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Résumé
Le chômage chronique est une expérience de dépendance et d'impuissance. Tout semble reposer sur les relations et la chance
: prévisions et projets sont impossibles. Dans une situation où coexistent deux groupes ethniques, les difficultés du chômeur
sont couramment attribuées à la malignité du groupe dominant.
Bourdieu Pierre. La hantise du chômage chez l'ouvrier algérien : prolétariat et système colonial. In: Sociologie du travail, 4ᵉ
année n°4, Octobre-décembre 1962. pp. 313-331;
doi : https://doi.org/10.3406/sotra.1962.1114
https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1962_num_4_4_1114
La hantise du chômage
d'impuissance.
chance
situation
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Les Algériens 1 ont du chômage une conscience si aiguë que toute leur
existence et toute leur vision de l'existence s'en trouvent changées 2.
La conscience du non-emploi peut en effet inspirer les conduites et orienter
les opinions sans apparaître clairement aux esprits qu'elle hante et sans par¬
venir à se formuler explicitement. Aussi, avant de décrire les formes et les
degrés de la conscience du non-emploi (et de la conscience de la domi¬
nation coloniale qui en est solidaire), il s'agit de déterminer comment,
implicite ou explicite, elle domine les conduites et anime les pensées 3.
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La hantise du chômage chez Vouvrier algérien
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copain, un parent, il peut aider à rentrer. Mais le plus fort, c'est le « piston-argent »
qui compte » (peintre, Oran).
« La vie marche avec « le café » 2, « les épaules ». Il y a des types qui vont pour se
faire embaucher. On lui demande s'il a cinq enfants, c'est-à-dire 5 000 francs. S'il
ne les a pas, il peut attendre. On lui dit 'Nous allons déménager' ! Rares sont ceux
qui se font embaucher, et encore, quand il y a du travail pressé. Et dès que c'est fini,
tout le monde à la porte ; plutôt, ceux qui n'ont pas glissé la pièce » (journalier, Cons-
tantine) .
« Il faut glisser la pièce de 5 000 francs pour trouver une place » (ouvrier dans une
usine de tabacs, Constantine). « Avec 5.000 francs, je trouve du travail » (épicier, Oran).
Un jour je demande au patron d'envoyer deux cofïreurs. Ils arrivent le lendemain :
« Où sont vos outils ? ». « On en a pas ». « Allez au magasin en prendre ». Ils ne savent
même pas quels outils prendre. J'ai dû leur apprendre à tout faire ; j'étais tout le temps
derrière eux. Les pauvres diables, ils n'avaient pas d'autre moyen de gagner leur vie.
Ce n'était pas leur faute. Le lendemain, le chef de chantier est venu et m'a demandé de
ne rien dire. C'est la règle générale. On recrute un manœuvre, on porte sur sa fiche
de paye cofïreur ou ouvrier spécialisé. Le type est payé comme manœuvre, 1 200 francs
par jour, au lieu de 2 400 comme spécialiste et la différence disparaît. Quand il se pré¬
sente dans une autre entreprise et qu'on voit ses papiers, on lui donne un travail qu'il
ne sait pas faire et il est mis à la porte ; et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ait payé pour
avoir un autre emploi. Il y a aussi le cas où l'ouvrier est réellement spécialiste mais
payé comme manœuvre. De façon générale, il faut payer pour avoir un emploi, pour
être embauché dans le bâtiment. En général, au contremaître. Il y a beaucoup de types
qui viennent gagner un peu d'argent pendant 7 ou 8 mois, pour acheter le blé, la semence.
Ils doivent abandonner deux semaines de travail, soit au début, soit à la fin du contrat.
Ceux qui veulent retrouver la place, après un congé ou une interruption quelconque,
doivent apporter du miel, du beurre, ou ils glissent le sac. On embauche un type dans
l'intervalle et on le renvoie au retour du précédent. Et il doit repayer pour avoir une
autre place. Les gens se doublent le traitement comme ça » (chauffeur, Alger) .
« Chez nous, tout s'obtient avec les « pourboires », même ce à quoi on a pleinement
droit » (agent de lycée, Alger).
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316
La hantise du chômage chez Vouvrier algérien
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de défense collective contre un ordre globalement défavorable ; à une
solidarité de fait, manifeste et approuvée, répond une autre solidarité,
souterraine et secrète, à laquelle la notion de « fraternité » donne un lan¬
gage et un soutien.
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317
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bonne partie de paysans qui cultivent la terre de leurs pères. Mais, et c'est
là l'essentiel, 62,0 % des ouvriers, manœuvres et petits employés disent
avoir obtenu leur emploi par un parent (30 %) ou un ami (32,0 %) 1
contre 16,0 % par la recherche directe, 8,0 % par un bureau d'embauche
et 4,0 % par l'établissement de formation. Il ne paraît donc pas exagéré
de dire que ce ne sont pas, à proprement parler, les entreprises qui recru¬
tent, mais que l'embauche est en fait le résultat d'une sorte de cooptation
spontanée entre les ouvriers :
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318
La hantise du chômage chez l'ouvrier algérien
TABLEAU I
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à cause de celui qui nous héberge. Il est trop vieux ; des fois quand il se sent un peu
fatigué, je reste à son chevet toute la nuit. Il est pour nous un second père. Mon père
même n'a pas fait pour nous ce qu'il est en train de faire, le patron. Il partage même
sa nourriture avec nous. Je ne pourrais pas partir et le laisser. Ma conscience me le
reprocherait toute la vie (...) Il est très gentil envers moi-même et ma femme. Il est
brave. C'est un pur Français. Même lorsque je ne travaille pas, il me donne à manger.
Dernièrement, les contributions ont voulu me saisir tout ce que j'ai parce que je ne
pouvais pas payer. C'est grâce à mon patron qu'ils ne l'ont pas fait. Il a payé pour moi
(journalier peintre, Saïda) 1.
II
LE TRAVAIL CONTRAINT
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« Mon métier ne me plaît pas, mais j'ai peur d'en changer. Je travaille pour 25 000 fr.
par mois, c'est mieux que de ne rien gagner » (mécanicien à la marine marchande,
Alger).
La conscience de l'excédent de main-d'œuvre fait que celui qui a un
emploi s'attache avant tout à le conserver. Conscients d'être aussi peu
irremplaçables que possible en raison de leur faible spécialisation et du
fait de l'abondance des candidats possibles à leur succession, la plupart
des manœuvres, ouvriers et petits employés ont souci, avant tout, de con¬
server leur place. On le verra mieux par un exemple : « Je travaille trop,
dit un commissionnaire d'Oran, je n'ai pas assez de vacances ; c'est fati¬
gant. Je ne peux pas avoir de congé parce que je ne peux pas avoir de rem¬
plaçant ; le patron devrait le payer, moi le former, lui apprendre à livrer
la margarine et la levure. » Autant d'explications confuses et embarrassées.
Mais, un peu plus loin, à propos des heures supplémentaires, il ajoute :
« Moi je travaille même le dimanche, parfois il y a des boulangers qui
viennent me réveiller ; la marchandise reste dans la voiture fermée devant
la porte. Je n'ai jamais de congé. Si quelqu'un vient me remplacer, il est
capable de travailler à moitié prix, alors le patron verra son intérêt, il ne
verra pas que j'ai 14 ans de service pour lui. » L'instabilité choisie cons¬
titue un luxe que bien peu de travailleurs peuvent s'offrir, un privilège
réservé à ceux qui, du fait de leur qualification, sont assurés de retrouver
aisément
forcée 1. un travail. Pour les autres, il reste seulement l'instabilité
L'absence d'ascension
4. L'existence d'une grande stabilité de l'emploi a été établie aussi par l'étude statis¬
tique portant sur 3 000 sujets.
2. L'étude statistique a montré que les revenus ne varient pas de façon sensible
selon l'âge.
322
La hantise du chômage chez Vouvrier algérien
partagée. « Voyez, je connais des voisins qui me disent 'j'ai couru toute la
journée pour un travail, je n'ai pas trouvé'. Alors moi, si je gagne
1 000 francs, je suis obligé de partager avec eux et voilà, nous sommes tous
malheureux (...) A la sortie du travail, je discute avec mes camarades,
nous discutons de nos soucis, de notre misère et ensuite chacun rentre
chez lui parce que nous sommes « crevés » (ouvrier dans une usine de bois,
Oran).
Les « occupations »
dans
Toutes
la situation
les analyses
de certains
antérieures
marchands
trouvent
à la sauvette,
une illustration
véritableconcrète
limite,
et à ce titre, hautement significative. Comment expliquer en effet la proli¬
fération extraordinaire de ces petits commerces de fortune ? Comment
comprendre, si l'on se place au seul point de vue de la rentabilité, la con¬
duite de ces hommes qui poussent tout le jour leur petit chariot pour vendre
deux ou trois pastèques, un pantalon d'occasion, un paquet de cacahuètes ?
Ici encore, c'est l'impératif du travail à tout prix qui conduit à travailler
pour faire quelque chose, quelque chose plutôt que rien. « Si travail, cela
veut dire avoir un métier, le pratiquer de façon stable et en vivre de façon
correcte, ça n'est pas tout le monde et c'est une autre chose. Si travail,
ça veut dire faire quelque chose, faire n'importe quoi pour ne pas rester
les bras croisés, pour gagner sa croûte, là, il n'y a que les paresseux qui
ne travaillent pas » (cuisinier, Alger). Ainsi, à ceux qui n'ont rien, il reste
toujours ce dernier recours.
profession,
forte.
1. Pour
2. 5,4 %les
contre
seulement
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323
Pierre Bourdieu
Mais quelle peut être, pour ceux qui l'exercent, la fonction de cë type
de travail ? En premier lieu, le tout petit commerce est la seule occupation
qui n'exige aucun capital initial, ni le « métier », ni l'instruction, ni l'argent,
ni le local. S'il ne faut pas sous-estimer l'importance réelle de revenus qui
peuvent nous paraître misérables, il semble évident que le fait de se livrer
à ces métiers, qu'il vaudrait mieux appeler « occupations », ne se laisse pas
expliquer par la seule considération de l'intérêt. Ce travail n'est pas seule¬
ment un gagne-pain : les résultats matériels de l'action, les profits qu'elle
procure, n'en constituent pas toute la signification. Peut-être faut-il voir
là une attitude analogue à celle du fellah qui, en mauvaise année, sème
après les labours de printemps, en sachant qu'il a très peu de chance de
récolter quelque chose. « Si le fellah comptait, dit le proverbe kabyle,
il ne sèmerait pas. » Un tel travail est, en un certain sens, sa propre fin
parce que, à la vérité, il n'a pas de fin adéquate en dehors de lui-même.
Non pas que le travail soit saisi comme la fin dernière de l'existence.
Travailler pour travailler, ce n'est pas vivre pour travailler, ce n'est pas
travailler pour vivre. Tout se passe comme si, ne pouvant accéder au tra¬
vail comme moyen d'obtenir un salaire ou un revenu, on en venait,
par la force des choses à dissocier le travail de son résultat économique,
le saisissant moins comme lié à son produit que comme opposé au non-
travail. Travailler, même pour rien, même pour un revenu infime, c'est,
devant soi-même et aux yeux du groupe, faire tout ce qui est en son pou¬
voir pour gagner sa vie en travaillant, pour s'arracher à la condition de
chômeur. Le fait de tâcher de travailler (plutôt que de travailler à propre¬
ment parler) suffit à assurer une justification aux yeux du groupe, aux
yeux de ceux dont on a la charge, l'épouse et les enfants, aux yeux de ceux
aussi auxquels on a recours pour vivre. Tous les semblants d'occupation
sont peut-être le dernier rempart contre la déchéance extrême de celui
« qui se fait nourrir par les autres », qui vit à la charge de ses parents ou
de ses voisins. La défense de la dignité et du respect de soi paraissent cons¬
tituer la motivation véritable, beaucoup plus que l'espérance du profit.
En effet, « un homme digne qui ne veut pas vivre aux dépens des autres,
même s'il doit vivre d'expédients, doit travailler. S'il ne trouve aucun
travail, il peut encore vendre à la sauvette » (cuisinier, Alger). La justifi¬
cation
une société
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324
La hantise du chômage chez l'ouvrier algérien
III
LA DÉSORIENTATION
Pour ces hommes prêts à tout faire et conscients de ne savoir rien faire,
toujours disponibles et totalement soumis à tous les déterminismes,
condamnés à vivre au jour le jour et avides de stabilité, dépourvus de
métier véritable et voués de ce fait à tous les semblants de métier, il n'est
rien de solide, rien de stable, rien de sûr, rien de permanent. L'emploi
du temps quotidien, partagé entre la recherche du travail et les travaux
de fortune, la semaine ou le mois découpés au hasard de l'embauche en
jours ouvrables et en jours chômés, tout porte la marque de la précarité.
Point d'horaire régulier ni de lieu de travail fixe. La même discontinuité
dans le temps et dans l'espace. La recherche du travail est la seule cons¬
tante de cette existence ballottée au gré du hasard ; et aussi l'échec quo¬
tidien de la recherche. On cherche du travail « à droite et à gauche » ;
on emprunte « à droite et à gauche ». On emprunte à droite pour rendre à
gauche. « Je reste en empruntant à l'un et à l'autre comme une épluchure
sur l'eau » (chômeur, Constantine).
Toute la vie se passe sous le signe du provisoire. Mal adaptés au monde
urbain dans lequel ils sont comme égarés, coupés du monde rural et de ses
traditions rassurantes, ils vont, sans passé et sans avenir, obstinément
acharnés à forcer le hasard, à essayer de prendre prise sur un présent qui
leur échappe irrémédiablement 1.
Toute l'existence se trouve dépourvue de ce qui en constitue normale¬
ment l'armature, à savoir la vie professionnelle, avec ses rythmes temporels
et spatiaux, ses contraintes, les assurances qu'elle procure, l'avenir qu'elle
permet d'envisager et de prévenir. Or, comme le dit bien un enquêté,
« on a beau dire, ce qui fait un homme, c'est le travail ». Si l'on sous-estime
souvent les conséquences du chômage, c'est que l'on saisit le travail comme
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325
Pierre Bourdieu
un simple moyen de gagner sa vie alors qu'il est peut-être, sinon le fonde¬
ment d'un art de vivre, du moins la condition nécessaire à l'élaboration
consciente ou inconsciente d'un plan de vie. Pour le manœuvre sans spé¬
cialité et sans emploi permanent, pour le chômeur ou pour le marchand
à la sauvette, pour tous ces jeunes gens qui traînent leurs journées et que
l'on voit souvent autour des machines à sous ou des juke-box, le drame ne
consiste pas seulement en l'absence d'occasions objectives de travailler,
mais en la privation d'une vie régulière de travail et de la stabilité que
garantit le produit assuré du travail 1.
La recherche de la sécurité
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326
La hantise du chômage chez l'ouvrier algérien
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sauver » (patron limonadier, Alger).
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328
La hantise du chômage chez Vouvrier algérien
IV
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329
23
Pierre Bourdieu
par la société européenne a été immense. Il s'ensuit que ce qui anime les
revendications des masses algériennes, ce n'est pas tant la conscience
abstraite et formelle de droits abstraits et universels, entendus comme
droits de l'homme, que la révolte contre l'inégalité et le privilège, que la
volonté de bénéficier des mêmes avantages que les Européens. La reven¬
dication sur le mode du « pourquoi eux et pourquoi pas nous ? » précède
l'affirmation de l'égalité en droit de tous les hommes et non l'inverse.
La conscience du chômage est plus ou moins aiguë, plus ou moins
rationnelle, selon les individus et selon les catégories sociales. La pure
constatation du donné, le simple énoncé de l'existence du chômage, de
l'absence d'emploi ou de l'excédent de main-d'œuvre, est la forme la plus
élémentaire (et la plus commune) de l'expression de la conscience du
chômage et coexiste généralement avec cette conscience agie qui s'ex¬
prime seulement dans les attitudes. Au-delà, on rencontre deux types
d'expression de la conscience du chômage qu'il faut se garder de con¬
fondre. Les individus des couches les plus défavorisées expriment et
vivent l'expérience du chômage et de la situation coloniale dans la logique
de l'affectivité. La révolte est avant tout dirigée contre une autorité
personnelle plutôt que contre l'exploitation économique, contre des per¬
sonnes ou des situations individuelles et non contre une organisation qu'il
s'agirait de transformer totalement et globalement x. Toutefois, le
caractère systématique des expériences les plus disparates, depuis la
brimade jusqu'au chômage, est très vivement ressenti. Ainsi se développe
la croyance que toutes ces expériences sont le résultat d'une sorte de plan
systématique conçu par une volonté maligne 2. « Les Français, dit un chômeur
de Saïda, ne veulent pas me donner du travail. Tous ces messieurs qui sont
là près de moi ne travaillent pas. Ils ont tous des certificats, l'un fait
maçon, l'autre chauffeur, tous ont un métier. Pourquoi alors n'ont-ils pas
le droit de travailler ? Il nous manque tout. Les Français ont tout ce qu'il
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330
La hantise du chômage chez Vouvrier algérien
leur faut pour bien vivre. Mais à nous, ils ne veulent rien donner, ni travail,
ni rien. » Et ce patron épicier à Alger : « Il faut que celui qui a du travail
le donne, ne le cache pas. » Le chômage est compris ici non point comme
un aspect d'une conjoncture économique et sociale que la situation colo¬
niale peut expliquer au moins partiellement, mais bien comme le résultat
d'une volonté. A la nécessité se trouve substituée l'intention. Le système
colonial est vécu comme une sorte de Dieu méchant et caché qui peut
s'incarner, selon les occasions et les circonstances, dans « les Européens »,
« les Espagnols,». » « les Français », « la France », « l'Administration », « le
Gouvernement
PIERRE BOURDIEU
Faculté des lettres de Lille
331