Vous êtes sur la page 1sur 26

COURS FRANCOPHONE DU DROIT DE

L’APATRIDIE ET DE LA NATIONALITE

UCAC-Yaoundé, 25 – 29 juillet 2021

L’ACCES DES ETRANGERS


A L’ETAT CIVIL LOCAL
Par Moïse TIMTCHUENG
Agrégé de droit privé et sciences criminelles,
Administrateur chargé de l’apatridie
UNHCR Abidjan – Côte d’Ivoire

1
- Rappeler la distinction
national/étranger
- Rappeler l’universalité de la
dignité humaine
- Prévenir les discriminations
OBJECTIFS envers les étrangers à l’état civil
- Permettre l’intégration sociale des
étrangers
- Prévenir les risques d’apatridie

2
INTRODUCTION
I. LA FONDAMENTALITE DU DROIT
D’ACCES DES ETRANGERS A L’ETAT
CIVIL LOCAL
A. Les sources du droit d’accès à l’état civil local
B. Les enjeux de l’enregistrement des étrangers à
l’état civil local
PLAN II. LA NON-DISCRIMINATION DE
L’ETRANGER A L’ETAT CIVIL
A. L’identité du traitement des étrangers à celui
des nationaux
B. La force probante des actes reçus

3
Langage courant
Etranger: personne appartenant à la
population d’une nation autre que celle
dans laquelle elle se trouve. Cette
définition laisse cependant croire que tout
étranger aurait une nationalité connue. Et
pourtant, tant les apatrides que les
INTRODUCTION ressortissants des autres pays sont étrangers
Notion d’étranger dans le pays d’accueil.
Dans ce cours
Etranger: personne qui n’a pas la
nationalité du pays dans lequel elle se
trouve. On le distingue dès lors du
national.

4
A la faveur du développement de la philosophie des
droits de l’homme, le principe de l’égalité de tous
les hommes sans distinction de sexe, de race ou
d’origine est de plus en plus affirmé, notamment
dans les rapports de droit privé.
Dans les relations de droit public par contre, si les
Etats ne peuvent ignorer les droits des étrangers, ils
ne se sentent spécialement obligés qu’envers leurs
ressortissants. Ils inscrivent en général leurs
INTRODUCTION missions dans l’objectif d’assurer le bien-être de
Distinction leurs propres populations. Dans ces conditions,
National/Etranger être « national » constitue donc, dans les relations
avec l'État dont on est membre, une « situation » qui
permet un traitement plus favorable que celui
auquel peut prétendre l'étranger.
On perçoit dès lors le risque de marginalisation
dont les étrangers peuvent faire l’objet au sein de
leur pays d’accueil dans la jouissance de certains
droits et dans l’accès à certains services publics
dont notamment l’état civil.
5
La notion d’état civil est susceptible d’au
moins deux acceptions.
1. Au sens large, l’état civil est l’ensemble
des qualités qui assignent à une personne sa
place dans la société et la différencient des
autres du point de vue de la jouissance et de
l’exercice des droits civils. Sous cette
acception, constituent des éléments de l’état
civil, le nom, les liens de la filiation, le sexe,
l’âge, la profession, la nationalité même, etc.
INTRODUCTION
Notion d’état civil 2. Les éléments de l’état civil tel que défini
ci-haut résultent normalement d'une
procédure écrite d'identification
administrative qui lui confère son second
sens. Sous cette acception, l’état civil
désigne le service public chargé de dresser
les actes constatant les principaux faits d’état
civil que sont les naissances, les mariages et
les décès.
6
Dans sa conception classique, l’Etat est formé
de la réunion de trois éléments : la population,
le territoire et une autorité politique. En
considérant l’élément population, on perçoit
très aisément que chaque Etat se doit d’avoir
une idée de la situation de chacun de ses
citoyens. Cela pousse les Etats, dans le
domaine de l’état civil, à suivre parfois leurs
INTRODUCTION populations même au-delà des frontières
Service d’état civil et nationales, par l’érection des missions
nationalité diplomatiques et consulaires en centres d’état
civil pour y accueillir les nationaux établis en
pays étranger.
Cette propension qu’on les Etats à suivre leurs
ressortissants en quelque lieu qu’ils puissent se
trouver peut inspirer chez l’étranger l’idée qu’il
ne peut être reçu que dans l’état civil de son
propre pays.
7
Il faut pourtant reconnaître que le service
de l’état civil s’émancipe des considérations
liées à l’origine et à la nationalité de ses
usagers. Il est ouvert à tous, au regard de la
INTRODUCTION fondamentalité (universalité) du droit
Annonce du plan d’accès reconnu aux étrangers (I) et du
principe de non-discrimination qui doit
régir le service aux usagers de l’état civil
local (II).

8
Le caractère fondamental du droit
I. LA d’accès à l’état civil se vérifie
FONDAMENTALITE
DU DROIT D’ACCES d’abord par ses sources (A) et
A L’ETAT CIVIL ensuite par ses enjeux (B).

9
A. LES SOURCES DU DROIT D’ACCES A
L’ETAT CIVIL

Le critère de la fondamentalité d’un droit


tient, entre autres, à la valeur de la source
d’où il tire sa consécration. A cet égard,
les sources des droits fondamentaux sont
soit la Constitution de l’Etat, soit les
traités internationaux.

En prenant l’exemple de la Côte d’Ivoire,


le préambule de la Constitution de 2016
énonce que le peuple souverain de Côte
d’Ivoire réaffirme son adhésion aux droits
et libertés tels que définis, entre autres,
dans la Déclaration universelle des Droits
de l'Homme de 1948 et dans la Charte
africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples de 1981.
10
A. LES SOURCES DU DROIT D’ACCES A
L’ETAT CIVIL

Deux sources sont expressément visées :


la Déclaration universelle des droits de
l’homme (DUDH) d’une part et la Charte
africaine des droits de l’Homme et des
peuples (CADHP) d’autre part.

Article 6 DUDH: « Chacun a le droit à la


reconnaissance en tous lieux de sa personnalité
juridique ». Le pronom chacun est encore
synonyme de « toute personne, incluant donc
des étrangers ».

Article 18 CADHP: « L’Etat a le devoir …


d'assurer la protection des droits de la femme et
de l'enfant tels que stipulés dans les
déclarations et conventions internationales ».
11
A. LES SOURCES DU DROIT D’ACCES A L’ETAT
CIVIL
L’article 18 CADHP fonde la convocation d’autres
instruments internationaux plus précis sur le droit
d’accès à l’état civil des enfants en particulier.
• On a d’abord affaire au PIDCP dont l’article
24, alinéa 2 dispose que « Tout enfant doit être
enregistré immédiatement après sa naissance et avoir
un nom ». On retrouve des énoncés similaires
aux articles 7 (1) de la CIDE et 6 (2) de la
CADBEE.
• On a ensuite affaire à la CADBEE dont l’article
3 déclare que « Tout enfant a droit de jouir de tous
les droits et libertés reconnus et garantis par la
présente Charte, sans distinction de race, de groupe
ethnique, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d'appartenance politique ou autre opinion, d'origine
nationale et sociale, de fortune, de naissance ou autre
statut, et sans distinction du même ordre pour ses
parents ou son tuteur légal ».
12
B. LES ENJEUX DE L’ENREGISTREMENT
DES ETRANGERS A L’ETAT CIVIL LOCAL

L’enregistrement des étrangers à l’état


civil local présente des enjeux multiples,
tant pour l’étranger que pour le pays
d’accueil et la communauté
internationale.
▪ Pour l’étranger, preuve de son état,
condition d’affirmation d’une identité
et de la jouissance des droits
fondamentaux; accès aux services
sociaux divers : hôpital, école, emploi,
sécurité sociale, etc.
▪ L’enregistrement à l’état civil est un
levier essentiel pour l’acquisition de
la nationalité, justifiant aussi bien le
lien de sang que le lien du sol.
13
B. LES ENJEUX DE L’ENREGISTREMENT DES
ETRANGERS A L’ETAT CIVIL LOCAL

• Pour le pays d’accueil : les enjeux sont


ceux de la sécurité collective, de la
maîtrise de la fiscalité et de la
planification des actions de
développement social. Ex: le RNPP
ivoirien.
• Pour la communauté internationale :
prévention de l’apatridie, garantie de
la sécurité internationale. En effet, c’est
en rendant universel l’enregistrement à
l’état civil, y compris des étrangers, que
les Etats contribueraient à la mise en
œuvre des plans d’éradication de
l’apatridie conçus à l’échelle régionale
ou planétaire. 14
L’étranger accédant à l’état civil
local bénéficie-t-il du même
traitement que le national ou est-il
soumis à des modalités
II. LA NON- particulières dérogatoires?
DISCRIMINATION
DE L’ETRANGER A l’analyse des textes de quelques
AU SERVICE DE pays, on s’apercevra que les
L’ETAT CIVIL
étrangers sont soumis au même
traitement que les nationaux (A) et
ne doivent pas suspecter la valeur
probante des documents qui peuvent
leur être délivrés (B).

15
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES
ÉTRANGERS AVEC CELUI DES NATIONAUX

Les étrangers sollicitant l’état civil du


pays d’accueil bénéficient du même
traitement que les nationaux, qu’il
s’agisse des déclarations, des formes, des
délais et des formulaires mis à
disposition. Le même traitement
s’applique aussi aux cas de contentieux
concernant les déclarations tardives, les
reconstitutions et les rectifications. La
fourniture éventuelle par l’étranger de la
caution judicatum solvi pour les actions en
justice n’est pas opportune, dans la
mesure où en général, il s’agit de
procédures gracieuses pour lesquelles il
n’y a aucun défendeur désigné.
16
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES
ÉTRANGERS AVEC CELUI DES NATIONAUX

Le législateur sénégalais pose à l’article 43 du


Code de la famille que « Toute naissance ou décès
concernant un étranger se trouvant au Sénégal doit être
obligatoirement déclarée à l’officier de l’état civil
sénégalais dans les formes et conditions prévues par le
présent chapitre ». Le chapitre concerné n’a rien de
spécifiquement destiné aux étrangers.
Le législateur camerounais a prévu à l’article 5,
alinéa 2 de l’ordonnance n° 81/02 du 29 juin 1981
que « les étrangers résidant au Cameroun sont tenus de
faire enregistrer ou transcrire sur les registres d’état civil
ouverts dans leurs lieux de résidence, les naissances,
décès et mariages survenus ou célébrés au Cameroun les
concernant ». Les étrangers au Cameroun sont
soumis aux mêmes conditions, délais et
procédures que les nationaux et les actions en
justice sont effectivement dispensées de caution.
17
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES ÉTRANGERS
AVEC CELUI DES NATIONAUX
Le législateur béninois n’a pas dérogé à la règle, lorsqu’il
dispose à l’article 44 du CPF que « Toute naissance, tout
décès concernant un étranger se trouvant au Bénin doit être
obligatoirement déclaré à l’officier de l’état civil béninois dans
les formes et conditions prévues par le présent code ».
Le législateur tchadien à l’article 19 de l’ordonnance n°
002/PR/2020 portant organisation de l’état civil en
République du Tchad pose également que « tout
événement d’état civil concernant un étranger résident ou de
passage au Tchad est enregistré auprès du centre d’accueil des
usagers conformément aux dispositions en vigueur ».
Les législateurs sénégalais, béninois et tchadien n’ont pas
spécialement visé les mariages des étrangers. Mais ce
silence n’a qu’une portée réduite quand on sait qu’en
droit international privé, si les conditions de fond du
mariage sont déterminées par la loi nationale de chaque
époux, les conditions de forme sont celles du lieu de
célébration. Autrement dit, les formalités de mariage à
remplir dans un pays d’accueil sont les mêmes pour un
national que pour un étranger. D’ailleurs, l’article 843 du
Code sénégalais de la famille le rappelle opportunément.
18
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES
ÉTRANGERS AVEC CELUI DES NATIONAUX

L’article 100 de la loi ivoirienne n° 2018-862 du 19


novembre 2018 relative à l’état civil ouvre aux
étrangers ayant leur domicile en Côte d’Ivoire, le
loisir de déclarer les naissances et les décès les
concernant à l’officier d’état civil ivoirien.
Les réfugiés et apatrides ont même le loisir de
solliciter du service en charge de leur protection,
l’établissement de documents d’état civil dans les
conditions définies par les textes régissant leur
statut. Ce service ne pourra y parvenir qu’en
sollicitant les services publics locaux.
En vertu de la loi n° 2018-863 du 19 novembre
2018, il a été institué une procédure spéciale de
déclaration de naissance, de rétablissement
d’identité et de transcription d’acte de naissance
applicable au profit de toute personne née en
Côte d’Ivoire, y compris donc les étrangers.
19
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES
ÉTRANGERS AVEC CELUI DES NATIONAUX

Les différents pays sus cités ouvrent certes leur


service d’état civil aux étrangers, mais uniquement à
ceux dont la naissance est survenue sur le sol de leur
territoire. Comment procèderait alors l’étranger
qui serait né ailleurs, mais qui se retrouve sans
actes d’état civil dans le pays d’accueil ?
Au plan théorique, la compétence territoriale en
matière d’actes d’état civil est réservée
exclusivement aux autorités du lieu de survenance
du fait à enregistrer. Cette solution devient
compliquée pour l’étranger déjà parti de son lieu de
naissance qui peut ne pas manifester de désir d’y
retourner. Un retour serait même suicidaire pour les
personnes en situation de demandeurs d’asile ou de
réfugiés dont le retour éventuel dans le pays
d’origine signerait parfois l’arrêt de mort si les
circonstances qui avaient motivé leur départ n’ont
pas varié entre temps.
20
A. L’IDENTITE DU TRAITEMENT DES
ÉTRANGERS AVEC CELUI DES NATIONAUX

Au cas où l’étranger aurait moins de 18 ans et si les


conditions sont réunies, on pourrait l’admettre au
bénéfice du régime de l’enfant trouvé sur le
territoire né de parents inconnus dont les textes
internationaux exigent l’enregistrement suivant les
lois en vigueur dans le pays d’accueil. Pour les
étrangers qui auraient plus de 18 ans, l’accès à
l’état civil local ne leur sera possible qu’en cas de
naturalisation (loi ivoirienne sur l’état civil).
En dehors de cette hypothèse, c’est le statut
d’apatride qui s’invite inévitablement. Il urgerait
alors pour les autorités gouvernementales, de
prendre conscience de la situation et d’ordonner
des mesures spéciales, fussent-elles temporaires,
permettant à ces personnes étrangères et
dépourvues de documents d’état civil, de pouvoir
se faire délivrer de nouvelles pièces en dérogation
aux règles ordinaires sus exposées dont elles
pourront se prévaloir pour l’avenir et en tout lieu.
21
B. LA FORCE PROBANTE DES ACTES RECUS

En accédant à l’état civil local, l’étranger se voit


délivrer des actes d’état civil qui vont le suivre
durant toute son existence. Il se pose alors une
question: l’étranger peut-il valablement invoquer
les actes d’état civil reçus en terre étrangère en
quelque lieu qu’il puisse se trouver ?
En convoquant le droit des pays précédemment
cités, l’on va s’apercevoir que les étrangers dont les
faits d’état civil se sont passés ou ont été enregistrés
à l’étranger ne devraient pas éprouver la moindre
inquiétude quant à la valeur probante des actes qui
leur auront été délivrés.
Le législateur sénégalais, à l’article 44 du Code de
la famille, reconnait que « tout acte de l’état civil dressé
à l’étranger, concernant un Sénégalais ou un étranger, fait
foi s’il a été rédigé en la forme usitée dans le pays ou en la
forme diplomatique ou consulaire ».
22
B. LA FORCE PROBANTE DES ACTES
RECUS

Dans le même sens, le texte camerounais dispose à


l’article 5 alinéa 2 que « les actes d’état civil établis en
pays étranger font foi s’ils ont été rédigés dans les formes
usitées dans ces pays ».
On retrouve pratiquement la même règle en droit
béninois, où il est dit à l’article 43 du CPF que
« tout acte de l’état civil des Béninois et des étrangers
dressé en pays étranger fait foi s’il a été rédigé dans les
formes usitées dans ce pays ou en forme diplomatique et
consulaire ».
L’article 32 du texte ivoirien pose la même règle.
On peut enfin citer l’article 18 de l’ordonnance
tchadienne de février 2020 selon lequel « tout acte
d’état civil établi à l’étranger concernant un tchadien fait
foi s’il l’a été dans les formes prévues dans le pays de
provenance… ».

23
B. LA FORCE PROBANTE DES ACTES
RECUS

Il est donc clair que les actes obtenus à l’étranger


acquièrent et conservent la même force probante
que les actes détenus par les nationaux et
produisent les mêmes effets quel que soit le lieu
où cet acte pourrait être invoqué.
La seule contrainte qui s’impose à l’étranger dont
l’acte a été établi en terre d’accueil est de faire
transcrire ledit acte dans les registres de son pays
d’origine, afin d’être effectivement pris en compte
parmi la population constitutive de cet Etat. Cette
transcription peut, selon la législation du pays
concerné, se faire soit auprès des autorités
diplomatiques ou consulaires du pays d’origine en
terre d’accueil, soit auprès du Ministère des
affaires étrangères, soit au centre d’état civil de la
résidence habituelle dans le pays d’origine.
24
Tous les faits d’état civil méritent d’être
enregistrés là où ils se produisent, sans que
l’origine ou la nationalité des concernés ne puisse
constituer un obstacle. C’est d’ailleurs dans ce
sens que s’est prononcée la conférence des
ministres africains en charge de l’état civil à
l’issue de sa deuxième conférence tenue du 6 au 7
septembre 2012 à Durban en Afrique du Sud, qui
EN
CONCLUSION s’engageait à « adopter des lois devant garantir un
accès équitable aux systèmes d’état civil à toutes
personnes nonobstant leur nationalité ou leur statut
légal ».
La réticence de certains acteurs de l’état civil à y
accueillir les étrangers et les apatrides est abusive,
voire inhumaine. Un système d’état civil
véritablement universel est une garantie pour
tous, pour l’individu comme pour l’Etat d’accueil
et la communauté humaine universelle. 25
MERCI POUR VOTRE
AIMABLE ATTENTION

26

Vous aimerez peut-être aussi