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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

G. Camps, Berbères aux marges de l'Histoire


Lucien Golvin

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Golvin Lucien. G. Camps, Berbères aux marges de l'Histoire. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°32,
1981. pp. 163-166;

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1981_num_32_1_1927

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Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée. 32, 1981-2.

COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES

Gabriel CAMPS, Berbères aux marges de l'Histoire, éditions des Hespérides, 1980,
348 pages, 156 illustrations, une carte.

Défiant les aléas de l'histoire à laquelle ils se trouvent mêlés, à travers les
vicissitudes les plus extraordinaires qui les amenèrent à côtoyer, voire à assimiler
apparemment les plus brillantes civilisations, des groupes ethniques disséminés dans
toute l'Afrique du Nord, conservent, en dépit du temps qui passe, une étonnante
personnalité. On les réunit sous le vocable de Berbères, un terme facile qui dissimule,
en fait, une grande ignorance de leur identité. On voit bien que celle-ci n'est pas
simple en raison de caractères somatiques très diversifiés; et, pourtant, une langue
commune (avec quelques variantes dialectales ou patoisantes), des mœurs identiques
et des coutumes largement partagées les unissent sans que l'on puisse cependant parler
d'un peuple, encore moins d'une race. En réalité, ce terme Berbère se définit surtout
par des oppositions à des groupes mieux identifiés et ce, depuis la plus haute antiquité.
En abordant cette étude, Gabriel Camps n'a pas la prétention d'avoir soudain
découvert une vérité qui aurait jusqu'ici échappé à tous ceux que ce problème des
origines intrigue, mais il a résolu d'y voir plus clair en éliminant tour à tour les
théories qui lui paraissent fausses ou mal argumentées, ainsi espère-t-il mieux cerner
la question.
Remontant jusqu'à Hérodote, il résume les légendes antiques reprises par Sal-
luste et Hiempsel qui voient dans les Libyens et les Gétules (on ne parlait pas encore
de Berbères) des peuplades à demi sauvages issues des Mèdes, des Perses et des
Arméniens amenés par Hercule en Espagne et, de là, en Afrique. Pour Procope
(vie siècle), les Maures (terme désignant tous les éléments de population autres que les
Romains, les Byzantins ou les Phéniciens) sont des descendants des Cananéens chassés
de la Terre promise par Josué, théorie admise et reprise par Saint Augustin (un
authentique Berbère).
D'autres théories antiques, tout aussi fantaisistes, sont rapidement évoquées et
réfutées, leur tort commun étant surtout de considérer les Berbères comme constituant
un peuple et, partant, d'en rechercher l'origine. De cette base de départ erronée, toutes
les suppositions plus ou moins bien étayées par des remarques peu sérieuses d'ordre
étymologique (peu crédibles) ou analogiques (encore moins convaincantes) peuvent
être échafaudées.
A ceux qui pourraient objecter l'inutilité d'une telle recension, G. Camps répond
implicitement en quelque sorte puisqu'il constate que, la plupart du temps, les théories
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modernes n'ont fait que reprendre plus ou moins celles des anciens en les «
enrichissant» de remarques «scientifiques». Pour discuter de la valeur de ces nouvelles
orientations, sans doute était-il nécessaire alors de remonter aux sources ?
Quoi qu'il en soit, il est de toute évidence que tout milite de nos jours non pas
pour une origine, mais pour une diversification étalée sur des siècles, voire des
millénaires, des peuplades de l'Afrique du Nord, le creuset de l'histoire ayant peu à
peu effacé les contours trop frappants. On peut se demander alors si le génial Ibn
Khaldûn n'avait pas senti (ou pressenti) cette diversité lui qui, certes, croyait à une
origine commune des Berbères, fils de Canaan, fils de Cham, fils de Noé par la
branche des Mazîgh; mais il en excluait les Sanhâja et les Ketama, pour lui d'origine
yéménite (descendants d'Himyar), tandis que les Louata étaient tenus comme
d'authentiques Arabes.
Philologues et orientalistes des temps modernes, selon leur tendance et le sens de
leurs recherches, n'ont guère amené que confusion dans cette quête de la vérité,
toujours pour des raisons identiques : une insuffisance fondamentale de connaissance
du problème berbère.
Gabriel Camps, excellent préhistorien connu pour ses travaux sur les
civilisations les plus anciennes d'Afrique du Nord, historien ayant osé s'attaquer à cette zone
crépusculaire de la protohistoire, entend reprendre totalement la question en
remontant aux limites actuelles de la science, à Vhomo sapiens maghrébin, représenté par
l'homme dit de Mechta el-Arbi qu'il définit et dont il suit l'évolution. Considérant ce
vénérable aïeul comme un authentique maghrébin, l'auteur refuse cependant d'en
faire l'ancêtre des Berbères; l'homme de Mechta el-Arbi a eu une descendance, mais
elle s'est effacée peu à peu devant les apports nouveaux de « proto méditerranéens »
qui apparaissent à l'Est. Ce sont les « Capsiens » qui peuplèrent le sud de l'actuelle
Tunisie entre le ville et le ve millénaires. Leurs caractères anthropologiques
s'apparentent étrangement à ceux de certains groupes berbères actuellement connus. G. Camps
pense qu'ils étaient des Orientaux et il voit en eux les plus anciens Berbères qui, se
répandant dans toute l'Afrique du Nord, vont connaître divers aléas somatiques avant
d'avoir à affronter de nouveaux arrivants. Le détroit de Gibraltar, pas plus que celui
de Sicile, ne constituent d'obstacle infranchissable aux peuplades préhistoriques; ils
vont, bien au contraire jouer un rôle de trait d'union entre les peuplades européennes
et celles de l'Afrique; la céramique modelée et divers rites funéraires en témoignent
éloquemment.
Il y a là un axe de recherches qui n'exclut pas d'autres approches scientifiques,
dont la linguistique, lorsqu'elle voudra bien, elle aussi, remonter aux sources. Depuis
le temps où A. Basset regrettait de ne ppuvoir définir la langue berbère que « par des
arguments négatifs », il semble que l'on n'ait guère évolué. G. Camps se demande si la
raison n'est pas dans un certain mépris (?) des rares spécialistes à l'égard des
inscriptions libyques.
Quoi qu'il en soit, c'est avec des arguments d'ordre ethnologique que l'on peut
actuellement progresser dans ce domaine, et il convient alors de ne pas dissocier le
Sahara du reste du Maghreb.
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Au néolithique moyen, le Sahara, jusque là peuplé de négroïdes, est envahi par


des peuplades de race blanche d'origine méditerranéenne qui semblent être venues de
l'Est, évitant ainsi le Maghreb; puis vinrent les «équidiens », introduisant le cheval et
le char sahariens, et qui deviendront les cavaliers gétules et garamantes des historiens
de l'Antiquité, tandis que les groupes négroïdes dominés par les « paléoberbères » sont
réduits au servage.
Aux temps dits « protohistoriques », les données se précisent grâce aux
documents apportés par l'archéologie uniquement concentrée sur les monuments
funéraires très nombreux qui fournissent de nombreux types de céramiques et qui permettent
de déterminer un véritable régionalisme berbère : Berbérie orientale où l'on trouve des
sépultures dites « haouanet », Berbérie occidentale avec un type de tombeaux assez
différent et un mobilier funéraire très particulier; il convient d'ajouter à ces deux
régions la Berbérie présaharienne, avec ses tumulus à chapelle; enfin, la Berbérie
centrale, avec ses « bazinas » qui conjuguent les influences venues du sud et celles des
pays méditerranéens.
A la période antique, tous ces éléments de populations sont confondus sous le
vocable de Libyens, sauf ceux de l'Occident que l'on appelle les Maures; plus tard on
donnera aux populations de la Berbérie orientale et de la Berbérie centrale le nom de
Numides, qui vont révéler quelques grandes familles, dont celle des Massyles,
marqués par la personnalité de Massinissa, véritable roi des Berbères (capitale Cirta). Un
troisième peuple, difficile à localiser, est désigné sous le vocable de Gétules; ce sont
des nomades.
A partir de cette époque que G. Camps connaît bien, l'histoire des Berbères se
précise avec les royaumes masaesyles (capitale Siga) et son chef: Syphax... Tous ces
chefs disparaîtront tour à tour à l'arrivée des Romains dont ils subissent la loi.
L'auteur, toutefois, refuse le jugement commun qui conclut à la passivité des Berbères,
peuplades sans réaction, toujours dominés, colonisés. Il voit au contraire une
constante opposition en dépit d'assimilations spectaculaires. De fait, on verra que, tant à la
période chrétienne qu'au Moyen Age musulman, les résistances les plus obstinées
viennent de ces peuplades qui conservent leur intégrité et combattent l'envahisseur
non pas par les armes, mais par l'idéologie en adoptant les grands schismes contre
l'orthodoxie officielle, peut-être moins par une volonté délibérée que par une réaction
de protection des valeurs ancestrales menacées d'absorption.
Ceci dit, G. Camps suit l'évolution historique des Berbères jusqu'à nos jours ; il
pénètre au cœur même de ce monde encore mal connu, il en étudie les croyances
depuis les temps les plus reculés, les conversions, les déchirements, une conception
idéaliste perméable aux innovations spectaculaires, adhésions soudaines, suivies de
réactions intimes contre une assimilation mal digérée, vieux réflexe subconscient de
défense des valeurs millénaires attachées aux croyances populaires ancestrales.
Ces réflexes d'auto-défense, qui n'ont jamais été assez forts et coordonnés pour
constituer une nation berbère, entretiennent cependant une permanence étrange des
coutumes et des règles de vie manifestées par la langue, par « un art qui défie les
siècles », par « un pouvoir sans état », par une « anarchie équilibrée » et un très
puissant sentiment de l'honneur poussé à l'extrême : autant de thèmes que développe
l'auteur.
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Un livre remarquable par la qualité de l'écriture, l'aisance de l'enchaînement


logique et un sentiment certain d'admiration et d'affection à l'égard d'une population
qui a su si bien se protéger, traverser les aléas de l'histoire, pour conserver à peu près
intacte Sa Vérité.
L. GOLVIN

Christian EWERT, Spanisch-Islamische Système sich Kreuzender Bôgen, III die


Aljaferia in Zaragoza, 2 teil, Berlin, Walter de Gruyter, 1980 - 303 pages, 35
illustrations.

Ce tome complète les deux précédents volumes consacrés à l'étude des divers
types d'entrecroisement d'arcs, l'origine de ces formes, leur évolution, leur dispersion
géographique (C-R dans la ROMM, n° 27, 1 ^sem. 1979, pp. 179-180), et plus
spécialement leurs rapports avec la Aljaferia de Saragosse, objet essentiel de cette longue
enquête.
Ce dernier tome, très technique, n'est certes pas d'une lecture aisée, mais il
constitue un répertoire de haute valeur scientifique (50 pages de tableaux comparatifs,
452 dessins d'une très haute qualité graphique, 29 pi. photos !). L'auteur ti patiemment
rassemblé tout ce qu'il a pu recenser pendant de longues années sur ces formes
d'entrecroisement d'arcades tant dans l'architecture que dans les arts industriels, avec
indications des lieux et des monuments ainsi que leurs dates.
Une telle accumulation accablante de documents était-elle vraiment nécessaire ?
Etait-il vraiment indispensable de pousser si loin les recherches pour comprendre les
entrecroisements complexes de la Aljaferia ? Il semble, en définitive, qu'il y ait là une
évolution tout à fait normale des formes apparues à la période califale, notamment à
Cordoue, formes qui déjà s'étaient singulièrement compliquées sous le règne de al-
Hakamll. Sans doute est-il bon de rechercher plus loin pour saisir l'origine et le
cheminement de ces techniques décoratives, mais cette enquête aurait fort bien pu se
limiter aux périodes immédiatement antérieures au XII* siècle et se concentrer sur les
axes historiques Orient-Occident.
L'auteur en a pensé autrement. La Aljaferia n'est pour lui qu'un prétexte.
Partant de ces combinaisons si bien assimilées dans ce palais au décor somptueux, il
veut en finir une fois pour toutes avec l'histoire de ces entrelacs savants en en suivant
pas à pas l'évolution, les variations, les partis qu'en ont pu tirer les artistes :
sculpteurs, ciseleurs, peintres, tant dans le monde musulman que dans le monde chrétien.
Une telle recherche ne laisse plus aucune place aux futurs chercheurs.
Vue sous cet angle, l'enquête de Christian Ewert constitue un modèle du genre;
bien plus qu'un livre, ce dernier tome représente un lexique, une somme sur un
élément architectural très caractéristique de l'art hispano-musulman. Il n'est désormais
plus possible de parler d'entrecroisement des arcades sans consulter ou citer cette
enquête exhaustive qui fait honneur à son auteur.
L. GOLVIN

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