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Enora Kh2

Mingant Français
Dans le domaine littéraire, où le roman trône en roi, les récits dis « brefs » semblent
souvent être peu mis en valeur. Il est vrai que lorsque l’on parle de littérature, l’image
qui vient d’abord en tête est celle des longs romans fleuves, au nombre de pages
interminable. Effectivement le genre romanesque s’avère être plaisant dans de
nombreux cas et plonge le lecteur dans un univers fictif, capable de le transporter hors
du temps. Cependant, si la littérature française s’avère être riche, et recèle d’incroyables
trésors, dont le roman fait incontestablement partie, d’autres genres viennent
également s’y ajouter. Parmi eux, on retrouve le récit bref. Mais quand peut-on parler de
récits courts ? Car si le récit bref se caractérise effectivement par sa brièveté, elle est loin
d’être une définition suffisante. Sinon on pourrait sans problème y inclure la poésie. On
pourrait compléter en supposant qu’il s’agit d’une œuvre narrative, qui fait de la brièveté
une composante essentielle de son écriture, et qui en jouant avec cette caractéristique,
réussi à créer des récits variés et plaisants aux messages puissants. Mais cette définition
reste également très vague. On constate alors que la parfaite définition du récit bref
n’existe pas étant donné qu’il se constitue de plusieurs genres relativement différents les
uns des autres. C’est en tous cas ce qu’affirme Baudelaire en parlant de la nouvelle dans
Notes sur Edgar Poe (1857), ou il affirme qu’elle contient « les trésors (…) les plus
nombreux et le plus variés ». Il insiste sur « la brièveté » de cette œuvre et sur
« l’intensité de l’effet » qu’elle produit. La lecture de celle-ci pouvant « être accomplie
tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture
brisée ». De plus il insiste particulièrement sur « l’effet à produire » prémédité et
délibérément choisi par l’auteur. « Dans la composition tout entière, il ne doit pas se
glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou
indirectement, à parfaire le dessein prémédité ». Baudelaire évoque ici la nouvelle, mais
ses propos peuvent aussi être élargis au récit bref tout entier. Ainsi on comprend bien
que la notion de brièveté n’est pas suffisante, mais que les conséquences qu’elle
entraine sur le récit sont multiples. On peut alors se demander si la brièveté du récit
bref, et les conséquences qu’elle entraine dans la narration, représentent un avantage
par rapport à la longueur plus conséquente du roman ? Pour répondre à cela nous
verrons dans un premier temps que la brièveté du récit bref présente en effet des
avantages, mais dans une deuxième partie nous nous questionnerons sur la capacité ou
non du récit bref à tout développer et qui lui permettrait ainsi d’être aussi complet que
le roman. Enfin dans une dernière partie il s’agira de souligner que compte tenu de sa
brièveté, le récit bref doit tendre dès le départ vers un effet voulu par l’auteur.

Pour commencer, il est nécessaire de remarquer que la brièveté propre au récit bref
présente des avantages qui la différencient du roman. Généralement la lecture d’une
œuvre relevant du récit bref, est une lecture non fragmentée. Cela se caractérise par le
fait que tout lecteur a la possibilité, et on pourrait même dire qu’il se doit, de lire l’œuvre
d’une seule traite. Le récit étant relativement court, le lecteur peut le lire en une seule
fois sans effectuer de pauses, afin d’aborder l’œuvre dans son ensemble, de façon
continue, sans aucun trouble ou aucune perturbation qui pourraient s’immiscer entre le
lecteur et ce qu’il lit. Contrairement aux longs romans qui nécessitent des heures
d’attentions, ce qui oblige presque certainement un arrêt dans la lecture, le lecteur de
récits brefs n’a pas vraiment besoin de la couper en plusieurs parties. Il est en effet très
rare d’arrêter sa lecture en plein milieu d’une fable ; on manquerait alors l’intérêt et le
message que l’auteur souhaite transmettre. Une lecture dite fragmentée (cette
expression pourrait d’ailleurs caractériser la lecture propre au roman) n’aurait ici pas
vraiment de sens. Le récit bref ayant l’avantage d’être court, permet à un individu de lire
lors d’un (relativement) court instant de répit ou de temps libre. Cette lecture en
continue permet de s’émanciper des problèmes de la vie quotidienne et de voyager dans
l’univers proposé par l’auteur sans être interrompu par les évènements extérieurs qui
entourent chaque homme. Il est alors pleinement plongé dans l’histoire, et peut s’y
consacrer entièrement. Il est vrai que toute œuvre, qu’elle appartienne au genre
littéraire du roman, de la poésie, du théâtre ou bien qu’elle relève du récit bref, doit être
considérée avec attention. Si cette lecture non fragmentée est correctement effectuée,
l’un des buts de l’œuvre est alors atteint. C’est dans ce cadre-là que l’on comprend le
sens « d’œuvre de la totalité ». C’est cette perception panoramique du récit bref, qui
permet au lecteur de jouir à la fois du détail et de l’ensemble, formée par le fond et la
forme, grâce à l’unité. Généralement l’auteur ne vient pas lui non plus fragmenter la
lecture, puisque rares sont les œuvres courtes qui sont divisées en chapitres. Le lecteur a
alors une vue d’ensemble sur le récit. Cela lui permet de considérer l’œuvre, de
l’analyser, et de la comprendre dans sa totalité, puisque l’œuvre ne peut pas être
divisée. C’est pourquoi on parle d’une « totalité d’effet ». Il y a bien entendu des
exceptions à cette règle, mais qui étant minoritaires en nombre, ne viennent pas réfuter
ce qui a été dit précédemment. Disons que cela dépend simplement de la volonté de
l’auteur, surement dans un souci de compréhension et surtout de cohérence de
l’histoire. C’est le cas dans « La nuit remue », premier poème qui donne son titre au
recueil d’Henri Michaux, divisée en cinq partie, afin de marquer une pause entre les
différents fragments. Mais ces différentes parties se suivent avec une certaine logique, le
but étant de conserver cette cohérence du récit. Bien entendu la brièveté s’accompagne
aussi d’une facilité de compréhension. Tout d’abord car une lecture fragmentée implique
nécessairement de se rappeler de ce qui a été lu précédemment. Le lecteur peut alors se
heurter à l’oubli de certains passages ou de certains détails, ce qui à première vue peut
sembler sans grande importance, mais qui en réalité peut aller à l’encontre d’une bonne
perception de l’œuvre. Une lecture coupée par les actions de la vie quotidienne, ce que
Poe qualifie de « tracas des affaires » et « soins des intérêts mondains », parasite en effet
la compréhension. Ensuite le lecteur peut plus facilement saisir le sujet et le sens du récit
car le fait qu’il soit court, signifie généralement qu’il est moins complexe. La complexité
n’a pas le temps de s’imposer dans un si court passage. Et puisque le récit est court la
compréhension de chaque détail, de chaque anecdote est indispensable, car chaque
élément à son rôle à jouer. Puisque le récit est bref, l’œuvre est vue dans son ensemble,
et celui qui lit peut relier avec plus de facilité les éléments du texte entre eux. Et du fait
de sa brièveté, on peut même aisément le relire, pour éclaircir certains points. C’est
d’ailleurs souvent la deuxième lecture qui permet de mettre l’accent sur certains
éléments narratifs, et d’insister sur une meilleure compréhension de l’histoire.
Le deuxième avantage que l’on retient de la brièveté, est qu’elle permet au récit bref
de se diversifier. Il est utile de préciser qu’il n’est pas vraiment un genre en lui-même,
mais il contient plusieurs genres. Il s’est diversifié car il a englobé plusieurs sortes de
récits, qui ont bien entendu des caractéristiques communes, mais qui apportent chacune
leur originalité, leur caractère, leur particularité et leur spécificité. Tout cela a permis
d’enrichir le récit bref. En effet quand on parle de récit bref, on pense souvent à la
nouvelle, notamment à la nouvelle maupassantienne, mais on y retrouve également la
Fable, qui fait généralement écho à l’univers de Jean de La Fontaine, le conte, et parfois
certains poèmes à l’image de ceux de Michaux. Contenant plusieurs genres, cela lui
permet de proposer les récits les plus variés, ou comme dirait Baudelaire dans Notes
nouvelles sur Edgar Poe, de « récolter les trésors (…) les plus nombreux et les plus
variés ». Cela en fait une catégorie littéraire aux allures de pluralité, qui permet de plaire
à un plus grand nombre, étant donné qu’il touche à plusieurs registres. On voit par
exemple une forme de diversité entre la nouvelle et le conte. Le conte est souvent
qualifié de « récit d’aventures merveilleuses », tandis que la nouvelle est rattachée à une
« sorte de roman très court ». De plus ils ont des origines différentes : la nouvelle
associée au réalisme provient de la voie du roman latin, alors que le conte qui se
rapporte au merveilleux nous vient du roman grec. On peut noter une dernière
divergence, même s’il en existe d’autres, le conte est universel avec sa morale, alors que
la nouvelle est singulière, puisqu’elle tient du domaine de l’étrange, centrée autour du
détail. Aussi, il est important de souligner la place importante de l’oralité dans la majeure
partie des œuvres appartenant au récit bref. C’est une oralité qui peut se rapprocher de
celle que l’on retrouve au sein du théâtre. L’auteur peut alors jouer avec cet effet de
théâtralité. On retrouve entre autres un conteur dans les Fables, qui assure dans certains
cas le passage du récit à la morale, mais on assiste souvent à des échanges entre
personnages anthropomorphiques, qui s’apparentent parfois à de véritables joutes
verbales, dotées d’une argumentation et d’une rhétorique à la fois puissante et en même
temps trompeuse. Par exemple dans « Le Loup et le Chien» (I, 5), les deux personnages
discutent de leur situation, le chien défendant qu’il vaut mieux être bien nourrit, même
si cela nécessite de faire des concessions quant à sa liberté. Au contraire le loup
considère la liberté comme le plus beau des « trésors ». Chacun d’eux défend grâce à la
parole, sa position en ayant recours à une argumentation. .Cette forme d’oralité est
également présente dans le Décaméron de Boccace, ou dans l’Heptaméron de
Marguerite de Navarre avec la figure du devisant. Chez Nathalie Sarraute, l’oralité se fait
plus rare, mais elle est parfois intégrée à la narration de la même manière que le roman.
On peut alors se poser la question, serait-il possible de voir le récit bref comme œuvre de
la multiplicité ? Une multiplicité des formes, mais aussi et surtout des sens. On peut voir
que chaque poème est une parcelle, elle-même changeante et multicolore. Le poème est
une parcelle au sein d’un recueil qui peut être vu comme une étendue de champs, où se
mêlent différentes cultures. On parle d’une parcelle changeante, car en fonction des
points de vue, la perspective est différente, et l’interprétation le devient alors aussi. La
Fable par exemple déploie une multiplicité de sens. Et enfin, elle est multicolore pour les
nombreux aspects qu’elle présente, et les différents sens qui peuvent être donnés. Ce
mot de multicolore est parfaitement adapté pour désigner la diversité des œuvres
proposées par le récit bref. La brièveté propose de multiples solutions à l’auteur, comme
au lecteur.
Le récit bref est aussi à rapprocher du dynamisme, une des conséquences possibles
de sa brièveté. L’action se concentre dans ce court récit et apparait avec cette forme
dynamique, avec une fréquence des enchaînements d’actions qui parait dans de
nombreux cas supérieure à celle des romans. Le récit se doit d’être efficace pour ne pas
laisser place à l’ennui. Et tomber dans l’ennui serait un échec total pour l’œuvre mais
aussi pour son créateur. Souvent les œuvres courtes sont porteuses d’intensité du fait de
cette brièveté. Et cette intensité se ressent aussi bien sur la forme et sur le fond de
l’œuvre. D’abord sur la forme, avec son caractère resserré. Il est vrai que lorsque l’on
regarde une fable en entier, de loin, sans la lire elle apparait déjà comme dynamique,
avec une certaine fréquence d’exécution des mots et des vers. Cette fréquence est bien
sûr accentuée par la ponctuation qui y ajoute une forme de rythme, mais aussi par la
présence des rimes qui permet de faire ressortir les mots avec une certaine intonation.
Dans « En vérité » de Michaux, les rimes suivis ainsi que l’accumulation de paroles et la
répétition de certains mots créent un rythme au sein du poème et contribuent à son
dynamisme. Et sur le fond car les évènements s’enchainent généralement selon une
certaine rythmique. Marie de France par exemple joue sur le rythme du récit pour aller à
l’essentiel. Les actions et la narration doivent s’enchainer sans que le narrateur s’en
décroche. Et il est vrai que, étant court, l’ennui n’a pas le temps de prendre place. Le
temps est vraiment court (en comparaison avec le roman), et les évènements
s’enchainent, l’histoire ne comprend alors pas de réelle pause. Chaque élément est
essentiel et a un intérêt, ce qui lui permet d’amener cette efficacité au récit. L’efficacité
d’une œuvre peut aussi se remarquer en fonction de l’intensité de son impact sur l’esprit
humain. En règle générale, une histoire courte marque plus, car elle est plus facile à
retenir dans sa totalité. Les détails et les actions étant moins importants, dans le sens
qu’ils sont moins nombreux, l’histoire dans sa globalité reste plus facilement ancrée dans
les mémoires. On pourrait même assurer que l’on retient plus facilement les détails d’un
récit bref que ceux du romans, qui du fait de la longueur de l’ouvrage, sont
automatiquement plus nombreux. Ces œuvres « (…) laissent dans l’esprit un souvenir
bien plus puissant ». Par exemple tout le monde se souvient de certaines morales
énoncées dans les Fables : « Rien ne sert de courir il faut partir à point » (VI, 6), « La
raison du plus fort est toujours la meilleure » (I, 10), ou encore « Aide toi et le ciel
t’aidera » (VI, 18). En fait, les détails dans le récit bref peuvent être tout aussi importants
que le reste, ce qui remet en cause l’existence de détails dans ces cas-là, puisque chaque
élément est essentiel et participe à la construction de quelque chose dans la narration.
Alors que dans le roman, les détails apportent certes des indications supplémentaires au
lecteur, mais ils sont généralement devancés par l’importance de l’action et de l’histoire
en elles-mêmes. Le récit bref est aussi plus facile à retenir qu’un roman fleuve. Il est
impossible de retenir une œuvre romanesque en entière, même s’il existe là un contre-
exemple, car dans l’Antiquité, on apprenait l’Iliade et l’Odyssée par cœur. Mais
aujourd’hui, dans les écoles, ce sont généralement les Fables, ou bien des poèmes que
l’on fait réciter aux enfants, et pas des romans. Puisque la mémorisation est relativement
simple, il en découle que le message transmis par l’auteur marque plus profondément
les esprits. Les morales restent plus facilement en mémoire comme on l’a dit
précédemment, et la transmission ainsi que la compréhension du message deviennent
plus faciles. L’objectif de pénétrer l’esprit est alors atteint. Mais finalement on note une
caractéristique, qui n’est évidemment pas la seule, mais qui ressort de l’idée de brièveté.
C’est que dans tous les cas le temps de lecture est limité. Même si la brièveté ne peut
pas apparaitre comme la condition unique du récit bref, elle n’en reste pas moins un
élément majeur. Et ce temps de lecture limité permet de construire le récit puisque
l’auteur est conscient que cette brièveté va lui imposer certaines conditions aussi bien au
niveau de la forme que de la composition. Il va aussi imposer des contraintes sur le plan
de la narration et de tout ce qui est raconté (comme on l’a vu précédemment les propos
doivent être beaucoup plus condensés). Et cette contrainte relève d’un choix toujours
personnel de l’auteur, qui le fait dans un but précis. Ces contraintes devront être
respectées pour rester dans le cadre d’un récit bref, au sacrifice parfois de certains
éléments qui auraient pu être davantage développés si on se trouvait dans le cadre d’un
roman.

Tout cela nous amène à nous questionner davantage sur le contenu du récit bref. Du
fait de sa longueur on peut naturellement douter qu’il puisse développer entièrement
tous les éléments et tous les sujets qu’il aborde, et être ainsi aussi complet que le roman.
Certains arguments tendent à prouver que le récit bref peut adopter le même regard que
le roman sur le réel. D’abord de nombreuses œuvres présentent une narration plutôt
conséquente et dense en termes de volume. C’est principalement le cas de la nouvelle.
Cette narration s’apparente d’ailleurs dans beaucoup de cas à celle du roman, par son
réalisme, notamment dans le cas d’une description de personnage ou de lieux. Les
descriptions de la Seine dans « Sur l’eau » de Maupassant on en effet des allures de
descriptions romanesque : «  Le brouillard qui, deux heures auparavant, flottait sur l'eau,
s'était peu à peu retiré et ramassé sur les rives. Laissant le fleuve absolument libre, il
avait formé sur chaque berge une colline ininterrompue, haute de six ou sept mètres, qui
brillait sous la lune avec l'éclat superbe des neiges. De sorte qu'on ne voyait rien autre
chose que cette rivière lamée de feu entre ces deux montagnes blanches ; et là-haut, sur
ma tête, s'étalait, pleine et large, une grande lune illuminante au milieu d'un ciel
bleuâtre et laiteux ». La mimésis occupe donc une place importante au sein de ces récits.
On remarque qu’il y a du récit dans la fable, notamment pour introduire l’action ou
décrire l’action des personnages, que le discours direct ne peut pas exprimer seul. C’est
aussi le cas chez Michaux, qui mélange point de vue interne et point de vue omniscient.
Par exemple dans « Bonheur bête » le narrateur est l’auteur lui-même. Le « Je » est à la
fois auteur et narrateur. Le « je » atteste de la présence de l’auteur dans les évènements
racontés. Le point de vue est interne, et rapproche l’action du narrateur lui-même.
L’homme gâche son bonheur car il redoute sans cesse le moment où le malheur arrivera.
Le fait que l’auteur s’exprime directement, augmente l’effet de vérité de ce qui est
énoncé, car la réflexion semble provenir d’une expérience personnelle. Le récit bref, et
plus particulièrement la nouvelle propose à son lecteur la représentation d’un « instant
de vie », ou « moments of being » d’après l’expression de Virginia Woolf. Elle se donne
pour objectif de représenter la vie de l’homme dans sa banalité, effleurant ainsi le réel
du quotidien de l’homme en général. Il faut aussi rappeler que de nombreux récits brefs
s’inspirent du monde qui nous entoure. Maupassant, pour ses nouvelles s’est inspiré de
faits divers, c’est par exemple le cas de Boule de Suif. Cette nouvelle nous montre
parfaitement les aspects de la société française, ses mentalités, et la hiérarchie des
classes des années 1870. On dit souvent que Maupassant s’est souvent inspiré aussi bien
de la vie rurale et de son fonctionnement, que du monde bourgeois, et de l’univers cruel
de la haute bourgeoisie parisienne. De plus, dans la deuxième moitié du XIXème siècle,
des nouvelles sont publiées dans les journaux. On peut alors parler de nouvelles-
chroniques. La nouvelle s’apparente alors à « une terrible petite machine à fabriquer des
histoires », des histoires en lien avec l’actualité. C’est vrai que l’on peut aisément
imaginer que certaines nouvelles, si les évènements qui y sont racontés s’étaient
réellement déroulés, auraient pu faire l’objet d’articles de presse. La nouvelle en
générale présente donc un lien étroit avec la réalité, même si elle reste avant tout une
œuvre de fiction. Cela revient quand même à la rapprocher du roman. On note d’ailleurs
que selon le dictionnaire Lithé de 1872, période où l’œuvre maupassantienne domine, la
nouvelle est « une sorte de roman très court ». Le XIXème siècle en littérature
correspond au règne des auteurs réalistes et naturalistes. Comme on vient de le dire, ce
réalisme est aussi présent dans le genre de la nouvelle, illustré par le réalisme de la
banalité chez Maupassant par exemple, qui peut même être caractérisé de romanesque
de la banalité. Dans ce cas la nouvelle s’apparenterait à un roman condensé.
Seulement, le récit bref ne peut pas s’attacher à la diversité de la vie humaine et à
toutes ses formes de complexité. D’abord on est forcé de constater que le récit bref,
comme son nom l’indique, est plus court. Cette brièveté peut parfois sembler en effet lui
attribuer certains désavantages en comparaison avec le roman. Grojnowski écrira
« Fermée sur elle-même, contrainte à une perception partielle, elle fait son deuil des
constructions qui rendent compte de ce que Jules Romains appelait « la vie unanime ».
Elle concentre l’intérêt sur des sujets limités, dans l’ignorance des ensembles dont ils
procèdent. Et elle consacre le fragment, le témoignage subjectif, en absolu littéraire ». Il
est vrai que la grande majorité des œuvres issues du récit bref, concentrent l’histoire sur
un aspect de la vie, parfois deux, mais rarement plus. Il serait difficile de traiter d’un
grand nombre de sujets et de thèmatiques en même temps dans un format si réduit, cela
rendrait l’œuvre surchargée et surtout donnerait l’impression d’un récit emmêlé et
« bourré » d’accumulations superficielles. Par exemple dans la nouvelle « Le gueux »,
issue du recueil Contes du jour et de la nuit de Guy de Maupassant, le récit est
uniquement centré sur la vie de malheur et de misère d’un homme de quarante ans
nommé Cloche, qui se déplace en béquilles après s’être fait écrasé par une voiture, qui
mendie devant les hôtels, et qui à la fin de l’histoire meurt de faim dans une cave où on
l’a enfermé après l’avoir frappé à de nombreuses reprises. On s’intéresse ici à un seul
personnage, seulement définit par le caractère misérable de sa vie. On peut émettre
l’idée que la nouvelle ne peut pas rivaliser avec la totalité des sommes romanesques. En
exagérant peut-être, il est possible de dire que la nouvelle est plus simpliste dans le fond
que le roman qui s’attarde plus sur les détails de la vie. Le récit bref en général va droit
au but. Il ne prend en considération que les éléments qui sont strictement nécessaires à
la progression du récit. On peut aussi relever que dans la plupart des récits courts les
personnages sont plutôt simplistes, ou bien correspondent à certains stéréotypes de la
société. Les personnages représentent une généralité, et on y observe peu de diversité.
Les auteurs jouent souvent avec des archétypes, pour essayer de coller avec la réalité.
C’est le cas des animaux de la fable chez la Fontaine. On y retrouve « Le loup », « Le
lion », « La souris », simplement désigne par le nom de leur espèce, mais sans identité
précise ou particulière. Alors que l’homme lui reste toujours un individu particulier. De
plus dans les œuvres de la Fontaine, ces animaux ont un caractère, une attitude qui
correspondent à des idées faites sur l’espèce en question. Par exemple le renard est rusé
et malin, alors que le Lion représente en quelque sorte la figure du pouvoir. Quand il
utilise l’être humain comme personnage il emploie dans certains cas le nom « Homme »,
par exemple dans « l’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans
son lit ». La majuscule ici prouve bien que l’homme est pris dans son ensemble en non en
tant que cas particulier, il désigne ici tous les êtres humains. Chez certains auteurs, les
mêmes personnages reviennent plusieurs fois. Ainsi Maupassant utilise à plusieurs
reprises le personnage de la prostituée (dans « La maison Tellier » ou « Boule de Suif »).
En revanche les personnages chez Sarraute, dans tropisme sont de parfaits inconnus
simplement désignés par les pronoms personnels « il », « elle », ou leurs versions
plurielles « ils » et « elles ». Les seuls indices que nous laisse Sarraute sur eux sont leurs
impressions retranscrites par écrit à un moment donné, même si le cadre reste
particulièrement flou. Ces poèmes sont à la fois à distance du particulier car les
personnages n’ont pas d’identité, et même temps proche d’une forme d’individualité car
ils traitent des ressentis, des émotions, « des mouvements de l’âme » selon l’expression
de Sarraute, donc de réactions personnelles et propres à un individu. On remarque aussi
que beaucoup de récits brefs sont regroupés sous formes de recueils. Cette stratégie du
recueil permet aux auteurs de combiner ou de multiplier les messages en un seul
ouvrage, mais en plusieurs récits. La Fontaine a regroupé ses Fables en douze livres, et
toutes ces fables misent ensemble permettent par exemple de dresser un portrait de la
société. De plus le lecteur peut faire un lien entre les différents récits : le renard de la
fable « Le Corbeau et le Renard » (I, 2), qui par la ruse réussit à tromper le corbeau afin
de récupérer son fromage, est finalement punit dans « le Renard et la Cigogne » (I, 18)
pour s’être joué de cette dernière. On observe ici des relations d’échos et de
correspondance entre les différents fragments. Les récits brefs ont donné lieu à la
construction de plusieurs ensembles centrés sur un thème commun. C’est le cas dans
Fugitives d’Alice Munro, composé de huit nouvelles dont le thème principal est la fuite. Il
n’est question que de ça, de fuites de femmes, qui veulent fuir leur passé, leur mari,
leurs obligations enfin de s’aventurer dans une nouvelle vie. Alice Munro nous éclaire
alors sur les différentes façons par lesquelles une femme peut fuir un environnement
qui l’oppresse. On note également que le récit bref offre une grande liberté au lecteur :
le sens de lecture n’étant pas totalement imposé, contrairement au roman, il peut se lire
dans tous les sens, cela dépend des choix du lecteur.
On arrive cependant à la conclusion que malgré les multiples avantages et possibilités
que le récit bref offre à l’auteur et au lecteur, il reste toujours dans l’ombre du roman,
qui lui aussi présente de nombreux avantages. On peut cependant constater que le récit
bref n’est pas toujours resté en retrait. Il a par exemple connu un succès particulier au
Moyen-Age, époque durant laquelle le concept de nouvelle apparait pour la première
fois avec le Décaméron de Boccace. Plus tard, au XVIIIème siècle, ce sera au tour du
conte te briller puisqu’il y connaitra son âge d’or. Puis au XIXème, la nouvelle connait une
grande expansion grâce à la presse, permettant au récit bref d’atteindre son apogée. On
retient notamment les grands auteurs comme Maupassant ou Mérimée. Mais malgré ce
succès, le XIXème siècle signe également l’apogée du roman, qui dépasse tous les autres
genres détrônant au passage le théâtre. La nouvelle, et le récit bref en général, vivent
dans l’ombre du roman, si bien que l’on peut parler d’un impérialisme du roman, parfois
perçu comme « un genre totalitaire ». Le roman qui intègre de nombreux éléments dans
son récit, annexe par la même occasion une grande partie des domaines du savoir, et
prétend restituer la totalité de l’expérience humaine, ou en tout cas bien plus que le récit
bref. En France le roman a donc beaucoup plus de succès. Cependant c’est l’inverse en
Angleterre : le récit bref attire et conquis davantage de lecteurs que le genre
romanesque, qui passe alors au second plan. Mais globalement (et malgré cette
exception britannique) on retient que le roman est devenu l’archi-genre, le genre
triomphant, qui passe au-dessus du théâtre, de la poésie et aussi du récit bref. Et cela est
dû au fait, comme on l’a vu précédemment, qu’il prétend représenter les différents
aspects de la condition humaine. La nouvelle considérée parfois comme un « petit
roman », développe alors une sorte de « complexe d’infériorité », comme un genre que
l’on placerait au second plan. En France certains vont d’ailleurs essayer de pousser
Maupassant à écrire des romans, ce qu’il fera en écrivant Bel Ami ou Pierre et Jean. Le
récit bref s’est donc fait éclipser par le roman, mais même si globalement il reste moins
populaire, cela ne remet pas en cause sa légitimité puisqu’il nécessite un véritable travail
et une profonde réflexion de la part de l’auteur, notamment quant à sa composition, afin
de parvenir à l’effet final souhaité par celui-ci.

Finalement, on peut constater que du fait de sa brièveté, le récit bref doit tendre vers un
effet voulu, à une fin qui pourrait convaincre et plaire au lecteur. Mais cet effet ne doit en
rien être laissé au hasard, et doit être minutieusement préparé et élaboré en amont par
l’auteur pour que le récit soit cohérent. Dès le départ l’objectif est d’arriver à cette fin. Le
début du récit bref travaille déjà à la préparation de la fin, et pour cela on peut reprendre le
vers 31 de la fable V du livre III des Fables de La Fontaine, « En toute chose il faut considérer
la fin ». Le lecteur quand il débute sa lecture ne doit pas se douter de ce qui va suivre, mais
l’auteur lui, quand il écrit, doit normalement déjà savoir comment et de quelle manière il va
vouloir clore son ouvrage. C’est pourquoi tout le récit va être adapté à cette fin. Chaque
détail, chaque phrase et même chaque mot doit être pensé pour rendre cohérente cette fin,
et même si le lecteur ne s’en rend pas compte, tout provient de l’intention de l’auteur. Mais
pour le lecteur cela passe inaperçu car c’est quelque chose qui lui parait naturel, alors qu’en
réalité tout est issu d’une profonde réflexion. Pour Baudelaire « l’artiste(…) inventera les
incidents, combinera les évènements les plus propres à amener à l’effet voulu ». On peut
même suggérer que la plupart des auteurs commencent par préparer la fin de leur histoire
dans tous ses détails, et remontent progressivement en arrière quand ils élaborent leur récit,
pour finalement arriver au début, pour que ainsi toutes les actions soient en adéquation
avec celles qui les précèdent et celles qui les suivent, reliées par un lien solide de logique
rendant le tout harmonieux. C’est comme s’il faisait le chemin inverse de celui
qu’empruntera le lecteur. Le récit bref étant court ne doit rien laisser au hasard, tout doit
être calculé avec précision par l’auteur, pour que le divertissement et la moralité puisse se
retrouver, et être en accord au sein d’une même œuvre limitée du point de vue de la
quantité, avec avant tout l’objectif d’être compris par le lecteur. On remarque cela dès la
première phrase d’un récit qui est délibérément choisie par l’écrivain. Et cette phrase,
contrairement à ce que l’on pense, est d’une grande importance. On dit souvent que dans
les films, les premières secondes illustrent la fin de l’histoire. Les choix des premiers et
derniers plans ne sont jamais anodins. Et il en va de même en littérature. C’est pourquoi il
est parfois intéressant d’étudier avec précision la première phrase de certains ouvrages. Elle
ne révèle pas forcément la fin, mais est en tout cas intimement liée avec ce qui suit dans le
récit. C’est par exemple le cas dans La princesse de Clèves de Madame de la Fayette, définie
en son temps comme une « nouvelle galante ». L’œuvre commence ainsi : « La magnificence
et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années
du règne de Henri second ». Madame de la Fayette voulait dès le début de son roman
insister sur le cadre et le contexte magnifique de l’histoire, et elle ne pouvait pas mieux le
faire qu’en commençant par le nom « magnificence ». Cette société se caractérise par une
« magnificence » sans égal, c’est-à-dire par un luxe et un raffinement du meilleur goût, le
mot lui-même revient fréquemment dans la suite de l’œuvre. Tout est magnifique,
grandiose, éblouissant, à la limite du parfait. Le lecteur est directement, dès la première
phrase et même dès les premiers mots, plongé dans un univers à la fois réaliste mais aussi
éclatant et remarquable, celui de la cour de France. Mais les derniers mots de la phrase « les
dernières années du règne de Henri second », viennent nuancer les premiers. Après avoir
évoqué le bonheur, les plaisirs et la brillance, la phrase prend tout à coup, assez
soudainement, une tournure aux allures dramatiques. On est ici au début de l’ouvrage, et
pourtant l’auteur semble déjà vouloir nous projeter plus loin dans l’histoire, puisque les
« dernières années » renvoient directement à la fin de quelque chose, et dans ce contexte-
là, à la mort (à celle du roi bien-sûr mais aussi à celle de monsieur de Clèves). On se
rapproche de la fin avant même que l’intrigue ait commencée. Après le magnifique, on passe
donc au tragique, à l’image de l’histoire racontée dans ce recit qui se terminera par
l’essoufflement des passions et des sentiments entre Madame de Clèves et Monsieur de
Nemours. Aussi, l’auteur, tout au long de son récit travail déjà sur la morale, quand elle est le
but principal de l’œuvre. Le récit bref est d’ailleurs vu comme l’œuvre symbolique de la
morale. Dans les Fables, le récit permet d’illustrer une morale généralement énoncée à la
fin. On peut s’appuyer sur « La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf » (I, 3),
où le morale est énoncée dans les quatre derniers vers : « Le monde est plein de gens qui ne
sont pas plus sages /Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs/ Tout petit prince
a des ambassadeurs/ Tout marquis veut avoir des pages. » L’image de cette grenouille qui
essaye d’égaler la taille d’un bœuf permet à La Fontaine de dresser une satyre de la vanité
humaine, de la bourgeoisie de son époque et de l’orgueil, explicitement citée dans la orale
de cette fable. En revanche quand la morale est énoncée dès le début, elle donne déjà une
idée au lecteur sur la suite et surtout sur l’issue de la fable, comme dans « Le Loup et
l’Agneau » (I, 10) où l’on sait dès les deux premiers vers que « la raison du plus fort » va
l’emporter. Le début et la fin dans le récit bref sont donc liés, et chaque élément tend à
préparer cette fin.
Il ne faut par contre pas oublier que l’un des objectifs que souhaite atteindre l’auteur
est de plaire au lecteur. Il souhaite atteindre son lectorat. Mais la lecture relève aussi du
travail de chaque lecteur, c’est pourquoi on peut parler d’une collaboration auteur-lecteur.
Chaque récit est destiné à un certain public, et tout écrivain cherche à s’adapter à son
lectorat. L’auteur évalue les connaissances de son interlocuteur pour impliciter ce qui est
connu de lui, et expliciter ce qui doit l’être. Jean-Michel Adam, dans Le récit parle d’un
contrat narratif de l’échange qui « s’appuie sur un savoir (supposé) partagé ». Jean de La
Fontaine écrit pour le public mondain du XVIème siècle, donc pour des personnes avec un
savoir et une culture supposées suffisamment développées. Pour les contes on peut aussi
observer ce phénomène. Etant lus par beaucoup d’enfants, il faut que les histoires traitent
de sujets abordables à un jeune public. Les mots encore une fois sont minutieusement
choisis, pour des questions de lisibilités de l’œuvre. Les enfants doivent pouvoir comprendre
le sens de l’histoire. Tout dans l’histoire est adapté à cela et ne doit pas être inconvenant. Il
s’agit donc d’un travail que fait l’auteur pour son lecteur. Mais ce dernier travaille aussi pour
cette œuvre dans le sens où il donne une interprétation à ce qu’il lit. En quelques sortes il
donne son propre sens au récit, même si le message de l’auteur reste quand même orienté.
Mais malgré cela de multiples interprétations sont possibles, le lecteur à le choix. Il joue
donc un rôle important dans le message que renvoie l’œuvre, car c’est lui qui reçoit ce
message et qui l’interprète à sa façon. La part du lecteur dans l’interprétation du récit bref
est immense, car l’œuvre lui fournit le moins possible, ou en tous cas moins que le roman,
du fait de sa brièveté. Parfois la fin semble inachevée. Rien n’est résolu, et c’est justement là
le génie et l’intérêt du texte. Etant inachevé, il s’ouvre à de multiple interprétations. C’est
une sorte de liberté que laisse l’auteur à son lecteur. Dans « Emme et le vieux médecin »,
extrait de La nuit remue, Henri Michaux laisse la liberté à toute personne d’interpréter ce
passage, et de trouver ce qu’il voulait transmettre par ce récit. Et pour tous les récits
l’interprétation dépendra des expériences de chaque lecteur. La réflexion de celui qui lit est
donc importante. C’est d’ailleurs là la stratégie de l’apologue, faire réfléchir. On pourrait
même ajouter « plaire pour mieux pénétrer l’esprit », car une histoire satisfaisant amène
automatiquement à la réflexion. Au contraire un récit ennuyeux et sans intérêt laissera de
marbre le lecteur. Il restera dans l’indifférence. C’est donc pour cette raison que l’auteur doit
tout faire pour satisfaire et plaire à son lecteur, pour que le message ou la morale qu’il
renferme soient interceptés et non rejetés. Et pour susciter la curiosité il faut d’abord
atteindre l’âme en jouant sur le plaisir de la découverte. On fait passer une leçon sous une
forme ludique. C’est l’une des pédagogies du récit bref, à savoir associer le plaisir et
l’éducation.
Enfin la brièveté implique une forme d’esthétique qui nécessite elle aussi une
stratégie de composition. C’est pourquoi le récit bref relève de la maitrise d’un certain art de
la part de l’auteur, et ce sur plusieurs points. Esthétiquement parlant le caractère resserré
du récit bref le rapproche de la poésie. Même si dans la citation de Baudelaire il est
considéré que seule la poésie renferme les trésors « les plus riches, les plus précieux », le
récit bref s’attache parfois à en faire son modèle. Ils se ressemblent déjà par leur brièveté. La
fable pourrait être (si on simplifie) une sorte de poème avec une morale. La différence serait
qu’elle cherche à atteindre l’esprit alors que la poésie cherche avant tout à atteindre le
lecteur par son esthétique, la beauté des mots ou l’émotion. Certaines fables sont aussi
versifiées, avec souvent des alexandrins, et dans les œuvres de La Fontaine la rime est
toujours présente. Sarraute, elle joue sur les répétitions et les sons, et ne fait pas de
distinction entre la poésie et la prose, alors que Michaux semble parfois donner un rythme
et jouer sur les rimes dans ces récits. On peut le voir dans « Petit » : « Oh ! Je n’ai pas à me
vanter : Petit ! Petit !/ Et si l’on me tenait, / On ferait de moi ce qu’on voudrait. » Cet art de
la composition dans le récit bref, va surtout être développée par les Romantiques allemands.
Pour eux, le fragment se charge d’une valeur métaphorique et traduit l’impossible unité du
monde. Cette efficacité esthétique rapproche le récit bref du poème. Seuls quelques vers
suffisent à esquisser une description du monde ou à faire passer un message au travers de la
versification. Mais si on s’intéresse plus à l’aspect narratif du récit bref, on s’aperçoit qu’il
s’agit aussi d’un véritable art. Il peut aussi bien s’attacher à raconter un évènement banal ou
décisif. Il peut raconter une journée, quelques instants ou bien prendre l’échelle de la longue
durée. Le cadre du récit bref est changeant. Il peut dévoiler une vie entière, comme dans
« une fille de ferme » de Maupassant. Et si la lecture est non-fragmentée en règle générale,
le récit lui peut l’être, notamment lorsqu’il dévoile seulement une tranche de vie, ou dévoile
uniquement quelques instants. Comme dans le roman la place du narrateur est alors
cruciale. Si les échelles du récit varient en fonctions des ouvrages et des auteurs, l’art
narratif du récit bref peut globalement être généralisé par deux termes : simple et concis. Et
si l’on revient encore une fois à la question de la composition, c’est cet art narratif qui
permet d’orienter l’histoire vers une fin logique. L’exemple le plus commun est la nouvelle à
effet de chute. Pour parvenir à surprendre le lecteur, l’écrivain doit pouvoir maitriser l’art du
revirement, qui relève lui-même de l’art de la composition. Cela nécessite d’être
suffisamment habile avec les mots employés. Tout doit finir par permettre d’arriver à ce
revirement tout en conservant précieusement le suspense. Ces nouvelles à effet de chute
pourront donc suivre un schéma simple composé d’une mise en contexte (ou début du
récit), de l’arrivée d’un élément perturbateur, des péripéties et enfin d’une chute, sensée
surprendre et être inattendue. Chez Maupassant la nouvelle « La Parure » (Contes du jour et
de la Nuit) illustre bien se schéma. Mme Loisel, mariée à un commis du ministère rêve d’une
vie distinguée. L’élément perturbateur est l’invitation à une soirée mondaine qu’elle reçoit
avec son mari, alors qu’elle ne possède ni robe, ni bijoux appropriés. Ensuite les péripéties
sont illustrés par « la rivière de diamant » que son amie lui prête, mais qu’elle perd lors de la
soirée (on peut ici voir également une sorte de deuxième élément perturbateur), et la vie de
misère qu’elle mène durant dix ans afin de remboursée la dette du collier de diamants.
Finalement la chute arrive lorsque son amie qu’elle n’avait pas vue depuis des années, lui
apprend que le collier était un faux. Ce revirement soudain, change complètement la vision
que le lecteur peut avoir sur ce qu’il vient de lire. Il voit soudain l’histoire sous un tout
nouvel angle, et elle peut alors sembler totalement différente de ce qu’elle paraissait au
début. On voit donc bien que toutes ces raisons nous montrent que le récit bref nécessite
une maitrise d’un art à la fois esthétique et narratif afin d’atteindre avec précision l’effet
final voulu, et donc ainsi combler le lecteur en l’invitant à chercher plus de sens encore
derrière les mots.

Pour conclure, l’économie est une caractéristique incontestable du récit bref quand
on le compare aux sommes romanesques. Mais cette brièveté n’est pas sans
conséquences puisqu’elle produit des effets visibles sur l’œuvre toute entière et impose
des contraintes à l’auteur. Si l’on continue la comparaison avec le roman, elle a pour
avantage d’imposer une certaine dynamique, et d’être originale par sa diversité, car elle
regroupe des genres variés. Cependant si le lecteur souhaite obtenir une vision complète
du réel et de la complexité de la vie, le roman s’impose largement car sa longueur
s’approprie davantage à raconter et à peindre la complexité de la vie, par rapport au
récit bref, dont la taille ne permet pas d’approfondir pleinement les situations. Malgré
cela le récit bref n’en reste pas moins un genre légitime, qui occupe une place
importante dans la littérature car il porte un nouveau regard sur le récit et sa
composition.
I. Certes la brièveté du récit bref présente des avantages
A) Une lecture non-fragmentée
1. On peut tout lire d’une seule traite
2. Œuvre de la totalité, « totalité d’effet »
3. Le récit bref et la facilité de compréhension
B) Un genre diversifié
1. Le récit bref contient plusieurs genres
2. La part importante de l’oralité
3. Le RB comme œuvre de la multiplicité ? Chaque poème est une parcelle, elle-même
changeante et multicolore.
C) Brièveté = dynamisme
1. Il doit être efficace pour ne pas laisser place à l’ennui
2. Le récit bref est court → marque plus l’esprit et est plus facile à retenir
3. Finalement une condition majeure (mais pas unique) : un temps de lecture limité

II. Mais le récit bref, du fait de sa longueur, peut-il vraiment tout développer et être
aussi complet que le roman ?
A) Le récit bref adopte un certain regard sur le réel : exemple de la nouvelle
1. Une narration importante, la représentation d’un instant de vie
2. La nouvelle en lien avec l’actualité
3. Nouvelle = « sorte de roman très court »
B) Seulement il ne peut pas s’attacher à la diversité de la vie humaine et à toutes ses formes de
complexité
1. La brièveté du récit bref peut être un désavantage par rapport au roman
2. Peu de diversité des personnages
3. Le recueil
C) Le récit bref toujours dans l’ombre du roman
1. L’évolution du récit bref
2. Roman = genre triomphant en France / différence avec l’Angleterre

III. Du fait de sa brièveté, le RB doit tendre vers un effet voulu

A) Le début travaille déjà à la préparation de la fin : « En toute chose il faut considérer la
fin » (III, 5, vers 31)
1. Rien n’est laissé au hasard
2. L’importance de la première phrase 
3. Travail déjà sur la morale : dans les fables le récit permet d’illustrer la morale
généralement énoncée à la fin. La symbolique de la morale
B) Une collaboration auteur-lecteur. L’auteur souhaite atteindre son lectorat
1. Le récit bref est destiné à un certain public, l’auteur s’adapte à son lectorat
2. Le lecteur a le choix de l’interprétation
3. La stratégie de l’apologue : plaire pour mieux pénétrer l’esprit
C) Brièveté = une forme d’esthétique qui nécessite une stratégie de composition
1. Un caractère resserré qui le rapproche de la poésie
2. Un véritable art narratif= différente échelles du récit possible
3. Question de la composition, orientée vers une fin logique (ex : nouvelles à effet de chute)

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