Vous êtes sur la page 1sur 3

DiabetoNelly:modeles 18/06/09 17:07 Page 36

Diabéto pour le praticien

Hypoglycémies iatrogènes et
Nelly Wion-Barbot
Serge Halimi
troubles du rythme cardiaque
Service de diabétologie, endocrinologie,
nutrition, CHU, Grenoble chez les diabétiques
Le débat a fait rage durant toute l’année 2008 et début 2009
quant à l’intérêt et aux risques d’un contrôle glycémique
strict chez les diabétiques principalement de type 2 (DT2), Risque lié à l’hypoglycémie
et quelques synthèses commencent à organiser le débat et sur le système vasculaire
à le rendre plus serein et compréhensible (1-4). La question a
porté sur la relation contrôle glycémique-prévention pri- Risque supplémentaire
maire et secondaire cardiovasculaire (CV), sujet non tran- par exposition
ché par les études précédentes. Les travaux anciens ne plai- à l’hypoglycémie

des complications vasculaires


daient pas en faveur d’un intérêt quelconque du contrôle
glycémique strict sur la réduction du risque cardiovasculaire
(UGDP, VA), et la grande étude UKPDS en 1998 n’avait pas
Prévalence

donné de réponse définitive : la significativité n’étant pas


atteinte concernant la réduction des infarctus du myocarde.
En 2008, les données se sont accumulées, en partie contra-
dictoires : l’UKPDS après 20 ans de suivi trouve maintenant
un bénéfice cardiovasculaire au contrôle précoce de la gly-
cémie pour le DT2 (3) (cela étant probablement et principa-
lement la conséquence d’une durée suffisante de suivi) ; 0 5 10
Durée du diabète (années)
l’étude EDIC dans le type 1, mais aussi les études ADVANCE,
VADT et ACCORD dans le type 2 montrent, quant à elles, un
effet neutre ou un bénéfice si le sujet est moins à risque. Modèle théorique de l’effet supplémentaire de l’hypo-
Une récente méta-analyse parue dans The Lancet (4) vient de glycémie une fois que les complications vasculaires sont
présentes.
conclure en faveur de l’absence de tout sur-risque de morbi-
mortalité cardiovasculaire et plaide, cette fois, clairement
pour un bénéfice sur le risque d’infarctus du myocarde. Les
auteurs admettent cependant que certaines stratégies ou non). Rapporté au nombre d’hypoglycémies dans chaque
d’abaissement de l’HbA1c restent sujettes à débat. groupe, autant que l’analyse des données disponibles
Néanmoins, l’existence d’une surmortalité prouvée, pour d’ACCORD le permette, il ne semble en réalité pas y avoir
partie cardiovasculaire, dans le groupe intensifié (visant eu plus de mortalité cardiovasculaire dans le groupe dit
6 % d’HbA1c) de l’étude ACCORD pose la question du risque « intensifié ». Ces événements majeurs n’ont par ailleurs
de mort subite, en particulier nocturne, liée au contrôle gly- concerné que des sujets en prévention cardiovasculaire secon-
cémique trop strict et en tout premier lieu la responsabilité daire ou tertiaire, très fragiles (1).
des hypoglycémies, surtout nocturnes.

Les hypoglycémies surtout nocturnes :


Surmortalité dans ACCORD et un véritable sujet de préoccupation
hypoglycémies graves
La crainte de comas hypoglycémiques et de séquelles graves
Dans l’étude ACCORD, ce sont les morts subites plus fré- ainsi que de décès en particulier nocturnes chez les diabé-
quentes dans le groupe traitement intensifié qui ont fait tiques de type 1 et de type 2 est un sujet qui a toujours hanté
l’effet d’un électrochoc. Cette surmortalité, quoique très les patients d’abord, les médecins ensuite et les diabéto-
modeste, est indéniable au plan statistique. On doit rappe- logues en particulier, qui sont souvent les soignants les plus
ler sans relâche que jamais dans aucune autre étude la mor- déterminés à atteindre un contrôle strict de la glycémie chez
talité des DT2 n’avait été aussi faible, et ce pour les deux nombre de patients. Ce risque hypoglycémique constitue
groupes. De plus, le lien avec les hypoglycémies, très fré- donc une barrière majeure à l’atteinte des objectifs glycé-
quentes et si graves qu’elles ont nécessité des interventions miques, la balance bénéfice à long terme et risque à court
de type Samu, n’a pas été formellement établi, mais forte- terme faisant toute la difficulté des projets thérapeutiques
ment suspecté dans les deux groupes (traitement intensifié pour le patient lui-même en tout premier lieu (5). Nous avons

36 CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 50 • Juin 2009


DiabetoNelly:modeles 19/06/09 11:23 Page 37

tous l’expérience d’accidents hypoglycémiques graves, de


traumatismes, de séquelles neurologiques, voire d’issues Synthèse des réponses hémodynamiques
fatales consécutives à des hypoglycémies. Ces événements à l’hypoglycémie
dramatiques sont en réalité aussi marquants qu’ils sont
exceptionnels. Les hypoglycémies non ressenties ont trois Modalités
hémodynamiques Réponse Mécanisme
causes majeures :
• La répétition des épisodes (désensibilisation). Fréquence Augmentation Récepteurs β1,
• La réalisation d’un effort physique préalable. cardiaque α et β2
• Le sommeil.
Ces situations s’accompagnent d’une réponse sympatho-adré- Pression Augmentation
nergique émoussée et d’une moindre mise en jeu des hor- artérielle de la PAS
mones contre-régulatrices (glucagon, adrénaline). De tels Diminution
défauts ont été mis en évidence chez des DT2 d’ancienneté de la PAD
Chute de la
moyenne partiellement insulinopéniques (6). Chez ces sujets, pression centrale
suite à une hypoglycémie induite, la baisse de l’insulinémie
et la montée du glucagon et de l’hormone de croissance, tous Débit cardiaque Augmentation Récepteur β1
phénomènes physiologiques déterminants de la lutte contre
l’hypoglycémie, sont plus lentes à se mettre en route, d’où Contractilité Augmentation Récepteur β1
une réponse différée, inadéquate et insuffisante (6). A la myocardique
longue, la répétition d’épisodes hypoglycémiques accroît le
risque d’hypoglycémies de moins en moins perçues, donc Modifications ECG Aplatissement Récepteur β
de l’onde T hypokaliémie
de plus en plus fréquentes et de moins en moins symptoma- ou inversion
tiques. Dépression de ST
Des hypoglycémies nocturnes méconnues peuvent être res- Prolongement QT
ponsables de manifestations de neuroglucopénie persistant
après le réveil, alors même que la glycémie est redevenue
normale (troubles de l'humeur, perte de concentration intel- Tableau.
lectuelle et de l'attention, diminution de la mémoire, cépha-
lées ou même asthénie). Le plus souvent cependant, les hypo- diaque, une élévation de la pression artérielle systolique et
glycémies nocturnes sont asymptomatiques (7). Elles peuvent une baisse de la diastolique (aboutissant à une diminution de
provoquer une « désensibilisation » à l'hypoglycémie avec la pression centrale), une augmentation du débit et de la
abaissement du seuil de perception de l'hypoglycémie au- contractilité cardiaques et des changements électro-cardio-
dessous de 0,40 g/l, et cela y compris bien sûr durant la jour- graphiques. Parmi eux : un aplatissement ou une inversion de
née. Elles peuvent également expliquer une discordance l’onde T, une dépression de ST et un allongement de QT.
entre un taux d'HbA1c satisfaisant et un carnet d'autosur-
veillance mettant en évidence des hyperglycémies diurnes.
Les hypoglycémies nocturnes sont souvent non détectées. Anomalies ECG succédant
Aujourd’hui la possibilité en service de diabétologie d’utili-
ser des enregistrements glycémiques continus est d’un grand
à un épisode hypoglycémique
secours pour leur détection. Ces hypoglycémies semblent
plus fréquentes lorsque les doses d'insuline sont élevées. Arythmie
Cela est moins d’actualité avec la mise à disposition de nou- ventriculaire
velles insulines moins incisives, à cinétique plus reproducti- ectopique
ble, plus en plateau et stables telles que la glargine et le dété- Mais 1h avant
mir. Dans le DT2, les glycémies sont, en général, consécutives < 2,9 -3,2 mmol /l
à de fortes doses de sulfamides hypoglycémiants d’action pro-
longée comme le glibenclamide chez des insuffisants rénaux
ou des sujets âgés. Rappelons que les sulfamides hypoglycé- Couplets
miants utilisés en mono- ou en bithérapie sont la seule famille multifocaux
d’antidiabétiques oraux responsable d’hypoglycémies, sur- ventriculaires
précédés par
tout les plus anciens dits de première génération (8-9).
un QTc à 520 ms

Hypoglycémies et troubles du rythme Figure. Anomalies ECG succédant à un épisode


cardiaque hypoglycémique 60 min (2,9-3,2 mmol/l) avant et
contemporain de glycémies moins abaissées (3,4 mmol/l)
Les réponses hémodynamiques à l’hypoglycémie sont de plu- (d’après Gill GV (9)).
sieurs ordres (Tableau) : une accélération de la fréquence car-

CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 50 • Juin 2009 37


DiabetoNelly:modeles 18/06/09 17:07 Page 38

Diabéto pour le praticien

Certains avancent aussi qu’on peut enregistrer des troubles de tels travaux en faisant travailler ensemble plus souvent car-
aigus de la coagulation et de la fibrinolyse. diologues et diabétologues à l’avenir.
Bien des explications ont été proposées pour faire le lien entre
hypoglycémies nocturnes et mortalité en particulier « dans
son lit », le « dead in bed syndrome » chez les DT1 évoqué par En conclusion
des auteurs anglo-saxons. Parmi les causes, ont été avancés
les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux La surmortalité pour partie cardiovasculaire de l’étude
et les arythmies cardiaques. Nous n’aborderons que cette der- ACCORD, voire VADT, semble bien partiellement liée à des
nière explication. Ce sujet n’en est qu’à ses prémices, et nous accidents hypoglycémiques graves et mal perçus. Même si
ne rapporterons que quelques faits établis, d’ailleurs limités cette surmortalité est très faible, qu’elle a concerné des sujets
aux DT1 (10). Ces décès nocturnes pourraient être dus à un allon- très fragiles, dont le diabète évoluait de très longue date et
gement de QT suite à des tachyarythmies ventriculaires en pour lesquels un contrôle glycémique très strict et très rapi-
réponse à des hypoglycémies nocturnes. Gill GV et coll. dement obtenu n’était nullement indiqué (donc le traitement
(Figure, p37) ont ainsi réalisé un enregistrement continu de d’une lourdeur inhabituelle, on oserait dire illogique), il
la glycémie par capteur sous-cutané (Holter glycémique) paral- demeure vrai que nous devons tout faire pour éviter de tels
lèlement à un Holter rythme en ambulatoire dans des condi- accidents. Pour cela, il convient de bien peser les indications
tions habituelles de vie. Treize épisodes hypoglycémiques noc- et les moyens thérapeutiques choisis dont nombreux
turnes ont été retrouvés (26 % des enregistrements), aujourd’hui n’entraînent pas d’hypoglycémies. Nos efforts
8 < 2,2 mmol/l et 5 entre 2,2-3,4 mmol/l. L’intervalle QT cor- devront aussi porter à l’avenir sur la recherche clinique dans
rigé (QTc) était plus long en période d’hypoglycémie en com- ces domaines, donc sur une collaboration plus étroite entre
paraison aux phases de glycémies normales dites périodes nos spécialités. ■
contrôles (445 ± 40 versus 415 ± 23 ms ; p = 0,037). Des ano-
malies de fréquence et de rythme cardiaques (excluant les
Pour toute correspondance avec l’auteur
tachycardies sinusales) ont été notées dans 8 des 13 épisodes
DI
hypoglycémiques nocturnes (62 %), et d’autres anomalies ont nwion@chu-grenoble.fr
AB
ÉTO

été enregistrées : bradycardies sinusales (< 40/min : 3 épisodes),


ectopies ventriculaires (3 épisodes), ectopie atriale (1 épisode)
et anomalies de l’onde P (1 épisode). On remarquera que ces
anomalies ECG succèdent de plusieurs dizaines de minutes Pour en savoir plus
(60-90 min) au nadir glycémique. Pour les auteurs, de telles 01. Skyler JS, Bergenstal R, Bonow RO, et al. American Diabetes Association; American
anomalies peuvent être l’une des explications du syndrome College of Cardiology Foundation; American Heart Association. Intensive glycemic
de décès nocturne lié à des hypoglycémies chez des diabé- control and the prevention of cardiovascular events: implications of the ACCORD,
ADVANCE, and VA Diabetes Trials: a position statement of the American Diabetes
tiques de type 1, y compris chez des sujets jeunes ayant un Association and a Scientific Statement of the American College of Cardiology Foun-
diabète assez récent et sans complication ou fragilité cardio- dation and the American Heart Association. J Am Coll Cardiol 2009 ; 20 ; 5 : 298-304.
vasculaires connues. Chez des DT2, la même méthode a été 02. Hoogwerf BJ. Action to Control Cardiovascular Risk in; Diabetes Study Group. Does
intensive therapy of type 2 diabetes help or harm? Seeking accord on ACCORD.
précédemment employée et a mis en évidence un lien entre Cleve Clin J Med 2008 ; 75(10) : 729-37.
hypoglycémies, douleurs thoraciques ou signes ECG d’isché- 03. Holman RR, Paul SK, Bethel MA, Matthews DR, Neil HA. 10-year follow-up of inten-
mie myocardique (11). sive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008; 359 :1577-89.
04. Ray KK, Seshasai SR, Wijesuriya S, et al. Effect of intensive control of glucose on car-
diovascular outcomes and death in patients with diabetes mellitus: a meta-analy-
sis of randomised controlled trials. Lancet 2009 ; 373(9677) : 1765-72.
Intérêt de recherches basées sur les capteurs 05. Cryer PE. The barrier of hypoglycemia in diabetes. Diabetes 2008 ; 57 : 3169-76.
glycémiques et Holter ECG 06. Israelian Z, Szoke E, et al. Multiple defects in counterregulation of hypoglycemia
in modestly advanced type 2 diabetes mellitus. Metabolism 2006; 55 : 593-8.
07. Bennis D, Slama G. [The night of the insulin-dependent diabetic patient. Recom-
Il reste difficile de savoir si hypoglycémies et accidents car- mendations of ALFEDIAM (French Language Association for the Study of Diabetes
diaques sont liés, et pourraient de plus expliquer la surmor- and Metabolic Diseases)]. Diabetes Metab 1996 ; 22(6) : 470-5.
talité dans telle ou telle étude. L’inondation en catéchola- 08. Ben-Ami H, Nagachandran P, Mendelson A, Edoute Y. Drug-induced hypoglycemic
mines suite à la chute glycémique est importante, et apparaît coma in 102 diabetic patients. Arch Intern Med 1999 ; 159(3) : 281-4.
09. Simpson SH, Majumdar SR, Tsuyuki RT, Eurich DT, Johnson JA. Dose-response rela-
comme un lien logique. Nous disposons aujourd’hui d’enre- tion between sulfonylurea drugs and mortality in type 2 diabetes mellitus: a popu-
gistrements continus de la glycémie, fiables, avec peu d’iner- lation-based cohort study. CMAJ 2006 ; 174 : 169-74.
tie même si le glucose mesuré est celui du liquide interstitiel, 10. Wright RJ, Frier BM. Vascular disease and diabetes : is hypoglycaemia an aggrava-
ting factor? Diabetes Metab Res Rev 2008 ; 24(5) : 353-63.
et l’enregistrement ECG continu est aussi un examen large-
11. Gill GV, Woodward A, Casson IF, Weston PJ. Cardiac arrhythmia and nocturnal
ment disponible. Il est donc logique, dans une perspective de hypoglycaemia in type 1 diabetes-the 'dead in bed' syndrome revisited. Diabeto-
recherche et rapidement de pratique clinique, de favoriser logia 2009 ; 52 : 42-5.

DCI : Nelly Wion-Barbot ne déclare aucun conflit d’intérêts direct avec le contenu et les messages de cet article.
Serge Halimi déclare avoir donné une conférence pour le groupe Medtronic et avoir des relations avec diverses firmes pharmaceutiques toutefois sans
aucune interaction avec le contenu et les messages de cet article.

38 CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 50 • Juin 2009

Vous aimerez peut-être aussi