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Point de mire

Des créatures tout droit sortie d'un conte.


Au cours de leur courte vie adulte, les
lucioles ne ce contentent pas de charmer
leurs congénères, elles nous enchantent
tout autant.

Des lumières
dans la nuit
Leur clignotement offre un spectacle féerique. Les vers luisants,
ou lucioles, brillent dans l’obscurité totale. Comment se produit
cette bioluminescence? A quoi sert-elle? Et comment certaines espèces
parviennent-elles à clignoter à l’unisson?

Andreas Diethelm, biologiste cellulaire, conseiller en environnement

L
a bataille de Shiloh fut l’une A la tombée de la première nuit, cer- 66  ans plus tard –, on lui donne alors le
des plus sanglantes de la guerre tains soldats remarquent que leurs bles- surnom de «angel’s glow» (le rayonnement
de Sécession. Le 7 avril 1862, sures projettent une lueur bleue dans des anges). En 2001, deux lycéens améri-
le champ de bataille, une forêt l’obscurité. Plus étrange encore, ceux dont cains élucident ce mystère, et découvrent
marécageuse au bord de la rivière les plaies brillaient ont un meilleur taux de que les plaies sont en fait colonisées par
Photos: Adobe Stock

Tennessee, est jonché de près de 3500 ca- survie que leurs collègues non illuminés. la bactérie Photorhabdus luminescens,
davres. En proie à la pluie et au froid, les Comme on ne pouvait interpréter le phé- seule bactérie lumineuse non marine
quelque 16 000 blessés sont exposés au nomène et le contexte – l’effet de la moisis- connue, qui vit dans l’intestin d’un néma-
risque d’infection. sure Penicillium ne sera découvert que tode entomopathogène. Les nématodes,

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qui traquent les larves d’insectes dans le


sol, s’enfouissent dans la plaie et y régur-
gitent la bactérie. P. luminescens sécrète
alors un cocktail d’enzymes digestives et
de toxines, qui tuent l’insecte hôte et sup-
priment tous les autres micro-organismes
déjà à l’intérieur, empêchant ainsi l’infec-
tion de la plaie et sauvant les soldats bles-
sés. Le temps froid a en outre été une véri-
table aubaine: en effet, les expériences
des lycéens ont montré que la bactérie ne
pouvait pas vivre à la température du
corps humain, ce qui rendait les blessures
des soldats inhospitalières. Reste la ques-
tion de l’utilité de la luminescence pour
la bactérie. Une hypothèse plutôt provi-
soire serait que la larve d’insecte colonisée
et donc lumineuse servirait d’appât à
d’autres proies.

Une lueur difficilement explicable


Difficile de savoir dans quel but les bacté-
ries, champignons et animaux émettent
de la lumière. Selon une hypothèse popu-
laire, la luminescence serait un sous-
produit d’une voie métabolique d’élimi-
nation de l’oxygène d’anciennes formes
de vie anaérobies. Lorsque les cyanobac-
téries, premières antennes collectrices de
lumière, se sont développées il y a environ abdominale de nombreux arthropodes, présentes dans 17 souches différentes et
3,5 milliards d’années, la vie jusqu’ici était est conçu comme un organe lumineux au moins 700 genres, principalement
menacée d’oxydation par l’oxygène molé- dans les segments abdominaux des lu- marins. La production technique de sys-
culaire libéré lors de la photosynthèse. cioles, composé de photocytes. Dans ces tèmes bioluminescents pour l’étude du
Mais ces organismes ne pouvaient pas cellules spécialisées, l’enzyme luciférase mécanisme de réaction est toutefois relati-
métaboliser l’oxygène qui s’accumulait catalyse la réaction chimique qui trans- vement fastidieuse en raison de la struc-
dans l’atmosphère, car il était toxique forme le colorant luciférine en oxylucifé- ture moléculaire complexe de la lucifé-
pour eux. rine. La molécule est activée au préalable rine, par exemple celle des lucioles.
Quoi qu’il en soit, les signaux lumi- par le vecteur d’énergie ATP. L’oxydation
neux se prêtent à la transmission de mes- du conjugué obtenu par l’oxygène molécu- Application médicale
sages contenant des informations rela- laire conduit à un hétérocycle à quatre La bioluminescence a d’ailleurs révolu-
tives au comportement. Il s’agit d’orienta- chaînons hautement tendu qui contient tionné les techniques d’examen classiques
tion, de compréhension, de coordination, deux atomes d’oxygène constituant un des mécanismes enzymatiques au cours
de reconnaissance en général – en résumé, groupement «peroxy». Cet intermédiaire de ces trente dernières années. Ce qui a
de l’essentiel de la vie. Concrètement, les est extrêmement réactif et se décompose commencé par le clonage de gènes de luci-
signaux lumineux aident à trouver de la en libérant du CO2, ce qui entraîne la for- férase est devenu, avec l’imagerie, un outil
nourriture ou un partenaire, à attirer des mation d’oxyluciférine à l’état excité. Lors- universel pour un grand nombre de pro-
proies, à fuir les prédateurs, à se défendre qu’elle retourne à l’état stable, la molécule blématiques dans la recherche fondamen-
contre eux ou simplement à les dissuader. émet de la lumière qui correspond à la tale biologique et médicale. Les lucifé-
différence d’énergie entre les deux états. rases servent de détecteurs pour l’étude de
De la lumière dans l’obscurité En résumé: luciférine + ATP + O2 oxyluci- la régulation des gènes, ainsi que pour
La luminescence – lumière froide – pro- férine + AMP + CO2 + lumière. Pour obtenir l’analyse des voies de signalisation cellu-
vient de pigments lumineux d’organismes un effet lumineux efficace, les cristaux de laires ou des interactions entre protéines
vivants ou de systèmes techniques qui sel dirigent la lumière produite vers l’exté- et de leur stabilité. La mesure de la teneur
produisent de la lumière, les rendent rieur de la cellule, de manière analogue au en ATP permet de déterminer l’activité
phosphorescents ou fluorescents. En re- miroir du phare. métabolique ou la viabilité des cellules.
vanche, la bioluminescence se manifeste Le mécanisme esquissé semble être Dans l’analyse environnementale, les bac-
également dans l’obscurité totale et per- un processus général de production de téries peuvent être détectées sur des sur-
sistante. Comment cela est-il possible? lumière naturelle. L’étude de la biochimie faces. Des luciférases recombinantes et de
Le corps adipeux (corpus adiposum), derrière la luminescence autonome des nouveaux substrats ont permis d’obtenir
qui est, avec le tissu de stockage, un or- organismes les plus divers a débuté il y a des rendements lumineux plus élevés, et
gane métaboliquement actif dans la cavité plus de septante ans. Les luciférases sont un gène rapporteur de luciférase haute-

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ment sensible permet désormais de tra- se déplacent et ne s’éclairent que si néces- ment étonnant a déjà engendré nombre
vailler dans des conditions physiologiques saire. En raison de la courte demi-vie du d’hypothèses. Grâce à un dispositif expéri-
et à des niveaux d’expression endogènes. monoxyde d’azote, l’effet ne dure que peu mental complexe, des chercheurs améri-
de temps. En une fraction de seconde, l’ap- cains ont récemment pu démontrer que
Retenir sa respiration, clignoter port d’oxygène est interrompu, la lumière les femelles reconnaissent beaucoup
Chez les organismes multicellulaires, la s’éteint de nouveau et la respiration cellu- mieux les mâles qui clignotent de manière
réaction lumineuse est commandée ner- laire reprend. synchrone que lorsque ceux-ci clignotent
veusement, elle se produit en général de de manière désordonnée.
manière discontinue. Pour les lucioles, il a Ensemble en quête de partenaires Mais comment une confusion désor-
été démontré qu’elles réagissent aux in- Les lucioles émettent typiquement des si- donnée de milliers d’individus peut-elle
fluences exogènes et endogènes par des gnaux clignotants périodiques ou des engendrer un clignotement synchrone? Y
impulsions nerveuses volontaires ou invo- flashs lumineux. Le rythme de clignote- a-t-il un individu dans l’essaim qui in-
lontaires. Pour s’illuminer, la respiration ment et le modèle de disposition des or- dique le rythme à suivre? Non, chaque in-
s’interrompt dans les mitochondries, les ganes lumineux sont spécifiques à l’es- secte a son propre rythme, mais la vue du
centrales énergétiques cellulaires. L’oxy- pèce, ce qui permet de reconnaître sa signal de ses voisins le conduit à se syn-
gène déclenche ainsi la réaction lumi- propre espèce, là où différentes espèces chroniser avec eux. C’est de cette façon
neuse. Le monoxyde d’azote fait office de partagent un même habitat. Chez cer- qu’un essaim géant se synchronise? Oui,
transmetteur. Celui-ci, tout comme la taines espèces, les mâles sont capables de c’est un phénomène à la fois incroyable et
substance luminescente et l’enzyme, est synchroniser leurs clignotements après simple. Des groupes clignotant ensemble
présent dans les photocytes. Les lucioles s’être approchés en groupe d’un bosquet se forment d’abord de cette manière, gé-
savent économiser l’énergie, car de nom- bien visible. Il est possible d’assister à ce nèrent des ondes, qui se lissent peu à peu
breuses espèces ne possèdent pas de tube spectacle lumineux magique le long des jusqu’à ce que des arbres de lumière en-
digestif ni d’outil pour se nourrir. Pendant berges des fleuves d’Asie du Sud-Est. Ce tiers pulsent silencieusement pendant des
leur période de reproduction de quelques phénomène est également une attraction heures. Une invitation évidente pour les
semaines, elles se nourrissent, en tant touristique très prisée dans le parc natio- femelles qui les survolent!
qu’adultes, des réserves de graisse qu’elles nal américain des Great Smoky Moun-
ont accumulées au cours de leur vie anté- tains. Les insectes clignotent environ deux Contact: era__@web.de
rieure de larves et de prédateurs d’escar- fois par seconde en fonction de leur hor- Pour en savoir plus sur le sujet:
gots. C’est la raison pour laquelle elles ne loge interne. La fonction de ce comporte- www.glühwürmchen.ch

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