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CAHIERS

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INSTITUT DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉE
IVOIRIENS DE
RECHERCHE
LINGUISTIQUE

NUMERO 39 JUIN 2016


Revue Cahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.)
Editeur : INSTITUT DE LINGUISTIQUE APPLIQUEE
08 BP 887 ABIDJAN 08 Côte d'Ivoire
ilacirl.ufhb@gmail.com

DIRECTEUR DE PUBLICATION :
AHOUA Firmin (UFHB, Côte d’Ivoire)

COMITE SCIENTIFIQUE ET DE LECTURE


Responsable : KOUADIO N’Guessan Jérémie (UFHB, Côte d’Ivoire)
Membres :
CAPO Hounkpati B. Christophe (UAC, Bénin)
[Sû-tôôg-nooma] KABORE Raphaël (Sorbonne nouvelle-Paris 3, France)
KEDREBEOGO Gérard (CNRST/INSS, Burkina Faso)
KROPP DAKUBU Mary Esther (UG, Ghana)
GBETO Flavien (UAC, Bénin)
GADOU Henri (UFHB, Côte d’Ivoire)
ABOLOU Camille (UAO, Côte d’Ivoire)
SILUE Sassongo Jacques (UFHB, Côte d’Ivoire)
ABO Justin (UFHB, Côte d’Ivoire)
BOHUI Hilaire (UFHB, Côte d’Ivoire)
AYEWA Noël (UFHB, Côte d’Ivoire)
BOGNY Yapo Joseph (UFHB, Côte d’Ivoire)
ABOA Abia Alain Laurent (UFHB, Côte d’Ivoire)
LEZOU KOFFI Aimée-Danielle, (UFHB, Côte d’Ivoire)
KOUAME Koia Jean Martial (UFHB, Côte d’Ivoire)

COMITE DE REDACTION
Rédacteur en chef :
KRA Kouakou Appoh Enoc (UFHB, Côte d’Ivoire)
Membres :
ADEKPATE Alain Albert (UFHB, Côte d’Ivoire)
KOUADIO Pierre Adou Kouakou (UFHB, Côte d’Ivoire)
ASSANVO Amoikon Dyhié (UFHB, Côte d’Ivoire)
ATSE N’cho Jean Baptiste (UAO, Côte d’Ivoire)
GOPROU Djaki Carlos (UFHB, Côte d’Ivoire)
NIAMIEN oi NIAMIEN (UFHB, Côte d’Ivoire)
TAPE Jean martial (UFHB, Côte d’Ivoire)

© ILA 2016
Tous droits d'adaptation, de traduction et de reproduction par tous procédés
y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous les pays
Imprimé par le Centre Reprographique de l'Enseignement Supérieur d'après
documents fournis "bons à reproduire"
Dépôt légal n°198901-04-88
ISBN 0252-9386
ILA
INSTITUT DE LINGUISTIQUE APPLIQUEE

CIRL
CAHIERS IVOIRIENS DE RECHERCHE
LINGUISTIQUE

N°39 JUIN 2016


Centre de Reprographie de l’Enseignement Supérieur
de l’Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY
de Cocody-Abidjan
BP V 34 Abidjan - République de Côte d’Ivoire
Juin 2016
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
01 ACHIE Patrice Brouh 05
Stratégies de relativisation en akyé bodin
02 ASSANVO Amoikon Dyhie 17
Montée de constituants en position ergative : cas de l’agni, langue kwa de
Côte d’Ivoire
03 CHAIBI Hassiba 29
Étude des interactions verbales des enfants trisomiques
04 CHONOU Chonou Hermann 39
La syllabe : réel problème pour les écoliers de la Côte d’Ivoire
05 COOKEY Scholastica Ahiazunwa 51
A Survey of the Relationship between Terms and Words: Their Implication
to Translation
06 DIANE Ambemou Oscar 59
De la description morphosyntaxique à une analyse sémantique de
l’exclamation en Akyé
07 DIBOMA Marie Liliane et BISSAYA B. Euloge Thierry 69
Politiques linguistiques au Cameroun : la question de l’apprentissage du
chinois
08 ELONGO Arsène 81
Syntaxe et sémantique des verbes juridiques : une approche pragmatique et
stylistique
09 FELIX-EMERIBE Nwanne 95
Reversing the march to extinction of West African indigenous languages
10 IJIOMA Patricia Ngozi 103
The Importance of Linguistics to Translation
11 KEBE Aminata 109
Le concept de l’éducation chez les mandings
12 KOFFI Kouakou Mathieu 119
Les charges sociales de l’alphabétisation fonctionnelle : vers une gestion
par la maitrise des conditionnalités de fonctionnalité et de productivité
13 KONAN Koffi 133
Étude grammaticale contrastive des modes de complémentation :
convergences et divergences entre le français et le baoulé
14 KONE Djakaridja 147
Le quantifieur tout : totalité ou partiel
15 LIGAN Dossou Charles 157
L’expression de la mort en milieu gun du Bénin: aspects stylistiques et
taxinomie pour la terminologie
16 N’DRE Damanan Joachim 171
Les constructions passives et causatives en dadjriwale : étude comparative
17 OKEOGU Chidinma I 183
Painting with Words: The translator’s dilemma
18 OUINDE Edmonde Francine 193
De l’intérêt de l’interdisciplinarité pour l’amélioration de la qualité de la
compétence orthographique des apprenants
19 SEA Souhan Monhuet Yves 205
L’alphabétisation des sourds en Côte d’Ivoire : quelques propositions
EDITORIAL

Les Cahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (CIRL) s’inscrivent dans les axes
fondamentaux de la réflexion contemporaine en matière de recherches linguistiques.
Depuis la création de cette revue, le choix éditorial est de publier des contributions sur des
thèmes ouverts et novateurs qui abordent des questions de langues (phonétique,
phonologie, morphologie, syntaxe, lexique, etc.), mais aussi de sociolinguistique, de
représentations, de modélisation et de sémantique.
La revue, qui se veut un espace de débat intellectuel, de mise en circulation d’idées,
contribue à la description et à la connaissance des pratiques linguistiques. Les Cahiers
Ivoiriens de Recherche Linguistique n’étant pas la revue d’un courant théorique ou d’une
école de pensée, ils accueillent des contributions qui émanent de disciplines et de théories
différentes. L’acceptation des articles est soumise à des critères tels que la lisibilité des
textes, l’explicitation des méthodes de recueil et d’analyse des données et l’intérêt des
connaissances produites au regard des débats scientifiques en Sciences du Langage.
Les contributions publiées ici abordent les questions cruciales d’ordre métathéorique,
théorique ou méthodologique qui se posent aux linguistes. L’objectif des Cahiers Ivoiriens
de Recherche Linguistique est de privilégier et vulgariser des résultats de recherches
portant sur des données empiriques et scientifiquement pertinentes.
Leur haut niveau d’exigence scientifique destine les textes publiés à être des outils de
travail et à fournir matière à réflexion aux chercheurs et aux décideurs.

Pr AHOUA Firmin
Syntaxe et sémantique des verbes juridiques :
une approche pragmatique et stylistique

ELONGO Arsène
Université Marien Ngouabi

Résumé : Le présent article analyse la syntaxe et la sémantique des verbes juridiques


dans le texte politique de l’UA. Dans cette optique, notre recherche veut montrer que
les verbes, employés dans le cadre juridique reçoivent une actualisation spécifique, une
particularité sémantique, une variété stylistique et une résonnance sociétale et
pragmatique. Nous recourons à un recueil de textes fondamentaux de l’UA, publié dans
un seul ouvrage. Notre problématique portera sur les effets repérés par le destinataire
dans l’usage des verbes à caractère juridique et on cherchera à savoir si les paramètres
sémantiques et syntaxiques des verbes employés par l’énonciateur gardent le même sens
au cours du décodage du destinataire.

Mots clés : syntaxe, sémantique, stylistique, pragmatique et verbes

Abstract : This article analyzes the syntax and semantics of verbs in the legal political
aera of the AU. In this context, our research aims to show that the verbs used in the
legal framework receive special discount, a semantic feature, stylistic variety and a
social and pragmatic resonance. We use a collection of basic texts of the AU, published
in a single book. Our problematic will focus on the effects identified by the recipient in
the use of verbs in legal character and look at whether the semantic and syntactic
parameters of the verbs used by the speaker keep the same direction during the
decoding of the recipient.

Keywords : syntax, semantics, stylistic, pragmatic and verbs

Introduction

Notre étude aborde ce thème : syntaxe et sémantique des verbes juridiques : une
approche pragmatique et stylistique. Notre objectif général consiste à décrire des effets
syntaxiques et sémantiques des verbes chez l’interlocuteur. Analysant les verbes du
style juridique dans le contexte de la pragmatique et de la stylistique, notre
problématique se focalise sur cette question : comment des effets produits par des
verbes juridiques sont-ils décodés par le destinataire ? Une telle question nous permet
de formuler deux hypothèses que nous vérifierons au cours de notre discussion. La
première hypothèse évaluera comment l’interlocuteur réagit à la valeur descriptive et
performative des verbes juridiques. La seconde hypothèse nous permettra à confirmer si
des verbes employés selon le contexte énonciatif du style institutionnel produisent un
seul effet stylistique accepté par les énonciateurs et les interlocuteurs. Pour répondre à
cette problématique, il n’est pas sans intérêt de présenter le corpus, approche théorique
des verbes.

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1. Corpus et approche des verbes dans le contexte pragmatique et stylistique

La présente partie présente le corpus des verbes et les études théoriques des verbes
publiés dans les ouvrages et articles de la linguistique ou de la grammaire.
1.1 Corpus des verbes juridiques

Pour constituer le corpus des verbes juridiques, nous avons exploité le document de
l’Union Africaine pour extraire un groupe de verbes utiles à notre interprétation
pragmatique et stylistique. Ce document est intitulé : Recueil de documents clés de
L’union Africaine relatifs Aux droits de l’homme1. Nous avons restreint notre corpus des
verbes juridiques répertoriés dans Recueil de documents clés de l’Union africaine
relatifs aux droits de l’homme(2013) pour étudier des verbes performatifs, constatifs et
évocateurs (veiller, engager, assurer), des verbes de possession (avoir le droit), des
verbes de devoir, des verbes psychologiques (vouloir), des verbes déclaratifs (garantir)
et le verbe d’état ou descriptif (être). Ces verbes présentent beaucoup d’occurrences
dans les textes de l’Union Africaine et permettent de les étudier dans une perspective de
la pragmatique et de la stylistique.

1.2 États de l’analyse des verbes dans le contexte pragmatique et stylistique

Les études des verbes sont nombreuses dans les ouvrages de linguistique, de grammaire
et de la stylistique et reposent souvent sur la morphologie, la syntaxe et la sémantique
ou sur la valeur modale, la valeur aspectuelle. Pour analyser la motivation pragmatique
du prédicat verbal, nous voulons présenter brièvement un état sur des études verbes. En
effet, Walter von Wartburg et Paul Zumthor montrent : « Les grande majorité des
verbes a pour valeur propre d’exprimer un procès, c’est-à-dire la production réelle d’un
certain effet [...] Le concept du procès qu’il exprime s’actualise, en français, de six
manières différentes : selon la personne, le nombre, le mode, la voix et l’aspect »2. Ces
six éléments actualisateurs du verbe sont abordés par Michel Arrivé, Françoise Gadet et
Michel Galmiche qui déclarent : « le verbe est donc spécialisé dans l’indication des
relations entre les éléments de la réalité. Ces relations sont nécessairement inscrites dans
le temps. » 3

Delphine Denis et Anne Sancier-Château avancent un triple argument dans la définition


du verbe : 1) « pour la morphologie, le verbe est un mot variable. Il se présente en
effet sous diverses formes qui constituent un ensemble fermé appelé conjugaison ; 2)
« pour la syntaxe, le verbe joue ordinairement en français un rôle central à l’intérieur
de la phrase, dont il relie divers éléments. On dit parfois qu’il est le nœud, le pivot de la
proposition » ; 3) « pour le sens, le verbe évoque un procès (état, action, événement
soumis à une durée interne) susceptible d’être situé dans une chronologie
(passé/présent/futur) et présupposant nécessairement un verbe appelé support ». Selon
1
UA, 2013 : Recueil de documents clés de l’Union africaine relatifs aux droits de l’homme, Pretoria,
University Law Press (PULP), 563 p.
2
W. Wartburg et P. Zumthor, 1958 : Précis de syntaxe du français contemporain, Berne, Editions
A.Francke, pp.181-182.
3
M. Arrivé, F. Gadet, M. Galmiche, 1986 : La Grammaire d’aujourd’hui. Guide alphabétique de
linguistique française, Paris, Flammarion, p.679-685.

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Delphine Denis et Anne Sancier-Château, le verbe joue un double rôle dans une
interprétation logique : le verbe apporte « une information nouvelle (prédicat) » sur le
thème ou sujet et il établit « le lien entre la phrase et la réalité, en rattachant le procès à
une personne et un temps (en l’actualisant) »4. De son côté, Pactric Charaudeau analyse
les aspects sémantiques et syntaxique des verbes : « les verbes constituent une classe
formelle qui correspond à plusieurs classes conceptuelles : processus, état, relation,
présentation »5

Les études consacrées spécifiquement à la syntaxe et la sémantique du verbe sont très


nombreux. Ainsi, Yimin Shen a étudié des verbes causatifs conduisant toujours un
changement d’une action observatrice et d’une action transformatrice6, constatées par
l’énonciateur et le destinateur. Jacques Bouchant et Jean Caron expliquent que certains
verbes peuvent indiquer « l’accès à l’information »7 visuelle ou matérielle et d’autres
verbes non. Dans une autre perspective, Christophe Bogacki présent dix classifications
sémantiques du verbe : le prédicat d’existence, prédicat de localisation, prédicat de
causalité, prédicat d’action, prédicat de changement, prédicat de volonté, prédicat de
connaissance, prédicat de possession, prédicat de sentiment et de sensation8.

En pragmatique, les verbes remplissent plusieurs valeurs en rapport avec leur contexte
énonciatif et à leur utilisateur. Nous appliquons ici quatre études consacrées à la
pragmatique. Premièrement, François Latraverse précise quelques principes de la
méthode pragmatique, ces critères sont : étudier le langage dans « ses conditions dites
matérielles et dans la diversité de ses effets », « la dépendance de phrases
syntaxiquement définies par rapport à leur contexte d’emploi », « est réputée être
pragmatique ce qui dépend du contexte »9. Ici on étudiera des effets des verbes dans leur
dépendance avec le contexte d’usage et avec les intentions des usagers.

Deuxièmement, Philipe Blanchet expose les critères de l'approche pragmatique étudiées


par Austin : « les verdictifs, qui consistent à juger » ; les exercitifs, qui consistent à
décider d’action suivre », les promissifs, qui obligent le locuteur à agir d’une certaine
manière » ; les comportatifs, qui consistent à réagir aux actes d’autrui » ; les
expositifs, qui consistent à exposer »10 . Ces cinq actes illocutionnaires nous permettent
d’identifier ceux actualisés à travers les verbes juridiques dans le cadre des documents
de l’UA.

Troisièmement, Nathalie Garric et Frédéric Calas précisent : « la pragmatique est


l’étude de l’usage de la langue comme pratique énonciative intersubjective

4
D. Denis et A. Sancier-Château, Grammaire du français, Paris, Librairie Générale française, 1994,
p.523.
5
P. Charaudeau, 1992 : Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, p.35.
6
Y. Shen, 1988 : Verbes causatifs et verbes non-causatifs, Annexes des cahiers de linguistique hispanique
médiévale, n°7, p.731.
7
J. Bouchant, J. Caron, 1999 : Production des verbes mentaux et acquisition d’une théorie de l’esprit,
Enfant, t 53, n°3, p.230.
8
Christophe Bogacki, 1988 : Les verbes à arguments incorporé en français, Langages, n°89, p.12-13.
9
François Latraverse,1987 : La Pragmatique : histoire et critique, Bruxelles, Mardaga, p.29.
10
Philipe Blanchet, 1995 : La Pragmatique d’Austin à Goffman, Paris, Bertrand Lacoste, p.33-34.

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contextuellement située et dotée d’un pouvoir de faire »11 . Dans ce but, le verbe est
analysé comme producteur des intentions de l’énonciateur et le déclencheur des
réactions du destinataire.

Quatrièmement, Jacques Moeschler donne ainsi cette acception : « la pragmatique


linguistique est l’étude du sens des énoncés en contexte. Elle a pour objet de décrire non
plus la signification de la proposition (sémantique), mais la fonction réalisée par
l’énoncé »12. Dans la perspective de Jacques Moeschler, il est utile d’analyser le verbe
selon quatre propriétés de l’acte du langage : a)« la réalisation d’une action » ; b)« un
acte intentionnel » ; c) « un acte conventionnel » fondé sur les circonstances et la
personne, l’intention des personnes, le type d’effet associé à son énonciation : d) un acte
de nature contextuelle et cotextuelle.

Outre l’approche pragmatique, en stylistique, le verbe est le producteur des effets


d’actualisation, des valeurs évocatrices soulignant soit le sens dénotatif soit le sens
connotatif. Ces effets motivés par le sens du verbe nous permettent d’appliquer
l’analyse stylistique proposée par trois stylisticiens : Charles Bally, Michaël Riffaterre
et Marcel Cressot. Dans Essais de la stylistique structurale, Michael Riffaterre
s'intéresse aux études des effets liés à leur contexte d’usage : « La variabilité des effets
montre clairement qu'ils sont régis par le contexte »13 . Placé dans le double contexte
syntaxique et énonciatif, le verbe semble produire des effets selon la motivation
communicationnelle. Charles Bally parle des effets stylistiques évocateurs et expressifs
relevant du milieu social pour souligner des valeurs dénotatives du sens ou des valeurs
connotatives. Dans la perspective stylistique, le travail de Cressot14 nous aide à analyser
le procès du verbe selon une double norme stylistique : la valeur stylistique de
l’objectivité du sens et la valeur stylistique de la subjectivité du sens motivé par un écart
syntaxique ou sémantique.

2-Structure et sémantique des verbes « veiller », assurer et engager

Les verbes « veiller », « s’engager » et « assurer » sont considérés comme des verbes
opérateurs, parce qu’ils introduisent certains « compléments complexes » comme « un
prédicat à l’infinitif »15 ou une proposition complétive et constituent une particularité du
style administratif identifiable aux textes juridiques de l’Union Africaine. Notre objectif
consiste à étudier des usages fonctionnels et sémantiques de ces verbes afin de montrer
comment ils peuvent susciter plusieurs interprétations chez le destinataire et comment
ces verbes deviennent une monographie de style d’une institution. Dans ce but, nous
examinons trois aspects syntaxiques et sémantiques des verbes « veiller », « s’engager »
et « assurer ».

11
Nathalie Garric, Frédéric Calas, Introduction à la pragmatique, Paris, Hachette, 2007, p.5.
12
Jacques Moeschler, 1985 : Argumentation et conversation. Eléments pour une analyse pragmatique du
discours, Paris, Hatier-Credif, p.23-25.
13
Michael Riffaterre, Essais de la stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1973, p.136.
14
Marcel Cressot, « Les états, les actions et la construction verbale », Le Style et ses techniques, PUF,
1983, p.144-145.
15
Gross Maurice, 1968, Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du verbe, Paris, p.62.

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2-1-syntaxe et effet stylistiques des verbes : veiller, s’engager et assurer

Les verbes « veiller », « s’engager » et « assurer » ont un emploi particulier dans le


langage politique et juridique, puisqu’ils reçoivent des structures distributionnelles
selon des contextes. Dans le premier verbe, « veiller », on répertorie trois structures
distributionnelles selon ces modèles :a) veiller + à + substantif ; b) veiller + à
+ infinitif ; c) veiller + à + complétive « ce que ». Le verbe incitatif « veiller » est
couramment employé dans le style institutionnel de l’UA. Par exemple, on compte
quarante-neuf (49) occurrences selon cette structure de ce verbe : veiller + à +
ce+ complétive « que ». Ainsi, c’est ce que justifient ces exemples :
(1) « Les États veillent à ce que l’homme et la femme jouissent de droits égaux »
(UA, 2013 :73)
(2) « les Etats parties veillent à l’alphabétisation des citoyens ayant dépassé l’âge
scolaire obligatoire » (UA, 2013 :159)
(3) Les États veillent à mettre en place leurs propres systèmes pour enregistrer
toutes les procédures judiciaires » (UA, 2013 :439).

Ces exemples montrent que le verbe « veiller » a une triple structure syntaxique. La
première structure se construit selon ce modèle : veiller + à + substantif. L’exemple (2)
illustre ce que nous venons de schématiser. La deuxième structure porte sur cette
syntaxe : veiller + à + ce+ complétive « que » + subjonctif. À cet égard, le verbe
« veiller » de la principale ôte à la proposition subordonnée une valeur objective et
pragmatique pour revêtir une valeur d’éventualité et d’incertitude dans la réalisation
actantielle. La troisième se fonde sur ce modèle syntaxique : veiller + à + infinitif. Ces
trois structures syntaxiques composent une variation stylistique observable dans le
document de l’UA, puisque ces structures syntaxiques du verbe « veiller » deviennent
un aspect stylistique du langage. Pour le verbe « assurer », le verbe « assurer » possède
plusieurs relations distributionnelles selon les usages et les usagers : a) assurer + objet ;
b) assurer + objet + à + objet second ; c) assurer + complétive « que » + mode indicatif.
Dans le deuxième verbe, « s’engager », on constate un seul modèle syntaxique :
s’engager + à + infinitif. Ce schéma le montre :

Figure n°1 : Structure et sémantique du verbe « s’engager »


prévoir
garantir
Les Etats s’engagent à
créer
instaurer
exercer
réviser
éliminer
assurer
interdire

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Selon le schéma ci-dessus, le verbe pronominal « s’engager » est un introducteur de
changement et de nouveauté comme : prévoir, garantir, créer, instaurer, exercer, réviser,
éliminer, assurer, interdire.

Les trois verbes (veille, s’engager et assurer) véhiculent des effets stylistiques de la
dénotation portant sur la motivation des propriétés sémiques dans le cas de chaque
verbe : le sème dénotatif de la surveillance, le sème de l’engagement et le sème de
l’assurance. Le message véhiculé par ces verbes peut créer les effets stylistiques de
satisfaction auprès du destinataire espérant à un changement judiciaire. En raison de ses
occurrences dans le document de l’UA, le verbe « veiller » reçoit, chez le destinataire,
plusieurs déterminations stylistiques suivantes : l’urgence, une correction d’une
injustice, un rétablissement des droits longtemps ignorés. Outre cela, on analyse la
structure sémantique du verbe « assurer » pour montrer que les domaines du savoir
peuvent rendre un verbe un usage populaire, car les rédacteurs institutionnels
approprient la valeur objective pour en faire une seule signification stylistique.

Mais, la valeur stylistique du verbe « assurer » suggère plusieurs significations


évocatrices et intentionnelles chez le destinataire. Dans notre cas, le destinateur
représente l’institution et le destinataire, chaque état de cette institution. Ainsi, comment
les États africains décodent et appliquent-ils les valeurs décisionnelles actualisées par
les verbes « assurer », « s’engager » et « veiller » dans le contexte énonciatif et
situationnel ? Par exemple, le verbe « assurer » dégage, dans une perspective du
locuteur collectif le sème de la vérité, de la prise en charge des problèmes humains pour
chaque pays de l’Union. Il est interprété par le destinataire collectif comme une
réalisation limitée, puisque certains pays seraient incapables d’appliquer les décisions
actualisées par le verbe « assurer ». En gros, le destinataire collectif accorderait moins
d’importance à la réalisation effective d’une action intentionnelle réalisée par un tel
verbe, puisque sa valeur motivationnelle manque une vie d’applicabilité sociale. Dans
une telle circonstance discursive, le verbe juridique remplit une valeur stylistique de
l’ironie, parce que sa valeur référentielle et conative n’est pas appliquée par le
destinataire étatique.

2-2- Effets pragmatiques des verbes« veiller », « s’engager » et « assurer »

Les verbes « veiller », « s’engager » et « assurer » ont valeur d’un acte illocutoire de
constatif, ou descriptif et expriment une action forte du changement. A cet égard, « Le
prédicat d’action (AGIR) se construit avec un seul argument de nature individuelle. Son
rôle sémantique est celui d’agent et est exprimé le plus souvent par des humains, plus
rarement par des substantifs animés non-humains »16. Les verbes « veiller »,
« s’engager » et « assurer » possèdent un acte illocutoire fondé sur l’assertion et
marquent un transfert de possession et d’une information17 », puisqu’ils suggèrent un
procès d’action aux référents de la surveillance, de l’engagement et de l’assurance.

16
C. Bogacki , 1988 : Les Verbes à argument incorporé en français, Langages, n°89, p.12.
17
Escarabajal et les autres développent que le verbe peut exprimer un noyau sémantique de transfert de
possession, de transfert d’une information mentale (L’activité de catégorisation des substantifs, des
verbes et des dérivés verbaux, Langages, n°132, 1998, p.70.).

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(4) Les Etats parties veillent à ce que les jeunes hommes et les jeunes femmes
jouissent de droits égaux de propriété (p.135)
(5) Les Etats parties s’engagent également à faciliter le transfert et l’adaptation des
principes et des expériences des autres Etats parties à leurs contextes propres (p.147)
(6) Les Etats parties assurent la promotion de la participation des citoyens au
processus de développement, par des structures appropriées. » (p.157)

3-Verbes « possessifs » et modaux et motivations stylistiques et illocutionnaires

L’une des innovations que l’on identifie dans les écrits juridiques de l’UE porte sur les
motivations pragmatiques et stylistiques des verbes de possession, des verbes
psychologiques et des verbes du devoir. Ces verbes forment un univers de
l’appropriation discursive du style, puisqu’ils présentent un nombre d’occurrences assez
importantes dans les écrits de l’UA. L’objectif visé est de répondre à cette question :
quelle motivation pragmatique et stylistique le destinataire peut-il décoder dans l’usage
des verbes de possession et des verbes modaux ?

3-1-Verbes « avoir droit » et « avoir le droit » ou motivation des verbes de


possession

Les verbes « avoir droit » et « avoir le droit » sont considérés comme des verbes de
possession. Dans Élément de syntaxe structurale, Lucien Tesnière classe le verbe
« avoir » parmi des procès de possession, lorsqu’il écrit : « Quant au verbe avoir, c’est
un verbe d’état, on le définit comme un verbe être retourné, auquel vient s’ajouter l’idée
de position »18. Selon Le Nouveau Petit Robert, les verbes idiomatiques « avoir le droit
de » et « avoir droit à » désignent une possibilité, un pouvoir, une qualité et une
permission. Dans une perspective syntaxique, les verbes juridiques et idiomatiques
« avoir le droit de » et « avoir droit à/ de » se construisent soit avec un substantif, soit
avec un infinitif et laissent émergent, dans leur usage, un fait stylistique en raison de
leur variation structurale et sémantique. Nous représentons les deux structures de
l’usage du verbe « avoir » et ses incidences stylistiques auprès d’un destinataire
collectif.

Schéma n°2 : Verbe idiomatique « avoir droit à » et syntaxique nominale

Le citoyen, la liberté,
Les États a/ ont droit à l’égalité,
L’enfant la sécurité
La personne, la garantie

Le verbe idiomatique « avoir droit à » se construit toujours avec un substantif abstrait


dans le domaine juridique ou institutionnel. Il reçoit une valeur stylistique limitée en

18
Lucien Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, p.91.

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comparaison de son usage littéraire ou social, puisqu’ils caractérisent un seul domaine
dont les morphèmes appartiennent à l’univers des référents d’abstraction. En effet, on
retrouve, dans les documents de l’UA, une forte récurrence des substantifs abstraits ou
notionnels employés comme prédicat nominal du verbe « avoir droit à ». Celui-ci peut
signifier plusieurs attentes stylistiques de sens pour le destinateur collectif (institution)
et le destinataire collectif(les pays membres). Pour le premier, l’usage d’un tel verbe
souligne, dans un environnement d’inégalité et de violation des libertés individuelles,
une innovation juridique et un progrès vers une universalité des valeurs sociales,
culturelles et politiques. Pour le second, l’usage d’un tel verbe juridique souligne le
commencement de la lutte et le rétablissement d’un fait de justice. Mais, on constate
dans la forme figée « avoir droit à », une nouvelle utilisation stylistique d’une
prédication infinitive selon ce modèle : avoir droit de (avoir droit de jouir, de présenter,
ou de constituer).

En gros, dans le domaine des institutions, le verbe « avoir droit à » devient un marqueur
stylistique de la motivation juridique, il met en relation actualisatrice la signification du
sujet nominal et la prédication nominale. Le changement syntaxique du verbe
idiomatique « avoir droit/à + substantif/ de + infinitif ou avoir le droit de + infinitif/
avoir le droit à + infinitif devient dans les documents juridiques, une valeur stylistique
pour le destinataire collectif. Cette motivation stylistique du verbe prend en charge les
paramètres du groupe nominal sujet et du groupe nominal objet. C’est le cas de cette
figure :

Schéma n°3 : Verbe idiomatique « avoir droit à » + le verbe à l'infinitif


Le citoyen, le jeune, l’Etat, -jouir ; intervenir ; se
la personne, le peuple, a /ont le droit de marier, organiser,
l’accusé, les veuves réglementer

Le verbe idiomatique « avoir le droit de » présente les mêmes caractéristiques


stylistiques avec la prédication verbale « avoir droit de ». Selon la figure n°2, le groupe
nominal sujet constitue la première structure dont le verbe dépend. Ainsi, le destinataire
collectif comprend que le verbe idiomatique « avoir le droit » n’implique une valeur
possessive d’un profit sociétal, mais une minorité de personnes cherchant à faire valoir
leur droit au sein d’une nation. Dans cette perspective, les motivations stylistiques du
verbe possessif dépendent en partie des substantifs remplissant la fonction du sujet ou
du thème pour une phrase, quand ces substantifs sont changés par d’autres de l’univers
concret ou abstrait, le procès du verbe connaît une nouvelle orientation stylistique. C’est
ce qui exprime ces énoncés :
(7) Tout enfant a droit à un nom dès sa naissance ;
(8) Tout enfant a le droit d ’acquérir une nationalité (p.89)

Notre analyse aboutit à ce constat formulé par Alain (1993 :23) : « Le verbe est
généralement considéré comme le noyau de la phrase française, et ce pour des raisons
claires : le fait de changer le verbe change souvent le choix des autres mots ». Outre
cela, on remarque que le verbe idiomatique accomplit pleinement son procès de
transfert possessif, lorsqu’il est suivi de la prédication infinitive. Le rôle figé du verbe et

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la fonction variée de l’infinitif est regardé par le destinataire comme un jeu stylistique
de motivation et de création langagière, puisque chaque prédication infinitive oriente le
procès possessif exprimé par le verbe idiomatique « avoir le droit de ».

3-2- Motivation pragmatique des verbes modaux ; pouvoir et devoir

Les verbes modaux « pouvoir » et « devoir » sont abordés dans plusieurs travaux de
grammaire et de linguistique. Pierre (2000 : 708-709) analyse les deux verbes modaux :
pour le premier verbe « pouvoir », il pense que ce verbe marque la possibilité, la
permission, la capacité due « à un état, à des circonstances, à des causes externes »,
l’audace et de l’approximation. Pour le second verbe « devoir », Pierre Hanse parle de
quatre valeurs sémantiques : l’obligation, la nécessité, la vraisemblance, et l’intention.
Outre cela, Maingueneau (2001) étudie les valeurs sémantiques des verbes « pouvoir »
et « devoir » : pour le premier verbe « pouvoir », ce verbe désigne : la capacité, la
permission, la possibilité ; pour le second verbe « devoir » : la nécessité, l’obligation ».
Le travail de Sueur (1975 :8) apporte une analyse approfondie sur ces deux verbes
modaux : pouvoir et devoir : « nous tenterons de justifier les structures sémantiques
suivantes : (1) pouvoir : I-a-permission ; b-capacité ; c-possibilité ; II- non exclusion
(éventualité) (2) devoir : I-a-obligation ; b-nécessité ; II-probabilité ».

Dans notre étude, nous tenons compte des acceptions sémantiques des verbes modaux
« pouvoir » et « devoir ». Dans une perspective pragmatique, nous voulons vérifier que
ces verbes peuvent recevoir une nouvelle signification. Le premier « pouvoir » désigne
des sèmes de la liberté et la souplesse dans l’accomplissement du procès. On accorde
aux actants d’une double possibilité de réaliser son procès fondé sur soit l’adhésion soit
sur le rejet. Le second (devoir) dénote des sèmes de la force, de la contrainte, de la
menace et de la réalisation totale du procès par l’agent afin d’éviter un jugement et une
sanction physique ou morale.

Les études consacrées aux verbes modaux « pouvoir » et « devoir » sont des prédicatifs
couramment utilisés dans les documents juridiques de l’UA. C’est ce qu’illustre ce
tableau :

n Verbes modaux Sémantique Occurrences


1 Pouvoir Possibilité, permission, capacité, liberté 706
2 Devoir Obligation, nécessité, probabilité, 641
contrainte
3 Avoir le devoir de obligation 29
4 Avoir le pouvoir possibilité 3
de
5 Avoir l’obligation obligation 9

À la lecture de ce tableau, on constate que les verbes « pouvoir » et « devoir » dominent


des textes juridiques de l’UA. Ainsi, notre tâche est de chercher les motivations
discursives de ces deux verbes dans l’instance du destinateur au sein de son contexte
situationnel. Dégageons des significations du verbe « pouvoir » de la part du

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destinataire. Le procès de la permission et celui de la possibilité sont un trait stylistique
des énoncés juridiques ou administratifs. Comment le destinataire peut-il recevoir les
effets sémantiques dégagés par ces énoncés du verbe « pouvoir » ?
(9) Les décisions de la Commission peuvent être prises par consensus (p.215)
(10) Les représentants des médias peuvent assister à une audience publique (p.435)

En analysant ces énoncés, on remarque que le procès du verbe « pouvoir » introduit une
prédication de possibilité variable par l’usage de l’infinitif. Ainsi, le destinataire a une
double réaction interactive avec le verbe « pouvoir ». Premièrement, on repère une
valeur dénotative des possibilités produites par le verbe « pouvoir ». Ces possibilités du
procès sont : la possibilité de la soumission (6), la possibilité de l’existence d’un
consensus (7), la possibilité de l’assistance (8) et la possibilité de l’invitation (9).
Deuxièmement, le verbe « pouvoir » peut avoir une évocation connotative et il est
analysé par le destinataire collectif comme le marqueur d’une liberté d’agir ou
d’accomplir un fait ou un événement selon son désir. Cette liberté cesse d’exister,
lorsque le verbe « pouvoir » se construit sur une assertion négative pour marquer une
interdiction, comme suggère cet énoncé :
(11) Les États parties ne peuvent, ni émettre ni introduire des réserves relatives à
cette convention qui seraient non compatibles avec ses objectifs et ses buts. (p.174)
En somme, le verbe « pouvoir » est motivé par des évocations stylistiques de la
possibilité, de la liberté qu’interprète le destinataire dans la réception du message. Ces
motivations stylistiques changent et forment un fait de style, lorsque le destinateur
collectif utilise intentionnellement le verbe « devoir » pour exprimer le procès de
l’obligation, de la contrainte morale et physique de l’exécutant, dans les textes
juridiques, le destinataire varie selon le sujet de l’énoncé.
(12) Les États doivent inciter les jeunes à conduire des recherches (p.139).
(13) L’État a l’obligation de respecter les droits mentionnés (p.388)

Dans cette perspective, comment le destinataire collectif (État) réagit il au procès


marqué par le verbe « devoir » à travers les motivations et les intentions suggérées par
la prédication infinitive ?

(14) A ces fins, tout Etat partie doit:1.Créer et renforcer les organes électoraux
nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections. 2. Créer et
renforcer les mécanismes nationaux pour régler, dans les meilleurs délais, le
contentieux électoral. 3. Faire en sorte que les partis et les candidats qui participent
aux élections aient un accès équitable aux médias d’Etat, pendant les élections. 4.
Adopter un code de conduite qui lie les partis politiques légalement reconnus, le
gouvernement et les autres acteurs politiques avant, pendant et après les élections. »
(UA, p.154)

4. Syntaxe figée du verbe et intentions stylistiques et pragmatiques

La structure figée du verbe crée une variation prédicative, celle-ci repose sur la valeur
discursive du nominal et de l’infinitif. Le but de notre analyse est de montrer comment
la structure figée du verbe peut créer des effets stylistiques de la motivation

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illocutionnaire et intentionnelle auprès du destinataire. À cet égard, nous étudions des
effets de la variation infinitive et des significations évocatrices de la variation nominale.

4.1 Syntaxe figée du verbe « être » et intentions stylistiques

Le verbe « être » désigne une valeur existentielle. Dans La Sémantique, Pierre Guiraud
définit les trois valeurs stylistiques d’usage du verbe « être » : introducteur de
« l’identité », le marqueur de l’appartenance à une catégorie », l’indicateur de
« l’attribution de caractères objectifs ou subjectifs isolés de l’objet »19. Le verbe
« être », accompagné d’une préposition « de » et de l’infinitif, peut présenter une valeur
descriptive et déclarative et peut remplir une fonction stylistique du présentateur,
lorsque les infinitifs présentés sont sous la valeur énumérative. Dans cette perspective, il
est opportun de considérer l’analyse stylistique faite par Marcel Cressot concernant le
rôle du verbe « être », cette analyse souligne : « Jouant à la fois le rôle de copule et de
prédicat, le verbe cimente fortement, le groupe logique constitué par le sujet, l'action,
l'objet et les circonstances de l'action, ou par le sujet, l'état décrit et les circonstances qui
l'entourent »20. Ainsi, le verbe « être » devient, dans la construction phrastique, le
marqueur d’une syntaxe prédicative complexe et normative conduisant à des effets
stylistiques suggérés par le sens de chaque infinitif employé dans cet énoncé :

« Les fonctions du Président sont de : (a) représenter la Cour ; (b) présider les
séances de la Cour ; (c) diriger les travaux et contrôler les services de la Cour ;
(d) promouvoir les activités de la Cour ; (e) présenter à la Cour un rapport annuel
détaillé sur les activités de la Cour et sur celles qu’il a menées en sa qualité de
Président durant cette période ; (f) préparer un rapport annuel et de le présenter à
la Conférence, conformément à l’article 31 du Protocole ; (g) exercer toutes autres
fonctions que lui assignent le Protocole ou le présent Règlement, ou que la Cour
pourrait lui confier. » (UA, p.535).

Dans un tel exemple, le verbe « être » un double rôle dans le contexte phrastique : le
marqueur de la cohésion syntaxique et l’introducteur de la variation sémantique. La
prédication verbale « sont de » forme une phrase périodique composée par la variation
des infinitifs. Ces infinitifs sont : représenter, présider, diriger, présenter, préparer,
exercer. La valeur figée de verbe « être » exprime une ligne stylistique de la singularité
discursive et marque le rejet de la répétition d’une unité grammaticale. Si l’unité
discursive « sont » est répétée dans l’exemple cité précédemment, on trouvera six
phrases indépendantes. Ces phrases contiendront deux unités de la répétition : le groupe
nominal sujet « Les fonctions du Président » et le groupe verbal « sont ». Le rôle de la
ponctuation, notamment les deux points, et l’énumération alphabétique offre au verbe
« être » une valeur de factorisation. Ici « sont de » est comme en factorisation grâce à la
ponctuation. Donc, la structure figée du verbe peut être comprise comme une spécificité
stylistique du style juridique, administratif et politique et comme marqueur des effets
stylistiques.

19
Pierre Guiraud, La Sémantique, Paris, Presses Universitaires de France, 1966, p.105.
20
Marcel Cressot, « Les états, les actions et constructions verbale », Op.cit., p.144.

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La variation infinitive de l’infinitif produit plusieurs effets portant sur les actes
représentatifs, directifs, promissifs et déclaratifs. Si on considère l’exemple (13) comme
plusieurs énoncés commençant par l’infinitif, on est permis de conclure que la valeur
infinitive repose sur un ordre exécutoire pour le destinataire, cela confirme l’analyse
réalisée par Jules Marouzeau (1969 : 144) concernant la valeur stylistique de l’infinitif :
« L’énoncé d'un verbe à l'infinitif suffit à exprimer un ordre ou une invitation ».

4.2 Verbe « garantir » et fonctions performatives

Le verbe « garantir » marque une valeur informative portant sur le sème de la garantie.
Ce verbe suggère la sûreté, la protection, une défense, une obligation et une
responsabilité. Dans le contexte pragmatique, un tel verbe reçoit une valeur
performative, elle souligne une seule évaluation fondée sur le bonheur d’un peuple
opprimé de ses droits fondamentaux. Dans cette optique, Jacques Moeschler (1985 :26)
souligne ceci : « L’énoncé performatif se distingue de l’énoncé constatif (ou descriptif)
en ce que : il ne peut être évalué en termes de vérité ou fausseté, mais en termes de
bonheur ou malheur, b) il ne relève pas de l’activité du dire mais du faire (il réalise une
action). Selon cette analyse de Jacques Moeschler, il est sans doute de montrer que le
verbe « garantir » vise une réalisation finale du procès au profit du destinataire (les pays
membres et leur peuple). C’est ce qu’indiquent ces énoncés :
(15) En particulier, les États parties garantissent la liberté de culte, le respect de
l’identité culturelle des populations et les droits des minorités » (UA, p.122).
(16) L’État partie garantit la sécurité de la mission, le libre accès à l’information, la
non-ingérence dans ses activités, la libre circulation ainsi que sa pleine coopération à
la mission d’observation des élections. » (UA, p.154).
Le verbe « garantir » marque une intention communicative de l’information et une
intention du destinateur institutionnel, parce que l’institution veut résoudre des
problèmes fondamentaux constatés dans ses pays membres : problème de liberté de
culte, le problème du respect de l’identité culturelle... Le prédicat « garantit » peut
souligner deux faiblesses de l’institution : le manque de fermeté devant les états
tyranniques et la volonté de conserver l’unité de ses membres, de peur que ceux-ci
quittent l’organisation. Ainsi, le verbe « garantir » n’est pas employé avec la valeur
d’obligation contraignante, mais celle de la neutralité.

Conclusion

Notre analyse a vérifié deux hypothèses de la problématique. Premièrement, nous


avons montré, selon l’argument de la première hypothèse, que le destinataire collectif
(les états) peut réagir de plusieurs façons devant l’usage des verbes descriptifs et des
verbes performatifs : une réaction de satisfaction (bonheur) ou une réaction
d’insatisfaction (malheur). Ces verbes peuvent suggérer des effets informatifs et des
effets de changement, parce qu’ils réalisent un procès avantageux au profit du
destinataire. Ainsi, les verbes comme veiller à, s’engager à et assurer visent, dans leur
usage juridique, à corriger une injustice et à protéger les droits des destinataires victimes
d’un mauvais traitement. De même, les verbes idiomatiques « avoir droit/ avoir le
droit » ont une valeur performative, puisqu'ils présument, chez le destinataire victime,

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peut-être, des actes d’injustice, des effets de joies et de dignité devant les persécuteurs.
Les verbes modaux comme vouloir et devoir expriment une double intention : celle de
la permission ou celle du non-accomplissement du procès (vouloir) ; celle de
l’obligation de réaliser totalement le procès ou celle du rejet d’accomplir l’injonction
motivée par le procès du verbe.
Deuxièmement, nous avons démontré que les verbes juridiques ne produisent pas un
seul effet stylistique partagé par l’énonciateur et son destinateur. Mais, il est vrai de
signaler que certains verbes performatifs comme « avoir droit à » permettent une seule
interprétation, celle d’énoncer les droits d’un groupe stigmatisé par une violation de leur
dignité. Le même verbe « garantir » reçoit autant d’effets stylistiques, lorsqu’il a une
valeur descriptive.

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