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Thérapie 2007 Septembre-Octobre; 62 (5): 455–460

P HARMACOVIGILANCE DOI: 10.2515/therapie:2007067


c 2008 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Effets indésirables des médicaments


chez la femme enceinte
Isabelle Lacroix, Cendrine Cabou, Jean-Louis Montastruc et Christine Damase-Michel
Laboratoire de Pharmacologie Médicale et Clinique, Unité de Pharmacoépidémiologie, EA 3696, Université de Toulouse,
Faculté de Médecine et Service de Pharmacologie Clinique, Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance, de Pharmacoépidémiologie
et d’Information sur le médicament, CHU de Toulouse, Toulouse, France

Texte reçu le 3 mars 2006 ; accepté le 5 octobre 2007

Mots clés : Résumé – Ce travail cherche à évaluer l’incidence des effets indésirables médicamenteux chez la femme enceinte et à les dé-
Effets indésirables ; crire. Ainsi, nous avons mis en place deux études : une étude prospective réalisée auprès des gynécologues et gynécologues-
grossesse ; obstétriciens de la région Midi-Pyrénées avec pour objectif d’évaluer l’incidence des effets indésirables des médicaments
réaction anaphylactique chez la femme enceinte et une étude rétrospective réalisée à partir des notifications spontanées d’effets indésirables enre-
gistrées au centre Midi-Pyrénées de pharmacovigilance ayant pour objectif de comparer le type d’effets indésirables, leurs
caractéristiques et les médicaments impliqués entre un groupe de femmes enceintes et un groupe témoin (femmes non en-
ceintes ayant présenté un effet indésirable appariées sur l’âge et sur l’année de survenue de l’effet indésirable).
L’incidence des effets indésirables rapportés chez la femme enceinte est faible (0,3 %). Nous avons recueilli au centre
Midi-Pyrénées de pharmacovigilance, entre 1982 et 2002, 47 cas d’effet indésirable chez la femme enceinte. Nous avons
comparé ces notifications à 94 cas d’effets indésirables survenus chez des femmes non enceintes. L’analyse par effet in-
désirable montre que les femmes enceintes ont présenté plus de réactions anaphylactiques (p = 0,04). Un cas a conduit à
une mort fœtale. Les médicaments des classes ATC (anatomical therapeutic chemical classification) « génito-urinaire, hor-
mones sexuelles » et « cardiovasculaire » sont plus souvent impliqués dans les effets indésirables survenant chez les femmes
enceintes.
Ces études montrent une incidence faible des effets indésirables déclarés chez la femme enceinte et la nécessité d’études
complémentaires plus spécifiques. Le risque de réaction anaphylactique mériterait notamment de plus amples investigations.

Keywords: Abstract – Adverse Drug Reactions in Pregnant Women. A Prospective pharmacovigilance survey of adverse drug re-
Adverse drug reaction actions (ADRs) in pregnant women was performed in collaboration with gynaecologists and obstetricians of Midi-Pyrenees
(ADR); area (south west of france). The aim of the study was to evaluate the incidence of adverse drug reactions in pregnant women.
pregnancy; The incidence of ADRs in pregnant women was low: 0.3%. Moreover, a retrospective pharmacoepidemiological study was
anaphylactic reaction conducted to characterize ADRs in pregnant women. Reports of ADRs collected in the Midi-Pyrenees pharmacovigilance
centre from 1982 to 2002 were used: type of ADRs, drugs involved and potential risk factors were compared for pregnant
women and for age-matched non pregnant women. Forty seven and 94 reports of ADRs were collected in pregnant and
non-pregnant women respectively. Anaphylactic reactions were only observed in pregnant women (3 cases, p = 0.04). We
observed 1 ADR related stillbirth (due to anaphylactic reaction) in pregnant women. Drugs for gynaecological and cardio-
vascular systems were more frequently involved in ADRs in pregnant women than in controls. ADRs mainly occurred during
the third trimester of pregnancy.
The incidence of ADRs is very low in pregnant women. However, one must pay attention on the risk of anaphylactic reactions
in pregnant women.

1. Introduction indésirables se poursuit ensuite avec le recueil des effets indési-


rables par les Centres Régionaux de Pharmacovigilance et la mise
L’évaluation du risque d’effets indésirables des médicaments en place d’études cliniques et pharmacoépidémiologiques. Pour
commence avant leur mise sur le marché lors d’études de toxico- des raisons éthiques évidentes, il existe peu d’études cliniques
logie et au cours des essais cliniques. Cette surveillance des effets concernant les effets des médicaments pendant la grossesse. Les

Article published by EDP Sciences and available at http://www.journal-therapie.org or http://dx.doi.org/10.2515/therapie:2007067


456 Lacroix et al.

ETUDE « EFFE TS I NDESIRABLES CHE Z LA FEM ME ENCEINTE » ETUDE « EFFE TS I NDESIRABLES CHE Z LA FEM ME ENCEINTE » Prise de m édicaments ou e xposition à d‛autre s su bstances p endan t la
Centre Midi-pyrénées de Pharmacovigilance, DE PHARM ACOEPIDEMIOLOGIE Centre Midi-pyrénées de Pharmacovigilance, DE PHARM ACOEPIDEMIOLOGIE grossesse (signaler le s mé dicaments pris lors de la survenue de l‛effet
ET D‛ INFORM ATI ONS SUR LE MEDICAMENT ET D‛ INFORM ATI ONS SUR LE MEDICAMENT indésira ble ou juste a vant)
Centre Ho spita lier Unive rsitai re, Faculté de Mé decine, 37 allées Jule s Centre Hospitalie r Universitaire , Faculté de Mé decine, 37 allées Ju les G uesde ,
Guesde, 31073 Toulouse. 31 073 Toulouse.
Médicament, Posologie Indication Période de
produit prise
N° f i c he C ac het du méd ec i n du / / au / /

du / / au / /
SFICHE DE RENSEIGNEMENTSS PATIENTEn
- Nom : - Prénom : du / / au / /

- Date de nai ssance : du / / au / /

- Date de s dernières règ les :


du / / au / /
Cachet du médecin : - Ou date pré sumée de la g rosse sse :
du / / au / /
- Antécédents m édicaux/facteurs fa vorisan ts :
du / / au / /

du / / au / /
EFFE T(S) I NDESIRABLE(S) :
du / / au / /

Nombre d‛effets indé sirable s recueillis : ……………


Date de survenue : Description de l‛ effet indé sira ble (p récise r la chronologie et l‛ évolution des
troubles cliniques et/ou biologiques, joindre les résu ltats de bilan si
nécessaire) :
Nombre tota l de femme s enceinte s vues en consultation du 9 septe mbre au Gravité : Non grave
21 septem bre 2002 : …………… G rave :
Hospitalisation ou prolongation d‛ hospitalisation
Incapacité ou invalidité permanente
Mise en jeu du pronostic vital
Décès

Evolution : G uérison sans séquelle


G uérison avec séquelle
Sujet non encore rétabli
Décès
Inconnue
Merci de votre colla bora tion.

Fig. 1. Fiches de renseignements remplies par les gynécologues et gynécologues obstétriciens.

effets indésirables des médicaments lors de la grossesse décrits avons mis en place deux études :
dans la littérature concernent le plus souvent le fœtus ou le - une étude prospective réalisée auprès des gynécologues et
nouveau-né. Peu d’auteurs s’intéressent aux effets sur la mère. gynécologues-obstétriciens de la région Midi-Pyrénées pour éva-
Or, les changements physiologiques liés à la grossesse entraînent luer l’incidence des effets indésirables des médicaments chez la
des modifications des propriétés pharmacocinétiques de certains femme enceinte ;
médicaments.[1, 2] Par exemple, on observe durant la grossesse un - une étude rétrospective réalisée à partir des notifications
ralentissement de la motricité gastro-intestinale de 30 à 50 %,[3] spontanées d’effets indésirables au centre Midi-Pyrénées de phar-
une réduction de la sécrétion d’acide gastrique de 40 %,[4] une macovigilance pour comparer le type d’effets indésirables, leurs
modification du volume de distribution avec expansion du volume caractéristiques et les médicaments impliqués entre un groupe de
plasmatique de 45 à 50 %[5, 6] et une diminution de la concentra- femmes enceintes et un groupe témoin (femmes non enceintes
tion en protéines sériques totales.[7] On a aussi décrit une induc- ayant présenté un effet indésirable).
tion enzymatique hépatique de certains cytochromes,[8, 9] une per-
turbation des tests hépatiques[10] et des anomalies du métabolisme
des acides biliaires.[11] La filtration glomérulaire rénale augmente 2. Méthode
de 50 %[12] et le flux sanguin rénal de 60 à 80 %.[13] Il existe par
ailleurs une élévation de la perfusion et de la ventilation pulmo- 2.1. Étude prospective auprès des gynécologues
naire de 50 %.[7] Toutes ces modifications peuvent avoir un im- et gynécologues-obstétriciens de Midi-Pyrénées
pact sur les propriétés pharmacocinétiques et pharmacologiques
des médicaments et donc sur la survenue de certains effets in- Nous avons sollicité tous les gynécologues ou gynécologues-
désirables. Ainsi, la littérature rapporte l’apparition de troubles obstétriciens de la région Midi-Pyrénées (420 au total) par cour-
gastro-intestinaux sévères avec un retard de l’absorption diges- rier puis par téléphone. Nous avons demandé aux médecins
tive de l’érythromycine sous forme orale au cours du 3e trimestre participants de relever de façon exhaustive tous les cas d’effet in-
de grossesse.[14] Des effets indésirables hépatiques ont aussi été désirable médicamenteux survenant chez leurs patientes enceintes
constatés au cours du 3e trimestre de grossesse avec la prise orale au cours de 2 périodes de 14 jours : du 17 au 29 juin 2002 et
de progestérone micronisée lors des menaces d’accouchement du 9 au 21 septembre 2002. Les médecins devaient retourner une
prématuré[15] ou de médicaments à activité antirétrovirale.[16] fiche sur laquelle ils notaient le nombre de femmes enceintes
vues en consultation pendant la période d’étude (figure 1). Ils
Compte tenu du peu de données concernant la survenue d’ef- remplissaient une feuille de déclaration pour chaque effet indési-
fets indésirables chez la femme enceinte dans la littérature, nous rable signalé (figure 1). Un effet indésirable est considéré comme


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« grave » lorsqu’il est à l’origine d’un décès, met en jeu le pro- grossesse (40 et 45 % respectivement). Un seul effet indésirable a
nostic vital ou entraîne ou prolonge une hospitalisation.[17] L’im- été considéré comme « grave » : un cas de goitre thyroïdien com-
putabilité (I) a été établie selon la méthode officielle française[17] pressif sous carbimazole. La majorité de ces effets indésirables
associant des critères chronologiques (C) et sémiologiques (S). (91 %) a évolué de manière favorable.
Les médicaments impliqués appartiennent le plus souvent
aux classes ATC « hématologie » (fer surtout), « gastroentérolo-
2.2. Étude rétrospective réalisée à partir des notifications gie » (phloroglucinol, carbonate de calcium. . . ), et « système res-
spontanées d’effets indésirables enregistrées
au Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance piratoire » (salbutamol surtout). Au total, 20 médicaments ont été
imputés selon la méthode d’imputabilité française. Dans 80 %
Nous avons recueilli toutes les observations concernant un des cas, l’imputabilité du médicament est plausible (I2) ou vrai-
effet indésirable d’un médicament chez la femme enceinte, re- semblable (I3). Tous les médicaments ont été prescrits d’après les
levées par le centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance entre recommandations des RCP [Résumé des Caractéristiques du Pro-
1982 et 2002. Ces observations constituent les cas. Ces cas ont duit] (indications, voies d’administration et posologies).
été recherchés de façon manuelle (à partir des archives papier du
Centre Midi-Pyrénées de pharmacovigilance). Les témoins cor-
3.2. Étude rétrospective réalisée à partir des notifications
respondent à des femmes non enceintes ayant présenté un effet in- spontanées d’effets indésirables enregistrées
désirable. Nous avons ajusté cas et témoins sur l’âge et l’année de au Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance
survenue de l’effet indésirable. Deux témoins ont été inclus pour
un cas. Pour chaque notification d’effet indésirable, nous avons Nous avons recueilli au centre Midi-Pyrénées de Pharmaco-
relevé les données suivantes : numéro d’enregistrement dans la vigilance, entre 1982 et 2002, 47 cas d’effets indésirables chez la
Banque Nationale de pharmacovigilance, âge de la patiente, ef- femme enceinte. Nous avons exclu les observations d’effets indé-
fet indésirable (description, délai d’apparition, gravité, évolution, sirables survenus au cours de l’accouchement. Nous avons com-
facteurs de risque, période de grossesse), médicaments impliqués paré ces notifications à 94 cas d’effets indésirables survenus chez
(nom de spécialité, période de prise, imputabilité). Lors de l’ana- des femmes non enceintes. Nous avons apparié ces deux groupes
lyse descriptive, les variables quantitatives ont été exprimées en sur l’âge et l’année de survenue de l’effet. Les femmes inclues
moyenne (± écart type) et les variables qualitatives en pourcen- dans l’étude sont âgées en moyenne de 29,9 ± 6,4 ans.
tage. Les effets indésirables les plus fréquents sont de type cu-
tané (érythème, prurit. . . ), digestif (atteintes hépatiques, nausées,
vomissements. . . ), allergique et neurologique (céphalées, somno-
3. Résultats lence. . . ). L’analyse par effet indésirable (tableau I) montre que
3.1. Étude prospective réalisée auprès des gynécologues seules les femmes enceintes ont présenté des réactions anaphylac-
et gynécologues-obstétriciens de Midi-Pyrénées tiques (6,4 %, p = 0,04). Il y a autant d’atteintes hépatiques dans
les 2 groupes. Les cas de réaction anaphylactique sont survenus
Au total, 240 spécialistes ont participé à cette étude (taux au cours du 3e trimestre de grossesse (tableau II). Dans 1 cas, il y
de participation de 57 %). Six mille neuf cent cinq femmes en- a eu mort fœtale.
ceintes ont été vues en consultation par 215 spécialistes (25 n’ont Les médicaments des classes « génito-urinaire, hormones
pas précisé le nombre de femmes enceintes vues pendant la pé- sexuelles » et « cardiovasculaire » sont significativement plus sou-
riode d’étude). Au total, 20 effets indésirables ont été déclarés vent impliqués (figure 2) dans la survenue d’effet indésirable chez
chez 18 femmes enceintes (2 femmes ont présenté 2 effets indési- les femmes enceintes (29,8 % versus 2,1 % ; p = 4.10−6 et 21,3 %
rables différents). L’incidence des effets indésirables des médica- versus 6,4 % ; p = 0,01 respectivement). À l’inverse, ceux de la
ments chez la femme enceinte est donc de 0,3 %. L’âge moyen des classe « neurologie » apparaissent plus souvent dans le groupe té-
femmes ayant présenté un effet indésirable est de 30,4 ± 3,4 ans moin (10,6 % versus 40,4 % ; p = 6.10−4 ). Dans la classe « génito-
[24 à 36]. urinaire », il s’agit de médicaments spécifiques de la grossesse.
Les effets indésirables les plus souvent déclarés sont de type Dans 7 cas, la progestérone a été impliquée (5 cas de perturbation
digestif (12 cas soit 60 % avec essentiellement des diarrhées, nau- du bilan hépatique dont 3 cas survenus au cours du 3e trimestre de
sées et vomissements) et cardiovasculaires (3 cas soit 15 % ; 2 cas grossesse, 1 cas d’allergie et 1 cas de somnolence). Les autres cas
de tachycardie sous salbutamol et prednisolone respectivement et concernent la ritodrine (4), l’oxytocine (2), la sulpostrone, la mi-
un cas d’hypotension sous nicardipine). Les effets indésirables fepristone et une association métronidazole-néomycine-nystatine.
sont survenus le plus souvent au cours des 2e et 3e trimestres de Pour les médicaments « cardiovasculaires », dans 9 cas sur 10,


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Tableau I. Type d’effets indésirables survenus chez les cas et les témoins.

Type d’effet indésirable Cas Témoins P


Cutané 15 30 NS
Digestif 11 14 NS
Neurologique 9 22 NS
Allergique 4 9 NS
Dont réaction anaphylactique 3 0 0,04
Endocrinologique 2 0 NS
Psychiatrique 2 2 NS
Autre 1 0 NS
Cardio-vasculaire 1 4 NS
Gynécologique 1 0 NS
Hémostase 1 0 NS
Général 0 1 NS
Hématologique 0 5 NS
Infectieux 0 1 NS
Métabolique 0 1 NS
Musculosquelettique 0 2 NS
Urogénital 0 2 NS
ORL 0 1 NS

ORL : Oto-rhino-laryngologie.

Tableau II. Description des cas de réaction anaphylactique.

AGE PÉRIODE MÉDICAMENTS INDICATION ÉVOLUTION


31 3e trimestre Bétaméthasone Maturation surfactant Guérison sans séquelle
30 3e trimestre Nifédipine Menace d’accouchement prématuré Guérison sans séquelle
37 3e trimestre Dextran Pré-éclampsie Mort fœtale

L’âge est exprimé en semaine d’aménorrhée.

la nifédipine est le médicament imputé. Il s’agit de réactions al- L’effet indésirable était « grave » (hospitalisation, mise en jeu
lergiques (4) et de céphalées accompagnées ou non de vomisse- du pronostic vital) dans 12,8 % des cas chez les femmes enceintes
ments (6). et 23,4 % chez les témoins (p = 0,2). Chez les femmes enceintes,
Chez la femme enceinte, 15 effets indésirables (28,8 %) sont les effets indésirables graves sont survenus dans 3 cas sur 6 au
apparus avec des médicaments prescrits hors indication AMM cours du 3e trimestre de grossesse.
(Autorisation de Mise sur le Marché). Il s’agit de la prescription L’évolution a été favorable dans 83 % des cas chez les
de nifédipine (8 prescriptions) ou du diazépam (1 prescription) femmes enceintes et dans 70,2 % des cas chez les témoins (p =
dans la menace d’accouchement prématuré, de la bétaméthasone 0,2). Nous avons relevé un cas de mort fœtale suite à une réaction
(3 prescriptions) pour accélération de la maturation pulmonaire anaphylactique chez une femme ayant reçu du dextran pour une
fœtale (Hors AMM lors de la date de survenue de l’effet indési- hypotrophie fœtale.
rable), de l’indométacine (1 prescription) pour un hydramnios, de
l’association péthidine-prométhazine et chlorpromazine (1 pres-
cription) dans le traitement symptomatique des vomissements in- 4. Discussion
coercibles de la grossesse et enfin du dextran (1 prescription) pour
une pré-éclampsie (effet indésirable survenu en 1985). Nous n’avons pas retrouvé d’études concernant la survenue
L’imputabilité du médicament est douteuse (I1) dans 20,7 % des effets indésirables chez la femme enceinte dans la littéra-
des cas chez les femmes enceintes et 27,6 % chez les témoins, ture. Une première étude prospective réalisée auprès des gyné-
plausible (I2) dans 31 % des cas chez les femmes enceintes et cologues de Midi-Pyrénées nous a permis d’évaluer l’incidence
27,6 % chez les témoins, vraisemblable (I3) dans 46,6 % des cas des effets indésirables médicamenteux chez la femme enceinte ;
chez les femmes enceintes et 43,9 % chez les témoins et très vrai- une seconde, rétrospective, de préciser les caractéristiques des ef-
semblable (I4) dans 1,7 % des cas chez les femmes enceintes et fets indésirables et les médicaments impliqués en comparant une
0,9 % chez les témoins. population de femmes enceintes à une population témoin.


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cas
Génito-urinaire, hormones sexuelles
témoins
Cardiovasculaire

Antiinfectieux généraux

Système Nerveux

Hormones systémiques

Système respiratoire
Classes ATC

Sang

Voies digestives et Métabolisme

Muscle et Squelette

Divers

Antinéoplasiques

Antiparasitaires

Dermatologie

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
Pourcentage de patientes
Fig. 2. Médicaments par classe ATC impliqués chez les cas et les témoins. ATC : anatomical, therapeutical and chemical classification.

L’incidence des effets indésirables médicamenteux chez la médicaments mais tel n’est pas le cas. D’après une étude réalisée
femme enceinte apparaît faible (0,3 %). Une étude toulousaine[18] en 2001 dans le service de Pharmacologie Clinique du CHU de
similaire réalisée en 1995 auprès de médecins généralistes et Toulouse[20] à partir des données de la CPAM (Caisse Primaire
consistant à relever tout effet indésirable survenant chez leurs pa- d’Assurance Maladie) et comparant les prescriptions de médica-
tients (population générale) venus en consultation retrouve une ments de 23 516 femmes enceintes à celles de 69 150 femmes non
incidence d’effet indésirable de 1 %. Une autre étude[19] chez des enceintes appariées sur l’âge, les femmes enceintes se voient pres-
enfants consultant des pédiatres de ville, publiée en 2002, montre crire en moyenne 8,8 ± 7,6 médicaments différents au cours de
une incidence d’effet indésirable de 1,41 %. Plusieurs hypo- leur grossesse et les témoins 5,7 ± 8,2 au cours d’une même pé-
thèses peuvent expliquer la faible incidence des effets indésirables riode (p < 0,0001). Par contre, les femmes enceintes consomment
retrouvée dans notre étude : (1) les médecins sous-notifient peut- plus de médicaments homéopathiques (18 % versus 8 % dans la
être plus les cas d’effet indésirable médicamenteux chez la femme population témoin d’après la même étude, p < 0,000001) certai-
enceinte en focalisant sur les effets sur le fœtus ; (2) les chan- nement moins pourvoyeurs d’effets indésirables que les médica-
gements physiologiques (hémodilution. . . ) de la grossesse pour- ments allopathiques.
raient être responsables d’une diminution des effets de certains Dans les deux études, les effets indésirables sont survenus
médicaments. Par exemple, des études ont montré une diminution le plus souvent lors du 2e et 3e trimestre de grossesse. Ceci peut
des concentrations plasmatiques de médicaments tels que l’indo- s’expliquer par le fait que les femmes consomment plus de médi-
métacine, l’ampicilline, certaines céphalosporines et les antiépi- caments au cours du 2e et 3e trimestre de grossesse par rapport au
leptiques pendant la grossesse.[1] On sait donc que la concentra- premier.[21]
tion plasmatique de certains médicaments diminue au cours de
Les médicaments imputés dans la survenue d’effets indési-
la grossesse mais peu d’études s’intéressent aux répercussions de
rables appartiennent logiquement plus souvent à la classe « gy-
ces variations pharmacocinétiques en termes d’effets pharmacolo-
nécologie » dans le groupe des femmes enceintes. Il s’agit de
giques.
médicaments utilisés dans des indications spécifiques de la gros-
On pourrait également penser que les femmes enceintes ont sesse : progestérone, utérorelaxants, ocytociques. Les médica-
moins d’effets indésirables parce qu’elles consomment moins de ments « cardiovasculaires » et plus particulièrement la nifédipine


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sont également plus souvent en cause dans le groupe des 4. O’sullivan GM, Sutton AJ, Thompson SA, et al. Noninvasive measurement of
femmes enceintes. Plusieurs études ont montré que la nifédi- gastric emptying in obstetric patient. Anesth Analg 1987; 66: 505-11
5. Pritchard JA. Changes in the blood volume during pregnancy and delivery.
pine est plus efficace que les autres tocolytiques dans la menace Anesthesiology 1965; 26: 393-9
d’accouchement prématuré[22] et présente moins d’effets indési- 6. Lund CJ, Donovan JC. Blood volume during pregnancy. Am J Obstet Gynecol
rables. Dans ces études, les principaux effets indésirables rappor- 1967; 98: 393-401
7. Mattison DR, Malek A, Cistola C. Physiologic adaptations to pregnancy :
tés sont des réactions cutanées et des céphalées,[22, 23] comme dans
impact on pharmacokinetics. In: Yaffe SJ, Aranda JV, eds. Pediatric
notre étude. Pharmacology: Therapeutic principles in practice. Philadelphia: WB
D’après les résultats de l’étude réalisée à partir des noti- Saunders, 1992: 81-96
fications spontanées au centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigi- 8. Berg MJ. Status of research on gender differences. J Am Pharm Assoc 1997;
37: 43-56
lance, le type d’effet indésirable ne diffère pas entre femmes en- 9. AMon I, Hüller H. Drug metabolism in pregnant women. In: Kuemmerle HP,
ceintes et témoins mis à part pour les réactions anaphylactiques. Brendel K, eds. Clinical pharmacology in pregnancy: Fundamentals and ra-
Ces réactions anaphylactiques sont toutes survenues au cours du tional pharmacotherapy. New York: Thieme-Stratton, 1984 : 74-86
10. Bacq Y, Zarka O, Brechot J-F, et al. Liver function tests in normal pregnancy :
3e trimestre de grossesse. Un cas d’administration de dextran a a prospective study of 103 pregnant women and 103 matched controls.
conduit à une mort fœtale. Plusieurs cas de réaction anaphylac- Hepatology 1996; 23: 1030-4
tique lors d’utilisation du dextran chez la femme enceinte ont été 11. Bacq Y. Hépatopathies au cours de la grossesse. Gastroenterol Clin Biol 2001;
publiés[24, 25] et ont conduit à sa contre-indication lors de la gros- 25: 791-8
12. Davison JM, Dunlop W. Changes in renal hemodynamics and tubular function
sesse. Le nombre de cas de réaction anaphylactique retrouvé dans induced by normal human pregnancy. Semin Nephrol 1984; 4: 198-207
notre étude est faible mais on peut toutefois s’interroger sur une 13. Dunlop W. Serial changes in renal hemodynamics during normal human preg-
éventuelle augmentation du risque de ce type d’effet pendant la nancy. Br J Obstet Gynaecol 1981; 88: 1-9
14. Larsen B, Glover DD. Serum erythromycin levels in pregnancy. Clin Ther
grossesse. 1998; 20: 971-7
15. Atteintes hépatiques sous Utrogestran pendant la grossesse. Rev Prescr 1999;
193: 202-3
5. Conclusion 16. Thompson CA. Antiretroviral combination may put pregnant women at risk of
fatal lactic acidosis. Am J Health Syst Pharm 2001; 58: 291 [letter]
Ces études apportent les premières informations sur la sur- 17. Begaud B, Evreux JC, Jouglard J, et al. Imputabilité des effets inattendus ou
venue d’effets indésirables chez la femme enceinte. Elle montre toxiques des médicaments. Therapie 1985; 40: 111-8
18. Montastruc P, Damase-Michel C, Lapeyre-Mestre M, et al. A prospective in-
qu’une incidence faible de ces effets peut être liée à une consom-
tensive study of adverse drug reactions in Urban General Practice. Clin Drug
mation de médicaments présentant moins d’effets indésirables Invest 1995; 10: 117-22
(homéopathie) par les femmes enceintes ou à une attention plu- 19. Horen B, Montastruc JL, Lapeyre-Mestre M. Adverse drug reactions and off-
tôt focalisée sur le fœtus. Elles ont permis de préciser les médica- label drug use in paediatric outpatients. Br J Clin Pharmacol 2002; 54: 665-
70
ments les plus impliqués dans la survenue d’effet indésirable chez 20. Di-Meglio JL, Lacroix I, Bourrel R, et al. PRescription of psychoactive
la femme enceinte (classes « génito-urinaire » et « cardiovascu- drugs during pregnancy in France. Fund Clin Pharmacol 2005; 19: 224
laire »), les effets indésirables les plus fréquents (réaction anaphy- [ABSTRACT]
21. Lacroix I, Damase-Michel C, Lapeyre-Mestre M, et al. Prescription of drugs
lactique) par rapport à une population témoin et les périodes de
during pregnancy in France. Lancet 2000; 356: 1735-6
la grossesse concernées (3e trimestre). Toutefois, des études com- 22. Walters BN, Redman CW. Treatment of severe pregnancy-associated hyper-
plémentaires plus spécifiques axées sur un type d’effet indésirable tension with the calcium antagonist nifedipine. Br J Obstet Gynaecol 1984;
s’avèrent nécessaires. Le risque de réaction anaphylactique méri- 91: 330-6
23. Tsatsaris V, Papatsonis D, Goffinet F, et al. Tocolysis with nifedipine or beta-
terait notamment de plus amples investigations. adrenergic agonists: a meta-analysis. Obstretrics and Gynecology 2001; 5:
840-7
24. Berg EM, Fasting S, Sellevold OF. Serious complications with dextran-70 de-
Remerciements. Nous remercions tous les gynécologues et gynécologues
spite hapten prophylaxis. Is it best avoided prior to delivery? Anesthesia,
obstétriciens de Midi-Pyrénées ayant participé à cette étude.
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