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Vol. 19 No.

3 2008 Fortbildung / Formation continue

Rougeole: l’apparition du rash cutané, peut apparaître


chez 60 à 70% des patients un signe patho­
Diagnostic et prise en charge d’une gnomonique de la maladie: les taches de
Koplik. Ces dernières sont caractérisées
maladie toujours d’actualité* par des papules érythémateuses à centre
blanchâtre au niveau de la muqueuse jugale,
Laurence Lacroix, Elisabeth Delaporte, Claire-Anne Siegrist, Philippe Sudre, en général situées en regard des deuxièmes
Claire-Anne Wyler, Alain Gervaix, Genève molaires et ressemblent à un grain de sel
sur fond érythémateux.
Par la suite apparaît un rash maculopa­pulaire
La rougeole est une maladie hautement le programme na­tional de vaccination, généralisé non prurigineux, disparaissant à
contagieuse, dont les complications ne nous assistons depuis quelques années à la vitropression, débutant à la racine des
sont pas rares, caractérisée par des une recrudescence des cas de rougeole, cheveux et derrière les oreilles, s’étendant
symptômes respiratoires associés à sous forme d’épidémies locales touchant distalement jusqu’aux extrémités en con­
un rash cutané et à un état fébrile. essentiellement les enfants et les jeunes fluant par endroits, puis pâlissant après
Malgré les recommandations fédérales adultes. Il nous paraissait donc indis­ trois à quatre jours pour laisser place à une
de vaccination systématique par deux pensable de définir pour le praticien une coloration brunâtre et à une desquamation
doses de ROR administrées à l’âge de attitude claire de prise en charge des cas fine de la peau affectée. Des adénopathies
12 mois puis entre 15 et 24 mois, la de rougeole et des cas en contact avec les multiples ainsi qu’une splénomégalie peu­
maladie continue à se manifester en patients infectés. vent également être présentes.
Suisse sous forme d’épidémies locales. Devant un tel tableau se pose le diagnostic
Alors que la prise en charge des cas de Clinique différentiel avec d’autres entités cliniques,
rougeole est purement symptomatique, essentiellement la rubéole, l’infection par le
les patients en contact avec les cas in- L’agent pathogène de la rougeole est un virus herpès de type 6 (HSV6), la scarlatine,
dex bénéficient de l’administration du virus à ARN de type Morbillivirus, trans­ la maladie de Kawasaki et les réactions
vaccin ou d’immunoglobulines selon missible par aérosolisation des gouttelet­ médicamenteuses.
leur âge et le délai écoulé depuis le tes respiratoires provenant d’un patient
contact. Il nous paraissait donc indis- infecté. Le virus pénètre l’épithélium de Complications
pensable de définir pour le praticien la muqueuse respiratoire ou de la conjon­
une attitude claire de prise en charge c­tive, où il se réplique localement, avant Le taux de complications liées à la maladie
des cas de rougeole et des cas en con- d’atteindre le réseau lymphatique, d’où il varie selon l’âge, la région géographique, le
tact avec les patients infectés. dissémine dans la circulation sanguine1). La statut nutritionnel et l’état immunitaire de
période d’incubation entre l’exposition et l’hôte. Le taux de mortalité est le plus élevé
l’apparition des premiers symptômes est de chez les enfants de moins de douze mois et
Introduction huit à douze jours. Les individus sont conta­ chez l’adulte.
gieux un à deux jours avant l’apparition des Les complications immédiates associées
La rougeole est une maladie hautement premiers symptômes et restent contagieux à la rougeole sont l’otite moyenne aiguë
con­tagieuse se caractérisant par un ex­ jusqu’à quatre jours après l’apparition du (7–9% des cas), la pneumonie (1–6% des
anthème généralisé associé à des symp­ rash cutané. cas), les diarrhées (8% des cas) et l’immu­
tômes respiratoires tels que toux, rhinite, La phase prodromale2) de la maladie dure nosuppression transitoire. Dans le canton
conjonctivite et à un état fébrile. Un vaccin deux à quatre jours et se caractérise par de Genève, environ 20% des cas de rougeole
efficace disponible dès 1969 en Suisse a un état fébrile, un inconfort et l’apparition nécessitent une hospitalisation. En outre,
permis une nette diminution de la morbidi­ rapide d’une toux avec rhinite, conjonctivite dans les pays en voie de développement, la
té et de la mortalité liées à cette maladie. avec épiphora et photophobie. Durant cette rougeole est la cause principale de cécité
Bien que ce vaccin soit recommandé dans phase, et jusqu’à deux à trois jours après chez l’enfant.

Figure 1a: Courbe épidémique des cas de rougeole, déclarations obligatoires, canton de Genève, février 2007–avril 2008.

* Cet article est une mise à jour de l'article original, paru dans la Revue Médicale Suisse (Rev Med Suisse 2008; 4: 920–4)

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Les complications neurologiques plus globale de 34 cas pour 100’000 habitants. Prise en charge et contrôle
tar­dives sont réunies sous trois entités Vingt-cinq pour cent des cas (179 cas / épidémique à Genève
distinctes. L’ADEM (Acute demyelinating 100’000) sont survenus dans le canton
encephalomyelitis) survient dans un cas de Lucerne, dont la couverture vaccinale Au niveau de la collectivité, les autorités
sur 1 000 dans les deux semaines suivant contre la rougeole des enfants de deux ans sanitaires ont mis en place un ensemble
l’apparition du rash cutané. La mortalité était de 71,4%, contre 82,3% en moyenne de mesures de prévention: déclaration
est de 15% et la morbidité à long terme suisse, en 20015). obligatoire au médecin cantonal, surveil­
de 20 à 40%. La SSPE (Subacute sclero- A Genève, la majorité des cas déclarés lance accrue, identification et information
sing panencephalitis) se manifeste chez un (91%) a été confirmée par un examen de des contacts quant à leur prise en charge
cas sur 25 000, principalement les enfants laboratoire positif (70% des cas) ou par (figure 2), contrôle des carnets de vac­
infectés avant l’âge d’un an (immaturité l'existence avérée d'un lien épidémiolo­ cination et information des parents des
immunitaire) et la mortalité est de 100%. A gique avec un cas confirmé au laboratoire établissements concernés par la médecine
Genève, le dernier cas a été diagnostiqué en (20% des cas). L’ARN viral a été séquencé scolaire, éviction scolaire des frères et
2001 chez un enfant de dix-huit mois suite chez 15 patients. Quatorze étaient du sœurs non vaccinés et non immuns du­
à une rougeole congénitale3). Finalement, génotype D5, identique à celui circulant rant la phase d’incubation de la maladie6),
l’encéphalite post-rougeoleuse, caractéris­ dans le reste de la Suisse et un du géno­ information des médecins du canton et de
tique des patients immunosupprimés, se type B3 (cas importé d'Ethiopie). La majo­ la population.
manifeste dans les un à sept mois après rité des cas (56%) avaient entre 10 et 29 Au niveau individuel, les mesures princi­
l’exposition, avec une mortalité élevée, de ans. Un patient sur quatre a été hospitalisé pales reposent sur la vaccination ou
76 à 85%. (22%) ou a présenté des complications l’administration d’immunoglobulines pour
(pneumonies 9%, otite moyenne aiguë 6%). les patients non immuns en contact avec
Épidemie de rougeole à Genève Parmi les patients pour lesquels le statut un cas index. En effet, l’isolement des cas
2007–2008 vaccinal était connu, 98% n'étaient pas index est insuffisant puisque les individus
vaccinés et un cas l’était avec une seule infectés sont déjà contagieux lors des pre­
Après deux années caractérisées par dose. Dix chaînes de transmissions ont miers prodromes, avant que la maladie ne
l'absence de nouveaux cas à Genève, une été identifiées, regroupant 61% des cas. soit déclarée.
flambée de rougeole a débuté fin février Les modes de transmission pour ces 39 Les personnes susceptibles d’être infectées
2007, suite à une épidémie dans le canton cas étaient familial (44%), extrafamilial sont celles qui ne sont pas immunisées de
de Lucerne. Au total, 64 cas de rougeole (13%), scolaire (10%) et nosocomial (salle façon adéquate, le risque de complications
sont survenus entre fin février 2007 et d'attente) (3%). Une éviction scolaire pré­ étant majeur pour les enfants de moins de
fin avril 2008 dans le canton de Genève, emptive (quaran­taine) a été préconisée et douze mois, les patients immunosupprimés
soit une incidence de 14 cas pour 100’000 acceptée chez huit frères ou sœurs non et les femmes enceintes. Une immunisation
habitants (figure 1a et 1b). L’épidémie vaccinés de malades dont six (75%) ont adéquate est définie par l’un des éléments
s’est également développée ailleurs en développé la maladie. Aucun ne l'a suivants: confirmation que le patient a bien
Suisse avec un total de 2'546 cas (au transmise dans les écoles ou crèches reçu deux doses de ROR, évidence de taux
29 avril 2008)4), soit une incidence fréquentées. d’anticorps IgG protecteurs ou naissance
avant 1963.

Patients présentant une rougeole


déclarée

Puisque le tableau clinique évocateur n’a


qu’une faible valeur prédictive positive dans
les pays où l’incidence est faible, une
confirmation biologique est nécessaire. Ce­
pendant, les IgM peuvent être absentes au
moment de l’apparition de l’exanthème et
n’apparaissent généralement qu’au troi­
sième jour du rash. Les IgG ne sont détec­
tables qu’au septième jour après apparition
du rash et présentent une concentration
maximale au quatorzième jour. Il est donc
préférable de rechercher directement le
virus, par culture ou plus rapidement par
PCR sur un frottis oropharyngé.
En l’absence de complication nécessitant
Figure 1b: Courbe épidémique des cas de rougeole, déclarations obligatoires, canton une hospitalisation, le maintien du patient à
de Genève et Suisse, 1999–avril 2008 domicile est requis jusqu’à quatre jours après

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l’apparition du rash cutané, avec un traite­ bébés de moins de 6 mois qui ont encore la couverture vaccinale est meilleure dans
ment symptomatique. En outre, dans les pays des anticorps maternels circulants (Ig G po­ certains pays du tiers-monde, ce qui a
en voie de développement, l’administration sitifs), aux personnes qui ont déjà reçu une permis de diminuer le nombre de décès
de vitamine A est recommandée. dose de vaccin, ni à celles qui sont vaccinées lié à la maladie d’environ un million par an
dans les 72 heures suivant l’exposition. dans les années 2 000 à moins de 300 000
Patients en contact avec un cas dès 2005.
index Prévention primaire L’administration d’immunoglobulines aux
patients à risque n’est efficace que dans
La prise en charge proposée à Genève A Genève, la couverture vaccinale est suivie la semaine qui suit le contact, et celle du
est indiquée dans la figure 2. Au-delà de de manière systématique au moyen de la vaccin dans les 72 premières heures seule-
l’administration du vaccin ou d’immun­ collecte des carnets de vaccinations de ment. Cependant, bien qu’une prévention
oglobulines, une éviction de la collectivité tous les enfants âgés de 28 mois7). Entre secondaire soit possible, elle reste difficile
durant 21 jours est requise pour toute 2 000 et 2005, la proportion d’enfants à mettre en œuvre sur le plan pratique, ren­
personne non immune vivant sous le même vaccinés avec une dose de vaccin antirou­ dant la prévention primaire essentielle.
toit que l’enfant, afin d'interrompre la chaîne geoleux a progressé de 87,9% à 91,5%. Pour Le vaccin de la rougeole est un vaccin vivant
de transmission. Il n’est donc pas néces­ deux doses de vaccin, cette proportion se atténué, en général combiné avec le vaccin
saire d’appliquer ces mesures d’éviction aux situait à 81,7% en 2005. Paradoxalement, des oreillons et celui de la rubéole (ROR).

Figure 2: Algorithme de prise en charge d’un patient en contact avec un cas index

*Au-delà de 7 jours après le contact avec un cas de rougeole, l’efficacité des immunoglobulines n’est plus prouvée. Ig: immunoglobines.

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Selon le plan de vaccination suisse8), il malgré les recommandations fédérales pour


Implications pratiques:
est recommandé de l’administrer en deux une vaccination systématique. La survenue
● Le praticien doit garder un degré de
doses, la première à l’âge de 12 mois et la d’un cas représente une urgence de santé
suspicion élevé de rougeole devant
seconde entre 15 et 24 mois. Il est à envi­ publique. Si le traitement dépend surtout
tout exanthème cutané associé à
sager entre neuf (voire six mois) et onze de mesures symptomatiques, la prise en
un état fébrile et à des symptômes
mois pour les nourrissons à haut risque charge des patients en contact avec un cas
respiratoires
(prématurés, bébés en crèche, résidence en index repose sur l’administration du vaccin
● En raison d’une contagiosité élevée,
zone endémique pour la rougeole dans cette ou d’immunoglobulines en fonction de l’âge
la survenue d’un cas doit déclencher
classe d’âge). En cas de vaccination avant du patient, de son statut immunitaire et du
une alerte épidémique immédiate,
douze mois, il faut donner la deuxième dose temps écoulé depuis le contact.
avec isolement rapide des patients
dès douze mois, au plus tôt un mois après
suspects
la première dose. Les effets secondaires Références internet:
● La prise en charge des patients re­
connus du vaccin, tels que rash ou état ● www.infovac.ch
quiert la connaissance de leur âge, de
fébrile survenant dans les six à douze jours ● www.bag.admin.ch Barinaga JL, Skolnik
leur statut vaccinal, de leur fonction
qui suivent, peuvent se manifester chez 5 à PR. Clinical presentation and diagnosis
immunitaire et pour les femmes en
15% des enfants. Aucune association avec of measles
âge de procréer de la présence éven­
l’autisme9) ou les maladies inflammatoires ● www.uptodate.com Bekhor D, Barinaga
tuelle d’une grossesse
intestinales10) n’a été démontrée. Après deux JL, Skolnik PR. Prevention and treatment
● Les mesures de vaccination systéma­
doses, la protection est de 95 à 98%, les of measles
tique doivent être encouragées
premiers anticorps étant détectables après ● www.uptodate.com Barinaga JL, Skolnik

douze à quinze jours déjà. Les contre-indi­ PR. Epidemiology and transmission of
cations à l’administration du vaccin11) sont la measles
grossesse et l’immunosuppression sévère.
L’utilisation du vaccin chez les enfants pré­ Bibliographie:
sentant une allergie à l’œuf est recomman­ 1) Duke T, Mgone CS. Measles: Not just another viral
exanthema. Lancet 2003; 361: 763–73.
dée, provoquant tout au plus une réaction 2) Cherry JD.Measles virus.In:Saunders ed.Textbook of
urticarienne. Certaines précautions doivent pediatric infectious diseases, vol. 2, fifth edition.
également être prises en compte chez les 3) Cruzado D, Masserey-Spicher V, Roux L, et al. Early
onset and rapidly progressive subacute sclerosing
patients thrombocytopéniques, chez ceux panencephalitis after congenital measles infection.
ayant bénéficié de l’administration récente Eur J Pediatr 2002; 161: 438–41.
d’immunoglobulines ou de dérivés sanguins 4) Office fédéral de la santé publique. Epidémie de
rougeole en Suisse, fin 2006–2007, relevé hebdo­
et chez ceux traités par stéroïdes à hautes madaire (9.1.2008) communiqué par JL Richard.
doses. L’état fébrile associé à une infection 5) Office fédéral de la santé publique. La couverture vac­
mineure ne représente pas une contre-indi­ cinale en Suisse de 1999–2003. Bulletin de l’OFSP
2006;19: 366–71.
cation au vaccin mais lors de toute infection 6) Vaudaux B,Anderau R, Bouvier P, et al. Recomman­
plus sévère, l’attente est préconisée afin de dations romandes et tessinoises d’éviction (pré)
ne pas confondre les signes de la maladie scolaire pour maladie transmissible. Paediatrica
2005;16: 45–8.
de base avec ceux d’une éventuelle réaction 7) Golay M, Sudre P. Immunization of 28 months old
vaccinale. children in Geneva, Switzerland: Trend over a 6-year
Un rattrapage vaccinal est recommandé period, 1995–2000. Soz Praventivmed 2005; 50: 3
19–23.
pour toute per sonne non immunisée née 8) www.infovac.ch/index2.php?option=com_docman
après 1963, les personnes plus âgées étant &task=docget&Itemid=1&id=342
très probablement immunes. Ces recom­ 9) DeStefano F. Vaccines and autism: Evidence does
not support a causal association. Clin Pharmacol
mandations concernent particulièrement les Ther 2007; 82: 756–9.
membres du personnel soignant paramédical 10) SeagroattV.MMR vaccine and Crohn’s disease: Eco
et médical, et les personnes professionnelle­ logical study of hospital admissions in England, 1991
to 2002. BMJ 2005; 330: 1120–1.
ment en contact avec les enfants. L’existence 11) Caldararo S,Adam H. Measles. Pediatr Rev 2007; 28;
d’une éventuelle immunité à la rougeole, la 352–4.
rubéole ou les oreillons ne constitue pas une
contreindication à l’utilisation d’un vaccin Correspondance:
ROR, les souches vaccinales «superflues» Prof. Alain Gervaix
étant immédiatement neu­tralisées par les Service d’accueil et d’urgences pédiatriques
anticorps correspondants préexistants12). Hôpitaux Universitaires de Genève
1211 Genève 14
Conclusion alain.gervaix@hcuge.ch

La rougeole est une maladie hautement


contagieuse qui évolue encore en Suisse

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