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LES PROCESSUS DE CONCEPTION EN ARCHITECTURE

ANALYSE D'UNE TÂCHE CONCRÈTE DE CONCEPTION ARCHITECTURALE

1. Problématique

Afin de saisir les différents processus intervenants dans la conception architecturale, nous
nous proposons d'étudier un projet architectural construit et de recueillir auprès de l'architecte
des informations graphiques et verbales sur un projet, et d'appliquer les éléments tirés du livre
Le dessin de l'architecte et des cours magistraux pour développer notre analyse.

2. Introduction

L'entretien s'est déroulé avec Michel Milianti, architecte DPLG et ingénieur, qui a bien voulu se
prêter à l'exercice. La démarche analytique se portera sur un ensemble immobilier comprenant
des commerces, des bureaux et des logements à Aix en Provence.

L'étude du processus de conception de l'architecte et des systèmes opératoires utilisés lors du


projet pourra se faire grâce à l'utilisation d'éléments théoriques redéfinis dans ce rapport.
En effet, notre démarche suivra une grille d'analyse, s'appuyant sur les processus de
représentation de l'espace, sur les signifiés et les signifiants du dessin, sur les images
mentales et opératives de l'architecte, et sur les éléments opératoires et opératifs du projet.
Dans la gestion de ces informations, on retrouve fréquemment la notion de hiérarchie.
Puis nous les appliquerons aux éléments verbaux et graphiques recueillis auprès de
l'architecte.
Et enfin, l'analyse sera représentée au moyen d'un diagramme commenté, et d'une description
théorisée du processus de conception.

3. Cadre théorique et Grille d'analyse

Avant d'étudier le processus de conception du projet proprement dit, J. Piaget nous propose
une démarche analytique se basant sur la représentation.

3.1 Approches topologiques, euclidiennes et projective de la Représentation

Qu'est-ce que la représentation ? Pour Piaget, elle est différente de la perception qui est
directe, ainsi il distingue et définit trois types de représentation de l'espace :
L'approche topologique : c'est la moins élaborée car elle correspond à une exploration, de
proche un proche, par tâtonnements. Par exemple, l'architecte peut bricoler une esquisse de
plan en juxtaposant des zones schématiques afin de rechercher une organisation spatiale et
connaître leur place les unes par rapport aux autres.
L'approche euclidienne : elle permet de fournir un repérage définitif de la position réelle des
figures les unes par rapport aux autres grâce à un système de coordonnées, de distances et
d'angles.
L'approche projective : elle simule une image visuelle, de la même manière que la perspective,
mais elle ne respecte pas obligatoirement les distances ou les proportions.

3.2 Images mentales et images opératives


Le dessin est un moyen de projection de la pensée, il est souvent résultant d'un processus
mental de conception architectural qui distingue l'image mentale du projet (tout simplement
ce que l'architecte a dans la tête), souvent anticipatrice et sous forme de "flashs", et l'image
opérative (l'architecte reprend les problèmes et les objectifs dans le dessin séquence par
séquence), principalement analytique.

3.3 Signifiants et Signifiés dans le dessin

La représentation dans le dessin exprime des hypothèses "malléables", c'est un moyen de


simulation mais qui n'extériorise qu'une partie de la pensée de l'architecte. Une fois tracé, le
dessin devient une perception visuelle doublé d'une image mentale plus large. En effet, le
dessin architectural est l'évocation projetée d'un objet absent.
Il existe un rapport Signifié (ce qu'on veut exprimer) / Signifiant (comment on l'exprime).
Les signifiants et les signifiés se manifestent dans un projet sous deux formes :
-conventionnelles et normalisées (des descripteurs et des prescripteurs qui sont des supports de
données pour l'architecte et l'ingénieur ; une information mal interprétée entraîne une erreur sur
le chantier)
-non conventionnelles (souvent des images partielles d'un objet, personnelles à l'architecte pour
son raisonnement avec lui-même).

3.4 Dimensions opératoires et opératives

Le dessin représente aussi deux dimensions dans le processus de représentation :


-Opératoire (organisation logique d'un problème, un organigramme par exemple)
-Opératif (suite d'actes imaginés en pensée, des calques successifs par exemple)

4. Observations

Visualiser un projet en trois dimensions à tout moment, ( dans sa voiture, chez soi, dans des
réunions, … ) visualiser avec la tête, non plus avec les mains. Ensuite quand on dessine, on sait
ce que ça représente et ce qui se passe autour.

4.1 Origines du projet

Le projet a été commandé par la compagnie Total qui cherche à rentabiliser son patrimoine
foncier sur un terrain de 3.000 m2 à Aix en Provence, à l'emplacement d'une ancienne station
service.
Le service investissement du Groupe Total SA à Paris demande à Michel Milianti un Avant
Projet Sommaire (APS) de faisabilité d'un programme de construction d'un immeuble,
conservant la station service au rez-de-chaussée, et prévoyant une surface commerciale
d'entretien de véhicules pour une filiale du groupe.
Puis le groupe reviendra sur sa décision de conserver la station service pour des raisons de
rentabilité économique.

4.2 Description du terrain

Comme nous l’avons indiqué plus haut, le terrain, situé à Aix, a une superficie de 3.000 m2.
L'aspect réglementaire du terrain peut se définir comme suit : “Terrain triangulaire avec zones
de retrait sur les deux côtés du triangle, et sur l'hypoténuse présence d'un talus et d'une voie
SNCF”.
Le terrain est réduit à une portion à peine suffisante pour bâtir à cause des zones où se
reculer, dans laquelle il faut faire entrer un bâti assez important, des places de stationnement en
sous-sol, des espaces verts.
De plus, la forme triangulaire du terrain est assez difficile à aménager et à travailler “sur les
pignons”.
En conséquence, l'architecte a travaillé sur une forme en "L" du bâtiment, induite principalement
par le terrain. (figure 1)

4.2 Contraintes administratives et urbaines

Au problème du terrain, viennent se rajouter l'aspect réglementaire administratif et urbain, qui


est important à Aix.
De façon à marquer la continuité urbaine et la conformité à la tradition Aixoise, l'architecte des
Bâtiments de France impose certains éléments en façades. Ainsi ce bâtiment, bien qu'il soit un
immeuble moderne, devra avoir une couleur dominante de ton ocre et une toiture en tuiles.
Afin d'affirmer le caractère moderne du bâtiment, l'architecte aura très tôt une solution :
accentuer l'opposition entre la façade et des éléments modernes tels que des menuiseries en
aluminium laqué gris anthracite.

4.3 Programme et APS

4.3.1 Premier projet

L'opération développée est de 5.000 m2, le bâtiment est essentiellement un immeuble de


bureaux avec un maximum de surface et peu de circulation intérieure.
Toutefois, au commencement du projet, le Maître d'Ouvrage n'avait pas clairement défini le
programme, ni dans ses surfaces, ni dans son importance, ni dans ses contraintes techniques.
“L'architecte navigue à vue, dans le floue.”
Bien que le programme change ainsi plusieurs fois en l'espace de quelques semaines,
l'architecte rationalise le projet dans sa forme, dans son fonctionnement, dans son implantation,
au fur et à mesure des esquisses. Non seulement l'architecte sentira mûrir le projet, mais le
client aussi.
L'architecte prend l'habitude de travailler au feutre sur les calques, les dessins ne sont
pas très nets, mais ils contiennent toutes les indications que le client souhaite voir à ce niveau.
(figure 2)

C'est au cours de ces esquisses présentées au client, que l'architecte adoptera quelques
solutions définitives : les deux entrées verticales au milieu des ailes de l'immeuble, le hall qui
distribue 4 bureaux de 80 à 100 m2, les blocs ascenseur-escaliers-sanitaires, etc...

Les documents graphiques sont constamment présents au niveau de l'APS :


- Des schémas pour l'attribution et le calcul des surfaces.
- Des documents réglementaires pour les services municipaux.
- Une esquisse de la façade et une volumétrie simplifiée pour l'architecte des Bâtiments de
France.

Pour éviter la surabondance d'information sur un même document, l'architecte ne met en


évidence sur le document que les informations que son interlocuteur attend.
4.3.2 Deuxième projet

Les investisseurs sont ensuite intéressés par l'intégration de logements sur un tiers de la
surface du projet et de commerces en rez-de-chaussée.
Le bâtiment présente deux ailes avec 45 mètres de façade et une articulation sur l'angle, les
joints de dilatation sont déjà placés.
Aux deux entrées dans les bureaux, une entrée pour les logements est rajoutée, ce qui fait en
tout 3 circulations verticales. Au départ, ces circulations sont placées au cœur du bâtiment, dans
la zone la plus noire, réservant ainsi les façades ensoleillées à des surfaces fonctionnelles.
L'architecte pense ensuite à une variante : les circulations sont placées en pignon des bâtiments
pour assurer d'une part le contreventement, et d'autre part, pour permettre une reconversion
plus facile des bureaux, qui se présentent comme des grands plateaux réguliers et offrant une
divisibilité parfaite. (figure 3 et 4)
Mais 3 circulations verticales font perdre de la surface, on en revient à la solution des 2 entrées
en séparant les logements et les bureaux en leur attribuant une aile différente du bâtiment.
L'architecte propose une entrée sur la route de Galice, qui est une départementale importante
avec beaucoup de circulation, pour avoir un appel commercial lisible. Les services techniques
s'y opposent pour des raisons de sécurité, le projet doit être modifié une nouvelle fois.

A ce niveau du projet, il faut intégrer la technologie de construction, notamment pour le


fonctionnement des accès au sous-sol. L'architecte pense aussi aux contraintes techniques
qu'entraîneront des hauteurs de plancher différentes.

4.3.3 Programme définitif et Permis de construire

Le programme est ficelé, la phase du projet est plus matérielle et plus précise.
Le rez-de-chaussée accueillera des commerces, les bureaux occuperont la quasi totalité des
étages, et les logements une pièce (18 m2) ou deux pièces (30 - 35 m2) seront réunis dans une
aile du bâtiment. (figure 5)
Les documents graphiques changent d'échelle : les schémas préliminaires

étaient au 1/200e, l'APS est au 1/100e. A partir de là des notions constructibles de l'immeuble
apparaissent.
Par exemple, les commerces entraînent des contraintes au niveau des points porteurs
intermédiaires à cause des 13,50 mètres de profondeur du bâtiment. Les planchers traditionnels
pré-dalle sont exclus, la solution est celle de planchers alvéolaires, type Spirol, qui ont une
incidence sur les différentes hauteurs de l'immeuble. De plus, l'ajout de poutres transversales
conditionnerait les subdivisions des étages. (figure 5)
En fait, les solutions techniques les plus simples et les moins onéreuses conditionnent la forme
de l'immeuble en partie.
Les surfaces des locaux sont calculées précisément. Pour des raisons de rentabilité
demandées par le client, un ratio de surface utile (SHON) / surface construite (SHOB) de 0,92
est imposée. Pour y remédier, l'immeuble est conçu comme un ensemble de plateaux libres,
sans subdivisions, et avec des circulations très courtes (aux circulations, sont rattachées des
contraintes de sécurité).
A ce stade, l'architecte développe aussi la volumétrie, les détails architectoniques de la façade
et le traitement extérieur (les rythmes, les coloris, la nature des matériaux, les garanties
esthétiques).
L'angle du bâtiment est l'occasion pour l'architecte de marquer un plan peu original. L'effet de
discontinuité est affirmé par le dessin d'un cylindre, accentué par des retraits sur les niveaux
intermédiaires, qui cherchent à donner l'impression que le cylindre continue à l'intérieur de la
façade. (figure 6)
Le soubassement homogène du rez-de-chaussée lui donne sa continuité, il est traité d'une
manière classique. Le rythme des étages (entresol, étages courants, étage en retrait au dernier
niveau) traduit la tradition aixoise. Le traitement des baies est régulier car calqué sur la trame de
5,40 mètres de tous les étages.
Ce projet est une opération commerciale, très directive en raison des soucis de rentabilité
auxquels est attaché le maître d'ouvrage. Ainsi ce projet est entièrement conçu autour des
différentes contraintes (urbaines, économiques et techniques) et rationalisé au maximum. On
peut le regretter, car il n'ouvre pas de perspectives (comme la dimension émotive, ou de
sociabilité, etc.) autres que la résolution de ces problèmes. En fait, le cursus d'ingénieur suivit
par l'architecte de ce projet resurgit et prend le dessus, puisqu'en dehors de la notion de
rentabilité, il est peu fait référence aux autre. Il y a un déséquilibre énorme entre les contraintes
du projet et les désirs créatifs de l'architecte.

5. Analyse

L'analyse du travail de l'architecte sur ce projet peut se présenter sous un tableau explicatif
comme suit :
- figure 1 -

PLAN MASSE
Ce dessin présente la situation du projet avant le retour à une configuration avec deux escaliers,
et avec les entrées sur la Route de Galice. L'implantation du projet dans le site est définitive : les
cotes sont indiquées.
Pour être présenté à des personnes extérieures, l'architecte utilise un certain nombre de
signifiants conventionnels compris par ces personnes et pouvant être utilisés comme indications
précises.
Les arbres, les escaliers, les ascenseurs, les entrées, les portes, les places de parking sont
représentés sous cette forme, les traits de coupe sont en noir. Les commentaires sont
typographiés pour être lisibles par tous.
L'architecte a mis en évidence un certain nombre d'indications : celles que le maître d'ouvrage
souhaitait voir en particulier.

figure 2 –
Ce schéma, appelé tableau synoptique par l'architecte, est une simulation de plusieurs solutions
sur un même problème, présenté au client. L'architecte, face à un choix de possibilités, attend
une décision du client qui lui permettra de choisir une solution et d'exclure les autres.
Le dessin est un dessin opératoire, puisqu'il présente une organisation logique du problème, en
même temps l'architecte produit une représentation euclidienne, parce que les indications de
superficie viendront aider à la décision. Le cartouche est là pour rappeler que c'est un dessin
mis au propre, même s'il est uniquement destiné aux échanges architecte / client.

- figure 3 -

Ce schéma une représentation d'une idée spontanée ou "flash", inspiré d'une image ayant peu
de rapport avec la réalité. Le schéma doit nous expliquer la libération de la surface des étages
en déplaçant les circulations verticales en pignon.
Le schéma reprend tout de même la forme en "L" du bâtiment et le ration du SHON, présents
dans l'esprit de l'architecte au moment de cette idée.
- figure 4 -

Cette représentation peut être considérée comme topologique, les espaces principaux ne sont
pas définis précisément. C'est un schéma qui indique la place des circulations verticales et les
entrées, représentées par des signifiants non conventionnels (ronds et carrés noirs), et leur
déplacement dans le bâtiment.
Ce dessin sert à l'architecte d'image opérative, c'est un bricolage sur le projet, fait d'aller-retour
afin de trouver une solution à un problème, il envisage un certain nombre de solutions et les
calibre par le dessin.

- figure 5 -
Pour ce dessin, l'architecte doit faire appel à ses connaissances pour trouver des solutions à
des contraintes techniques incontournables. La représentation est euclidienne, car il reprend les
dimensions des étages pour expliquer les difficultés liées au changement de trame.
Dans son explication, l'architecte utilise certains signifiants non conventionnels pour symboliser
les voitures, les portes, les blocs WC-douche. Toutefois, les traits de coupe en noir sont
considérés comme des signifiants conventionnels.

- figure 6 -
Cette représentation est de type projectif : avec une vue en perspective, il est plus facile
d'expliquer les interventions sur la volumétrie du bâtiment, séquence par séquence. Cette
succession de dessins forment une image opérative de la transformation de l'angle de
l'immeuble.

- figure 7 -
Ce dessin fait parti de l'APS définitif, il apporte sous forme d'une élévation conventionnelle (traits
noirs pour la ligne de terre et les ombres) une vision du bâtiment, proche de ce qu'il sera dans la
réalité, ou en tout cas, conforme à l'idée de l'architecte et du client.
Bien que n'ayant aucune application sur la construction de l'immeuble, ce dessin peut être
présenté à des personne extérieures, notamment l'architecte des Bâtiments de France, qui
donnera son accord ou non à la continuation du projet.

6. Conclusion

Si l'on considère les processus cognitifs et mentaux du concepteur, celui-ci fait un choix parmi
son stock d'images enfouies dans sa mémoire et cherche à acquérir une image progressive de
l'objet grâce au dessin en passant par des transformations spatiales et opératives.
Le dessin est en fait un "signifiant du signifié", fait d'analogies, de conventions avec des
classes d'objets, de structures et de manipulations graphiques. Cet ensemble d'informations
dans la représentation permet d'analyser le processus graphique.
Au travers de l'entretien et des croquis de l'architecte, on se rend compte que la conception
intervient sur deux échelles différentes :
- Une échelle temporelle : le processus de conception est découpé en séquences, stades,
et est fait d'anticipations et de rétroactions.
- Une échelle de résolutions de problèmes : transforme l’étape d’une situation en une
nouvelle supérieure, chaque opération et la représentation dans le dessin est un traitement.

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