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TOUS LES NUMÉROS ANNÉE 2013

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ARTICLES THÉMATIQUES : MÉDECINE DES VOYAGES

Leishmaniose cutanée de
l’Ancien Monde
Christelle Weibel Galluzzo , Gilles Eperon , Anne Mauris ,
François Chappuis

Résumé

La leishmaniose cutanée est une maladie causée par


un parasite, dont les diverses manifestations cliniques
sont dépendantes de l’espèce de leishmanie et de la
réponse immunitaire de l’hôte. La transmission
survient par piqûre d’un moucheron appelé
phlébotome. La leishmaniose doit faire partie du
diagnostic di!érentiel des lésions cutanées
persistantes au retour de voyage dans une zone
d’endémie. Il s’agit le plus souvent d’ulcères uniques ou
multiples prédominant sur les parties découvertes du
corps. Le diagnostic est posé par visualisation du
parasite à la microscopie sur un prélèvement de la
lésion ou par PCR, cette dernière permettant
également l’identification de l’espèce. Le traitement
dépend de la présentation clinique, de l’espèce de
leishmanie et des comorbidités du patient.

Cas clinique

Monsieur M. est un homme de 53 ans, en


bonne santé habituelle, qui a séjourné au
Maroc pendant le mois de septembre 2012.
Il remarque un mois après son retour la
présence persistante de boutons
d’évolution défavorable motivant une
consultation chez son généraliste puis chez
une dermatologue. Il bénéficie à deux
reprises d’un traitement antibiotique sans
amélioration. Un premier prélèvement,
dont l’examen direct se révèle négatif, est
e!ectué deux mois après son retour. Le
patient s’adresse alors à notre consultation
de médecine tropicale et des voyages. Il
présente à l’examen clinique trois lésions
ulcérées sur le coude droit (figure 1), trois
autres sur la cuisse droite, une double
lésion sur la face antéro-interne du tibia
gauche (figure 2) et une lésion débutante
sur le front. Le reste de l’examen clinique
est, par ailleurs, strictement dans la norme,
ainsi que les examens sanguins (formule
sanguine, tests hépatiques et fonction
rénale). Etant donné l’aspect typique des
lésions et l’exposition potentielle à la
leishmaniose au Maroc, un «grattage» des
bords d’un ulcère est e!ectué. L’examen
microscopique après coloration au Giemsa
montre un amastigote de leishmanie
(figure 3). Au vu de la lésion débutante sur
le front ne permettant pas de di!érer le
traitement et de la forte suspicion
épidémiologique d’infection à L. major, un
traitement oral de fluconazole 400 mg/jour
pour six semaines est initié parallèlement
aux examens d’identification d’espèce. Une
PCR sur biopsie d’ulcère permet de
confirmer le diagnostic de leishmaniose
cutanée à L. major. Le patient est suivi
cliniquement et biologiquement (formule
sanguine et tests hépatiques) toutes les
deux semaines. Hormis une chéilite, aucun
e!et secondaire n’est objectivé lors des
contrôles cliniques et biologiques.
L’évolution est favorable avec cicatrisation
progressive des lésions.

Figure 1
Leishmaniose cutanée à Leishmania
major du coude droit avant traitement

Figure 2
Leishmaniose cutanée à Leishmania
major de la jambe gauche avant
traitement

Figure 3
Forme amastigote de leishmanie à
l’examen microscopique d’un grattage
d’une lésion

Introduction
La leishmaniose est causée par des protozoaires
hémoflagellés, Leishmania spp., dont les formes
amastigotes intracellulaires se retrouvent chez
l’humain et les promastigotes libres chez le vecteur.1

La présentation clinique dépend d’une part de l’action


pathogène du parasite selon l’espèce de leishmanie, et
d’autre part de la réaction immunitaire de l’hôte. On
distingue la leishmaniose cutanée, muco-cutanée et
viscérale, aussi appelée kala-azar. Elle est présente
dans 88 pays avec une incidence annuelle estimée à 2
millions de cas, dont 1,5 million de formes cutanées.1
Cet article se focalise sur la leishmaniose cutanée de
l’Ancien Monde (LCAM), c’est-à-dire d’Asie, d’Afrique
ou d’Europe. La LCAM est une pathologie
d’importation de plus en plus fréquente au vu de
l’augmentation globale de l’incidence de la maladie
(facteurs socio-économiques, malnutrition,
mouvements de population, changements
environnementaux et climatiques)2 et de la mobilité
accrue des voyageurs.

La LCAM est causée par quatre espèces di!érentes de


leishmanie, avec des répartitions géographiques
(figure 4) et des manifestations cliniques propres.2 Il
s’agit de Leishmania major, L. tropica, L. aethiopica et
L. infantum (tableau 1), cette dernière étant
cependant plus souvent associée à une leishmaniose
viscérale. La LCAM est une maladie vectorielle
transmise par des insectes hématophages
(phlébotomes) mesurant environ 2 mm, piquant
surtout durant la nuit et à proximité de leur gîte
(figure 5).3 La transmission est surtout rurale pour L.
major et L. aethiopica, avec un réservoir animal
sauvage, et plutôt urbaine pour L. tropica, l’humain et
le chien étant les réservoirs principaux. Concernant L.
infantum, le chien est le réservoir principal. La
transmission non vectorielle est très rare mais
possible (congénitale, transfusionnelle, par échange
de seringues).4

Figure 4
Répartition géographique de la
leishmaniose cutanée
(Source : Tropimed, reproduite avec l’autorisation
de Digimarc).

Tableau 1
Résumé des di!érentes espèces de
leishmanie de l’Ancien Monde et de leurs
principales caractéristiques

Figure 5
Cycle parasitaire de Leishmania spp
(Reproduite avec l’autorisation du CDC).

Lors d’un repas sanguin, le phlébotome injecte les


parasites (sous forme promastigote) dans les tissus.
Ceux-ci sont phagocytés par des cellules de la lignée
macrophagique de la peau. S’ensuit une multiplication
intracellulaire sous forme amastigote des leishmanies
amenant à la rupture des macrophages. Les
amastigotes ainsi libérés infectent les cellules voisines,
entraînant la destruction progressive de la couche
basale de la peau et une liquéfaction des tissus à
l’origine de l’ulcère.

Présentation clinique
Le temps d’incubation est très variable, de sept jours à
plusieurs années, et la majorité des infections restent
asymptomatiques. Le spectre clinique est très large et
dépend des caractéristiques aussi bien de l’hôte que
du parasite. Pour L. major, on décrit un ulcère
«mouillé» aux bords surélevés, un exsudat à la base et
un écoulement purulent. Les lésions sont souvent
multiples, apparaissant rapidement (1-8 semaines)
après l’infection et grandissant vite pour atteindre
plusieurs centimètres de diamètre. La guérison
spontanée survient généralement après six mois mais
peut être plus longue. L’ulcère de L. tropica est dit
«sec» avec une croûte centrale et sans exsudat,
typiquement unique avec des petites lésions satellites.
L’incubation est plus longue (2 mois-2 ans) et la
croissance plus lente, avec un diamètre lésionnel
dépassant rarement 1-2 cm. La guérison spontanée se
fait elle aussi plus lentement, en moyenne après deux
ans. La Leishmania recidivans est une forme chronique
qui peut durer des années, caractérisée par une
cicatrice dont la périphérie est active et qui, non
traitée, évolue vers des lésions destructrices et
défigurantes. L’atteinte cutanée de L. infantum se
présente souvent comme une lésion nodulaire
indolente évoluant sur plusieurs années. Une lésion
solitaire, généralement au niveau de la face, pouvant
être accompagnée de papules satellites, est une
présentation classique de la leishmaniose à L.
aethiopica. L’évolution est chronique et
potentiellement marquée par l’apparition de nodules
ou plaques. Une forme cutanée di!use est également
retrouvée avec cette espèce. Leishmania infantum, L.
tropica et L. major peuvent être très rarement
associées à des formes muqueuses touchant la sphère
ORL chez des personnes âgées ou
immunosupprimées.

Diagnostic différentiel
Lors de lésions cutanées ulcérées, persistantes au
retour de voyage, plusieurs diagnostics peuvent être
évoqués. Une infection à germes cutanés «banals»
comme les streptocoques ou staphylocoques est
souvent évoquée en première ligne, comme dans le
cas décrit dans cet article, motivant généralement
l’instauration d’un traitement antibiotique. Il faut
également penser à la tuberculose cutanée, l’ulcère de
Buruli (Mycobacterium ulcerans), la lèpre
lépromateuse, la paracoccidioïdomycose (Amérique
centrale et du Sud) ou autre infection fongique, le
charbon (anthrax), la tularémie, ou encore la syphilis
tertiaire. Finalement, il faut penser à des causes non
infectieuses, notamment les carcinomes baso et
spinocellulaires, les lymphomes cutanés et la
sarcoïdose.4

Diagnostic
Le diagnostic est posé par la mise en évidence à
l’examen microscopique d’amastigotes
intramacrophagiques sur un prélèvement coloré au
Giemsa. Le matériel est prélevé par grattage des bords
de l’ulcère et étalement sur lame ou par biopsie. Le
diagnostic moléculaire par PCR sur le même matériel
augmente la sensibilité de la recherche et permet le
diagnostic d’espèce (Institut tropical et de santé
publique suisse à Bâle).1,2 La sérologie est positive
dans moins de 50% des cas de leishmaniose cutanée
et sa spécificité est variable.

Traitement
La guérison spontanée est habituelle mais lente
(plusieurs mois, rarement un an ou plus) et expose à
des complications infectieuses ou à des cicatrices
défigurantes. Les di!érences entre les espèces de
leishmanie et les caractéristiques immunogénétiques
variables des hôtes rendent di"cile un consensus
thérapeutique global pour la LCAM. De nombreuses
études ont été menées dans di!érents pays mais
celles de qualité et de taille su"santes sont rares. De
plus, aucun des traitements n’est dépourvu d’e!ets
secondaires ou de contraintes logistiques liées à son
administration. En 2010, l’OMS a réuni un comité
d’experts pour le contrôle de la leishmaniose et une
mise à jour des options thérapeutiques a été faite en
se basant notamment sur une revue Cochrane datant
de 2009 (tableau 2).2,5

Tableau 2
Résumé des options thérapeutiques de la
leishmaniose cutanée de l’Ancien Monde
* Des formulations de paromomycine 15%
potentiellement plus e"caces ont été récemment
évaluées.6 ** traitement de deuxième ligne (voir
texte).

Lors d’infections à L. major avec moins de quatre


lésions mesurant moins de 5 cm de diamètre, en
l’absence d’immunosuppression ou de risque de
séquelle esthétique ou handicap (visage, articulations,
doigts…), une abstention thérapeutique peut être
proposée.

Des traitements topiques sont recommandés pour


toutes les espèces de LCAM lorsque les lésions sont
peu nombreuses, en monothérapie ou en
combinaison avec un traitement systémique :
injections d’antimoniés pentavalents intralésionnelles
associées à la cryothérapie à raison d’une à cinq
séances tous les trois à sept jours, application d’une
formulation de paromomycine 15% pendant 20 jours
ou photothérapie dynamique 1 x/semaine pendant
quatre semaines.6,7

Les dérivés pentavalents de l’antimoine (antimoniate


de méglumine, stibogluconate de sodium) peuvent
également s’administrer par voie systémique,
intramusculaire ou intraveineuse. Considérés comme
traitements de première ligne contre la leishmaniose
cutanée pendant de nombreuses décennies, leurs
e!ets indésirables sont nombreux (nausées,
vomissements, myalgies, céphalées, leuco et
thrombopénie, modification ECG dont allongement du
QT, pancréatite, cytolyse hépatique) et leur
administration parentérale est contraignante,8 incitant
à la recherche d’alternatives thérapeutiques plus sûres
et plus faciles d’emploi.

Pour la LCAM à L. major, nous préconisons l’utilisation


de fluconazole, permettant un traitement oral
ambulatoire. Une récente étude menée en Iran
montre qu’une administration de 400 mg/jour au lieu
de 200 mg/jour entraîne une guérison plus rapide des
lésions avec une tolérance similaire, à l’exception d’une
fréquence plus importante de nausées et de chéilite.9
Un suivi de la formule sanguine et des tests
hépatiques toutes les deux semaines est recommandé.
Une alternative par voie orale au fluconazole est la
miltéfosine (50 mg 3 x/jour pendant 28 jours), dont
l’e"cacité contre la LCAM à L. major a été démontrée
dans une étude menée en Afghanistan.10 Les e!ets
indésirables rapportés le plus fréquemment sont les
nausées et vomissements, particulièrement en début
de traitement. A noter également un risque limité de
toxicité hépatique ou rénale. La miltéfosine est
embryotoxique et tératogène, nécessitant une
contraception stricte durant la prise et au minimum
pendant cinq mois après la fin du traitement.
L’itraconazole, à raison de 200 mg/jour pendant six
semaines, a démontré une e"cacité supérieure au
placebo contre la LCAM à L. tropica.5

L’iséthionate de pentamidine (2-4 injections 4 mg/kg à


2 jours d’intervalle, par voie intramusculaire ou
perfusion intraveineuse) constitue également une
option thérapeutique e"cace dans la LCAM à L. major,
L. tropica et L. infantum.11 Cependant, nous
considérons cette option thérapeutique comme un
deuxième choix au vu du faible nombre de patients
rapporté dans la littérature et des risques significatifs
d’e!ets indésirables : hypotension, anaphylaxie,
toxicité rénale ou pancréatique.

De rares études ont démontré une bonne e"cacité de


l’amphotéricine B liposomale, mais l’absence d’une
large étude randomisée, la nécessité d’administration
en perfusion intraveineuse et le coût prohibitif de ce
traitement limitent son champ d’indication dans la
LCAM.7,12

Quel que soit le traitement administré, l’évolution


clinique de la LCAM est lente, avec cicatrisation
progressive des lésions en plusieurs semaines, voire
plusieurs mois. L’absence de réponse au traitement
nécessite parfois l’administration d’un traitement de
deuxième ligne. Des rechutes locales peuvent
également survenir dans les mois suivant la
cicatrisation des lésions mais, contrairement à la
leishmaniose cutanée du Nouveau Monde, la
dissémination des leishmanies avec atteinte muqueuse
secondaire de la sphère ORL est exceptionnelle.

Conclusion
Le diagnostic de LCAM doit être évoqué en cas de
lésions cutanées persistantes, ulcérées ou nodulaires,
au retour d’une zone d’endémie. Il se pose par examen
microscopique ou moléculaire (PCR) d’un
prélèvement de la lésion obtenu par grattage ou
biopsie. L’approche thérapeutique dépend de l’espèce
de leishmanie et de la présentation clinique. Bien que
d’évolution spontanément favorable, la LCAM est le
plus souvent traitée afin d’accélérer le processus de
guérison et d’éviter des complications à court ou long
terme (infections, cicatrices défigurantes ou
handicaps).

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en


relation avec cet article.

Implications pratiques
> La leishmaniose cutanée fait partie du
diagnostic di!érentiel de lésions cutanées
persistantes au retour de voyage

> La présentation et l’évolution cliniques


dépendent des caractéristiques du parasite
et de l’hôte

> Un grattage ou une biopsie des bords de


l’ulcère permet de poser le diagnostic par
examen microscopique ou par PCR, cette
dernière permettant l’identification de
l’espèce de leishmanie

> Di!érents traitements topiques ou


systémiques sont disponibles en fonction
de l’espèce de leishmanie et de la
présentation clinique

Auteurs
Christelle Weibel Galluzzo
Service de médecine tropicale et humanitaire
Département de médecine communautaire, de
premier recours et des urgences
HUG, 1211 Genève 14
christelle.weibel@hcuge.ch

Gilles Eperon
Service de médecine tropicale et humanitaire,
Département de médecine de premier recours,
Hôpitaux universitaires de Genève
1211 Genève 14
gilles.eperon@hcuge.ch

Anne Mauris
Laboratoire de parasitologie

Service de médecine de laboratoire

HUG, 1211 Genève 14

François Chappuis
Unité de médecine des voyages et des migrations
Département de médecine communautaire Hôpitaux
universitaires
de
Genève 1211 Genève 14

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