Votre nom est Pierre de Dresde. Vous êtes professeur à la Faculté des arts de Prague, vers 1400, et devant vos élèves, pour en expliquer les 49 puissances chez l’homme, vous feriez ce dessin . L’étudiant peine. Sur sa feuille, il reproduit la figure et ses indications puis au milieu de cette boîte, comme inscrit dans une constellation, il note : Sifem. Sifem, c’est un acronyme, qui sert de pense-bête : — S pour sens commun; — I pour imagination; — F pour fantaisie; — E pour estimative; — M pour mémoire. Tout ce que l’apprenti doit savoir s’y résume. C’est un legs gréco-arabe passé dans le monde latin, où deux histoires 50 se mêlent, celle de la philosophie, celle de la médecine . Ces têtes de manuscrit ont leurs nuances, un lexique variable selon leur tradition, mais pour l’essentiel, elles présentent la même chose. Le cerveau n’est plus comme chez Aristote un simple organe de refroidissement du corps. Divisé en trois cavités principales, trois chambres, trois ventres, où se localisent plusieurs puissances psychiques articulées les unes aux autres, il constitue chez l’homme en deçà de l’intellect le champ de traitement des données sensorielles. L’individu sent au-dehors, perçoit au-dedans, en recevant des « formes », puis triture, raffine et redistribue l’ensemble de ce qu’il a reçu et modifié. C’est souvent la conception d’Avicenne qu’on retient, dont le Canon, 51 son traité de médecine, fut la référence majeure . Il y aurait cinq puissances du sens dit interne : dans la première cavité 52 du cerveau, à l’avant, le sens commun ou fantaisie , qui récolte et perçoit ce que les sens externes (l’ouïe, la vue, le toucher, le goût, l’odorat) ont appréhendé et transmis; dans cette même cavité, mais à l’arrière, l’imagination, qui n’est rien qu’un pouvoir de conservation de ces perceptions centralisées; dans la cavité centrale, à l’avant, l’imaginative, ou cogitative (quand l’intellect la pilote), qui consiste à composer et à diviser les images entre elles (jusqu’au délire), puis, à l’arrière, l’estimative, qui perçoit ce qu’Avicenne appelle des « intentions » (ma'ānī), lesquelles sont comme des aspects, des propriétés non sensibles du sensible, et dont 53 l’exemple fréquent est l’hostilité du loup « estimée » par la brebis ; dans la dernière cavité, enfin, la mémoire, qui fait le dépositaire, le « trésor » de ce que l’estimative a capté, comme l’imagination frontale conserve ce que le 54 sens commun saisit . Avicenne le détaille ainsi dans son Livre de la genèse et du retour : La première est la puissance de la fantaisie, on la nomme “le sens commun”. C’est celle à laquelle les sens amènent ce qu’ils ont senti. <…> Vient ensuite la puissance imaginatrice (ḫayāliyya). C’est celle qui retient ce que les sens ont amené comme formes sensibles. La différence entre elle et la première puissance, c’est que la première est une puissance réceptrice tandis que l’imagination est une puissance rétentrice. <…> Une autre puissance suit la puissance imaginatrice. Lorsqu’elle se trouve dans les hommes et que l’intellect l’utilise, cette puissance est nommée “puissance cogitative” (mufakkira). Lorsqu’elle se trouve dans les animaux ou dans les hommes et que l’estimative l’utilise, elle est nommée “puissance imaginative” (mutaḫayyila). La différence entre elle et l’imagination, c’est qu’il n’y a dans l’imagination que des choses prises des sens tandis que l’imaginative peut composer, disjoindre et faire advenir comme formes des choses qui n’ont jamais été senties et ne le sont absolument pas : un homme volant par exemple et un individu dont la moitié serait un homme et l’autre un arbre. La puissance de l’estimative suit ces puissances. C’est elle qui saisit, dans les sensibles, des intentions non sensibles. La preuve qu’il y a dans l’animal une pareille puissance, c’est que l’agneau, lorsqu’il voit le loup, s’effraie et s’enfuit. <…> Mais quand il voit la chèvre qui l’a fait naître, il soupire après elle. <…> Ainsi l’animal distingue-t-il son compagnon, celui qui lui fait du bien, et il veut le suivre. Il saisit aussi l’adversité de celui qui lui fait du mal parmi les hommes, il le fuit et lui veut du mal. Or il est impossible que les sens saisissent ce qui n’est pas sensible, les sens ou l’imagination. Il reste donc que, dans l’animal, il y a une puissance qui saisit ces intentions non sensibles qui existent dans les sensibles. Cette puissance est nommée “estimative”. Une autre puissance la suit, qui est un trésor pour elle et que l’on nomme “mémoire” (ḏikr) et “rétention” (ḥifẓ). Le rapport de la mémoire et de la rétention à ce que l’estimative saisit est le rapport de l’imagination (al-ḫayāl) à ce que le sens saisit. L’imagination et la fantaisie sont à l’avant du cerveau, dont le principe est le cœur. L’imaginative et l’estimative sont au milieu du cerveau, dont le principe est aussi le cœur. La mémoire et la rétention sont à l’arrière du cerveau, dont le principe 55 est encore le cœur .
Averroès simplifie. Trois cavités, trois puissances. À l’avant du cerveau,
l’imagination (ou imaginative), chargée de conserver ce que le sens commun a perçu. Au centre, la faculté dont la modernité perdra jusqu’au nom : la cogitative. Sous l’influence de l’intellect, cette dernière sert d’interface et doit agir sur les images, tantôt par division (en extrayant de l’image ce qu’Averroès appelle, lui aussi, une « intention »), tantôt à l’inverse par composition (en combinant image et « intention » mémorisée). À l’arrière, enfin, dans la dernière cellule, la mémoire (ou remémorative), dont la fonction est de percevoir puis de sauvegarder (et de restituer, s’il le 56 faut) ce que la cogitative aura abstrait . Imaginative, cogitative, remémorative, telles sont les trois puissances qui dans l’homme font l’intermédiaire entre le sensible et l’intelligible. Et tout consiste pour l’individu dans le jeu de ces facultés, qui s’appelle cogitation. C’est là, dit Averroès, que l’homme diffère de la bête; là que les 57 hommes diffèrent entre eux dans le partage du pratique et du théorique . C’est là, pour chacun, qu’est le battement de sa forme.
Énergie Psychique Et Magiciens Modernes La Quatrième Dimension de Lespace Et Le Quatrième État de La Matière, La Photographie... (Albert Leprince) (Z-Library)