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Association Revue Française de Sociologie

La « douce science » des coupsAuthor(s): Jérôme Beauchez


Source: Revue française de sociologie , Vol. 58, No. 1 (JANVIER/MARS 2017), pp. 97-120
Published by: Sciences Po University Press on behalf of the Association Revue Française
de Sociologie

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/26376020

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[NOTE CRITIQUE]
La « douce science » des coups
La boxe comme paradigme d’une sociologie
de la domination

Jérôme BEAUCHEZ

Résumé. La boxe, ou la « douce science » des coups (« sweet science » en anglais),


est loin de représenter un sujet mineur pour les sociologues et les ethnographes. De
plus en plus nombreux, leurs travaux constituent autant d’analyses où s’affrontent non
seulement des corps, mais aussi différentes conceptions de l’enquête et du rapport des
chercheurs à leurs terrains. En les parcourant un à un, cet article retrace l’histoire d’un
objet sociologique dont les contours restaient à définir. Il montre que, au-delà de leurs
différences, les manières de comprendre ou d’expliquer la condition de boxeur sont
toutes traversées par une question centrale : celle de la domination. Tandis qu’elle est
au principe des combats livrés sur le ring, les chercheurs en perçoivent les expressions
à l’intersection du « genre », de la « classe » et de la « race ». Aussi ne manquent-ils
pas de voir, dans les scènes pugilistiques, diverses représentations des luttes que livrent
les subalternes contre les forces d’exclusion tendant à les maintenir dans des positions
socialement dominées.
Mots-clés. BOXE – SOCIOLOGIE – ETHNOGRAPHIE – DOMINATION – GENRE – CLASSE – RACE

The sweet science of bruising, ou l’idée d’une « douce science » des coups, est
l’oxymore forgé au cours de la décennie 1810 par l’écrivain et journaliste sportif
Pierce Egan pour désigner à la fois la technicité de la boxe et sa rudesse. Abbott Joseph
Liebling, précurseur du « nouveau journalisme » et figure marquante du New Yorker,
a popularisé l’expression dans l’Amérique des années 1950 dont il a chroniqué avec
maestria le monde pugilistique, depuis la moiteur des gymnases jusqu’à l’éclat des
combats (Liebling, [1956] 2004). Tandis qu’elles donnaient corps aux personnages
qui peuplaient les scènes comme les coulisses des affrontements, les nouvelles jour-
nalistiques signées par A. J. Liebling n’ont pas manqué de faire des émules, à l’instar
des essayistes comme Thomas Hauser (1986), George Plimpton ([1977] 2003) ou
Robert Anasi (2002). Les deux derniers sont même allés jusqu’à s’engager dans
l’épreuve du ring afin d’en restituer une expérience charnelle. Cette proximité phy-
sique avec le combat, observé dans l’intimité des gymnases, a permis à ces auteurs
d’ouvrir une perspective sur le monde privé des boxeurs. Tout l’art de leur écriture
a dès lors consisté à faire apparaitre celui du pugilisme comme situé aux antipodes
de la brutalité dont l’affuble une certaine stéréotypie qui confine également les boxeurs
à leur violence supposée. D’où la « douce science » de leurs affrontements, établie
par les écrits d’A. J. Liebling comme une invitation à voir une certaine sophistication
au-delà des apparences les plus frustes.
Loin de constituer des exceptions, les essayistes précédemment cités ne sont jamais
que des incarnations de ce lien oxymorique qui réunit l’apparente brutalité de la boxe
et la « douce science » de ses coups ; une science aussi bien exprimée sur le ring que

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La « douce science » des coups

dans la littérature, la philosophie ou la poésie. Parmi d’autres, on mentionnera les


noms d’Arthur Cravan – le poète pugiliste portraituré par Picabia –, Maurice
Maeterlinck, Jack London ou Ernest Hemingway, tout aussi habiles de la plume que
du gant. Il n’est pas jusqu’à Jean-Paul Sartre qui ne se soit servi de ses quelques
expériences du ring pour convertir l’affrontement des pugilistes en scène d’une intel-
ligibilité de la lutte réduite à son expression intersubjective (Sartre, [1958] 1985, p. 32
sq.). Avant lui, Albert Camus avait dépeint ses boxeurs sur une autre scène : celle de
l’été oranais, où leurs ombres planaient sur un public suant d’exaltation face au spec-
tacle de ces « dieux au front bas » dont l’écrivain a décrit le sang versé comme un
don propitiatoire, ou un rite aussi difficile qu’offert aux dieux populaires de la vio-
lence et de la nécessité (Camus, [1938] 1959, p. 93-100). La liste de ces contributions
à une écriture du pugilat pourrait être allongée à l’envi (e.g. Chandler et al., 1996).
Dernières héritières scientifiques de cette pensée du ring où les questions du face-
à-face avec l’Autre, de la domination, de l’intelligibilité de la lutte et de ses violences
se mêlent aux descriptions du corps à corps, la sociologie et tout spécialement l’ethno-
graphie ont à leur tour activé cette connexion charnelle entre l’expérience de la
boxe et les chercheurs qui en ont rendu compte en s’engageant au plus près des
combattants.
Alors que cet article entend dresser un état de cet art sociologique de la sweet
science, il montre que, au-delà des différences d’approches, la condition de boxeur
reste constituée par les enquêteurs en paradigme offrant l’ancrage de la chair à des
questions théoriques dont l’étendue excède largement l’enclosure du ring. Les socio-
logues et les ethnographes ont ainsi adopté, à l’égard des boxeurs, le principe de ce
que Clifford Geertz a désigné comme une « description dense » ([1973] 2003). Plutôt
que d’enquêter sur les gymnases et leurs combattants, il s’agit de s’ancrer dans leurs
expériences saisies tel un prisme au travers duquel la domination, l’adversité, la vio-
lence et bien d’autres concepts peuvent être travaillés à l’état incarné. C. Geertz disait
alors que le réel observé leur « ôtait les majuscules » imprimées par l’abstraction
théorique (ibid., p. 224). En ce sens, la boxe est loin de constituer un sujet mineur
pour les sociologues et les ethnographes. Leurs travaux sont à l’inverse autant d’ana-
lyses où s’affrontent non seulement des corps, mais aussi différentes conceptions de
l’enquête et du rapport à ses terrains. En les parcourant un à un, ce texte retrace
l’histoire d’un objet sociologique dont les contours restaient à définir1. Il indique
également que, au-delà de leurs différences, les manières de comprendre ou d’expli-
quer la condition de boxeur sont toutes traversées par une question centrale : celle
de la domination. Tandis qu’elle est au principe des combats livrés sur le ring, les
chercheurs en perçoivent encore les expressions à l’intersection du « genre », de la
« classe » et de la « race ». Aussi ne manquent-ils pas de voir, dans les scènes pugi-
listiques, diverses représentations des luttes que livrent les subalternes contre les
forces d’exclusion qui tendent à les maintenir dans des positions socialement domi-
nées. S’il s’agit bien là d’une manière récurrente de densifier les descriptions, et de
passer du registre d’une certaine violence physique à celui de la violence symbolique
qui l’expliquerait, encore faut-il entrer dans les arcanes de l’enquête, de sorte à faire
apparaitre dans toutes leurs nuances les façons de concevoir ces liens entre les
épreuves du ring et celles des dominations affrontées par la majorité de ses
combattants.

1. Une telle définition implique toutefois l’exclusion des boxes dites « pieds-poings » (boxes
française, américaine ou thaïlandaise), lesquelles ne seront pas étudiées dans cet article.

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Jérôme BEAUCHEZ

Pour ce faire, nous proposerons une lecture chronologique qui, depuis l’entame
des années 1950 jusqu’à nos jours, permettra de suivre les actes d’une constitution
de la boxe en tant qu’objet sociologique. Alors que la question de la domination
demeure au principe d’une telle lecture, nous verrons qu’elle a été posée à l’inter-
section de la « classe » et de la « race » par les premiers sociologues qui se sont
intéressés à la condition de boxeur. Leur manière de dresser un portrait du pugiliste
type, dont l’épure sociologique se tient à une certaine distance de la pratique, contraste
tant avec l’historiographie qu’avec l’ethnographie du Noble art ; deux méthodes
d’investigation qui, au cours des trente dernières années, ont permis d’incarner
l’épreuve du ring en donnant un visage à ses combattants. Tandis que l’historiographie
a privilégié la figure du champion en tant qu’analyseur de la perception sociale de la
violence et des combats livrés par les ressortissants de différents groupes subalternes,
l’ethnographie a fait apparaitre le quotidien des boxeurs anonymes, dont elle a ouvert
la porte des gymnases. Si tous les ethnographes décrivent les liens entre engagement
sur les rings et subalternité des combattants, un certain clivage s’opère néanmoins
entre ceux qui font du sens pratique des pugilistes (i.e. l’acquisition de leurs habiletés
combattantes) un révélateur de leurs habitus d’hommes dominés, et ceux qui insistent
plutôt sur le sens de la pratique tel que le conçoivent les combattants. Dans cette
dernière perspective, ce sont les tentatives de contournement ou de résistance aux
dominations qui se trouvent placées au centre de la description. Reste à noter que les
dix dernières années ont vu se développer une ethnographie de la boxe centrée sur
la question du genre. Prenant acte d’un développement de la pratique féminine dans
ce sport originellement conçu comme un bastion de masculinité – les Anglo-Saxons
désignent bien la boxe comme le manly art (l’art viril) –, les chercheurs ont constitué
l’espace pugilistique en paradigme d’un arrangement des sexes où la domination
masculine se verrait peu à peu bousculée par l’exacerbation des féminités combat-
tantes. Au terme d’un tel parcours, il nous restera à conclure par une mise en pers-
pective de ces différentes approches de la domination dont l’expérience du ring révèle
les proximités, mais aussi les distances. Celles-ci tiennent moins aux matériaux empi-
riques mobilisés qu’à des divergences épistémologiques et à leurs lignes de force qui
excèdent le seul cas de la boxe ; un cas dont les sociologues ont entamé l’étude dans
l’un des lieux historiques de la sociologie comme de l’ethnographie urbaine : Chicago.

Terrains fondateurs : Chicago, ses gymnases


et leurs chercheurs

D’après les données bibliographiques disponibles, Samuel Kirson Weinberg et


Henry Arond apparaissent comme les premiers sociologues qui ont interrogé la
« culture » des boxeurs. En la prenant pour objet dès 1952 dans les colonnes de
l’American Journal of Sociology, ils ont signé un article fondateur pour l’étude des
pratiquants de la sweet science. Si ce travail puise une part de ses matériaux dans les
revues spécialisées et les biographies de champions, l’essentiel des données consiste
en une série d’entretiens réalisés dans les gymnases de Chicago avec des boxeurs
(n = 68), des entraineurs (n = 7) et des managers (n = 5). À tout cela s’ajoute l’expé-
rience vécue d’H. Arond, qui a tour à tour occupé ces trois fonctions dans l’espace
pugilistique local (Weinberg et Arond, 1952, p. 460). Plutôt qu’à une élite régulière-
ment chroniquée par les médias, le texte s’intéresse aux épreuves ordinaires du ring ;
celles-là mêmes qui structurent les existences d’une majorité de boxeurs.

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La « douce science » des coups

La « culture professionnelle » des boxeurs aux confluences


de la pauvreté et de l’immigration

Croisant les sources, S. K. Weinberg et H. Arond commencent par établir une


morphologie sociale des combattants (ibid., p. 460-462). Ils montrent qu’aux États-
Unis leur recrutement s’effectue au bas de l’échelle sociale et parmi les ressortissants
des vagues d’immigration les plus récentes. Ainsi l’expérience de la boxe se lie-t-elle
d’emblée avec l’ailleurs, la pauvreté et le quotidien des ghettos. À la forte proportion
d’Irlandais et d’Allemands lors des années 1900, 1910 et 1920 succède l’engagement
entre les cordes d’un nombre toujours croissant de Juifs venus d’Europe, d’Ukraine
et de Russie (Bodner, [1997] 2011). Tandis qu’ils sont suivis de près par les Italiens
(Gems, 2012), cette même logique du primo-arrivant peut être reconduite pour les
combattants africains-américains issus des flux migratoires internes aux États-Unis.
Dès les premières décennies du XXe siècle, ils ont conduit ces hommes du Sud rural
vers les grandes villes industrielles du Nord, telles que Chicago (Sammons, [1988]
1990). À ces portraits de boxeurs tracés à l’intersection des dominations socio-raciales
s’ajoutent les visages emblématiques d’une certaine « latinisation » de la boxe éta-
sunienne, de plus en plus affirmée au cours des dernières décennies, à en croire les
travaux de Benita Heiskanen (2012, p. 13 sq.).
En précurseurs, S. K. Weinberg et H. Arond ont donc posé les jalons d’une socio-
logie de l’expérience du ring soucieuse de chercher les raisons de combattre aussi
bien dans les trajectoires que dans les conditions d’existence des boxeurs.
Alors qu’H. Arond apporte au binôme son expérience du monde pugilistique,
S. K. Weinberg inscrit l’analyse dans le cadre des « problèmes sociaux » posés par
les épreuves conjuguées de la pauvreté, de la violence et de la migration. Si les
boxeurs n’ont constitué qu’un court épisode dans la carrière sociologique de
S. K. Weinberg, ils participent pleinement de l’intérêt prolongé du chercheur pour la
« culture » et la « personnalité » des jeunes Américains disqualifiés. En 1952, une
telle association de concepts dénote l’influence d’une anthropologie culturelle proche
de la psychologie clinique et de la psychanalyse. Lors de la Seconde Guerre mondiale,
S. K. Weinberg a d’ailleurs travaillé comme psychologue clinicien pour le compte de
l’armée des États-Unis. Quant à sa fibre anthropologique, elle a été renforcée par un
séjour au Ghana au cours de la décennie 1960 et plusieurs publications sur les pro-
blèmes de déviance et de maladie mentale dans les sociétés ouest-africaines. Au-delà
d’une certaine variété des terrains sélectionnés – depuis les institutions psychiatriques
jusqu’à la prison, la délinquance et la criminalité –, tous conservent la marque d’une
sociologie chicagoane attentive aux formes du contrôle social et de la marginalité.
Mais en dépit du fait qu’elle se situe dans cette tradition d’enquête qui réserve
une large place aux récits d’expérience, l’analyse sociologique de la condition de
pugiliste produite par S. K. Weinberg et H. Arond se révèle plutôt avare en détails
ethnographiques. Le style d’écriture est aussi impersonnel que généralisant, et nulle
part le texte ne fait véritablement droit aux expériences de la boxe accumulées par
H. Arond. Selon la définition d’Edward Sapir ([1932] 1967, p. 96), les auteurs conçoi-
vent la « culture » des boxeurs à la manière d’un inventaire des modèles sociaux du
comportement, dont le principal lieu d’actualisation reste l’interaction combattante et
ses cadres (le gymnase ainsi que les combats en public). Toutefois, cette culture
professionnelle (occupational culture) est moins décrite en situation que restituée au
travers des traits saillants d’une personnalité de base qui en constituerait la typifi-
cation. Dans la perspective du boxeur type, elle se compose ainsi de techniques

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corporelles dont la maitrise s’additionne de représentations du statut social, d’aspi-


rations à la réussite et de rôles intériorisés à la manière d’une structure du compor-
tement (Weinberg et Arond, 1952, p. 462). Celle-ci soutiendrait les motivations, tout
comme elle marquerait la condition doublement dominée du pugiliste, tant dans le
monde social que dans celui de la boxe. Combattant le plus souvent la pauvreté, il
s’engage sur les rings, gonflé à bloc par l’envie de faire brasiller l’éclat des coups dans
tous les regards. En témoignent les extraits d’entretiens publiés par S. K. Weinberg
et H. Arond à l’entame de leur article (ibid., p. 461-463). Ce à quoi les sociologues
ajoutent que les adversaires n’apparaissent jamais sur la scène des affrontements
qu’en tant que clou d’un spectacle entièrement géré par ceux – managers et promo-
teurs – qui ont la mainmise sur l’économie du pugilat.
Ainsi les boxeurs acceptent-ils de donner et prendre des coups dont leurs corps
gardent l’empreinte, tandis que les blessures et l’absence de compétences en dehors
du combat deviennent autant de handicaps pour une éventuelle reconversion. Souvent
problématique pour de jeunes hommes sans diplômes et prématurément vieillis par
leurs luttes, elle tend à faire de la trajectoire pugilistique un chemin où l’espoir d’éloi-
gner le mauvais sort aboutit à de nouvelles impasses. Clairement désignées par
S. K. Weinberg et H. Arond en conclusion de leur analyse (ibid., p. 468-469), elles
constituent une critique forte de la condition comme du métier de boxeur. Une critique
dont on ne peut que regretter l’appui par trop généralisant que forment les descriptions
d’une « personnalité » des combattants, sorte de produit typique de la micro-culture
du ring conçue à la façon d’un système de rôles et de schèmes comportementaux.
Car comme l’indique au même moment Maurice Merleau-Ponty ([1951] 2000), le
comportement et sa structure, observés depuis leurs manifestations, demeurent un
objet extérieur auquel il manque la perspective de l’intériorité ; perspective sans
laquelle la description d’une culture se limite à un répertoire de traits, ou de caractères
asséchés du flux de l’expérience vécue.

Black studies et combattants noirs : un subalterne prend la parole

Cette leçon de phénoménologie aurait pu être entendue par Nathan Hare. Suite à
un doctorat en sociologie obtenu en 1962 à l’université de Chicago, cet intellectuel
africain-américain s’illustre sur la scène académique de son pays en devenant l’un
des fondateurs des black studies (un espace académique interdisciplinaire dédié aux
études historique, culturelle, politique et sociologique de la diaspora noire). À compter
de 1968, il gère le premier cursus de la spécialité qu’il crée à l’université d’État de
San Francisco. Accessoirement, le Dr. Hare est aussi un ancien pugiliste qui met fin
à sa carrière en 1967, après avoir disputé pas moins de trente-six combats dont les
derniers l’ont amené à un niveau professionnel fort honorable. Ainsi a-t-il, selon ses
propres dires, côtoyé des centaines de boxeurs au fil des années – depuis les combat-
tants les plus obscurs jusqu’aux princes et autres rois des rings tels que Bobby Foster
ou Mohamed Ali. Qui plus est, dans le même espace et à peu près en même temps
que S. K. Weinberg et H. Arond, il conduit, à Chicago, une étude sociologique de la
condition de pugiliste.
Fondée sur une connaissance intime des gymnases qu’il fréquentait au quotidien,
son enquête consiste également en l’analyse systématique des trajectoires de cin-
quante-huit boxeurs professionnels qu’il a interrogés de sorte à retracer leurs parcours
dans et en dehors des rings. L’échantillon regroupé par le pugiliste-enquêteur comptait
alors une large majorité de combattants noirs toujours en activité, ou retirés des

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La « douce science » des coups

affrontements. Mais, en dépit de ce riche matériau tout à la fois expérientiel et bio-


graphique, les comptes rendus de N. Hare se tiennent éloignés de la forme ethnogra-
phique du récit. Au détail proche des épreuves vécues, l’auteur préfère la distance
d’une analyse sociologique qui, laissant supposer l’expérience, se contente d’en tirer
les conséquences. Alors que l’intérieur des gymnases et de la profession de boxeur
ne sont jamais que suggérés, c’est donc un regard étrangement extérieur qu’il pose
sur ses collègues combattants.
Quelques bribes de ce travail ont été publiées, dès la fin de la décennie 1950 et
jusqu’aux années 1970, dans des ouvrages collectifs ou des revues telles que The
Black Scholar (e.g. Hare, [1970] 1973). Ces fragments n’ont malheureusement jamais
été réunis sous la forme d’un livre. Quoi qu’il en soit, l’idée de cette recherche est
bien de découvrir quelles « forces » ont attiré les boxeurs sur le ring et quel a été leur
devenir une fois les gants définitivement raccrochés. L’hypothèse de N. Hare est que
la boxe, en tant que profession, donnerait à voir une forme socio-raciale de domination
qui, s’inscrivant dans les corps, les exploite et les abime à tel point qu’elle parvient
à en épuiser tous les futurs (ibid., p. 82 sq.). Loin d’atténuer la disqualification des
Noirs les plus pauvres, la carrière pugilistique renforcerait ainsi les logiques sociales
de l’exclusion en vieillissant prématurément ses combattants, auxquels elle ne laisse
quasiment rien dans les mains après l’achèvement de leur carrière.
Compte tenu des maigres gains financiers que la plupart des pugilistes parviennent
à sauver de leurs passages entre les cordes, à quoi servent en effet leurs habiletés une
fois retirées des aires de combat ? Tandis que les spécificités de telles aptitudes cor-
porelles empêchent le plus souvent la reconversion professionnelle des boxeurs, le
travail de N. Hare les inscrit plus largement dans la trame des cultures africaines-
américaines au titre de signes gestuels d’une condition subalterne. Devançant les
recherches ethnographiques de Loïc Wacquant (2000) qui reprendront à leur compte
les mêmes constats dressés dans des endroits similaires – Chicago et ses gymnases –,
cette compréhension élargie de l’expérience pugilistique érige le corps des combat-
tants noirs, sa dégradation progressive et les empreintes laissées par l’accumulation
des chocs, en signifiants auxquels le sociologue articule le signifié d’une domination
organique ; une domination qu’exprime tout autant la chair livrée aux coups que la
nudité des corps absorbés par les nécessités d’un combat socio-racial dont le ring
n’est qu’une métaphore (Hare, [1970] 1973, p. 82-83). Les conversations de gestes
qu’y disputent les boxeurs résonneraient ainsi bien au-delà de l’aire d’affrontement.
En finalité, le travail de N. Hare montre que cette dernière constitue moins un objet
d’étude qu’une situation définie par les forces sociales qui traversent les corps des
boxeurs, et mènent la compréhension sociologique de leurs luttes aux confluences de
la « race » et de la « classe ».

Incarner l’expérience du ring : de l’historiographie


à l’ethnographie
Au cours des trente dernières années, les plus nombreux à s’être intéressés aux
boxeurs en tant qu’incarnations des violences socio-raciales expérimentées par les
membres des groupes dominés ont sans conteste été les socio-historiens. Si bien que
leurs travaux participent d’une sociologie de la boxe dont la densité descriptive doit
également être recherchée dans la diachronie. Adossées à une longue tradition d’essais
littéraires et de chroniques journalistiques dédiées aux combattants du Noble art, ces

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recherches en reprennent les principales scansions – le plus souvent américaines –


afin de constituer autant d’historiographies critiques qui ne manquent pas de prolonger
certaines des hypothèses échafaudées par S. K. Weinberg, H. Arond et N. Hare. Ainsi
ces approches historiques proposent-elles de replacer les grands événements pugilis-
tiques dans la perspective des changements et des luttes sociopolitiques dont ils consti-
tueraient autant d’expressions.

Le combat de boxe comme mise en abyme des luttes sociales

Si le ring et ses opposants apparaissent comme la figuration de tout un ensemble


de combats livrés par les plus démunis, alors les actes des boxeurs qui entrecroisent
leurs poings fournissent la matière d’une sorte de récit spéculaire, ou de mise en
abyme des inégalités structurantes de nos sociétés. D’une telle hypothèse on peut
aisément dire qu’elle a fécondé tout un ensemble de recherches où les visages des
boxeurs célèbres font les têtes de chapitres d’une histoire culturelle des « minorités ».
Ainsi, par exemple, de nombreuses études de cas consacrées à l’une ou l’autre des
grandes figures africaines-américaines de la boxe – Jack Johnson, Joe Louis (Hietala,
2002), Mohamed Ali (Gorne, 1995) et autres « poids-lourds » du Noble art (Frisbee,
2016) –, dont les combats sont appréhendés comme autant d’emblèmes des luttes
sociales et politiques qui les encadraient. Plus qu’une simple chronique des cham-
pions, l’idée-force que partagent la plupart de ces travaux consiste donc à suivre
l’échange des coups bien au-delà des corps affrontés sur les rings. Ancrées dans les
destinées de ces combattants qu’elles n’hésitent pas à nommer, les enquêtes des socio-
historiens paraissent à certains égards plus personnelles que celles des sociologues
précédemment cités. Cependant, contrairement aux historiographes du ring et de ses
champions, dont l’engagement auprès des boxeurs n’est jamais qu’indirect et tenu à
distance du passé, les sociologues nous mènent au cœur des gymnases, parmi les
pugilistes ordinaires aux côtés desquels ils sont bel et bien présents, mais sans pour
autant nous livrer un véritable accès à l’intérieur de cet univers, que leurs textes
réduisent pour l’essentiel à une typification scientifique épurée de tout détail
ethnographique.
En dépit du fait qu’elle constitue une approche intermédiaire, la sociologie figu-
rationnelle ne résout pas le problème de cette explication par trop distanciée du quo-
tidien des combattants. Suivant le précepte de Norbert Elias qui recommandait aux
sociologues d’éviter le « retrait dans le présent » ([1987] 2003), ce type de recherche
analyse sur le temps long (XVIIIe-XXIe siècles) l’inscription du pugilisme dans le « pro-
cessus de civilisation occidental » (Sheard, 1997 ; Murphy et Sheard, 2006). Érigeant
les évolutions de la boxe en analyseur du contrôle social de la violence et de ses
émotions, une telle manière de comprendre l’expérience du ring dépend étroitement
de la façon dont l’objet empirique se trouve constitué en exemple ad hoc contribuant
à la validation d’une théorie qui précède les études de cas. Alors que la violence
traverse ces analyses sociologiques à l’état de concept indéfini2, elle sert à évaluer la
pratique pugilistique à l’aune d’une prénotion qui demeure avant tout celle du cher-
cheur. Signe du pouvoir de celui qui nomme (le sociologue) sur celui qui est nommé
(le boxeur), l’emploi du signifiant « violence » n’est toutefois jamais envisagé dans
la perspective des pugilistes. Ceux-ci montreraient pourtant que son épreuve leur

2. Pour une discussion de la sociologie éliassienne sur ce point, voir notamment Michel Wieviorka
et al. (1995, p. 230) ainsi que Randall Collins (2008, p. 319).

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La « douce science » des coups

apparait bien moins dans le corps-à-corps que dans les tensions existentielles, les
stigmatisations et les épreuves de la domination auxquelles répond l’affrontement sur
le ring (Trimbur, 2011 ; Beauchez, 2014, p. 209-210 ; Scandurra, 2015). Plutôt qu’une
sociologie moralisante, c’est donc une sociologie de la morale pugilistique – indiquant
les valeurs et les significations que les boxeurs engagent dans leur pratique – qui aide
à bâtir une compréhension proche de l’expérience des combattants, axiologiquement
neutre et libérée de tout ethnocentrisme constitué en privilège absolu de l’analyste
sur l’analysé. Sans cette proximité avec les corps-sujets de l’enquête, la recherche se
réduit à l’observation préconstruite de corps-objets considérés a priori comme autant
d’incarnations d’une forme de violence, de domination ou de quelque autre concept
dont ils constituent autant d’exemplifications. Entre une historiographie plutôt
concernée par l’évolution de la pratique pugilistique, inscrite dans une succession de
contextes emblématisés par la figure de tel ou tel champion, et une sociologie du ring
en grande partie réservée à l’analyse impersonnelle du boxeur type – voire à l’exem-
plification de théories –, l’ethnographie a ainsi constitué une ressource nouvelle pour
comprendre le quotidien des boxeurs. Celui-ci a été expérimenté par les chercheurs
sur le mode d’une observation plus ou moins participante qui, dans tous les cas, a
renforcé les liens entre terrain et théorie.

Dr. John et l’« exploitation du désavantage »

Le premier d’entre ces ethnographes du Noble art fut John Sugden. En 1979, cet
anglais diplômé en sociologie et sciences politiques s’engage, aux États-Unis, dans
la préparation d’un doctorat qu’il soutient en 1984 à l’université du Connecticut.
Tandis que ses recherches visent à documenter l’expérience des boxeurs ordinaires,
l’enquêteur se rend pendant plus de deux ans au gymnase afin de ressentir la pulsation
de l’effort et s’approprier cette « subculture pugilistique » dont il observe le profond
enracinement dans les réalités quotidiennes du ghetto. Charter Oak, l’un des espaces
les plus délabrés de la ville d’Hartford, enserre dans sa dureté le Memorial Boxing
Club, où s’entraine une majorité de jeunes hommes noirs et hispaniques. Habitués à
la présence du chercheur, ils l’ont rebaptisé « Dr. John » ; un surnom qui désigne son
rattachement universitaire par le détour d’une allusion musicale3. Homme à tout faire
(odd-job man), il est chargé de la maintenance du matériel lorsqu’il n’est pas réqui-
sitionné pour prêter main-forte à l’entraineur. Sans nécessairement boxer lui-même,
J. Sugden assume d’autres rôles et fait donc partie intégrante de ces regulars qui,
chaque jour, constituent les rouages charnels d’une manufacture de la frappe où le
corps des boxeurs s’ouvrage dans une sorte d’effervescence continue4.
Tandis que l’expérience pugilistique de « Dr. John » au Memorial d’Hartford se
clôt en 1984, il faudra encore attendre trois années pour voir publiés quelques élé-
ments de son enquête, qui présente l’avantage de livrer un accès inédit sinon à
l’inconnu, tout du moins aux anonymes du Noble art dont la plume de l’ethnographe
tente de délier les secrets de formation (1987, repris dans Sugden, 1996, p. 56 sq.).
Mais alors qu’il s’efforce de dénouer les liens complexes qui se sont tissés entre
épreuves quotidiennes du ghetto et besoin d’importance sociale gagnée à la force des

3. « Dr. John » est le nom de scène de Malcolm Rebennack, poly-instrumentiste et chanteur


néo-orléanais dont l’œuvre musicale, située entre blues, funk et rock, était très prisée tant par les
Noirs que par les Blancs.
4. Sur le curriculum du chercheur et le déroulement de son enquête, voir J. Sugden (1996,
p. 197-211).

104, Revue française de sociologie, 58-1, 2017

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poings, le chercheur peine à connecter son analyse aux rues de Charter Oak qu’il
fréquente peu, voire plus simplement aux biographies des boxeurs dont il ne propose
pas d’analyse. S’il reste, après quelques écrivains de talent, le premier sociologue à
emmener son lecteur dans les murs d’un gymnase, J. Sugden nous laisse pourtant au
seuil de l’intimité des combattants.
Il en sera de même, en dehors de Charter Oak, pour les autres enquêtes menées
par ce chercheur qui ne laisse pas d’investiguer le monde pugilistique en poursuivant
l’objectif d’une ethnographie multisituée dont les routes le conduisent de Belfast
(Irlande du Nord) à La Havane (Cuba). Réunies dans son ouvrage Boxing and Society
(1996), ces nouvelles investigations s’ajoutent aux descriptions du gymnase
d’Hartford et montrent le corps des boxeurs traversé par différents types de pouvoirs
politiques. À Belfast, il s’agit d’incorporer l’ensemble de la jeunesse irlandaise
– toutes confessions confondues – dans la moiteur du Holy Family Boxing Club, où
s’institue une forme de résistance aux divisions politico-cultuelles qui, dans toute
l’Irlande du Nord, tendent à opposer violemment catholiques et protestants. Quant à
La Havane, J. Sugden y montre le Trojo Gym, ce temple de l’amateurisme pugilistique
cubain où se joue le rituel quotidien d’une incarnation de la puissance quelque peu
surannée du régime castriste. Plus qu’ailleurs, l’ethnographe y demeurera à distance
d’une réalité des boxeurs que la censure et les agents gouvernementaux prennent bien
soin de filtrer.
Quoi qu’il en soit, ces trois sites étasunien, irlandais et cubain constituent le cœur
d’une ethnographie des pugilistes qui, depuis la variété des contextes, permet de
dégager l’invariance d’une question posée par les subalternes aux différentes logiques
de la domination. Car si la boxe reste une pratique de dominés, les plus décidés
d’entre ses combattants ne manquent pas d’opposer toute la force de leur vie nue à
leurs destins préjudiciés. Fût-elle dérisoire, cette force est alors exhibée et parfois
vendue par ceux qui, loin de la dureté qui a façonné les boxeurs, contrôlent le
commerce de leurs combats. Spéculant sur la chair, les managers et les promoteurs
se servent ainsi des aspirations comme de la volonté des pugilistes sans pour autant
partager leurs conditions d’existence. Aussi J. Sugden conclut-il toujours à cette
exploitation du désavantage qu’il a d’abord observée à Hartford. L’ethnographe
anglais confirme, par l’engagement direct de son enquête, l’intuition plus distanciée
de la romancière Joyce Carol Oates qui, avec toute l’irrévérence de son audace lit-
téraire, n’a pas hésité à rapprocher marchandisation du corps pugilistique et prosti-
tution ([1987] 2012, p. 33). D’une rencontre des corps à l’autre, une même expérience
sociale-structurelle de la domination produirait cette réduction de l’existence à une
marchandise qui, selon ses formes, s’accorde aussi bien au féminin qu’au masculin.
De la même manière, J. C. Oates remarque cette étreinte des hommes que la boxe
met en scène dans le désir à la fois disputé et partagé de la victoire, inspirant à Loïc
Wacquant une certaine idée du combat en tant que « rituel homo-érotique » (2000,
p. 11, p. 69).

Le sens pratique du combat : une sémiologie des corps


dominés ?
Bien qu’elle passe le plus souvent pour une étude pionnière de la condition des
pugilistes ordinaires, l’ethnographie réalisée par le sociologue franco-américain
L. Wacquant apparait avant tout comme l’héritière d’une suite d’enquêtes menées au

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La « douce science » des coups

plus près du corps des boxeurs. Décrivant les manières dont celui-ci est à la fois
traversé et modelé par les rapports de domination, ces travaux d’écrivains, de socio-
logues et d’historiens n’ont pas manqué d’orienter les vues du chercheur qui s’est
engagé « corps et âme » au Woodlawn Boys Club, dans le South Side de Chicago,
avec l’espoir de constituer le gymnase en fenêtre ouverte sur son principal objet
d’étude : le ghetto africain-américain.

Variations sur l’habitus des boxeurs

À l’opposé d’une telle ouverture, c’est plutôt la fermeture un peu moite de


l’entre-soi pugilistique qui, finalement, a séduit l’enquêteur au point d’en faire un
lieu d’investigation à part entière (ibid., p. 12-13). Alors qu’il s’est plié pendant plus
de trois ans (1988-1991) à la routine des entrainements, L. Wacquant a réuni pléthore
de matériaux ethnographiques à partir desquels il a documenté l’expérience de la
boxe comme incorporation d’une habileté aussi spécifique qu’indissociable des dif-
ficultés socioéconomiques affrontées par les combattants qu’il a côtoyés. Afin
d’exposer les résultats de son travail, il a ainsi rédigé une dizaine d’articles dont les
principaux ont contribué à la composition d’un ouvrage – Corps et âme. Carnets
ethnographiques d’un apprenti boxeur (2000) – qui compte désormais parmi les réfé-
rences de l’ethnographie urbaine. Au-delà du cercle des études pugilistiques, cette
enquête a été maintes fois discutée pour ses apports scientifiques, de même que pour
les problèmes qu’elle soulève dans l’approche conjuguée d’une pratique corporelle
et d’une expérience de la pauvreté5. Cela étant, l’objet de ce commentaire portera
moins sur la célébrité académique de l’ethnographe-boxeur que sur la théorie socio-
logique qu’il engage dans sa compréhension du gymnase ; une théorie dont il emprunte
les principaux outils à Pierre Bourdieu.
Ainsi l’habitus des boxeurs se trouve-t-il placé au centre d’une enquête qui entend
situer l’acquisition d’un tel système d’habitudes combattantes dans le champ de forces
particulier que constitue la structure socioéconomique du ghetto noir. Depuis les
publications, en 1979 et 1980, des deux maitres-ouvrages de P. Bourdieu – La dis-
tinction et Le sens pratique –, cette articulation entre dispositions individuelles et
cadre structurel compose la clé de voute d’une recherche sociologique qui invite à
concevoir les pratiques des individus comme autant d’expressions de leurs positions
dans la structure sociale. Dès le début de la décennie 1980, une telle perspective
théorique désigne, en France, le principal programme d’une sociologie des sports qui
cherche le plus souvent à établir la relation entre usages du corps et appartenances
de classe. Tandis que la méthode ethnographique est fréquemment mise au service
de ce projet, elle est particulièrement bien représentée lors de la parution, en 1989,
des deux numéros (79 et 80) que consacrent les Actes de la recherche en sciences
sociales à l’« espace des sports ». Recueillant la première expression des recherches
pugilistiques menées par L. Wacquant (un texte réinscrit dans l’ouvrage Corps et
âme), cette entreprise éditoriale trouve en ce dernier l’une de ses meilleures plumes,
de même qu’une contribution des plus convaincantes à la description sociologique
d’un certain « sens pratique ». L’auteur en détaille l’acquisition au travers de toutes
les phases de l’entrainement, depuis le travail au bas du ring – i.e. le jeu de jambes,
les exercices au sac de frappe, ou encore le shadow boxing (une lutte livrée contre

5. Après la traduction en anglais (US) de Corps et âme parue en 2004, deux sections thématiques
ont été consacrées à la discussion du livre, l’une dans Qualitative Sociology (2005, 28, 2), l’autre
dans Symbolic Interaction (2005, 28, 3).

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un adversaire imaginaire) – jusqu’à la préparation au combat, le sparring, où il s’agit


de s’affronter tout en établissant une sorte de compromis de travail destiné à préserver
au mieux l’intégrité physique des partenaires-adversaires (Wacquant, 2000, p. 60-99).
Empreintes de toute la vie du gymnase, ces descriptions alternent avec des moments
de théorisation où le chercheur montre qu’une habileté comme la boxe s’inculque
dans l’action – par « incorporation directe » (ibid., p. 61) – puis se stabilise au prix
d’inlassables répétitions des mêmes formes gestuelles qui en viennent à constituer
les dispositions corporelles du pugiliste efficace. Ce faisant, L. Wacquant invite son
lecteur à observer la formation en actes d’un habitus spécifique dont les secrets de
fabrication peuvent servir à la compréhension de nombre d’apprentissages pratiques.
Si bien que ce travail fera école, ne laissant pas d’inspirer l’étude sociologique des
arts martiaux et autres pratiques de combat (e.g. García et Spencer, 2013). Mais
au-delà d’une ethnographie très fine de l’habituation des corps aux affrontements,
l’articulation des dispositions du pugiliste à l’environnement social du ghetto soulève
d’autres questions.

Protection, discipline et honneur...

Le spécialiste en études américaines Carlo Rotella – lui-même auteur d’articles et


d’ouvrages sur la boxe – relève ainsi que, en rééditant l’expérience du terrain chica-
goan ouvert par S. K. Weinberg, H. Arond et N. Hare, L. Wacquant n’a jamais fait
que (re)découvrir avec force engagement ce que beaucoup avaient écrit ou filmé avant
lui. À savoir que les boxeurs s’efforcent d’utiliser leurs habiletés corporelles acquises
dans la rudesse des combats pour échapper à d’autres duretés : celles de l’existence
quotidienne dans des quartiers paupérisés où ils sont maintenus en situation de domi-
nation (Rotella, 2002, p. 45). En réalité, ce n’est pas exactement – ou seulement – ce
qu’a fait L. Wacquant. Son argument est plus subtil. S’il prend d’emblée ses distances
avec le sens commun qui prête volontiers des vertus salvatrices aux carrières pugi-
listiques, l’ethnographe n’en reste pas moins convaincu que le gymnase assure une
triple fonction vis-à-vis du ghetto. « Protection », « discipline » et « honneur » cultivés
dans le cadre de la boxe s’opposeraient ainsi à l’anomie ambiante, tandis que le
gymnase représenterait un « îlot d’ordre et de vertu », un « sanctuaire » ainsi qu’un
« bouclier contre l’insécurité du ghetto et les pressions de la vie quotidienne »
(Wacquant, 2000, p. 18, p. 20 sq.).
Dans de telles conditions d’existence, et en dépit des coups que l’on peut y rece-
voir, le gymnase devient synonyme de mise à l’abri. Aussi l’idée d’une opposition
symbiotique du « ring » et de la « rue » (ibid., p. 58) suggère-t-elle une ethnographie
des réponses qu’apportent les boxeurs aux difficultés du quotidien. Outre la descrip-
tion des entrainements où l’on s’apprête collectivement au combat, le lecteur s’attend
donc à découvrir des analyses de parcours et des rapports de situations qui ajouteraient
la parole aux gestes des combattants. Or, quelques rares vignettes biographiques mises
à part, rien de tout cela n’apparait dans le travail de L. Wacquant, qui ne semble
retenir du point de vue des pugilistes que les productions de leurs corps en mouvement
et quelques déclarations convoquées à l’appui des discours savants6. Les descriptions
du sens pratique éclipsent ainsi la recherche du sens de la pratique tel que les boxeurs

6. Cette critique des matériaux biographiques insuffisants est aussi celle de Mitchell Duneier
(2006, p. 151 sq.). Quant aux portraits sociologiques de boxeurs réalisés par L. Wacquant, ils se
résument principalement à deux biographies : celles de Curtis Strong et Butch Hankins (2000,
p. 129 sq.).

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La « douce science » des coups

l’éprouvent, le disent et le vivent. Hyper-adapté à son micro-monde de combats,


l’habitus du boxeur devient le principal analyseur d’une position sociale qui s’établit
tant bien que mal à la frontière du Lumpenproletariat noir. Tandis qu’il situe les
pugilistes à la lisière des groupes les plus désaffiliés (ibid., p. 43 sq.), L. Wacquant
indique en effet qu’ils n’en restent pas moins assujettis aux logiques néolibérales
d’une domination aboutissant à l’enfermement pratique et symbolique des pauvres.
L’hypothèse est fort intéressante. D’abord ancrée dans les réalités du ghetto chica-
goan, elle a ensuite été étendue à une analyse comparative de la condition de « paria
urbain » en France et aux États-Unis (Wacquant, 2006). Mais, dans chacun de ces
cas, la théorie critique semble prendre le pas sur la parole des enquêtés (Anderson,
2002). Qu’il s’agisse des boxeurs, des habitants des ghettos ou de ceux des banlieues,
leurs mots manquent à une sociologie plus experte en sémiologie des corps dominés
qu’en restitution du sens donné aux épreuves de la domination par celles et ceux qui
les vivent au quotidien. Si bien que la « participation observante » dans laquelle se
fonde l’enquête pugilistique de L. Wacquant aboutit pour l’essentiel à une exempli-
fication – aussi riche que finement documentée – de la théorie de l’habitus mobilisée
comme une grille de lecture a priori ; une grille qui ne laisse entrevoir des pugilistes
que les traits dont les saillances confirment le modèle, tandis que la diversité des
visages et des rapports à la boxe se réduit dans l’écriture des systèmes d’habitudes
et de leurs régularités sociologiques.

Le sens de la pratique : ce qu’en disent les boxeurs


Prenant le contrepied d’une démarche ethnographique qui appréhende le réel au
travers d’une grille conceptuelle d’ores et déjà établie, certaines enquêtes se sont
efforcées de construire leurs interprétations de l’expérience pugilistique à partir d’élé-
ments livrés par les boxeurs eux-mêmes. C’est ce qu’a tenté de faire Lucia Trimbur
en s’immergeant dans l’activité quotidienne du Gleason’s Gym de New York, où elle
a mené son enquête ethnographique durant quatre années.

Tough love : le gymnase comme institution des pauvres

Véritable temple de la culture pugilistique, avec ses 600 boxeurs et près de 40 coa-
ches, le Gleason’s se présente tel une sorte d’énorme salle gigogne qui emboite une
multiplicité d’équipes de combat chacune placée sous la houlette d’un entraineur.
Deux d’entre elles, comptant une quarantaine de pugilistes, ont fait l’objet des inves-
tigations de l’ethnographe (Trimbur, 2011, p. 138). Celle-ci s’est alors appliquée à
documenter le type de relation qu’établit le travail des corps partagé entre l’entraineur
et ses combattants. Âgés de dix-sept à vingt-sept ans, la plupart sont noirs ou hispa-
niques. Tous ou presque ont fait de la prison et/ou vendent de la drogue dans la rue.
Comme le souligne L. Trimbur, ils ne s’apparentent donc pas à ces travailleurs pau-
vres dont Katherine Newman (1999) a dressé un portrait ethnographique, mais bel et
bien aux fractions les plus désavantagées qui composent l’underclass des centres-ville
étasuniens.
Enfants du ghetto, les pugilistes étudiés par L. Trimbur sont issus de familles
déstructurées par la brutalité croissante d’un quotidien qui a également forgé l’expé-
rience de leurs entraineurs, dont plusieurs sont passés avant eux sous les fourches
caudines de l’économie souterraine et de l’incarcération. Sur ce fond de problèmes

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sociaux, l’enquête montre que leur présence conjointe au gymnase est conçue comme
une tentative de s’opposer collectivement aux forces de la marginalisation, ne serait-ce
qu’en s’efforçant de faire autre chose que simplement « zoner ». L’engagement pugi-
listique doit donc être compris non pas en opposition, mais en raison des parcours
marqués par l’expérience du ghetto. Pas de miracle pour autant, puisque rares sont
les enquêtés qui réussissent à décrocher un travail légal, alors même que Jay, l’un
des entraineurs, perd son appartement au cours de l’enquête, faute de revenus
suffisants.
Luttant contre le spectre d’une vie à nouveau jetée sur l’asphalte des rues qu’il a
déjà trop bien connu, l’homme tient à préserver coûte que coûte sa dignité et cache
soigneusement sa situation aux boxeurs qu’il continue d’entrainer en leur insufflant
toute sa motivation intimement fragilisée, mais extérieurement intacte. Au-delà de la
boxe, c’est bien cette faculté de résistance à l’adversité que Jay cherche à inculquer
aux boxeurs. Pour cela, lui comme les autres entraineurs du Gleason’s Gym emploient
un discours ostensiblement volontariste et moralisateur, où l’idée de responsabilité
personnelle le dispute à la fustigation de toute faiblesse. De leur point de vue, la
complaisance plus ou moins plaintive ne produit rien d’autre qu’un affaiblissement
progressif, synonyme de perdition dans un univers aussi dur que celui du ghetto. Pour
cette raison, les entraineurs marquent l’apprentissage du combat d’une discipline
inflexible et n’hésitent jamais à rudoyer leurs jeunes recrues. Cet « amour vache »
(tough love) correspond à la façon dont ils prennent soin de leurs boxeurs. Car, ce
que les coaches ne parviennent pas à leur apprendre dans le cadre relativement sécu-
risé de la boxe, la rue se chargera de l’imposer avec une incommensurable brutalité.
C’est alors que L. Trimbur interroge : n’y a-t-il pas, au cœur de cette relation
homosociale unissant entraineurs et entrainés, quelque chose d’une violence des
valeurs néolibérales qui façonnent l’expérience des pauvres en les persuadant de leur
propre responsabilité face aux manques et aux douleurs de leur destinée ? Sans doute,
répond-elle, mais le gymnase ne se contente pas de simplement prolonger les discours
qui prônent l’entreprise de soi. Il les réarticule aux réalités de la rue en expliquant
aux plus jeunes qu’ils ne pourront jamais compter que sur leurs propres forces ; ni
le gouvernement ni une quelconque institution d’État ne leur viendront en aide. Autant
qu’ils le sachent et qu’ils refusent sans attendre leur propre victimisation en adoptant
une attitude non pas de résignation, mais de combat (Trimbur, 2011, p. 350-351).
Tout cela est certes congruent avec l’idéologie néolibérale, mais ne s’y limite pas. Il
y a plus : une forme de critique sociale qui, bien qu’appuyée sur l’idée de la respon-
sabilité personnelle, se profile parmi l’individualisme méthodologique qui définit le
mode d’action collective de cette institution des pauvres qu’est le Gleason’s Gym.
Loin de méconnaitre les aspects profondément racistes et inégalitaires du système qui
les domine, les entraineurs refusent pour autant de se percevoir – et de percevoir les
boxeurs – comme des victimes. C’est là toute leur dignité de travailleurs du ring. Leur
rôle est par conséquent d’affermir les volontés et d’aiguiser cette combativité dont
ils pensent qu’elle reste leur meilleur moyen de défense, quel que soit le type de
combat. Aussi la boxe est-elle perçue comme une sorte d’assurance-vie pour ceux
qui n’en ont aucune. Bien au-delà des techniques du corps qu’elle permet d’acquérir,
son socle moral repose sur les piliers d’une structure symbolique qui confère un
certain sens à la violence ambiante. Si l’on en croit L. Trimbur, bien avant qu’il soit
question de gloire ou même de victoire entre les cordes, c’est ce pourquoi les entrai-
neurs et les boxeurs du Gleason’s se battent quotidiennement.

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Affronter l’adversaire, faire face à l’adversité

Cette idée d’un mentorat pugilistique organisé de façon à promouvoir l’auto-


assistance des pauvres ne manque pas de résonner avec les recherches menées par
Jeffrey Sacha (2017) dans un gymnase de Los Angeles. Là aussi, les old heads (les
anciens) du gym effectuent auprès des plus jeunes tout un travail émotionnel qui
s’ajoute à celui des corps pour renforcer d’autant cette détermination indispensable
à ceux qui n’obtiendront d’aide de personne alors même qu’ils manquent de tout.
Mutatis mutandis, c’est également ce que montre Giuseppe Scandurra (2015) au tra-
vers de l’enquête qu’il a réalisée dans la banlieue de Bologne avec un groupe de
boxeurs exclus de la nationalité italienne, et principalement issus des immigrations
maghrébines. L’ethnographe indique bien que ces jeunes hommes ne s’envisagent
pas plus en futurs champions qu’ils n’attendent d’aide de la part d’une communauté
nationale qui les maintient à ses marges. Plus qu’à une quelconque velléité de réussite
économique mêlée d’intégration sociale, leur engagement dans la boxe correspond
au souhait de conquérir un statut ainsi que la reconnaissance des pairs, au sens d’une
affirmation de soi parmi ceux qui partagent les mêmes conditions d’existence. Un
constat qui se reflète à bien des égards au niveau des résultats de la recherche menée
par l’auteur de ces lignes dans un gymnase français (Beauchez, 2014, 2016). Près de
quatre années d’ethnographie de la salle de boxe conjuguées à l’analyse des biogra-
phies de combattants – tous héritiers des immigrations et issus de banlieues paupé-
risées – ont montré que ceux-ci comprennent une grande part de leur engagement
entre les cordes comme l’édification collective d’une force qu’il s’agit d’opposer à
l’idée d’une moindre valeur sociale ressentie au travers des épreuves de la disquali-
fication et du racisme ordinaire. Premier ancrage de cette disqualification, marqué
par les stigmates de l’étrangeté en raison d’une couleur de peau qui confine au double
statut d’immigré et d’outsider, le corps devient alors le moyen d’un renversement de
toute cette négativité en démonstration de force exposée lors des combats en public.
D’où leur importance en tant qu’épreuve au cours de laquelle les boxeurs espèrent
démontrer leur valeur face à une adversité qui ne se limite pas au seul corps de
l’adversaire, mais s’étend aux différentes figures sociales de l’opposition qu’ils ont
le sentiment de rencontrer au quotidien.
Des États-Unis à l’Italie en passant par la France, la « douce science » des coups
que les entraineurs inculquent à leurs élèves – quasi exclusivement des hommes dans
chacun de ces cas – apparait ainsi comme l’incorporation d’une forme de masculinité
à la fois dominante et dominée ; dominante parce que la figure du combattant se situe
au sommet des hiérarchies masculines qui établissent les statuts dans les ghettos ou
les banlieues paupérisées, et dominée du fait des positions subalternes occupées par
une majorité de boxeurs dans la structure des inégalités. Bien que la question du
genre ne soit pas prioritairement structurante des recherches qui viennent d’être
citées7, il n’en reste pas moins qu’elle apparait comme l’un des thèmes-phares qui
ont amené nombre d’ethnographes aux portes des gymnases. Désireuses de saisir les
valeurs masculines mises en scène par les combats, ou bien encore leurs appropria-
tions féminines, de telles recherches portent un regard nouveau sur l’engagement
pugilistique, de même qu’elles ramènent immanquablement l’enquête à l’intersection
des dominations puisque ni l’hégémonie masculine ni la féminité combattante ne
peuvent y être pensées séparément des rapports de force précédemment observés aux
niveaux de la « race » ou de la « classe ».

7. Sur ce point, voir toutefois L. Trimbur (2013, p. 89 sq.).

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Le genre pugilistique : hégémonie masculine


vs. féminité combattante ?
Dans son célèbre essai sur l’« art viril » du combat (le manly art), J. C. Oates met
l’accent sur le « genre » de la boxe qu’elle décrit comme une « activité purement
masculine », déployée « dans un monde purement masculin » ([1987] 2012, p. 65).
Et l’auteure d’ajouter que « la boxe est pour les hommes, à propos des hommes ; la
boxe, c’est les hommes » (ibid.) Depuis que ces lignes ont été écrites, la pratique
féminine a pourtant connu un indéniable essor, semant un certain trouble dans le
genre masculin du Noble art. Nous y reviendrons. Pour l’heure, il s’agit tout d’abord
d’examiner la façon dont les sociologues se sont saisis des pugilistes comme d’une
incarnation emblématique des formes les plus populaires et les plus traditionnelles
de masculinité.

L’art viril du combat

Les chercheurs en question ont régulièrement utilisé le genre comme une catégorie
a priori de leurs analyses qui ont « fait cas » des boxeurs au travers de ce prisme
conceptuel placé en amont de leurs observations. Dans son étude d’un gymnase d’ama-
teurs chicagoans où il a assumé des fonctions de coach-adjoint, Steve Hoffman montre
toute la signification rituelle du moment où un apprenti boxeur accède à sa première
séance de sparring (i.e. un combat d’entrainement). Ainsi l’auteur conçoit-il le pre-
mier face-à-face comme une simulation d’affrontement et un rite liminaire qui prépare
l’aspirant boxeur à son agrégation au groupe masculin des pugilistes (Hoffman, 2006,
p. 177 sq.). Quant à Laurence de Garis, ethnographe mais également lutteur et entrai-
neur de lutte professionnelle, l’observation de dix mois qu’il a conduite dans une
salle de boxe new-yorkaise l’incline à présenter l’exercice du sparring comme un
moment d’« intimité somatique » au cours duquel les adversaires négocient leurs iden-
tités de combattants dans le cadre d’une épreuve de masculinité qui joue subtilement
de l’engagement et de la retenue, de l’infliction de la douleur et de la pédagogie de
l’esquive (2000, p. 94 sq.). Les réflexions menées par ces chercheurs insistent sur la
dialectique de la dureté et du respect qui sous-tend l’exercice du sparring, tout en
l’inscrivant dans le cadre d’une rhétorique corporelle de l’honneur masculin dont la
conception est indexée au courage, ou au cran dont les combattants doivent fournir
la preuve par l’épreuve.
Les deux années d’enquête ethnographique menées par Christopher Matthews
(2014, 2016) dans un gymnase anglais des Midlands confirment que nombre de
boxeurs investissent leurs corps de ces valeurs agonistiques qu’ils expriment sur les
rings en autant d’actes de virilité. De telles valeurs en actes empruntent largement
aux stéréotypes masculins dont l’historien George Mosse a montré la « cristallisa-
tion » dans les organismes apprêtés à la lutte où s’exercent le sang-froid, la force et
la vaillance ([1996] 1997, p. 45 sq.). Tandis que les pugilistes tiennent massivement
à l’affirmation continue de ce triptyque, une telle réitération a tout de la prophétie
autoréalisatrice chargée de conjurer ses contraires : la faiblesse, le doute et l’assigna-
tion à cette condition subalterne que partagent une majorité de combattants. Au-delà
du sparring, c’est notamment ce qu’indique l’ethnographie des échanges conversa-
tionnels dont le gymnase, et plus particulièrement les vestiaires, sont une scène pri-
vilégiée (Beauchez, 2014, p. 80 sq.). Entre autres choses, ces interactions laissent
entendre que les pugilistes sont loin de prendre au pied de la lettre les énoncés pour

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La « douce science » des coups

le moins sexistes d’une masculinité monolithique dont on les affuble bien souvent de
l’extérieur. Depuis l’intérieur du gymnase, les positionnements virilistes apparaissent
plutôt comme l’accessoire rhétorique d’une théâtralité privée où l’on joue les rôles
d’une affirmation agonistique dont il s’agit avant tout de se persuader. Car l’enquête
montre à quel point le doute peut être chevillé au corps des pugilistes, lesquels ont
une conscience parfois aiguë de la fragilité de leur « valeur d’homme » ; une valeur
dont l’expression mêle la question du genre à celle de la subalternité et, donc, de la
position que chacun occupe dans la hiérarchie des groupes sociaux (Coston et Kimmel,
2012, p. 107-109 ; Beauchez, 2014, p. 87 sq.). Sans ce doute sur la « valeur
d’homme », pourquoi s’échiner à en conquérir la preuve en acceptant le risque d’être
roué de coups ?

Des suffragettes en short de satin ?

Raewyn Connell a écrit que « le genre masculin comprend notamment un certain


rapport au tactile, certaines formes de tensions musculaires, certaines postures et
manières de bouger [...] » ([1995] 2014, p. 40). À propos de la boxe, Kath Woodward
ajoute qu’elle n’est pas une affaire seulement masculine, mais plutôt un dispositif de
travail et d’incorporation d’une masculinité dont les dispositions à la résistance mêlée
d’agôn peuvent tout aussi bien faire l’objet d’une appropriation féminine (2007, p. 3).
Les études pionnières de Jennifer Hargreaves (1997), Christy Halbert (1997) et
Christine Mennesson (2005, p. 249 sq.) ont dressé un portrait sociologique des compé-
titrices du Noble art aux États-Unis comme en France. Seule à investiguer le contexte
français, C. Mennesson insiste sur les modes de socialisation de ces combattantes,
dont elle met en relief les cadres populaires – la banlieue et ses quartiers – ainsi que
les dispositions sexuellement inversées qui les rapprochent de l’image du garçon
manqué (ibid., p. 250, p. 253). Cela étant, pas plus qu’à l’image de la séductrice
cherchant le contact masculin, les boxeuses ne sauraient être réduites au cliché de
l’« hommasse », quasi-homme et modèle négatif de féminité que la police sociale du
genre définit avant tout par le défaut et le manque (Saouter, 2015). Ainsi les recher-
ches citées dans ce paragraphe mettent-elles en exergue les contrastes d’une rituali-
sation de la féminité qui porte les boxeuses à se rapprocher du modèle masculin à
l’entrainement, tout en gardant leurs distances en dehors des rings, où une certaine
exacerbation du féminin reprend ses droits.
Les tensions dialectiques de cette féminité conquérante qui s’appuie sur la mas-
culinité tout en lui résistant ont incliné d’aucuns à voir dans les boxeuses autant de
« suffragettes en short de satin » (Lafferty et McKay, 2004). Une différence doit
cependant être faite parmi les pratiquantes du Noble art entre celles dont les trajec-
toires mènent à l’intersection des dominations qui définissent les positions subalternes
d’une majorité de pugilistes, et celles dont l’option pour la boxe tient de l’incarnation
d’idéaux féministes soutenus par des positions sociales bien établies. À l’instar de
l’auto-ethnographie récemment menée par Elise Paradis (2012), sociologue et boxeuse
engagée dans un gym aux États-Unis, les femmes dont il est question dans le second
cas sont généralement blanches, issues des classes moyennes et majoritairement diplô-
mées de l’enseignement supérieur. Les enjeux des recherches sociologiques qui les
concernent restent dès lors ceux d’un féminisme dominant qui mobilise les outils des
sciences sociales pour objectiver puis, surtout, lutter contre la domination masculine
et ses (dernières ?) poches de résistance. La boxe est alors un terrain tout trouvé,
où E. Paradis voit la manifestation d’une forme genrée d’hysteresis, laquelle

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maintiendrait encore trop souvent la définition des gymnases comme « bastions de


masculinité », alors même que les femmes en auraient d’ores et déjà bousculé les
usages par leur présence de plus en plus affirmée (ibid., p. 93 sq.)8. Sans doute. Mais
qu’en est-il, par contraste, du féminisme des dominées et des formes de résistances
bien plus implicites qu’elles opposent à l’intersection des dominations de « genre »,
mais aussi de « classe » ou de « race » ? De nouvelles recherches qui envisagent les
articulations du local et du global commencent tout juste à apporter leurs réponses à
ces questions en s’intéressant à la boxe féminine dans le sous-continent indien (Mitra,
2009), en Afghanistan ou bien encore en Corée (Channon et Matthews, 2015). Au-
delà du sens pratique acquis entre les cordes, ces textes insistent sur la nécessité de
comprendre le sens de la pratique envisagé du point de vue des combattantes, dont
les paroles ne sauraient être éclipsées par la seule analyse de leurs gestes.

*
* *
Si l’étude de la boxe peut paraitre marginale au premier abord, elle constitue en
réalité un terrain d’enquête des plus fréquentés et au travers duquel certains problèmes
centraux de la sociologie peuvent être analysés à l’état incarné. En dressant un état
des travaux sur le Noble art, ce texte a tracé les contours d’un objet dont le traitement
mène à l’intersection des dominations de « genre », de « classe » et de « race ». Tandis
que cette question de l’intersectionnalité des dominations est posée par toutes les
études que nous avons discutées, leurs auteurs ne s’accordent pas pour autant sur le
statut à donner aux différents éléments qui composent leurs explications. Là où
d’aucuns insistent sur l’agentivité des boxeurs – ou leurs capacités d’agir face à
l’adversité –, d’autres mettent plutôt en relief l’inéluctabilité de leur maintien dans
des positions sociales structurellement dominées ; tant et si bien que toute illusion
d’échappatoire par une quelconque réussite sportive reviendrait à accréditer le men-
songe romantique des trop rares destins de champions. Afin de rendre raison de ces
différences constatées au fil des enquêtes, cette conclusion soutiendra l’idée d’une
divergence qui résiderait moins dans les matériaux recueillis – souvent très proches
d’un texte à l’autre – que dans les façons d’en concevoir l’interprétation. Ses nuances
engagent en effet des grilles de lecture révélant certaines ruptures épistémologiques
dans l’appréhension de la domination et de ses épreuves.
Dans un texte où il n’est pas question de boxe mais de rapports de domination au
travail, Michael Burawoy (2012) s’intéresse lui aussi à ces différentes conceptions
sociologiques d’un même problème. Il en vient ainsi à polariser son explication autour
de deux figures idéaltypiques – homo habitus vs. homo ludens – dont l’opposition se
trouverait à la racine des divergences sur le problème de la domination. Homo habitus
représente alors le modèle de l’agent social sur lequel s’appuient les recherches qui,
à l’instar des enquêtes menées par P. Bourdieu et L. Wacquant, postulent l’intério-
risation inconsciente de tout un ensemble de dispositions – ou de manières habitua-
lisées de ressentir, comprendre et s’orienter dans le monde – dont le système (i.e.
l’habitus) constitue le reflet incorporé de la position occupée par chacun dans la
structure des inégalités. S’ils apparaissent dans des positions dominées, comme c’est

8. Tandis que l’idée d’hysteresis en tant qu’effet de contradiction, ou de décalage entre la structure
d’un habitus (ici masculin) et ses conditions d’actualisation est empruntée à P. Bourdieu (e.g. 1997,
p. 190 sq.), la conception du sport comme « bastion de masculinité » est issue de la sociologie figu-
rationnelle (e.g. Dunning, [1983] 1994).

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La « douce science » des coups

le cas des boxeurs, les agents sociaux n’en auraient donc jamais qu’une conscience
tronquée par la méconnaissance des causes objectives au principe de leur condition
comme de leur vision du monde. Dans une telle acception, seul le sociologue béné-
ficierait du recul nécessaire pour interpréter les signes comportementaux permettant
de montrer le poids objectif que fait peser la structure sociale sur les situations sub-
jectives dont les déterminants échappent en majeure partie à celles et ceux qui les
vivent. Il est par conséquent inutile de leur demander d’expliquer ce qu’ils ne sau-
raient concevoir. Tout comme il parait absurde de postuler une réelle capacité de
contrer ou de résister à des forces de domination dont les subalternes éprouvent les
effets sans pour autant être en mesure d’agir sur leurs causes. Aussi le complexe de
dominations socio-raciales, identifié par L. Wacquant à la suite des travaux de
S. K. Weinberg, H. Arond, N. Hare ou J. Sugden comme autant de forces modelant
le quotidien des boxeurs, se pose-t-il en surplomb d’une réalité qu’il permet de décrire
aussi finement qu’il en bloque la plupart des possibilités de changement. M. Burawoy
dirait alors que la modélisation sociologique est empreinte d’un pessimisme dont le
principe conduit à maximiser l’importance du côté « fort » des rapports de domination
au détriment d’un versant « faible » où la méconnaissance apparait comme le meilleur
allié de la dépossession (ibid., p. 189).
Or c’est précisément sur ce versant que se place un autre type d’explication socio-
logique décrit par M. Burawoy comme adossé au modèle de l’homo ludens. Si elle
est empruntée à Johan Huizinga, la locution latine reçoit une nouvelle signification
dans l’usage qu’en fait le sociologue pour désigner une conception des rapports de
domination privilégiant le jeu des rapports de force entre acteurs sociaux dotés de
capacités d’agir structurellement inégales. La conscience du jeu et l’analyse de ses
cadres d’interaction se substituent ici au postulat de son inconscience conduisant,
dans le cas d’homo habitus, au maintien des rapports de force par lequel s’opère la
reproduction des inégalités. Appliquée aux boxeurs, la perspective d’homo ludens ne
suppose pas pour autant de les doter d’une pleine conscience de la configuration du
jeu social et des causes de la domination dont ils font l’objet. Leur définition de la
situation doit cependant être placée au cœur de l’explication sociologique des façons
dont ils éprouvent leur condition, et des manières dont ils font face à l’adversité que
la plupart d’entre eux dit affronter au quotidien. En joignant la parole aux gestes des
boxeurs, c’est ce qu’ont tenté de réaliser L. Trimbur, l’auteur de ce texte et d’autres
chercheurs cités au fil des paragraphes, qui ont fait apparaitre les solutions proposées
par les boxeurs aux problèmes qu’ils rencontrent chaque jour à l’intersection des
subalternités de « genre », de « classe » ou de « race ». Si leur vocabulaire n’appar-
tient pas nécessairement au lexique sociologique des dominations, il n’en reste pas
moins que l’« amour vache » (« tough love ») dont les entraineurs font montre envers
leurs combattants – au Gleason’s Gym ou ailleurs – vise autant à les protéger de leurs
adversaires que de l’adversité d’un monde social dont personne dans les gymnases
ne semble méconnaitre les chaussetrappes, disséminées sur les routes des ghettos
comme des banlieues paupérisées.
En définitive, plutôt que d’arbitrer entre les pertinences et les défauts des deux
modèles – qu’il s’agisse de l’inconscient sociologique au principe d’homo habitus ou
d’une certaine conscience du jeu social qui guiderait homo ludens –, les enquêtes
réalisées auprès des boxeurs nous invitent à considérer leur monde comme un para-
digme de la domination au travers duquel il est non seulement possible d’observer le
jeu de tout un ensemble de forces sociales, mais encore la façon dont elles posent
leurs empreintes dans les corps. Densifier la description des combats revient alors à
montrer qu’ils composent une mise en abyme d’autres luttes au cours desquelles

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l’opposant s’avère nettement plus impalpable – comme c’est le cas des expériences
du racisme ou de la disqualification sociale. Car si les gymnases de boxe sont des
écoles du combat, ils aident aussi celles et ceux qui viennent en apprendre les tours
de mains à identifier leurs adversaires, qu’ils voient au-delà des corps habitués aux
affrontements. Le mentorat pratiqué par les entraineurs et les échanges conversation-
nels entre les boxeurs révèlent ainsi les coulisses de ce que les sciences sociales
désignent comme la « perspective des dominés ». Un point de vue dont l’expérience
et ses récits manquent encore très souvent à une sociologie de la domination majo-
ritairement focalisée sur l’analyse des forces sociales qui s’imposent aux plus
démunis. D’où l’importance d’une phénoménologie de l’adversité dont les descrip-
tions ouvrent un accès à la réflexivité de celles et ceux dont les gestes, les paroles et
les visions du monde ne sauraient être tenus pour aussi subalternes que la position
qu’ils occupent dans la structure sociale.

Jérôme BEAUCHEZ
Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS)
EHESS-CNRS-INSERM-Université Paris 13

Cultures publiques – Centre Max Weber


CNRS-Université Lumière Lyon 2
ENS de Lyon-Université Jean Monnet Saint-Étienne
6, rue Basse des Rives
42023 Saint-Étienne cedex 2

jerome.beauchez@ish-lyon.cnrs.fr

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ABSTRACT

The “sweet science” of bruising. Boxing as a paradigm of a sociology


of domination

Boxing, or the “sweet science” of bruising, is far from being a minor subject for socio-
logists and ethnographers. The increasing numbers of studies of this topic constitute a
range of approaches in which not only bodies but also different conceptions of investi-
gation and of the relationship of researchers to their fields confront each other. Looking
at each of these in turn, this article traces the history of a sociological subject matter
whose outlines are still to be defined. It shows that, above and beyond their differences,
the ways of understanding or explaining the situation of the boxer are all concerned with
a central question, that of domination. While this is in principle about fighting in the ring,
researchers see its expressions as being at the intersections of “gender,” “class” and
“race.” As a result they see pugilism as a theatre where various representations of the
struggles of subordinate individuals against the forces of exclusion that tend to maintain
them in socially dominated positions are being staged.

Key words. BOXING – SOCIOLOGY – ETHNOGRAPHY – DOMINATION – GENDER – CLASS –


RACE

ZUSAMMENFASSUNG

Die sanfte Wissenschaft der Faustschläge. Der Boxkampf als Paradigma einer
Soziologie der Beherrschung

Der Boxkampf, oder die „sanfte Wissenschaf“ („sweet science“) der Faustschläge ist
keineswegs ein minderwertiges Objekt für die Soziologen und die Ethnographen. Ihre
immer zahlreicheren Arbeiten sind ebenso viel Untersuchungen, in denen nicht nur die
Körper, sondern auch unterschiedliche Konzepte der Forschung und der Beziehung der
Forscher zu ihren Untersuchungsfeldern gegeneinander kämpfen. Anhand einer gründ-
lichen Untersuchung dieser Arbeiten, zeichnet der Verfasser die Geschichte eines sozio-
logischen Objektes nach, dessen Umrisse definiert werden mußten. Der Aufsatz zeigt,
daß über die Unterschiede hinaus, alle die verschiedenen Ansätze zum Verständnis
und zur Erklärung der Kondition des Boxers von einer zentralen Frage gekreuzt werden,
der Frage der Beherrschung. Die Beherrschung ist der Grundsatz des Boxkampfs und
die Forscher erkennen seine Ausdrucksweisen an der Kreuzung des „Genders“, der
„Klasse“ und der „Rasse“. Somit sehen sie im Boxen verschiedene Darstellungen von
Kämpfen, die die Untergegebenen gegen die Ausgrenzungskräfte liefern, die sie in sozial
beherrschten Stellungen beibehalten möchten.

Schlagwörter. BOXKAMPF – SOZIOLOGIE – ETHNOGRAPHIE – BEHERRSCHUNG – GENDER –


KLASSE – RASSE

Revue française de sociologie, 58-1, 2017, 119

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La « douce science » des coups

RESUMEN

La “dulce ciencia” de los golpes. El boxeo como paradigma de una sociología


de la dominación

El boxeo, o la “dulce ciencia” de los golpes (“sweet science” en inglés), no puede consi-
derarse como un tema menor para los sociólogos y los etnógrafos. Cada vez más
numerosos, sus trabajos constituyen análisis en los cuales se enfrentan no sólo cuerpos,
sino también distintas concepciones de la investigación y de la relación de los investi-
gadores a sus terrenos. Al recorrer estos trabajos uno a uno, este artículo describe la
historia de un objeto sociológico cuyos contornos quedaban por definir. Pone de mani-
fiesto que, más allá de sus diferencias, las maneras de entender o explicar la condición
de boxeador están todas atravesadas por una cuestión central, la de la dominación. Al
ser el meollo de los combates que se llevan a cabo sobre el cuadrilátero, los investi-
gadores perciben sus expresiones cruzando las categorías del “género”, de la “clase”
y de la “raza”. Por eso no dejan de ver en las escenas pugilíticas distintas representa-
ciones de las luchas que libran los subalternos contra las fuerzas de exclusión que
tienden a mantenerlos en posiciones socialmente dominadas.

Palabras claves. BOXEO – SOCIOLOGÍA – ETNOGRAFÍA – DOMINACIÓN – GÉNERO – CLASE –


RAZA

120, Revue française de sociologie, 58-1, 2017

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