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DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE

Cours de 3e année de Licence

Pierre Levallois – Maître de conférences à l’Université de Lorraine

INTRODUCTION GÉNÉRALE
L’introduction d’un cours de droit public économique ne peut pas faire l’économie d’une étude historique
visant à retracer le développement économique de l’État. Il est d’usage, cependant, de ne pas revenir
aussi loin que l’antiquité. Le point de départ généralement choisi est ce que l’on appelle le colbertisme,
qui prit son essor sous le règne de Louis XIV. À partir de cette date, on identi e généralement trois
phases  : la phase dirigiste de l’ancien régime, celle nettement plus libérale entamée à la Révolution
française dès 1789 et, en n, celle plus récente, s’étalant tout au long du XXe siècle, lequel fut le témoin de
l’essor de l’État providence, puis de son déclin. Cela étant dit et puisque nous sommes tout de même
plutôt jeunes, nous dirons également quelques mots de la période actuelle – disons à partir des années
2000  –  pour laquelle le balancier oscille entre une gestion néolibérale de l’économie et un
interventionnisme nettement plus assumé, mais uniquement pour faire face aux crises économiques les
plus récentes (2008 et crise sanitaire). Nous verrons donc ces 4 phases dans 4 sections différentes.

Section 1 - Aux origines de l’interventionnisme public : le colbertisme


Section 2 - Le triomphe de la liberté : l’apport révolutionnaire
Section 3 - L’essor de l’État providence
Section 4 - Le néolibéralisme et les crises

Section 1 – Aux origines de l’interventionnisme public : le colbertisme

Le rôle de l’État dans l’économie va d’abord se développer dans le cadre de l’absolutisme royal de
l’ancien régime. C’est ainsi sous l’in uence des idées mercantilistes que va émerger le colbertisme,
expression dérivée du nom de Colbert, qui est resté longtemps contrôleur général des nances de Louis
XIV (1665-1683). Concrètement et pour résumer toute une doctrine en une seule idée, les mercantilistes
pensaient que l’État-nation devait être le moteur de l’industrialisation et de la transformation du
commerce.

-. Développement – Pour Colbert, l’essor de la production économique du pays n’est pas une n en soi,
mais un moyen d’assoir la gloire de l’État et du Roi. Il part du principe que la puissance politique, militaire

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et économique d’un pays repose sur la masse monétaire à sa disposition. Pour assurer son essor, il faut
développer la richesse, laquelle est produite par l’activité économique. L’État doit donc non seulement
encourager l’activité économique, mais également la stimuler. Et le meilleur moyen d’y parvenir est de se
lier aux puissances économiques privées, de leur accorder des monopoles d’exploitation, etc.

Le colbertisme va donc adapter le mercantilisme en se donnant comme doctrine de généraliser la


présence de l’État dans l’organisation économique, via les corporations de métiers, les manufactures, les
compagnies coloniales, etc.

Cette politique se double de la naissance d’une véritable réglementation économique : développement


d’un nationalisme douanier (barrières à l’entrée), des aides et des subventions, de primes accordées à
certaines productions, de normes de qualité applicables à la production dans certains secteurs, etc.

On voit donc, dès cette première période, émerger les deux volets de l’interventionnisme public que le
libéralisme ne parviendra jamais à éradiquer : celui qui utilise le levier de la réglementation, et celui qui
implique que l’État se fasse lui-même un acteur économique non pas comme les autres, mais au milieu
des autres. C’est par exemple à cette époque qu’apparaissent les premières manufactures royales, qui
sont de véritables usines royales et donc, des proto-entreprises publiques.

-. Réaction – L’interventionnisme très régulateur institué par le colbertisme va néanmoins générer une
vague de contestation tout au long du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que la Révolution vienne nalement
proclamer des principes en totale rupture avec l’interventionnisme.

Avant Révolution, la querelle sur le rôle à attribuer à l’État dans l’économie va opposer les libéraux (qui
souhaitent laisser faire) et les réglementaires. Les libéraux sont surtout représentés à l’époque par les
physiocrates. Ils voient d’un très mauvais œil l’intervention et la réglementation économique qui auraient
uniquement pour effet de dérégler l’économie qui, comme la Terre, obéit à des lois naturelles lui
permettant de s’autoréguler. Ils promeuvent déjà ce que l’on peut appeler les libertés économiques et la
libre concurrence.

Turgot, un physiocrate, sera même nommé contrôleur général des nances en 1774, ce qui aurait
concrétisé un véritable tournant libéral dans les politiques publiques, mais il tombe rapidement en
disgrâce, dès 1776. Son remplaçant, Necker, n’est pas un libéral… Mais il ne s’en sortira pas mieux et la
Révolution coupera court à toute tentative de réforme, lesquelles se sont révélées quasiment impossible
dans le cadre très peu permissif – pour ne pas dire totalement sclérosé – de la société d’ancien régime.

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Section 2 - Le triomphe de la liberté : l’apport révolutionnaire

-.  Changement de paradigme –  La Révolution française, entamée en 1789, va résolument changer le


paradigme. Sous l’in uence notamment de John Locke et dans une moindre mesure de Montesquieu, les
révolutionnaires souhaitent limiter l’action des pouvoirs publics aux fonctions essentielles de la vie en
société. On dirait aujourd’hui qu’ils pensaient que l’État doit se limiter aux fonctions régaliennes : police,
justice, armée…

En portant aux nues la valeur de la liberté, la Révolution va condamner l’interventionnisme excessif de


l’État. Est défendue l’idée que les physiocrates avaient promue, d’un « ordre naturel fondé sur l’initiative
individuelle et la régulation économique automatique par le marché  » (Adam Smith, La richesse des
nations) : les deux volets de l’interventionnisme public (opérationnel et régulateur) sont donc contestés,
car contraires aux libertés !

-. Abolition de l’organisation économique d’ancien régime  –  Les révolutionnaires vont s’efforcer d’abolir
l’organisation économique d’ancien régime.

La progression la plus marquante est liée à la proclamation des libertés économiques. Ainsi, la liberté
« générale » de l’article 4 de la DDHC du 26 août 1789 est appliquée à tout le secteur économique.

De plus, l’article 7 de la loi des 2-17 mars 1791, que l’on appelle le décret d’Allarde, dispose que :

« à partir du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel ou tel négoce ou d’exercer telle
ou telle profession, art ou métier qu’il trouvera bon ».

On proclame donc le principe de la liberté d’entreprendre, sans le formuler encore de la sorte.

En outre, la loi dite Le Chapelier du 14 juin 1791 abolit les corporations, ces organisations
professionnelles aux pouvoirs très étendus : elles pouvaient édicter des règlements organisant la
profession et leur négoce, xer les prix (ce qu’on appellerait aujourd’hui une entente, pratique
anticoncurrentielle sanctionnée par le droit de la concurrence…).

En n, le décret du 27 septembre 1791 supprime l’essentiel des institutions existantes : assemblées de


négociants, administration centrale, inspecteurs. Pour un temps, État n’édicte plus de règlements en
matière économique, ne diligente plus de contrôles ni d’enquêtes.

Bien entendu, l’œuvre révolutionnaire en matière économique ne se limite pas à ces quelques textes
emblématiques : comment ne pas citer, notamment, les articles 2 et 17 de la DDHC qui élèvent le droit de
propriété au rang de «  droit naturel et imprescriptible de l’homme  » et qui soumettent toute privation
publique du droit de propriété privée à une juste et préalable indemnité ? Le droit de propriété est
effectivement la pierre angulaire de toute société capitaliste, et sa reconnaissance au pro t de tous à la
Révolution va évidemment favoriser la mise en pratique des idées libérales, laquelle était bloquée par la
société d’ordres d’ancien régime.

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-. Au XIXe siècle – À partir de la Révolution, le principe de la liberté et par conséquent du self-restraint de


l’État en matière économique ne sera plus jamais remis en cause.

Par la suite, et même si l’on attribue à Napoléon Bonaparte un penchant dirigiste, le fait est que sa
politique économique ne remettra pas en cause les acquis révolutionnaires (ici comme ailleurs, si l’on
excepte les droits politiques). Ainsi, son œuvre consistera plutôt à concrétiser les libertés économiques
proclamées à la Révolution. Certes, il orientera l’économie grâce à l’appareil d’État, mais principalement
en accordant des prêts publics ou en développant la «  commande publique  » via des politiques de
grands travaux publics.

En outre, il déclinera juridiquement les libertés économiques par l’intermédiaire notamment de son code
civil et du code de commerce. En n, il créera des institutions comme les chambres de commerce et
d’industrie et la Banque de France a n d’accompagner les acteurs économiques et de les prémunir contre
certains risques, notamment monétaires.

-. Le règne de l’État « gendarme » – Par la suite (c’est-à-dire après l’Empire), et si l’on devait résumer le rôle
de l’État dans l’économie pendant tout le XIXe siècle et le début du XXe, voilà ce que l’on pourrait en dire.

L’idée principale à retenir est que l’État s’efforce de ne pas surréglementer la sphère économique et,
surtout, que lui-même n’intervient jamais directement (ou presque). Cela ne veut pas dire que l’État
« laisse faire » ; le total laisser-faire n’était d’ailleurs pas promu par Adam Smith lui-même. L’État avait bien
un rôle à occuper dans l’économie, mais il était minimal : c’est la période dite de l’État gendarme.

Qu’est-ce que cela signi e concrètement ? Que l’État veille au bon fonctionnement de l’économie : il
débusque les fraudes, protège l’honnêteté des transactions commerciales, il veille à la conformité des
produits.

La relation de l’État à l’économie est donc essentiellement fondée sur des prérogatives de police, que nul
ne conteste réellement à l’époque, y compris les libéraux. Mais contrairement à l’ancien régime, ici, la
réglementation économique vise un nouveau type de société, individualiste, sans intermédiaire. Exit les
corporations ; la relation est désormais bilatérale, directement entre l’État et l’opérateur économique.

De même, l’État demeure protectionniste : il joue un rôle important en matière de douanes, ce qui
permet à l’économie nationale de se développer sans qu’elle ne soit atrophiée par une concurrence par
les prix… Le monde n’est pas encore globalisé ! L’État engage également l’économie nationale dans une
politique de grands travaux : mais ceux-ci sont con és à des entreprises privées. On reste donc dans la
stimulation de l’économie, sans véritable intervention.

-. Développement de la concession – Qu’en est-il, au XIXe, de l’autre volet de l’interventionnisme public ?


L’État intervient-il lui-même en tant qu’opérateur économique à cette période ?

La réponse est non, à près de 100  %. Pour le dire très simplement, l’État gendarme ne crée des
entreprises publiques qu’en cas d’extrême nécessité.

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Il a cependant dû veiller, à cette époque, au développement d’infrastructures permettant la réalisation du


commerce et le décloisonnement des provinces. Mais le principal levier utilisé à cette époque n’est pas
celui de l’entreprise publique, mais celui de la concession.

C’est donc un procédé contractuel d’externalisation, la concession, qui va être mobilisée pour
l’établissement et l’entretien des grands services publics en réseau : chemin de fer, production
d’électricité, distribution d’eau potable. Concrètement, l’État contracte avec des entreprises privées :
celles-ci nancent par le marché (banques) des infrastructures publiques, dont le nancement ne repose
donc pas sur le contribuable. En contrepartie de ces investissements, les concessions permettent à ces
entreprises privées d’exploiter les réseaux concédés à titre exclusif sur de longues périodes, ce qui leur
permet (en théorie) de rentrer dans leurs frais.

Cependant, ce système concessif, vertueux sur le papier puisqu’il épargne les nances publiques, résiste
néanmoins plutôt mal au passage du temps. En réalité, les entreprises privées ont beaucoup de mal à
maintenir l’équilibre économique de leurs concessions, en raison du coût exorbitant des infrastructures
qu’elles doivent réaliser (réseau ferré). L’État est donc appelé au secours nancier de ces grands groupes
capitalistes, et il accordera fréquemment sa garantie nancière à leurs emprunts bancaires… En cas de
faillite de l’entreprise, c’est alors l’État qui prendra en charge le réseau (et sa dette ; où l’on retrouve le
contribuable…) : soit en le remettant en concurrence, soit, fait bien plus rare, en créant une entreprise
publique (ex. des Chemins de fer de l’Est). In ne et bien plus tard, c’est la faillite des entreprises de
chemin de fer qui conduira, en 1937, à la constitution de la Société nationale des chemins de fer (SNCF)
sous la forme d’une société d’économie mixte (mais l’on s’avance un peu).

-. Principe de non-concurrence – Cette « doctrine » de l’État gendarme se re ète d’ailleurs en droit positif.


En effet, la jurisprudence administrative était, à cette époque, très restrictive s’agissant de la possibilité
pour les personnes publiques de créer des services publics dans des matières relevant d’ordinaire de
l’initiative privée. Il existait donc un principe dit de non-concurrence des personnes publiques aux
personnes privées. Cette règle a été formulée de manière particulièrement nette dans la décision
Casanova rendue par le Conseil d'État le 29 mars 1901. La Haute juridiction administrative y décidait
qu’une commune ne pouvait pas prendre en charge une activité normalement dévolue au secteur privé, à
moins qu’elle ne soit en mesure de démontrer l’existence de «  circonstances exceptionnelles  ». Très
restrictive, cette formule renvoie peu ou prou à l’idée de catastrophe, ou tout bonnement de guerre.

Au plan doctrinal, cette solution jurisprudentielle se justi ait assez aisément : partant du principe que le
rôle de l’État n’était pas de fournir des biens ou des prestations de à la population – bref, d’exercer une
activité économique – il fallait s’assurer que les personnes publiques ne brident pas l’initiative privée en
lui prenant des parts de marché.

Car, en plus de sortir de son rôle (ce qui traduit une prise de position dogmatique sur le rôle de l’État
dans l’économie), la personne publique dispose de prérogatives exorbitantes du droit commun qui
viennent fausser la concurrence avec le secteur privé (impôts, fonctionnaires, actes exécutoires, etc.). Il
faut donc réduire au strict minimum les situations de concurrence entre des personnes publiques et des

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personnes privées. Cette parenthèse libérale va néanmoins connaître une n « brutale » au début du XXe
siècle.

Section 3 – L’essor de l’État providence

C’est le passage d’une économie libérale où le rôle de l’État se résume à peu de choses près au maintien
de l’ordre public, à une économie de guerre dès 1914 qui va durablement installer l’interventionnisme
public dans la culture économique et juridique française.

-. Rupture brutale ou lente transition ? – Bien entendu et comme toujours, il ne faut surtout pas croire que
le changement intervient brutalement, du jour au lendemain. En réalité, le développement du socialisme
(= origine du communisme avant la scission entre les deux théories politiques) et son infusion dans l’esprit
des intellectuels et des hauts administrateurs français avait déjà produit quelques effets notables. Des
théories du droit administratif fondées sur le solidarisme (É. Durkheim) émergent : c’est Léon Duguit,
auquel Maurice Hauriou attribuait des idées « collectivistes ». Concernant l’interventionnisme public plus
précisément, il faut renvoyer ici aux conclusions de Léon Blum, commissaire du Gouvernement,
prononcées sur l’affaire Commune de Mesle-sur-Sarthe en 1911. Le futur Président du Conseil et leader du
Front populaire y développe des idées extrêmement modernes, pour son époque, sur la prise en charge
de services industriels et commerciaux par les personnes publiques. En voici deux extraits :

« Quel sera le critérium entre les services que vous considérez comme entrepris dans l’intérêt public et
les services auxquels vous refusez ce caractère ? (…) Si un service d’exploitation de l’éclairage
électrique n’est pas entrepris dans l’intérêt (…) général, dans quel intérêt donc sera-t-il entrepris et
géré ? Sera-ce dans l’intérêt particulier de certains habitants ? Sera-ce pour accroître la richesse de la
commune ? Il est bien certain que, si des exploitations de ce genre peuvent procurer des béné ces, ce
n’est pas en vue du béné ce que, dans l’immense majorité des cas, il seront entrepris par des
communes. En admettant même que cette recherche d’un béné ce ait été l’intention dominante de la
commune (…), il s’agit ici, non de la mise en valeur d’un domaine, d’une richesse, mais d’un béné ce
de gestion proprement dit (…). En réalité, il est évident que toutes les entreprises des communes dont
l’objet sera de gérer, pour le pro t commun, des services intéressant la généralité de leurs habitants,
sont des services d’intérêt public ».

Autre exemple, dans lequel il explique que si des communes veulent se faire entrepreneurs, alors elles
doivent utiliser les moyens du commerce et ne pas fausser le jeu de la concurrence en faisant usage de
leurs prérogatives de puissance publique… C’est-à-dire ni plus ni moins que le principe de libre
concurrence (ou de neutralité concurrentielle) entre personnes publiques et privées tel qu’il a été énoncé
par le Conseil d’État en… 2006 !

«  Plus on souhaite, d’ailleurs, que l’activité communale élargisse son cercle, plus on souhaite qu’au
régime de la concession se substitue, dans la plus large mesure possible, le régime de l’exploitation
directe, plus on juge nécessaire que les communes s’accoutument à gérer leurs services dans les
mêmes conditions que les particuliers en supportant les mêmes charges que les particuliers, en se
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prêtant aux conditions générales du commerce, en acquérant peu à peu cet esprit commercial qui fait
prospérer les entreprises particulières ».

On voit donc bien qu’ici comme ailleurs, Rome ne s’est pas faite en un jour. Il n’en demeure pas moins,
cependant, que la Première Guerre mondiale a véritablement marqué un tournant très important dans
l’histoire du développement du rôle de l’État dans l’économie nationale.

-.  Économie de guerre, économie dirigée –  La guerre nécessite effectivement de plier l’économie à la
volonté générale : il faut à tout prix mobiliser des ressources pour faire la guerre et également pour faire
face aux pénuries. Cela va se traduire immédiatement par une répartition autoritaire des matières
premières et par une réglementation des prix, qui ne seront plus librement xés (risque de crise
in ationniste très important).

Mais ce n’est pas le seul levier d’intervention que l’État va utiliser pendant la guerre. Poussé par la
nécessité et par l’incapacité de l’initiative privée à s’adapter d’elle-même à l’économie de guerre, l’État va
rapidement se faire transporteur, ravitailleur et assureur. Après la guerre, les mentalités vis-à-vis du rôle de
l’État dans l’économie auront déjà radicalement changé, comme en témoigne cette prise de position d’un
ministre en 1919 :

Le ministère «  doit orienter l’activité du pays dans le sens le plus favorable aux intérêts généraux ;
arbitre légal des con its inévitables entre branches diverses de la production et du commerce, il devra
indiquer aux industriels, aux commerçants ou plutôt aux gouvernements qui les représentent, le plan
général suivant lequel ils doivent diriger leurs efforts pour que l’action des particuliers vienne aider et
non entraver celle de l’État. Une nation doit avoir (…) un programme, un plan d’action dans l’ordre
économique (…) » (É. Clémentel, ministre du Commerce et de l’Industrie).

Mais la guerre ne sera pas le seul évènement à encourager le développement de l’interventionnisme


public, car la reconstruction sera rapidement suivie de la crise économique de 1929. Or, cette dernière va
résolument orienter l’avenir vers le dirigisme.

Dès 1931, l’État abandonne son ancienne pratique douanière, qui concrétisait le protectionnisme, pour
une politique nettement plus dirigiste : il prend en main le contrôle des importations par le biais des
contingents d’admission et des licences d’importation. La même année, la politique agricole se met en
place avec des mesures concernant la viticulture (interdiction des plantations nouvelles, primes
d’arrachage) et les céréales.

Dès 1936-1937, l’arrivée au pouvoir de la coalition de gauche du Front populaire va con rmer et ampli er
ce mouvement, en permettant la première vague de nationalisations d’entreprises que la France ait
connue.

-.  Développement d’un secteur public national –  Justement, la période de la guerre et de l’entre-deux-
guerres est propice au développement des premières vraies entreprises publiques nationales, suivant
deux modèles bien distincts. Le premier modèle est celui de l’établissement public. Auparavant pensé
pour accueillir des activités administratives, il est adapté à l’exercice d’activités industrielles et

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commerciales. Sont créés sous cette forme l’Of ce de l’Azote, l’Administration des chemins de fer d’Alsace
et de Lorraine, le Service commercial des alcools, la Régie métropolitaine des pétroles ou encore la Régie
Air Afrique. L’engouement pour la formule de l’établissement public industriel et commercial amena
d’ailleurs le gouvernement à poser quelques règles statutaires générales visant à éviter des dérives,
notamment nancières : il en est résulté le décret du 15 décembre 1934 relatif à la comptabilité des
établissements publics industriels et commerciaux de l’État dotés de l’autonomie nancière.

Le second modèle des entreprises publiques ayant émergé à la même époque est celui de la société
d’économie mixte. Il s’agit d’une société commerciale apparemment classique (donc d’une personne
privée à l’inverse des EPIC qui sont des personnes publiques) sauf que son capital est mixte, composé
tout à la fois de capitaux publics et de capitaux privés. Dans l’entre-deux-guerres, cette formule de la
société d’économie mixte a été tout particulièrement utilisée dans le secteur des transports : c’est sous
cette forme qu’est d’abord constituée la société Air France en 1933. Elle résulte de la fusion des
entreprises aéronautiques françaises qui avaient été affaiblies par la Grande dépression : Air Orient, Air
Union, la CIDNA pour Compagnie internationale de navigation aérienne, les Lignes Farman et
l’Aérospatiale). C’est également sous cette forme que sera constituée en 1937 la SNCF, résultant là encore
de la fusion des entreprises publiques et privées ferroviaires, ces dernières étant toutes en faillite.

-. Apparition des entreprises publiques locales – La même période aura vu la naissance des entreprises
publiques locales. Le mouvement aura d’abord été désordonné, les entreprises publiques locales se
multipliant à la faveur de la guerre en dehors du droit. Il faut rappeler qu’on est encore, à ce stade, sous
l’empire de la jurisprudence Casanova et du principe de non-concurrence… Mais ici comme ailleurs
nécessité fait loi : tous les hommes sont à la guerre et les pénuries sont légion dans la France des
campagnes… Les communes prennent donc directement en charge des services de première nécessité :
elles ouvrent des boulangeries municipales, des boucheries municipales, des bains-douches, etc.

-. Évolution des règles encadrant la prise en charge d’activités économiques par les personnes
publiques  –  Ces créations «  sauvages  » de véritables entreprises publiques locales vont pousser le
gouvernement à organiser le cadre d’intervention économique des communes. Les deux grands textes en
la matière sont les décrets-lois Poincarré du 5 novembre et du 26 décembre 1926. Ils autorisent les
communes à prendre des participations dans les sociétés de construction de logements sociaux et
d’exploitation des services publics. De ce point de vue, la loi désavoue donc la jurisprudence
administrative… Mais le Conseil d’État goûtait peu ce mouvement qu’on allait appeler le socialisme
municipal, et la jurisprudence devait rapidement durcir à nouveau les conditions d’intervention dans
l’économie des personnes publiques, sans pour autant revenir au régime très restrictif de la jurisprudence
Casanova. L’arrêt fondamental en la matière est la décision Chambre syndicale du commerce en détail de
Nevers rendue par la Section du contentieux le 30 mai 1930. On peut y lire que :

«  Les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l’initiative
privée et (…) les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services
publics communaux que si, en raison des circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêt
public justi e leur intervention en cette matière ».

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Ces fameuses «  circonstances particulières de temps et de lieu  » visent à cette époque, tout
particulièrement, la carence de l’initiative privée. Le principe de non-concurrence n’est donc pas
totalement renversé, loin s’en faut : les personnes publiques ne peuvent faire œuvre d’entreprise que
lorsque l’activité économique qu’elles projettent ne peut pas nuire à un secteur privé qui, par dé nition,
n’est pas présent sur le segment de marché en question.

Cette jurisprudence a cependant elle-même été rapidement assouplie, car la carence de l’initiative privée
en question peut être évidemment quantitative – la prestation envisagée n’est pas offerte par le secteur
privé – mais elle pourra rapidement être seulement qualitative – une offre privée existe, mais elle est
insuf sante pour pourvoir aux besoins de la population. Le Conseil d’État devait ainsi admettre la légalité
de la création, par une commune, d’un théâtre municipal a n «  d’assurer un service permanent de
représentations théâtrales de qualité, d’après un répertoire établi avec le souci de choisir et de varier les
spectacles, en faisant prédominer les intérêts artistiques sur les intérêts commerciaux de l’exploitation
(CE, 21 janv. 1944, Léoni).

Ce n’est toutefois pas la seule exception au principe de non-concurrence qui va être admise. Car le
Conseil d’État va également autoriser la création d’une activité économique par une personne publique à
la condition que cette activité constitue le prolongement d’un service public existant. Par exemple, le
maintien d’une activité alors que les circonstances particulières qui avaient présidé à sa prise en charge
par une commune avaient disparu a pu être toléré a n d’assurer l’équilibre économique de l’exploitation,
et notamment l’amortissement des investissements consentis par le public (CE, Ass., 23 juin 1933,
Lavabre : maintien de boucheries municipales créées en 1927 ; CE, Ass., 24 nov. 1933, Zénard).

On constate donc que dès l’entre-deux-guerres, un important verrou venant limiter les capacités des
personnes publiques à mettre en place des opérateurs économiques a sauté. Et le droit administratif va
venir intégrer ces évolutions profondes du rôle de l’État.

-.  Intégration des activités économiques à la théorie du service public – Alors que la théorie du service
public, au début des années 1900, avait fondé l’application d’un droit administratif exorbitant du droit
commun sur la présence d’une activité de service public (triptyque des jurisprudences Terrier 1903, Feutry
1907 et Thérond 1910) la tendance de plus en plus nette des activités des personnes publiques à
pénétrer la sphère économique va faire voler ce bel édi ce doctrinal en éclats. Le premier coup de
semonce est donné par la décision de 1914 Société des granits porphyroïdes des Vosges qui admet pour
la première fois qu’un contrat passé par une personne publique pour les besoins d’un service public (et
non pour déléguer cette activité : Thérond) puisse être un contrat de droit privé à la condition qu’il ne
contienne pas de clauses exorbitantes du droit commun. C’est la théorie de la gestion privée des services
publics, esquissée par le Commissaire du Gouvernement Romieu dans ses conclusions sur l’affaire Terrier,
qui prend un peu de corps. Mais le tournant décisif est franchi par la décision du Tribunal des con its du
22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (Bac d’Eloka) qui admet cette fois-ci qu’un service
géré par une personne publique (on ne parle pas encore de service public) soit entièrement soumis au
droit privé. Le Conseil d’État n’a fait qu'entériner cette évolution en évoquant un «  service public

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industriel » dans sa décision Société générale d’armement (23 déc.  1921) ; l’expression «  service public
industriel et commercial » n’apparaîtra que plus tard, en doctrine (1932).

On voit donc que les catégories du droit administratif absorbent peu à peu le changement de paradigme
du rôle de l’État dans l’économie : en permettant l’intervention des personnes publiques (Nevers) et en
intégrant ces activités économiques à la théorie du service public (Bac d’Eloka).

-. Mise en place d’une administration économique – Ajoutons en n, pour être complets sur cette période
si déterminante de l’entre-deux-guerres, qu’elle est également le témoin de l’apparition d’une véritable
administration économique. On parle ici non pas d’activités économiques (vetde de biens et de services),
mais de services administratifs qui sont créés dans un but dirigiste, pour orienter, promouvoir certaines
productions jugées stratégiques, voire contraindre le marché. Ce ce qu’on a appelé un moment les
organes (parfois établissements publics) interventionnistes, composés sur une base corporatiste et
chargés d’une mission de dirigisme. Évoquant l’of ce du blé, le commissaire du Gouvernement Roger
Latournera dé nira ce type d’organe comme :

« Le type d’une nouvelle variété d’organisations administratives, à savoir les services économiques, qui,
depuis la guerre, sont venus se ranger, sans s’y confondre, à côté des services commerciaux et
industriels, sous la rubrique des services publics » (concl. Sur CE, 29 juil. 1938, Leroy-Ladurie).

C’est l’Administration économique, dont on entendra à nouveau parler après la Seconde Guerre
mondiale, qui se développe.

-.  Seconde économie de guerre  –  On passera malheureusement (trop) vite sur la Seconde Guerre
mondiale, alors qu’il s’agit d’une période très intéressante en ce qu’elle présente une continuité
remarquable entre l’immédiat avant-guerre sous l’égide de la IIIe République et la période de la
collaboration mise en place par le régime de Vichy. Le dirigisme se développe comme jamais : il est
d’abord mis en place, en tirant les leçons de la Grande Guerre, par la loi du 11 juillet 1938 sur
l’organisation de la nation pour le temps de guerre, laquelle mettait en place une économie de guerre
totalement dirigée :

- À chaque département ministériel correspondait une catégorie de ressources stratégiques (transports,


produits industriels, alimentaires, etc.).

- Pour chacun de ces départements, le Gouvernement pouvait « réglementer l’importation, l’exportation,


la circulation, la mise en vente de certaines ressources, de les taxer et de réglementer leur
consommation ».

- Le système s’appuyait également sur des groupements privés de professionnels et de commerçants


dont le but était de s’unir a n de réunir certaines catégories de ressources stratégiques et de les
répartir sur le territoire selon les priorités dictées par la guerre.

Au-delà de ce cadre général institué avant la guerre, le déclenchement des hostilités avec l’Allemagne
devait commander la mise en place de mesures supplémentaires. Aussi, les décrets du 9 septembre 1939

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devaient-il mettre en place un contrôle du commerce extérieur, un contrôle des changes, un régime
d’autorisation préalable avant toute création d’une nouvelle entreprise, ainsi que le blocage des prix et
des salaires.

À partir de l’occupation et de l’installation du régime collaborationniste de Vichy, cet interventionnisme


public va atteindre des proportions virtuellement illimitées, dictées par une situation inédite liée
notamment aux nombreuses pénuries, mais aussi aux prélèvements allemands.

-. Libération : accentuation du dirigisme et nationalisations d’entreprises – Et le moins que l’on puisse dire
est que sur ce plan, la continuité de la politique économique est remarquable, y compris lors du
rétablissement de la République à la n de la guerre. En effet, l’époque est propice à la convergence de
vues entre les partis politiques associés à la victoire et néanmoins diamétralement opposés : le parti
communiste et le MRP1. Associés au sein du Conseil national de la résistance, ils prônent la prise en main
de l’économie par l’État. Le programme que le Conseil national de la résistance transmet au Général de
Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République en 1944 est assez clair sur la convergence
idéologique au sortir de la guerre. Il prévoit :

«  L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des


grandes féodalités économiques et nancières de la direction de l’économie (…), le retour à la
nation des grands moyens de production, fruit du travail commun des sources d’énergie, des
richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ».

Sous ces auspices, l’interventionnisme de direction se poursuit : l’ordonnance du 30 juin 1945 donne au
ministre de l’Économie le pouvoir de réglementer les prix de tous les produits et de tous les services ; une
ordonnance du 22 juin 1944 soumet à autorisation toutes les importations et les exportations ; un décret
du 16 janvier 1947 institue le premier plan, dit plan « Monnet » qui institue la plani cation de l’économie,
stade ultime du dirigisme.

Ce dirigisme réglementaire est complété, encore une fois, par un interventionnisme « opérationnel » : la
Libération correspond en effet à l’âge d’or des nationalisations d’entreprises. Au début, elles constituent
des opérations isolées : Houillères du Nord et du Pas-de-Calais (ord. 13 oct. 1944), Usines Renault (ord. 16
janv.  1945), société Gnome et Rhône qui devient la Société nationale d’étude et de construction de
moteurs d’aviation (SNECMA, ord.  29 mai 1945). Mais très vite, elles vont se généraliser à des secteurs
entiers de l’économie nationale : transports aériens (ord.  26 juin 1945), Banque de France et les 4
principales banques de dépôt (Société générale, Crédit lyonnais, BNCI, Comptoir national d’escompte, loi
du 2 déc.  1945) ; les principales compagnies d’assurances (loi du 25 avril 1946), l’électricité et le gaz
(création d’EDF et de GDF, loi 8 avril 1946) et la production charbonnière (création de Charbonnière de
France et du réseau des houillères de bassin, loi 17 mai 1946). On constate donc à cette époque que les
principaux secteurs stratégiques sont non seulement régulés, mais encore administrés directement par la
puissance publique.

1 Mouvement républicain populaire (gaulliste).


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-.  Émergence du service public «  à la française  » –  C’est d’ailleurs à cette époque qu’apparaît ce qu’on
appellera, bien plus tard, le «  service public à la française  », lequel va prospérer dans les secteurs en
réseau (au départ, gaz, électricité, transport ferroviaire et aérien, bien plus tard dans les
télécommunications). De quoi s’agit-il ? Une seule entreprise publique nationale, souvent sous statut
d’EPIC (mais pas toujours : SNCF), disposait d’un monopole dans son secteur d’activité et cumulait les
trois fonctions économiques d’un marché : régulation, gestion de l’infrastructure, opérateur (producteur
et distributeur). Ce modèle de développement économique n’est pas tombé du ciel, et il repose sur une
double base, économique et juridique, qui permet d’assoir sa légitimité de la Libération aux années
1980 :

- Base économique : cette intégration verticale d’un opérateur économique monopolistique repose sur
la théorie du monopole naturel, laquelle postule qu’en présence de rendements d’échelle croissants,
avec un coût moyen et un coût marginal décroissant, il est logique de privilégier la production par une
entreprise unique plutôt que de voir éclater la production entre plusieurs entreprises dont le coût
moyen de production serait plus élevé.

- Base juridique : la Libération consacre un compromis politique extraordinaire entre forces


diamétralement opposées (notamment communistes et gaullistes) qui souhaite le « retour » à la nation
des principaux moyens de production (non sans lien avec la collaboration de la «  puissance privée »
avec les régimes fascistes). Ce consensus politique va générer l’écriture d’un texte important, l’alinéa 9
du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui dispose que :

«  Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public
national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Les bases du développement du service public « à la française » étaient donc solides ; il a accompagné
une croissance économique extrêmement importante pendant toutes les Trente glorieuses, et a même
perduré, après la crise (not. chocs pétroliers des années 1970, ralentissement de la croissance et
développement du chômage dans les années 1980). Si un vent de contestation venu, notamment,
d’outre-Atlantique est perceptible à compter des années 1970, il ne sera réellement remis en cause qu’à
partir des années 1980-1990. Si ce modèle s’avère critiquable sous bien des angles, il reste qu’il fut de
moteur d’importants succès de l’économie française et qu’il a permis la mise en place de champions
nationaux sur lequel reposait le rayonnement industriel du pays (EDF et réseau de production
électronucléaire synonyme d’indépendance énergétique ; SNCF et le maillage du territoire par des lignes
à grande vitesse sur lesquels circule le TGV ; Air France et le Concorde…).

Ce modèle français s’imposera donc sans partage jusque dans les années 1980 ; on verra qu’une partie
de la construction européenne, appelée libéralisation des secteurs en réseau, s’attachera précisément à
démanteler cette organisation du service public « à la française ».

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Section 4 – Le néolibéralisme et les crises

-. Remise en cause de l’État providence – La transition est toute trouvée vers le déclin de l’État providence.
De la Libération aux années 1980, les deux volets de l’interventionnisme public (régulateur et
opérationnel) sont demeurés incontestés. On a vu que les entreprises publiques se sont développées :
elles n’ont cessé d’étendre leur emprise pendant cette période, par le biais de la lialisation (et de prises
de participations minoritaires) de leurs activités à tel point que le secteur public est devenu extrêmement
tentaculaire. Quant au volet régulateur, il a également perduré : certes, les Trente glorieuses ont permis à
l’économie française de retrouver sa puissance et les pénuries qui avaient justi é le dirigisme de guerre
ont totalement cessé. Mais ce dirigisme s’est transformé en une plani cation non autoritaire couplée à des
politiques plus volontaristes dans certains secteurs comme l’agriculture et l’industrie.

Ce schéma va être bouleversé par deux facteurs à l’orée des années 1980 :

- Le triomphe de nouvelles idées économiques que l’on regroupe sous l’appellation un peu fourre-tout
de néolibéralisme, et la conversion de la droite de gouvernement à ces idées à partir de 1986. Ce
néolibéralisme repose, grosso modo, sur 3 piliers : la critique de l’État providence et de l’accroissement
des interventions publiques dans l’économie dénoncées comme étant contre-productives ; la
promotion de l'économie de marché au nom de la liberté ; dérégularisation des marchés qui se
réguleraient mieux par la loi de l’offre et de la demande que par des interventions extérieures et
disparition du secteur public au pro t du secteur privé. Apparue dans les années 1970, cette doctrine
s’oppose frontalement aux politiques keynésiennes qui s’étaient imposées à la Libération. Porté par
Margareth Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux USA, le néolibéralisme repose, outre
l’abstention de l’État, sur le monétarisme et la politique de l’offre.

- L’intensi cation de la construction européenne par l’Acte unique européen de 1986 et la réalisation
d’un marché unique par le Traité de Maastricht de 1992. La promotion des libertés communautaires
(circulation des capitaux, des biens et des services ; liberté de la concurrence) a conduit à une
libéralisation de l’économie par la déréglementation2. Cela s’est traduit, en France, par l’adoption de
l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, un texte majeur
qui crée le droit moderne (et français) de la concurrence sur lequel nous reviendrons. Plus
fondamentalement, le droit de l’Union européenne va devenir, au tournant des années 1990, le fer de
lance des politiques néolibérales, via notamment le développement du droit de concurrence et du
droit des aides d’État.

Cela va se traduire, très concrètement, par la remise en cause de notre modèle de service public «  à la
française » par le démantèlement des monopoles via la mise en concurrence généralisée accompagnée
de l’abandon du statut d’EPIC pour celui de société anonyme, en matière de télécommunication
(privatisation de France Télécom, devenue Orange), de production et de distribution d’électricité et de
gaz (privatisation de GDF devenue GDF-Suez puis Engie ; vente de 15  % du capital d’EDF au secteur

2 M. Bazex, « La dérèglementation », AJDA, 1986, p. 636 ; J. Chevallier, « Les enjeux de la déréglementation », RDP, 1988, p. 281.
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privé) et plus récemment (1er janv. 2020) pour le transport ferroviaire de voyageurs. Auparavant, dès 1986,
l’essentiel des entreprises appartenant au secteur public (y compris celles récemment nationalisées en
1981) avait fait l’objet de vagues de privatisations, c’est-à-dire de retour de ces entreprises au secteur
privé. Le re ux du secteur public est donc total, et à partir des années 1990, seules de grandes
entreprises jugées stratégiques demeurent propriété publique, à la condition toutefois d’être
transformées en sociétés commerciales (France Télécom, La Poste, EDF, la SNCF). La qualité d’actionnaire
de l’État est sans cesse remise en cause dans son principe même ; la crise nancière de 2008 n’y fera rien
et seule la crise du Covid-19 semblera remettre en cause le postulat néolibéral selon lequel l’État serait
indigne à diriger des entreprises3. Il en résulte une préférence pour des prises de participations
minoritaires accompagnées, le cas échéant, de la mise en place d’actions spéci ques accordant à l’État
des pouvoirs bien supérieurs sur l’entreprise que le laisserait penser une participation minoritaire (veto
sur certaines ventes d’actifs stratégiques, sur la nomination des dirigeants, sur d’éventuelles prises de
participation par des États étrangers, etc.

Cette libéralisation va être accompagnée par l’émergence d’une nouvelle tendance, celle de la
régulation. Il est effectivement rapidement apparu comme illusoire, voire dangereux de se contenter
d’ouvrir des marchés auparavant monopolistiques à la concurrence sans organiser cette libéralisation.
C’est tout l’objet de la régulation, qui est un phénomène sectoriel plutôt que global (contra : Autorité de
la concurrence). Ainsi, dans chaque secteur libéralisé (comme l’énergie ou le transport) est mise en place
une autorité administrative indépendante (comme la Commission de régulation de l’énergie ou l’Autorité
de régulation des transports). Cette dernière se voit dotée de pouvoirs spéci ques par le législateur dans
le but d’accompagner l’ouverture à la concurrence d’un secteur. Le but d’une telle autorité indépendante
est alors de protéger les concurrents émergents de l’hégémonie de l’opérateur historique, en dé nissant
notamment des normes (par ex : ARENH, tarif réglementé auquel EDF est contrainte de vendre une partie
de sa production électronucléaire à ses concurrents a n de partager la « rente » nucléaire), en prononçant
des sanctions… On reviendra très largement sur cette nouvelle organisation de l’économie à l’occasion de
ce cours.

Notons encore que ce mouvement de libéralisation favorisant la régulation à l’intervention directe dans
l’économie par le biais d’opérateurs publics a été très largement encouragé par la crise endémique des
nances publiques depuis les années 1990. Cette dernière a en effet encouragé le recul de l’État dans
tous les secteurs auparavant couverts par les services publics (pas seulement économiques). Dès lors que
l’État ne peut plus pourvoir comme auparavant aux besoins de ses opérateurs, le re ux du secteur public
a reçu une nouvelle légitimité du point de vue des nances publiques.

-. La crise sanitaire du covid-19 : le retour de l’État ? – La crise que l’on vient de traverser (si tant est que
ses effets soient terminés, ce dont on peut douter) a permis d’interroger à nouveau le rôle de l’État dans
l’économie nationale. La crise ayant été aussi bien économique que nancière et au surplus
particulièrement violente, elle a appelé une réaction des États. Ces derniers ont agi soit isolément, soit

3 Cour des comptes, L’État actionnaire, rapport 2017 ; Institut Montaigne, L’impossible État actionnaire ?, janv. 2017 (en ligne) : « La
fonction d’actionnaire, qu’elle soit purement nancière ou stratégique, n’est pas adaptée aux pouvoirs publics. Ce n’est ni une critique,
ni un problème : c’est un fait qu’il convient d’assumer pour mettre n à une ambigüité contre-productive ».
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dans le cadre d’instances informelles (G7) ou encore dans celui d’organisations internationales comme
l’Union européenne.

A priori, c’est-à-dire en première analyse, la volte-face est agrante : il suf t pour s’en convaincre
d’apprécier les aspects nanciers. Les mesures nancières de soutien à l’économie (qui se poursuivent en
2022…) ont été absolument considérables :

- 136 milliards d’euros de soutien à l’économie (aux entreprises) ;

- 327 milliards d’euros de garanties de prêts et d’avances aux entreprises ;

- 31 milliards de prise en charge de l’activité partielle des salariés du secteur privé au plus fort de la crise
(chômage partiel).

L’objectif de ces mesures a évidemment été d’éviter l’effondrement des entreprises à la suite des
con nements successifs : le régime des aides aux entreprises a donc tourné à plein régime pendant la
crise ; on en reparlera plus loin. Quoi qu’il en soit, le principe européen de l’interdiction des aides d’État
n’a pas empêché les États membres de l’Union européenne de venir au secours de leurs entreprises. En
effet, le 20 mars 2020, la Commission européenne a adopté un cadre temporaire des aides d’État visant à
soutenir l’économie4 sur le fondement de l’article 107 § 2 b du TFUE. Ce dispositif, très permissif, a permis
de faire face à la crise.

Au-delà de ce soutien massif au secteur privé, c’est l’idée même de plani cation économique qui refait
surface pendant la crise. Ainsi de la loi du 1er septembre 2020 instituant un haut-commissaire au plan,
lequel est chargé :

« d’animer et de coordonner les travaux de plani cation et de ré exion prospective conduits pour
le compte de l’État et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux
démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et
culturels ».

Il reste cependant à voir si cette résurrection de la plani cation est le signe d’un véritablement
changement de paradigme ou s’il ne s’est agi que d’un geste politique à la portée nettement plus
réduite5.

Quoi que l’on pense de ce « renouveau » de l’interventionnisme, il est également possible de prendre le
contrepied d’un discours majoritaire qui fait grand cas des mesures très dirigistes prises pendant la
crise… Il suf t, pour se convaincre du fait que les idées néolibérales sont loin d’être mortes, de se
souvenir que la théorie classique comme moderne n’a jamais promu une neutralité totale de l’État, et
encore moins en temps de crise. C’est d’ailleurs précisément à un rôle d’État « brancardier » ou pompier

4 Commission européenne, communication du 19 mars 2020, Encadrement temporaire des mesures d’aides d’État visant à soutenir
l’économie dans le contexte actuel de la ambée de Covid-19, JOUE, 20 mars 2020, C 91 I/1.

5Bien entendu, vue la personnalité du premier haut-commissaire au plan qui fut nommé (François Bayrou), on peut légitimement se
demander si la fonction n’a pas été créée uniquement dans le but de permettre à un homme politique ne pouvant pas siéger au
gouvernement (car mis en examen) de se maintenir dans les hautes sphères de l’État.
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que la théorie libérale tente de cantonner la puissance publique… On peut donc relativiser quelque peu
le poids pris par l’État pendant la crise ; celle-ci passée, les institutions nationales et internationales s’étant
faites les promoteurs de l’État minimum (Cour des comptes, UE, OCDE…) ne manqueront pas de
souligner que la crise a de nouveau creusé les dé cits publics ; l’austérité n’est pas loin…

Ces précisions liminaires étant émises, il est grand temps d’ouvrir le livre du droit public économique, que
je vous propose de découvrir à travers les deux principaux visages qu’arbore l’État dans l’économie. Nous
nous pencherons donc, dans une première partie, sur la fonction de l’État régulateur, avant d’étudier plus
en détail, dans une seconde partie, les différentes modalités par lesquelles l’État se fait non plus
régulateur, mais bien acteur du marché.

Partie 1 – L’État régulateur du marché


Partie 2 – L’État acteur du marché

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