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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE

Ministère de l’Enseignement
Supérieur ‫وزارة اﻟﺘﻌﻠﲓ اﻟﻌﺎﱄ و اﻟﺒﺤﺚ اﻟﻌﻠﻤﻲ‬
et de la Recherche Scientifique ‫ﺎﻣﻌﺔ اﶊﺪ ﺑﻮﻗﺮة‬
Université M’hamed BOUGARA
‫ﺑﻮﻣﺮداس‬
Boumerdès Faculté des langues étrangères.
Département de français.
Année universitaire 2020/2021.
Enseignant : M.MORSLI. Module : Linguistique L2.

Le distributionnalisme de Leonard Bloomfield/Zeller Harris.


Introduction :

Le distributionnalisme est une théorie linguistique qui s’inscrit dans le cadre du structuralisme
américain. En 1933, Léonard Bloomfield publie son ouvrage Language (le langage). Ses élèves,
notamment Harris, approfondiront et développeront sa théorie sous le terme de distributionnalisme
(Sarfati, Paveau, 2003 : 142).

Le distributionnalisme dominera la linguistique américaine jusqu’aux années 1950 (idem). Selon


Dubois(2002), l’apparition de la théorie distributionnelle aux Etats-Unis a été favorisée par plusieurs
facteurs : d’un côté, le fait que la philologie et la grammaire comparée et historique étaient peu présentes
aux Etats-Unis, de l’autre la situation linguistique particulière du continent Américain avec la présence de
plus de 150 familles de langues (1500 langues). Les linguistes étaient dans l’obligation de développer des
outils pour décrire des langues qu’ils ne connaissent pas et ne comprennent pas. Pour ce faire, ils
développèrent des théories qui se basent sur l’observation mécanique des formes linguistiques
indépendamment de l’aspect mentaliste et sémantique.

I- Une approche anti-mentaliste :

L’approche de Bloomfield est «anti-mentaliste considérant que le langage est accessible de l’extérieur
en tant que comportement, et non de l’intérieur comme des réalité psychologiques ou mentales »1
(Sarfati, Paveau, 2003 : 142). Le distributionnalisme de Bloomfield est une théorie qui travaille sur la
forme observable par le linguiste : c’est une « linguistique mécaniste [qui] refuse de faire intervenir le
sens » (Sioufi, p202). Pour les distributionnalistes, « le sens d'un message est défini comme étant
l’ensemble de la situation de communication. Pour le connaitre, il faudrait être omniscient ; il est donc
inconnaissable et ne peut être utilisé par le linguiste. Il s’agit alors de décrire les éléments d’une langue
par leur aptitude (possibilité ou impossibilité) à s'associer entre eux pour aboutir à la description totale
d’un état de langue en synchronie » (Dubois et alii 2002 : 456).

1- « Si Saussure est influencé par la psychologie, Bloomfield, lui, fonde sa théorie sur la théorie du comportement appelée behaviorisme,
de l’anglais behavio r (« comportement » » G. Siouffi 100 fiches pour comprendre la linguistique, p202.
II- Le béhaviourisme. Le langage comme comportement :

Contrairement à la théorie saussurienne qui s’appuie sur la psychologie mentaliste (l’aspect mental du
signe linguistique chez Saussure), le distributionnalisme de Bloomfield s’appuie sur la psychologie du
comportement, le béhaviourisme (ou le comportementalisme). Pour la théorie béhaviouriste, le langage
humain est un comportement qui, comme tout comportement humain, doit être décrit à partir du schéma
stimulus-réponse S R (Stimulus Réponse) qu’il reformule sous la forme : S-r-s-R. S est le
stimulus externe qui provoque une réaction linguistique r qui constitue un stimulus s pour l’auditeur qui
produit la réaction R. S et R sont des événements pratiques externes, des actions et des événements non
linguistiques ; r, s sont des événements linguistiques. Bloomfield illustre ce schéma par l’histoire de Jack
et Jill. Ils se promènent. Jill voit des pommes; elle éprouve une sensation de faim [stimulus S : événement
pratique] ; elle demande à Jill de lui cueillir des pommes (réaction linguistique r). La réaction de r de Jill
constitue un stimulus linguistique [s] pour Jack. Ce dernier réagit (R action pratique) en cueillant la
pomme. Pour Bloomfield seul r et s constitue des événements linguistiques, qu’il appelle discours (Sarfati
et Paveau, 2003 : 143). S et R sont des événements pratiques externes. Bloomfield distingue « une
réaction sans parole : S R et une réaction par l’intermédiaire du langage S r s R.
(Sarfati, Paveau, 2003 : 143).

III- Le corpus :

Pour étudier la langue, les distributionnalistes travaillent sur des corpus qui sont constitués d’un
« ensemble d’énoncés effectivement émis dans le but de faire apparaitre des régularités formelles, sans la
prise en compte de l’aspect sémantique. Le seul concept qui sera considéré comme valide dans l’analyse
sera celui de contexte linéaire ou d’environnement» (Sarfati, Paveau : 144). Une fois constitué, le corpus
ne peut être modifié (Dubois et alii, 2002 : 156). Il est considéré comme représentatif de la langue dont la
structure doit être inférée et dégagée par généralisation à partir de l’observation du corpus (idem). Après
la construction de son corpus, le linguiste cherchera des régularités au niveau formel en s’intéressant
seulement à l’aspect linéaire et aux environnements (et aux distributions) dans lesquels apparaissent les
unités linguistiques, c'est-à-dire les morphèmes.

IV- Environnement, distribution et classe distributionnelle :

Ce qui intéresse donc le linguiste distributionnaliste, c’est l’environnement dans lequel une unité (une
forme linguistique) quelconque peut apparaitre (contexte d’occurrence). Il cherche à définir les règles (et
les régularités) qui régissent l’environnement de chaque unité de la langue. Le classement des unités
linguistiques se fait par rapport aux régularités formelles et distributionnelles.
Le point de départ de l’analyse distributionnelle est « la constatation empirique que les parties d’une
langue ne se rencontrent pas arbitrairement les unes par rapport aux autres ; chaque élément se
rencontre dans certaines positions particulières par rapport aux autres. » (Jean Dubois et alii : 156):
n’importe quelle unité n’apparait pas dans n’importe quel environnement linguistique : cette apparition
obéit à des régularités que le linguiste distributionnaliste doit mettre au jour.

Exemple : dans le français, un déterminant (dét) ne peut jamais apparaitre avant un verbe
(environnement à gauche) : *dét+V2. Un déterminant apparait toujours dans syntagme nominal (SN) :
Dét+N : l’enfant, dét+adj : le petit enfant, dét+adv+adj+N : le très petit enfant. Le déterminant apparait
toujours à gauche du nom ou de l’adjectif (dans le SN), jamais à droite de ces unités. Pour les
distributionnalistes, les unités sont classées selon des critères formels et distributionnels : c'est-à-dire en
fonction des environnements linguistiques dans lesquels ils apparaissent.

a- L’environnement d’une unité linguistique :

Selon Dubois et alii (2002 : 157), l’environnement d’une unité linguistique ou d’une suite d’unités
linguistiques se définit par rapport aux autres unités qui apparaissent dans le même énoncés : on parle de
co-occurrents : « L’environnement d’un élément A [est] la disposition effective de ces co-occurrents (ce
qui reste quand j’enlève A de l'énoncé), on parle d'environnement de droite, de gauche. » (Dubois et alii,
2002 : 157). Ex : Dans l’énoncé « Le petit enfant joue » l’environnement de l’unité ‘’petit’’ est :
[le enfant joue], l’unité ‘’le’’ dans l’environnement de gauche, et la suite d’unités ‘’enfant joue’’ dans
l’environnement de droite. Les unités le et enfant sont les co-occurrents de l’unité petit.
b- La distribution :
La distribution d’une unité ou d’un élément linguistique est « la somme des environnements de [cet]
élément dans les énoncés du corpus » idem.
c- La classe distributionnelle :
Les éléments ou les unités qui apparaissent dans la même distribution constituent une classe
distributionnelle. Exemple (Moeschler, Auchlin, 2009) : les unités « gamin, garçon » appartiennent à la
même classe distributionnelle car ils apparaissent dans les mêmes distributions :
a- le _ chante
b- un _ joue
d- le méchant _ est parti.

La classe distributionnelle du nom sera définie par l’ensemble des éléments « qui admettent articles,
déterminants à gauche, verbes à droite » (Dubois et alii, 2002 : 157). L’analyse distributionnelle consiste
à établir des classes distributionnelles en partant de l’étude des distributions des morphèmes. Le linguiste
distributionnaliste classe les adjectifs non qualificatifs (les adjectifs possessifs, adjectifs démonstratif et
les adjectifs numéraux) dans la même classe distributionnelle que celle des articles car ils apparaissent
dans la même distribution, à gauche du nom : il s’agit de la classe des déterminants (on la séquence
Det+Nom).

1- L’astérisque(*) veut dire que cet ordre d’apparition ou cette combinaison (ou concaténation) est impossible dans le
français.
V- Les unités de la langue : la notion de morphème :

Bloomfield n’utilise pas le terme de signe linguistique. Il utilise le terme de morphème3 qui est
approximativement l’équivalent du signe utilisé par les Européens (Sarfati, Paveau, 2003 : 150). Pour
lui, « le morphème est une forme linguistique simple qui ne possède pas de ressemblance phonétique et
sémantique partielle avec une autre forme (C. Feuillard 2001, qui cite Bloomfield, pp8-9)». « Il est « une
combinaison fixe d’unités de signal, les phonèmes... (et) a une signification constante et définie, différente
de la signification de toute autre forme linguistique de la même langue » idem.
Harris utilise des critères purement formels et distributionnels pour délimiter et segmenter le
morphème dans une séquence de phonèmes : «une séquences de phonèmes (…) contient plus d’un
élément morphémique si et seulement si une partie de la séquence apparait indépendamment d’une autre
partie dans le même environnement général (…) » (Cité par Sarfati, Paveau, 2003 : 150).
Exemple : Prenons la séquence de phonèmes voleur : [vƆlœᴙ] dans c’est un voleur : [sƐtœvƆlœᴙ//].
Elle contient plus d’une unité morphémique car l’unité ou la forme vol [vƆl] apparait indépendamment de
l’unité ‘’eur’’[œᴙ] dans le même environnement : c’est un vol [sƐtœvƆl] et l’unité ‘’eur’’ [œᴙ] apparait
indépendamment de l’unité vol [vƆl] dans c’est un danseur [sƐtœdɑsœᴙ].
Ainsi, en nous basant sur des critères formels et distributionnels, on peut dire que la séquence de
phonèmes [vƆlœᴙ] contient deux morphèmes : [vƆl] et [œᴙ]
C’est aussi par rapport aux critères distributionnels et formels que se définit le sens des morphèmes.
Ainsi, «deux morphèmes qui ont des significations différentes différent quelque part dans leur
distribution ; et, inversement, des distributions différentes distinguent des morphèmes phonologiquement
ou graphiquement identiques. » (Dubois et alii, Dictionnaire de linguistique, p311).
Bloomfield distingue les formes lexicales des formes grammaticales.
VI- L’analyse en constituants immédiats (ACI) :
L’analyse en constituants immédiats a été développée principalement par Z. Harris et C. Hockett à
partir des travaux de Bloomfield. « La linguistique distributionnelle considère que tout énoncé est formé
d'une combinaison d'éléments. » (Dubois, 1969 : 43). La langue se constitue d’un ensemble d’éléments
(ou de constituants) appartenant à des rangs hiérarchisés. Chaque constituant appartenant à un rang, est
formé de deux constituants (ou plus) appartenant au rang immédiatement inférieur. Ainsi, un texte est
constitué de plusieurs phrases, une phrases de plusieurs syntagmes, un syntagme de plusieurs morphèmes,
un morphème du plusieurs phonèmes : « ainsi les phonèmes /m/ et /o/ se combinent pour former /mo/
morphème de rang supérieur. Le déterminant /la/ et le nom /bar/ se combinent pour former le syntagme
nominal /la bar/, constituant immédiat de la phrase : la barre est haute. » (Dubois, 1969 : 44). Les
critères de combinaison des constituants de rang inférieur dans les constituants de rang immédiatement
supérieur se basent sur le principe de la distribution.

2- Les linguistes américains le reprennent à sa suite.


L’application de l’analyse en constituants immédiats au niveau de la phrase « se représente
généralement sous forme d’arbres. » (Moeschler et Auschlin, 2009 : 74). Les constituants de rang
immédiatement inférieur à la phrase sont les syntagmes. Ainsi, une phrase se constitue d’un syntagme
nominal (SN) et d’un syntagme verbal (SV). Ces derniers se décomposent en constituants de rang
inférieur. Pour dégager les constituants immédiats d’un énoncé, le linguiste distributionnaliste recourt aux
principes de la segmentation et de la commutation en comparant des phrases appartenant au même
corpus.
Exemple pour la phrase L’enfant déballe son cadeau. On procède à sa segmentation, puis on vérifie la
validité de cette segmentation par l’opération de la commutation. On dégage deux constituants immédiats
(L’enfant et déballe son cadeau). On peut supposer qu’elle appartient à un corpus qui contient la phrase
‘’Pierre joue’’ qui manifestement se constitue de deux CI : Pierre et joue. La commutation permettra de
substituer Pierre à L’enfant: (Pierre déballe son cadeau) et la commutation de joue avec déballe son
cadeau (L’enfant joue). Ce qui valide l’hypothèse de la segmentation. On peut répéter la même procédure
avec chacun des constituants immédiats ainsi dégagés.
Les distributionnalistes utilisent un arbre syntaxique (ou indicateur syntagmatique) pour donner une
visualisation de l’analyse en constituant immédiats d’une phrase. Ainsi, la phrase : L’enfant déballe son
cadeau, peut être représentée sous forme d’arbre syntaxique (indicateur syntagmatique) comme
suit (Moeschler et Auchlin, 2009 : 74) :

P (phrase)

SN SV

Dét N V SN

Dét N

L’ enfant déballe son cadeau.


Bibliographie :

- Dubois Jean, Mathee Giacomo, Louis Guespin, Christiane Marcellesi , Jean-Baptiste Marcellesi,
Jean-Pierre Mevel, Dictionnaire de linguistique, Larousse, 2002.
- Dubois Jean. Grammaire distributionnelle. In: Langue française, n°1, 1969. La syntaxe. pp. 41-48.
- Feuillard Colette, Le fonctionnalisme de Martinet, in la revue Linguistique 2001/1 Vol. 37 | pages
5 à 20 Puf.
- Dubois Jean, Dubois-Charlier Françoise. Principes et méthode de l'analyse distributionnelle. In:
Langages, 5ᵉ année, n°20, 1970. Analyse distributionnelle et structurale. pp. 3-13
- Moeschler Jacques, Auchlin Antoine, Introduction à la linguistique contemporaine, Armand
Colin 2009.
- Sarfati George.Elie, Paveau, Anne.Marie, Les grandes théories linguistiques, Armand Colin,
2003.
- Siouffi.G, Raemdonck. D.V 2009, 100 fiches pour comprendre la linguistique 1ercycle
universitaire, Edition Bréal.

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