3 épices grâce à mon père (Hannah, 19
ans, bac+1)
Ils m’ont appris dès mon plus jeune âge
à toujours tout goûter et en manger un
Diversification de l'alimenta-
5 6 7 9 peu même si j’aimais pas. A force mon
tion palais s’est habitué à tous les aliments
(Ray, 18 ans, bac +1)
Ils m’ont toujours dit […] d’avoir des
repas équilibrés, essayer d’alterner
Equilibre alimentaire 5 6 11 13 entre le poisson, la viande, les légumes,
les féculents (Albert, 19 ans, bac+1)
Des régimes que mes parents me […]
Faire des régimes - surveiller conseillaient, trois semaines, un mois
1 1 1 1 mais après ça repartait comme avant
le poids
(Lydie, 19 ans, bac+1)
Les sodas c’était que lors des occa-
sions, comme les sirops. Ma mère
fixait des règles, et nous disait : vous
Limiter certains produits 10 14 7 15 pourrez boire de ça quand vous n’êtes
pas sous mon toit ou quand vous serez
sous le vôtre (Océane, 20 ans, bac+2)
Ah bah non quand j'étais petit, j'avais
Produits interdits (alcool-
6 8 8 10 pas le droit de boire des boissons donc
soda) c'était de l'eau (Charles, 21 ans, bac+3)
indivi- verba- verba-
Relatives à la cuisine individus
dus tims tims
Mes parents ne se sont jamais intéres-
sés à m’apprendre à cuisiner mais j’ai
Absence de transmission (ap-
6 9 9 9 appris à cuisiner seul grâce à internet.
prentissage seul de la cuisine) J’aime surtout faire des desserts (Jean,
18 ans, bac+1)
C'est mon père qui m'a appris à cuisiner
[…] des tartines, par exemple, avec
Cuisine de base 7 13 5 7 plein d'aliments dessus. Comme des
tomates, des œufs, de la salade (Flora,
20 ans, bac +1)
Maintenant, mes plats sont variés, je
peux faire des plats simples comme ma
Cuisine élaborée 4 5 3 3 mère (plus typiquement français), et
des plats plus exotiques, que je tiens de
mon père (Hannah, 19 ans, bac +1)

8
Cette question a été posée à tous les étudiants, décohabitants et vivant chez leurs parents. Les données du ta-
bleau 4 concernant le passé des étudiants et non leur vie actuelle, elles sont basées sur les 36 entretiens.

11
J’ai appris en regardant mes parents
Transmission en regardant 2 3 3 3 faire (Kévin, 22 ans, bac+2)
Relatives au comportement lors indivi- verba- verba-
individus
des repas dus tims tims
Le déjeuner, c’était obligatoire, sinon
Horaires repas - rythme - res-
10 21 9 14 je ne pouvais pas partir de la maison
pect 4 repas - bien se tenir (Célia, 19 ans, bac+1)
Requête classique sur la base des 36 entretiens
Tableau 4 : Valeurs et habitudes alimentaires acquises selon le genre

Cependant, les décohabitants révèlent un décalage entre les valeurs et habitudes transmises et
celles effectivement répétées dans leur propre logement : « Ce qu’ils voulaient me transmettre
ou ce qu’ils m’ont vraiment transmis ? Ce qu’ils voulaient me transmettre, c’est plutôt équili-
bré… mais ça ne se traduit pas vraiment dans les faits, je fais des pâtes, de la bouffe plutôt
rapide quoi ! » (Charles, 21 ans, bac+3). Certaines sont plus faciles à mettre en œuvre car im-
pliquent moins à l’étudiant de se discipliner à chaque repas (goût pour des produits de qualité,
fréquence de consommation de certains aliments ou diversification de sa nourriture). Celles
qui sont jugées les plus difficiles à mettre en œuvre sont celles impliquant un certain engage-
ment sur le long terme (maintenir un équilibre, un rythme de vie). Le capital humain au sens
des acquis issus du contexte familial aide ainsi les étudiants décohabitants à adopter les com-
portements alimentaires sains jugés les plus faciles à mettre en œuvre (tableau 5).

Reproduction d'habitudes familiales OUI NON ou difficilement


DECOHABITANTS FEMMES HOMMES FEMMES HOMMES
Les plus ancrées - plus faciles à reproduire
Aimer les bons produits 8 1 0 0
Eviter / limiter certains aliments 4 1 1 0
Habitude de manger certains aliments 4 1 0 0
Horaires - durée repas - manger à table 3 5 1 1
Manger de tout - manger varié 2 3 0 0
Les moins ancrées - plus difficiles à reproduire
Manger équilibré - des fruits et légumes 2 1 3 3
Manger consistant - manger à chaque repas 0 1 3 0
Cuisiner soi même 0 0 1 0

Changement total d'habitudes 2 2 0 0


Tableau issu de 2 requêtes d'encodage matricielles classiques sur les décohabitants (en nombre de verbatims)
Tableau 5 : reproduction des habitudes alimentaires familiales selon le genre

3.4. Un processus de socialisation impliquant de multiples rôles

Le dernier élément de la théorie du parcours de vie est le processus de socialisation. En effet,


certains événements de vie servent de transition vers de nouveaux rôles ; ici, celui d’adulte

12
autonome. Les entretiens révèlent que pour arriver à ce nouveau rôle, le jeune adulte va, du-
rant cette phase de transition, vivre un processus de socialisation dans lequel plusieurs rôles
lui sont assignés : jeune solitaire, jeune couple, jeune en collectivité, jeune libre, enfant chez
ses parents. Ces divers rôles sont plus ou moins développés selon l’habitat de l’étudiant (dé-
cohabitant ou non). Les rôles impliquant de manger seul ou de recevoir concernent davantage
les décohabitants, mais ne sont pas totalement absents chez les étudiants vivant chez leurs pa-
rents. En effet, ces derniers bénéficient d’une relative autonomie au sein du foyer familial, où
il leur arrive de manger seul ou d’inviter des amis « Oui, pour des grillades entre amis, et je
prends ce que tout le monde veut » (Justine, 18 ans, bac+1). Aussi, le fait de manger chez ses
parents concerne dans une moindre mesure les décohabitants (lors de week-ends ou va-
cances). « Le week-end, tu sais, c’est partagé entre les repas chez mes parents et ceux chez les
parents de mon copain, du coup c’est toujours des gros plats bien consistants à partager en
famille » (Océane, 20 ans, bac+2).

Cette diversité de rôles sociaux entraîne une diversité de comportements alimentaires plus ou
moins sains en fonction du rôle joué. Des requêtes de fréquence de mots 9 permettent de visua-
liser les différences, car le vocabulaire employé n’est pas le même selon le rôle. Si le repas
chez les parents (le week-end ou le dimanche) est perçu comme à la fois équilibré et consis-
tant, avec des plats préparés par la mère essentiellement, couplés à des apéritifs en famille ; le
repas entre amis, surtout lors de sorties (le jeudi), est marqué par une forte alcoolisation, prin-
cipalement en consommant de la vodka et des bières, des fast-foods en soirée ou sandwichs le
midi. Le rôle de jeune couple permet de tenter de s’équilibrer à deux, de trouver un juste mi-
lieu entre les repas au restaurant et le fait de cuisiner chez soi. Il en va de même pour le rôle
de jeune étudiant en collectivité. Le restaurant universitaire ou la cantine apparaît comme le
lieu où il est plus facile d’essayer d’équilibrer ses repas, de faire attention à son alimentation,
de gérer les tentations comme les frites. En revanche, le rôle de jeune solitaire apparaît
comme celui dans lequel l’individu dit manger ce qu’il aime, ce qu’il apprécie, mais semble
peu manger, car il est seul pour se faire à manger, mange tard et doit gérer un budget serré.
Les pâtes, vues comme peu chères et consistantes, sont très consommées, tout comme l’eau.
Cette dernière n’est pas principalement consommée pour ses bénéfices sur la santé, mais en
raison de son prix par rapport aux sodas et à sa facilité d’accès (eau du robinet). Les jeunes
adultes semblent conscients de l’importance des parents, qui interviennent en cas de besoin

9
Une requête a été effectuée sur la base des verbatims représentatifs de chaque rôle social précédemment identi-
fié. La taille minimale d’un mot pris en compte est de trois lettres. Certains mots (ex : « les », « des ») ont par
la suite été éliminés par ajout à la stop list, afin d’avoir une meilleure vision des mots relatifs à l’alimentation.

13
pour pallier les difficultés du rôle de « jeune solitaire » ; en donnant des recettes (jusqu’à
jouer le rôle de hot line) : « je sais faire des pâtes, un steak comme tout le monde, quand je ne
sais pas, j’appelle ma mère pour qu’elle me conseille » (Jeanne, 19 ans, bac+1), en préparant
des petits plats le week-end, ou encore en faisant les courses : « il est moins rempli mon frigo,
à part quand mes parents me font les courses, mais généralement il est assez vide » (Alison,
19 ans, bac+1). Ils aident ainsi leurs enfants à passer cette étape de vie réputée comme celle
où l’individu mange le moins équilibré. Ces différences de vocabulaire employé par les indi-
vidus concernant chaque rôle social associé à une situation de consommation montrent des
oppositions dans le processus de socialisation : certains acteurs influencent l’individu dans le
sens des comportements alimentaires sains ou la limitation des comportements non sains (pa-
rents, collectivité), d’autres dans le sens des comportements non sains (pairs), d’autres peu-
vent pousser vers l’un ou l’autre des comportements selon la situation (petit ami).

Quant au rôle des campagnes de marketing social dans ce processus de socialisation, les
jeunes adultes s’accordent à dire qu’elles ne leur sont pas destinées et auraient davantage
d’effet sur les enfants : « Cela ne nous atteint pas, c’est bien pour les enfants en primaire »
(Ophélie, 18 ans, bac+1). Ils aimeraient ainsi des campagnes plus « choc » : « Montrer les
conséquences que ça peut avoir de manger des cochonneries […] quelqu’un qui a des pro-
blèmes de santé parce qu’il est en surpoids ou des choses comme ça et dire : bon ben si je
continue à manger comme ça ; eh ben je peux finir comme lui » (Agathe, 19 ans, bac+1). Cela
semble cohérent avec le fait qu’ils relativisent leurs comportements alimentaires les moins
sains : « Je sais que des fois je fais pas ce qui faut mais bon je me dis que pareil vu que je suis
jeune et tout ça peut-être que je m’améliorerai plus tard » (Agathe, 19 ans, bac+1). Ils récla-
ment ainsi un « électrochoc ». Cependant, malgré le discours des répondants, les campagnes
telle celle des « 5 fruits et légumes par jour » semblent ancrées dans les consciences… Elles
n’ont donc pas été sans effet, même s’ils ne se considèrent plus la cible de ces messages.

Conclusion, apports, limites et voies de recherche

L’apport principal de cette recherche porte sur l’adaptation du modèle de parcours de


vie pour comprendre l’évolution du comportement alimentaire des jeunes étudiants en fonc-
tion de leur départ du foyer familial. L’étude qualitative met en lumière les trois fondements
du modèle du life course paradigm (Moschis, 2007) : le capital humain, le « stress – coping »
et la socialisation. Ainsi, cette théorie est applicable aux comportements alimentaires des
jeunes étudiants, ce qui n’avait pas été testé auparavant. De plus, les résultats montrent com-

14
ment le modèle générique de Moschis (2007) peut être adapté à cet événement de vie spéci-
fique en mettant en avant certaines variables clés.

Les résultats de cette étude qualitative débouchent ainsi sur des propositions qu’il sera
nécessaire de vérifier dans une phase confirmatoire. Ainsi, les comportements alimentaires les
plus sains (cuisine de plats plus ou moins élaborés, repas équilibrés) semblent provenir d’un
capital humain développé et du rôle de la famille dans la socialisation du jeune adulte (aide
pour endosser progressivement le rôle d’adulte autonome). Inversement, les choix non sains
(fast-foods, repas déséquilibrés…) proviendraient essentiellement de stratégies de coping pour
faire face au stress engendré par la gestion de ses ressources (temps, argent), d’un faible capi-
tal humain (famille ayant peu transmis de connaissances culinaires) et de l’influence des pairs.
A ce sujet, nos résultats divergent de ceux de Rozin et al. (2003) qui avaient mis en lumière
l’aspect stressant de l’alimentation lié à la peur des maladies et de l’obésité chez les étudiants
conduisant à une alimentation plus saine… mais comme le supposent les auteurs, la différence
est certainement culturelle.

En termes de limites, notre échantillon est composé uniquement d’étudiants de premier


cycle. Si cette focalisation peut paraître discutable à première vue, elle était nécessaire selon
Rozin et al. (2003) pour mieux comprendre le comportement spécifique de cette période
charnière sur les aspects alimentaires. Cependant, il pourrait s’avérer fructueux de suivre, de
manière quantitative, des cohortes afin de mieux comprendre l’évolution du comportement
alimentaire sur l’étalement de cette phase de transition vers l’âge adulte. En outre, dans cette
étude, nous n’avons pas pris en compte l’autonomie financière des répondants. L’autonomie
suppose peut-être davantage le fait de gagner sa vie plutôt que d’être géographiquement sépa-
ré de ses parents. Trois-quarts des étudiants français travaillent au moins durant une partie de
leurs études (Béguinet, 2013). En outre, nos résultats montrent l’existence d’un certain stress
dû au manque de ressources. Le revenu dont dispose l’étudiant pour son alimentation devra
ainsi être pris en compte dans de futures recherches, ainsi que la source de ce revenu (famille,
Etat et/ou emploi). Enfin, la situation vécue par les étudiants apparaît moins binaire que nous
ne le pensions préalablement. Il sera ainsi nécessaire d’évaluer l’intensité de la décohabitation
(fréquence de retour au foyer), au lieu de la concevoir comme un véritable saut. De même,
nous avons classé parmi les décohabitants à la fois des étudiants vivant seuls en appartement,
en chambre en cité universitaire, ou encore en appartement en colocation. De futures re-
cherches pourront mobiliser une approche quantitative pour tester le modèle explicatif des
comportements alimentaires des jeunes adultes sur la base de la théorie du parcours de vie

15
présenté figure 2 et tester éventuellement l’existence d’effet modérateur du type d’habitat ou
de la fréquence de retour au foyer familial.

Capital culinaire,
valeurs et connais- +
sances alimentaires
acquises

Processus de socialisa-
tion Parents

Comporte-
+ ments alimen-
Rôle d’enfant + taires sains

Rôle +
d’étudiant en
Décohabita-
collectivité
tion Comporte-
+ ments alimen-
+ taires non
Rôle de jeune
sains
couple

+
Rôle de jeune
libre

+
Rôle de jeune
solitaire

+ -
Stress
Pairs Parents
Stress temporel
+

Stress financier
+ +

Figure 2 : Alimentation saine et non saine des jeunes étudiants, un modèle intégrateur

16
Une autre piste de recherche serait d’étudier en profondeur quelques parcours ; pour vérifier
l’existence d’influences plus ou moins fortes de certaines variables au fil du parcours de vie
de l’étudiant. Il conviendrait alors de mobiliser des études longitudinales en suivant des étu-
diants de L1 jusqu’à l’obtention de leur licence ou master.

Ainsi, malgré son caractère exploratoire et certaines informations manquantes, cette recherche
présente des implications sociétales et managériales intéressantes. De manière générale, il ap-
paraît que les jeunes étudiants sont peu préparés à cette autonomie plus ou moins progressive
liée à leur alimentation. Le capital humain, soit les connaissances acquises lors de l’enfance,
semble prépondérant pour l’adoption d’un comportement sain. L’école pourrait ainsi contre-
balancer le poids de la transmission familiale en apportant une information standardisée. Ac-
tuellement, les campagnes alimentaires à l’école portent principalement sur la nutrition. Or,
les résultats de cette étude amènent à penser qu’il faille aller plus loin en sensibilisant à la
préparation de la vie étudiante, pas seulement en termes d’orientation, mais aussi de tout ce
qui gravite autour de la notion d’autonomie, de premier appartement, et notamment la gestion
de ses ressources. Car, si initialement, la décohabitation peut sembler excitante aux yeux des
jeunes étudiants, elle entrainerait un stress lié à la gestion du budget, du temps, et ce d’autant
plus que les connaissances culinaires sont maigres. Quant aux campagnes publicitaires, s’il
semble que ces dernières aient bien été intégrées par le passé par les étudiants (soit dans le
capital humain), aucune n’apparaît les toucher à l’heure actuelle. Les médias ne joueraient
ainsi aucun rôle socialisant positif sur une alimentation saine. Or, les répondants disent appe-
ler de leurs vœux des campagnes plus « chocs » présentant par exemple des personnes obèses
ou malades, en signe d’exemples à ne pas suivre… Cette proposition soulève cependant le
problème éthique de la stigmatisation de la personne obèse ou malade.

Ce manque de connaissance des étudiants peut également présenter un terrain propice à


l’innovation. La multiplication ces dernières années d’émissions de cuisine démontre que
l’intérêt des Français (jeunes y compris) pour les préparations culinaires demeure considé-
rable. Cependant, ces dernières portent avant tout sur une cuisine très élaborée. Or, les besoins
semblent avant tout se faire ressentir pour des astuces quotidiennes simples, peu coûteuses et
équilibrées. Si ces résultats semblent révéler l’opportunité de produits tout faits de type
« packs équilibrés » ou encore le développement de lieux d’alimentation hors foyer sains de
type « bars à soupe » pour les plus fainéants au budget peu limité, les budgets serrés consta-
tent qu’une alimentation équilibrée rime avec cherté. Aussi, les initiatives mettant à la disposi-

17
tion des étudiants de l’alimentation saine à faible coût – l’achat et la distribution de fruits et
légumes locaux à l’université par exemple - restent à développer, sinon à inventer.

Références

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18
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19
Annexes

Annexe 1 : Liste des entretiens

Numéro Entretien Prénom répondant* Age Sexe Habitation** Niveau études Précision ou filière
1 Alison 19 F APPART Bac +1 L1
2 Agathe 19 F APPART Bac +1 Non précisée
3 Kévin 22 H APPART Bac +2 Non précisée
4 Marie 22 F APPART Bac +2 L2 infirmière
5 Joris 19 H PARENTS Bac +1 Non précisée
6 Clément 18 H PARENTS Bac +1 DUT1
7 Thomas 20 H APPART Bac +3 L3 apprentissage
8 Hannah 19 F APPART Bac +1 DUT1
9 Albert 19 H PARENTS Bac +1 L1 STAPS
10 Lydie 19 F PARENTS Bac +1 Non précisée
11 Noémie 21 F PARENTS Bac +2 Non précisée
12 Jean 18 H PARENTS Bac +1 DUT1
13 Jeanne 19 F APPART Bac +1 DUT1
14 Flora 20 F APPART Bac +1 DUT1
15 Caroline 19 F PARENTS Bac +1 DUT1
16 Bastien 22 H APPART Bac +1 Non précisée
17 Vincent 20 H APPART Bac +1 BTS2
18 Nathan 18 H PARENTS Bac +1 Prépa
19 Constance 18 F APPART Bac +1 DUT1
20 Naomi 18 F PARENTS Bac +1 Prépa
21 Arnaud 21 H APPART Bac +2 Non précisée
22 Charles 21 H APPART Bac +3 Non précisée
23 Antoine 20 H APPART Bac +1 DUT1
24 Manon 18 F APPART Bac +1 DUT1
25 Grégoire 19 H PARENTS Bac +2 Non précisée
26 Océane 20 F APPART Bac +2 Non précisée
27 Ray 18 H PARENTS Bac +1 Non précisée
28 Matthias 19 H APPART Bac +1 DUT1
29 Nicolas 19 H APPART Bac +1 BTS1
30 Floriane 19 F PARENTS Bac +1 L1 Droit
31 Justine 18 F PARENTS Bac +1 L1
32 Ophélie 18 F PARENTS Bac +1 DUT1
33 Charlotte 20 F APPART Bac +2 Non précisée
34 Christopher 18 H APPART Bac +1 DUT1
35 Olivier 19 H APPART Bac +1 DUT1
36 Célia 19 F APPART Bac +1 DUT1
* Par souci d'anonymat, les prénoms ont été modifiés
** APPART = Logement indépendant (incluant colocations et résidences universitaires)

20
Annexe 2 : Guide d’entretien

Bonjour. Je réalise un travail sur l’alimentation des jeunes étudiants. C’est pourquoi je t’ai
sollicité afin que tu me fasses part de ton expérience. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise
réponse : c’est ton opinion qui m’intéresse.
Pour être plus attentif/attentive à tes réponses, cet entretien sera enregistré, mais tes propos
resteront anonymes pour les autres personnes qui travaillent avec moi.
L’entretien devrait durer environ 30 minutes, cela te convient-il ?

Thème 1 : L’alimentation au quotidien


Pour commencer, j’aimerais que tu me parles de ton quotidien en termes d’alimentation. Plus
précisément, pourrais-tu me raconter tout ce que tu as mangé et bu hier du lever au coucher ?
(petit déj, déjeuner, pauses, dîner, lieux, entourage, heures, durées…).
- Idem pour un jour de WE ?
- En règle générale, quelle place occupe chaque repas dans ton alimentation ? Il t’arrive de
sauter des repas ? Quand ? Quelle place occupent les pauses (café, grignotage, …) ?
- Quels aliments et boissons tu privilégies ? Pourquoi ? (penser aux types d’aliments mais
également au bio, produits locaux, etc…)
- Lesquels tu évites ? Pour quelles raisons ? (goût, écologie, santé, régime, budget, religion,
culture…)
- Quelles boissons il t’arrive de consommer : à table, le soir entre amis, à la maison seul, en
famille, pendant les pauses ?
- Est-ce que tu fais toi-même tes courses ? Si oui, où, quels sont tes critères d’achat (prix, pra-
ticité, temps de préparation, bio, produits locaux… ?)

Thème 2 : L’alimentation par le passé


Nous allons maintenant faire un détour par le passé, quand tu étais enfant. Comment se dérou-
laient les 3 repas classiques ? (qui cuisinait ? Qui était à table ? Où ? Place de la télé ? temps
passé ?... allais-tu à la cantine ?)
Peux-tu raconter des anecdotes sur les repas quand tu étais petit(e) (la famille t’a peut-être
raconté des histoires sur ton allaitement ou les biberons, sur tes premiers repas, si tu étais
difficile ou pas… ) ?
- Si je te dis : « plat de mon enfance », à quoi ça te fait penser ? Que mangiez-vous fréquem-
ment ? Quelles boissons représentent l’enfance ?
- qu’est-ce que tes parents t’ont transmis en termes d’alimentation ? Conserves-tu aujourd’hui
certaines habitudes transmises par ta famille ? (Lesquelles et pourquoi ?) Penses-tu plus tard
transmettre des habitudes à tes enfants ? Pourquoi ?
- As-tu appris à cuisiner ? Quels types de plats ? Est-ce un plaisir ?
- En famille, as-tu appris à boire de l’alcool ? Si oui : quel(s) alcool(s), à partir de quel âge ?
Explique…
- Si on compare le passé avec le présent, peux-tu me dire tout ce qui a changé depuis que tu es
étudiant. Pourquoi ces changements ?

Thème 3 : Connaissances, croyances et perceptions relatives à l’alimentation


- Nous allons maintenant définir certains termes. Selon toi, qu’est-ce qu’une alimentation
« saine » ? A l’inverse, malbouffe te fait penser à… ?
- Que penses-tu de l’alimentation des jeunes étudiants comme toi ?
- Que penses-tu des campagnes de l’Etat incitant les gens à consommer plus sainement ?
Peux-tu en citer ? Penses-tu que cela puisse avoir un impact sur les jeunes ? Explique ta ré-
ponse…

21
- Selon toi, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que les jeunes étudiants mangent plus saine-
ment ?

- Quant à ta propre alimentation en général, comment la définirais-tu ? Pourquoi ?


- Te sens-tu libre de manger tout ce que tu désires ? Sinon, qu’est-ce qui t’en em-
pêche (budget, temps, manque de connaissance, effet sur le poids, cuisine…) ? Si tu étais to-
talement libre et s’il te suffisait d’une baguette magique pour manger ce que tu veux, qu’est-
ce que tu changerais dans ton alimentation par rapport à aujourd’hui ?

Thème 4 : Opinions sur les répercussions physiques de l’alimentation


- Pour finir, j’aimerais que l’on parle de questions de santé. L’alimentation est-elle un facteur
de bien-être pour toi? Explique… Tu peux donner des exemples de situation où l’alimentation
t’apporte du bien-être ? Du plaisir ?
- Selon toi, l’alimentation a-t-elle un lien avec la santé ? Explique. La santé est-elle importante
pour toi ?
- Selon toi, quels types d’aliments sont meilleurs pour la santé ? Lesquels sont les pires ?
T’arrive-t-il d’en manger ?
- Selon toi, l’alimentation a-t-elle un lien avec l’apparence physique (le corps) ?
- Pratiques-tu une activité physique régulière depuis que tu es jeune ? Laquelle ? Est-ce im-
portant pour toi ? Sinon pourquoi ? Est-ce que tu adaptes cette activité à ton alimentation ?
Explique…
- As-tu déjà eu des problèmes de poids ? Si oui, peux-tu en dire davantage (quand ? évolu-
tion ? Régime ou non ?...)
- Quelle importance accordes-tu à ton apparence physique ? Au regard des autres ? À
l’apparence physique des autres? Selon toi, une personne obèse est-elle responsable de son
état ? Explique…

L’entretien touche à sa fin. Est-ce que dans tout ce dont nous avons parlé, tu as l’impression
d’avoir des précisions à apporter ? Je te remercie d’avoir pris le temps de répondre à ces ques-
tions. Tes réponses seront très utiles pour mon travail.

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Annexe 3 : Evaluation de la recherche selon les critères de qualité de Miles et Huberman
(2003)

Objectivité / Confirmabilité
Toutes les données ont été conservées et classées selon leur nature plus ou moins brute. Nous
avons ainsi distingué enregistrements audio, retranscriptions, fichiers de codage (versions à
jour à diverses dates) et matrices.
Fiabilité, sérieux, auditabilité
Les étudiants interrogés ne font pas partie des étudiants des auteurs de l'étude. Concernant la
théorie du parcours de vie, afin de limiter les biais, les entretiens ont d'abord été codés en
fonction des thèmes du guide d'entretien. Par la suite, certains codes ont pu être rattachés aux
éléments théoriques. Ceci a été fait dans le but de déceler les spécificités du comportement
alimentaire du jeune adulte et les variables les plus influentes (ce pourquoi nous observons
certaines spécificités comme le stress qui apparaît relatif à la gestion de ses ressources suite au
départ du foyer familial et non au départ en lui-même)
Validité
Validité interne : nous avons essayé de retranscrire au mieux la diversité des expériences et
des opinions de nos répondants, qui n'étaient pas toujours tranchées et dissocié les éléments
relevant des comportements et des perceptions, afin de limiter les biais relatifs à la confusion
des comportements idéaux et réels. Pour ce faire, certaines questions du guide d'entretien
permettaient de distinguer l'alimentation réelle, la perception d'une alimentation équilibrée, la
perception de son alimentation comme plus ou moins équilibrée. Ce pourquoi, par exemple,
des décalages entre connaissances en matière d'alimentation transmises par les parents et
comportements alimentaires actuels sont observés.
Validité externe : les caractéristiques de l'échantillon original ont été décrites pour permettre
des comparaisons avec d'autres échantillons, d'autres études. De plus, l'échantillonnage appa-
rait assez diversifié (genre, âge, niveau d'études) et s'avère volontairement plus large que la
population qui nous intéresse (étudiants décohabitants). Il comprend des étudiants décohabi-
tants et non décohabitants pour effectuer des comparaisons et ainsi vérifier que certains com-
portements ou certaines relations entre variables semblent davantage prononcés ou non chez
les décohabitants.
Utilisation, application, prescription
Concernant la portée de la recherche, les résultats permettent d'envisager des relations entre
capital humain (capital culinaire), processus de socialisation (différents rôles pour aboutir à
celui d'adulte autonome), stress lié à la gestion des ressources au quotidien et comportements
alimentaires plus ou moins équilibrés des jeunes étudiants. La recherche suggère ainsi des
pistes pour des campagnes de marketing social plus adaptées à cette cible. Néanmoins, notons
le caractère exploratoire de cette recherche, car l'objectif était d'élaborer un modèle à tester
dans une phase quantitative. Concernant les considérations éthiques, nous avons sollicité sys-
tématiquement l’accord des individus avant tout enregistrement. De plus, par souci d'anony-
mat, les prénoms ont été modifiés.

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