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Ciutats regió globals = Villes-région mondiales

Allen J. Scott, John Agnew, Edward W. Soja, Michael Storper


(2002)
VILLES -RÉ GION MOND I ALES Núm.: 235 Ciutat usada II = Ville usagée II
Revue : Quaderns d'arquitectura i urbanisme
l ntroduction

11 existe a l'heure actuelle dans le monde plus de trois cents villes-région ayant plus d'un mi Ilion d'habitants, dont au moins vingt dépassent les
dix millions. Ces villes-région vont depuis les agglomérations métropolitaines typiques dominées par un centre fortement industrialisé, comme la
région de Londres ou la ville de Mexico, jusqu'aux unités géographiques polycentriques telles que les réseaux urbains de Randstad ou de
I'Émilie-Romagne. Les processus d'intégration économique mondiale et la croissance urbaine accélérée compliquent de plus en plus. dans ces régions.
a
les stratégies traditionnelles de planification et de gestion. Le concept de ville-région mondiale renvoie la notion de ville mondiale de Hall (1966)
et de Friedmann et Wolff (1992), ainsi qu'a celle de ville mondiale de Sassen (1991). Bien que nous puissions suivre ces premieres propositions,
nous tenterons d'élargir la portée du concept en termes économiques, politiques et territoriaux. et surtout de montrer la fonction croissante des
villes-région en tant que nceuds spatiaux de l'économie mondiale et acteurs politiques. De fait, au lieu d'avoir été dissoutes comme objets sociaux
et géographiques par les processus de mondialisation, les villes-région sont devenues des acteurs fondamentaux. tout spécialement lorsque
-parallelement adivers changements technologiques- elles ont été réactivées comme base de toutes les formes d'activité productive. aussi
bien dans les secteurs manufacturiers que dans celui des services, dans ceux de haute et de basse technologie. 11 est aujourd 'hui évident que la
ville. au sens strict. est une unité d'organisation sociale loca le moins appropriée ou moins viable que la ville-région ou le réseau régional de villes.
On peut d'ailleurs trouver une expression tangible de cette idée dans les formes de consolidation qui apparaissent avec l'établissement de coa-
litions régionales de la part d'unités adjacentes d'organisati on politique locale. Dans ce processus. les villes-région mondiales ont émergé au
cours de ces dernieres années comme un phénomene géographique et institutionnel nouveau et décisif de la scene mondiale.
Le texte ci-dessous est centré sur cinq questions : 1. Pourquoi les villes-région mondiales croissent-elles si rapidement. précisément au
moment ou certains analystes annoncent la fin de la géographie et que le monde commence a etre un espace de flux non localisé ? ; 2. Comment
les formes d'organisation économique et sociale des villes-région ont-elles répondu a la mondialisation, et quels nouveaux problemes en ont
découlé ? ; 3. Ouelles sont les initiatives que doivent affronter les villes-région mondiales si elles veulent conserver ou augmenter leurs richesse
et leur état de bien-etre ? 4. Les zones du monde les moins avancées économiquement pourront-elles bénéficier des avantages potentiels du
développement de la ville-région mondiale et quels sont les principaux désavantages que ce développement implique ? 5. Comment peut-on
définir l'intéret public dans certaines villes-région mondiales culturellement hétérogenes. et. tout particulierem ent. comment les notions
traditionnelles de démocratie et de citoyenneté sont-elles modifiées avec l'émergence des villes-région mondiales?

Le nouveau régiona l isme dans le contexte mondial

Pendant les premieres décennies de l'apres-guerre, presque tous les grands pays capitalistes se caractérisaient par des gouvernements centraux
forts et des économies nationales strictement délimitées. lis constituaient un bloc politique au sein du systeme d'une pax americana étayée par
un réseau de conventions internationales -Bretton Woods, la Banque mondiale, le FMI, le GATI- dont la finalité était de réguler les échan-
ges économiques. Malgré la forte croissance du commerce international et des flux d'investissements au cours de l'apres-guerre, ceux-ci ont a
peine affecté la capacité des États a appliquer des politiques économiques internes propres. Chaque État disposait d'une structure institution-
nelle spécifique qui, a un degré plus ou moins élevé, conformait les processus sociaux et démographiques. et sous-tendait un systeme urbain
caractéristique. A l'heure actuelle, la mondialisation a imposé des transformations significatives de r ancien ordre des choses. Diverses expé-
riences institutionnelles ont été mises en place qui visent une nouvelle organisation politique et sociale de l'espace. Cette nouvelle organisation
consiste, pour l'essentiel. en une hiérarchie des échelles territoriales de l'activité économique et des relations de gouvernement indépendantes.
qui vont du domaine mondial au cadre local. et dans lesquelles le nouveau systeme des villes-région mondiales occupe une place prééminente.
En ce qui concerne cette hiérarchie, quatre éléments doivent etre pris en compte :
1. Une grande partie de l'activité économique - les séries input-output, les migrations, le commerce. l'investissement étranger direct, les
opérations d'affaires internationales. les flux monétaires. etc.- ont lieu sur de vastes réseaux transnationaux. Plus la mondialisation

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progresse, plus il y a de confl its et de problemes, tels que les diverses tentatives de création d'institutions en rapport avec ces
réseaux, parmi lesquel les on remarquera les grandes conventions financieres et commerciales internationales en vigueur telles que
le G7/G8, I'OCDE (Organisation pour la coopération et le déve loppement économiques). la Banque mondiale, le FMI (Fonds
monétaire international) et un GATI (General Agreement on Tariffs and Trade) rénové, aujourd'hui appelé OMC (Organisation mondiale
du commerce). Bien que ces réponses po litiques spécifiq ues aux pressions de la mondial isation contin uent a avoi r une portée
limitée et une autorité réelle contestée, elles pourraient s'étendre et se consolider au fur et a mesure que le capitalisme poursuivra
sa mondialisation.
2. Au cours des dernieres décennies les blocs multinationaux tels que I'UE, le NAFTA. le Mercosur, I'APEC, le CARICOMO, etc. ont proliféré.
Ces blocs représentent aussi des réponses institutionnelles aux tensions générées par les débordements constants des capitalismes natio-
naux au-dela de leurs frontieres politiques traditionnelles. A l'heure actuelle, ils se trouvent a divers stades de leur développement,
I'Union européenne étant clairement a l'avant-garde.
3. Les États souverains et les économies nationales demeurent des éléments dominants du panorama politique et économique actuel.
meme s'ils vivent une profonde transformation. Les États ne jouiront plus longtemps du meme niveau d'autonomie politique souveraine
qu'ils ont eu et, dans les conditions imposées par l'intensification de la mondialisation, ils disposeront de moins de moyens pour proté-
ger !'ensemble des intérets régionaux et sectoriels au sein de leurs juridictions. Divers secteurs économiques ont été soumis a des délo-
calisations massives au cours de ces dernieres décennies, de telle maniere qu'il est de plus en plus difficile, sinon impossible, d'établir
avec exactitude ou commence, par exemple, l'économie des États-Unis et ou commencent les économies allemande et japonaise. En con-
séquence, certaines fonctions de régulation qui étaient auparavant réalisées sous la protection de I'État central ont été assimilées par
des institutions supranationales ; parallelement, d'autres fonctions ont été déléguées a des institutions dont le niveau d'action est plus
local ou régional.
4. 11s'est produit. dans cette meme ligne, une résurgence des formes d'organisation économique et politique au niveau régional, dont cer-
taines grandes villes-région mondiales constituent l'expression la plus claire. Ceci dit, les trajectoires économiques et politiques de ces
villes-régi on ne peuvent pas etre comprises dans leur totalité si ce n'est par rapport a la hiérarchie complexe des échelles territoriales
interdépendantes mentionnées auparavant. La notion de résurgence des organisations économiques et politiques au niveau régional
requiert un plus grand développement. La tendance de certains types d'activité économique -aussi bien dans le secteur industrie! que
dans celui des services- a se concentrer en regroupements denses situés dans une zone concrete -les clusters- semble s'etre
intensifiée au cours de ces dernieres décennies. Cette recherche de proximité réciproque de la part de tous les types d'agent écono-
mique esta un degré significatif une réponse stratégique a la concurrence économique exacerbée qui, dans de nombreux secteurs, a
fait augmenter l'insécurité et a fait primer la formation et J'innovation. Ce processus de regroupement apporte aux entreprises des ni-
veaux de flexibilité opératoire supérieurs et augmente leurs capacités d'innovation. Les grandes villes-région sont devenues des plates-
formes territoriales depuis lesquelles les regroupements ou les réseaux d'entreprises se disputent les marchés mondiaux. Tout en étant
soumises a d'intenses pressions concurrentielles transfrontalieres, de nombreuses villes-région se trouvent confrontées a de nouveaux
problemes d'intégration et de représentation politiques locales, tout particulierement urgentes a une époque ou elles agissent comme
des paJes d'attraction de travailleurs immigrés, main-d'ceuvre bon marché, qui constituent fréquemment des groupes sociaux margina-
lisés. En conséquence, il est nécessaire de résoudre les questions en rapport avec la participation politique de ces groupes sociaux, la
reconstruction locale de l'identité politique et la citoyenneté. La nouvelle carte du monde qui est en train de se former a mesure que
ces tendances apparaissent peut etre représentée pour une bonne parten termes des quatre échelles territoriales intersectées de rap-
ports économiques et politiques décrites précédemment. conjointement a une série de formes relationnelles transversales qui vont
depuis les associations civiles internationales jusqu'aux opérations a longue distance des entreprises multinationales. A la base géo-
graphique de tout le systeme se trouve une mosa·lque ou un archipel de grandes villes-région qui constitue l'un des principaux réseaux
structurels de la nouvelle économie mondiale (Veltz. 1996).

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Vílles-région mondialcs

La géographie sociale des villes-région mondiales

Les torces qui sont a !'origine de l'apparition des villes-région mondiales ont eu une remarquable influence sur leur géographie sociale interne :
dans les modeles de stratification socia le, de distribution intra-métropolitaine du revenu et de la démographie, ainsi que dans les formes de
vi e. Trois conséquences émergent parmi ces etfets localisés de la mondialisation et de la restructuration économique.
La premiere est la croissante hétérogénéité culturelle et démographique due principalement a la migration a grande échelle. L'immigration
s'est dirigée dans une plus grande mesure vers les vastes villes-région, et a créé des agglomérations urbaines parmi les plus diverses du point
de vue culture! de l'histoire. Comme tant de phénomenes qui ont caractérisé cette époque de mondialisation intensive, cette plus grande hété-
rogénéité culturelle est associée aussi bien au risque de conflits qu'aux nouvelles opportunités de création pour la mobilité et la justice sociales.
La deuxieme grande conséquence est un profond changement de la morphologie spatiale. Alors que la plupart des zones métropolitaines
du passé étaient pour l'essentiel centrées sur une ou deux villes clairement définies. les villes-région se transforment progressivement en
agglomérations polycentriques ou multigroupées. Shanghai et le delta de la riviere des Perles constituent deux exemples extremes de ce type
d'agglomération, chacune accueillant plus de treize millions d'habitants. Dans la plupart des villes-région mondiales, il y a eu une croissance rapide
des villes extérieures et frontalieres, de la meme maniere que les anciennes zones périphériques ou rurales éloignées des noyaux urbains se
sont transformées en centres urbains de droit propre. L'effacement progressif des limites, jadis rigides et clairement définies, fait aujourd'hui
partie intégrale du processus de mondialisation dans la nouvelle ere de l'information, et ceci se refl ete dans le sens de plus en plus ambigu de
ce qui est urbain, suburbain, extra-urbain, voire meme rural et non urbain. Par conséquent, cette tendance peut etre décrite comme un proces-
sus simultané et complexe de décentralisation et de re-centralisation de la ville-région. Un bon nombre d'agglomérations centrales plus ancien-
nes ont vu la disparition de certains groupes de population et d'activités professionnelles, mais les espaces ainsi abandonnés ont été occupés
par de nouvelles communautés d'immigrants et de nouvelles fonctions économiques. Parallelement, de nouveaux poles de croissance urbaine
se sont créés a la périphérie qui élargissent le tissu urbain d'une nouvelle constellation régionale de vil les.
Le troisieme effet important de la mondialisation et de la restructuration économique sur la géographie sociale des villes-région est étroite-
ment lié aux conséquences mentionnées ci-dessus. La mondialisation et les formes de changement économique qui lui sont associées tendent
a accentuer la distance entre les riches et les pauvres. en termes économiques, sociaux et spatiaux. Elles donnent lieu a l'augmentation du
nombre d'emplois tres bien rémunérés dans les grandes villes, en meme temps qu'elles entraTnent -tout spécialement dans un contexte
d'immigration a grande échelle provenant des pays pauvres-la prolifération de travaux marginaux peu qualifiés. Au début des années quatre-
vingt-dix, le fossé entre richesse et pauvreté s'était creusé dans tous les pays industriels développés, aussi bien dans les grandes villes que dans
les petites. Cette distance est particulierement marquée dans les villes-région mondiales les plus vastes. De surcroTt, on observe une rapide
augmentation des classes urbaines inférieures dépendant de subsides sociaux, ainsi que des travail leurs pauvres, comme cela se produit. par
exemple, dans les familles ou plus d'un membre travaille mais qui, malgré cela, ne dépassent pas le seuil de pauvreté.
L'immigration vers les plus vastes villes-région se poursuivra au cours du XXI' siecle. Tout indique que la population immigrante a un role
vital ajouer dans le développement économique régional en apportant non seulement une main-d'reuvre bon marché mais aussi des chefs d'en-
treprise innovateurs, tout particulierement dans les secteurs caractérisés par la présence d' entreprises tres petites et de plans de production
flexibles, tels que les ateliers de confection ou d'électronique, ainsi qu'un grand nombre de services. Toutefois. sans des mesures appropriées
d'intégration sociale, de logement et d'éducation, il sera difficile de conserver ou d'augmenter ce role productif des travailleurs migrants et.
parallelement, d'éviter les conflits avec les travailleurs autochtones. L'augmentation des niveaux de segmentation sociale que l'on observe dans
de nombreuses villes-région mondiales a cependant suscité quelques réponses locales. Dans certaines régions, tace a l'absence de mesures
adéquates de la part du gouvernement local prenant en compte leurs intérets et leurs problemes, des groupes de population aux faibles reve-
nus ont commencé aconstituer de nombreuses organisations d'entraide, variées et communautaires; et il n'y a pas le moindre doute que cette
tendance ira en s'accentuant a !'avenir. De nouvelles coalitions comme celles-ci, centrées sur les besoins de base tels que la protection, la
santé, un travail et un salaire dignes, joueront en toute certitude un role important dans la nouvelle société civile des villes-région mondiales

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de !'avenir. On peut cependant s'interroger sur les mérites de ce type de substitution de l'action gouvernementale par l'action civique: en effet.
il n'y a pas la moindre garantie que cela donne lieu a des formes équitables de protection sociale qui constituent pourtant l'une des pierres
angulaires de la pratique démocratique. C'est une situation bien différente que l'on rencontre a !'extreme opposé de l'échelle économique des
villes-région mondiales. Ceux qui occupent la partie supérieure de l'échelle des revenus tendent a se retirer progressivement de la société civile
et de la responsabilité civique, et a se réfugier dans des résidences fortifiées et des communautés fermées, en créant leurs propres structures
de gouvernement résidentiel privées. ou ce privatopias n (Mackenzie. 1994). Comme nous le verrons plus tard. cet aspect essentiellement non démo-
cratique de l'organisation de l'espace urbain est encare plus remarquable dans certains pays en voie de développement. Dans la nouvelle géo-
graphie de la ville-région. aussi bien la distance socia le que la distance économique entre ceux qui possedent et ceux qui sont dépourvus sont
en croissance constante.
La réorganisation socio-spatiale des villes-région mondiales a eu également d'autres conséquences négatives. Au fur et amesure qu'elles se
sont étendues et que la composition de leur population s'est modifiée en devenant plus diverse. une série complexe de déreglements entre
l'emplacement des lieux de travail. le logement et les moyens de transport s'est produite. avec des effets négatifs sur la qualité de la vie et
de l'environnement. D'une part. cet état de choses a aggravé les problemes des pauvres du centre de la ville, le logement se détériore. la sur-
population s'impose dans le noyau urbain. et les SDF proliferent; d'autre part. la rapide expansion vers l'extérieur de la périphérie urbaine tend
a créer des zones isolées dans lesquelles les familles attirées par le fa ible coOt du logement se trouvent si loin de leur lieu de travail qu'elles
se voient obligées a effectuer de longs trajets quotidiens. La ville-région mondiale et polycentrique, hétérogene du point de vue culture! et
segmentée socialement. présente done un tableau fragmenté de développement inégal qui s'étend continuellement vers l'extérieur.

Les vi ll es- r égi on mond ia les dans l es pays en voi e de déve lopp ement

De nombreuses villes-région parmi les plus étendues se trouvent hors du monde développé, comme c'est le cas notamment de Bangkok. Buenos
Aires, Le Caire, Djakarta, Lagos. Mexico. Rio de Janeiro, Sao Paulo, Shanghai ou Téhéran. Dans de nombreux cas, ces villes-région sont devenues
les principales concentrations de l'activité économique avancée de l'économie de leurs pays respectifs. Une industrialisation rapide dépend de
la concentration spatiale de l'infrastructure et de l'activité productive. Le secteur productif moderne requiert l'acces a un grand nombre
de fournisseurs et de services. qui au début ne sont disponibles aun coOt raisonnable que dans un nombre réduit de lieux acause de leur niveau de
développement générallimité. Les impulsions du développement industrie! rapide tendent, par conséquent, agénérer des super-agglomérations. Ces
tres vastes centres urbains deviennent aussi les lieux privilégiés ou s'installent les grandes entreprises nationales et transnationales. t:installation
de ces entreprises renforce la croissance locale et soutient un secteur tertiaire complexe. Or, ce type de développement exerce souvent une
certaine attraction sur la population rurale. Le facteur centripete, conjointement a la modernisation extensive de l'activité agricole et aux politiques
qui expulsent de fait les gens de leurs terres, donne lieu ades taux de croissance extremement élevés de la population loca le et ala concentration
d'une grande partie de la population générale dans un nombre de villes restreint.
Les problemes sociaux et environnementaux générés par ce processus d'urbanisation sont en général plus pressants que dans les pays
développés. meme s'ils ont en commun certaines caractéristiques de base. Malgré le recours a la concentration spatiale des infrastructures
comme stratégie devant permettre de générer un développement industrie! moderne. les conditions infrastructurelles de ces villes-région sont
habituellement peu appropriées. En général. les transports. la santé. le logement et les systemes d'assainissement de l'eau sont répartis inégale-
ment dans l'espace métropolitain. ou les déficits graves sont fréquents. De fait, les contradictions entre les besoins sociaux et les ressources
économiquement viables sont telles que dans nombre de ces vil les on pourrait parler de véritables conditions de crise. La population rurale.
fréquemment obligée a abandonner la terrea cause de politiques économiques injustes, de la violence physique ou de la monopolisation des
ressources naturelles de la part des riches, vient s'établir dans les villes, ou elle se voit a nouveau soumise au tumulte économique et social que
comporte l'appartenance au sous-prolétariat urba in. Bien que ces régions soient en général beaucoup plus riches que les zones rurales, leur
population se caractérise par des inégalités économiques énormes. Face a l'absence de politiques de redistribution progressive des revenus, il

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Villes-région mondiales

est impossible de financer les améliorations nécessaires des infrastructures et des services_ D'autre part. précisément du fait du nombre réduit
de villes-région qui peuvent agir comme lieux d'établissement pour les secteurs les plus modernas de l'économie et comme points de contact
avec l'économie mondiale. il y a en général une tendance décroissante a la dispersion spatiale de la population et de l'activité économique. de
telle maniere que le relachement de la pression sur ces centres est improbable. Par exemple, bien que la zone métropolitaine de Sao Paulo ait a
l'heure actuelle une participation plus petite au PIB du Brésil qu'en 1970-45% et 65 %. respectivement-, en termes absolus la ville continua
a croTtre et a s'étendre a un rythme qui rend difficile la satisfaction de la demande d'infrastructures. Cette expérience contraste avec celle de
nombreux pays développés. dans lesquels des villes-région plus petites absorbent en général une bonne partie de la croissance nationale pour
équilibrer la hiérarchie urbaine -en termes relatifs- et réduire la pression sur les villes-région plus importantes_ Par conséquent. la plupart des
pays en voie de développement continuent a etre happés par un cycle de croissance des mégapoles.
A cause de la nature des processus de développement basés sur une industrialisation rapide et des niveaux élevés de mig ration de la
population interne, les populations des villes-région mondiales des économies en voie de développement sont presque toujours segmentées en
termes de classes sociales. de revenus et. parfois meme, de groupes ethniques. Ces villes-région adoptent des formes spatiales qui refletent
la segmentation sociale. D'un célté on trouve les communautés massives de pauvres qui vivent dans des banlieues de baraquements. favelas
et bidonvil/es. et de l'autre les communautés spacieuses et bien équipées des classes moyennes et hautes. Cette situation produit des frictions
sociales complexas découlant de la combinaison des facteurs de ségrégation, d'inégalité et de proximité_ La violence. ou la peur de la violence.
devient une préoccupation fondamentale des classes aisées et les conduit a s'enfermer dans des résidences fortifiées. des ensambles
d'appartements entourés de murs aux entrées surveillées. Cette architecture de la peur ne fait rien d'autre qu'exacerber le caractére fragmentaire
de l'espace urbain.
On a détecté récemment dans certaines villes-région mondiales de pays en voie de développement un double mouvement de compensation
de la tendance économique dominante. En premier lieu. le déplacement de certaines activités économiques depuis les noyaux métropolitains vers
les zones périphériques semi-rurales; en second lieu. une légere tendance a la migration des activités productivas routinieres vers les vi lles plus
petites. c'est-a-dire des activités moins dépendantes des services et des fournitures avancés. Toutefois, ces tendances sont encare loin d'etre
suffisamment fortes pour compensar et réduire de maniere significativa l'énorme pression sur les infrastructures et les services dans les princi-
pales villes-région. Bien plus. la mondialisation économique continua a renforcé dans une grande mesure la capacité d'attraction des vi lles-région
mondiales des pays en voie de développement Dans de nombreux pays, les entreprises qui produisaient principalement pour le marché interne
doivent s'affronter aujourd'hui aux effets de la libéralisation commerciale et au démantélement des politiques nationales qui leur apportaient
protection et incitations. En conséquence. elles se voient obligées a vendre une grande partie de leur production sur les marchés mondiaux et a
concurrencer les importations. ce qui entrame nombre d'entre elles a dépendre dans une grande mesure des conditions de production avancées
uniquement disponibles dans les villes-région mondiales. La mondialisation. la libéralisation et, dans certains cas, la privatisation d'industries qui
appartenaient autrefois a I'État peuvent renforcer la capacité d'attraction des principales villes-région et aggraver les problemas de développe-
ment En outre, de nombreux pays sont en train d'abandonner les politiques régionales de décentralisation. soit pour des raisons budgétaires soit
paree qu'ils redéfinissent les objectifs de leur politique économique, en l'éloignant de la protection des marchés internes et en l'orientant vers la
promotion de l'exportation de leurs secteurs industriels et de services. Dans certains cas, ceci a meme déchaTné d'authentiques guerres inter-
régionales d'appels d'offre pour l'obtention de nouveaux investissements. de tel le maniere que. meme lorsque les activités les plus avancées
tendent a se déplacer dans les principales villes-région, d'autres régions payent largement -souvent a des entreprises multinationales- les
investissements qu'elles peuvent attirer. affaiblissant ainsi leur capacité fiscale a se procurar des biens publics.
Bon nombre de tentativas actuelles de la part des pays en voie de développement pour aborder les problemas des villes-région se basent sur
des plans d'action peu appropriés ou qui ont été importés des pays développés dans des contextes tellement différents par essence que leurs
effets sont généralement pervers. Ainsi, par exemple. les expériences de privatisation des services urbains qui. dans un contexte dans lequelles
infrastructures et les services universels de base n'ont pas encare été consolidés. tendent a aggraver les déficits généraux. et ne permettent
parallelement d'améliorer que les services destinés a ceux qui en profitent déja. Les droits négociables de certains services -par exemple. les

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droits de revente de l'eau- améliorent peut-etre leur efficacité a court terme, mais ne garantissent pas l'extension des infrastructures a la popu-
lation qui n'en dispose pas encore. La décentralisation fiscale et de l'administration des infrastructures et des services peut permettre une ges-
tion plus efficace, mais peut, cependant, entraTner de plus grandes inégalités inter-régionales. Une décentralisation politique impliquant une ONG
et des associations communautaires peut contribuer a renforcer la démocratie et a mobiliser des groupes de la population privés de droits, mais
illui sera difficile de combler les abTmes sociaux, ou de parvenir a substituer le role des processus démocratiques universels et transparents dans
l'articulation des besoins et des droits au niveau de la gestion de la vil le. Ces processus semblent plus efficaces dans des sociétés qui ont déja
un niveau relativement avancé de développement économique et social, un bien-etre public, certains niveaux d'éducation et de santé, une for-
mation professionnelle, un systeme d'alphabétisation et de participation socia le.

Démoc r atie, citoye nnet é et villes-rég io n mon di ales

L'émergence des villes-région mondiales souleve deux questions particulieres liées aux interprétations conventionnelles de la démocratie et de
la citoyenneté. En premier lieu, il y a fe fait qu'une ville-région puisse traverser différentes frontieres ; dans I' Europe contemporaine, les spheres
urbaines d'influence des villes-région les dépassent fréquemment. 11 y a ensuite le fait que la vil le-région devient potentiellement le principal
objet d'identification et d'appartenance. Avec la vie économique et l'existence sociale liées au destin de la ville-région, certains aspects de la
citoyenneté peuvent etre anouveau associés aux villes-région et non aux États, comme ce fut d'ailleurs le cas dans des périodes antérieures. Ce
meme point de vue comporte certaines implications. L'une d'entre elles est que la résidence dans une ville-région et non la citoyenneté officielle
d'un État peut constituer une base significative pour l'action politique. Une autre implication est que, avec l'augmentation des échanges de
personnes, de biens et de capitaux entre les villes-région du monde entier. la grande quantité de flux ne pourra plus etre régulée de maniere
efficace a niveau local. S'il est vrai que les villes-région sont dotées d'une plus grande responsabilité économique. social e et fiscale,. el les
s'affrontent aussi a des tendances qui dépassent leur controle. Un gouvernement effectif dans le cadre du nouveau systeme mondial devrait alors
comporter la création de niveaux supranationaux et mondiaux de régulation inter-régionale, et pour ce faire de nouvelles formes d'organisation
politique seraient nécessaires.

REFERENCES

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Allen J. Scott est géographe. 11 est actuellement professeur au département de géographie de I'UCLA et doyen associé du département de politique publique de I'UCLA School of Public Policy and Social Research. 11 est
l'auteur. entre autres ouvrages, de Technopolis: High-Technology lndustry and Regional Development in Southern California (University of California Press. 1993), Metropolis: From the Division of labor ro Urban Form
(University ol California Press. 1988). Le texte qui est présenté ici est basé sur une conférence qu'il a prononcée dans le cadre de la Global City-Regions Conference. qui s'est Los Angeles en octobre 1999. Une
version plus compléte de cette conlérence sert d'introduction l'ouvrage Global City-Regions: Trends, Theory, Policy(Oxford University Press. 2001). Oivers professeurs et chercheurs de la School of Public Policy
and Social Research et du département de géographie de I'UCLA sont impliqués dans l'élaboration de ce texte : John A. Agnew, auteur de Geopolitics: Re-Visioning World Politics(Routledge, 1998) et coauteur avec Paul
Knox de The Geography of the World Economy (Wiley, 1998) ; Edward Soja. auteur de Postmetropolis: Critica/ Studies of Cities and Regions IBiackwell. 2000) et de Thirdspace: Journeys ro los Angeles and Drher
Real-and-lmagined Places (81ackwell. 1996) ; et Michael Storper, auteur de The Regional World: Territorial Development in a Global Economy (Guilford Press. 1997) et coauteur avec R. Salais de Worlds of Producrion:
Frameworks of Action in the Economy(Harvard University Press, 1997).

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