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Jean-Marie Hyacinthe QUENUM1, SJ

Les hérésies, dans une perspective christologique, sont des


visions déformées de la personne et de l’œuvre du Christ par rapport à
l’enseignement du Nouveau Testament.

Selon son étymologie, l’hérésie est un choix ou une option.

L’évènement Jésus Christ a suscité diverses interprétations sur


identité profonde de l’homme de Nazareth. Aucune des interprétations
du mystère de Jésus de Nazareth ne prétend dire le dernier mot sur son
identité véritable. Cependant, l’institution ecclésiale qui n’a pas encore
défini les règles de foi, constate que certains disciples de Jésus font le
choix de s’éloigner du Kérygme et de l’enseignement du Christ
transmis par les Apôtres.

Le terme hérésie, dans le vocabulaire de l’Église, se réfère à


des doctrines qui s’écartent de la lumière de la révélation chrétienne.

Les hérésies surgissent dans les mouvements de pensées


alternatives à l’enseignement du Christ reçu des Apôtres.

1
Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est professeur visiteur de christologie à l’Institut
de Théologie de la Compagnie de Jésus (ITCJ) à Abidjan en Côte d’Ivoire.
2
Les hérésies divisent l’Église et obligent l’institution
ecclésiale, dans la ligne de la succession apostolique, à mieux préciser
son enseignement pour défendre l’intégrité de la foi reçue des Apôtres.

Ce travail de défense de la foi reçue des Apôtres de Jésus


Christ, dans un vocabulaire biblique et sémitique, est effectué à partir
du deuxième siècle par les Pères de l’Église en dialogue avec le monde
de la culture Grecque2.

Dès 110 de l’ère chrétienne, on retrouve les traces d’écrits


polémiques, chez saint Ignace d’Antioche, qui défendent la réalité
corporelle de Jésus, le Christ, contre ceux qui pensent que le Christ a
une apparence de corps.

Saint Justin avec son école philosophique de Rome vers 150 se


réclame de Jésus le Christ et entre en dialogue avec d’autres écoles de
philosophie critiques par rapport au message de l’évangile et au
mouvement des disciples de Jésus le christ.

Différentes visions de l’homme Jésus annoncé comme


ressuscité surgissent pour définir l’identité véritable du Christ.

Les manières de comprendre l’identité véritable de Jésus le


Christ, comme Fils de Dieu et comme verbe incarné, provoqueront des

2
ALOYS GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne. De l’âge
apostolique au concile de Chalcédoine (451), traduit de l’anglais par sœur Jean-
Marie o.p., et M. Saint -Walker, Paris, Cerf (COGITATIO FIDEI, 72), 1973.
3
conflits d’interprétations suscitant l’intervention vigoureuse de
l’autorité ecclésiale.

C’est ainsi que naît l’orthodoxie contre les doctrines


hétérodoxes, erronées, déviantes et inacceptables par rapport à
l’enseignement du Christ reçu des Apôtres.

Les hérésies des premiers siècles du mouvement des disciples


de Jésus le Christ ont autorisé l’Église majoritaire, instruite de la
révélation de son Maître et Seigneur et sous la conduite de ses évêques,
pasteurs et théologiens, à penser la foi des évangélistes et des Apôtres.

Comme ces hérésies ressurgissent tout au long de l’histoire de


l’Église, il est important de les connaître comme des opinions erronées
opposées à l’enseignement du Christ reçu des Apôtres.

Qui sont les hérétiques ébionites de Transjordanie et les


Simoniens de Samarie ?

Qui sont les hérétiques pagano-chrétiens, les Marcionites et les


Montanistes ?

Comment les hérésies ont-elles provoqué un enseignement de


l’Église plus précis sur la révélation chrétienne, le Dieu des chrétiens,
la création, la nouvelle alliance et le salut opéré par Jésus Christ ?
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1. LES HERETIQUES EBIONITES DE TRANSJORDANIE


ET LES SIMONIENS DE SAMARIE

Nous connaissons les ébionites grâce à l’œuvre monumentale


d’Irénée de Lyon contre les hérésies3.

Epiphane de Salamine (315-403) dans son catalogue des


hérésies4 évoque les ébionites comme les pauvres du Seigneur attachés
viscéralement aux coutumes Juives et vivant en Transjordanie.

Saint Jérôme aurait traduit leur évangile, celui des Hébreux,


qui n’est qu’une version de l’évangile de saint Matthieu amputée de la
généalogie de Jésus, le Christ.

Les ébionites nient le caractère divin de Jésus. Pour eux, Jésus


n’est qu’un simple homme qui ne devient Christ qu’après son baptême
quand il s’unit à l’Esprit Saint. Cet homme a observé la loi de Moïse
et a été adopté par Dieu comme un homme ajusté à Dieu grâce à son
lien personnel avec l’Esprit Saint.

La christologie des ébionites est une christologie « d’en bas »


qui souligne fortement l’humanité Juive de Jésus le Christ.

3
IRENÉE de Lyon, Contre les hérésies (CH), V, 28,3 Trad. A. Rousseau, Paris,
1984, p. 25-27 ; 347.
4
Epiphane de Salamine, PANARION, 30, 3 PC 41, 405-473.
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Jésus de Nazareth est un homme de Dieu mais il n’est point
Dieu. Stricts et rigides monothéistes, les ébionites n’admettent pas la
divinité de Jésus. Ils n’acceptent pas la conception virginale de Jésus
et ne voient en Jésus que le fils biologique de Joseph et de Marie,
rejeton de David et héritier des promesses messianiques.

Les ébionites insistent sur l’élection d’Israël, le don de la terre


et les promesses messianiques.

Le messianisme des ébionites est purement terrestre et met en


valeur les oracles prophétiques sur Jérusalem. Enfermés dans leur
particularisme Juif, les ébionites ne donnent aucune valeur universelle
à la mission de Jésus. Jésus n’est qu’un prophète d’Israël soucieux
d’accomplir l’alliance de Dieu avec son peuple.

Végétariens comme le prophète Jean-Baptiste, les ébionites


sont contre le sacrifice animal du temple. Ils célèbrent l’Eucharistie
avec l’eau sans vin.

Les ébionites considèrent l’apôtre Paul comme un apostat du


Judaïsme. Ils rejettent les écrits Pauliniens du Nouveau Testament et
ils sont partisans de la justification par la loi de Moïse. Pour eux,
l’homme Jésus de Nazareth n’est pas le sauveur de l’humanité.
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Évangélisés de façon incomplète, les ébionites développent des
idées différentes des Nazaréens qui furent les premiers disciples de
Jésus, le Christ.

Les Actes des Apôtres au chapitre 8, 9-24, signale un hérétique


appelé Simon le magicien. Samaritain, récemment converti à la foi des
Nazaréens par le diacre Philippe, Simon le magicien avait des idées et
des pratiques contraires à la foi reçue des Apôtres. Selon les
témoignages des Pères de l’Église, Simon croyait que le monde fut créé
par des anges, responsables de la puissance du mal dans le monde. Il
entraîna dans son erreur une partie de la nouvelle communauté des
disciples de Jésus, le Christ, de Samarie, séduite et stupéfaite par ses
pratiques magiques, son don des langues et ses idées hétérodoxes sur
les femmes dépositaires de la sagesse du serpent. Simon le magicien
fut écarté par l’Apôtre Pierre de la communauté des disciples de Jésus,
le Christ, en Samarie.

2. QUI SONT LES HERETIQUES PAGANO-CHRETIENS,


LES MARCIONITES ET LES MONTANISTES ?

Parmi les païens convertis à la foi chrétienne, certains


appartiennent à des écoles antiques de la Grèce. Dans les écoles
philosophiques grecques, les pagano-chrétiens avaient appris que
l’esprit est bon et que la matière est mauvaise. Cette doctrine gnostique
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dualiste va influencer leur lecture du Premier et du Nouveau
Testament.

Malgré l’extrême variété des courants gnostiques avec leurs


cosmogonies complexes, on peut affirmer que la tendance générale des
gnostiques chrétiens est d’affirmer que le Christ est un esprit, un éon,
un germe divin déposé sur terre pour délivrer l’humanité de la
mauvaise matière.

Si le Christ est un esprit, il ne possède qu’un corps en


apparence. La rédemption qu’il opère n’est pas due à sa passion, à sa
mort et sa résurrection mais plutôt à la connaissance et à la sagesse qui
émane de lui pour délivrer l’humanité du poids emprisonnant du corps
et de la matière.

Les doctrines gnostiques des pagano-chrétiens vont foisonner


au deuxième siècle de l’ère chrétienne mettant en cause l’incarnation
du Verbe incarné et son œuvre de salut par sa mort et par sa
résurrection.

Les grands maîtres gnostiques chrétiens furent Valentin


d’Alexandrie et Basilide d’Alexandrie. Ils furent combattus par Saint
Irénée de Lyon et saint Hippolyte de Rome.

Dans le milieu chrétien de Rome va surgir vers 140, Marcion,


fils d’un évêque de Sinope devenu armateur. Dès son arrivée à Rome,
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Marcion se sépara de ses biens et les distribua aux pauvres. Il prêcha
la continence parfaite pour suivre le Christ et l’ascétisme.

En 144, Marcion rejeta totalement le premier Testament des


Hébreux en opposant le Dieu bon du Nouveau Testament au Dieu juste
et violent du Premier Testament des Hébreux.

Dans sa doctrine transparaît le dualisme de deux divinités.


Marcion estime que le Premier Testament des Hébreux est périmé et
remplacé par des écrits choisis du Nouveau Testament qui présentent
le Dieu de Jésus christ, bon, miséricordieux et non-violent.

Leader charismatique, Marcion fonda vers 150, des


communautés qui se réclament de sa doctrine en Nicomédie, en Crète
et surtout en Mésopotamie.

Vers 156, un Phrygien, Montant, propose une troisième


révélation prophétique qui annonce l’imminence de la parousie.
Montant prôna une morale rigoureuse et l’abolition du sacrement de la
pénitence. Les communautés montanistes, visionnaires et millénaristes
foisonnent en Asie mineure et en Afrique. Elles atteignent leur apogée
en 172.
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3. VERS L’AFFINEMENT DES DOGMES CHRETIENS


Le grand défenseur de la foi reçue des Apôtres contre les
hérésies avant le premier concile œcuménique de Nicée, fut saint
Irénée de Lyon.
Face à l’apparition des doctrines divergentes et erronées, saint
Irénée de Lyon sera le chantre de l’unité de l’Église en expliquant les
fondamentaux de la révélation chrétienne.
Saint Irénée de Lyon contre l’hérésie de Marcion affirmera
l’unité entre le Premier et Nouveau Testament et démontrera que le
Dieu du Premier Testament par sa pédagogie n’est pas différent du
Dieu du Nouveau Testament. Il argumentera sur l’unité du dessein de
salut du Dieu du Premier et du Nouveau Testament. En effet, selon
saint Irénée de Lyon, l’homme est une créature de Dieu inscrite dans
son dessein bienveillant d’amour.
Dans le Premier Testament, Dieu propose une expérience
d’Alliance avec le peuple libéré de la maison d’esclavage d’Égypte en
lui donnant une terre, une Loi et en lui gratifiant le pardon pour ses
infidélités.
Dans le Nouveau Testament, la résurrection de Jésus, mort pour
les infidélités de l’humanité autorise le don de l’Esprit du Père et du
Fils, pour le pardon des infidélités de la totalité de l’humanité, Juifs et
païens.
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Jésus sauvé de la mort par le Père est le sauveur de l’humanité.
Il gracie l’humanité enfermée dans le péché et la réconcilie avec le
Père en lui accordant le pardon et le statut de fils et filles de Dieu
adoptés pour sa gloire (Éphésiens 1, 5).
Saint Irénée de Lyon rappelle aux hérétiques ébionites que c’est
le Christ ressuscité et glorifié qui est l’envoyé du Père, le Verbe fait
chair pour diviniser l’humanité.
Aux gnostiques chrétiens hérétiques, Saint Irénée de Lyon
montre que la création est un acte paternel de Dieu, par le Fils dans
l’Esprit Saint.
Saint Irénée de Lyon ouvrira la voie à la théologie savante à
travers Origène, exégète Alexandrin.
Né vers 185 et martyrisé vers 254. Origène fut un homme
d’Église, néoplatonicien et nourri d’Écritures saintes qui fera
l’inventaire des vérités révélées en les reliant à la raison Grecque.
Origène par sa tentative de synthèse de la foi chrétienne avec
la raison Grecque, trace les voies à une adhésion intellectuelle à
l’enseignement du Christ reçu des Apôtres dans les catégories de la
culture Grecque de son temps.
La tentative intellectuelle d’Origène est de comprendre
l’humanité à la lumière de la révélation biblique réfléchie dans la
tradition de l’Église.
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Ainsi Origène par sa théologie savante prépare des réponses
argumentées aux questions fondamentales que se posent les chrétiens
par rapport à la création, à l’unité du Premier et du Nouveau
Testament, au salut, au Christ comme fondement de l’Église et à la
relation de l’homme à Dieu, Un en trois personnes distinctes.

REMARQUES CONCLUSIVES
Les hérésies ont été dans le paléo-christianisme des
bénédictions déguisées sous des formes d’erreurs inacceptables par
rapport à l’enseignement du Christ reçu des Apôtres.
Les ébionites qui sont des juifs monothéistes ne pouvaient pas
confesser un autre Dieu à côté du Dieu unique d’Israël. Conditionnés
par les traditions et coutumes d’Israël, les ébionites ne pouvaient pas
saisir la nouveauté de l’évènement Jésus Christ comme une
intervention gracieuse où le Dieu unique en trois personnes distinctes
opère dans l’histoire du salut une merveille sans précédent. Leur vision
adoptianiste du Christ ignore le mystère de l’Incarnation du Verbe. Ils
ne prennent pas au sérieux la passion, la mort et la résurrection de Jésus
comme des actes de salut qui rendent compte du don de l’Esprit Saint
qui pardonne l’humanité pécheresse et fait des hommes et des femmes,
des fils et filles de Dieu adoptés dans le Christ Jésus.
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La christologie « d’en bas » des ébionites en valorisant
l’humanité Juive de Jésus enferme ces pauvres du Seigneur dans une
religion ethnique sans ouverture sur l’universel.
Pour les ébionites, Jésus le Christ n’est pas le sauveur du monde
car ils continuent de croire que c’est la pratique de la loi qui sauve.
Les ébionites passent à côté de la grâce qui attire et élève
l’humanité dans une relation d’amitié avec le Dieu, Père, Fils et Esprit
Saint.
Les ébionites sont restés à la première révélation sans
comprendre qu’elle s’accomplit en Jésus Christ, plénitude de la
révélation.
Les simoniens n’ont pas compris que la création est une œuvre
bonne de Dieu et dépendant des cosmogonies païennes, ils attribuent
l’œuvre de la création à des anges déchus. Ils exaltent le désir avec leur
mépris du corps et pensent que c’est la connaissance qui sauve.
Les gnostiques chrétiens, influencés par les écoles de
philosophie de l’antiquité Grecque, sont dualistes et n’arrivent pas à
percevoir la création à la lumière de la révélation chrétienne, où Dieu
crée un monde bon pour le bonheur de l’humanité et l’invite à une
alliance où il pardonne et fait grâce afin que l’humanité se divinise.
Leur vision négative de l’univers les oriente à placer l’homme
au centre comme un dieu qui éveille en lui l’étincelle divine qui est en
lui emprisonné dans un corps mauvais.
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Ainsi l’homme ne vit pas devant Dieu qui l’aime mais il vit
comme un Dieu déchu qui essaie de se reconnecter avec le monde de
l’Esprit en se libérant de son corps et de la matière mauvaise par
l’initiation.
Les disciples de Marcion rejettent le premier Testament au
profit du Nouveau en coupant la foi chrétienne de sa matrice et
ignorant la pédagogie divine qui s’adapte à la croissance de
l’humanité.
Enfin les montanistes croient à une troisième révélation alors
que le Christ, professé par l’Église apostolique, est le sommet et la
plénitude de la révélation chrétienne.
Toutes ces erreurs ont permis à l’Église de rendre plus précis
l’enseignement du Christ reçu des apôtres.
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BIBLIOGRAPHIE

 ALOYS GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition

chrétienne. De l’âge apostolique au concile de Chalcédoine

(451), traduit de l’anglais par sœur Jean-Marie o.p., et M. Saint

-Walker, Paris, Cerf (COGITATIO FIDEI, 72), 1973.

 IRENÉE de Lyon, Contre les hérésies (CH), V, 28,3 Trad. A.

Rousseau, Paris, 1984, p. 25-27 ; 347.

 Epiphane de Salamine, PANARION, 30, 3 PC 41, 405-473.


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INDEX

ébionites ------------------------------------------------- 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12

gnostiques --------------------------------------------------------- 6, 7, 10, 12

hérésies --------------------------------------------------- 1, 2, 3, 4, 9, 11, 14

Irénée de Lyon ----------------------------------------------------- 4, 7, 9, 10

Marcion ------------------------------------------------------------- 7, 8, 9, 13

Montanistes --------------------------------------------------------- 3, 6, 8, 13

Origène ------------------------------------------------------------------ 10, 11

Simoniens -------------------------------------------------------------- 3, 4, 12
TABLE DES MATIERES

1. LES HERETIQUES EBIONITES DE TRANSJORDANIE ET

LES SIMONIENS DE SAMARIE ---------------------------------------- 4

2. QUI SONT LES HERETIQUES PAGANO-CHRETIENS, LES

MARCIONITES ET LES MONTANISTES ? -------------------------- 6

3. VERS L’AFFINEMENT DES DOGMES CHRETIENS -------- 9

REMARQUES CONCLUSIVES ---------------------------------------- 11

BLIOGRAPHIE------------------------------------------------------------- 14

INDEX ----------------------------------------------------------------------- 15

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