Droit et société

Genre, inégalité et limites du droit

Sheila Dziobon

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Dziobon Sheila. Genre, inégalité et limites du droit. In: Droit et société, n°36-37, 1997. On Side of a Dialogue. Exemples
actuels de Socio-Legal Studies au Royaume-Uni. pp. 277-293;

doi : https://doi.org/10.3406/dreso.1997.1409

https://www.persee.fr/doc/dreso_0769-3362_1997_num_36_1_1409

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Résumé
Les directives du Conseil mettant en œuvre les intentions et les objectifs du Traité de Rome relatifs à
l'égalité face à l'emploi sont maintenant en vigueur depuis plus de 20 ans. S'il n'est pas question de
nier l'augmentation de la participation des femmes dans la vie politique et économique de l'Union, le
fait qu'une telle intégration ait été conduite, ou même encouragée, par l'application du droit doit être
soumis au débat. Cet article examine certains arrêts de la jurisprudence récente, en se référant aux
idées de la socio-psychologue S. Bem développées dans son ouvrage The Lenses of Gender :
Transforming the Debate on Sexual Inequality, et examine des décisions judiciaires et la législation à
partir de son analyse.

Abstract
Gender, Inequality and the Limits of the Law.
Council Directives implementing the aims and objectives of the EC Treaty with respect to equality in
employment have now been in force in member states for over 20 years. Whilst not denying an
increase in the participation of women in the political and economic life of the Union, it is debatable
whether such intégration has been led, or even encouraged, by force of law. This article considers
some recent case law, referring to the ideas of social psychologist S. Bem in her work The Lenses of
Gender : Transforming the Debate on Sexual Inequality, and considers judicial decisions and
legislation on the basis of her analysis.
 Droit et Société (p.
36/37-1
277-293)
997
Genre, inégalité
et limites du droit *

Sheila Dziobon **

Résumé L'auteur

Maître de conférences en droit

Les directives du Conseil mettant en œuvre les intentions et les objectifs (University of Exeter, Royaume-
du Traité de Rome relatifs à l'égalité face à l'emploi sont maintenant en
vigueur depuis plus de 20 ans. S'il n'est pas question de nier l'Uni), University
professeur
of Connecticut
invité à Law
l'augmentation de la participation des femmes dans la vie politique et School, USA, au printemps 1997,
économique de l'Union, le fait qu'une telle intégration ait été conduite, ou s'intéresse particulièrement à la
même encouragée, par l'application du droit doit être soumis au débat. théorie juridique, aux questions
juridiques relatives à l'égalité
Cet article examine certains arrêts de la jurisprudence récente, en se des sexes {gender issues) et à la
référant aux idées de la socio-psychologue S. Bem développées dans son responsabilité civile (tort law).
ouvrage The Lenses of Gender: Transforming the Debate on Sexual Elle fut rapporteur pour le
Inequality, et examine des décisions judiciaires et la législation à partir de Royaume-Uni à la première
son analyse. conférence internationale sur les
femmes juges, qui s'est tenue à
Cour de justice des Communautés européennes - Discrimination - Emploi - Rio de Janeiro en août 1996.
Genre. Parmi ses récentes publications :
— « Electronic Communication
and the Defamation Act 1996 :
Clarity or Confusion ? » (avec
Summary Lesley Dolding), Information &
Communication Technology
Law,« Formalism
— vol. 6, n* 1,Forever
1997 ;
Gender, Inequality and the Iimits of the Law
Council Directives implementing the aims and objectives of the EC Treaty Thwarted : Rylands v Fletcher in
with respect to equality in employment hâve now been in force in member Australia » (avec Richard
states for over 20 years. Whilst not denying an increase in the Mullender), Cambridge Law
participation of women in the political and économie life of the Union, it is debat- Journal, vol. 54, 1995.
able whether such intégration has been led, or even encouraged, by force
of law. This article considers some récent case law, referring to the ideas
of social psychologist S. Bem in her work The Lenses of Gender :
Transforming the Debate on Sexual Inequality, and considers judicial décisions
and législation on the basis of her analysis. * Traduit de l'anglais par
Nathalie Jean-Alexis.
Discrimination - Employment - European Court ofJustice - Gender.
** University of Exeter,
Faculty of Law,
Rennes Drive,
Exeter EX4 4RJ, England.

277
S. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
1. Voir Bulletin on Women and
Employment in EC, 1992-1994,
produit par le Réseau européen
d'experts sur la position des
femmes sur le marché du travail
(Network of Experts on the
Situation of Women in the
Labour Market).
2. S. Bem, The Lenses ofGender :
Transforming the Debate on
Sexual Inequality, Yale
University Press, 1993.
3. Social Europe 3/93 :
Occupational Ségrégation of
Women and Men in the European
Community ; Social Europe
4/94 : Wage Détermination and
Sex Ségrégation in Employment
in the European Community.
4. Social Europe 4/94 : Wage
Détermination and Sex
Ségrégation in Employment in
the European Community,
p. XXX.
5. Ibid, p. XXXI.
6. Ibid, p. XXXI.
7. Par exemple : British Coal
Corporation v Smith & others
(HL) 22/05/96 ; C-271/91
Marshall v Southampton AHA
(1994) ECJ; Ratcliffe and others
vN. Yorkshire (CC) 1995 IRLR
439.
Introduction
La recherche empirique indique que la législation européenne
ayant pour objectif l'égalité entre les sexes dans le domaine de
l'emploi n'a pas réussi à obtenir de succès estimable concernant
l'amélioration de la position de facto des femmes dans la vie
économique et politique de l'Europe 1. L'effet éducatif du droit comme
instrument d'ingénierie sociale n'a pas abouti à un changement
significatif d'attitude chez les employeurs et les juges dans leur
démarche pour satisfaire les objectifs d'égalité. L'impressionnant
arsenal législatif de régulation basé sur l'égalité entre les sexes n'a
pas substantiellement fait avancer l'actuelle égalité de jure vers
une égalité de facto pour les femmes. Cette analyse examinera les
explications possibles de cet échec. Elle s'attachera en particulier
au travail de Sandra Lipsitz Bem, socio-psychologue 2.
I. Le témoignage empirique
Le témoignage empirique produit par le Réseau européen
d'experts sur la position des femmes sur le marché du travail 3
identifie les bas salaires dans la Communauté européenne comme
un problème essentiellement féminin, seul le Portugal présentant
des statistiques selon lesquelles les femmes représentent moins de
la moitié des travailleurs à bas salaires 4. Le rapport, qui examine la
question des bas salaires dans le contexte plus large de la relation
entre la détermination des salaires et le sexe, considère les
influences de la structuration des salaires sur la détermination de leur
niveau. Entre autres conclusions, ce rapport établit que les
tendances à la restructuration industrielle et la croissance du secteur
tertiaire à travers l'Europe conduisent à l'amenuisement de la force
de négociation collective qui, on le sait, aura un effet démesuré sur
les salaires des femmes 5. Les mouvements vers la privatisation
croissante du secteur public de l'emploi qui, auparavant, offrait
aux travailleurs féminins une zone de stabilité et une certaine
protection contre la détermination arbitraire des salaires, renforcent le
fait que les femmes continueront à constituer la majorité des bas
salaires à travers l'Union européenne 6. Au Royaume-Uni, de telles
craintes sont encore plus marquées en raison de l'absence de
réglementation dans le secteur privé, qu'illustre la quasi-abolition
de la protection que constitue le salaire minimum.
En revanche, de remarquables succès individuels devant la
Cour de justice des Communautés européennes 7 ont eu des
répercussions sur la vie professionnelle de toutes les femmes ; mais de
telles luttes sont rares. Tout avantage en résultant pour les
femmes est souvent localisé, et de tels avantages reposent sur la
détermination de ces femmes à saisir les tribunaux. Il semble que
le droit ne réussisse pas à produire, dans ce domaine, un effet
278
 éducatif et, en conséquence, les employeurs négligent l'adoption de Droit et Société 36/37-1997
mesures significatives visant l'intégration des femmes dans la
main-d'œuvre, à tous les niveaux et dans tous les secteurs.
Plusieurs publications d'éminents universitaires 8 effectuent 8. S. Fredman, « European
des analyses de cas concernant la manière dont opère la législation Community Discrimination Law : A
Critique », Industrial Law Journal,
relative à l'égalité, et expliquent les multiples niveaux d'interaction vol. 21, n" 2, juin 1992 ; N. Lacey,
entre le droit, l'emploi et l'identité sexuelle. Dans cet article, nous « Législation Against Sex
Discrimination : Questions from a
attirerons brièvement l'attention sur certaines de ces questions, Feminist Perspective », Journal of
avant de recentrer la discussion sur un point spécifique, un Law and Society, vol. 14, n° 4,
1987, p. 411-421.
phénomène qui intervient à tous les niveaux et nous concerne tous : 9. Par exemple : Sex Discrimination
l'action des perceptions sexistes de la réalité. Act, 1975 ; Equal Pay Act, 1970 (et
découlant ultérieurement de cette
loi, Equal Pay [Amendment]
Régulations, 1983) ; la législation
II. Critique du contexte dans lequel s'inscrit britannique adoptée en vue de
satisfaire aux exigences des
la législation relative à l'égalité directives européennes
76/207/CEE et 75/117/CEE ; et les
M.i. La société juridique libérale dispositions directement
applicables relatives à l'égalité
contenues dans l'article 119 du
L'idéal juridique libéral prétend fournir un cadre objectif au Traité de Rome.
sein duquel on peut juger des litiges posant le problème de 10. Jill Rubery and Colette Fagan,
l'égalité. L'organisation judiciaire, sous couvert de cette objectivité, Occupational Ségrégation of
Women and Men in the European
applique la loi au cas par cas. La législation affirme clairement qu'il Community, 1993.
ne devrait y avoir aucune discrimination en situation d'embauché 11. Les statistiques du
Département de la recherche sur le
basée, entre autres, sur le sexe 9. Cette objectivité fondamentale travail (Independent 28/6/96)
n'est-elle pas responsable de l'échec du droit dans ce domaine ? révèlent que le resserrement de la
différence entre les rémunérations
L'idée que l'égalité, au sens juridique, puisse produire de l'égalité respectives des hommes et des
au sens social ne résiste pas à l'épreuve des faits. En dissociant les femmes a été de 7,9 % au cours
des 20 dernières années, et
individus de leur environnement social, on peut obtenir une affirment qu'il faudra encore
décision spécifique concernant le cas particulier, mais on laisse ainsi attendre 5 5 ans avant que ne soit
inchangées les inégalités de traitement qui existent dans la atteinte une réelle égalité des
salaires moyens si ce rythme est
dimension sociale de l'environnement professionnel des femmes. maintenu.
L'attention portée à l'application objective de la législation relative La participation croissante (en
nombre) des femmes européennes
à l'égalité, combinée à la ségrégation permanente entre hommes et au marché du travail pourrait nous
femmes, en particulier dans les secteurs industriels, a conduit, conduire à prévoir l'intégration et
l'égalité au sein des organisations
dans le cas du Royaume-Uni, à l'application minimale des et entre elles. Social Europe,
dispositions potentiellement réformatrices développées dans le cadre du supplément 3/93 : Occupational
Ségrégation of Women and Men in
Equal Pay Act et du Sex Discrimination Act de 1975. De manière the European Community, de
générale, hommes et femmes ne sont pas en compétition pour les Rubery et Fagan, montre que de
mêmes emplois 10 et, par conséquent, il est inévitable que telles attentes ne sont pas
statistiquement justifiées. Une
l'inégalité de salaires entre hommes et femmes perdure n. La nécessité recherche récente du CERC (1991)
de trouver un critère de comparaison chez le même employeur, pour la Commission européenne
établissait que les femmes avaient
plutôt que dans le même secteur, et la difficulté de la charge de la 1,5 à 2,6 fois plus de chances
preuve, auxquelles s'ajoute la réticence des tribunaux à intervenir d'avoir de bas salaires que les
hommes. En fait, les femmes
dans l'organisation économique d'une entreprise commerciale 12, constituent approximativement la
moitié, ou plus, de l'ensemble des
employés à plein temps ayant des
12. C-127/92 Enderby v Frenchay AHA (1993) IRLR 591 est un bon exemple de la bas salaires, bien qu'elles ne
réticence des magistrats à imposer des charges financières à l'employeur. La Chambre représentent pas 50 % de
des Lords a permis une défense basée sur les forces du marché pour justifier l'ensemble des employés dans les
objectivement une discrimination indirecte par rapport au salaire. pays de l'Union européenne.

279
S. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
13. Social Europe, supplément
4/94, op. cit., p. XXXIV.
14. Draft Mémorandum on Equal
Value (CEC 1993) met en
évidence l'interprétation et
l'utilisation conservatrices du
principe de rémunération égale
pour un travail de valeur
équivalente. Voir J. Rubery et
C. Fagan, op. cit., p. XXXVII.
15. Social Europe, supplément
3/93, op. cit., p. 122.
16. G. More, « Equality of
Treatment in European
Community Law : The Iimits of
Market Equality », dans
A. Bottomley (éd.), Feminists
Perspectives on the Foundational
Subjects ofLaw, Cavendish,
1996.
17. Le cas C-184/83 Hoffman v
Barmer Ersatzkasse (1984) ECJ
illustre l'application judiciaire
d'une telle analyse concernant la
directive 76/207 relative à
l'égalité de traitement. La Cour
de justice des Communautés
européennes affirme : « La
directive 76/207 n'est pas
destinée à régler des questions
relatives à l'organisation de la
famille, ni à intervenir dans le
partage des responsabilités
entre les parents » (p. 3047).
18. CM. Cipolla, «The
Emergence of Industrial
Societies », Part 1 , dans The
Fontana Economie History,
vol. 4, 1973, p. 161.
ont conduit à une passivité judiciaire. Les tribunaux traitent
objectivement du cas individuel d'inégalité de traitement sur le lieu de
travail, mais négligent de s'attaquer à l'édifice social sous-jacent,
au sein de l'institution employeur et de l'environnement social au
sens large. S'agissant d'action en justice pour tenter d'obtenir un
salaire égal pour un travail équivalent, particulièrement au
Royaume-Uni 13, Rubery et Fagan concluent que « [les] complexités
juridiques, les coûts et le temps investis minent l'usage de cet outil
juridique pour obtenir l'égalité [...] » 14.
Il en résulte finalement le maintien inconditionnel du statu
quo. Bien que la participation des femmes au marché du travail se
soit accrue, des études entreprises pour la Commission
européenne montrent que c'est surtout le cas dans des industries et
pour des activités déjà féminisées. Dans les situations où les
femmes investissent de nouveaux domaines d'activité, les statistiques
montrent l'apparition récente d'une structure par sexe au sein des
organisations, où les femmes sont confinées au bas de l'échelle
hiérarchique 15.
La doctrine 16 a proposé diverses explications de cette
réticence des magistrats à être plus entreprenants. Peut-être les
législateurs et le corps judiciaire doutent-ils d'être mandatés pour
franchir la frontière perceptible entre le domaine de régulation légitime
dans une sphère juridique publique et une intervention qui
empiéterait de manière illégitime sur la vie privée des citoyens. Le corps
judiciaire et les législateurs semblent être réticents à trancher dans
le vif des questions d'inégalité, parce que cela pourrait être
considéré comme une transgression de la ligne de partage entre la
régulation acceptable de l'économie de marché, comme le montre
l'application de la législation, prétendument objective, relative à
l'égalité, et ce qui est jugé comme une intrusion inacceptable dans
la vie privée des citoyens — une telle intervention étant susceptible
de déséquilibrer les vieilles structures patriarcales de la hiérarchie
familiale 17.
On a fait l'analogie entre la hiérarchie au sein du lieu de travail
et la division sexuelle historique présente dans l'environnement
domestique. En particulier, le contrôle des finances domestiques
est historiquement le domaine réservé de l'homme. Avec
l'importance croissante du capital sur le marché 18, il était
inévitable que ses détenteurs deviennent la force motrice des évolutions
industrielles au cours du xixe siècle, le rôle masculin correspondant
au contrôle du capital. Par conséquent, cette localisation du
pouvoir devint la réalité imposée. L'intervention législative a tenté de
rééquilibrer la situation, dans la mesure où les femmes peuvent
maintenant accumuler le capital et en faire usage, mais d'autres
moyens de réalisation personnelle, comme l'égalité de l'accès au
marché du travail, demeurent intangibles. Le lieu de travail
continue à suivre le vieux modèle de hiérarchie patriarcale domestique.
280
 Le législateur est également intervenu dans la sphère privée de Droit et Société 36/37-1997
la vie domestique pour rationaliser la promotion d'une vision
acceptable du bien social. Les exemples abondent dans le droit
familial, matrimonial et pénal, avec la réglementation du divorce,
l'offre de prestations sociales, les règles d'adoption, les règles
concernant la garde de l'enfant, et les sanctions pénales contre les
mauvais traitements à l'égard des enfants. Le fait qu'une
législation contre le mauvais traitement à l'enfance soit nécessaire n'est
pas contesté, mais concernant, par exemple, la question du
divorce, de nombreuses controverses soulevèrent le problème de
l'ingérence dans un choix personnel. L'introduction et l'application
rigoureuse d'une réglementation de l'emploi, susceptible de 19. Bien que les femmes
occupent actuellement 2
modifier l'équilibre du rôle des femmes sur le lieu de travail, et peut- emplois sur 5 dans l'Union
être leur rôle de mère et d'épouse, l'homme restant le principal européenne, 8 salariés à temps
soutien de famille, ne sont pas acceptées de tous. On peut soutenir partiel sur 10 et 5 employés
que l'inégalité au sein du foyer reste le principal obstacle à la temporaires sur 10 sont des
femmes. En 1990, 14 % des
réalisation des objectifs professionnels des femmes. De tels postulats travailleurs dans l'Union
concernant les rôles respectifs de l'homme et de la femme européenne étaient employés à
contribuent à promouvoir le statu quo et se retrouvent dans temps partiel. Dans tous les
l'organisation et la structure de l'entreprise et des institutions. L'interaction pays, il y a plus de femmes que
entre le rôle des parents et celui de l'État concernant, par exemple, d'hommes employées à temps
partiel, et les femmes occupent
l'éducation, le contrôle et la responsabilité des enfants fait 83 % du travail à temps partiel
continuellement l'objet de débats passionnés au niveau national. Les dans l'Union européenne
femmes continuent à être orientées vers ces formes particulières {Bulletin on Women and
d'emploi, comme le travail à temps partiel ou les travaux à Employment in the EU, n° 4, avril
domicile, qui sont peu rémunérées et sont, en outre, dénuées de pouvoir 1994).
20. Toutefois, remarquent les
de négociation collective 19. commentaires de Lord Slynn
Une croyance en la capacité objective du droit à régler un concernant le rôle social des
conflit concernant l'égalité de traitement dans l'emploi permet aux femmes : « L'idée commune au
juges, dans la majorité des cas, de négliger l'interaction décisive Royaume-Uni, et certainement
des pressions sociales qui s'exercent sur les femmes. Par dans le nord du Yorkshire, est
qu'une femme devrait rester à la
conséquent, ils considèrent appliquer le droit aux faits qui y sont maison pour s'occuper des
strictement soumis, et peuvent rejeter toute accusation d'intervention enfants et que, si elle veut
modifiant les constructions sociales d'ordre privé 20. Cela est travailler, cela doit être
renforcé par l'usage heureux de la législation relative à l'égalité dans le compatible avec ce devoir
cadre de litiges portés devant les tribunaux par des travailleurs domestique et avec l'absence
d'aménagements lui permettant,
masculins, et par le nombre croissant de cas portés devant les facilement, de faire autrement »
tribunaux britanniques par des hommes. Alors qu'il est clair que la (1995) /RLK 439, p. 441
législation est dirigée contre toute forme de discrimination, le (décision de Ylndustrial Tribunal
« tort » 21, concernant la discrimination fondée sur le sexe que la cité par Ratcliffe).
21. L'idée ici étant que la
législation a pour but principal d'éradiquer, est attribué aux législation statutaire répond à
groupes qui ont auparavant été désavantagés ; dans l'hypothèse qui une situation inacceptable qui
nous intéresse ici, les femmes. Cette tendance reflète l'incapacité requiert la force du droit pour
de la législation telle qu'elle est rédigée, ou appliquée, à régler la apporter le changement
question et à satisfaire à l'objectif et à l'intention de la législation souhaité.
communautaire, renforcée par la Charte communautaire des droits 22. Par rapport à laquelle le
Royaume-Uni disposait d'une
sociaux fondamentaux 22. clause de non-participation.

281
S. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
23. Voir par exemple R. West,
« Jurisprudence and Gender »,
n°Chicago Law Review, vol. 55,
1, hiver 1988, p. 1.
24. T. Hobbes, Leviathan,
C.B. Macpherson éd., 1968,
p. 183-184.
25. D. Kennedy, « Form and
Substance in Private Law
Adjudication », Harvard Law
Review, 89, 1976, p. 1685-1774.
26. R. West, op. cit., p. 18.
27. C. Gilugan, In a Différent
Voice : Psychological Theory and
Women's Development,
Cambridge (Mass), Harvard
University Press, 1982, p. 6-8.
28. CM. MacKinnon, Feminism
Unmodified : Discourses on Life
and Law, p. 165 ; E. Jackson,
« Catharine MacKinnon and
Feminist Jurisprudence : A
Critical Appraisal », Journal of
Law & Society, vol. 19, n° 2,
1992, p. 195-213.
29. Social Europe, supplément
4/95 : Stratégies for Gender
Democracy : Women and the
European Social Dialogue, révèle
l'impact de l'instruction sur le
taux d'activité des femmes âgées
de 20 à 39 ans en 1991, avec et
sans enfants dépendants. Voir
également Bulletin on Women
and Employment in the EU, avril
1995.
30. Programme d'action sociale
à moyen terme, 1995-1997, Com
(95) 134 Final.
11.2. Féminisme et théorie juridique
Les auteurs de la théorie féministe du droit 23 affirment que la
tradition juridique occidentale est étayée par les thèmes de
l'individualisme et de l'autonomie. On prétend que cela joue contre
l'intérêt des femmes. La sécurité et la protection offertes par cette
tradition sont relatives au besoin d'autonomie de l'individu, et
reflètent la pensée de Hobbes selon laquelle, bien que les hommes
soient créés égaux, « le plus faible a suffisamment de force pour
tuer le plus fort [...] » 24. Les droits individuels ont été constitués
afin d'éviter ce prétendu désir naturel des hommes les plus forts
de tuer les plus faibles, et c'est une nécessité pour les droits
individuels que d'être protégés. Une reconstruction alternative de la
doctrine fondée sur un idéal communautaire est possible. Ce
dernier refuse la hiérarchie qui place l'individualisme au-dessus
des aspirations collectives de groupes différents et changeants, et
met en avant l'objectif parallèle du droit qui est de protéger les
buts collectifs. Toutefois, les deux soutiennent des idées
d'individualisme, où le droit tente d'objectiver et de déconnecter
les problèmes afin de les aborder avec neutralité 25. Cela est
particulièrement significatif en ce qui concerne la formation de la
décision juridique dans des domaines comme le droit du contrat ou de
la propriété, et le droit du travail est fortement imprégné d'une
doctrine juridique émanant de ces sources.
Les auteurs féministes prétendent qu'un système juridique
construit pour satisfaire aux besoins et aux valeurs des femmes
doit refléter la nature des femmes. Il est par exemple évident
qu'elles ne présentent pas principalement des caractéristiques qui
visent à l'annihilation du plus faible, mais sont, en premier lieu,
biologiquement et psychologiquement connectées à d'autres en
raison de leur constitution personnelle, et tendent à apporter leur
protection aux plus vulnérables 26. L'exemple le plus évident et
durable étant leur désir de protéger et de promouvoir leur
progéniture. Il existe, parmi les théoricien(ne)s féministes, une nette
controverse quant à savoir si les femmes sont par essence
différentes 27 des hommes, ou si toute différence apparente est
socialement produite afin de perpétuer le pouvoir de l'homme sur
la femme 28. Quoi qu'il en soit, des différences de facto existent,
que l'on retrouve dans les opportunités accordées aux femmes de
participer à la vie économique et sociale européenne 29, et si
l'application du droit a davantage pour effet de perpétuer ces
différences que de les supprimer, certains problèmes doivent donc
être abordés. Les plans d'action de la Commission 30 dressent la
liste des buts à atteindre, mais pour atteindre ces objectifs les
législations européenne et nationale fournissent uniquement au
corps judiciaire des lois sur l'égalité objective. Les législateurs et le
corps judiciaire négligent manifestement les femmes dans leurs
282
 tentatives pour atteindre une égalité de participation. Si la Droit et Société 36/37-1997
législation en faveur de l'égalité, base active de la tradition juridique
occidentale, échoue, où pouvons nous chercher une théorie recons-
tructionniste qui puisse offrir une orientation positive ?
Cet article se tourne maintenant vers l'étude
socio-psychologique de Sandra Lipsitz Bem pour examiner ses propositions à la
lumière de la situation actuelle des femmes.

III. Juger à travers une perception sexiste de

la réalité

La théorie de Bem 31 sera examinée étroitement en rapport

avec les femmes, le travail, et le processus de formation de la
décision judiciaire. Bem est une psychologue et ce texte aborde sa
théorie par rapport au droit. Dans une première section, nous
définirons les termes et les éléments de la plus récente théorie de Bem
qui rejette sa position antérieure concernant l'androgynie 32. Ici, 31. S. Bem, The Lenses of
Gender : Transfonning the
Bem évoque trois « prismes » qui ont pour effet d'empêcher les Debate on Sexual Inequality,
femmes de réaliser leur potentiel : l'« androcentrisme », Yale University Press, 1993.
l'« essentialisme biologique » et la « polarisation sexiste ». Ce sont 32. L'androgynie préconise une
ces « prismes » qui continuent à produire et reproduire les « neutralisation » de la
divisions entre sexes dans notre société, et c'est uniquement en différence sexuelle dont le
tentant de changer ces perceptions et interprétations qu'un réel résultat serait une personne
hermaphrodite. L'intention était
progrès peut survenir. Ils seront examinés dans le contexte de la de supprimer la différence entre
législation en faveur de l'égalité et de la structuration sociale qui les sexes en les réunissant en un
peut en résulter. seul, chacun abandonnant sa
position polaire au profit d'une
La structuration de la société de manière androcentrique a été
identité centrale. Une telle
étudiée par d'autres 33 ; cet article tentera donc d'observer « neutralisation » présupposant
l'interaction entre les théories de Bem et la structuration sociale, à que la société puisse définir les
partir de quelques récentes décisions de justice dans ce domaine. caractéristiques souhaitables
d'une telle personne, Bem a
reconnu qu'elle ne serait pas
III. i. Les perceptions sexistes de la réalité réalisable. Cette théorie a
également été critiquée par
L'androcentrisme 34 d'autres féministes qui
affirment que la norme
Est androcentrique toute pratique concrète, ou perception masculine demeurerait,
générale, relative à l'interaction entre l'individu et la communauté impliquant que la femme se
dans laquelle il s'insère, et qui adopte une norme masculine. déplace vers cette norme, et
L'androcentrisme renvoie à des activités et définitions qui ont pour interdisant ainsi tout réel
référence — et sont centrées sur — le masculin comme étant au changement.
33. C. MacKinnon, op. cit.
cœur de toute chose. Il s'exerce dans un sens socio-psychologique
34. S. BEM, op. cit., p. 39.
en ce qui concerne le corps judiciaire et autres détenteurs de
35. Le nombre total de femmes
pouvoir 35, comme les législateurs et employeurs masculins juges au grade de juge itinérant
dominants, qui appliquent et reproduisent un système social reflétant ou au-delà était de 37 sur un
leur propre structuration culturelle. Cela renvoie à l'organisation total de 645 (5,7 %)
du monde social et du monde du travail à partir d'une perspective (Parliamentary News,
masculine où les besoins spécifiques des nommes sont automati- Parliamentary Bills/Questions,
House of Commons, 4/4/96).

283
S. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
36. Voir, par exemple, C 150/85
J. Drake v The Adjudication
Officeri 1986) ECR 1995 qui
limite la portée de la directive de
la Commission européenne
79/7, art. 2, aux « travailleurs
indépendants, salariés et
travailleurs indépendants dont
l'activité est interrompue pour
cause de maladie, d'accident ou
de chômage involontaire et
personnes recherchant un
emploi », p. 2007.
37. Une enquête récente des
Nations Unies sur l'égalité entre
les sexes dans 130 pays
établissait que le travail des
femmes « non rémunéré, non
reconnu et sous-évalué »
représente 1 1 billions de dollars
par an, ce qui, si cela était
reconnu, conduirait les femmes
à devenir les principaux
soutiens de famille dans la
plupart des sociétés. Alors que
les femmes effectuent 53 % du
travail dans le monde, elles ne
sont rémunérées que pour le
tiers (rapporté dans The
Independent 18/8/95).
38. S. Fredman, « European
Community Discrimination
Law : A Critique », Industrial
Law Journal, vol. 21, n° 2, juin
1992, p. 119-120.
39. S. Bem, op. cit., p. 6-39.
quement pourvus alors que les besoins des femmes sont soit
traités comme des cas spécifiques soit laissés pour compte. Si les
représentations culturelles de la réalité servent à élaborer la
société, les perceptions sexistes de la réalité contribuent, elles, à
dicter notre comportement au sein de la société en fonction d'une
problématique liée à l'identité sexuelle. En cas de conflit,
l'androcentrisme sera déterminant pour maintenir le statu quo.
Quelles que soient les différences entre les théories féministes, le
rôle incontesté de chacune est d'éradiquer l'androcentrisme.
La définition juridique du travailleur est un exemple important
de la manifestation des valeurs masculines célébrées, et de la
manière dont elles contribuent à l'oppression des femmes. Un
grand nombre de droits issus de la législation primaire et
secondaire de l'Union européenne concernent les « travailleurs » 36. Une
protection juridique n'est accordée que si les critères qualifiants
sont satisfaits. Ces critères sont fondés sur le contrat par lequel un
travailleur vend son travail en échange d'une rémunération. Cette
focalisation sur l'élément contractuel de la relation exclut l'un des
éléments essentiels de l'emploi, le fait que le travail ait été
effectué. En conséquence, l'existence de divers types de travaux réalisés
dans d'autres situations est ignorée 37. Cela implique que la
majeure partie du travail réalisé par les femmes est largement
ignorée par le droit, et reste, par conséquent, non protégée et non
réglementée. En revanche, ceux qui remplissent les exigences
légales du « travailleur » bénéficient des droits et des prestations liés à
ce statut. La norme androcentrique est faite pour le travail de
l'homme en dehors de l'environnement domestique ou social, celui
qui peut être quantifié en termes de marché et qui est conforme
aux modèles masculins de ce que doit être le travail 38.
L'essentialisme biologique 39
L'essentialisme biologique utilise la différence homme/femme
pour allouer des rôles et des caractéristiques aux sexes. Par
exemple, dans le cas d'une accusation d'incitation au meurtre, la
défense met en relief l'essentialisme biologique de l'homme à
travers sa capacité physique d'agir avec violence sous une pression
extrême.
Dans le débat culturel actuel, l'inégalité féminine est
généralement attribuée à l'un ou l'autre de deux facteurs causaux qui, bien
que ne nécessitant pas d'être considérés comme étant
mutuellement exclusifs, généralement le sont. Soit les femmes se voient
interdire l'accès aux ressources politiques et économiques par des
mesures et des pratiques qui sont intentionnellement
discriminatoires, y compris à l'égard des femmes dont la situation est
parfaitement similaire à celle des hommes. Et, dans ce cas, il y a
consensus pour que le corps législatif prenne l'initiative afin de remédier
284
 à cette situation. Soit les différences biologiques, psychologiques et Droit et Société 36/37-1997
historiques entre hommes et femmes conduisent ces dernières à
faire des choix rationnels incompatibles avec la construction du
type de carrière qui leur permettrait d'atteindre ces ressources
politiques et économiques. Les choix effectués en fonction du
conflit entre carrière et famille sont des exemples particuliers de
ces types de choix rationnels. Dans ce cas, nul n'est à blâmer pour
l'inégalité et, par conséquent, il n'y a aucun consensus en faveur de
quelque remède particulier 40.
C'est en ce qui concerne la question de la grossesse que
l'essentialisme biologique se manifeste de la manière la plus
frappante dans le droit du travail. Les femmes enceintes continuent de
lutter pour faire la différence, aux yeux de leur employeur, entre
leur situation et celle d'un collègue masculin absent de son travail
pour cause de maladie 41. Même ces femmes qui décident de ne
pas avoir d'enfant sont traitées par les employeurs comme des
personnes potentiellement enceintes, et le jeu du marché, qui
accentue pour l'employeur le coût relatif aux risques de grossesse
potentielle et d'absentéisme, contribue à nuire à ces femmes. Le
potentiel de discrimination est universalisé pour englober
l'ensemble des personnes de sexe féminin. Il n'est pas possible, ou
souhaitable, pour la société d'encourager les femmes à interrompre
leur grossesse, et encore moins à abandonner leur rôle de mère
afin de s'adapter à la norme masculine ; les femmes devraient
plutôt être capables d'atteindre une participation égale à celle des
hommes, qui leur procurerait une reconnaissance et une 40. On rapporte souvent cette
attitude à la « théorie du capital
gratification égales, tout en préservant leurs caractéristiques distinctives. humain », utilisée pour analyser
Tout cela équivaut à une réelle discrimination fondée sur l'identité les données relatives aux
sexuelle et reflète la charge financière disproportionnée associée pratiques d'embauché, par
aux femmes dans notre société. exemple, par Hagan et Kay dans
Les controverses entre féministes au sujet des différences leur ouvrage Gender in Practice.
A Study of Lawyer's Lives,
entre hommes et femmes n'auraient également plus de raison Oxford University Press, 1995,
d'être si l'identité sexuelle pouvait être ramenée à un fait p. 2.
biologique au lieu d'avoir quelque incidence sur les rôles respectifs de 41. Par exemple, The Court of
chacun. Les féministes radicales et les points de vue féministes Sessions en Ecosse décida qu'une
culturels cesseraient d'être pertinents et ne pourraient plus être employée, absente pour cause
de maladie pendant sa
utilisés par ceux dont l'intention est de maintenir le statu quo en grossesse, était en rupture de
sapant les efforts féministes à travers la promotion de contrat et par conséquent
l'individualisme radical, qui constitue une perspective sexiste. licenciée à juste titre. Brown v
Rentokil (1995) 211 (CA) déclara
La polarisation sexiste 42 contre les plaignantes, dans un
cas de licenciement injuste,
La polarisation sexiste est une manifestation de notre propre appliquer les décisions de la
Cour de Justice européenne, en
structuration sociale, psychologique, au sein de la société. En dépit du fait que l'absence du
résulte la manière dont nous définissons les autres, et nous- heu de travail était due à une
mêmes, à l'intérieur d'une bande étroite de caractéristiques maladie au cours de la
comportementales et de rôles sociétaux acceptables. L'éradication de grossesse.
42. S. Bem, op. cit., p. 80-132.

285
5. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
43. Social Europe 3/93 :
Occupational Ségrégation of
Women and Men in the European construit à partir des valeurs masculines qu'il continue à
Community.
44. S. Bem, op. cit., p. 155.
45. Ibid.,?. 155.
46. Ibid.,v. 155.
47. S. Bem, « Gender Schéma
Theory : A Cognitive Account of changer ces habitudes de polarisation sexiste avant que ne puisse
Sex Typing », Psychological
Review,vo\. 88, 1981,
p. 354-364.
cette polarisation sexiste dans le milieu professionnel est à la fois
souhaitable d'un point de vue moral et pour des raisons
d'efficacité. Cela restreint sévèrement les opportunités offertes aux
individus des deux sexes, en réduisant concrètement l'étendue de
leurs choix de vie et la possibilité pour la société d'optimiser ses
talents disponibles. En témoignent les continuels postulats
concernant les capacités de chaque sexe à assumer différents types de
rôles professionnels. Cette polarisation sert également à produire
une base à partir de laquelle l'androcentrisme peut prospérer. Les
études réalisées à l'initiative de la Commission européenne
montrent que la discrimination sexuelle dans le milieu professionnel
perpétue la domination de la norme masculine 43.
La recherche empirique psychologique a montré que les
membres de la société effectuent des associations spécifiques par
rapport à l'identité sexuelle, à travers des catégories mentales 44.
Des expériences ont d'abord identifié ces catégories par rapport à
l'image de soi, puis ont montré de quelle manière elles se
reflétaient dans notre manière d'aborder les situations sociales
rencontrées. Ce comportement se reproduit par l'adaptation d'hypothèses
antérieures à toute situation nouvelle. Dans une expérience, les
sujets se voyaient proposer une liste de mots choisis, et il leur était
demandé d'en restituer autant que possible de mémoire 45. Ces
sujets, identifiés comme ayant une image de soi très fortement
déterminée par leur identité sexuelle, projetaient cette dernière
dans leurs expériences en classant les mots sous des rubriques
relevant de leur propre fonctionnement interne et de leur identité
sexuelle 46. C'est une technique mentale reconnue et associée à la
capacité de se remémorer. Projeter ce résultat sur les
établissements employeurs et les institutions juridiques signifie que nous
nous soumettons à des jugements déterminés par l'identité
sexuelle (sexistes) et que nous soumettons de manière sexiste le
comportement d' autrui, et notre interaction avec celui-ci, au
comportement du groupe 47. Cette polarisation s'illustre dans nos
actions quotidiennes et dans la manière dont nous prenons nos
décisions.
Le prisme de la polarisation sexiste est enraciné dans les
perceptions de la différence homme/femme. Ces dernières sont
particulièrement pertinentes dans le contexte d'un système juridique
promouvoir. Il en résulte un système qui favorise un marché de l'emploi
construit pour encourager la réalisation des aspirations associées
au modèle masculin, et l'assujettissement des femmes à des rôles
considérés comme appropriés.
Il n'est pas surprenant, par conséquent, qu'il soit nécessaire de
survenir un changement concernant le rôle des femmes dans la
société. Nous employons inconsciemment ces techniques dans
286
 toutes nos associations avec autrui lorsque nous utilisons des Droit et Société 36/37-1997
idées arrêtées qui produisent des perceptions de ce que nous
voyons autour de nous ou de nos expériences. Ces perceptions
sont le fruit de l'enchaînement d'idées sexistes qui se développent
dans l'usage courant, d'où résulte la formation d'associations
sexistes concernant des situations nouvelles.

111.2. Application de la théorie à la construction

du système juridique
Critiquer le système juridique — ou ses opérateurs — comme
responsable, en quelque sorte, de ce qui empêche les femmes de
progresser dans leur implication économique et politique dans
notre société, c'est ignorer l'impact de l'habitude de ces
perceptions sexistes de la réalité.
L'éradication de l'androcentrisme conduira à celle de la
polarisation sexiste et rendra au sexe biologique sa place d'attribut
physique strictement déterminé, n'ayant qu'un impact limité sur la
culture, la société et le comportement.
Le maintien du pouvoir masculin, perpétué à travers l'action
des institutions juridiques, dépend de la construction des hommes
et des femmes dont les personnalités déterminées par l'identité
sexuelle reflètent les rôles différents et inégaux qui leur sont
assignés dans la structure sociale. Cette personnalité est à la fois un
produit et un processus. C'est simultanément une somme
particulière de caractéristiques masculines ou féminines, et une manière
de construire la réalité qui produit elle-même ces caractéristiques.
Le raisonnement est circulaire. En atteignant l'état adulte, les
individus se perçoivent à travers les prismes de l'androcentrisme, de
l'essentialisme biologique et de la polarisation sexiste qu'ils ont
intériorisés à partir de leur culture. Ils tendront à considérer
comme normale et naturelle toute possibilité en harmonie avec ces
perceptions, et comme problématique et étrangère toute possibilité
qui leur est incompatible. Comme l'affirme Bem, ces blocages
psychologiques nous conduiront, quoique probablement de manière
inconsciente, à nous demander constamment : « Cette manière
d'être ou d'agir correspond-elle à la conception de ce que doit être
pour ma culture un véritable homme ou une véritable femme ? »,
pour se répondre à soi-même face à la situation nouvelle
rencontrée : « Si ce n'est pas le cas, je rejetterai cette possibilité. S'il en est
ainsi, je poursuivrai dans ce sens 48. »
Dans tous les cas de discrimination dont les femmes ont saisi
les tribunaux, il existe un conflit entre l'ordre androcentrique et la
femme qui demande réparation. Des affaires portées devant les
tribunaux britanniques ont permis à la partie défendante d'utiliser
l'argument des lois du marché pour justifier l'inégalité de
rémunération entre employés masculins et féminins, appliquant la vision 48 s BEM c/f p 153

287
S. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
49. Rainey v Greater Glasgow
Health Board Eastern District
(1987) AC 224.
50. Cl 70/84 Bilka-Kaufhauss
GmbH v Weber von Hartz (1994)
IRLR 185.
51. Rv Sec. of State for
Employment, ex parte EOC
(1994) iKZJ? 176.
52. C 189/91 Kirshammerv
Sida/ (1994) IRLR 185, 188.
53. Clymo v Wandsworth
Borough Council (1989) JCi? 250.
54. C 399/92 Stadt Lengerich v
Helmig (1995) 7i?Li? 216, 219.
55. Si le défendeur peut prouver
que « l'exigence ou la condition
mise en cause n'était pas
appliquée avec l'intention de
traiter le plaignant de manière
défavorable pour la raison
[prohibée] », SDA 1975, s 66 (3).
sexiste de la norme masculine et perpétuant ainsi le statu quo pour
toute perte de droit dans le domaine professionnel qui en résulte
pour les femmes 49. Le test de proportionnalité de Bilka-
Kaufhauss 50 a eu pour effet de limiter la portée de la justification
en tant qu'argument de défense — mais on continue à examiner les
objectifs à atteindre par l'employeur dans le contexte de
l'économie de marché —, et non en tant qu'objectif social de la
législation. Plus récemment, appliquant ce test à la législation
britannique, la Chambre des Lords 51, après que le requérant eut
prouvé, à la satisfaction de la Cour, son effet défavorable sur les
femmes, examina l'objectif visé par rapport à la législation
prétendument discriminatoire contestée. Le gouvernement affirma qu'il
s'agissait de réduire le chômage. Le tribunal l'accepta comme but
légitime de politique sociale pour le gouvernement, mais considéra
que la législation contrevenait à la législation européenne relative à
l'égalité entre les sexes, puisque le gouvernement n'avait pu
démontrer un lien causal satisfaisant entre l'action de la législation
et l'objectif à atteindre. En conséquence, la législation fut amendée.
Toutefois, l'argumentaire de la justification a prévalu au
détriment de la discrimination au sein d'une large gamme
d'objectifs gouvernementaux légitimes : notamment, les mesures
adoptées pour promouvoir la croissance des petites entreprises 52,
les limites gouvernementales à l'extension des dépenses publiques
et l'efficacité managériale 53, et les dispositions concernant la
persistance de la disparité des revenus entre travailleurs à plein temps
et travailleurs à temps partiel 54.
En outre, la loi contre la discrimination sexuelle 55 prévoit que
dans le cas d'une discrimination indirecte, dont le responsable aura
prouvé qu'elle n'était pas intentionnelle, le requérant ne recevra
aucune indemnisation.
L'association opérée entre les femmes, le fait qu'elles aient
historiquement accepté des rémunérations plus faibles, et la
promotion de l'économie de marché comme objectif idéal pour le bien
de la société se combinent pour perpétuer l'inégalité face à
l'emploi.
III. 3. Perceptions sexistes de la réalité et
législation anti-discriminatoire
La première étape pour parvenir à un réel changement est la
volonté d'atteindre un résultat final. Dans le monde idéal d'un
système juridique reconstruit, la cUscrirnination à l'égard des femmes
n'existerait pas. L'éradication des perspectives sexistes concernant
l'ensemble des membres de la société construirait une société qui
prendrait en considération la valeur sociale d'une femme autant
comme mère s'occupant de ses enfants et prenant soin de sa
famille — pas uniquement des jeunes enfants mais aussi, et de
288
 plus en plus, des personnes âgées 56 —, que comme agent Droit et Société 36/37-1997
participant à la vie sociale et économique de la société.
Une volonté déterminée d'atteindre ce but n'est apparemment
pas évidente chez nos législateurs, mais il existe depuis 20 ans une
réglementation relative à la discrimination et à l'inégalité de
traitement sur le lieu de travail 57.
Cette législation présente une imperfection majeure : elle
associe l'égalité à la disparition superficielle des pratiques
discriminatoires dans des cas individuels. C'est une approche par les droits,
typiquement masculine, d'un problème qui requiert des parties
impliquées leur déconnexion du contexte dans lequel elles vivent.
Elle dissocie la femme de son environnement qui l'influence, et
souvent la contraint, alors qu'elle place l'homme dans un système
juridique androcentrique qui reconnaît son comportement comme
la norme par défaut.
Dans cette position, l'homme se percevra lui-même à la fois
comme méritant et compétent jusqu'à ce que le contraire soit
prouvé 58. Quoi qu'il en soit, la charge de la preuve incombe à la
femme, qui doit se prouver à elle-même, et démontrer aux autres,
pourquoi elle, en particulier, devrait être considérée comme soit
compétente soit méritante. Cette différence concernant la charge
de la preuve est précisément ce que d'autres études
socio-psychologiques ont démontré en établissant qu'un homme, et non une
femme, était plus susceptible d'être désigné comme le meneur de
groupe alors qu'il ne faisait que présider la table 59. Cette
différence concernant la charge de la preuve est également ce que de
nombreuses autres études empiriques ont démontré en établissant
que les femmes sous-estiment, et les hommes surestiment, la
qualité de leur propre performance et, plus encore, que les femmes se
sous-rémunèrent, alors que les hommes se sur-rémunèrent, pour
leur niveau de performance réel, quel qu'il soit.
Par conséquent, une femme portant une plainte devant un
tribunal dans un cas de discrimination sexuelle aura double charge
de preuve ; elle devra d'abord établir son droit à affronter la norme
masculine qui est la norme par défaut, elle devra ensuite montrer
qu'elle a été désavantagée par la situation de fait et qu'elle mérite
une assistance. De l'autre côté, l'homme bénéficie d'un ordre des
choses qui lui est favorable, le tribunal n'a pas besoin d'aborder la 56. Des variations
démographiques à travers
question des valeurs de la communauté, le plaignant doit l'Europe indiquent une
seulement prouver le désavantage subi. Si ce désavantage peut être lié à population vieillissante.
la notion de droits individuels, qui sous-tend le système juridique, 57. Notamment, les directives
alors le litige est censé être réglé en sa faveur. Nous sommes par du Conseil 76/207 et 79/7.
conséquent en présence d'une situation où le discours relatif au 58. S. BEM, op. cit., p. 157.
rôle des femmes dans la société est régi et perpétué par un 59. Ibid., p. 157. L'auteur cite N.
système qui, bien qu'il soit construit de manière prétendument neutre Porter, F.L. Ghs and J. Jennings,
eu égard au sexe, prend comme norme par défaut la norme « Are Women Invisible as
Leaders ? », Sex Rôles, 9, 1983,
masculine. p. 1035-1049.

289
5. Dziobon
Genre, inégalité et limites
du droit
60. T. Campbell, « Sex
Discrimination : Mistaking the
Relevance of Gender », dans
S. McLean and N. Burrows (eds),
The Légal Relevance of Gender,
MacMillan Press, 1988.
61. S. Bem, op. cit., p. 177.
62. C-222/84 Johnstone (1986)
ECR 1921.
63. C-204/90 Barber v GRE
(1992) ECJ.
64. James v Eastleigh BC (1990)
IRLR 288 (HL).
65. Stewart v Cleveland Guest
(Engineering) Ltd (1994)
IRLR 440.
66. C-179/88 Hertz (1991)
IRLR 31.
L'égalité, qui suppose l'identité de l'état des droits individuels,
est critiquée comme n'étant d'aucune utilité pour éradiquer la
discrimination à l'égard des femmes. L'identification de la différence
biologique n'est, en soi, pas une discrimination. Ce qui est
discriminatoire, c'est le fait que ces différences soient utilisées pour
produire une justification de la différenciation qui, ouvertement ou
subtilement, dévalorise un individu en raison du groupe auquel il
appartient. Par cet acte le groupe se trouve désavantagé et
dévalorisé, et cet effet causal est à la fois pernicieux et susceptible de se
généraliser 60. L'incapacité à réaliser la connexion entre le
traitement de l'individu et le groupe est une limite de la vision andro-
centrique du système juridique. L'appartenance involontaire à un
groupe sexuel est utilisée pour dévaloriser l'individu et le groupe,
et fournit la base du préjudice et de la discrimination. La
conséquence culturelle de la répétition de cet acte est le lien causal entre
idées et impressions et la formation d'habitudes contribuant à
renforcer les perceptions sexistes de la réalité.
Par conséquent, l'égalité en tant que moyen d'éradication de la
discrimination agit au détriment des femmes à travers une
institution androcentrique. L'individualisme radical est brandi comme
l'objectif utilisant à la fois l'androcentrisme et la polarisation
sexiste afin d'affirmer la neutralité à l'égard du sexe, de
l'application du principe d'égalité. L'aveuglement sexiste qui en
résulte implique qu'aucune distinction d'aucune sorte ne soit faite
sur la base du sexe. Par conséquent, l'ignorance des différences
existant entre les situations respectives des femmes et des
hommes implique que l'égalité ne peut être atteinte que par celles des
femmes qui peuvent adopter les normes masculines. Le concept
d'égalité part d'un postulat d'identité et fonctionne sur le principe
selon lequel seules les choses identiques peuvent être égales. Selon
Bem 61, seul le fait biologique de la reproduction devrait distinguer
les sexes. Toutefois, certaines hypothèses manifestes illustrent
l'application de perceptions sexistes aux femmes devant les
tribunaux, qui conduisent à des justifications acceptables de cette
inégalité et de cette discrimination persistantes 62.
L'application juridique d'une optique « aveugle » en matière de
genre entraîne la séparation des individus de leur environnement.
La décision du tribunal s'assurera que les droits de l'individu n'ont
pas été violés en regard de la législation relative à l'égalité
concernant le cas considéré. L'androcentrisme du système demeure
largement intact et la décision compose avec la pratique acceptable
du corps judiciaire. Les arrêts Barber 63, James 64, les cas de
harcèlement sexuel comme celui de Stewart 65, et toutes les affaires
qui identifient les conséquences physiologiques de la grossesse
avec la maladie en sont des exemples 66.
290
 Il 1.4. Approches alternatives Droit et Société 36/37-1 997

On trouve, avec la protection spécifique, une application

alternative de la théorie, qui fait preuve de sensibilité à l'égard de la
différence de sexe et prescrit l'adoption d'un régime particulier sur le
lieu de travail afin de dédommager les femmes pour leur rôle
historique et biologique concernant les soins qu'elles apportent aux
enfants, aux personnes âgées ou infirmes. On reproche à cette
protection spécifique de renforcer le vieux stéréotype sexiste selon
lequel les femmes, en tant que groupe, sont par essence incapables
d'entrer en compétition avec les hommes, à moins que des
dispositions particulières ne compensent leurs besoins spécifiques et, par
conséquent, ne renforcent leurs rôles spécifiques en tant que
femmes. Bien qu'indiscutablement vrai, cela est l'inévitable
conséquence de la tentative d'adaptation des structures institutionnelles
existantes aux besoins des femmes, qui entrent en conflit avec le
rôle qui leur est attribué en tant que femmes. Dans certains cas,
une solution partielle est apportée, par exemple par l'attribution
d'un congé maternité, d'une protection spécifique au travail pour
les femmes enceintes et les mères s'occupant d'un nourrisson, ou
d'autres « privilèges » qui conservent intact le système androcen-
trique mais font preuve d'une volonté d'aider les femmes qui
travaillent. Une telle législation tend à encourager la perpétuation des
représentations sexistes en tentant d'adapter l'existant aux besoins
des femmes dont on considère qu'elles s'efforcent de se conformer
aux normes masculines. L'existence de la législation relative à
l'égalité et l'extension d'une protection spécifique risquent de
renforcer la théorie du capital humain, puisque l'on pourrait prétendre
que tout désavantage économique ou politique subi par les
femmes provient, non d'une quelconque discrimination, mais de leur
propre décision, prétendument rationnelle, d'investir ailleurs
temps et énergie. La théorie du capital humain explore les choix
rationnels des femmes d'investir leur capital humain de la manière
la plus utile, d'où résulte qu'elles se confinent à l'extrémité la plus
modeste du marché du travail, tant au sein de la profession qu'en
choisissant peut-être de travailler à temps partiel. Une telle attitude
exclut d'avance l'acceptation de toute responsabilité ou blâme,
puisque la responsabilité du choix, apparemment libre, repose sur
la femme. Toute promotion active des femmes dans des domaines
où elles sont sous-représentées conduit à une violation de la
doctrine de la neutralité à l'égard des sexes.
Un modèle d'acceptation 67 est proposé comme une voie vers
un réel changement. L'acceptation inclura les femmes et leurs
contributions spécifiques, dans le lieu de travail, avec une 67. C. Ljttleton,
reconnaissance de leur contribution individuelle et collective qui sera « Reconstructing Sexual
intégrée dans les pratiques de l'entreprise. Le lieu de travail Equality », California Law
deviendra un environnement flexible de travail pour tous les Review, vol. 75, 1987,
p. 1279-1331.

291
S". Dziobon employés, où aucun secteur ne sera identifié comme requérant un
Genre, inégalité et limites traitement particulier. Il ne sera plus androcentrique, chacun
du droit pourra contribuer effectivement à l'ensemble, et la différence
biologique sera reléguée à une simple question de fait.

Conclusion
L'égalité pour les femmes implique une reconstruction du
système légal dégagé du comportement androcentrique. La possibilité
pour toute femme d'être un parent responsable et un travailleur
correctement payé doit être facilitée. La société peut le faire, et le
droit peut influencer ce changement sociétal. L'effet éducatif du
droit est puissant, mais n'englobe pas tout. La législation peut
avoir des conséquences sur les comportements et les modifier,
l'exemple du recyclage (des déchets) et celui des pratiques relatives
à la conduite en état d'ivresse le prouvent. Cependant, l'objectif
doit être clairement défini, engagé et poursuivi sans relâche (en
général assorti d'une sanction concrète), en dépit des difficultés
organisationnelles, et, bien sûr, la majorité de la société doit
vouloir atteindre l'objectif final. La priorité du Troisième programme
d'action de la Commission européenne est la constance et
l'amélioration de « l'application et du développement du droit
communautaire relatif à l'égalité ». Le programme identifie le
besoin de renforcer la procédure et les sanctions juridiques, et
d'élever la conscience des individus à la pleine mesure de leurs
droits et obligations dérivés du droit communautaire. Le niveau
des rémunérations est un indicateur important de la discrimination
sur le marché du travail, et de récents rapports 68, menés à
l'initiative de la Commission européenne, concluent qu'il y a « un
besoin urgent de mettre la réforme des salaires à l'ordre du jour,
au niveau sectoriel, industriel ou institutionnel ». Au Royaume-Uni,
la déréglementation, incluant l'abolition quasi totale de la
protection des salaires, va dans la direction opposée 69.
Il est extrêmement important que les détenteurs du pouvoir,
qui sont principalement des hommes, soient engagés dans les
changements. Ce qui impliquera l'acceptation des bénéfices du
changement. C'est un problème pour les reconstructionnistes.
Comment convaincre le pouvoir androcentrique que le changement
est à leur avantage, alors que l'environnement professionnel reflète
parfaitement leurs besoins actuellement ? D'un autre côté, la
réglementation pourrait proposer des changements pour
l'environnement professionnel suivant les lignes d'un modèle d'acceptation,
mais, une fois encore, un engagement et une application suivie et
concrète adossée au droit sont nécessaires pour parvenir à un
changement effectif.
68. Social Europe, supplément L'engagement n'est pas toujours évident. Tenter d'étendre la
4/94, p. 235-240.
notion de discrimination indirecte est le point de départ d'une
69. Ibid., p. 206-208.

292
conception plus large de la discrimination, et de plus grande por- Droit et Société 36/37-1997
tée, qui entreprend d'attaquer certains des piliers androcentriques
du système. Toutefois, l'engagement, pour utiliser cet outil
juridique potentiellement efficace, a été contrarié par le fait qu'on
accorde des justifications au comportement de l'employeur, basées
sur l'incapacité fondamentale à s'éloigner d'un type d'organisation
du travail structuré autour de la norme masculine. D'un côté, la
satisfaction des femmes par rapport à de récentes décisions de la
Cour de justice des Communautés européennes est justifiée. Mais,
si au premier niveau le message est une reconnaissance que
l'économie de marché a besoin de se reproduire selon un schéma
androcentrique, alors un tel effet positif sera de courte durée.
Si le droit manifeste un engagement plus fort et plus cohérent
en faveur de l'éradication de l'organisation androcentrique du
travail, et tente de reconnaître et de supprimer la polarisation
sexiste, les attitudes peuvent changer. Les femmes, bien loin d'être
tolérées comme constituant la masse des travailleurs atypiques,
nécessitant des arrangements particuliers pour prendre en compte
leurs idiosyncrasies, seraient acceptées comme associés égaux,
dans la prospérité de l'expérience et celle du pouvoir économique
que peut apporter l'emploi rémunéré dans tous les secteurs et à
tous les niveaux. La société bénéficierait d'un tel changement
d'attitude en utilisant pleinement le potentiel de tous ses
membres. La polarisation sexiste serait minimisée, au moins dans le
domaine de l'emploi, même si le jour où le sexe sera considéré
comme une simple détermination biologique semble improbable.

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