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Comportement Mécanique des

Matériaux

Roland FORTUNIER
École Nationale Supérieure des Mines
158 cours Fauriel
42023 Saint-Etienne cedex 2
2
Table des matières

Introduction 7

1 Essais mécaniques - Lois simples 9


1.1 Paramètres importants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.1 Élément de volume représentatif . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.2 Vitesse de déformation et température . . . . . . . . . 10
1.1.3 Direction de sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.2 Types de sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.2.1 Essais monotones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.2.2 Essais cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.2.3 Dureté et résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.3 Quelques lois simples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

2 Thermodynamique des milieux continus 29


2.1 Équations de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.1.1 Définition des variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.1.2 Équations de conservation, premier principe . . . . . . 29
2.1.3 Inégalité de Clausius-Duhem, second principe . . . . . 31
2.2 lois de comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.2.1 Variables d’état, potentiel thermodynamique . . . . . . 32

3
2.2.2 Lois complémentaires, potentiel de dissipation . . . . . 34
2.2.3 Cas de la dissipation instantanée . . . . . . . . . . . . 37

3 Élasticité - Viscoélasticité 39
3.1 Élasticité linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3.1.1 Loi de Hooke généralisée . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3.1.2 Énergie de déformation élastique . . . . . . . . . . . . 40
3.1.3 Relations de symétrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
3.1.4 Différents comportements élastiques . . . . . . . . . . . 43
3.1.5 Thermoélasticité linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
3.2 Viscoélasticité linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.2.1 Modèle de Kelvin-Voigt . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.2.2 Modèle de Maxwell . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

4 Plasticité - Viscoplasticité 51
4.1 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
4.1.1 Limite d’élasticité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
4.1.2 Anisotropie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
4.2 Modélisation mécanique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4.2.1 Contrainte équivalente . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4.2.2 Variables d’écrouissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
4.3 Comportement élastoplastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
4.3.1 Loi de normalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
4.3.2 Condition de consistance . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
4.4 Comportement élastoviscoplastique . . . . . . . . . . . . . . . 64
4.4.1 Loi de normalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
4.4.2 Potentiel d’écoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

4
4.5 Quelques exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.5.1 Ecrouissage isotrope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.5.2 Ecrouissage cinématique linéaire . . . . . . . . . . . . . 70
4.5.3 Ecrouissage combiné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

5 Endommagement - Rupture 73
5.1 Endommagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
5.1.1 Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
5.1.2 Mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
5.2 Rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
5.2.1 Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
5.2.2 Mécanique de la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

5
6
Introduction

L’étude du comportement mécanique des matériaux a pour but de connaı̂tre


leur réponse à une sollicitation donnée. Les variables mises en jeu dans ce
domaine sont :

– le tenseur des contraintes σ


– le tenseur des déformations 

L’objectif de ce document est de donner un aperçu assez général du com-


portement mécanique des matériaux, et de sa modélisation. En effet, si
l’élasticité linéaire représente actuellement le cadre de la majorité des calculs
de mécanique des milieux continus réalisés dans l’industrie, d’autres types
de comportement sont de plus en plus utilisés car ils s’approchent plus de la
réalité, et permettent donc un dimensionnement plus strict des structures ou
de certains procédés.
Un premier exemple concerne le dimensionnement d’une structure, en vue de
l’adapter aux sollicitations qu’elle subira (choix du matériau, optimisation
de la forme, respect des points de fonctionnement, . . . ). Dans des zones acci-
dentées telles que les congés de raccordement, ou au voisinage de porosités ou
d’inclusions, la sollicitation mécanique en service est amplifiée par un certain
facteur. On parle de ”concentration de contraintes”. Lorsque ces zones sont
relativement petites, le matériau peut avoir un comportement globalement
élastique, alors que la structure ”plastifie” localement. La prise en compte
de cette ”plastification locale” permet d’améliorer par exemple les prévisions
de durée de vie des structures dans l’automobile ou dans l’aéronautique.
Un autre exemple est la mise en forme d’une pièce (forgeage, emboutissage,
. . . ), où la déformation plastique du matériau est à la base du procédé. La
connaissance de son comportement plastique permet de mieux appréhender
les efforts qui seront mis en jeu (gamme de fabrication, choix de la presse,
cadence, . . . ), ainsi que les défauts susceptibles d’être générés par cette mise

7
en forme.
Dans le chapitre un de ce document, nous décrivons les essais mécaniques cou-
ramment utilisés pour caractériser le comportement mécanique des matériaux,
puis nous donnons quelques lois phénoménologiques utilisées dans les calculs
simples. Dans le chapitre deux, nous donnons le cadre thermodynamique
dans lequel les lois de comportement des matériaux doivent s’inscrire. En-
suite, nous nous intéressons aux comportement élastiques, thermoélastiques
et viscoélastiques linéaires, puis à la modélisation de l’écrouissage plastique
ou viscoplastique. Le dernier chapitre est consacré aux principaux modèles
d’endommagement et de rupture des matériaux.
Les concepts introduits dans ce document pourront être approfondis dans [4].
Le lecteur pourra également utiliser [2] pour mieux comprendre les liens entre
les aspects microscopiques et macroscopiques du comportement des métaux,
et [5] pour une analyse détaillée des mécanismes physiques et de la mécanique
de l’endommagement.

8
Chapitre 1

Essais mécaniques - Lois


simples

1.1 Paramètres importants

1.1.1 Élément de volume représentatif

Pour réaliser un essai mécanique, un élément de volume ”représentatif” du


matériau doit être utilisé, afin que les hypothèses des milieux continus soient
satisfaites. Le tableau 1.1 donne, en fonction du type de matériau, la taille
caractéristique minimale de l’éprouvette qu’il conviendra d’utiliser.

Type de type et taille élément de volume


matériau des hétérogénéités caractéristique
métaux et alliages grain : 0,001 à 0,1mm 0,5 × 0,5 × 0,5mm
polymères molécule : 0,01 à 0,05mm 1 × 1 × 1mm
bois fibres : 0,1 à 1mm 10 × 10 × 10mm
béton granulats : ≈ 10mm 100 × 100 × 100mm

Tab. 1.1 – éléments de volumes macroscopiques

Le dépouillement des essais consiste ensuite souvent à transformer les courbes


”force-déplacement” obtenues en courbes ”contrainte-déformation”, appelées
”courbes rationnelles”. La figure 1.1 donne une courbe rationnelle typique ob-
tenue pour différents types de matériaux. Il faut noter ici que la courbe ration-
nelle relie deux scalaires entre eux (une ”contrainte” σ et une ”déformation”

9
), et non deux tenseurs. Le choix de ces scalaires dépend du type d’essai et
du type de matériau.

Fig. 1.1 – Courbes rationnelles typiques de différents matériaux

1.1.2 Vitesse de déformation et température

La vitesse de déformation peut avoir une influence déterminante sur le com-


portement des matériaux. Lors de la réalisation d’un essai, on doit donc utili-
ser une vitesse aussi proche que possible de celle qui sera utilisée par la suite
(e.g. lorsque l’on utilisera la loi de comportement obtenue dans un calcul de
dimensionnement). Par exemple, si l’objectif est de valider la tenue en fluage
d’une structure, sous l’effet de son propre poids, la vitesse de déformation à
considérer sera très faible. Par contre, si l’objectif est de valider la tenue aux
séismes de cette structure, alors cette même vitesse de déformation pourra
prendre des valeurs beaucoup plus élevées, et la loi de comportement à utili-
ser ne sera sans doute pas la même. Ceci conduit à différents types d’essais,
qui peuvent être classés en fonction de la vitesse de déformation mise en jeu
(tableau 1.2).
Par exemple, un essai quasi-statique de compression uniaxiale sera réalisé à
l’aide d’une machine hydraulique ou mécanique. l’éprouvette est fixée d’un
côté sur une traverse fixe, et de l’autre sur une traverse qui se déplacera à
une vitesse donnée, relativement lente. Le dépouillement de l’essai se fera
dans le régime ”quasi-statique”, c’est-à-dire sans prendre en compte les ef-
fets d’inertie dans les équations d’équilibre. Par contre, dans le régime dy-
namique, la machine classique ne suffira plus car la traverse ne pourra plus
atteindre la vitesse requise. L’essai sera alors réalisé sur un système de barres

10
temps vitesse de régime régime
−1
caractéristique (s) déformation (s ) mécanique thermique
6 −6
10 10 fluage isotherme
104 à 102 10−4 à 10−2 quasi-statique isotherme
1 1 intermédiaire intermédiaire
−2 −4 2 4
10 à 10 10 à 10 dynamique intermédiaire
10−6 106 impact adiabatique

Tab. 1.2 – temps caractéristiques et types d’essais

de Hopkinson (figure 1.2), où l’éprouvette est sollicitée par l’onde élastique de
compression arrivant de la barre incidente. Pour dépouiller l’essai, il faudra
prendre en compte l’inertie mécanique du matériau, qui produit un ”pic” de
force au début de la sollicitation. Enfin, dans le régime d’impact, on utili-
sera par exemple un essai d’impact de plaques (figure 1.3). Une plaque in-
cidente vient impacter à 500m/s environ la plaque étudiée, qui est sollicitée
directement en traction lors du croisement des ondes élastiques de traction
issues de la réflexion des ondes de compression sur les faces libres avant et
arrière. Le dépouillement de ce type d’essais est relativement complexe, d’une
part à cause de l’électronique nécessaire pour ”capter” des phénomènes se
produisant en quelques nanosecondes, et d’autre part à cause du comporte-
ment mécanique du matériau, qui s’approche ici plus d’une courbe pression-
volume (diagramme de Clapeyron) que d’une courbe classique contrainte-
déformation.

Fig. 1.2 – Barres de Hopkinson

Dans la suite de ce document, nous nous limiterons aux régimes mécaniques


de fluage et quasi-statiques, c’est-à-dire à une vitesse de déformation comprise
en 10−6 et 102 s−1 . Cette plage de variation couvre la majorité des procédés
de mise en forme actuels, bien que la tendance soit à l’augmentation des
cadences, et donc de la vitesse de déformation. Par exemple, lors du laminage
à froid d’une tôle d’acier, la vitesse de déformation peut parfois atteindre
100s−1 . Dans ce type de régime, les effets d’inertie sont négligés dans le
dépouillement de l’essai, et également lors de la simulation du procédé. Par
contre, même à l’intérieur de ces régimes, la vitesse de déformation peut avoir

11
Fig. 1.3 – Impact de plaques

une forte influence sur le comportement mécanique du matériau. La figure


1.4 illustre cette influence (résultat typique d’un essai de traction réalisé
en changeant la vitesse de déformation). On dit alors que le matériau est
”sensible à la vitesse de déformation”. Cette sensibilité sera d’autant plus
forte que les deux courbes en pointillés de la figure 1.4 seront éloignées.

Fig. 1.4 – Courbe de traction typique avec sauts de vitesse

Dans le cadre thermodynamique général des milieux continus, les aspects


mécaniques et thermiques sont ”naturellement” couplés. Ceci met claire-
ment en évidence l’importance de la température de l’éprouvette lors de
la réalisation d’un essai, et le couplage de cette influence avec la vitesse de
déformation.

12
Dans le tableau 1.2, le régime thermique d’un essai est indiqué, en fonction
de la vitesse de déformation mise en jeu. La puissance de déformation plas-
tique σ : ˙ p est essentiellement dissipée en chaleur dans l’élément de volume
considéré. Par exemple, il est aujourd’hui communément admis que, dans les
métaux, environ 90% de la puissance de déformation plastique est dissipée
en chaleur, le reste étant stocké dans le matériau. Cette chaleur doit donc
être évacuée par conduction thermique.
Lors d’essais ”lents” (régimes mécaniques de fluage ou quasi-statiques), la
chaleur a le temps de se dissiper, se sorte que l’on peut considérer que l’es-
sai est isotherme. Dans un régime intermédiaire ou d’impact, l’éprouvette
s’échauffe vite, et la chaleur produite n’a pas le temps de se dissiper. Ceci a
une conséquence sur le comportement du matériau, et sur l’évolution de sa
structure.
Pour simuler un procédé de mise en forme, la loi de comportement du matériau
est donc souvent donnée à différentes températures. Des essais à différentes
températures sont donc réalisés. Ceci peut changer non seulement le niveau
de contrainte (pour une déformation donnée), mais aussi la forme de la loi
elle-même (présence ou non de recristallisation dynamique, . . . ).

1.1.3 Direction de sollicitation

Lors de la réalisation d’essais mécaniques, le choix de la direction de sollici-


tation peut s’avérer primordial. En effet, il conditionne souvent le domaine
de validité de la loi de comportement obtenue. On peut classer les direc-
tions de sollicitation en deux grandes catégories : les sollicitations uniaxiales
et les sollicitations multiaxiales. On parle alors d’essai ”uniaxial” ou d’essai
”multiaxial”. Les principaux essais uniaxiaux utilisés sont :

– la traction-compression
– la torsion
– la flexion

L’éprouvette est alors sollicitée dans une direction de l’espace des contraintes.
La variation d’un paramètre de l’essai ne change pas cette direction. Les essais
multiaxiaux sont nombreux et variés. Ils sont plus difficiles à interpréter.
Ils consistent le plus souvent à combiner plusieurs sollicitations uniaxiales
entre elles au cours du temps, de façon à tester l’influence de la direction

13
de sollicitation sur le comportement du matériau. L’essai multiaxial le plus
courant est celui de ”traction-torsion”.

Traction-Compression

La traction-compression est l’essai le plus couramment utilisé sur les métaux


(figure 1.5). Toutefois, les déformations atteintes par ce type d’essai sont
limitées par la rupture du matériau (en traction), et par le flambage de
l’éprouvette (en compression). Ce type d’essai est donc principalement uti-
lisé pour obtenir une loi de comportement simple et rapide en traction, ou
pour solliciter cycliquement le matériau en traction-compression, à faibles
déformations, et obtenir une loi de comportement en fatigue (voir paragraphe
suivant).

Fig. 1.5 – Schématisation de l’essai de traction-compression

Pour avoir accès à une loi de comportement valable pour de plus grandes
déformations qu’en traction, on réalise donc des essais spécifiques de com-
pression (figure 1.6). Le dépouillement de l’essai est cependant rendu délicat
par la présence de frottement à l’interface éprouvette-outil.

Torsion

L’essai de torsion (figure 1.7) permet d’avoir accès à une loi de compor-
tement pour de grandes déformations, sans problèmes de frottement entre
l’éprouvette et l’outil. Cependant, la déformation et la contrainte ne sont
pas homogènes le long du rayon de léprouvette. On utilise donc parfois un
cylindre à paroi mince comme éprouvette.

14
Fig. 1.6 – Schématisation de l’essai de compression

Fig. 1.7 – Schématisation de l’essai de torsion

Flexion

La flexion (figure 1.8) est l’essai le plus couramment employé sur les céramiques.
La flexion quatre points permet de solliciter le matériau avec un moment
constant entre les deux points d’application de la charge. Comme en torsion,
la déformation et la contrainte ne sont pas constantes dans l’épaisseur de
l’éprouvette.

1.2 Types de sollicitation

1.2.1 Essais monotones

Les essais monotones les plus classiques sont ceux de traction, de compres-
sion, de torsion et de flexion. La sollicitation est alors appliquée au matériau
jusqu’à sa rupture (traction, torsion, flexion) ou jusqu’à une déformation suf-

15
Fig. 1.8 – Schématisation de l’essai de flexion quatre points

fisamment grande (compression). En fonction du mode d’application de la sol-


licitation, on peut réaliser principalement des essais d’écrouissage, de fluage,
ou de relaxation, et les combiner entre eux (essais d’écrouissage-relaxation,
. . . ).
La figure 1.9 montre une courbe ”force-allongement” (et la courbe contrainte-
déformation associée) typique obtenue sur un métal lors d’un essai d’écrouissage
en traction monotone. Ce type d’essai est généralement réalisé à des vitesses
comprises entre 10−3 et 1s−1 . On distingue successivement :

– un domaine de comportement élastique réversible, où l’arrêt de la solli-


citation permet à l’éprouvette de retourner dans son état initial, et où
les contraintes et les déformations sont reliées linéairement par la loi
de Hooke
– un domaine de comportement plastique homogène, caractérisé par une
déformation irréversible du matériau.
– un domaine de comportement plastique hétérogène, initié par l’appa-
rition d’une ”striction”. La déformation se localise dans l’éprouvette
jusqu’à rupture de celle-ci.

Les essais de fluage sont réalisés en appliquant une contrainte constante au


matériau, en général en traction. Le type de courbe obtenu est donné sur la
figure 1.10. Elle représente la déformation de l’éprouvette en fonction du
temps, pour une contrainte constante donnée. Une première déformation
apparaı̂t instantanément à la mise en charge. C’est la déformation corres-
pondant à la contrainte appliquée dans un essai d’écrouissage. Ensuite, une
déformation lente apparaı̂t au cours du temps. La vitesse de déformation est
de l’ordre de 10−6 à 10−4 s−1 . Dans un premier temps (domaine de fluage pri-
maire), elle décroı̂t, pour atteindre une valeur constante dans le domaine de

16
Fig. 1.9 – Essai d’écrouissage en traction

fluage secondaire (ou fluage stationnaire). Enfin, cette vitesse de déformation


augmente (domaine de fluage tertiaire) jusqu’à la rupture.
Les essais de relaxation servent à caractériser l’évolution au cours du temps
des contraintes internes d’un matériau. Pour cela, On applique une déformation
constante à l’éprouvette, puis on observe l’évolution de la contrainte (figure
1.11). Ce type d’essai est très utilisé pour obtenir les propriétés viscoplas-
tiques du matériau.

17
Fig. 1.10 – Représentation schématique d’une courbe de fluage

Fig. 1.11 – Représentation schématique d’un essai de relaxation

1.2.2 Essais cycliques

Les essais cycliques sont caractérisés par une suite de sollicitations alternées.
Les plus courants sont ceux de traction-compression, mais on utilise également

18
des essais de flexion ou de torsion alternée. L’objectif de ces essais est d’ob-
tenir la loi de comportement ”cyclique” du matériau, qui caractérise son
évolution au fur et à mesure des cycles de sollicitation. Les essais de traction-
compression peuvent être réalisés à déformation ou à contrainte imposée.
La figure 1.12 montre le type de résultats obtenus en déformation imposée
(traction-compression par exemple), dans le cas d’un matériau à durcisse-
ment cyclique. Lorsque l’amplitude de contrainte n’évolue plus sur plusieurs
cycles, on dit que l’on a atteint le ”cycle stabilisé”. Pour obtenir la loi de com-
portement cyclique du matériau, on effectue plusieurs essais à déformation
imposée plus ou moins grande. Pour chaque essai, on note l’amplitude de
contrainte aux cycles stabilisés, que l’on trace en fonction de l’amplitude de
déformation. La figure 1.13 montre le type de courbe obtenu, appelé ”courbe
de consolidation cyclique”. Cette courbe ressemble à celle obtenue lors d’un
essai d’écrouissage, mais ne traduit pas du tout le même type de comporte-
ment.

Fig. 1.12 – Essai cyclique à déformation imposée

Lors d’essais cycliques, le matériau rompt au bout d’un certain nombre de


cycles. L’endommagement du matériau au cours de l’essai est appelé ”fa-
tigue”. On parle donc couramment d’essais de fatigue lorsque la sollicitation
est cyclique. La fréquence de sollicitation est ici donnée par le nombre de
cycles par seconde. Notons également que les cycles de déformation (ou de
contraintes) peuvent être plus ou moins compliqués. Ils peuvent par exemple
présenter un plateau (déformation constante), de sorte qu’à chaque cycle, il

19
Fig. 1.13 – courbe de consolidation cyclique typique

se produit un phénomène de relaxation des contraintes.

Fig. 1.14 – courbe de Woehler typique

Le nombre de cycles à rupture lors d’un essai de fatigue est un renseignement


intéressant. Il pourra en effet être utilisé ultérieurement pour prévoir la durée
de vie d’une pièce en service, en fonction de ses sollicitations. La courbe la
plus largement utilisée pour représenter la durée de vie des matériaux est
la courbe de ”Woehler”. L’amplitude de contrainte est donnée en fonction
du nombre de cycle à rupture (figure 1.14). On distingue sur cette courbe

20
un domaine dit ”oligocyclique”, où le nombre de cycles à rupture est rela-
tivement faible. Ce domaine est caractérisé par une plastification globale de
l’éprouvette à chaque cycle. Dans le domaine dit ”d’endurance limitée”, la
consolidation cyclique diminue la plastification de l’éprouvette au cours des
cycles. Le nombre de cycles à rupture est plus élevé. Enfin, dans le domaine
d’endurance, le comportement de l’éprouvette est purement élastique. Pour
certains matériaux, on peut même considérer que, en-dessous d’une certaine
amplitude de contrainte (la limite d’endurance), le nombre de cycles à rup-
ture est infini.

1.2.3 Dureté et résilience

D’autres essais mécaniques peuvent être utilisés pour caractériser le com-


portement d’un matériau. Les plus fréquents sont l’essai de dureté, destiné
le plus souvent à estimer rapidement et simplement la limite d’élasticité du
matériau, et l’essai de résilience visant à caractériser le risque de rupture
fragile du matériau.

Essai de dureté

L’essai de dureté est largement utilisé sur les métaux. Il caractérise la résistance
qu’oppose le matériau à la pénétration d’un autre corps plus dur que lui.
Ainsi, pour des conditions expérimentales données, la dureté du métal sera
d’autant pus grande que la pénétration du corps sera faible. Il existe trois
principaux type d’essais de dureté, qui différent essentiellement par la forme
du pénétrateur : l’essai Brinell, l’essai Vickers et l’essai Rockwell :

– Dans l’essai Brinell, le pénétrateur est une bille en acier extra-dur de


diamètre D. On la pose sur l’échantillon à étudier et on exerce sur elle
une force F pendant un temps donné t. La dureté est ensuite calculée
comme le rapport entre F (exprimée en Kgf ) et la surface S (exprimée
en mm2 ) de la calotte sphérique ainsi formée : HB = F/S. La surface
S peut être aisément calculée à partir du diamètre d de l’empreinte.
Il est évident que la valeur HB obtenue doit être accompagnée des
caractéristiques de l’essai : la force appliquée F , le temps d’application
t, et le diamètre de la bille D. La valeur de la charge peut atteindre
3000Kg, et le diamètre D de la bille est en général de 5 ou 10mm.
– Dans l’essai Vickers (figure 1.15), le pénétrateur est une pyramide en
diamant à base carrée dont l’angle au sommet est de 136◦ . L’empreinte

21
formée est donc pyramidale. Si S est la surface latérale de cette em-
preinte (exprimée en mm2 ), d sa diagonale (en mm) et F la force
appliquée (en Kgf ), alors la dureté est : Hv = F/S ≈ 1,8544F/d2 .
La charge utilisée est en général comprise entre 5 et 120Kg. Toute-
fois, il est possible de faire des essais dits de microdureté avec des
charges n’excédant pas 100g si l’on veut étudier une zone très locale du
matériau. Ces essais sont alors réalisés et analysés sous microscope.
– Dans l’essai Rockwell, le pénétrateur est soit une bille, soit un cône
de diamant d’angle au sommet 120◦ , avec une extrémité sphérique de
0,2mm de diamètre. On ne mesure plus la surface de l’empreinte, mais
sa profondeur. On applique en général une précharge d’environ 10Kg
avant l’essai, et on mesure l’évolution de la profondeur de l’empreinte
lors du passage à la charge totale. La valeur de la dureté est notée
HR , avec un indice supplémentaire donnant le type de bille ou cône
utilisé et la charge F utilisée. Par exemple, HRA correspond à un cône
et une charge de 60Kg, et HRB à une bille de diamètre 1,59mm (1/16
de pouce) et une charge de 100Kg.

Fig. 1.15 – Essai de dureté Vickers

Pour déterminer la dureté d’un matériau, il est indispensable de faire plu-


sieurs mesures et d’adopter une valeur moyenne. Parfois, les mesures succes-
sives sont réalisées le long d’une droite, par exemple dans l’épaisseur d’une
pièce préalablement coupée. On parle alors de profil de dureté. Entre deux
empreintes, il convient de laisser suffisamment de distance, pour éviter que la
déformation du métal lors de l’essai précédent ait une influence sur le résultat
de l’essai courant.

22
L’essai Brinell est peu sensible à l’état de surface car il conduit à des em-
preintes relativement larges. Par contre, il n’est pas possible de l’utiliser cor-
rectement sur des métaux très durs. Les essais Vickers et Rockwell peuvent
être utilisés sur tout type de métal, mais sont sensibles à l’état de surface.
L’essai de dureté le plus utilisé aujourd’hui est l’essai Vickers. On en déduit
une dureté Hv . Parfois, on parle de ”dureté vraie”, et on la note H. En fait,
cette dureté vraie est la rapport entre la force appliquée, F (en Kgf ), et la
surface de l’empreinte projetée sur la face étudiée, Sp (en mm2 ). Il existe des
abaques pour relier H à Hv , et également pour relier les différents types de
dureté entre eux. La dureté vraie H est utilisée car elle permet d’avoir une
première estimation, par un essai simple, de la limite d’élasticité du matériau
σ0 . On peut en effet considérer en première approximation que H = 3σ0 .
Un facteur correctif est cependant souvent utilisé pour rendre compte de
l’écrouissage du matériau.

L’essai de résilience

L’essai de résilience sur éprouvette entaillée a pour but de caractériser le


risque de rupture fragile du matériau. On appelle résilience l’énergie de rup-
ture ramenée ou non à la section sous entaille de l’éprouvette. Elle s’exprime
donc en J/cm2 ou en J. C’est une mesure de la ténacité du matériau, c’est-
à-dire de sa capacité globale à absorber de l’énergie.
L’appareil couramment utilisé pour les essais de résilience est le ”mouton de
Charpy” (figure 1.16). Un couteau de masse M situé à l’extrémité d’un bras
de longueur l vient rompre par impact une éprouvette. L’énergie absorbée par
la rupture est M gl(cos(β) − cos(α)), où g est l’accélération de la pesanteur,
α l’angle de départ du bras, et β l’angle de remontée du bras après impact.
Il convient cependant de soustraire à cette valeur le travail de frottement
du bras sur son axe et celui des fragments de matériau projetés. Les valeurs
courantes de résilience ainsi mesurées sont de l’ordre de 100 à 300J sur des
aciers. Les éprouvettes sont des parallélépipèdes entaillés à l’opposé du point
d’impact. Si l’entaille est en forme de V, la résilience est notée kV . Si l’entaille
est en forme de U, la résilience est notée kU . Les dimensions des éprouvettes
et des entailles sont normalisées.
L’essai de résilience est très facile à mettre en oeuvre. Il est largement utilisé
dans l’industrie pour évaluer l’incidence d’une opération de mise en forme ou
de traitement thermique sur les caractéristiques du matériau. Par exemple,
la résilience d’un acier normalisé est donnée, et devra être respectée par le fa-

23
Fig. 1.16 – Essai de résilience

bricant de cet acier. Par contre, des essais de résilience ne pourront être com-
parés que s’ils sont réalisés dans les mêmes conditions (forme d’éprouvette,
température, . . . ).
La résilience mesurée par un essai Charpy n’est qu’une valeur d’énergie glo-
bale caractérisant le matériau dans les conditions de l’essai. Elle n’est pas en
relation directe avec une propriété intrinsèque du matériau. Pour remonter
à des propriété plus locale, on peut par exemple utiliser un essai de Charpy
instrumenté, où on mesure l’évolution de la charge au cours du temps. En
fait, la résistance à la rupture brutale d’un matériau est maintenant étudiée
à l’aide de la mécanique de la rupture. Un facteur d’intensité de contraintes
critique kIc caractérise par exemple la résistance d’un matériau à la pro-
pagation brutale d’une fissure en déformation plane. C’est un paramètre
intrinsèque du matériau. Des corrélations empiriques ont été établies pour
certains matériaux entre les valeurs de kIc et la résilience kV . Le facteur d’in-
tensité de contraintes est décrit plus en détails dans le dernier chapitre de ce
document.

24
1.3 Quelques lois simples

Le principal objectif des essais mécaniques est la mise en place d’une loi des-
tinée à être utilisée pour la prévision du comportement du matériau. Cette
loi de comportement pourra par exemple être appliquée lors de la mise en
forme d’une pièce, pour calculer les efforts nécessaires (choix des outillages
et de la presse), pour évaluer l’aptitude du matériau à cette mise en forme
(remplissage des formes), . . . . Pour ce type d’application, il n’est parfois pas
nécessaire de faire appel à des lois compliquées. On se contente alors de rela-
tions simples, qui servent simplement à décrire le comportement du matériau
dans un cas particulier. Nous allons voir ici quelques relations d’ecrouissage
issues d’essais de traction.
Une courbe contrainte-déformation (σ − ) lors d’un essai d’écrouissage est
caractérisée par une partie élastique et une partie plastique. Nous nous
intéressons ici principalement à la partie plastique. Cette courbe sera donc
parfois transformée comme décrit sur la figure 1.17. La déformation plas-
tique sera notée p et la contrainte σ. Dans le cas d’un essai de traction par
exemple, on aura σ = FS , où F est la force appliquée, et S la section courante
de l’éprouvette, et p =  − e = ln( ll0 ) − Eσ , où l est la longueur de la par-
tie utile de l’éprouvette (l0 la longueur initiale) et E le module d’Young du
matériau.

Fig. 1.17 – courbe de traction

En pratique, pour beaucoup de matériaux (dont la plupart des métaux), la


partie élastique de la déformation est très faible devant la partie plastique
lors d’une opération de mise en forme. Il est donc fréquent, dans une approche
phénoménologique, de négliger e , et donc de confondre  et p .
Les principales lois de comportement phénoménologiques utilisées sont les

25
suivantes :

– la loi de Hollomon ou loi puissance, décrite sur la figure 1.18, où la


contrainte est donnée sous la forme (K et n sont deux paramètres) :

σ = Kn (1.1)

Fig. 1.18 – loi de Hollomon

Pour identifier les paramètres K et n, on transforme la courbe en


ln(σ) − ln(), qui devient linéaire. La pente de cette courbe donne
le coefficient n = dln(σ)
dln()
, appelé coefficient d’écrouissage.
– la loi de Ludwik, décrite sur la figure 1.19, qui a la forme (σe , K et n
sont des paramètres) :

σ = σe + Kn (1.2)

Fig. 1.19 – loi de Ludwik

26
Pour obtenir les paramètres σe , K et n, il faut dans ce cas tout d’abord
identifier σe , qui est en fait la limite d’élasticité du matériau, puis trans-
former la courbe en ln(σ − σe ) − ln() pour obtenir les deux autres pa-
ramètres. Il faut signaler ici que le paramètre n n’est pas ici le coefficient
d’écrouissage du matériau.
– la loi de Swift ou loi de Krupkowski, représentée sur la figure 1.20, qui
s’écrit (K, 0 et n sont des paramètres) :

σ = K(0 + )n (1.3)

Fig. 1.20 – loi de Swift

On remarque qu’avec cette loi, la limite d’élasticité du matériau vaut


σe = Kn0 , et que le paramètre n n’est pas le coefficient d’écrouissage
du matériau.

27
28
Chapitre 2

Thermodynamique des milieux


continus

2.1 Équations de base

2.1.1 Définition des variables

Le comportement mécanique des matériaux doit être schématisé en respec-


tant les énoncés fondamentaux de la thermodynamique. Pour cela, on isole
une partie quelconque ΩA d’un solide Ω. Dans cette partie ΩA , le solide


est soumis à des forces volumiques f v (par exemple son poids propre), et
reçoit une densité volumique de chaleur r (par exemple lors d’un chauffage
par induction). La frontière ∂ΩA , de normale unitaire − →n , entre cette par-


tie et le solide complet Ω, est soumise à un vecteur contrainte t = σ.− →
n
(qui schématise les actions mécanique de Ω sur ΩA ). Elle échange également
un flux de chaleur − →q (par conduction thermique entre Ω et ΩA ). Ceci est
schématisé sur la figure 2.1.

2.1.2 Équations de conservation, premier principe

En notant ρ la masse volumique du matériau, et − →


v la vitesse des points
matériels qui le constituent, on peut maintenant écrire les lois de conservation

29
Fig. 2.1 – Sollicitation thermodynamique appliquée à un solide

suivantes :

– conservation de la quantité de mouvement



Z Z Z
d →
− →

ρ v dv = t ds + f v dv (2.1)
dt ΩA ∂ΩA ΩA
– conservation de la masse
Z
d
ρdv = 0 (2.2)
dt ΩA

– conservation de l’énergie (ou premier principe de la thermodynamique)

dE dK
+ = Pe + Q (2.3)
dt dt

Les quantités mise en jeu dans la dernière équation peuvent être obtenues de
la façon suivante :

– la variation d’énergie interne E, en définissant l’énergie interne spécifique


e du matériau :
Z
dE d
= ρedv (2.4)
dt dt ΩA
– la variation d’énergie cinétique K, en utilisant la conservation de la
masse et en définissant l’accélération −
→ →

γ = ddtv des points du matériau :
Z Z
dK d 1 − → →

= ρ v . v dv = (ρ−
→γ ).−

v dv (2.5)
dt dt ΩA 2 ΩA

30
– la puissance des efforts mécaniques, en utilisant la conservation de la
quantité de mouvement, la conservation de la masse, et le théorème de
la divergence :

− −

Z Z Z Z
− −

Pe = t .→
v ds+ f v .→
v dv = (ρ→

γ ).−

v dv+ σ : ˙ dv (2.6)
∂ΩA ΩA ΩA ΩA

– le taux de chaleur reçu par le matériau, en utilisant le théorème de la


divergence :

Z Z Z Z
Q= −→

q .−

n ds + rdv = − div(→

q )dv + rdv (2.7)
∂ΩA ΩA ΩA ΩA

On voit maintenant apparaı̂tre les tenseurs des contraintes σ et des vitesses


de déformation ˙ . En utilisant toutes ces équations, et le fait qu’elles doivent
être vérifiées dans tout domaine ΩA , on aboutit à la relation suivante :

ρė = σ : ˙ + r − div(−

q) (2.8)

Cette relation donne la variation d’énergie interne du matériau, par unité de


volume, en fonction de sa vitesse de déformation (et des contraintes associées)
et de son flux de chaleur reçu (en surface et en volume).

2.1.3 Inégalité de Clausius-Duhem, second principe

La température T et l’entropie S sont les deux variables introduites par le


second principe de la thermodynamique, qui stipule que la vitesse de variation
de l’entropie est toujours supérieure ou égale au taux de chaleur reçu divisé
par la température :

dS
Z
r
Z −

q .−
→n
≥ dv − ds (2.9)
dt ΩA T ∂ΩA T

Cette inégalité peut


R aussi s’écrire, en utilisant l’entropie spécifique du matériau
s telle que S = ΩA ρsdv, de la façon suivante :

Z
ds →

q r
(ρ + div( ) − )dv ≥ 0 (2.10)
ΩA dt T T

31
En exprimant r à l’aide de la relation issue du premier principe, en remar-

− →
− → −−→ )

quant que div( Tq ) = div(T q ) − q .grad(T
T2
, et en multipliant par T (variable
positive), on en déduit l’inégalité locale suivante :



q −−→
σ : ˙ + ρ(T ṡ − ė) − .grad(T ) ≥ 0 (2.11)
T

En introduisant finalement l’énergie libre spécifique du matériau ψ = e − T s,


on obtient l’inégalité de Clausius-Duhem :



q −−→
σ : ˙ − ρ(ψ̇ + sṪ ) − .grad(T ) ≥ 0 (2.12)
T

2.2 lois de comportement

2.2.1 Variables d’état, potentiel thermodynamique

Nous allons postuler que l’état thermomécanique du matériau est complètement


défini, en un point et pour un instant donné, par la connaissance de la va-
leur de certaines variables en ce point. Ces variables sont appelées variables
d’état. Leur variation au cours du temps n’intervient pas dans la définition
de l’état du matériau à l’instant considéré.
Le choix des variables d’état a un caractère subjectif. Il dépend en effet du
phénomène étudié. Dans notre cas, nous choisirons les variables suivantes :

– le tenseur des déformations élastiques e


– la température T
– une série de variables Vk , qui représentent l’état interne du matériau
(en particulier sont ”état” de plastification)

L’état thermodynamique du matériau sera alors représenté localement par


un potentiel dépendant de ces variables d’état. Nous choisissons ici natu-
rellement le potentiel ”énergie libre spécifique” ψ(e ,T,Vk ), ce qui permet
d’écrire :

∂ψ e ∂ψ ∂ψ
ψ̇ = e
: ˙ + Ṫ + V̇k (2.13)
∂ ∂T ∂Vk

32
L’inégalité de Clausius-Duhem devient alors, en utilisant la partition en
vitesses de déformations ˙ = ˙e + ˙p , où ˙e est le tenseur des vitesses de
déformation élastique, et ˙p celui des vitesses de déformation plastique :

∂ψ ∂ψ ∂ψ −

q −−→
(σ − ρ →
− ) : ˙e + σ : ˙p − ρ(s + )Ṫ − ρ V̇k − .grad(T ) ≥ 0 (2.14)
∂e ∂T ∂Vk T

Cette inégalité doit être vraie pour tout type de transformation. En imagi-
nant une transformation élastique réversible isotherme, sans modification des
variables internes, on aboutit à l’égalité suivante :

∂ψ
σ=ρ (2.15)
∂e

En imaginant maintenant une transformation thermoélastique réversible, à


température homogène et sans modification des variables internes, on aboutit
à :

∂ψ
s=− (2.16)
∂T

Le tenseur des contraintes est donc la force thermodynamique associée au


tenseur des déformations élastiques. Par analogie, on définit les forces ther-
modynamiques associées aux variables internes sous la forme :

∂ψ
Ak = ρ (2.17)
∂Vk

La donnée du potentiel thermodynamique ψ(,T,Vk ) permet donc d’écrire


des relations entre les variables d’état (,T,Vk ) et leurs variables associées
(σ,s,Ak ), à un instant donné. Par contre, cette donnée ne permet pas de
décrire l’évolution de ces variables au cours d’une transformation. Cette
évolution sera donnée par une loi complémentaire : la loi de comportement
du matériau.

33
2.2.2 Lois complémentaires, potentiel de dissipation

Compte-tenu des relations précédentes, l’inégalité de Clausius-Duhem s’écrit


sous la forme d’un terme de dissipation Φ positif ou nul :

−−→ →

q
Φ = σ : ˙p − Ak V̇k − grad(T ). ≥ 0 (2.18)
T

Pour décrire l’évolution des variables d’état au cours de la transformation,


tout en respectant le second principe de la thermodynamique , on postule
l’existence d’un potentiel de dissipation φ, s’exprimant →

comme une fonction
scalaire continue des variables ”flux”, soit φ(˙p ,V̇k , Tq ). Ce potentiel doit être
positif, convexe et nulle à l’origine. Le terme de dissipation Φ sera alors donné
par ce potentiel sous la forme :

∂φ p ∂φ ∂φ − →
q
Φ= : ˙ + V̇k + →
− . (2.19)
∂ ˙
p
∂ V̇k q
∂T T

Les variables ”duales” seront alors obtenu à partir des lois complémentaires
suivantes, exprimant que les variables duales sont les normales à la surface
d’iso-potentiel de dissipation (φ = cste), dans l’espace des variables flux
(figure 2.2) :


∂φ

 σ= p
∂ ˙



∂φ


Ak = − (2.20)
 ∂ V̇k

 −−→ ∂φ
 grad(T ) = − −



∂ Tq

−−→
En pratique, on utilisera plutôt le potentiel de dissipation dual de φ, φ∗ (σ,Ak ,grad(T )),
s’exprimant comme une fonction scalaire continue, positive, convexe et nulle
à l’origine des variables duales. Le terme de dissipation Φ s’exprimera alors
sous la forme :

∂φ∗ ∂φ∗ −−→ ∂φ∗


Φ=σ: + Ak + grad(T ). −−→ (2.21)
∂σ ∂Ak ∂ grad(T )

L’évolution des variables flux sera alors obtenu à partir des lois complémentaires

34
Fig. 2.2 – propriété de normalité des variables duales

suivantes, exprimant que les variables flux sont les normales à la surface d’iso-
potentiel φ∗ = cste, dans l’espace des variables duales (figure 2.3) :

∂φ∗


 ˙p =
∂σ



∂φ∗


V̇k = − (2.22)
∂Ak


 →
− q ∂φ∗
= −

−−→


 T
∂ grad(T )

Pour passer du potentiel φ au potentiel dual φ∗ , on peut utiliser la trans-


formation suivante (de Legendre-Frenckel), illustrée sur la figure 2.4 dans le
cadre d’une variable scalaire flux ˙p associée à une variable scalaire duale σ :

−−→
 →

q

∗ ˙
p
φ (σ,Ak ,grad(T )) = sup Φ − φ( ,V̇k , ) (2.23)


(˙p ,V̇ , q )
T
k T

Tout le problème de la modélisation du comportement des matériaux réside


dans la détermination de l’expression analytique d’un potentiel thermodyna-
mique ψ, pour l’obtention des variables d’état à un instant donné, et d’un
potentiel de dissipation φ ou φ∗ , qui donne l’évolution des variables au cours
du temps. Toutefois, leur identification à partir d’expériences caractéristiques
est difficile, car leur valeur est quasiment inaccessible à la mesure (il s’agit

35
Fig. 2.3 – propriété de normalité des variables flux

Fig. 2.4 – passage de φ à φ∗ dans le cadre d’une variable scalaire

d’énergies le plus souvent dissipée sous forme de chaleur). La modélisation


porte donc le plus souvent sur les variables flux et sur les variables duales,
qui se prêtent mieux à la mesure.
Les relations de normalité sont suffisantes pour respecter le second principe,
mais elles ne sont pas nécessaires. Les matériaux pour lesquels ces règles

36
s’appliquent sont appelés matériaux standards généralisés. La première règle
conduit aux lois de la plasticité et de la Viscoplasticité. La seconde exprime
les lois d’évolution des variables internes, tandis que la dernière loi conduit
à la loi de Fourier en thermique.

2.2.3 Cas de la dissipation instantanée

Lorsque la dissipation thermique est instantanée, la contrainte mécanique à


un instant donné σ est indépendante de la vitesse de déformation plastique
à cet instant ˙p . De même, les forces associées aux variables internes sont
indépendantes de leur vitesse de variation. Elles ne dépendent que de leur
valeur à l’instant considéré.
Pour modéliser ce type de comportement (matériau insensible à la vitesse de
déformation), on utilise un potentiel φ homogène et de degré 1 en ˙p et en
V̇k . En effectuant la transformation décrite sur la figure 2.4 pour un potentiel
homogène de degré 1, on trouve que le potentiel dual φ∗ est nul tant que la
contrainte n’atteint pas une certaine valeur, puis infini ensuite. Il n’est donc
pas différenciable.
La contrainte limite obtenue dans le cas d’une variable se généralise par le
”convexe” d’une fonction f (−

σ ,Ak ), f = 0, tel que :

f < 0 ⇒ φ∗ = 0 ⇒ ˙ p = V̇k = 0

(2.24)
f = 0 ⇒ φ∗ → ∞ ⇒ ˙ p ,V̇k indéterminés

Nous verrons que la condition f < 0 fournit le domaine d’élasticité du


matériau. De plus, en nous limitant à la plasticité dite ”associée”, les vitesses
de déformation plastique et les vitesses de variation des variables internes sont
obtenues, lorsque f = 0, sous la forme :

∂f

 ˙ p = λ̇

∂σ (2.25)
 V̇k = −λ̇ ∂f

∂Ak

C’est la théorie de la plasticité indépendante du temps. Le terme λ̇ interve-


nant dans l’équation précédente est obtenu par une condition de consistance
f˙ = 0, stipulant que les variables duales ne peuvent ”sortir” du convexe
f = 0.

37
38
Chapitre 3

Élasticité - Viscoélasticité

3.1 Élasticité linéaire

3.1.1 Loi de Hooke généralisée

La loi de Hooke a été généralisée par Cauchy (1789-1857), qui a proposé d’ex-
primer chaque composante du tenseur des contraintes comme une fonction
linéaire des composantes du tenseur des déformations. La loi de Hooke est
donc aujourd’hui souvent écrite sous la forme :

σ=C: (3.1)

où C est un tenseur du quatrième ordre appelé tenseur des rigidités ou ten-
seur d’élasticité (les composantes covariantes de ce tenseur sont Cijkl ). Le ten-
seur des rigidités fait intervenir l’ensemble des caractéristiques élastiques du
matériau. De même, les déformations sont reliées linéairement aux contraintes
par la relation inverse :

=S:σ (3.2)

où S est les tenseur des compliances ou tenseur des complaisances élastiques
du matériaux (ses composantes covariantes sont Sijkl ).
Les tenseurs C et S ont a priori 81 composantes (chaque indice varie de 1 à
3). Toutefois, nous avons vu que les tenseurs des contraintes de Cauchy et

39
des déformations sont symétriques. Ils n’ont donc chacun que 6 composantes
indépendantes, et leur liaison linéaire peut alors être réalisée à l’aide de 36
termes seulement. La forme suivante est souvent utilisée, dans un repère
orthonormé, pour relier les composantes des contraintes et des déformations :

     
σ11 C1111 C1122 C1133 C1123 C1131 C1112 11

 σ22  
  C2211 C2222 C2233 C2223 C2231 C2212  
  22 


 σ33  
= C3311 C3322 C3333 C3323 C3331 C3312  
. 33 
 (3.3)

 σ23  
  C2311 C2322 C2333 C2323 C2331 C2312  
  223 

 σ31   C3111 C3122 C3133 C3123 C3131 C3112   231 
σ12 C1211 C1222 C1233 C1223 C1231 C1212 212

avec la condition Cijkl = Cijlk = Cjikl = Cjilk . Les composantes de la matrice


présente dans la relation précédente sont souvent notées CIJ , avec I et J
variant de 1 à 6.

3.1.2 Énergie de déformation élastique

Nous avons jusqu’à présent utilisé la symétrie des tenseurs de contraintes et


de déformations, ainsi que leur relation linéaire via la loi de Hooke. Nous pou-
vons maintenant utiliser l’autre caractéristique de la déformation élastique,
qui est sa réversibilité. Considérons donc un solide Ω, et isolons un sous-


domaine ΩA soumis à des forces volumiques f v , et à un vecteur contrainte


t sur sa frontière (pas de forces d’accélération, figure 3.1).

Fig. 3.1 – Solide en cours de transformation

40
Nous nous intéressons à une transformation élémentaire associée aux ef-
forts appliqués sur le sous-domaine ΩA . Cette transformation élémentaire
réversible sera caractérisée par un vecteur déplacement δ −

u , et une énergie
interne dE sous la forme :

(
→ →
− R − → →
δW = ∂ΩA t .δ −
u ds + ΩA f v .δ −
R
u ds
dE = δW + δQ avec (3.4)
δQ = T dS

où T est la température absolue et S l’entropie. Toutefois le terme δW peut


être modifié comme suit, en utilisant le théorème de la divergence, le fait que
le système est en équilibre, et la symétrie du tenseur des contraintes :

Z
δW = σ : δdv (3.5)
ΩA

Il est donc possible d’écrire l’énergie interne par unité de volume dans le
solide de sous la forme de = σ : δ + T ds. La température est dans notre cas
constante (pas d’échange de chaleur entre ΩA et l’extérieur). De plus, e et s
sont des fonctions d’état, de sorte que de et ds sont des différentielles totales.
Le travail δw s’écrit donc sous la forme :

δw = de − T ds = d(e − T s) = dw = σ : d (3.6)

On peut en déduire que :

∂w ∂2w
= σ = C :  , d’où =C (3.7)
∂ ∂∂

L’énergie de déformation par unité de volume est finalement la forme qua-


dratique définie positive suivante :

1
w= C:: (3.8)
2
Les relations précédentes se traduisent par le fait que la matrice 6x6 de
l’équation 3.3 est symétrique et définie positive. Cette matrice ne possède
donc que 6x7/2=21 composantes indépendantes. Le tenseur des rigidités
élastiques C ne possède donc que 21 composantes indépendantes dans le

41
cas le plus général. Un raisonnement analogue nous aurait conduit au même
résultat pour le tenseur des compliances S, qui ne possède aussi que 21 com-
posantes indépendantes.

3.1.3 Relations de symétrie

En pratique, les matériaux possèdent des symétries supplémentaires qui per-


mettent de restreindre encore le nombre de composantes indépendantes du
tenseur des rigidités. Les principaux cas rencontrés sont l’orthotropie (symétrie
par rapport à trois plans orthogonaux), qui réduit le nombre de composantes
à 9 (c’est le cas par exemple du bois et des cristaux orthorhombiques), la
symétrie cubique (orthotropie avec des propriétés identiques dans les trois
directions orthogonales aux plans de symétrie), qui réduit le nombre de com-
posantes à 3 (c’est la cas de la structure de nombreux métaux), et l’isotropie
(mêmes propriétés dans toutes les directions), qui réduit le nombre de com-
posantes à 2 (cette hypothèse est largement utilisée en mécanique des milieux
continus, pour les matériaux courants).

Symétrie cubique

Dans le cas de la symétrie cubique, les trois composantes indépendantes


de C sont souvent notées C11 (= C1111 ), C12 (= C1122 ) et C44 (= C2323 ). Des
notations identiques pour S conduisent aux relations suivantes :

     
σ11 C11 C12 C12 0 0 0 11

 σ22  
  C12 C11 C12 0 0 0  
  22 

 σ33  
= C12 C12 C11 0 0 0  
. 33 
  (3.9)

 σ23  
  0 0 0 C44 0 0  
  223 

 σ31   0 0 0 0 C44 0   231 
σ12 0 0 0 0 0 C44 212

     
11 S11 S12 S12 0 0 0 σ11

 22  
  S12 S11 S12 0 0 0  
  σ22 

 33  
= S12 S12 S11 0 0 0  
. σ33 
  (3.10)

 223  
  0 0 0 S44 0 0  
  σ23 

 231   0 0 0 0 S44 0   σ31 
212 0 0 0 0 0 S44 σ12

42
Isotropie

Dans le cas isotrope, le nombre de coefficients est réduit à deux par la relation
C44 = 12 (C11 − C12 ). Il existe plusieurs façon d’exprimer ces coefficients. On
peut par exemple choisir ceux de Lamé λ = 12 (C11 + C12 ) et µ = 12 (C11 − C12 ),
ou le module d’Young E = µ 3λ+2µ λ+µ
λ
et le coefficient de Poisson ν = 2(λ+µ) vus
dans le cas de l’essai de traction. La loi de comportement élastique linéaire
s’écrit dans le cas isotrope de la façon suivante :

E ν
σ = 2µ + λtr()I = ( + tr()I) (3.11)
1+ν 1 − 2ν
et dans le sens inverse :

1 λ 1+ν ν
= σ− tr(σ)I = σ − tr(σ)I (3.12)
2µ 2µ(3λ + 2µ) E E

où I est le tenseur identité.


Notons enfin que le module de compression hydrostatique K est également
utilisé. Il relie la partie hydrostatique de la déformation (H = tr()) à la
contrainte hydrostatique (σH = tr(σ)). Il peut être exprimé en fonction des
coefficients de Lamé ou en fonction de E et ν sous la forme :

E
K = 3λ + 2µ = (3.13)
1 − 2ν

La figure 3.2 donne le module d’Young (en GP a) et le coefficient de Poisson


(sans unité) de différents matériaux à différentes températures. On constate
que le coefficient de Poisson est souvent voisin de 0,3. Si on calcule l’aug-
mentation relative de volume du matériau en cours de traction (par la trace
du tenseur des déformations), on remarque qu’elle vaut (1 − 2ν)33 . Dans un
essai de traction, le matériau s’allonge et augmente généralement son volume
dans le domaine d’élasticité.

3.1.4 Différents comportements élastiques

Le domaine d’élasticité est donc souvent représenté par une relation de pro-
portionnalité entre la contrainte et la déformation (loi de Hooke). Il est ce-
pendant important de savoir que ceci n’est qu’une schématisation plus ou

43
matériau température module d’Young coefficient
(degré C) (GP a) de Poisson
Alliage 20 72 0,32
d’aluminium AU4G 200 66 0,325
500 50 0,35
Alliage de titane 20 315 0,34
Ti 4Al 4Mn 200 115 0,34
Acier XC10 20 216 0,29
200 205 0,30
600 170 0,315
Fonte grise 20 100 0,29
Acier inoxydable 20 196 0,3
austénitique 316 200 170
700 131
Aluminium (A5) 20 68 0,33
Bronze 20 130 0,34
180 61
Plexiglass 20 2,9 0,4
Araldite 20 3 0,4
Caoutchouc 20 0,002 0,5
verre-epoxy (sens long) 20 19 0,3
carbone-epoxy (sens long) 20 87,6 0,32
Béton 20 30 0,2
Granit 20 60 0,27
Pin sylvestre (sens long) 20 17 0,45
Pin sylvestre (sens trans.) 20 1

Fig. 3.2 – exemples de caractéristiques élastiques

44
moins réaliste du comportement réel du matériau. En effet, le comportement
élastique d’un matériau n’est jamais strictement linéaire.

Anélasticité

Tous les solides sont plus ou moins ”anélastiques”, c’est-à-dire que leur courbe
de traction ne suit pas exactement une droite dans le domaine d’élasticité, et
de l’énergie est ”dissipée” au cours d’un essai de traction. La figure 3.3 donne
la courbe obtenue lors d’un cycle de traction-compression effectué sur de la
fibre de verre. De l’énergie est dissipée au cours d’un cycle (surface hachurée
sur la figure 3.3), ce qui confère au matériau un pouvoir amortissant, permet-
tant de réduire les vibrations ou le bruit. Les polymères et les métaux mous
(plomb) ont un fort pouvoir amortissant. Les polymères sont par exemple
utilisés dans les ”tôles sandwich”. Les métaux plus durs et le verre ont une
très faible anélasticité. Ils servent à fabriquer les ressorts (aciers), les cloches
(bronzes), . . .

Fig. 3.3 – cycle de traction-compression d’une fibre de verre (d’après [1])

Élasticité non-linéaire

Le cas particulier du caoutchouc est donné sur la figure 3.4 (courbe de trac-
tion). Son comportement est quasi-élastique, mais fortement non-linéaire.

45
On parle alors d’élasticité non-linéaire. Le solide emmagasine de l’énergie
au cours de la traction, puis la restitue totalement lorsque l’on arrète la
contrainte. Vous vous êtes sûrement déjà servis de cette propriété pour vous
faire involontairement mal aux doigts !! Pour représenter ce comportement,
on utilise une ”loi de Hooke” où les coefficients du tenseur de rigidité varient
en fonction de la déformation.

Fig. 3.4 – courbe de traction d’un caoutchouc (d’après [1])

3.1.5 Thermoélasticité linéaire

Les matériaux sont souvent soumis à des chargements thermiques qui ont
pour effet de dilater les structures. Les déformations thermiques sont direc-
tement proportionnelles à la variation de température ∆T , par le coefficient
de dilatation thermique α :

th = α∆T I (3.14)

Lorsque la structure n’est pas liée mécaniquement à l’extérieur, alors ce


champ de déformation thermique ne générera pas de contraintes s’il vérifie
les équations de compatibilité. On montre qu’une telle condition impose un
champ de températures linéaire dans la structure. Dans le cas contraire, ou si
la structure est liée mécaniquement à l’extérieur (on parle alors de dilatation
contrariée), alors des contraintes seront générées dans le solide.
Par exemple, lorsque l’on chauffe de façon homogène une barre de métal, celle-
ci se dilate sans qu’il y ait création de contraintes à l’intérieur. Par contre,

46
si on impose à celle-ci de garder la même longueur, alors une contrainte de
compression sera créée dans la barre pour respecter cette condition. Une autre
façon de créer des contraintes dans la barre est de la chauffer de façon non
homogène. Par exemple, lors d’un chauffage par induction à haute fréquence,
le diamètre extérieur de la barre est plus dilaté que le centre. La partie
extérieure de la barre sera donc mise en compression par la partie intérieure.
D’une façon plus générale, lors d’une sollicitation dite ”thermomécanique”,
les déformations thermiques s’ajoutent aux déformations mécaniques, elles-
même reliées aux contraintes par la loi de comportement du matériau. Dans le
cas élastique linéaire isotrope, on obtient une relation entre les déformations
et les contraintes sous la forme :

1+ν ν
= σ + (α∆T − tr(σ))I (3.15)
E E

L’inversion de cette relation nous fournit la loi de comportement dite ”thermoélastique”


du matériau :

E ν E
σ= ( + tr()I) − α∆T I (3.16)
1+ν 1 − 2ν 1 − 2ν

3.2 Viscoélasticité linéaire

La viscoélasticité sert à décrire le comportement de matériaux réversibles,


mais sensibles à la vitesse de déformation. On peut citer par exemple les po-
lymères, et dans une moindre mesure, le béton et le bois, comme matériaux
à comportement viscoélastique. Dans ce document, nous nous limiterons aux
schématisations linéaires de ce type de comportement. Dans le cadre ther-
modynamique décrit au chapitre 2, on peut citer les modèles de Kelvin-Voigt
et de Maxwell. Ces modèles s’appliquent principalement au comportement
viscoélastique des polymères.

3.2.1 Modèle de Kelvin-Voigt

La variable d’état du système est ici la déformation (élastique) totale du


matériau : . Le potentiel thermodynamique décrivant l’état du système est
donné sous la forme :

47
1
λtr()2 + 4µ

ψ=

Dans cette équation, tr() et  sont respectivement la trace et le second


invariant du tenseur des déformations.
Pour décrire son évolution, on introduit un potentiel de dissipation fonction
de la vitesse de déformation (élastique) totale du matériau : ˙ . Ce potentiel
s’écrit sous la forme :

1
λθλ tr(˙)2 + 4µθµ ˙

φ=
2

Dans cette équation, tr(˙) et ˙ sont respectivement la trace et le second


invariant du tenseur des vitesses de déformation.
En ajoutant maintenant la contrainte issue de la variable d’état et celle is-
sue de la loi complémentaire, on obtient la contrainte σ dans un matériau
viscoélastique en fonction de sa déformation  et de sa vitesse de déformation
˙ :

∂ψ ∂φ
σ=ρ + = λ [tr() + θλ tr(˙)] I + 2µ [ + θµ ˙ ] (3.17)
∂ ∂ ˙

Les quantités θλ et θµ sont des temps caractéristiques de retard à la déformation


servant à décrire l’influence de la vitesse.
Dans le cas uniaxial (contrainte σ et déformation ), ce modèle donne l’équation
différentielle suivante pour le comportement :

σ = E + η ˙

Dans cette équation on a η = λ(1 − 2ν)θλ + 2µθµ .

3.2.2 Modèle de Maxwell

La variable d’état du système est ici la déformation élastique du matériau : e .


La déformation totale est ici partitionnée de façon additive en une déformation
élastique et une déformation anélastique. Pour obtenir la déformation du

48
matériau , il est plus commode d’utiliser ici le potentiel thermodynamique
dual, décrivant l’état du système en fonction de l’état de contraintes σ :

 
∗ 1 1+ν ν
ψ = tr(σ 2 ) − (tr(σ))2
2ρ E E

De même, le potentiel de dissipation est donné en fonction de l’état de


contraintes sous la forme :

 
1 1+ν
φ= tr(σ 2 ) − f racνEτ2 (tr(σ))2
2 Eτ1

On introduit ici deux coefficients τ1 et τ2 , caractéristiques de la viscosité du


matériau. Finalement, dans ce modèle, la vitesse de déformation du matériau
est obtenue sous la forme suivante :

   
1+ν σ ν σ̇
˙ = σ̇ + − tr(σ̇ + I (3.18)
E τ1 E τ2

Dans le cas uniaxial (contrainte σ et déformation ), ce modèle donne l’équation


d’évolution suivante :

σ̇ σ
˙ = +
E η
1 1+ν ν
Dans cette équation, on a η
= Eτ1
− Eτ2
.

49
50
Chapitre 4

Plasticité - Viscoplasticité

4.1 Résultats expérimentaux

Tous les matériaux possèdent une limite d’élasticité, qui correspond à un


chargement critique à partir duquel le comportement du matériau n’est plus
réversible. Il peut y avoir rupture brutale (cas du verre), rupture progressive
(cas du béton), mais dans la plupart des cas il y a plastification du matériau.
Ceci signifie que sa forme est changée de façon irréversible, contrairement au
domaine d’élasticité où le solide reprend sa forme initiale lorsque l’on relâche
les efforts.

4.1.1 Limite d’élasticité

La figure 4.1 représente une courbe de traction nominale obtenue sur un


matériau solide. Cette courbe relie la contrainte nominale σn = SF0 , où F est
la force mesurée et S0 la section initiale de l’éprouvette, à la déformation
nominale n = ∆l l0
, où ∆l est l’allongement de l’éprouvette et l0 sa longueur
initiale. Les points caractéristiques de cette courbe sont :

– la limite d’élasticité Re , marquant le début de la déformation plastique


(irréversible) du matériau
– la limite d’élasticité conventionnelle R0,2 , donnant la contrainte no-
minale nécessaire pour une déformation plastique de 0,2% (on utilise
également avec la même convention la quantité R0,1 pour des matériaux

51
Fig. 4.1 – courbe de traction nominale

peu ductiles, c’est-à-dire dont la déformation plastique est faible avant


la rupture)
– la résistance à la traction Rm , contrainte nominale maximale observée
(avant la striction)
– l’allongement à la rupture AR , déformation nominale maximale admis-
sible par le matériau avant rupture

Le tableau 4.1 donne quelques valeurs numériques de Re , Rm et AR pour


différents matériaux. La figure 4.2 reprend les valeurs de Re par type de
matériau. Pour certains comme les céramiques, la limite d’élasticité coı̈ncide
avec la rupture brutale. De plus, cette limite ne peut être mesurée en traction
car ces matériaux résistent mal à la fissuration. On utilise donc l’essai de
dureté pour la mesurer.
D’une façon générale, la limite d’élasticité d’un matériau est un scalaire,
souvent noté σ0 . Il s’agit de la contrainte ”vraie” (F/S) appliquée au matériau
lorsqu’apparaı̂t la plastification. Elle est donc légèrement différente de la
valeur Re de la figure 4.2, qui est définie comme la contrainte nominale (F/S0 )
appliquée en ce même point. Toutefois, le changement de section du matériau
dans le domaine d’élasticité en traction est souvent très faible, de sorte que
l’on confond en général ces deux valeurs. Par contre, il est très important de
ne pas confondre σ0 et R0,2 (limite d’élasticité conventionnelle).

52
Matériau Re en MPa Rm en MPa AR en ◦/◦
diamant 50000 - 0
carbure de silicium, SiC 10000 - 0
nitrure de silicium, Si3 N4 8000 - 0
silice vitreuse, SiO2 7200 - 0
carbure de tungstène, W C 6000 - 0
carbure de niobium, N bC 6000 - 0
alumine, Al2 O3 5000 - 0
carbure de titane, T iC 4000 - 0
carbure de tantale, T aC 4000 - 0
zircone, ZrO2 4000 - 0
verre standard 3600 - 0
magnésie, MgO 3000 - 0
cobalt et ses alliages 180-2000 500-2500 1-60
molybdène et ses alliages 560-1450 665-1650 1-36
titane et ses alliages 180-1320 300-1400 6-30
tantale et ses alliages 330-1090 400-1100 1-40
aciers inoxydables austénitiques 286-500 760-1280 45-65
aciers au carbone (traités) 260-1300 500-1880 20-30
aciers faiblement alliés (traités) 500-1980 680-1400 2-30
acier doux 220 430 18-25
fer 50 200 30
alliages d’aluminium 100-627 300-700 5-30
aluminium 40 200 50
alliages de cuivre 60-960 250-1000 1-55
cuivre 60 400 55
alliages de nickel 200-1600 400-2000 1-60
nickel 70 400 65
or 60 220 50
PMMA 60-110 110 -
glace 85 - 0
mousse de polyuréthane 1 1 10-100
caoutchouc naturel - 30 500

Tab. 4.1 – Propriétés de quelques matériaux (extrait de [1])

4.1.2 Anisotropie

Par définition, la limite d’élasticité σ0 est un scalaire qui ne dépend que du


matériau. En particulier, elle ne doit pas dépendre pas du type de sollicita-

53
Fig. 4.2 – Re pour différents matériaux (d’après [1])

tion appliquée. Par exemple, dans le cas de la traction ou de la compression


uniaxiale, ce scalaire est comparé directement à la contrainte limite appliquée
dans la direction de sollicitation (si cette contrainte dépasse σ0 , le matériau
”plastifie”).
Dans certains matériaux, la contrainte appliquée en traction lorsque le matériau
plastifie change en fonction du sens de prélèvement de l’éprouvette. Le matériau
est alors dit anisotrope (c’est le cas par exemple des composites à fibres
longues ou des tôles laminées). Il est alors fréquent de parler de limites

54
d’élasticité ”sens long” et ”sens travers”, alors qu’elles correspondent au
même matériau, et doivent donc être égales. En fait, ces limites d’élasticité
sont apparentes. La valeur σ0 de la limite d’élasticité reste la même, mais
elle n’est plus comparée directement à la contrainte appliquée. On introduit
un facteur correctif par direction dans la définition du scalaire qui sera com-
paré à la limite d’élasticité. Ces facteurs rendent compte de l’anisotropie du
matériau, et définissent une fonction du tenseur des contraintes, que l’on
appelle contrainte équivalente.

Fig. 4.3 – contrainte seuil sur du bois feuillu tropical ”Wana-Kouali”, d’après
[4]

On remarque également parfois que la contrainte correspondant à la limite


d’élasticité en traction n’est pas la même que celle en compression (bois,
béton, . . . ). Comme pour l’anisotropie, cet effet peut être incorporé dans la
définition de la contrainte équivalente. La figure 4.3 donne la contrainte seuil
observée sur du bois, en traction et en compression, en fonction de l’angle de
sollicitation par rapport au sens long. Les effets d’anisotropie ainsi observés
peuvent être modélisés à l’aide d’une contrainte équivalente de Tsaı̈ (voir
paragraphe suivant).

55
4.2 Modélisation mécanique

4.2.1 Contrainte équivalente

La contrainte équivalente appliquée à un matériau est un scalaire, souvent


noté σ, qui représente l’ensemble du tenseur des contraintes. C’est ce scalaire
qui sera comparé à la limite d’élasticité σ0 , pour savoir si le matériau a
plastifié ou non. Il incorpore donc les éventuels effets d’anisotropie dans sa
définition. Les contraintes équivalentes les plus utilisées sont celles de von
Mises et Tresca pour les matériaux isotropes, et de Hill et Tsaı̈ pour les
matériaux anisotrope.

– La contrainte équivalente de von Mises est définie sous la forme :


r
3 1
σV M = Sij Sij avec Sij = σij − σkk δij (4.1)
2 3
Elle est donc proportionnelle au second invariant du tenseur déviateur
des contraintes S, et on peut l’écrire en fonction des deux premiers
invariants du tenseur des contraintes, ou directement en fonction de
ses composantes principales σI , σII et σIII (valeurs propres du tenseur
des contraintes) :
3
σ 2V M = σ σ − 12 σkk
2 ij ij
2
1
= 2
[(σ11 − σ22 )2 + (σ22 − σ33 )2 + (σ33 − σ11 )2 ]
2 2 2 (4.2)
+3(σ12 + σ23 + σ31 )
1
= 2
[(σI − σII ) + (σII − σIII )2
2
+ (σIII − σI )2 ]
– La contrainte équivalente de Tresca est définie dans l’espaces des contraintes
principales sous la forme :

σ T = Sup[|σI − σII |,|σII − σIII |,|σIII − σI |] (4.3)


– La contrainte équivalente de Hill est définie de la façon suivante :

s
F (σ11 − σ22 )2 + G(σ22 − σ33 )2 + H(σ33 − σ11 )2
σH = 2 2 2 (4.4)
+2Lσ12 + 2M σ23 + 2N σ31

Les coefficients F , G, H, L, M et N caractérisent l’anisotropie du


matériau. Ils sont obtenus par exemple en effectuant des essais de trac-
tion et de cisaillement dans différentes directions, et en mesurant la

56
contrainte seuil σs (de traction ou de cisaillement) pour laquelle ap-
paraı̂t la plasticité :

– traction selon →
− σ2
x 1 → F + H = σ02
s

− σ02
– traction selon x 2 → F + G = σ2
s


– traction selon x → G + H =
σ02
3 σs2

– cisaillement entre →
− −
→ σ2
x 1 et x 2 → 2L = σ02
s

– cisaillement entre −
→ →
− σ02
x et
2 x 3 → 2M = σ2
s

→ →
− σ02
– cisaillement entre x 3 et x 1 → 2N = σ2
s

Cette contrainte équivalente est largement utilisée pour représenter le


comportement de tôles laminées, et plus généralement de matériaux
présentant une symétrie orthotrope de leurs propriétés (symétrie par
rapport à trois plans orthogonaux).
– La contrainte équivalente de Tsaı̈ est de la forme :

σ T S = σ H + P (σ11 − σ33 ) + Q(σ22 − σ33 ) (4.5)


Cette contrainte équivalente est largement utilisée dans le domaine des
composites, des bois, . . . . Elle permet, à l’aide des coefficients P et Q,
de rendre compte d’un comportement dissymétrique en traction et en
compression.

La notion de limite d’élasticité sera donc généralisée au cas d’un chargement


quelconque et aux matériaux isotropes et anisotropes par la condition :

σ − σ0 = 0 (4.6)

Comme la contrainte équivalente est une fonction scalaire des composantes


du tenseur des contraintes, et que σ0 est une caractéristique intrinsèque
du matériau, cette généralisation respecte la thermodynamique des milieux
continus qui stipule que la limite d’élasticité d’un matériau s’écrit sous la
forme f (σ,Ak ) = 0, où les termes Ak représentent les forces associées aux
variables internes définissant le matériau.
On peut maintenant tracer dans l’espace des contraintes la surface d’équation
4.6. Cette surface est appelée surface d’écoulement. Elle délimite le domaine
des contraintes dans lequel le comportement du matériau est élastique (i.e.

57
réversible). La forme de la surface d’écoulement dépend du type de contrainte
équivalente utilisé pour représenter le matériau, tandis que sa taille dépend
de la valeur de la limite d’élasticité σ0 .
La figure 4.4 donne une représentation des surfaces σ V M − σ0 = 0 et σ T −
σ0 = 0, dans le plan associé aux composantes principales du déviateur des
contraintes (pour lesquelles on a SI + SII + SIII = 0). Ce plan est sou-
vent appelé le plan Π. Il est largement utilisé pour représenter les surfaces
d’écoulement associées aux contraintes équivalentes présentées, car celles-ci
sont indépendantes de la trace du tenseur des contraintes (premier invariant).
Ceci illustre le fait que la déformation plastique s’effectue sans changement de
volume, et donc que l’application d’un chargement purement triaxial (tenseur
des contraintes proportionnel à l’identité) ne peut provoquer de plastification.
Sur la figure 4.4, un point correspondant à un essai de traction uniaxial (selon
la direction −→
x 3 ) a été tracé, avec ses composantes dans le plan.

Fig. 4.4 – σ V M − σ0 = 0 et σ T − σ0 = 0 dans le plan Π

Un autre plan largement utilisé pour représenter les surfaces d’écoulement


est celui associé aux composantes σ − τ du tenseur des contraintes, où σ est
une contrainte de traction et τ une contrainte de cisaillement (chargement

58
de traction-torsion). Le déviateur des contraintes s’écrit alors :

− 13 σ
 
0 0
S=  0 − 13 σ τ  (4.7)
2
0 τ 3
σ

On montre facilement que les surfaces σ V M − σ0 = 0 et σ T − σ0 = 0 s’écrivent


respectivement dans ce cas σ 2 + 3τ 2 − σ02 = 0 et σ 2 + 4τ 2 − σ02 = 0. Leur
représentation est donnée sur la figure 4.5.

Fig. 4.5 – σ V M − σ0 = 0 et σ T − σ0 = 0 dans le plan σ − τ

Nous venons de définir la surface d’écoulement d’un matériau dans l’espace


des contraintes par sa forme et sa taille. Sa forme vient du type de contrainte
équivalente utilisée, tandis que sa taille est donnée par la limite d’élasticité
σ0 .

4.2.2 Variables d’écrouissage

Les variables thermodynamiques Ak introduites dans l’expression de la sur-


face d’écoulement (chapitre 2) ont une grande importance. En effet, la forme
de la surface, donnée par le type de contrainte équivalente choisi (et les
facteurs correctifs par direction de sollicitation), et sa taille, donnée par la
limite d’élasticité σ0 , ne suffisent pas à la caractériser totalement. En effet,
cette surface évolue au cours d’une déformation plastique. Cette évolution

59
sera schématisée par un déplacement de son centre et une variation de sa
taille (nous ne traiterons pas ici le cas d’une variation de forme en cours de
déformation). D’un point de vue macroscopique, on utilise pour cela deux
variables :

– une variable R scalaire, dite variable isotrope, qui fournit la taille de la


surface d’écoulement, et surtout dont l’évolution donne celle le la taille
de la surface en cours de déformation (il est évident que l’on a R = σ0
à l’état initial)
– une variable X tensorielle, dite variable cinématique, dont les compo-
santes sont homogènes à des contraintes, qui fournit la position de la
surface (par exemple de son centre) dans l’espace des contraintes, et
donc également son évolution en cours de déformation.

Ces deux variables sont à la base de la modélisation macroscopique du com-


portement mécanique des matériaux. La surface d’écoulement sera donc for-
mulée de la façon suivante :

f (σ − X,R) = (σ − X) − R = 0 (4.8)

où l’expression de la contrainte équivalente agit non plus sur le tenseur σ,


mais sur la quantité σ−X. La figure 4.6 donne une représentation schématique
de la surface d’écoulement d’un matériau dans l’espace des contraintes.
Si une contrainte équivalente de von Mises est choisie, alors la surface d’écoulement
s’exprimera sous la forme :

(σ − X)V M − R = 0 (4.9)

Sa représentation dans le plan Π est donnée sur la figure 4.7.


Nous venons de définir des variables internes, qui décrivent l’état du matériau
à un instant donné. Nous allons maintenant nous intéresser à l’évolution de
ces variables en cours de déformation, qui correspond à sa loi de comporte-
ment.

60
Fig. 4.6 – Représentation schématique d’une surface d’écoulement dans l’es-
pace des contraintes

4.3 Comportement élastoplastique

4.3.1 Loi de normalité

La caractéristique principale du comportement élastoplastique d’un matériau


est son insensibilité à la vitesse de sollicitation. Il s’en suit que, quelle que
soit cette vitesse, la déformation plastique sera gouvernée par l’écrouissage
du matériau, c’est-à-dire l’évolution de la forme, de la position, et de la taille
de sa surface d’écoulement. Tant que l’état de contrainte reste à l’intérieur
de cette surface (f < 0 dans l’équation 4.8), le matériau reste élastique.
Lorsqu’il atteint cette surface (f = 0 dans l’équation 4.8), il peut y avoir
plastification. Mais en aucun cas l’état de contrainte ne peut ”sortir” de la
surface d’écoulement. En utilisant les résultats du chapitre 2 sur la plasti-
cité indépendante du temps (cas de la dissipation instantanée), et l’équation
générale de la surface d’écoulement (chapitre précédent), le choix de deux va-
riables internes pour décrire la surface d’écoulement, une isotrope (R) et une
cinématique (X), nous conduit à écrire les équations suivantes pour décrire

61
Fig. 4.7 – (σ − X)V M − R dans le plan Π

l’évolution du matériau en cours de déformation :


 ∂f ∂((σ − X) − R)

 ˙ p = λ̇ = λ̇


 ∂σ ∂σ
∂((σ − X) − R) ∂((σ − X) − R)

∂f (4.10)
α̇ = −λ̇ = −λ̇ = λ̇ = ˙ p


 ∂X ∂X ∂σ
 ṗ = −λ̇ ∂f = −λ̇ ∂((σ − X) − R) = λ̇



∂R ∂R

Dans ces équations, α̇ et ṗ sont les variables associées respectivement à X


et R, et λ̇ est un multiplicateur scalaire. La forme choisie pour la surface
d’écoulement (fonction f , équation 4.8) conduit à α̇ = ˙ p et ṗ = λ̇. Les
équations 4.10 constituent la loi de normalité en plasticité dite associée. En
fait, il serait possible de choisir une fonction différente de celle décrivant
la surface d’écoulement pour appliquer ces relations, tout en respectant le
second principe de la thermodynamique. Dans ce document, nous nous li-
miterons à la plasticité associée, qui est l’hypothèse la plus répandue en
élastoplasticité.

62
La condition d’écoulement en élastoplasticité s’écrira finalement sous la forme
suivante :

– Si f = (σ − X) − R < 0, alors λ̇ = 0 (comportement purement


élastique)


– Sinon, les variables −

σ , X et R vérifient la condition f = (σ − X)−R =
0. La vitesse de déformation plastique ˙ p est alors obtenue par la loi de
normalité avec λ̇ ≥ 0 (plastification possible)

Fig. 4.8 – Schématisation du comportement élastoplastique dans l’espace des


contraintes

On voit donc que la connaissance de la surface d’écoulement permet d’obtenir


la ”direction” de la vitesse de déformation plastique, mais pas son intensité.
La vitesse de déformation plastique est en effet dirigée selon la normale à
la surface d’écoulement dans l’espace des contraintes (figure 4.8), tandis que
son amplitude est obtenue par le terme λ̇ qu’il faut maintenant déterminer.

4.3.2 Condition de consistance

Lorsque l’état de contrainte se situe sur la surface d’écoulement, le terme λ̇


est calculé en appliquant la condition de consistance, qui exprime simplement

63
que l’état de contrainte ne peut ”sortir” de la surface d’écoulement au cours
d’un petit incrément de déformation. En écrivant cette condition en vitesses,
on obtient :

˙
– Si f˙ = (σ − X)−Ṙ < 0, alors λ̇ = 0 (retour dans le domaine d’élasticité)
˙
– Sinon, la condition f˙ = (σ − X) − Ṙ = 0 donne la valeur de λ̇

En utilisant la forme de la surface d’écoulement (équation 4.8), la condition


de consistance f˙ = 0 s’écrit de la façon suivante :

∂f ∂f ∂f ∂(σ − X)
f˙ = : σ̇ + : Ẋ + Ṙ = : (σ̇ − Ẋ) − Ṙ = 0 (4.11)
∂σ ∂X ∂R ∂σ

Dans cette équation, on voit apparaı̂tre :

– le terme σ̇, qui traduit l’évolution de la sollicitation


– les termes Ẋ et Ṙ, qui traduisent l’évolution de la position et de la
taille de la surface d’écoulement
– le terme ∂(σ−X)
∂σ
, qui traduit le type de contrainte équivalente utilisé, et
donc la forme de la surface d’écoulement

Les termes Ẋ et Ṙ sont la traduction macroscopique de l’écrouissage du


matériau. La loi de comportement élastoplastique d’un matériau est donc
l’écriture de ces termes d’écrouissage en fonction des variables flux ˙ p et
ṗ = λ̇. Connaissant la loi de comportement, on peut alors remplacer Ẋ et Ṙ
dans la condition de consistance par des fonctions de ˙ p et de λ̇, pour obtenir
une équation supplémentaire donnant λ̇.

4.4 Comportement élastoviscoplastique

4.4.1 Loi de normalité

Le comportement élastoviscoplastique d’un matériau est caractérisé par :

– un domaine d’élasticité, délimité par la surface d’écoulement d’équation


f (σ,X,R) = (σ − X) − R = 0,

64
– une sensibilité à la vitesse de sollicitation dans le domaine de plasticité,
décrite par une fonction de dissipation φ∗ .

Le choix de deux variables, une isotrope (R) et une cinématique (X), nous
conduit à écrire les équations suivantes pour décrire l’évolution du matériau
en cours de déformation plastique (il est évident que le comportement reste
élastique tant que l’état de contrainte n’atteint pas la surface d’écoulement) :

∂φ∗


 
˙ p =
∂σ



∂φ∗

α̇ = − (4.12)
 ∂X




 ṗ = −
 ∂φ
∂R

Dans ces équations, α̇ et ṗ sont les variables associées respectivement à X et


R.
Pour un matériau dans un état donné, fixé par les variables (σ,X,R), la figure
4.9 représente schématiquement :

– la surface d’écoulement f = 0,
– les surfaces d’iso-dissipation φ∗ = cste

La surface φ∗ = 0 coı̈ncide avec la limite d’élasticité du matériau (la surface


d’écoulement f = 0). Elle correspond à une sollicitation à vitesse nulle. La
surface ”φ∗ = ∞” peut s’en écarter beaucoup, et correspond à une sollici-
tation infiniment rapide. Entre les deux, l’état de contrainte dépendra de
la vitesse de déformation plastique. Cette schématisation permet de rendre
compte de la sensibilité des matériaux à la vitesse de déformation.

4.4.2 Potentiel d’écoulement

La connaissance de la surface d’écoulement (fonction f ) et du terme de dis-


sipation (fonction φ∗ ) définit complètement le comportement du matériau
à un instant donné. D’une façon générale, ces deux fonctions ne sont pas
forcément liées entre elles, si ce n’est pour respecter le second principe de la
thermodynamique. Dans ce document, nous nous limiterons aux modèles les
plus simples pour schématiser le comportement élasto-visco-plastique d’un

65
Fig. 4.9 – Schématisation du comportement élasto-visco-plastique dans l’es-
pace des contraintes

matériaux. Dans ces modèles, la fonction de dissipation est écrite sous la


forme :

φ∗ = Ωp (f ) = Ωp ((σ − X) − R) (4.13)

Le terme Ωp est appelé potentiel d’écoulement. Il dépend uniquement de


l’écart entre la contrainte et la surface d’écoulement, écart représenté par
la valeur de f . Dans ce cas, la loi de normalité peut s’écrire sous la forme
suivante :


dΩp ∂f dΩp ∂((σ − X) − R)
˙ p = =


df ∂σ df ∂σ




dΩp ∂f dΩp ∂((σ − X) − R)

α̇ = − =− = ˙ p (4.14)

 df ∂X df ∂X
 ṗ = − dΩp ∂f = − dΩp ∂((σ − X) − R) = dΩp




df ∂R df ∂R df

66
On remarque alors que le terme dΩ df
p
joue ici le même rôle que le multipli-
cateur scalaire λ̇ en élastoplasticité. Ce terme doit donc être nul si l’état de
contrainte est à l’intérieur de la surface d’écoulement (f < 0, comportement
élastique). Par contre, il n’existe pas ici de condition de consistance, puisque
le multiplicateur scalaire est directement donné par la valeur de f lorsque
l’état de contrainte dépasse cette surface.
Les variables ˙ p et ṗ servent à calculer l’évolution des variables internes X
et R, soit les quantités Ẋ et Ṙ schématisant l’écrouissage du matériau, par
l’intermédiaire de sa loi de comportement. On voit donc que la loi de com-
portement du matériau sera donné ici par :

– l’évolution des variables X et R en fonction de ˙ p et de ṗ, qui représente


l’écrouissage du matériau (comme dans le cas élasto-plastique),
– l’expression du potentiel d’écoulement Ωp (f ), qui caractérise sa sensi-
bilité à la vitesse de déformation.

La forme la plus utilisée pour le potentiel d’écoulement est :

 n+1  n+1
K f K σ−X −R
Ωp (f ) = = (4.15)
n+1 K n+1 K

où K > 0 et n > 1 sont des constantes permettant de quantifier la sensibilité


de l’écoulement plastique à la vitesse de sollicitation, et où l’expression < x >
vaut 0 si x < 0 et x sinon.
La plasticité indépendante du temps (ou élastoplasticité) est donc une sim-
plification de ce cas général, pour le cas où les surfaces d’iso-dissipation
φ∗ = cste sont suffisamment proche l’une de l’autre pour être confondues,
ou pour les cas où l’on s’intéresse à des sollicitations suffisamment lentes ou
suffisamment rapides pour ne considérer qu’une seule surface iso-dissipation.
Dans ce cas, l’expression du potentiel d’écoulement Ωp (f ) n’est pas explicite.
Elle est donnée par la condition de consistance.

67
4.5 Quelques exemples

4.5.1 Ecrouissage isotrope

La loi de Prandtl-Reuss décrit le comportement élasto-plastique d’un matériau


avec une surface d’écoulement représentée par une contrainte équivalente de
von Mises et une variable isotrope R. Il n’y a pas de variable cinématique. La
fonction f caractérisant la surface d’écoulement s’écrit alors tout simplement
sous la forme :

f (σ,R) = σ V M − R (4.16)

En utilisant l’expression de la contrainte équivalent de von Mises, on montre


facilement que la loi de normalité s’écrit dans ce cas :


 ˙ = λ̇ ∂f = 3 λ̇ S
p
∂σ 2 σV M (4.17)
ṗ = λ̇

De plus, on peut remarquer que le terme ṗ peut être écrit en fonction du


tenseur ˙ p :

r
2
ṗ = ˙ : ˙ (4.18)
3 p p

On reconnatı̂t ici l’expression d’une vitesse de déformation plastique équivalente,


souvent notée ˙ p , car elle satisfait la condition Ẇ = σ : ˙ p = σ ˙ p , où Ẇ est la
puissance de déformation plastique, premier membre du terme de dissipation
Φ du chapitre 2.
La quantité f˙ s’écrit ici f˙ = σ̇ V M − Ṙ. Le terme σ̇ V M représente l’évolution
de la sollicitation, tandis que Ṙ représente celle de la surface d’écoulement
(i.e. l’écrouissage). Lorsque f = 0, La condition de consistance devient alors :

– Si σ̇ V M < Ṙ, alors λ̇ = 0 car la sollicitation ne suit pas l’écrouissage


(retour dans le domaine d’élasticité)
– Sinon, λ̇ est calculé de telle sorte que l’état de contrainte reste sur la
surface d’écoulement (il ne peut pas en sortir), soit σ̇ V M = Ṙ

68
Pour obtenir le multiplicateur plastique λ̇, il suffit donc maintenant d’expri-
mer la loi d’évolution de la variable R en fonction des variables flux. Dans la
loi de Prandtl-Reuss, on ecrit cette évolution sous la forme :


R(0) = σ0 (limite d’élasticité initiale)
R = R(p) avec (4.19)
Ṙ = H ṗ (H : pente d’écrouissage plastique)

La figure 4.10 donne une courbe de traction uniaxiale, sur laquelle nous avons
situé les variables introduites dans la loi de Prandtl-Reuss. On constate qu’un
essai de traction uniaxiale suffit dans ce cas à caractériser complètement la loi
de comportement du matériau. En effet, la variation de contrainte au cours
de l’essai s’écrit :

σ̇ EH
σ̇ = E ˙e = E(˙ − ˙p ) = E(˙ − ) ⇒ σ̇ = ˙
H E+H

Fig. 4.10 – Essai de traction uniaxiale, loi de Prandtl-Reuss

En utilisant les relations précédentes, on peut finalement écrire la vitesse de


déformation plastique de la loi de Prandtl-Reuss sous la forme suivante :


 0 si σ V M < R (domaine d’élasticité)
0 si σ V M = R et σ̇ V M < H ˙ V M (retour élastique)


˙ p = (4.20)
3σ̇ V M
S sinon (plastification)



2Hσ V M

69
La vitesse de déformation totale est donc obtenue sous la forme :

˙ = ˙ e + ˙ p (4.21)

où la partie élastique est donnée classiquement par la loi de Hooke et la partie
plastique par la relation précédente. Dans le cas d’une élasticité isotrope, la
loi de Hooke fournit :

1+ν ν
˙ e = σ̇ − σ̇kk I (4.22)
E E

Lorsque la partie élastique de la déformation est négligée (˙ = ˙ p ), l’expression


obtenue porte le nom de relation de Levy-Mises. Cette relation est souvent
utilisée car la loi de Prandtl-Reuss est bien adaptée aux sollicitations mono-
tones de grande amplitude, où la partie élastique de la déformation devient
négligeable devant la partie plastique.

4.5.2 Ecrouissage cinématique linéaire

La loi de Prager décrit le comportement élasto-plastique d’un matériau avec


une surface d’écoulement représentée par une variable cinématique linéaire
X et une variable isotrope constante R = σ0 . La fonction f caractérisant la
surface d’écoulement s’écrit alors tout simplement sous la forme :

f (σ,X) = σ − X − σ0 (4.23)

La loi de normalité s’écrit alors :

∂f
˙ p = α̇ = λ̇ (4.24)
∂σ

L’évolution de la variable X étant supposée linéaire en fonction de α, la loi


de Prager s’écrit :


 ˙ = λ̇ ∂f
p
∂σ (4.25)
Ẋ = C ˙ p

70
Le multiplicateur plastique λ̇ est obtenu par la condition de consistance. On
montre facilement que cette condition conduit à l’expression suivante :



 0 si f < 0 (comportement élastique)
 0 si f = 0 et ∂f : σ̇ < 0 (retour élastique)



λ̇ = ∂σ (4.26)
∂f

 ∂σ
: σ̇
 C : ∂f sinon


 ∂f
∂σ ∂σ

Souvent, la contrainte équivalente utilisée dans la fonction f est celle de


von Mises. ceci permet de simplifier les relations précédentes, en utilisant le
déviateur de la variable X.
L’écrouissage cinématique de Prager correspond à une translation de la sur-
face d’écoulement, sans évolution de sa taille (la variable R est constante).

4.5.3 Ecrouissage combiné

Dans le cas de chargements cycliques, il est difficile d’utiliser la loi de Prandtl-


Reuss ou celle de Prager. En effet, dans le cas d’un ecouissage purement
isotrope (loi de Prandtl-Reuss), une sollicitation cyclique symétrique (par
exemple traction-compression) produira une plastification aux premiers cycles,
puis une déformation purement élastique au cycle stabilisé. A l’inverse, la loi
cinématique linéaire de Prager produira une plastification identique à chaque
cycle. Pour bien représenter le comportement mécanique d’un matériau sous
sollicitation cyclique, il est donc nécessaire d’utiliser une loi combinant un
écrouissage isotrope et un écrouissage cinématique. La figure 4.11 représente
un cycle contrainte-déformation obtenu lors d’une sollicitation en traction-
compression à déformation imposée, avec différents types décrouissage.
D’une façon générale, les variables décrouissage R (isotrope) et X (cinématique)
constituent la loi de comportement du matériau. Elles sont la traduction
macroscopique des mécanismes de déformation plastique du matériau. Leur
évolution est donnée sous la forme suivante :

Ẋij = Cijkl ˙pkl +Dij ṗ



(4.27)
Ṙ = Kij ˙pij +H ṗ

En pratique, l’écrouissage isotrope R est souvent fonction uniquement de la

71
Fig. 4.11 – Courbes cycliques typiques

variable p (Kij = 0), qui représente la déformation plastique cumulée puisque


ṗ est un scalaire lié à la norme du tenseur ˙ p . Le coefficient H est d’ailleurs
lui-même fonction de R, que qui permet de rendre cette loi non-linéaire. La
loi suivante est par exemple utilisée (A et B sont des constantes) :

Ṙ = A(B − R)ṗ (4.28)

Une loi souvent utilisée pour l’écrouissage cinématique X est :

Ẋij = C ˙pij − DXij ṗ (4.29)

où C et D sont des constantes. Le second terme de cette équation est un


”terme de rappel”, qui donne un caractère non-linéaire à cette relation. Cette
loi devient intéressante lorsque l’on veut représenter le comportement cy-
clique d’un matériau.

72
Chapitre 5

Endommagement - Rupture

5.1 Endommagement

5.1.1 Description

En général, lorsque l’on déforme un matériau depuis un état initial jusqu’à


un état pré-déformé, sa capacité de déformation ou ductilité résiduelle jus-
qu’à rupture décroı̂t. En cours de déformation, le matériau subit donc un
endommagement progressif, qui aboutit à sa rupture. On peut considérer
l’endommagement comme l’ensemble des phénomènes liés aux cavités qui
se forment dans le matériau en cours de déformation. Ceci le différencie de
l’écrouissage par exemple, vu au chapitre précédent, qui est principalement
dû dans les métaux à l’arrangement et à la multiplication des dislocations.
Une analyse détaillée de la physique et de la mécanique de l’endommagement
a été réalisée dans [5].
L’endommagement se traduit donc dans le matériau par la formation (phase
d’amorçage) et le développement (phases de croissance et de coalescence) de
cavités. Or, dans le cadre de la mécanique des milieux continus, un solide est
supposé ne posséder ni trou, ni interface, ce qui permet par exemple de définir
des variables continues pour représenter les efforts internes de cohésion dans
le matériau. Il est cependant possible d’introduire une notion d’endommage-
ment dans le cadre des milieux continus. Pour cela, on fait l’hypothèse que
l’élément de volume considéré est suffisamment grand devant les dimensions
des hétérogénéités (cavités) dues à l’endommagement. La figure 5.1 illustre
la définition des efforts internes dans un matériau endommagé. La section dS

73


(de normale unitaire −→n ) utilisée pour définir le vecteur contrainte t (voir
par exemple [3] pour la définition du vecteur contrainte) contient des traces
de microfissures et de cavités constituant l’endommagement du matériau.

Fig. 5.1 – Schéma illustrant la notion d’endommagement dans un milieu


continu

En notant dSD la surface projetée sur dS des traces d’endommagement, on


mesure l’endommagement local, dans la direction − →
n , par le rapport entre
la surface dSD et la surface dS. Cette endommagement vaudra 0 pour un
matériau non endommagé, et 1 pour un matériau totalement rompu per-
pendiculairement à −

n . En conséquence, la variable d’endommagement ainsi
définie :

– dépend de la direction −

n considérée dans le matériau,
– est un scalaire toujours compris entre 0 et 1.

Dans ce document, nous nous limiterons au cas d’un endommagement iso-


trope, c’est-à-dire identique dans toutes les directions de l’espace. Il s’en suit
que la variable que nous venons de définir ne dépend pas de − →
n , car les fissures
et les cavités sont supposées uniformément distribuées par rapport à toutes

74
les directions de l’espace. Cette variable d’endommagement est en général
notée D.
Le tenseur des contraintes −→
σ dans le matériau résulte de la définition du vec-


teur contrainte t appliqué à l’élément de surface −

n dS. Le vecteur contrainte
effectif, c’est-à-dire celui effectivement subit localement par le matériau, agit
sur la surface effective − →
n (dS − dSD ) = −→n dS(1 − D). On en déduit facilement


que ce vecteur contrainte effectif vaut t /(1 − D), et donc que le tenseur de
contraintes effectives vaut :



σ


σD = (5.1)
1−D

Il est possible d’inscrire l’endommagement d’un matériau, qu’il soit isotrope


ou non, dans le cadre thermodynamique du chapitre 2. Dans le cas isotrope
par exemple, D est introduit comme une des variables internes Vk , et on lui
associe une force thermodynamique Y . L’évolution de l’endommagement est
alors modélisé par une loi donnant la variation de Y avec les variables internes
introduites, dont D. Ceci permet en outre de coupler l’endommagement avec
la déformation plastique.

5.1.2 Mesure

L’endommagement d’un matériau déformé, ou en cours de déformation, peut


être mesuré de diverses façons. En fait, il existe deux grandes familles de
méthodes de mesure. Dans la première, on réalise des mesures directes par
observation microscopique. Dans la seconde, on effectue des mesures indi-
rectes en utilisant un paramètre physique.

Mesures directes

Les mesures directes de l’endommagement peuvent se faire de différentes


façons. On peut par exemple observer la surface d’un échantillon déformé
qui avait été préalablement poli. Pour observer le coeur de l’échantillon, on
peut également sectionner une éprouvette déformée. Enfin, on peut également
observer le faciès de rupture de l’éprouvette.
La figure 5.2 montre l’évolution en compression de la surface apparente d’un
parallélépipède. On constate une modification sensible de cette surface, que

75
Fig. 5.2 – Observation de l’endommagement par microscopie optique : com-
pression d’un parallélépipède [5]

Fig. 5.3 – Observation sous charge d’un alliage Al − 13%Si, pour une
déformation totale de 0,1% [5]

l’on peut observer directement par microscopie optique. La figure 5.3 montre
que la répartition des déformations dans un échantillon biphasé peut provo-
quer des décohésions et des ruptures dans la seconde phase (ici de la silice).

76
Mesures indirectes

Les mesures indirectes de l’endommagement sont basées sur l’estimation d’un


paramètre physique du matériau déformé ou en cours de déformation. Ce
paramètre physique doit bien sûr être relié à l’endommagement. Dans ce
document, nous nous limiterons aux mesures de caractéristiques élastiques
(module d’Young et coefficient de Poisson pour un matériau isotrope). Pour
plus de détails sur ces mesures, le lecteur trouvera dans [5] une description
d’autres méthodes telles que par exemple :

– la mesure de densité
– l’émission acoustique
– les méthodes électriques

La mesure de la variation de la pente élastique, donc du module d’Young,


lors de déchargements successifs au cours d’un essai de traction montre que
ce module diminue lorsque la déformation augmente. La figure 5.4 donne
quelques résultats obtenus par [4]. En fait, le module d’Young mesuré est un
module apparent qui rend compte de l’endommagement du matériau.

Fig. 5.4 – Mesures de l’endommagement par variation du module d’Young


[4]

Si F est la force de traction appliquée à l’éprouvette, σ la contrainte, S sa


section courante, et S − SD sa section effective, alors la relation 5.1 permet
d’écrire :

σ = ED e et σD = Ee (5.2)

77
Dans ces expressions, e est la déformation élastique, ED est le module
d’Young mesuré (apparent), et E est le module d’Young initial du matériau.
On déduit de ces relations que, en mesurant E lors du premier chargement,
puis ED lors des chargement successifs, on obtient une estimation de l’en-
dommagement du matériau par :

ED
D =1− (5.3)
E

Toutefois, lors de telles mesures, il est évident que les pentes mesurées rendent
également compte d’autres phénomènes que de l’endommagement. Par exemple,
il peut y avoir plastification locale dès le début des recharges, près des ca-
vités ou des inclusions, cette plastification ayant pour effet de modifier par
écrouissage la pente apparente dans le domaine d’élasticité.

5.2 Rupture

5.2.1 Description

Fig. 5.5 – Rupture ductile : les cupules ont été amorcées par des inclusions
visibles en noir [2]

La rupture est la conséquence finale de l’endommagement du matériau. On


distingue habituellement deux types de rupture : la rupture fragile et la rup-
ture ductile. Pour connaı̂tre ce type de rupture d’un matériau, il faut exa-

78
Fig. 5.6 – Rupture fragile par clivage : acier extra-doux rompu par choc à
−196◦ C [2]

miner son faciès fractographique. La rupture fragile correspond soit à une


décohésion intergranulaire, soit à une rupture des grains suivant des plans
cristallographiques simples : c’est le clivage. La rupture ductile présente en
général un aspect beaucoup plus granuleux, dû à de fortes irrégularités du
profil à l’échelle microscopique.
Il est important de souligner que le caractère ductile ou fragile d’une rupture
est donné par le faciès de rupture, et pas par des considérations mécaniques
macroscopiques. Par exemple, une rupture fragile peut se produire dans un
matériau après une relativement grande déformation plastique, et inverse-
ment une rupture ductile peut se produire dès les débuts de la plastification.
Les figures 5.5 et 5.6 illustrent des faciès de rupture typiques sur des métaux.
En fait, on observe le plus souvent un mélange des deux faciès sur un même
matériau. On dit que la rupture est plutôt ductile ou plutôt fragile.

5.2.2 Mécanique de la rupture

Le premier modèle mécanique de la rupture d’un matériau a été introduit


par Griffith en 1920 pour expliquer la rupture fragile du verre. Il a considéré
un cas de chargement simplifié schématisé sur la figure 5.7. Dans cette figure,
la fissure de longueur 2c croı̂tra si son accroissement produit une diminution
de l’énergie totale :

79
Fig. 5.7 – Schéma du cas simplifié de chargement de Griffith

d(US + UM )
<0
d(2c)

Dans cette expression, US = 4cγ est le terme d’énergie superficielle par unité
de longueur (γ est la tension superficielle), et UM l’énergie mécanique is-
sue des expressions analytiques des champs de contrainte et de déformation
élastiques autour d’une fissure elliptique (E est le module d’Young et ν est
le coefficient de Poisson) :

2

 −πc2 σa pour une plaque épaisse

UM = E 2
 −(1 − ν 2 )πc2 σa pour une plaque mince

E
La condition de propagation d’une fissure de longueur 2c s’écrit donc en
annulant la dérivée de US + UM par rapport à 2c. On obtient une condition
sur la contrainte appliquée de la forme :

 r
 2Eγ

 pour une plaque épaisse
s πc

σa >
2Eγ
pour une plaque mince



 (1 − ν 2 )πc

Le critère de Griffith exprime une condition nécessaire à la propagation de la


fissure, et ne prend pas en compte le rayon de courbure ρ en pointe de fissure

80
(figure 5.7). En fait, ce critère sera valable uniquement pour le cas de corps
très fragiles, où le rayon en fond de fissure est très faible (quelques distance
inter-atomiques). D’ailleurs, Griffith a testé avec un relatif succès son critère
sur des plaque de verre.
Les contraintes calculées par la théorie de l’élasticité linéaire au voisinage de
la pointe de fissure sont très grandes. Elles sont égales à σa multiplié par un
facteur de concentration de contraintes. Elles dépassent largement la limite
d’élasticité du matériau. Il s’en suit que l’on a plastification locale et que
la pointe de fissure s’émousse. Le critère de Griffith a donc été modifié en
écrivant :

dUM
G=− > Gc
d(2c)

Dans cette condition, le terme Gc contient un terme de tension superficielle,


plus un terme d’énergie de déformation au voisinage de la fissure. G est le
taux de restitution d’énergie mécanique par unité de longueur de la fissure.
On peut réécrire l’équation précédente en utilisant l’expression de UM . On
obtient par exemple pour une plaque épaisse (en déformations planes) :

πc 2 √ p
G= σa > Gc ou K = σa πc > Kc = EGc
E

Les quantités Kc et Gc , liées entre elles, rendent compte de la ténacité des


matériaux (voir le chapitre sur les essais mécaniques). Les fissures progresse-
ront lentement dans le solide tant que le facteur K n’atteindra pas la valeur
critique Kc . Au-delà, il peut y avoir rupture brutale par propagation catas-
trophique de la fissure.
En mécanique de la rupture, on distingue en fait trois modes de rupture.
Dans le mode I, considéré jusqu’ici, les surfaces de la fissure se déplacent
perpendiculairement l’une à l’autre. C’est le mode utilisé pour les essais de
laboratoire, où l’on détermine le facteur KIc . Dans les modes II et III, les
surfaces de la fissure glissent l’une sur l’autre. La propagation de la fissure
se fait alors par cisaillement.

81
82
Bibliographie

[1] M.F. Ashby and D.R.H. Jones. Matériaux : 1. propriétés et applications.


Dunod, 1991. traduit de l’anglais par Y. Bréchet, J. Courbon et M.
Dupeux.
[2] J. Bénard, A. Michel, J. Philibert, and J. Talbot. Métallurgie générale.
Masson, 1984. 2e édition.
[3] R. Fortunier. Mécanique des milieux continus. cours ENSM-SE, 1998.
[4] J. Lemaitre and J. L. Chaboche. Mécanique des matériaux solides. Du-
nod, 1988.
[5] F. Montheillet and F. Moussy. Physique et mécanique de l’endom-
magement. Editions de physique, 1986. travaux du GRECO grandes
déformations.

83

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