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Introduction 1
VII
3.1 Structures métadiscursives ayant engendré
des subordonnants thématiques 43
3.2 Structures métaphoriques ayant engendré
des subordonnants thématiques 47
4. Les thèmes entre grammaire et discours: MG/MD 53
5. En guise d’ouverture: les changements thématiques au fil du texte 54
Chapitre 3
D’une prédication à l’autre 57
1. Pour une typologie de la prédication 57
1.1 Les prédications sémantiques 60
1.2 Les prédications d’énonciation (ou pragmatiques) 66
1.3 Des prédications grammaticales aux prédications
pragmatiques: la conversion pragmatique 71
1.4 Les prédications complexes 72
2. Espaces discursifs pour les types de prédication 73
2.1 L’hétérogénéité du discours 74
2.2 Quelles prédications «font figures d’actes»? 76
3. Conclusions
Chapitre 4
Plus ou moins adverbes: le cas des «adverbes de texte» 81
1. Une portée capricieuse 82
2. De la phrase au texte 84
2.1 Adverbes de séquence? 84
2.2 Adverbes de texte 87
3. De l’adverbe à l’adverbial 90
3.1 Expliciter le «jeu» 91
3.2 Indiquer le «jeu» 95
4. Conclusions 98
Chapitre 5
Métaphore territoriale et possession: du discours à la grammaire 101
1. Une métaphore territoriale 102
1.1 La noi în România (‹chez nous, en Roumanie›) 102
1.2 La noi în ţarǎ (litt. ‹chez nous dans le pays›) 104
1.3 La mine în geantǎ (litt. ‹chez moi dans le sac›) 106
VIII
1.4 La ea în suflet (litt. ‹chez elle dans l’âme›) 107
1.5 La voi în familie (litt. ‹chez vous dans la famille›) 108
1.6 La noi(,) în artele plastice
(‹chez nous, dans les arts plastiques›) 109
1.7 La mine în memorie (litt. ‹chez moi dans la mémoire›) 110
2. Quelques conclusions 110
Chapitre 6
Les blocs exclamatifs 113
1. Un exemple de texte interjectif 113
2. Particularités des expressions interjectives 114
2.1 Le flou sémantique 115
2.2 Séquences informelles, syntaxiquement non intégrées 117
3. Conclusions sur un marquage compact 119
Chapitre 7
Malheurs de linéarisation et souci de grammaticalité 121
1. Une contrainte difficile: la linéarité 121
2. Soumission à plusieurs ordres 122
3. L’embarras du choix 123
4. Degrés de grammaticalité 123
5. L’a-grammatical 125
5.1 Les codes approximatifs 125
5.2 Le discours émotionnel 125
6. Grammaticalisation première ou le travail constructif:
l’interlangue 127
7. L’anti-grammatical ou le travail destructif 129
7.1 Dé-grammaticalisation 129
7.2 La grammaticalisation seconde
ou les mouvements réparateurs 130
8. Conclusions 132
Chapitre 8
De la phrase au phrasage: petits et grands coups discursifs 135
1. Il y a clôture et clôture… 135
1.1 Les phrases de langue 137
1.2 Les phrases de discours 137
IX
2. Interprétation des données 140
2.1 Clôtures en décalage: exemple sur un fragment de discours 140
2.2 Moins que des phrases: les petits coups discursifs 144
2.3 Plus que des phrases: les grands coups discursifs 146
3. Conclusions 150
X
3.2 La séquence discursive 183
3.3 Le niveau intermédiaire de structuration:
entre les actes et les textes 186
4. Conclusions 186
Chapitre 11
Parcours discursifs et séquences argumentatives:
une histoire de coulisses 189
1. Une histoire d’arrière-plan:
des savoirs à partager aux savoirs partagés 190
2. Les savoirs à partager et les remises à jour 191
2.1 …. dans les parcours dialogaux 192
2.2 … sur les parcours narratifs 194
2.3 … sur les parcours métadiscursifs 196
3. Les savoirs partagés: rappels, topoï ou justifications 201
4. Parcours discursifs et marqueurs 207
4.1 Marqueurs de fin de séquence 207
4.2 Marqueurs relançant le fil du discours 208
5. Conclusions 209
Chapitre 12
Parcours discursifs et marqueurs: le cas de eh bien 211
1. Eh bien – approche théorique 211
1.1 Dans les dictionnaires et les grammaires 211
1.2 Eh bien dans l’analyse du discours 213
2. Actualisations du parcours: la sémantique de eh bien
et ses équivalents en roumain 222
2.1 Polysémantisme de eh bien 222
2.2 Equivalents roumains de eh bien 223
3. Conclusions 229
Chapitre 13
En-deçà et au-delà des genres: l’ouï-dire 231
1. La définition 232
2. Les marqueurs 232
3. Genres textuels: les récits
(contes oraux, légendes, histoires drôles…) 237
XI
3.1 Légendes 238
3.2 Anecdotes populaires («snoave») 241
4. Genres-séquences: proverbes, dictons, répliques figées, refrains 242
4.1 Lieux communs: proverbes et dictons 242
4.2 Répliques figées 243
4.3 Refrains 243
5. Séquences 244
5.1 Superstitions 244
5.2 Rumeurs 246
6. Unités lexicales: surnoms, lieux-dits et autres noms populaires 250
6.1 Les surnoms et sobriquets 250
6.2 Lieux-dits 251
6.3 Des noms populaires aux mots tout court 251
6.4 Les emprunts 253
7. Problèmes d’équivalences: les traductions 253
8. Ouvertures 254
Conclusion 255
Bibliographie 259
XII
«Les relations grammaticales codent
d’une façon qui leur est plus ou moins spécifique
un certain nombre de relations sémantiques
d’importance cruciale.»
(L. Talmy)
Introduction
Ce volume réunit plusieurs textes suivant une idée directrice, celle que
les fonctions linguistiques, relationnelles ou non, peuvent s’actualiser
sous des formes plus ou moins fortes du point de vue sémantique. Ceci
conduit à une articulation «en douceur» des niveaux micro et macro des
phénomènes linguistiques, sur une échelle graduelle pour chacune des
fonctions prises en considération, et non par une addition forcée ni par
une frontière nette entre les deux systèmes distincts (l’un grammatical,
l’autre, discursif).
Je ne prétends nullement donner ici une image complète de tous les
continua linguistiques qu’il peut y avoir, ni de donner des phénomènes
choisis l’aperçu le plus homogène possible. Reprenant l’idée de Givón
(1979) disant que les locuteurs auraient à disposition deux modes de
communication – l’un, pragmatique, plus concret et sémantiquement
plus fort, l’autre, grammatical, plus abstrait et sémantiquement plus
affaibli – je cherche ici à observer l’articulation entre ces deux modes de
manifestation du verbal.
Le concept de grammaire graduelle que j’utiliserai rappelle celui de
«grammaire floue» – posé déjà par Kleiber & Riegel (1978) ou Com-
bettes (1982), à la suite de Ross, Lakoff, etc., et repris récemment no-
tamment par Charolles (2001) et Roulet (2002). Par contre, vu que mes
exemples proviennent surtout de discours naturels et de masses verbales
plus amples que les «phrases» grammaticales, ces concepts n’ont pas été
abordés ici dans une perspective générativiste comme chez la plupart de
ces auteurs, mais d’un point de vue plutôt discursif.
Je rejoins aussi l’idée directrice des théories sur la grammatica-
lisation qui, voyant l’origine de la grammaire dans le discours, expli-
quent la genèse des fonctions grammaticales, par un processus d’abstrac-
tion, dans les fonctions pragmatiques, et traitent les expressions linguis-
tiques en termes de degrés. Les théories de la grammaticalisation envi-
sagent la constitution des formes grammaticales comme le résultat d’un
cheminement historique effectué par les expressions linguistiques, et ce,
à partir d’un mode de communication primitif, plus concret – appelé
(psycho)logique (cf. Ecole de Prague; ou H. Paul, apud Samain 2001:
1
17-20) ou pragmatique (chez Givón 1979) – vers un mode grammatical,
plus évolué et abstrait. Si pour H. Paul, «toute fonction ‹grammaticale›
s’origine dans une fonction ‹psychologique›» (apud Samain 2001: 19),
pour Givón, la genèse de la syntaxe est dans le discours (1979: 97).
Pour ce qui concerne les relations, disent les mêmes théories:
du point de vue grammatical, on passe […] de la parataxe à la coordination, puis
à la subordination. – C’est le principe de la grammaticalisation (Samain 2001: 22),
ce qui veut dire que les relations peuvent s’exprimer tantôt comme phé-
nomènes du discours, tantôt comme faits de langue (ibid.: 27). On a
donc intérêt à «adopter une représentation unifiée des relations sémanti-
ques et indépendante de leur marquage morphosémantique», traiter cel-
les-ci à des niveaux très divers et en accepter un sémantisme plutôt va-
gue, abstrait, inférable par diverses «figures» (Lemaréchal 2001: 31-42).
C’est, en effet, reconnaître les deux niveaux de structuration du langage
dont parlait aussi Benveniste (1974) quand il faisait la distinction entre
l’organisation sémiotique, du code de la langue et l’organisation sé-
mantique, énonciative ou discursive. Mais c’est surtout rejoindre les
principes de ce qu’on a appelé la pensée faible («il pensiero debole», cf.
Vattimo & Rovatti 1983/1998) et ses modèles non rigides, élastiques et
approximatifs par excellence, où aucune catégorie ne semble plus fonc-
tionner comme unité de mesure.
2
Dans le chapitre 1 intitulé La conversion pragmatique, ou comment
passer de la grammaire au discours, je tente de démontrer qu’entre les
modes grammatical et pragmatique de communication, assez largement
reconnus, la frontière n’est pas toujours facile à délimiter, et qu’il faut
plutôt croire à un continuum plus ou moins homogène sur lequel les
langues actualiseraient les fonctions linguistiques. Sur ce continuum, des
«points de passage» entre les fonctions grammaticales et les fonctions
discursives se font évidents, et il s’avère que le procédé discursif respon-
sable de ce passage est – pour certaines fonctions, du moins – le déta-
chement. En effet, pour une série de fonctions à l’intérieur du groupe
nominal, mais pas uniquement, j’ai pu démontrer que le détachement des
fonctions entraînait une transformation de la fonction grammaticale en
fonction pragmatique, transformation appelée ci-après conversion prag-
matique. Tout semble se jouer à une virgule près. Ont été considérées
«figures discursives», au sens cognitif du terme, les mises en vedette des
fonctions grammaticales par divers procédés (expansion, présentatifs,
inversion, marqueurs de ruptures / frontières) dont certains, de nature
verbale, apparaissent comme plus forts, et certains autres, prosodiques,
plus faibles. Quand ils sont responsables d’une «dérivation illocutoire»
– transformant certaines fonctions grammaticales en fonctions discur-
sives – ces procédés ont été ci-après appelés marqueurs de conversion
pragmatique. Il est assez clair que cette «pragmatisation» est bien un
procédé inverse à la grammaticalisation proprement dite qui, en tant
qu’amplification de fonction (ou emphase) a plutôt fait l’objet des études
de stylistique. J’ai soumis à l’observation, à l’intérieur du syntagme no-
minal, les fonctions de sujet, épithète, apposition conjointe, proposition
relative, ainsi que le rapport de coordination.
J’essaie de prouver avec plus de détails (Chapitre 2 Grands ou petits
thèmes) qu’une certaine gradualité est bien à l’œuvre pour une fonction
vague sujet-thème, et une continuité entre les fonctions discrètes de
sujet et de thème prises à part. Ni la distinction sujet-thème, ni la pers-
pective graduelle sur le thème ne sont nouvelles, mais l’on pourra ici
voir que du niveau grammatical (micro-syntaxique) jusqu’au niveau dis-
cursif (macro-syntaxique), la notion de thème est considérée sous plu-
sieurs de ses aspects: positions (plus faibles ou plus fortes) – grammati-
cales et / ou discursives. Les degrés d’émergence du thème vont effecti-
3
vement des expressions sémantiquement explicites, passent par les ex-
pressions grammaticalisées plus ou moins marquées, pour se perdre dans
le marquage prosodique seul, le plus faible pour la notion de thème. Je
tente de passer en revue et de comparer plusieurs possibilités expressives
du thème en français et en roumain, pour démontrer qu’il s’agit effecti-
vement d’un continuum expressif, allant décroissant des moyens lexi-
calisés (forts) jusqu’aux marqueurs grammaticaux (faibles). Ces
moyens d’expression s’avèrent effectuer un passage graduel de ce que
l’on appelle thème discursif vers ce que l’on appelle sujet grammatical,
preuve évidente d’une continuité fonctionnelle macro- / micro-syntaxique.
Le chapitre 3 (D’une prédication à l’autre) est dédié à la problémati-
que très complexe de la prédication. Dans une perspective intégratrice
de deux catégories qui me paraissent relevantes et qu’on pourrait appeler
prédication sémantique et prédication pragmatique, je définis la pre-
mière comme attribuant des propriétés à des «objets du Monde», la se-
conde, comme parlant de l’énonciation. Ces deux types de prédications
seront vues, au niveau de l’expression, comme phénomènes graduels
allant du propositionnel vers le moins propositionnel, de l’explicite vers
l’implicite, et d’une acception stricte – celle de prédicat proprement dit
(catégorie nette) – vers une acception large – celle de prédication (caté-
gorie floue). Des cas de fusion entre les deux types sémantique et prag-
matique sont également pris en considération, sous le nom de prédica-
tion complexe.
La catégorie classique d’adverbe, en tant que modalisateur, est vue
comme catégorie très floue, elle aussi (Chapitre 4 Plus ou moins adver-
bes: le cas des «adverbes de texte»), tenant compte du fait que:
– d’une part, les «adverbes» ont des portées au-delà du verbe ou de la
phrase (cf. les adverbes dits «de constituant» et les «adverbes de
phrase») – à savoir aux niveaux de la séquence discursive ou du texte;
– d’autre part, que ces «adverbes» se présentent souvent, pour un même
travail linguistique, comme plus que des mots (locutions, proposi-
tions) ou, au contraire, moins que des mots (particules).
Ceci semble expliquer l’abandon (déjà entamé) de la catégorie
d’«adverbe», trop restrictive, en faveur de celle d’«adverbial», plus floue
et convenant mieux à la complexité des phénomènes spécifiques à l’oral.
4
C’est la notion d’adverbial de texte qui semble alors s’imposer (vs ad-
verbe, au sens premier du mot).
Le chapitre 5 Métaphore territoriale et possession traite d’une struc-
ture possessive du roumain non encore reconnue par les grammaires de
cette langue, malgré sa large utilisation dans le registre parlée. Tout en
témoignant d’une métaphore territoriale encore très forte, elle semble
en train de se figer comme expression grammaticale de la possession.
Une comparaison avec le français et parfois l’anglais invite à des consi-
dérations, d’un côté sur de possibles universaux et, d’un autre côté, sur
des parcours de grammaticalisation distincts d’une langue à l’autre.
Les blocs exclamatifs (chapitre 6) attirent l’attention sur un type de
marquage – non analytique, compact ou «en bloc» – de certains sens,
émotionnels par excellence, se manifestant notamment dans les énoncés
interjectifs, et se distinguant du marquage analytique – prototypique pour
les énoncés grammaticaux. Je montrerai aussi qu’un souci de gramma-
ticalité vient couramment remédier à ce qui, dans l’expression, est sou-
vent moins que grammatical, et révèle par là la pression des contraintes
du mode grammatical sur le mode pragmatique (chapitre 7).
Enfin, un dernier chapitre de cette première partie qui est dédiée aux
continua grammaire / discours s’occupe plus près de la notion de phrase.
Y est proposée une catégorie plus adaptée aux discours spontanés, celle
de phrasage, et ce, en consensus avec toutes les contributions en lin-
guistique de la parole (Saussure, Benveniste, Stati, Roulet) ou en macro-
syntaxe (Blanche-Benveniste, Berrendonner, Luzzati, Charolles, Morel,
etc.). Plusieurs principes de clôture sont pris en considération – sémanti-
ques, syntaxiques, prosodiques et pragmatiques – avec, aussi, des déca-
lages, qui, eux, sont responsables de ces unités imparfaites qui, ne répon-
dant pas aux contraintes fortes des phrases grammaticales, se construi-
sent sur ce qu’on a appelé un sentiment de phrase chez les locuteurs
(chapitre 8 De la phrase au phrasage: petits et grands coups discursifs).
5
II. Discours et gradualité
6
(cf. Pop 2000a). Dire que «tout est opération», c’est homogénéiser la
perspective sur le discours, c’est-à-dire considérer qu’aussi bien les caté-
gories «difficiles» (marqueurs, connecteurs, ponctuants, régulateurs,
ratés, particules) que les actes sont des opérations ou des configurations
d’opérations.
De l’acte aux activités: les séquences est un chapitre destiné à un type
d’unités discursives intuitivement appelées séquences. J’invoque notam-
ment des phénomènes comme faire des compliments, donner des expli-
cations, lancer des hypothèses, faire une digression, se plaindre, etc., qui
sont, d’évidence, des activités, et non de simples actes, et que les locu-
teurs perçoivent comme distincts à l’intérieur des discours. Ne pas les
avoir encore suffisamment décrites est notamment dû aux difficultés de
définition ou de délimitation que posent de telles «unités», apparaissant
comme trop floues pour l’exigence de rigueur des catégories scien-
tifiques. Pour ces catégories plutôt «naturelles», des définitions et / ou
des descriptions permissives sont à donner: c’est ce que je tente de faire,
entre autres, dans cette section.
Deux autres chapitres mettent en discussion le passage de l’avant-
plan à l’arrière-plan du discours et vice-versa: pour le premier cas de
figure, avec le travail au niveau des savoirs partagés et ses fonctions
argumentatives; pour le deuxième cas, avec le fonctionnement du mar-
queur eh bien qui indique le passage de l’arrière-plan vers le premier
plan discursif. Ainsi, le chapitre 11 Parcours discursifs et séquences
argumentatives: une histoire de coulisses s’occupe des séquences argu-
mentatives insérées dans les discours non argumentatifs: narratifs, des-
criptifs, métadiscursifs, etc. – pour observer la problématique de l’avant-
plan et de l’arrière-plan discursifs. Sont plus précisément étudiées les
«retours» dans le discours, et les effets informatifs et / ou argumentatifs
de ces séquences. Un problème de gradualité se pose là encore, qui lais-
serait voir une échelle plus nuancée de plans arrière et avant, ainsi qu’un
jeu de saillance dépendant des «lectures» possibles; ou, vice-versa, qui
laisserait voir que ces «lectures» seraient dépendantes des degrés de
saillance des plans discursifs. Une description en termes de «fils discur-
sifs» est proposée, avec une analyse des traces / indicateurs utilisé(e)s
par les locuteurs sur les différents parcours – narratifs, descriptifs, dia-
logaux, etc. – qui s’entrelacent dans un seul et même discours / texte.
7
Le marqueur eh bien est d’un côté vu comme résultat d’une gramma-
ticalisation, et, d’un autre côté, comme indicateur, plus ou moins expli-
cite, de parcours discursifs. Une des conclusions qui émergent de l’étude
de eh bien et de ses équivalents en roumain laisse entendre que l’obser-
vation des types de parcours discursifs peut être un bon critère pour
l’étude interlinguistique des marqueurs. En dehors de leur sémantisme
flou et de leurs équivalences reconnues difficiles d’une langue à l’autre,
les résultats de ces observations semblent par ailleurs justifier l’inves-
tigation du marquage descriptif (lexical ou explicite) des procéduraux,
réputés par excellence implicites. Une perspective graduelle sur les mar-
queurs est ici suggérée, avec une analyse sur eh bien et ses équivalents
en roumain (Chapitre 12 Parcours discursifs et marqueurs: le cas de ‹eh
bien›).
Un dernier chapitre (13: En-deçà et au-delà des genres: le cas de
‹l’ouï-dire›) pose le problème de la gradualité au niveau des genres dis-
cursifs, et l’échelle aurait la forme:
hyper-genre > genre > séquence > énoncé > mot.
L’étude se fait sur le cas de l’ouï-dire en tant que hyper-genre, avec ses
formes génériques, séquentielles, lexicales, etc.
8
I. Sur le continuum
grammaire-discours
Chapitre 1
1. Au-delà de la linéarité
11
tions considérées «fortes», tandis que les fonctions pragmatiques ap-
portent des informations liées à l’énonciation et au contexte de commu-
nication, considérées, elles, plutôt comme secondaires. Qui plus est, les
indices de ce dernier type d’informations sont le plus souvent les ruptu-
res de construction, les segments non intégrés grammaticalement: déta-
chements, incises, segments appositifs, disjoints ou «explicatifs», inter-
jections, vocatifs, etc. Ces ruptures se manifestent par des ponctuants
plus ou moins forts.
Observons la ponctuation du fragment suivant repris à Boris Vian, où
il est clair que l’auteur a eu besoin de certains signes, pour rendre «lisi-
ble» ce texte bourré d’informations hétérogènes: d’un côté pour marquer
ces types distincts d’informations, d’un autre côté pour les intégrer dans
une seule et même unité discursive (ici, un «paragraphe»).
(1) Notez, je ne sais pas du tout comment il marche, le robot à Ducrocq. Mais je
sais que, depuis les tortues électroniques, et surtout l’électrobidule d’Ashby
(ça fait trois jours que je cherche le nom de cet engin, mais contrairement à
ce qu’assure Charles Trenet, je me rappelle surtout le nom de l’auteur et pas
celui de son invention), on est en droit, et même en devoir de ne plus
s’étonner d’une information de ce genre. Il y a maintenant des tas d’appareils
qui choisissent divers trucs de référence (obscure pour nous) à des tas d’au-
tres trucs possibles et manifestent de la sorte une espèce de caractère. De li-
berté, peut-être; comme vous voudrez; moi, Parinaud, vous savez, je ne suis
pas snob. (B. Vian)
nant des tas d’appareils qui choisissent divers trucs de référence11’/ (obscure
pour nous)12/ à des tas d’autres trucs possibles11’’ et manifestent13’ de la sorte14
une espèce de caractère.14’’/ De liberté,15/ peut-être;16/ comme vous voudrez;17/
moi,18/ Parinaud,19/ vous savez,20/ je ne suis pas snob.21/
12
veau du discours, ces mêmes signes sont des indicateurs de «passage» à
un type différent d’information, à un autre «espace» de manœuvre du
discours. Une représentation du paragraphe (1) en termes de ces espaces
discursifs pourrait bien être la suivante (le segment «principal», en gras
dans l’exemple, est donné dans la grille en grisé):
(1b)
Id 8 9 8’’
Md 6 9
Ip 1
S 2’ 4’ 6 8’ 9 8’’ 4’’
D 2’ 2’’ 3 4’ 4’’
Pp 3 5 6 9
Pp 7 8’ 8’’
Pd 3 7 8’ 8’’
Pro , , . , (, , ), ,
Id
Md 10 (12) 15
Ip
S 10 4’’’. (12) 14 13’’ 16
D 4’’’
Pp 11’ 11’’ 13’ 13’’
Pp (12)
Pd 11’ 15
Pro . . , ;
13
− des opérations interdiscursives Id (9);
− des opérations paradiscursives Pd (actes de RECHERCHE DE MOTS 7-
8, 15).
Cette hétérogénéité est tout à fait naturelle dans la communication «en
situation», et on voit bien que le code graphique s’est forgé des moyens
très économiques pour la signaler. Car les quelques signes de ponctua-
tion ne sont parfois là que pour indiquer ces ruptures, et constituent un
vrai système d’aiguillage pour le mode autrement non différencié, car
linéaire, de la communication écrite.
Précisons que, du moins pour les trois signes de ponctuation évoqués ci-
dessus (la virgule, les parenthèses et le point-virgule), la seule différence
est de degré, car chacun peut signaler, indifféremment, ce que peut si-
gnaler un autre; la virgule à elle seule pourrait, à la rigueur, assumer tous
les passages nécessaires entre un type ou autre d’informations et, partant,
indiquer toutes les séquences dites non intégrées grammaticalement:
thématisations, cadrages, appositions, épithètes détachées, vocatifs, in-
cises, adverbes de phrase, relatives explicatives, etc. A l’oral, la pause
est un marqueur prédicatif (Forsgren 1993: 17) ou de passage du plan
avant au plan arrière (Rossi 1999: 67-68), pour la plupart des chercheurs.
On constate en effet que ce que peut justement indiquer une virgule
«forte» (vs les virgules «faibles») c’est une prédication distincte (cf.
Catach, apud Jaffré 1991: 72), invisible autrement sur la linéarité de la
chaîne, avec l’ouverture d’un espace discursif distinct où viendraient
s’inscrire des informations d’un autre type que celles précédemment en-
codées. Or, ces espaces sont ce que l’on pourrait appeler des places dis-
cursives (vs les «places syntaxiques» des fonctions grammaticales; cf.
Pop 1999, 2000a), correspondant notamment à des types distincts d’in-
formation, et, partant, à des types distincts de fonctions discursives.
Il s’avère effectivement que les unités qui occupent ces places discursives sont
interprétées comme ayant des fonctions discursives, et non grammaticales: dans
l’ex. 1 ci-dessus, aucune des fonctions d’APPEL, d’EXPLICATION-PRÉCISION, de
14
COMMENTAIRE, de RECHERCHE DE MOT, de REFORMULATION ou de THÉMATISATION
n’est grammaticale: toutes sont par excellence discursives (elles seront notées par
des petites majuscules dans les exemples).
Une question surgit tout de suite: est-ce aux seules ruptures prosodiques
qu’on reconnaît une fonction discursive? A une virgule ou à une paire de
parenthèses?
Très souvent, oui. Car, comme on a pu le voir pour l’exemple (1) déjà
analysé, c’est une quantité presque négligeable de moyens linguistiques
qui est mise en place pour la gestion de toute la diversité d’informations
mobilisées lors de l’énonciation des phrases. Notons que par ce proces-
sus, la bonne formation de la phrase grammaticale ne se trouve généra-
lement pas dérangée, et que les seuls marqueurs de détachement – vir-
gules et parenthèses – sont à même d’effectuer la conversion gramma-
tical > discursif.
3. La conversion pragmatique:
une question de «relief»?
Du point de vue stylistique, deux sont les modes qui gouverneraient l’ex-
pression linguistique – l’affectif et l’intellectuel – et ce qui est un déta-
chement (ou une conversion pragmatique) s’identifierait dans ce cadre
d’analyse à ce qu’on connaît sous le nom de «mise en relief».
Un retour à l’étymologie de ce dernier terme ne nous semble pas sans intérêt, car
il s’agit bien avec ce genre de procédés – pour utiliser des termens appartenant à
la théorie cognitiviste de la figure – d’un «réhaussement» des segments concer-
nés depuis le niveau ground (support) au niveau figure; soit, en termes d’espaces
discursifs, du niveau linéaire (opérations homogènes sur un seul espace discur-
sif), à un niveau décalé par rapport à la linéarité (sur des espaces discursifs dis-
tincts). Notons que cette idée d’un relief dessiné sur une linéarité ou celle
d’image sont des notions-clé de la logique naturelle de Grize (1990).
15
les séquences voisines, telles les «figures» de l’avant-plan narratif dans
la théorie de Reinhart (1986). Posons donc comme hypothèse de travail
que le détachement est bien un indicateur de spatialité ou de relief en
général: d’un côté, il indique bien le passage vers un autre espace discur-
sif, et d’un autre côté, il donne du relief à la linéarité de la chaîne; c’est
ce dernier effet qui permet de considérer le détachement comme créateur
de figures discursives.
16
4.1.1 Propositions sujet, groupes du sujet
Même si très bien intégrée dans la phrase, une proposition sujet a l’air de
s’imposer comme THÈME. Ces sujets par expansion ont tendance à être
délimités prosodiquement et faire effet d’îlot thématique. C’est le cas
dans certains proverbes comme:
(2) Qui vivra verra.
Qui a bu boira.
Qui dort, dîne.
Qui vole un œuf , vole un bœuf.
Qui se ressemble, s’assemble.
Qui langue a, à Rome va.
2
où l’usage est hésitant pour mettre ou ne pas mettre la virgule , car une
limite respiratoire vient contredire ici une règle grammaticale. Le «sujet
grammatical» n’est en fait ici jamais appelé par les grammairiens
«thème», ce qui n’empêche pas de considérer ce détachement prosodi-
que, qui accompagne les propositions sujet plus amples, un indicateur –
assez faible, il est vrai, mais apparemment suffisant – de quelque chose
qui tente de s’imposer comme figure thématique.
Le prouve aussi l’intuition des scripteurs qui, souvent par un impéra-
tif respiratoire et rythmique, ponctuent d’une virgule la frontière entre le
groupe sujet (la proposition sujet) et le verbe:
(3) Tout ce qui n’est pas clair, n’est pas français. (Leibnitz)
Les ennemis de nos amis, sont nos amis. (Streitman)
17
autrement dit, les expressions linguistiques (ou les «récipients / conte-
3
nants» ) plus amples abritent des référents («contenus») plus consistants
ou forts.
A remarquer les connecteurs alors et mais qui, en tant que traces évidentes
d’opérations subjectives, appuient l’idée d’EMPHASE pour ces thématisations.
Isolées comme elles sont en 5’, 6’ et 7’, elles suggèrent un co-texte contenant
d’autres thèmes dont on se délimite, comme en 4’.
3 En termes cognitivistes.
18
Lorsque le sujet est détaché à droite, on l’appelle POST-THÈME (cf.
Morel, 1992), THÈME POSTPOSÉ, ANTITHÈME («antitopic») ou THÈME
APPARENT. Celui-ci vient très souvent après un faux-départ, sans perti-
nence référentielle, justement pour faire un travail réparateur au niveau
de la référence et donner une extension explicite à l’expression catapho-
rique qui le précède. Ces EXPLICITATIONS (cf. Fradin 1988: 46 et sequ.)
sont des suppléments d’informations (cf. Furukawa 1996: 15) facilitant
un rattrapage ultérieur du thème / du référent de l’énoncé. Enfin, une
interprétation plus psychologique conférerait au post-thème la fonction
de SURPRISE (après une attente instaurée par le cataphorique). Pour ces
cas de figure, une forme atone du pronom (le sujet grammatical) sera
généralement «renforcée» par une forme redondante (forme tonique du
pronom ou un nom), comme dans (8’), (9’), (10’) ci-dessous:
(8) J’avais l’impression d’attendre ma fin. (8’) J’avais l’impression d’attendre ma
fin, moi aussi, mais une petite fin, pous-
sive, malhabile, médiocre. (Moreau)
(9) Le monstre est capable de tout. (9’) Il est capable de tout, le monstre!
(id.)
(10) T’es rien c..., Ferdinand, me crie Arthur. (10’) T’es rien c... Ferdinand! qu’il me
crie, lui Arthur. (Céline)
Pour le pronom cataphorique, il s’agit ici, plus que dans les exemples à
anaphoriques, d’une rethématisation, car un nouveau thème y est posé
par rapport au discours précédent, et qui sera «mis en figure» par le déta-
chement explicite à droite. Toujours est-il que tous ces macro-sujets ou
«sujets discursifs» – fussent-ils détachés à gauche ou à droite – sont in-
4
diqués comme seuls pertinents pour les prédications posées .
4 Cf. Lambrecht 1998, qui parle, pour les segments topiques et les vocatifs, de réfé-
rents du discours «ayant une relation de pertinence pragmatique avec la proposi-
tion, sans […] fonction grammaticale ni [de] rôle sémantique dans la phrase»
(p. 45; pas d’italiques dans l’original).
19
5
1998), tout en s’ajoutant une fonction d’APPEL (vs ADRESSE ) à travers
une seconde conversion, qui va transformer un usage descriptif en usage
énonciatif, déictique, en (11’’).
(11) François est le témoin d’un drame qui nous dépasse. (sujet)
(11’) François, il est le témoin d’un drame qui nous dépasse. (THÈME / RÉFÉ-
RENT PERTINENT)
(11’’) François, tu es le témoin d’un drame qui nous dépasse, tous les deux.
(d’après Moreau) (APPEL)
Nous dirons pour conclure au sujet du... «sujet» que sa conversion la
plus courante est celle en THÈME (ou référent pertinent), et que la fonc-
tion d’APPEL semble être le résultat d’une double conversion (associant à
une opération de mise en relief, de règle, intradiscursive, une autre, de
type interpersonnel et extradiscursive).
5 Id.
6 Cf. la distinction des anciennes grammaires et une distinction encore en usage dans
les grammaires roumaines. N’oublions pour autant pas que l’épithète a toujours été
reconnue comme figure stylistique – argument appuyant fortement son statut de
fonction discursive (dont il est bien question ici).
20
fonction pragmatique semble se cacher sous une fonction grammaticale –
celle d’ÉVALUATION. Ainsi, en (12):
On a affaire dans cet exemple à une vraie frontière d’acte, indiquant non
seulement une simple opération discursive, mais un vrai acte, superposé
à la position syntaxique, normale, de l’adjectif. (Et ce, à la différence de
l’ex. 12 où l’épithète jolie n’est pas isolée et ne fait pas acte.)
Que le cas (12’) ne soit pas normalement pris comme détachement,
bien qu’apportant une «indication complémentaire», s’explique par au
moins une règle grammaticale, selon laquelle la séparation semble plutôt
s’imposer quand une relation supplémentaire se superpose à celle exis-
tant déjà entre le substantif et son adjectif: «quand l’épithète (adjectif et
surtout participe) ne restreint pas l’extension du nom, mais apporte une
indication complémentaire, descriptive ou explicative, elle est souvent
séparée de ce nom» (Grevisse 1986: 544).
Mais ce détachement marque bien une relation entre deux prédica-
tions. Rappelons dans le même sens que les épithètes sont très souvent
des «constructions absolues» à sens très divers: cause, temps, conces-
21
sion, condition, etc. Lors de l’énonciation, ces sens sont plutôt à inter-
préter comme actes d’EXPLICATION (vs circonstanciel de cause), CA-
DRAGE (vs circonstanciel de temps), ATTITUDE CONCESSIVE (vs relation
de concession grammaticale), HYPOTHÈSE (vs circonstanciel de condi-
tion), etc.: autant de fonctions discursives, transgressant le sens descriptif
des propositions subordonnées dans une phrase, et cumulant des sens
pragmatiques très divers (v. les spécifications entre parenthèses ci-
dessous):
(13) Seule, ma mère serait perdue. (HYPOTHÈSE)
(14) Tombés en disgrâce , ils ne se sont jamais réhabilités. (EXPLICATION, CA-
DRAGE)
22
(21) Je disposais d’un champ d’investigation unique, moi-même, et mes remous,
plus barbares qu’intellectuels. Et d’un autre, tout aussi important, la
Femme [...] (id.)
(22) Je ne distingue qu’une délicate aquarelle, quasi irrélle , un anti-Goya. (id.)
23
matique, mais purement «restrictive», donc grammaticale. Telle que les
offre le texte, ces adjectifs cumulent la fonction grammaticale de dé-
terminant et la fonction pragmatique de PRÉCISION / RETOUCHE EX-
PRESSIVE. Soulignons que les AJOUTS marquent ici un processus de
construction «en direct» de l’énoncé, avec des arrêts ou des retours sur le
parcours, ou avec un grossissement des lignes, opérations par excellence
de l’énonciation, propres, plus précisément, au travail complexe de for-
mulation.
Une mention à part méritent les épithètes détachées des pronoms
anaphoriques ou des pronoms de la première et de la deuxième per-
sonne, tous référentiellement suffisants. Automatiquement, leur perti-
nence ne pourra être qu’«explicative» (vs «restrictive»), donc de type
discursif et non grammatical. Les fonctions que prennent pour ce cas
de figure tous les segments détachés sont en effet, comme ci-dessous:
des DESCRIPTIONS (29), EXPLICATIONS (28, 32), JUSTIFICATIONS (30),
ATTITUDES CONCESSIVES (31), ou tout simplement AJOUTS.
(28) Je m’affalais sur mon lit, certain qu’Octavia était une envoyée du Mal [...]
(Moreau) (EXPLICATION)
(29) Il me regardait à peine, la tête enfoncée entre les épaules. (id.) (DESCRIP-
TION)
(30) Tous les enfants s’étaient dispersés, et j’attendais, déçu , n’ayant pas vu
Martine. (Tournier) (JUSTIFICATION)
(31) Don Juan, c’est moi. Oh certes maquillé , fardé , masqué et travesti [...]
(Moreau) (AJOUT RECTIFICATIF)
(32) Interrompu, il pose son doigt sur la ligne en cours. (id.) (EXPLICATION)
24
– une lecture explicative – apportant une EXPLICATION destinée à rap-
peler certaines informations dans la mémoire de l’interlocuteur / ré-
cepteur. Dans les exemples ci-dessous, une EXPLICATION D’ARRIÈRE-
PLAN est représentée comme opération de type présuppositionnel pp
en (35), tandis qu’une EXPLICATION TERMINOLOGIQUE – une DÉFI-
NITION – est représentée comme opération métadiscursive Md dans le
segment 2 en (33):
(33) Un homme qui prête un serment ,1/qui jure de [...],2/ ne peut être qu’un
homme aveuglé.3/ (Valéry, repris à Grevisse)
Md qui jure de [...]
D Un homme qui prête un serment, ne peut être qu’un homme aveuglé.
(36) J’étais entièrement saisi, et possédé par ma fascination du Vide, qui est
l’absolu de l’appropriation . (Moreau)
25
CATIVE. Pour le marquage des fonctions discursives, c’est souvent des
marqueurs plus forts, comme un couple de parenthèses – v. (37) ci-des-
sous, pour un DÉTAIL présenté comme pertinent pour l’argumentation en
cours:
(37) Les récentes déclarations des trois académiciens (dont une académicienne)
prétendent dissocier la personne de la fonction… (Le Monde)
26
Un travail similaire est effectué par la REPRISE avec relative – v. elle qui,
en (39), ci-dessous:
(39) Sa filmographie – qui comprend les noms de Resnais, Tavernier ou Deville
– lui vaut une réputation d’actrice intellectuelle, elle qui serait plutôt une
instinctive inquiète. (Le Temps)
s elle qui serait plutôt...
D Sa filmographie lui vaut une réputation d’…,
pp – qui comprend... –
Pd elle qui serait plutôt...
c’est une apposition explicative qui est choisie. Or, une apposition ex-
plicative EXPLIQUE, INFORME, RECTIFIE, REFORMULE, DÉFINIT ou RAP-
PELLE au lecteur quelque chose qu’il est supposé avoir oublié. Le déta-
chement semble donc non pertinent en (40’’), dans cette phrase qui
s’adresse aux Français, supposés tous connaître l’identité de leur prési-
dent.
27
Voici d’autres exemples d’appositions, de (41) à (46), avec leur
«lecture discursive» notée entre parenthèses:
(41) Elle n’arrêtait pas, à l’époque, de parler littérature , un exercice que je ne
pouvais endurer qu’une demi-heure, pas davantage. (Moreau) (DÉFINITION,
ÉVALUATION)
(42) Je serais sa propriété , un bien dont elle userait et mésuserait à loisir. (id.)
(EXPLICATION, PRÉCISION)
(43) [...] l’homme n’est qu’énergies, une totalisation de toutes les énergies pos-
sibles et imaginables [...] (id.) (REFORMULATION, PRÉCISION)
(44) Ce qui reste de sa «sympathie», c’est sa mémoire, déconfite : tremblants
résidus de noces , nostalgie des partages d’émois , de bouleversement. (id.)
(ÉNUMÉRATION DES PARTIES, DÉTAILS)
(45) Sous ces ronces repose un amour mystique et putréfié . Le grand amour de
ma vie... Amour assassiné . (id.) (REFORMULATION, PRÉCISION)
(46) Ce qui peut rendre léger le transport, ce n’est que le style, ce moment où
des mots se détachent du tas , cassent leur infirmité , prennent leur envol,
et chantent au-dessus de l’écrivain de somme . (id.) (DÉFINITION, ÉVALU-
ATION)
Enfin, dans ces équivalences que posent les appositions, les MÉTAPHO-
RES ne sont pas rares:
(47) Faut-il tuer ce livre, mon enfant, ma maladie? (id.)
(48) Je ne sais, non vraiment je ne sais si je dois tirer ce livre (cet archéopté-
rix...) vers le bas, vers la pensée rampante, ou vers le haut, vers l’esprit su-
périeur. (id.)
(49) Ce n’est pas lui que je regardais, mais son ombre, sur les murs. Le dépla-
cement de cette masse, grossière et dramatique: Falstaff désabusé . (id.)
28
(50) Enfin un mot qui vient s’inscrire en lettres grasses et rutilantes sur ce fond
frémissant: SALAUD! (id.)
(51) Il devait s’en passer des choses, derrière; des complots, des aveux, de
l’ange et du diable, des histoires de pardon ou d’éternels regrets . (id.)
(52) [...] beaucoup de ses énergies sont mortes, surtout les innommables. (id.)
(53) Ils ne sont plus ce qu’ils étaient: des seigneurs. (id.)
29
trois effets pragmatiques, en tout, pour ce détachement effectué sur un
segment coordonné.
Observons, pour d’autres exemples, de (55) à (59) ci-dessous, les
opérations déclenchées par le détachement (elles sont notées entre pa-
renthèses):
(55) Il tue le désir de se reconnaître, de se détecter dans les autres . (id.)
(REFORMULATION)
(56) Tu peux fourbir ta machine à voler les cris et les sons, et ta boîte à capturer
les images. (Tournier) (DISTINGUER LES NIVEAUX DE STRUCTURATION)
(57) J’avais l’impression d’attendre ma fin, moi aussi, mais une petite fin,
poussive, malhabile, médiocre . (Moreau) (RECTIFICATION par mais)
(58) De toute évidence, Octavia voulait me pétrifier à la faveur d’un ouvrage qui
serait forcément un mythe, ou une mystification. (id.) (RECTIFICATION par
ou)
(59) Ni la musique, ni les décors, ni l’ action, et les personnages moins encore,
ne lui laissent la moindre place. (Tournier) (RÉFUTATION par ni... ni..., et
moins encore)
5. Conclusions
30
7
matical et le pragmatique , et en tant que telle, elle est à considérer un
convecteur pragmatique faible.
5.2. Un certain parallélisme fonctions grammaticales (micro-syntaxe)
vs fonctions pragmatiques (macro-syntaxe) semblerait être à l’œuvre
dans les manifestations verbales, qui permettrait de dire que le discours
(par endroits du moins) serait, en plus grand, ce qu’est la structure
grammaticale au niveau de la micro-analyse: les deux modes de cons-
truction du verbal (grammatical et pragmatique) se font concurrence, en
se montrant ou se cachant selon ce qui est jugé pertinent par le scripteur /
locuteur. Il faut noter ici que la distinction que font les grammaires tra-
ditionnelles entre:
restrictif/déterminatif/régi/conjoint vs explicatif/détaché/régissant/disjoint
7 Cf. aussi Neveu 2002 qui considère les détachements le seuil entre le micro- et le
macro-syntaxique (p. 132).
31
rent et plus «vertical» (faisant «figure») s’opposerait au second, plus
condensé / synthétique et plus abstrait (cf. Givón 1979 passim). Les
considérations de Givón suggèrent deux mouvements possibles. Le pre-
mier, du discours vers la grammaire, est celui promu par les théories
de la grammaticalisation, posant l’origine de la syntaxe dans le dis-
cours. Or, ce mouvement allant du pragmatique vers le grammatical ne
laisserait aucune chance au mouvement inverse, de conversion pragma-
tique, observé ci-dessus, car il ferait un retour malvenu, du grammati-
cal au pragmatique, c’est-à-dire d’un type de communication mieux
structuré vers un type moins bien structuré. N’oublions cependant pas
que la théorie de la grammaticalisation n’est qu’une théorie génétique, et
que admettre les deux sens du mouvement c’est bien reconnaître, dans
une perspective synchronique, le pouvoir expressif du mode pragmati-
que, par opposition au pouvoir logique / synthétique du mode grammati-
cal. Toutes les recherches sur l’oral ne font qu’appuyer cette idée.
32
Chapitre 2
1. Le thème prototypique
33
2. Des thématiseurs forts aux thématiseurs faibles
34
(2) Mon sujet est… (2’) Subiectul despre care voi vorbi este…
(3) Je vais m’occuper de… (3’) Mă voi ocupa de [un subiect]
(4) Je vais me pencher sur un sujet…
(5) Dans ma conférence il s’agira de… (5’) În conferinţa mea va fi vorba despre…
A remarquer pour ce type de thème que les expressions sont plutôt des
«commentaires métadiscursifs», explicitant le THÈME DISCURSIF inten-
tionné par:
– des noms (fr thème, sujet; ro temă, subiect);
– des verbes ou locutions verbales (fr s’agir de, s’occuper de, se pen-
cher sur; ro a vorbi despre, a fi vorba despre, a se ocupa de).
A remarquer aussi l’acception large du substantif sujet (fr) / subiect (ro)
dans le métalangage commun des deux langues, acception qui recoupe
parfaitement celle de thème. Cette coïncidence sémantique est significa-
tive pour la thèse que j’essaie de défendre, celle de la continuité fonc-
tionnelle et cognitive THÈME – SUJET, où THÈME est pris au sens dis-
1
cursif, et SUJET, au sens grammatical. Voici des exemples d’explicita-
tions thématiques:
(6) Dernier thème : les questions européennes et internationales. (Présidentielles
– Le Figaro)
(7) COLONELUL: Ştiţi, excelenţă, pentru moment, e vorba numai de un bust, dar
intenţia noastră e, cum om avea ocazia, să-i adăugăm şi un cal. Fiindcă, cel
puţin aceasta e convingerea mea: bustul fără cal e ca ofiţerul fără sabie.
SBONGHICI: Ba, dacă e vorba la o adică, bust să-l facă, da’ cu o carte în mâ-
nă, că eu, care-l ştiu de mic, numai cu cartea în mână l-am văzut… (Baranga)
Un thème fort (TF) est signalé par des expressions (plutôt explicites)
situant le thème discursif dans des séquences détachées du point de vue
typographique par rapport au texte; c’est l’exemple des TITRES (sur les
35
couvertures des livres ou en tête d’ouvrages) et des SOUS-TITRES, comme
dans les ex. de (8) à (12) ci-dessous:
(8) Objet: demande de logement social (sous-titre dans une lettre)
(9) Où il s’agit de …
(9’) ro În care este vorba de(spre)… (sous-titre d’ouvrage)
(10) Sujet: A propos de stress… [suit le texte] (titre de message électronique)
(11) A propos de l’Expo.01 et de l’engagement du Chef du Département fédéral
de l’économie [suit l’article] (Le Temps no 475/1999)
(12) Cât despre tinerii din colonii (titre de chanson, repris à GA1)
36
(18) Moi je vois ma marraine, celle qui habite à Genève, elle est pour les socié-
tés des consommation suisses… (repris à Berthoud)
(19) t’as vu l’gars il est tout endormi (id.)
(20) Voici des dominos en désordre. Replace-le correctement en observant la fa-
çon dont on a commencé. (Clavier…)
ro (21) Se dau paralelogramele ABB’A’ şi BCC’B’ care sunt incluse în plane dife-
rite. P este mijlocul segmentului… (Cărbunaru)
(22) Avem paralelogramele ABB’A’ şi BCC’B’ care sunt incluse în plane dife-
rite… (oral)
(23) Am vecini care mergeau dă milă cu mine noaptea la două… (Corpus Pop)
(24) Fie mulţimile: A = {a; b; c} şi B = {a; b; c; d; 7}. Se observă că…
(Cărbunaru)
(25) Era un miliţian aicea…ă…cum să vă spun […] unu’ Trifan […] Trifan a
aflat că-i din Ciuperceni şi i-a luat să-i aresteze pe cei doi cetăţeni… (id.)
(26) Se ştie că, de exemplu, numărul 4362 se poate scrie ca o adunare astfel:
4000+300+60+2. Scrieţi, asemănător, numerele… (Cărbunaru)
(27) A fost odată ca niciodată un moş şi o babă. (Creangă)
(28) S-a văzut că relaţia «divide pe» nu este o relaţie simetrică. Se obiş-
nuieşte… (Cărbunaru)
Ces verbes sont grammaticalisés car leur sens lexical est affaibli: ces
expressions fonctionnent bien comme marqueurs thématiques «créateurs
de mondes».
Il faut aussi retenir pour ce cas de figure certaines constructions parti-
culières, d’habitude avec les présentatifs il y a, voici… (ou leurs équiva-
lents), dont les relatives ne sont que des «prédications secondes» pour
des thèmes nouveaux qu’on peut introduire. C’est le cas:
– des constructions à relatives de perception:
(31) Je vois le facteur qui passe.
(32) Voilà le facteur qui passe. (repris à Lambrecht)
37
Dans ces exemples, le verbe voir et ses formes grammaticalisées (les
présentatifs voilà, voici), ainsi que le verbe avoir et sa forme gramma-
ticalisée (le présentatif il y a) sont des marqueurs thématiques MT:
même si leur sémantisme lexical est très affaibli, c’est toujours ces ver-
bes qui imposent la relative, par un «souci de structuration grammati-
cale» qui ne fait, dans ces exemples, que venir doubler une structure
discursive en thème-rhème.
Si (29’) est inacceptable, c’est parce que le segment thématique n’est pas
un argument du verbe et ne s’intègre pas à la phrase, comme sa position
le laisserait croire.
38
2.4 THÈMES faibles (Tf)
39
2.5 Sujets grammaticaux (S) ou non-thèmes (nonT)
40
rel 1997: 196-198 et, plus récemment, dans Travaux de linguistique française
no 47, 2003).
Ce schéma ne s’actualise que rarement dans les langues sous cette forme
complète, et les cas de figure discutés ci-dessous n’en sont le plus sou-
vent que des réalisations partielles. Un travail comparatif plus systémati-
que révèlerait des différences intéressantes.
Ce qui sera observé ci-dessous c’est l’expression grammaticalisée
du thème, et plus particulièrement le thème en subordination, avec des
cas similaires à ceux discutés sous 2.6.
41
3. Le THÈME grammaticalisé
42
dans des expressions qui parlent du discours, sur un mode descriptif ou
sur un mode métaphorique.
On constate en effet que, à part les structures métadiscursives expli-
cites (3.1. ci-dessous), les métaphores discursives (3.2.) les plus fortes
qui seraient à l’origine des expressions grammaticales du thème en fran-
çais et en roumain seraient:
– la métaphore du DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS (3.2.1. ci-
dessous) et
– la métaphore du DISCOURS COMME OBJET (3.2.2. ci-dessous).
Ces deux métaphores sont courantes dans plusieurs langues, et attestent
d’une conceptualisation assez homogène de la catégorie de DISCOURS.
On le verra ci-dessous pour le roumain et le français. On considérera
comme résultat du même processus de grammaticalisation non seule-
ment des prépositions / locutions prépositionnelles et conjonctions / lo-
cutions conjonctionnelles comme au sujet de (marqueurs grammaticaux
au sens strict du terme), mais aussi leurs adverbes / locutions adverbiales
correspondantes, du type à ce sujet; même si ces derniers sont à propre-
ment parler des marqueurs anaphoriques, discursifs, on les considèrera
«grammaticalisés» au même titre que leurs paires prépositives / conjonc-
tionnelles, car ils perdu leur sens lexical ont en égale mesure et sont de-
venus des «outils» syntaxiques: si au sujet de connecte au niveau micro
de la syntaxe, à ce sujet relie au niveau macro-syntaxique.
43
– dire que (locution conjonctive)
semblent tous provenir d’expressions explicites du «dire», qui auraient
inclus à l’origine des verba dicendi (parler ou dire) ou des substantifs
métadiscursifs comme discussion, question. Certaines de ces expressions
ont trait à la référence du discours au monde, et on remarque facilement
que les expressions de ce type vont des plus explicites (Je fais référence
à) aux expressions d’une simple «relation» (comme relativement à –
locution prépositive, pour – préposition). Je propose pour le français le
schéma de grammaticalisation suivant, avec les expressions explicites /
lexicales (ML) qui auraient engendré les expressions implicites, procé-
durales par excellence, que sont les marqueurs grammaticaux (MG) ou
les marqueurs discursifs (MD) de thématisation:
EXPRESSIONS MÉTADISCURSIVES
44
(44) Reste la question de la représentation du gouvernement à l’Expo. (Le
Temps) ML
(45) Question poisson, j’adore la sole. MG/MD
(46) … sa délibération quant au sort des fichiers… (Le Monde)
(47) Quant au drogues de substitution, il conviendrait de mener d’abord un en-
semble d’expériences dans des services hospitaliers au cours de cours en-
cadrées médicalement (repris à Fløttum) MG/MD
(48) A: Pis disons pour la pollution? MG
B: Pour la pollution? Moi je dis que… (repris à Laurendeau) MD
(49) Pour ça , elle est vraiment casse-pied, je ne te le fais pas dire. (repris à
Franckel & Paillard) MD
(50) Pour travailler, il travaille. MD vs Il travaille pour travailler. (id.) MG
(51) Ils ont pour voisins de palier un autre couple. (Le Figaro) MG
(52) Conversations sur divers sujets [Madeleine de Scudéry, 1680] (repris à
Gheorghiu) ML
(53) Sur les nominations: moi, je ne suis pas du tout hostile à ce qu’on réduise
le nombre des nominations faites au Conseil des Ministres. (Présidentielles
– Le Figaro) MG/MD
(54) Qu’est-ce qu’on prend comme dessert? Et en vin? MG
(55) Moi je te dis qu’il fasse beau ou pas je pars. (repris à Berthoud) ML/MG
45
On voit bien qu’en se grammaticalisant, les expressions explicites per-
dent les verbes ou les substantifs «descriptifs» du dire (a spune că ‹dire
que›, a vorbi ‹parler›, a se referi la ‹faire référence à›, a se pronunţa
asupra ‹se prononcer sur›) et n’en garde, pour les structures subordon-
nées, que les prépositions ou conjunctions attachées à l’origine à ces
verbes ou substantifs, c’est-à-dire les marques grammaticales par excel-
lence; ici, pour le roumain:
– pe tema (locution prépositive),
– despre/de, asupra (prépositions),
– referitor la (locution prépositive),
– dacă et că (conjonctions).
Par ce processus de grammaticalisation, les structures propositionnelles (v. 56 ci-
dessous) se retrouvent donc réduites à des syntagmes (de 57 à 64) ou, au maxi-
mum, à des propositions sujet (65).
Exemples en roumain:
(56) Mă refer, domnilor, la alegerile pentru comună, mă refer, domnilor, la ale-
gerile pentru Senat. (Baranga) ML
(57) Cât despre cheltuială… te voi împrumuta eu. (Drăghici, repris à GA)
MG/MD
(58) Despre haină ştia că e făcută din pieile de bivol lăsate Fibulei de Kira-cea-
Mare. (Bănulescu) MG/MD
(59) De circulat prin Metopolis, să circule numai «sora mea»… (id.) MG/MD
(60) Vai de mine! MG vs De mine e vai ş-amar! MD
(61) De trup eşti mărunţel, nu-i vorbă, dar la fire eşti mare. (Creangă) MG/MD
(62) Amândoi ne potrivim / Şi la trup şi la uitat (Jarnik-Bîrseanu) MG
(63) Numai aş vrea să ştiu cum rămâne cu moşu-tău. (Creangă) MG vs Cu mo-
şu-tău cum rămâne? MD
(64) Ce mănânci ca desert? MG vs Ca desert, ce vrei? MD
(65) Şi dac-a fost peţită des / E lucru tare de-nţeles. (Coşbuc) MG/MD
Une remarque comparative des deux langues: pour les expressions thé-
matisantes les plus réduites (prépositions «vides» ou quasiment vides,
exprimant la référence par un simple rapport de «relation»), le français a
spécialisé les prépositions sur, comme en (53) et pour, comme dans les
46
exemples de (48) à (51), tandis que le roumain utilise asupra (‹sur›),
despre (‹de, concernant›), comme en (58) et de (‹de›), comme dans les
exemples déjà mentionnés de (59) à (61). Le français thématise les ver-
bes à l’aide de pour + infinitif (50):
(50) Pour travailler, il travaille. vs Il travaille pour travailler. (repris à Franckel
& Paillard) MG/MD
47
présentation spatiale du discours: là, à côté, plus avant, chemin fai-
sant, ci-après, sur, outre, à… (cf. aussi Berrendonner 1997: 219-237).
Observons dans le tableau ci-dessous quelques expressions méta-
phoriques attestant de ce travail métadiscursif qui est à l’œuvre dans
toute production discursive. Pour le français:
LE DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS
ML (Marques lexicales explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Nous approchons du sujet/thème
Nous nous éloignons du sujet/thème
Nous sommes avancés dans ce sujet
Nous nous arrêtons à ce sujet à ce sujet, au sujet de, sur (ce sujet)
Revenons en arrière
A côté de cette question… à côté de
Du côté de… du côté de, côté
Premièrement, deuxièmement…
C’est là que je voulais en venir… là
Je vous vois venir…
Nous avons dépassé le sujet outre
A partir de là…
48
de (locutions prépositives), sur, outre, côté (prépositions). Cette gradua-
lité pourrait se représenter schématiquement comme:
49
LE DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS
ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Ne apropiem de subiect pe această temă
Ne îndepărtăm de subiect/temă
Suntem avansaţi în această temă
Să ne oprim la această temă /problemă / la această temă/acest subiect
acest subiect
Să ne întoarcem la…
Pe lângă acest subiect… Pe lângă (aceasta,)…
Mai întâi, în al doilea rând… Mai întâi, în al doilea rând…
Aici voiam să ajung… Aici, …
Văd unde bateţi…
Am depăşit tema… Dincolo de…
50
3.2.2 Le discours comme objet
Une métaphore émergente de la thématisation identifierait le discours à
un objet qu’on regarde, qu’on construit, qu’on manipule. A preuve, cer-
taines expressions littérales ayant trait à la vue ou à la perception d’un
objet qu’on se passe de l’un à l’autre, ou les expressions ayant trait, plus
abstraitement, à la perception d’un fait (objectualisation du faire). Le
français utilise à cet effet les verbes et locutions regarder, jeter un re-
gard, voir, prendre, reprendre, tenir, poser, toucher, etc., et les gramma-
ticalise comme suit:
LE DISCOURS COMME OBJET
ML (Marques lex., explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Regardons… / Regarde / Voici regarde
Voyons / Je vois… du point de vue, point de vue, vu
Concernant… concernant
Au niveau de… au niveau de, niveau
Du côté de… du côté de, côté
Prenons / Posons… / Tiens… tiens
Pour reprendre…
le fait que + prop. que
le fait de + Inf. de
si l’objet sur lequel porte le discours est […] conçu comme un objet nettement
structuré et organisé, l’énonciateur a recours alors à des Nprép [noms préposi-
tionnels] tels que côté, niveau. Ceux-ci mettent immédiatement en jeu un système
quasiment spatialisé de relations et de parallélismes. (Danon-Boileau & Morel
1997: 198)
51
tion des différents aspects ou parties d’un objet, comme autant de thè-
mes possibles (cf. Adam 1997: 84):
une partie sélectionnée par aspectualisation peut être choisie comme base d’une
nouvelle séquence, prise comme nouveau thème-titre et, à son tour, considérée
sous différents aspects: propriétés éventuelles et sous-parties (ibid.: 93).
Exemples en français:
(72) Regard sur le Monde actuel [Paul Valéry, 1931] (repris à Gheorghiu) ML
(73) Regarde, là , une mésange. (repris à Berthoud) MD
(74) Considérations sur la France [Joseph de Maistre, 1797] (repris à Gheorg-
hiu) ML/MG
(75) Concernant ce problème, on verra plus tard. (repris à Berthoud) MG/MD
(76) Côté Vivendi, la transaction pourrait présager à terme une sortie définitive
du secteur énergétique. (Le Figaro) MG/MD
(77) Prenons par exemple l’affaire des vins frelatés. (repris à Berthoud) ML
(78) Mémoires touchant les choses advenues pour le fait de la religion à Mont-
pellier et dans le Bas-Languedoc [Jean Philippi, 1550-1600] (repris à Gheorg-
hiu) ML
(79) Le fait que ces adaptations ont été annoncées à deux jours d’une élection
complémentaire à la municipalité est naturellement une pure coïncidence.
(Le Temps) ML
(80) Que l’affaire échoue, ça n’émeut pas Pierre. (repris à Fradin) MG/MD
(81) Comment t’aurais pu lire ce livre, espèce de crétin, puisque tu sais pas?
Que lire t’as jamais su? (repris à Querler) MG/MD
(82) Ça ne lui avait pas effleuré l’esprit, que Marie rentrerait demain. MG/MD
(83) Heureusement qu’il est là! (repris à Furukawa) MG
(84) J’en ai marre de faire le gigolo. (repris à Berthoud) MG
(85) De l’Allemagne [Mme de Staël, 1813] (repris à Gheorghiu) MG/MD
Quant au roumain, il utilise à cet effet les mêmes verbes et locutions que
le français: a privi ‹regarder›, a arunca o privire ‹jeter un regard›, a ve-
dea ‹voir›, a lua ‹prendre›, a relua ‹reprendre› ou l’interjection iată ‹voi-
ci, voilà›, auxquels s’ajoute le substantif fapt ‹fait› constitutif des locu-
tions faptul că ‹le fait que› et faptul de ‹le fait de›, etc., et les gramma-
ticalise comme suit:
52
LE DISCOURS COMME OBJET
ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Să privim… în (ceea) ce priveşte
Să aruncăm o privire… cu privire la, în privinţa
Privind privind, privitor la
Să vedem din punct(ul) de vedere (al)
din acest punct de vedere
Văd/ îl văd pe, o văd pe…
Se dă… Se dă…
Să luăm…
Avem… Avem…
faptul că faptul că, că
faptul de de + verbe supin
Exemples en roumain:
(86) În ceea ce priveşte partea stângă a oraşului, de la seminar în sus e declarat
contaminat. (Baranga) MG/MD
(87) În ceea ce priveşte obligaţiile lui Glad, luate la venirea la Metopolis, în
timpul prânzului aceluia de la casa parohială, faţă de generalul Marosin,
astea îl scuteau de-a se expune prea mult în faţa ochilor metopolitenilor
[…] (Bănulescu) MG/MD
(88) Când a plecat de la Aram Telguran, Iapa Roşie scria, citea, socotea ca un
om cu şcoală. Iar cât priveşte Biblia, a aflat-o de la el aproape toată. (id.)
MG/MD
(89) Că în Dicomesia se nasc mai mult băieţi şi că de aceea dicomesienii au ne-
voie de fete venite din alte părţi, poate că e numai o înşelăciune a ochiului.
(id.) MG/MD
(90) Ne doare c-a fost scris aşa. (Coşbuc) MG
(91) Pesemne că m-o fi cunoscând dlui. (Caragiale) MG
53
conjonctions «thématiques» sont à prendre comme de simples MG, si-
gnalant des fonctions grammaticales, alors que dans les mêmes syntag-
mes détachés et / ou disloqués, elles se trouvent déjà «converties» en
MD et indiquent des fonctions discursives ou pragmatiques supplémen-
taires. Ce qui revient à dire que de positions thématiques faibles (S ou
CT), elles passent en positions thématiques moyennes (cas où les mêmes
S ou CT sont détachés; cf. supra 2.3.2.). J’ai appelé ce type de «dériva-
tion illocutoire» conversion pragmatique (cf. Pop 2000a: 58; 2001, ou
supra, Chap. 1 La conversion pragmatique). Pour l’opération de théma-
tisation, elle concerne plus particulièrement la conversion, par déta-
chement, d’un SUJET grammatical en THÈME. C’est le maillon le plus
faible, par où la grammaire peut passer en discours, le lieu de l’arti-
culation grammaire-discours (articulation micro-syntaxe − macro-
syntaxe). Dans les exemples analysés, v. tous les cas marqués MG/MD.
54
Voilà pour LA PROCÉDURE. Quant au DÉBAT DE FOND, il reste entier. (Le Fi-
garo)
(93) CES DERNIERS vont pourtant, dans leur immense majorité, rejoindre les
rangs de l’économie privée. Quant aux 85% RESTANTS, ils vont, pour la
plupart, s’y diriger aussi. Votre propos n’est donc pas, contrairement à ce
que vous affirmez, de REVALORISER LES PROFESSIONS MANUELLES qui man-
queraient de candidats. Il s’agit de POUSSER LES MEILLEURS ÉLÈVES, scolai-
rement parlant, vers des apprentissages. (Le Temps)
(94) LES ENFANTS DE LUC sont dans le jardin. PIERRE joue avec ses autos.
SOPHIE, elle est assise sur l’herbe et chante pour ses poupées. (repris à
Fløttum)
(95) L: bun dar se pricepe la agricultură cu tractoarele cu combinele
I: nu nu bine nu se pricepe aicea eu l-am chemat aia-i toată chestia cu
AGRICULTURA da stai: à propos de HANDICAPURILE LUI LA PREZIDENŢIE/ să
nu uit
L: da
I: la AGRICULTURĂ deci: el nu: e greu să
L: asta e părerea dumneavoastră
I: e greu să/ e greu să crezi totuşi/ că: un om care a trăit în Primăverii/ cum
a fost Petre/ dar nu e vina lui şi nu-l acuz pentru asta e mare expert ă:: în
agricultură
L: şi în Primăverii te poţi ocupa cu creşterea viermilor
I: cum nici eu eu n-am crescut în Primăverii/ am crescut în Slobozia da
L: cu CREŞTEREA VIERMILOR DE MĂTASE ÎN PRIMĂVERII/ nu-i nici o proble-
mă
I: nu ştiu dacă sînt atâţia duzi/ că toţi viermii de mătase să stea acolo/ nu
eu l-am chemat
L: (râs)
I: păi eu l-am chemat/ pă: pă Petre: Roman la: acea întâlnire cu agricultorii/
impresionat de drama unor nu de problema DRAMĂ/ nu
L: ajungem şi acolo
I: da aicea: treceam la AGRICULTURĂ/ şi asta de ă: hai s-o amânăm puţin/
fiindcă am amânat-o şi să spun că HANDICAPURILE LUI PETRE/ că despre
asta vorbim
L: vă rog
I: despre CANDIDAŢII LA PREŞEDINŢIE/ şi revenim la ALTE PERSONAJE
L: da
I: deci Petre una că E LA CONDUCEREA ROMÂNIEI E PREŞEDINTELE
SENATULUI ŞI ESTE ÎNTR-O COALIŢIE care nu mai are succes/ clar aşa şi două
chestia ă:: ă:: cu faptul că I SE IMPUTĂ CĂ ESTE: EVREU/ că-n România încă
din păcate/ naţionalismul ăsta… (Corpus Pop)
55
Comme on peut le voir dans ce dernier exemple, le choix du thème ou
des thèmes pertinent(s) devient très souvent difficile dans une interview,
car le locuteur peut avoir du mal à faire le bon choix pour les éléments
thématiques les plus pertinents à son argumentation.
Les virtualités thématiques des énoncés, la divergence d’interprétation de l’infor-
mation thématiquement pertinente, ainsi que la sélection d’un thème pertinent ont
été discutées par Auchlin (1986) et de Fornel (1986); l’ajustement thématique par
des éléments plus ou moins thématiques, par Touratier (1998). Enfin, la notion de
mouvement thématique se retrouve chez de Fornel (ibid.).
56
Chapitre 3
57
Types de préd. 1.2. P r é d i c a t i o n s d ’ é n o n c i a t i o n 1.1. Prédications «sur le monde» (sémantiques)
Marqueurs• (pragmatiques) primaires secondaires
Marques • préfixes énonciatifs (1.2.1.) • P. logico-philos. (1.1.1.):
analytiques • commentaires métadiscursifs (1.2.1.1.): Le (Lyons ‘68/’89)
(descriptives, thème de mon exposé va être... • gramm./canonique (1.1.2.)
dénominatives, • verbes performatifs (1.2.1.2.): je te pro- P. prototypique = vb conjugué:
assertives) mets de…, je t’ordonne de… Prédicat principal (1.1.2.1.) Prédicat subordonné (verbe régi)
• verbes d’opérations logiques / «recteurs (verbe régissant) (1.1.2.1.):
«prédicativité» faibles» (CBB ‘89) ou «parenthétiques» en • prédication (1.1.2.2.): Quand le chat est parti, les souris dansent.
(Seiler ‘97) position préface (Récanati ‘79, ‘84) p. première (constitutive)
(1.2.1.3.): savoir, croire, supposer, imagi- • expliquée: i. complète
ner, penser: Je crois qu’il pleut. (Wilmet ‘97a): Le chat parti, les
souris dansent.
Marques • expressions en incise (1.2.2.) ii. incomplète p. seconde (1.1.2.2.) (Wilmet ‘97a,b)
moins analyti- •incises pr. dites (vbs de citation, CBB ’97): Pierre intelligent? • discursive/extérieure/transphrastique
ques dit-on, je veux dire, ça s’appelle… • étiquettes: Maison à louer. • infinitifs de narration:
•parenthétiques détachés (Récanati 79,’84): Pommes. (Wilmet ‘97a,b) Et l’assistance d’applaudir. (Melis ‘00)
Il pleut, je crois. «implicite» (Lefeuvre ‘98): • constr. à relatives de perception:
• marqueurs «indicatifs» d’actes (1.2.3.) Parfait! Vents et pluie. Voilà le facteur qui arrive. (Lambrecht‘00)
• «délocutifs» (Anscombre • «opérateurs de prédication»: • appositions (Wilmet ‘97a,b, Forsgren’00,
‘80): s’il te plaît, voulez-vous, pouvez-vous, les semi-auxiliaires (Rousseau CBB ‘00): Je tiens absolument moi poli-
avez-vous, disons... ‘00) cier à venir vous voir.
• thématiseurs: quant à, pour ce qui est de, • adj. détachée («préd. réduite», Combettes
concernant, pour, il y a, avoir, formes ‘98b): Malade, il n’est pas venu.
toniques... • constr. absolues: Le chat parti, les souris
• reformulatifs: je dirais plutôt, enfin, bon... dansent. Pierre est arrivé, les mains ds les
poches. Pierre est torse nu. (Hamon ‘87)
Marques plutôt • «mots-phrases» (1.2.4.) • impliquée (Wilmet ‘97a) Aïe! • intra-phrastique/intérieure (LF 127)
synthétiques • interjections prédicatives: Allez! Regarde! • part. prés.: La sultane s’est levée mettant
(montrées) Ecoute! Tiens!: Il était très malade. Puis là, fin à…. (P.complexe) (Herslund ‘00)
tout à coup tiens, ça s’est mis à aller mieux. • constr. à thème spatialement localisé:
Tiens! =[j’attire ton attention sur le fait que Elle est là qui pleure. (Furukawa ‘00)
«procédures» le contenu de ton intervention est tout à • relatives préd. («avoir», «il y a»): J’ai la
coup renversé dans P.] (Dostie&Léard‘99 ) petite qui est fatiguée. (Lagae&Rouget’98)
•adverbes «ad-phrase»: Heureusement qu’il • «avoir» en emploi attributif: J’ai une
pleut. (Furukawa ‘99 «adv.-prédicat»/Lagae place de libre. (Kupferman ‘00)
«relation préd. inversée»/CBB «associés»); • après vbs perception: Elle se voyait
ro cic («dit-on»): E cel mai bun, cic . avocate. (Willems & Defrancq ‘00)
• «mots du discours» (1.2.5.) • constr. adj.: Il a bu son café tiède. (Mul-
• marqueurs discursifs: mais, eh bien, ben ler ‘00)
• «ponctuants»: c’est tout, quoi, là • constr. avec C. prép.: Paul m’a séduit par
ses bonnes manières. (Cadiot ‘00)
• prédication interne au SN: attribut,
épithète: Pierre est rentré ivre. On l’a
nommé ambassadeur. Je préfère mon thé
bien chaud. (Forsgren ‘00)
Marques • déictiques (1.2.6.): • p r é d i c a t i o n s « p r o f o n d e s » = opérations cognitives (1.1.2.2.)
implicites • temps verbaux • «Nommer c’et déjà prédiquer» (Siblot ‘98) = prédication dénominative
• je: [chercher dans la description de la (jugements thétiques)
«indicativité» situation la personne qui parle] (Reboul & • «a given meaning of any expr.» (Langaker ‘91): the big blue plastic cup
(Seiler ‘97) Moeschler ‘98) • prédications nominales vs préd. relationnelles (processus, rel. atemp.)
• présentatifs: c’est...qui... • les formes = traces d’opérations (Culioli ‘90): chez = rel. préd. de localis.
vraiment = attracteur à l’intérieur du domaine notionnel
• prédications de type identifiant vs de type qualifiant etc. (Combettes ‘98)
• MAN (marqueurs d’ajustement notionnels) (Rieu ‘00): absolu, total
Marques pros., • ruptures synt. : la «conversion pragmatique» par détachement d’une fonction gramm. (1.3.)
pauses, cadrage/localisateurs < circonstanciel
contours A 5 ans, il jouait du piano. <Il jouait du piano à 5 ans. (Combettes ‘98a, Pop ‘00)
inton., ponc- Il jouait du piano. A 5 ans.
tuation (cf. Berthonneau ’87)
Marques P r é d i c a t i o n s c o m p l e x e s ( s é m a n t i c o - p r a g m a t i q u e ) : référence + prédication non canoniques (1.4.)
implicites •adjectifs/noms qualifiants: un maudit Français (= malédiction, cf. de Cornulier ‘76); cet abruti de Pierre (=injure, cf. Ans-
complexes combre ‘80); a monster of a man (Bonker ‘99)
pragma-sém. •marqueurs «potentiels» d’actes: impératif (ordre), futur (promesse)
•interjections déictiques: Dehors! (Wilkins ‘92) (complexe prédicationnel) = type le plus primitif de proposition (Curme),
énoncés instinctifs (Sapir)
•gestes: agenouillement [J’ai une très bonne pensée pour toi. Je ne pourrais jamais penser la même chose de moi]
(Wierzbicka ‘95)
Le tableau et le commentaire qui l’accompagne essaient de donner un
aperçu global de ces types distincts de prédication et ne veulent que fixer
quelques repères dans le domaine si vaste du phénomène. On lira le ta-
bleau:
− horizontalement, afin d’avoir en vue les 2 grands types de prédication
se manifestant en même temps dans un énoncé:
− à droite, la PRÉDICATION SÉMANTIQUE (1.1.), celle-ci comportant,
comme sous-divisions:
− une prédication primaire et
− une prédication secondaire,
correspondant, en grand, respectivement à la prédication princi-
pale et à la prédication subordonnée, catégories classiques des
grammaires;
− à gauche dans le tableau, la PRÉDICATION PRAGMATIQUE (1.2.);
− verticalement, afin de passer en revue les types de marqueurs les ac-
tualisant, allant des plus explicites (plutôt verbes), situés en haut du
tableau, vers les plus implicites (plutôt non-verbes), en bas du ta-
bleau.
(Abréviations: p. = prédication; P. = prédicat; CBB = Claire Blanche-Benveniste;
LF = Langue française)
60
grammaires classiques, tendent plutôt à nier la valeur de prédicat à
d’autres parties du discours et à d’autres formes du verbe que les formes
fléchies à un mode personnel: la plupart des grammaires scolaires sui-
vent religieusement cette vision.
Dès qu’on élargit la perspective propositionnelle vers une perspective
phrastique, deux types de prédicats sont considérés constitutifs de la
phrase:
− un prédicat principal (sous la forme d’un verbe régissant) et
− un prédicat subordonné (sous la forme d’un verbe régi).
Dans une phrase comme Quand le chat est parti, les souris dansent, la
première proposition (avec son prédicat) est subordonnée à la seconde,
considérée, elle, tout comme son prédicat, principal(e). (Dans les exem-
ples du tableau, ce n’est que la séquence visée qui est donnée en itali-
ques.)
1.1.2.2. Les grammaires plus modernes voient de façon plus permissive
non seulement la notion de «prédicat», mais aussi la binarité principal-
secondaire, et va traiter les phénomènes en termes de «prédication» –
notion nettement moins restrictive que la première. Ainsi, dans la
Grammaire critique… de Wilmet (1997a: 491), une «prédication pre-
mière» (considérée «constitutive» de l’énoncé) sera mise en rapport avec
une «prédication seconde» (dite «surajoutée à l’énoncé»).
LA PRÉDICATION PREMIÈRE
Wilmet (1997a: 492) la classifie en:
− expliquée, dont l’expression est explicitée par un verbe à un mode
personnel, par ex.: Je ressens une vive douleur. Celle-ci peut elle-
même être:
− complète (le verbe porte la prédication par le truchement de la co-
pule qu’il incorpore): Pierre est intelligent;
− incomplète, de type elliptique, comme par exemple dans le lan-
gage affectif (Pierre intelligent?) ou dans les «étiquettes» du type:
Maison à louer ou Pommes;
− impliquée, exprimée par des mots prédicatifs comme les interjec-
tions. Pour reprendre l’exemple de Wilmet, Aïe! serait la version
61
«impliquée» (indicielle) de la prédication «expliquée» (ou descrip-
tive) de Je ressens une vive douleur.
Entre autres, les semi-auxiliaires seraient moins que prédicats, des
«opérateurs de prédication», correspondant à ce que l’on appelle aussi
verbes-supports ou préverbes (cf. Rousseau 2000: 33-34). Rousseau y
inclut les «verbes de modalité», les «verbes de perception» (voir, enten-
dre), les «verbes de croyance» (penser, croire), des verbes de comporte-
ment (essayer, s’efforcer, renoncer), des «verbes d’attitude» (souhaiter,
accepter, refuser).
On s’apercevra que certains de ces semi-auxiliaires peuvent corres-
pondre, indifféremment, à la prédication principale, secondaire, sémanti-
que ou pragmatique, selon le point de vue adopté (cf. le tableau ci-
dessus; et 1.2.1.3. ci-après), et que d’autres seront constitutifs de «péri-
phrases verbales».
Enfin, j’aimerais mentionner l’approche de Florence Lefeuvre qui
distingue deux types de prédication averbale:
− une prédication averbale définie comme «acte qui attribue un prédicat
averbal à un sujet», dont l’une serait plus explicite (du type Heureux,
les pauvres! ou Merveilleux, ces roses!), et une autre implicite
(comme dans Parfait!);
− une prédication averbale définie comme «acte qui pose l’existence du
référent du prédicat averbal»: Vent et pluie (1998: 171).
LA PRÉDICATION SECONDE
Ce qu’on appelle aujourd’hui «prédication seconde» a déjà fait couler
assez d’encre, car la notion est assez floue et les perspectives dont on
l’appréhende très diverses.
Selon Wilmet, par exemple (1997a: 516; 1997b: 422), ce serait une
«prédication facultative, surajoutée à l’énoncé, greffée sans copule sur
un terme quelconque de la prédication première» et «conférant à son
thème la fonction d’apposé» et «à son rhème celle d’apposition». Selon
le numéro 127 de Langue Française (2000):
La prédication seconde, c’est celle qui est réalisée par un type de séquence qui est
syntaxiquement intégré à la phrase, mais dans lequel l’élément nominal concerné
ne constitue pas sémantiquement une tête par rapport à l’élément non nominal
impliqué (p. 4).
62
Elle pourrait se présenter:
A. au niveau discursif et serait appelée «extérieure» ou «transphras-
tique» (par rapport, en général, à une prédication première exprimée
dans une phrase antérieure); c’est surtout le cas des infinitifs de narra-
tion, du type Et l’assistance d’applaudir (Melis 2000) et des construc-
tions à relatives de perception comme Je vois / Voilà le facteur qui passe
(Lambrecht 2000), où le présentatif, ainsi que le verbe «voir», ne se-
raient que des formes discursives introduisant des entités nouvelles dans
1
le discours.
Plusieurs cas de constructions détachées semblent bien appartenir à
cette catégorie, les constructions appositives étant, d’après Wilmet
(ibid.), essentiellement des prédications secondaires:
− les appositions du type:
Je tiens absolument moi policier à venir vous voir.
63
éléments nominaux sont plutôt des constituants immédiats (S, COD, C
prép., A) de la phrase:
− constituants-sujets:
− participes présents du type
La sultane s’est levée mettant fin à l’entretien .
3
que Herslund (2000) appelle ici «prédicat complexe» ;
− constructions à thème spatialement localisé:
Elle est là qui pleure. (Furukawa 2000)
3 A ne pas confondre avec la prédication complexe, telle que définie sous 1.4.
4 Il y a et avoir dans ces contextes sont des thématiseurs (cf. supra Chap. 2 Grands et
petits thèmes).
64
Notons que, pour la plupart, les verbes à une forme non personnelle
(infinitifs, participes), ainsi que les adjectifs, représenteraient gram-
maticalement «moins que des prédicats». De toute façon, une déli-
mitation nette, selon un critère unique, semble impossible à retenir
pour la «prédication seconde / secondaire», car des critères sémanti-
ques et syntaxiques sont souvent en jeu simultanément. Encore faut-il
noter que certaines catégories apparemment distinctes semblent se re-
couper, telles:
– les constructions absolues à complément de manière (Pierre est ar-
rivé, les mains dans les poches, chez Hamon 1987) avec les com-
plément prépositionnels (Paul m’a séduit par ses bonnes maniè-
res, chez Cadiot 2000);
– les constructions absolues (Pierre est torse nu, chez Hamon 1987)
avec les constructions adjectivales (Il a bu son café tiède , de
Müller 2000) ou avec les prédications internes aux syntagmes no-
minaux (Je préfère mon thé bien chaud , chez Forsgren 2000).
LES PRÉDICATIONS «PROFONDES»
Une acception spéciale de la prédication serait ce que l’on pourrait ap-
peler prédication «profonde», correspondant aux «opérations» au sens
cognitif du terme (cf. par ex., les opérations α qui introduisent un objet
ou ouvrent une classe d’objets pour le discours, les opérations η produi-
sant un couple prédicatif, les opérations binaires δ modificatrices du
prédicat, ou τ, les relations, chez Grize 1990). Tout comme pour Siblot
«nommer c’est déjà prédiquer» (1998), pour tous les linguistes cogniti-
vistes, le contenu donné de toute expression («a given meaning of any
expression», Langaker 1991 I: 97) équivaut à une prédication. Pour re-
prendre un exemple de Langaker (1991 I: 117), notons qu’il y a dans le
syntagme:
the big blue plastic cup (‹la grande tasse bleue en plastique›)
65
− une PRÉDICATION NOMINALE pour cup (‹tasse›).
Dans ce même sens, Culioli (1990) reconnaît dans toute forme linguisti-
que la trace d’une opération: dans la préposition chez, la trace d’une
relation prédicative de LOCALISATION (p. 119), ou dans l’adverbe vrai-
ment, un «attracteur» à l’intérieur du domaine notionnel (p. 60). Pour
ce même type d’opération, Colette Rieu (2000) voit respectivement dans
les adverbes et les adjectifs parfaitement, total, absolu des marqueurs
d’ajustement notionnel (MAN).
Enfin, rappelons que les cognitivistes invoquent diverses dichoto-
mies, dont, par exemple:
− prédications nominales (correspondant à des concepts) vs prédica-
tions relationnelles (correspondant à des processus, relations tempo-
relles, etc.), ou
− prédications de type identifiant vs prédications de type qualifiant (cf.,
pour cette dernière, Combettes 1998), etc.
Avant de passer aux prédications d’énonciation, notons au hasard, sans
les expliciter, quelques autres types de prédication sémantique: équation,
description, situation, possession, procès statifs, procès actifs, etc. (cf.
Bronckart 1983). La problématique semble extrêmement vaste.
66
sauraient nullement être tracées entre les différentes sous-catégories car
elles s’inscrivent d’évidence dans une gradualité (v. pointillé entre les
cases du tableau).
Je me détache en ce point du schéma de Moeschler & Reboul (1994: 28) quand je
prends en considération, pour l’information pragmatique, un nombre plus grand
d’expressions linguistiques pour les deux types d’encodage (conceptuel et procé-
dural) que n’en proposent ces auteurs; j’ai donc préféré les envisager, tout
comme l’information sémantique, sur un gradient allant du conceptuel / analyti-
que / descriptif vers le procédural / synthétique / indiciel.
67
1.2.1.3. Recteurs faibles, «parenthétiques» en préface
Certains verbes dits d’opérations logiques («recteurs faibles» chez Blan-
che-Benveniste 1989 ou «parenthétiques» chez Récanati 1979, 1984) du
type savoir, croire, supposer, imaginer, penser, etc. (ex.: Je crois qu’il
pleut) sont sémantiquement moins forts que les verbes qu’ils régissent, et
ne réalisent de ce fait pas une prédication (sémantiquement) principale,
en dépit de leur statut de verbes (syntaxiquement) recteurs; ils se dépla-
cent facilement de la position «préface» (Je crois qu’il pleut) en position
incise (position médiane ou finale). Cette dernière position est plus faible
que la position préface, raison pour laquelle on retrouve ces mêmes ver-
bes dans le tableau parmi les «expressions en incise»: Il pleut, je crois
(cf. ci-dessous, «parenthétiques détachés», sous 1.2.2).
68
bon...), de THÉMATISATION (concernant, pour ce qui est de, quant à, il y
7
a, avoir, formes toniques des pronoms...), etc. Même ceux qui gardent
encore une forme verbale finie seront très peu «prédicats», leur fonction
sémantique s’étant convertie en fonction pragmatique.
7 C’est bien un argument en faveur du statut d’actes des segments qu’ils introduisent,
tel qu’on l’a vu, pour ces segments en position détachée, au Chapitre 2 Grands et
petits thèmes.
69
GENDES racontées par tout le monde, du BOUCHE À OREILLE (cf. infra,
Chapitre 13 En-deçà et au-delà des genres: l’ouï-dire).
70
Notons qu’à un seul et même mot déictique on peut attacher plusieurs
procédures, en fonction des types de référents – mondain, conceptuel,
métadiscursifs – auxquels il peut renvoyer (cf. pour aşa ‹comme ça, ain-
si› du roumain, Pop 2003).
71
1.4 Les prédications complexes
8
Des prédications complexes – sémantiques et pragmatiques à la fois –
semblent être à l’œuvre dans plusieurs cas de figures où il est impossible
de détacher nettement le marquage pragmatique du marquage séman-
tique. C’est par exemple le cas:
− des ainsi appelés «marqueurs potentiels d’actes», dont les impératifs
indiquent un ORDRE ou une DEMANDE, ou le futur, une possible PRO-
MESSE;
− des adjectifs dits «qualifiants» ou «évaluatifs» qui, malgré leur
intégration parfaite dans la structure syntaxique, effectuent en même
temps des actes de langage «dérivés». Je rappelle ici l’exemple de de
Cornulier (1976):
un maudit Français
8 A ne pas confondre avec les prédicats complexes de Herslund (2000) du type: «La
sultane s’est levée, mettant fin à l’entretien.»
72
d’Arndt et Janney (1991) qui incluent les interjections dans la «com-
munication émotionnelle» (vs la «communication émotive» et la
«communication cognitive»);
− des gestes, qui sont décrits comme complexes prédicationnels, tout
comme les interjections. Leur sens pourrait se décomposer, comme le
propose par exemple Wierzbicka pour l’agenouillement, comme suit:
J’ai une très bonne pensée pour toi. Je ne pourrais jamais penser la même chose
de moi. (1995: 241; trad. L. P.)
Notons qu’à côté des signes de ponctuation, les signaux verbaux que
sont les interjections appartiennent aux expressions amorphes (non
compositionnelles) et sont les plus proches de l’expression non ver-
bale, gestuelle, qui est encore plus difficilement décomposable. On a
affaire dans leur cas à des prédications diffuses, synthétiques, non ca-
noniques, qui réfèrent et prédiquent en même temps.
Notons également un sens particulier assigné aux marqueurs ana-
lytiques (descriptifs) par Seiler (1997) qui utilise pour désigner leur
fonction le terme de «prédicativité»; il oppose celui-ci au terme
d’«indicativité», attribuable, lui, aux marqueurs implicites.
Après cette vue d’ensemble sur les types de prédications, je propose,
dans ce qui suit (2), un cadre intégrateur pour des possibles types de PRÉ-
DICATIONS PRAGMATIQUES (vs PRÉDICATIONS SÉMANTIQUES), et ce, afin
de donner une possible image de leur fonctionnement simultané dans le
discours.
Nous avons vu sous 1. ci-dessus, pour les deux grands types de prédica-
tion, qu’un continuum est à prendre en considération au niveau de l’ex-
pression, allant de l’analytique vers le synthétique et l’amorphe. Ceci
oblige à considérer deux pôles extrêmes de la prédicativité et de la prédi-
cation en général:
− d’un côté, une prédication forte – les prédicats proprement dits de la
logique et de la grammaire, constitutifs de ce qu’on appelle expres-
73
sions propositionnelles ou littérales, et caractérisant la communica-
tion de type «cognitif»; c’est le sens standard, restreint, de la prédica-
tion, à laquelle est venue se rattacher ici l’acception pragmatique,
avec, au premier plan, les verbes performatifs. On pourrait affirmer
que seuls les prédicats proprement dits formeraient les figures prédi-
catives à proprement parler;
− d’un autre côté, une prédication faible – les expressions moins que
prédicats, mais dites «prédicatives», qui, ayant perdu de leur «asser-
tivité», restent des expressions non propositionnelles (cf. l’expression
«émotionnelle» et / ou «émotive» chez Arndt & Janney 1991), moins
que littérales ou non littérales (cf. Moeschler & Reboul 1994; Reboul
& Moeschler 1998). Il s’agirait là du sens élargi, non standard de la
notion de prédication.
Or, il est à remarquer que ces types d’expressions (plus ou moins analy-
tiques) actualisent de façon non différenciée les prédications sur le
monde et les prédications sur l’énonciation, et ce, en fonction du poids
plus ou moins grand que prend un type d’information ou un autre dans le
discours. Représenter cette «passation du pouvoir» continuelle entre les
types de références dans le discours m’a paru une tâche nécessaire pour
sa description, et j’ai tenté de représenter ce type de fonctionnement par
ce que j’ai proposé d’appeler ailleurs des «espaces discursifs» (cf. Pop
2000a). D’un autre côté, j’ai voulu donner une réponse aux problèmes
que soulèvent les énoncés non propositionnels / non prédicatifs pour la
théorie des actes de langage, qui nierait le statut d’actes illocutionnaires
aux énoncés sans formes propositionnelles complètes. Avec la théorie
des espaces discursifs, une possible réponse est proposée, jouant princi-
palement sur une distinction à faire entre actes et opérations dans le
discours (v. 2.2. ci-dessous, et infra Chapitre 9 En-deçà des actes: les
opérations), et homogénéisant ainsi la perspective descriptive.
74
les espaces discursifs comme étant des parcours distincts à l’intérieur du
discours – distincts par rapport à deux grands types de référence:
− référence au monde (v. l’espace D descriptif ou de la référence au
monde dans la grille ci-dessous);
− référence à l’énonciation / autoréférence (v. les autres espaces dans
la grille: subjectif s; interpersonnel Ip; métadiscursif Md; inter-
discursif Id; présuppositionnel pp; paradiscursif Pd; prosodique Pro;
intersémiotique Is, etc.).
Ces différents parcours seraient gérés simultanément par les locuteurs.
J’ai donc considéré que le discours pourrait se représenter comme une
virtualité d’espaces de manœuvre pour ces types différents d’opérations-
prédications. Cette vision m’a amenée à représenter ces différents espa-
ces sous une forme similaire à une portée musicale (mais qu’il faut ima-
giner plus complexe et moins figée). Ainsi, considérant les prédications
(sémantiques ou pragmatiques) comme des faires, je les ai indifférem-
ment appelées opérations: elles occuperaient, pour chacun des types, un
espace discursif / référentiel distinct. Toute prédication équivaudrait
dans cette représentation à une opération, ce qui va dans le sens du co-
gnitivisme, où, de même, toute opération serait une prédication.
Dans ma grille, les PRÉDICATIONS PRAGMATIQUES se trouvent mieux
représentées (sur 8 espaces) par rapport aux PRÉDICATIONS SÉMAN-
TIQUES (un seul espace, non différencié; cet espace est indiqué, comme
principal, en grisé, car censé porter l’«information principale», sur le
«monde» − le type d’information «préféré»):
Id espace interdiscursif opérations de reprise discursive
Md espace métadiscursif opérations méta (reform., explic., MSC, MIL, ponctuants, attracteurs)
Ip espace interpersonnel o. d’appel à l’interlocuteur (appels, excuses, régul., RAD, déictiques)
s espace subjectif opérations subjectives (évaluations, modalisations, déictiques)
D espace réf. au «monde» opérations descriptives
pp espace présuppositionnel o. sur le savoir partagé (thématisations, cadrages, retours, rappels...)
Pd espace paradiscursif opérations de formulations (ratés, faux-départs, mise en forme, MIL)
Pro espace prosodique expr. suprasegmentale (m. intonatives, pauses, signes de ponct...)
Is espace intersémiotique non verbal (gestuel, mimique, iconique etc.)
75
cursif Pd vs métadiscursif Md, elle correspondrait dans mon modèle à deux types
d’opérations très liés, mais distincts en même temps, respectivement le travail de
formulation et de reformulation. Cette distinction s’est avérée opérationnelle
dans les analyses.
76
Md 4
Md 1 3 8a 8b 10a 10b
Ip
s 2 3 5a 8a 8b 7b
D 5a 5b 7a 7b
pp 2 3 10a 10b
Pd 1 2 4 6 9 11
Md
Md 21
Ip
s 13a 13b 15 18 23
D 16a 16b 20 21 23
Pp 12 13a 13b 15 18 19
Pd 14 17 22
Texte 2
je pense qu’un gamin1a/ qui n’a pas2/ le3/ euh4/ qui ne peut pas5/ qui ne comprend
pas ce qu’on dit1b/ euh6/ je pense qu’il doit se renfermer dans la langue7/ vrai-
ment8/ et se sentir vraiment étranger9/ regarde10/ nous11/ quand on passe dans le
couloir12/ on en a discuté l’autre jour13/ quand on passe dans le couloir14/ qu’on ne
comprend pas15/ moi16/ je cherche pas à comprendre plus loin17/ on passe18/ et puis
c’est tout19 (texte repris à Langue française 73).
Id
Md 8 9
Ip 10
s 1a 7 8 9 11
D 1a 1b 7 9
pp 1a 11
Pd 2 3 4 5 6
Id 13
Md 19
Ip
s 12 16 17 18
D 14 15 18
pp 13 14 15 16 17
Pd 12
Ce qui est souligné dans le texte a été hachuré dans la grille et indique
l’information sémantique-descriptive (espace D) censée être principale.
D’autres types d’informations peuvent l’accompagner, et on voit qu’un
seul et même acte (délimité par des frontières d’actes verticales) peut
être constitué d’une seule ou de plusieurs opérations (fusionnées /
confondues).
77
2.2.1 Les prédications-ACTES
Je fais l’hypothèse que les opérations les plus fortes (ayant des formes
propositionnelles plutôt complètes), de par le fait d’être mieux perçues,
sont naturellement appelées ACTES («font figure» d’actes). Ce serait le
cas, dans les textes T1 et T2, pour:
− les actes illocutionnaires informatifs T1 5ab, 7ab, 16ab, 20; T2 1ab,
7, 9, 14, 15, 18.
− les actes discursifs:
− THÉMATISATIONS fortes T1 13ab j’avais ma sœur aînée et mon
frère
− JUSTIFICATIONS T2 10ab parce qu’elle lavait le linge pour les
gens
− CONCLUSIONS T2 23 c’était presque l’aînée que j’étais
− CADRAGES T2 14, 15 quand on passe dans le couloir, qu’on ne
comprend pas
− EXPLICATIONS T2 17 je cherche pas à comprendre plus loin
− RAPPELS T2 13 on en a discuté l’autre jour
− marqueur d’EXEMPLE / ARGUMENTATION T2 10 regarde.
78
2.2.2.2. Les prédications les plus faibles «ne font pas figure d’actes» et
se contentent du statut de simples «traces» d’opérations, apparaissant
comme plus ou moins intégrées aux structures propositionnelles:
− verbes parenthétiques: T2 1a, 7 je pense;
− «attracteurs»: T1 23 presque, T2 9 vraiment.
Pour une approche plus approfondie de cette problématique, voir infra, la fin du
Chapitre 9 En-deçà des actes: les opérations. Ce qu’on a appelé ici prédications
seront plutôt appelées là opérations.
79
Chapitre 4
81
1. Une portée capricieuse
Les quelques considérations qui suivent ont comme point de départ les
remarques de Henning Nølke (1993) sur une sous-catégorie de MODA-
LISATEURS D’ÉNONCIATION, celle des «adverbes illocutoires», et ne veu-
lent ici qu’ouvrir une possible discussion. Les considérations ci-dessous
sont plus précisément inspirées par le chapitre «Pertinence et modalisa-
teurs d’énonciation» où Nølke propose deux interprétations différentes et
alternatives pour certains «adverbiaux illocutoires» (AI) qui accompa-
gnent un acte d’interrogation. Ainsi, dans ses exemples – numérotés ci-
dessous (1) et (2):
(1) Franchement, où étais-tu cette nuit?
(2) Sérieusement , est-ce que tu es sûr que tu veux bien faire la vaisselle?
82
ex., (3) et (4) ci-dessous, où les réactions verbales sont, respective-
ment, presque obligatoire pour (3), et très fréquente pour (4):
(3) – Il a fait un accident.
– Sûr ?
(4) – Taisez-vous!
– Sérieusement ?
2° le fait qu’il n’y ait pas de conditions préalables définies pour les actes
non linguistiques n’est point révélateur de l’absence de ces conditions
pour leur réussite. Par ex.:
(5) X et Y viennent de se disputer. Pourtant, X croise les doigts pour Y qui doit
se présenter à une interview décisive pour lui. Y, n’en croyant pas ses yeux,
remet en cause le geste de X par: – Sérieusement ?
83
pour (8), repris à Nølke, où sérieusement est attaché en apparence à un
ORDRE, l’adverbial ne concerne pas celui-ci, mais toute une situation:
(8) Sérieusement , ferme la fenêtre!
Il n’est dès lors pas difficile de proposer, pour ces cas de figure, une
troisième interprétation, qui accepterait l’ambiguïté et étendrait la portée
de l’adverbial, de façon diffuse, à toute la séquence dialogale / inter-
actionnelle dans laquelle il apparaît; et cela, à plusieurs niveaux-espaces
qu’elle occupe dans le discours: descriptif, subjectif, métadiscursif, pré-
suppositionnel, interpersonnel, interdiscursif... (cf. Pop 2000a).
2. De la phrase au texte
84
de conventions énonciatives ou de «jeux» possibles. Ainsi, par exem-
ple, l’instruction attachée à «sans rire» par Nef & Nølke ci-dessous:
En disant sans rire, ø, l’énonciation exclut les possibilités d’interprétation par le
comique ou l’ironie qui étaient permises jusque-là et qui risqueraient de fonc-
tionner encore à propos de ø. (Nef & Nølke 1982: 51, apud Nølke 1993: 115)
85
l’une en français et l’autre en roumain, et l’exemple (10) est repris à un
«cours particulier» de physique:
(9) – Dans ce livre, il s’agit d’une courgette [histoire de la courgette]
– Sérieusement ?!
– C’est mon livre. C’est toute ma vie. C’est tous mes produits. (TF1)
(10) – Que dit la loi d’Archimède?
– La loi d’Archimède dit qu’un corps trempé dans l’eau en sort tout mouillé.
– Ha, ha, ha...
– Sérieusement, maintenant: [...] (oral)
(11) (Conseils pour les femmes enceintes) [...] Să evite stresul. Adică să nu se
certe. Să nu se uite la filme de groază. Serios. (Antena 1)
([...] Eviter le stress. C’est-à-dire ne pas se disputer. Et ne pas regarder des
films d’épouvante. C’est sérieux ça.)
La séquence (12) est reprise à un roman, et (13) est une fausse démons-
tration logique prise à un livre de pragmatique:
(12) – Ecoute, je crois que j’ai un truc pour toi. Il faudrait que je le fasse venir de
Rome ou de Turin. Tu sais ce qu’elles s’achètent à tour de bras, les filles, là-
bas, pour séduire et retenir les mecs? Des soutiens-gorge et des petites culot-
tes à la fraise ou au chocolat.
– Tu te fous de moi ou quoi!
– Mais non, je te jure, c’est très sérieux . J’ai lu ça dans un journal italien.
(Cl. Sarraute)
(13) Nous allons renouveler de façon moins sanglante la «démonstration» du
contemporain de Platon en montrant que l’homme est indiscutablement et
doublement oiseau.
La ressemblance entre deux objets consiste à avoir au moins une pro-
priété en commun, et l’appartenance à une catégorie, dans la théorie du pro-
totype, se décide sur la base de la ressemblance avec le prototype ou avec un
des membres de la catégorie. Or l’homme ressemble à la fois au prototype et
à l’ensemble des membres de la catégorie, ce qui devrait lui valoir une place
de choix parmi les oiseaux (rappelons que, dans la théorie du prototype, au-
cune propriété n’est nécessaire). Comme le moineau, l’homme est un bipède.
Or le moineau est le prototype de la catégorie oiseau. L’homme ressemble
donc au prototype de la catégorie oiseau. On a donc le droit de penser que
c’est un oiseau. Certes, cette ressemblance est mince puisqu’elle ne corres-
pond qu’à une seule propriété du prototype. Mais l’homme ressemble lui aus-
si à tous les membres de la catégorie oiseau: tous les membres de cette caté-
gorie ont la propriété d’être des bipèdes. L’homme est aussi un bipède. Donc
l’homme est un oiseau, non seulement par ressemblance avec le prototype de
86
la catégorie, mais par ressemblance de famille avec chacun des membres de
la catégorie.
Le lecteur un tant soit peu ornithologue pourrait nous objecter que
l’homme n’a pas un certain nombre des propriétés nécessaires qui font qu’un
être vivant est un oiseau: il n’est pas ovipare, il n’a pas de bec, il n’a pas de
plumes, etc. A notre grand regret, nous nous voyons tenus d’informer ce lec-
teur qu’il est peut-être un bon ornithologue, mais qu’il est un piètre psycho-
logue: il n’y a pas, répétons-le, de propriétés définitoires d’une catégorie.
Que l’homme ne ponde pas d’œufs, qu’il n’ait pas de bec ni de plumes, ne le
disqualifie en rien en ce qui concerne son appartenance à la catégorie oiseau.
L’homme est bel et bien un oiseau.
Trêve de plaisanterie: non, bien sûr, l’homme n’est pas un oiseau et,
comme celle du contemporain de Platon, notre démonstration est nulle et non
avenue. […] (Reboul & Moeschler 1998: 129-130)
Comme on peut le voir, LE MODE DISCURSIF est négocié, dans tous ces
exemples, séquence par séquence, et non acte par acte, chose qui justifie
de considérer les adverbiaux modaux comme des adverbiaux de sé-
quence.
87
être révélé / découvert qu’en fin d’interaction, comme c’est le cas bien
connu des émissions télévisées françaises «Surprise sur prise»... Là, c’est
la caméra découverte qui dévoile pour la «victime», rétroactivement, le
MODE sur lequel l’entretien tout entier s’est déroulé.
Un autre cas de figure est celui où le MODE TEXTUEL est «indiqué» en
début de texte ou / et en cours de texte; pensons notamment aux légendes
– textes avec lesquels le locuteur / narrateur, de façon plus ou moins
explicite, prend des distances. Mentionnons à ce propos les marqueurs
du type on dit que, correspondant en roumain à se zice că, la particule
discursive cică, contraction de la première. Comme particule discursive,
cică signale, très souvent en début de texte, qu’il s’agit d’un MODE NON
VRAI D’ILLOCUTION. Très présent dans les contes et légendes populaires,
ce marqueur semble indiquer les types de discours se transmettant par
voie orale, fortement marqués non seulement par la polyphonie, mais par
un taux important de relativité aussi, dans le sens d’une vision spécifique
sur le monde, dont l’énonciateur indique qu’il se détache. L’imaginaire
individuel ou collectif que marque ce petit mot lui vaudrait bien le quali-
ficatif de marque par excellence de l’OUÏ-DIRE du roumain (cf. Pop 1998;
2000; 2004).
88
(14)
CONVERSATION
(sur le pas de la porte, avec bonhomie)
Comment ça va sur la terre?
– Ça va, ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères?
– Mon Dieu oui, merci bien.
Et les nuages?
– Ça flotte.
Et les volcans?
– Ça mijote.
Et les fleuves?
– Ça s’écoule.
Et le temps?
– Ça se déroule.
Et votre âme?
– Elle est malade.
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.
(Jean Tardieu)
Cet exemple fait encore une fois penser que certaines modalités énon-
ciatives recouperaient les didascalies dans les textes de théâtre (< gr.
didaskalia «enseignement»), conçues, elles, comme «instructions du
poète dramatique à ses interprètes» (Petit Robert). En effet, un examen
attentif de ces didascalies nous révèle la distinction à faire, à l’intérieur
des modalités d’énonciation ou «du dire», entre
– d’une part, des modalités locutoires et
2
– d’autre part, des modalités illocutoires .
Or, les parenthèses des textes écrits pour être joués ne renferment jamais
des adverbes du type sérieusement, franchement, etc., mais uniquement
des adverbiaux concernant la diction (au sens large) et le jeu de l’acteur:
d’un ton sobre, doucement, calmement, aigrement, sèchement, criant, rougissant,
bas, haut, piteusement, gaiement, malignement, émue, avec embarras, l’air hon-
teux, inquiète, ironique, timidement, confuse, songeuse, radieuse, piquée, hors de
lui, riant, la bouche pleine, etc.
2 Cf. aussi Nølke, 1993: 113, qui distingue, dans la catégorie plus large des modali-
sateurs d’énonciation: les adverbiaux illocutoires, les adverbiaux d’interlocuteurs
et les adverbiaux de présentation.
89
Cela s’explique par le fait que les didascalies ne renvoient qu’au mode
de présentation, donc à l’extérieur, aux apparences du «dire», et non aux
«conditions de sincérité». Ce sont des COMMENTAIRES MÉTALOCUTOI-
RES, ou, plus précisément, des instructions locutoires, exclues générale-
ment des paroles proprement dites des personnages (vs les adverbiaux
illocutoires, qui n’en sont pas exclus). Ces expressions relèvent claire-
ment d’un fait de polyphonie, car elles introduisent la voix de l’auteur,
du metteur en scène, autrement dit d’un commentateur dans le discours.
Mais la classe des didascalies n’est pas homogène non plus. On pour-
rait y distinguer plusieurs catégories, concernant:
– la qualité de la voix (d’un ton sobre, doucement, bas, haut, ...);
– des caractéristiques para-locutoires (la bouche pleine, entre les
dents);
– l’expression du visage et / ou du corps (riant, radieuse, émue, l’air
honteux, hors de lui, ironique, ...),
bref, tout ce qui concerne le texte «dit» / récité, le jeu des personnages,
tel qu’il doit être perçu par les spectateurs. Leur portée est variable, car
ces indications scéniques sont données soit pour une seule réplique, soit
pour toute une tirade ou, parfois, pour le texte entier (comme ci-dessus le
poème de J. Tardieu).
3. De l’adverbe à l’adverbial
Si, au début, ce n’est que l’adverbe proprement dit qui a été pris en
considération pour cerner la catégorie d’adverbe de phrase, Nølke sera
un des premiers à avoir étendu la catégorie d’adverbe à celle d’adver-
bial. Celle-ci a le mérite d’être plus large, et admettre plusieurs types
90
d’expressions à fonctions similaires (la fonction de porter sur un énoncé
tout entier, ou la fonction de porter sur l’énonciation): expressions allant
de mots-adverbes (ou même de particules-adverbes) (3.2. ci-dessous)
jusqu’à des propositions-adverbes (3.1.). Si ces dernières expressions
sont des explicitations modales et représentent littéralement, et par des
prédicats proprement dits (prédications fortes), tel ou tel MODE DE DIRE,
les autres ne sont que des signaux, des prédications secondes, «mon-
trant» et non pas assertant un MODE ou autre d’énoncer. Il faut supposer
que la plupart de ces dernières seraient le résultat de la grammatica-
lisation des premières.
Rappelons que ces expressions adverbiales – plus ou moins adverbes
s’avèrent porter sur plusieurs aspects de l’énonciation:
– intra-énonciatif: l’aspect illocutoire;
– extra-énonciatifs: l’aspect locutoire;
l’aspect interpersonnel, appelé ici interlocutoire;
l’aspect perlocutoire.
91
Tu te moques, ami. (id.: 85)
Le badinage est consommé. (id.: 134)
Dissimulons avec eux. (id.: 61)
Jouons-nous une comédie? (id.: 209)
Je badine. (id.: 221)
Je ne sais pas si vous pensez de bonne foi, mais vous ne le dites pas de bonne
grâce. (id.: 247)
Mesdames et Messieurs..., je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne
rien dire. (R. Devos)
D’un autre côté, il y a aussi les «étiquettes» métatextuelles que les écri-
vains ou les scripteurs apposent en général à leurs écrits, du type:
ROMAN, NOUVELLE, COMÉDIE, LETTRE DE RECOMMANDATION, ACCUSÉ DE RÉCEP-
TION, etc.,
et qui indiquent bien le MODE sur lequel s’est effectuée l’écriture et sous
lequel devrait se faire la lecture (le GENRE).
Notons à ce propos une mention plaisante de Diderot, sur un de ses écrits: Ceci
n’est pas un conte...
92
Enfin, parmi les expressions possibles, remarquons que certaines disent
littéralement – même si parfois de façon moins que performative – qu’on
a bien affaire à une communication feinte (cf. id.: 437):
Dissimulons avec eux. (Beaumarchais: 61)
Je badine. (id.: 221)
J’invente.
Je plaisante.
C’est pour rire...
On peut constater que les expressions qui désigneraient les deux MODES
SÉRIEUX vs NON SÉRIEUX sont constituées de structures du type:
verbe de parole + qualificatif illocutoire
parler sérieusement /franchement/sincèrement
parler pour ne rien dire
jouer une comédie
verbe «être» + qualificatif illocutoire/perlocutoire
être sérieux
être pour rire
verbe de pensée + qualificatif illocutoire
penser de bonne foi
verbe illocutoire
plaisanter, se foutre de,
se moquer de, dissimuler,
badiner...
substantifs-«étiquette»
badinage, blague, comédie...
ce qui laisse dire que le «mode» discursif n’est autre chose que le
«genre» textuel: c’est lui qui décide en fin de compte de ce dernier et
trouve son expression dans les formules introductives (plus ou moins
performatives, on l’a vu) de ces MODES TEXTUELS:
93
fr Vous êtes au courant? (NOUVELLE)
Vous connaissez la dernière? (FAIT EXCEPTIONNEL, BLAGUE)
Je vais vous raconter une blague... (BLAGUE)
Je plaisante. (PLAISANTERIE)
Pour en savoir plus... (INFORMATIONS)
L’histoire que je vais vous raconter... (RÉCIT)
ro Ghici ghicitoarea mea! (DEVINETTE)
(‹Devine ma devinette›)
A fost odată ca niciodată... (CONTE MERVEILLEUX)
(‹Il était une fois...›)
94
3.2 Indiquer le «jeu»
avec humour, d’un ton sombre/plaintif, en colère, avec joie, avec vivacité, avec
embarras, la bouche pleine, l’air honteux, hors de lui, blague à part, sans rire, à
part, entre nous... (v. syntagmes dans le tableau)
95
3.2.4 Adverbes proprement dits
3.2.5 Particules
Voici une analyse pour cică et zău du roumain, ces particules réduites,
par contraction, à de simples «signes» ou «indices» équivalant à dit-on,
respectivement à je te jure.
3.2.5.1. Cică (‹dit-on›)
Cică n’a plus de statut propositionnel (comme la structure dont il pro-
vient se zice că), ni même statut d’adverbe (comme disent les diction-
naires, cf. DEX). Sémantiquement, il a d’abord perdu la conjonction că,
ensuite avec le «mot» zice, son sens métadiscursif. Grammaticalement
donc, ce ne serait plus qu’un simple élément parasite, sans nom, et dé-
rangeant la structure de la proposition-phrase. Le sens dérivé qu’a acquis
cică, celui de doute, a complètement éliminé le sens primitif méta-
discursif, mais continue pour autant de garder, sinon l’assertion entière,
du moins une indication de son sens interdiscursif / polyphonique.
Tout comme la forme réduite de l’expression (plus «amorphe» et dif-
ficile à décomposer ou à accepter, faute d’un prédicat, comme «proposi-
tion grammaticale»), son sens dérivé est impossible à décomposer aussi:
l’expression «fait bloc», et les locuteurs la ressentent comme marque
d’ouï-dire – moins un dire (par la perte du mot zice) qu’une marque
d’approximation ou de doute sur la vérité de ce qui est asserté. Une pro-
position s’est ainsi vue carrément «fondre» en une simple «trace» mo-
dale. On pourrait affirmer qu’on est bien, avec cică, en présence d’un
déclencheur d’espace: d’un espace plus restreint ou plus étendu en lon-
gueur, car le marqueur est souvent utilisé comme introducteur non seu-
lement de simples énoncés, mais de récits entiers du type «de bouche à
oreille»: BLAGUES, LÉGENDES POPULAIRES, NOUVELLES OFFICIEUSES,
etc. Voici un exemple où cică déclenche le MODE TEXTUEL de l’ouï-dire
pour le texte tout entier qui suit:
96
(15) Cică era într-un sat un om tare nevoiaş. De nevoiaş ce era, şi-a lăsat casa şi a
plecat să-şi cerce norocul în lume... (Păcală avocat)
(On dit qu’il y avait dans un village un homme très pauvre. Et il était telle-
ment pauvre, qu’il avait quitté sa maison pour tenter sa chance à travers le
monde...)
97
– en énoncé interrogatif (Zău?), pour VÉRIFIER après coup le sérieux du
discours;
– en énoncé déclaratif ou exclamatif (Zău.), pour RASSURER quant au
sérieux d’un(e) séquence / discours;
– en énoncé exclamatif ou exclamatif-interrogatif (Zău!?), pour recon-
naître le côté extraordinaire des événements qu’on vient de raconter
(marque d’ÉTONNEMENT).
4. Conclusions
4.1. Dès qu’ils ont une portée discursive, cică et zău peuvent être tous les
deux appelés PARTICULES DE TEXTE.
4.2. Une situation générale des faits exposés ci-dessus porrait se repré-
senter comme suit:
Expressions adverbiales
98
4.3. Pour la catégorie d’ADVERBE DE TEXTE proposée ici, une dénomina-
tion plus diffuse, celle d’ADVERBIAL DE TEXTE serait en effet:
– un terme plus vague, mais avec un sens plus large, recouvrant des
entités d’étendue variable (allant de l’adverbe aux propositions);
– un terme suffisamment homogène du point de vue de la fonction
(MODALISATEUR) et correspondant mieux à la description du dis-
cours.
J’aimerais rappeler ici Maurice Dessaintes (1962) qui avait choisi de parler non
plus de conjonctions mais de conjonctifs, non plus d’interjections mais d’ inter-
jectifs, et ce, pour une raison similaire: il se situait sur une position de frontière,
entre la grammaire et la stylistique.
Il faut donc lire les guillemets utilisés dans le titre pour le terme «ad-
verbe de texte» comme indiquant:
– une dénomination moins que littérale, vu que ce n’est pas un verbe qui
est déterminé par cette catégorie, mais
– un ACTE («adverbe de phrase») ou
– une ACTION plus élaborée (SÉQUENCE), voire un TEXTE;
– une dénomination moins que littérale, vu qu’elle inclut d’autres caté-
gories que des adverbes à proprement parler, à savoir toutes les ex-
pressions qui reprennent la fonction prototypique de l’adverbe, et
dont l’expansion va décroissant de la proposition grammaticale jus-
qu’à la particule;
– le fait que ce n’est pas toujours un texte entier qui est concerné, mais
des entités discursives plus étendues que la phrase.
Pour résumer, précisons donc que «adverbe de texte» dans le titre, n’est
qu’un «terme approximatif» pour signifier, en fait, un ADVERBIAL DE
DISCOURS. Il est donc à prendre comme une catégorie floue et graduelle,
concernant le discours à plusieurs niveaux de sa structuration: énoncé,
séquence, texte.
99
Chapitre 5
Notons que la structure (b) est visiblement plus condensée que (a), ce qui
laisse supposer
– un degré de grammaticalisation supérieur pour (b) – qui forme un seul
syntagme;
– un degré de compositionnalité / analycité plus grand de (a) – syntaxi-
quement décomposable / analysable en deux syntagmes.
101
1. Une métaphore territoriale
Les analyses que j’ai effectuées jusqu’à présent sur les contextes d’utili-
sation de ce syntagme stable
S1 [la + nominal Acc.]
102
Ex.: la noi în România; la noi în Maramureş; la noi la Cluj; la noi, în cartierul
Grigorescu; etc.
(chez nous en Roumanie; chez nous dans le Maramureş; chez nous à Cluj; chez
nous, dans le quartier Grigorescu, etc.)
Il faut supposer que cette structure serait plutôt une structure discursive
de type explicatif et pourrait se détailler, notamment pour ce premier
cas de figure (i), en:
(i’) ACTE DE CADRAGE + ACTE DE PRÉCISION
La structure peut être préservée avec son sens territorial premier, qui
laisse peu de place à une lecture possessive proprement dite. Il est vrai
que ce sens possessif peut être inféré par l’acte initial de CADRAGE, dont
le syntagme locatif (la + nominal) suggère, sémantiquement, un territoire
personnel (et, par là aussi, un «possesseur»). Or, ce territoire personnali-
sé, en relation avec les «objets» désignés par le syntagme suivant s2, peut
facilement indiquer une lecture possessive, du type:
(1’’) România este ţara noastră. (La Roumanie est notre pays.)
(2’’) Regiunea Maramureş (La région de Maramureş est notre
este judeţul nostru. région, celle où nous habitons.)
103
(3’’) Cartierul Grigorescu e (Le quartier Grigorescu est le
cartierul în care locuim. quartier où nous habitons.)
104
mais n’exclut point une structure discursive française du type:
fr chez nous, dans notre ville
[ACTE DE CADRAGE], [ACTE DE PRÉCISION]
On peut voir que ces types de «territoires» sont de plus en plus restreints,
allant jusqu’à des «lieux» très personnels: chambres, meubles, tiroirs,
étagères, etc., plus facilement perçus comme territoires personnels et,
mieux encore, comme objets qu’on possède, et pouvant dès lors déve-
lopper plus facilement des équivalents grammaticaux avec adjectifs pos-
sessifs.
Une remarque à propos des expressions roumaines la mine în casă et
la mine acasă s’impose. Si la mine în casă rentre bien dans le système,
et le parallélisme la mine = mea va dans ce cas de figure sans problèmes
(v. les équivalences ci-dessus), la structure la mine acasă (en grisé ci-
dessus) ne se s’aligne pas à ces équivalences. D’un côté, on a affaire là à
une grammaticalisation du deuxième syntagme, qu’on peut reconstituer
comme évolution d’une construction lat: a casa (‹à la maison›) > ro adv.
acasă, adverbe qui a éliminé la structure «normale» *la casa en roumain.
Acasă peut s’intégrer à la structure «territoriale» (a), donnant:
la mine acasă
105
(chez) qui, elle, se mettra toujours «en ménage» avec un nominal (moi, lui, nous,
Georges, mes amis, etc.). Ainsi, dans chez moi, du point de vue étymologique,
l’objet possédé se cache dans la préposition chez, alors que le possesseur est en
position d’OI. Avec des parcours et configurations de grammaticalisation diffé-
rents, les expressions la mine acasă et chez moi sont aujourd’hui sémantiquement
équivalentes.
106
1.4 La ea în suflet (litt. ‹chez elle dans l’âme›)
107
1.5 La voi în familie (litt. ‹chez vous dans la famille›)
108
1.6 La noi(,) în artele plastice
(‹chez nous, dans les arts plastiques›)
109
toi,…nous…) y seront co-référentiels des adjectifs possessifs proprement
dits (mon, ton,…, notre…) des structures grammaticales.
2. Quelques conclusions
110
2.2.2. Des possessifs implicites et impropres se retrouvent sous (i) et,
partiellement sous (ii) et (v), où la relation avec le territoire est en faite
inversée, car ce ne sont pas les territoires qui appartiennent aux indi-
vidus, comme indiqué par la construction du s1 [la + nominal Acc.], mais
les individus qui appartiennent aux territoires. On peut dire que la rela-
tion de possession est interprétée là par inférence. Sont en égale mesure
des possessifs impropres tous les substantifs indiquant un voisinage,
comme par ex.:
la noi la poştă, la noi la pompa de benzină
(litt. ‹chez nous à la poste, chez nous à la pompe d’essence›)
111
ne sont pas tout à fait équivalables à:
ro la mine în oraş (în oraş la mine), la mine în geantă (în geantă la mine), la
mine în carte (în carte la mine)
112
Chapitre 6
Je prendrai pour exemple une séquence dialogale naturelle, dont les par-
ticipants sont les membres de deux familles: l’une d’origine française,
l’autre d’origine roumaine. Le texte se déroule surtout en français, avec
quelques séquences en roumain; c’est une conversation à table, sur une
terrasse, entre les 6 personnes composant les deux familles: 2 mères J et
L; 2 pères N et E; leurs 2 fils respectifs, de 10-11 ans, G et D:
(1) La chasse à la guêpe (une guêpe approche)
L: ah ah ah ah! (1)
(E veut tuer la bestiole à l’aide d’un couteau)
J: attention, Eugène! (2)
E: j’veux pas casser...
J: non non mais la guêpe! (3) [...]
E: ni mă ce obraznică-i! (4) (‹tiens ce qu’elle est insolente!›)
L: trebuia să pui farfuria pe ea... (‹tu aurais dû mettre l’assiette dessus›)
N: alors Eugène tape pas à côté tape pas à côté Eugène / et casse pas tes
pieds... / tu l’as eue?
113
E: non! (5) da’ l-am atins ş-o căzut şi văd că s-o... (‹mais je l’ai touchée elle
est tombée et je vois qu’elle...›)
N: il faut qu’on achète une tapette
L: vous en avez pas?!... (6) ah non (7) vous en avez pas / c’est c’est les Du-
croux qui ont une tapette...
N: je te laisse te servir
L: ... et un piège pour les guêpes
N: est-ce que ça marche les pièges à guêpes?
G: ah oui! (8) je l’ai vu ch... oh! (9) au restaurant où j’y vais il y a des mou-
ches et des guêpes... tout ce qu’on XXX! (10) XXX on en avait beau-
coup, hein?(11) tu mets d’ici ou là alors là ! (12)
J: ouh! (13)
G: on XXX dessus
N: très bien ! (14)
L: mon Dieu! (15)
G: iii! (16) c’est XXX! (17)
J: qui? la guêpe ou Eugène?
N: la guêpe est partie, Eugène XXX (oral authentique)
(Les séquences exclamatives ont été numérotées de 1 à 17. Les séquences brouil-
lées, inintelligibles, ont été marquées par XXX.)
Par rapport:
– aux énoncés propositionnels marqués par la seule intonation excla-
mative (6, 17),
– aux énoncés marqués par des mots exclamatifs (ce en roumain,
correspondant au français ce que, dans 4, et tout ce que dans 10), et
– aux énoncés elliptiques nominaux (2, 3), ou adverbiaux du type ad-
verbes-phrases (5, 7, 8, 14),
les séquences 1, 9, 11, 12, 13, 15 et 16 sont des interjections, dont:
– 1 ah, 9 oh, 11 hein, 13 ouh, 16 iii, des interjections pures;
– 12 alors là, 15 mon Dieu!, des expressions figées fonctionnant
comme interjections.
Toutes seront ici qualifiées de «blocs exclamatifs», car elles se distin-
guent des autres catégories d’énoncés exclamatifs par plusieurs traits:
114
– au niveau sémantico-pragmatique, par un flou sémantique (v. 2.1.);
– au niveau syntaxique, par le caractère non intégré et amorphe (v. 2.2.),
qui confère au marquage une aspect compact (v. 2.3.).
2.1.1 En micro-structure
2.1.2 En macro-structure
La nature globale de la macro-structure sémantique est, on en déduit,
la conséquence de cette micro-structure en fait inexistante. Le séman-
tisme des interjectifs, et par là leur fonctionnalité, est très flou aussi,
car il s’avère le plus souvent difficile de décider des emplois conven-
tionnels ou non conventionnels de ces expressions, surtout en l’absence
de liaisons évidentes avec le contexte immédiat.
L’expérience dialogale révèle en effet que les locuteurs ne parvien-
nent pas toujours à déchiffrer avec précision «ce que l’interlocuteur a
voulu dire» par ces expressions, et même le locuteur a parfois du mal à
expliciter le complexe de significations enfermé dans son exclamation.
La suite (1), ah ah ah ah!, vue et entendue dans la situation concrète de
communication La chasse à la guêpe ci-dessus, veut dire au moins «at-
tention, il y a une guêpe!». Or, en l’absence de traits contextuels suscep-
115
tibles de lever les ambiguïtés, cette interjection peut prêter à des malen-
tendus ou perplexités. Dans Le Petit Robert (1968), les sens de ah! ne
sont que partiellement donnés et leur éventail reste ouvert:
AH! 1. Interjection expressive, marquant un sentiment vif (plaisir, douleur, admi-
ration, impatience, etc.). 2. Interjection d’insistance, de renforcement. «Ah! que
j’en ai suivi de ces petites vieilles!» (BAUDEL.). Ah! j’y pense, pouvez-vous ve-
nir demain? 3. (Redoublé). Marque la surprise, la perplexité. Ah! ah! c’est en-
nuyeux. 4. (En loc. exclamat.). Ah ça! Ah mais! Ah bien oui! Ah bon!
A des mots comme ah!, Grevisse (1986: 1591) assigne «des sentiments
différents selon la situation». Ce qui fait que, pris comme tels ou hors-
contexte, les blocs sont le plus souvent hermétiques et se laissent mal
interpréter; ceci, comme on l’a vu, par manque d’indices situationnels,
ou bien par une charge émotive dont le sémantisme est plutôt amorphe
(v. 13 ouh, 15 mon Dieu!, ou encore 16 iii! dans le dialogue (1) ci-
dessus). Notons que très souvent, quand le contexte est opaque, les in-
terlocuteurs se voient obligés de répliquer à un ah par: Quoi «ah»,
qu’est-ce qui t’arrive?
Les exemples ci-dessus ne sont pas des cas isolés d’interjectifs: dans
la séquence (2) qui suit, transcrite d’après une interview, plusieurs lec-
teurs ont été questionnés sur le sens qu’ils assigneraient à hmm et à oh, et
le fait qu’ils aient interprété ces deux interjections de façon très ap-
proximative n’était apparemment pas dû à leur absence de la situation
concrète de dialogue:
(2) Q9 hmm // et alors ce que tu aimes le moins
L9 Oh ce que j’aime le moins // disons que ca serait les maths / (d’après Lan-
gages no. 74, 1984)
Le Petit Robert (1968) ne mentionne pas le hmm comme mot, et pour oh!
il donne une description similaire à celle de ah!, du moins pour les deux
premiers sens; pour le troisième sens, ce dictionnaire spécifie un possible
fonctionnement substantival.
Ce sont, pour la plupart, des «expressions» au sens d’Ann Banfield (entre autres),
livrées la plupart du temps en rupture de construction. C’est ce qui explique les
effets de sens ambigus de ces blocs d’expression.
116
2.2 Séquences informelles, syntaxiquement non intégrées
117
formées comme Il a poussé un soupir). Ce qui est bien une preuve de
plus pour les caractériser comme «blocs», non ouverts à des connexions.
Notons, par contre, que les énoncés exclamatifs structurés ne refusent pas de
s’articuler / s’intégrer grammaticalement. Par ex.: Je ne le supporte plus parce
qu’il est fou!, où ce n’est que la causale qui est sous intonation exclamative. Ou
encore: Je viens de toucher mes droits d’auteur. Donc c’est super! où l’énoncé
exclamatif structuré c’est super! admet bien un connecteur de type transphrasti-
que.
Deux «espaces discursifs» distincts sont censés articuler cet énoncé hété-
rogène: un espace descriptif (noté D) de la représentation du monde, et
un espace subjectif (noté s) où s’inscrit la subjectivité. Si la rupture syn-
taxique reste évidente avec cette représentation articulant le grammati-
cal et le discursif, l’intégration discursive l’est en égale mesure.
Chacun de ces modes de structuration réserve des «places»-fonctions pour les
segments qui s’enchaînent dans la production verbale, et si l’interjection hélas
n’a en (3’) aucune place dans la structure grammaticale, elle en a bien une dans la
structure discursive. Car cette dernière accueille, entre autres «marginaux séman-
tiques», les expressions de la subjectivité (v. l’«espace subjectif» s, cf. Pop
2000a), comme l’interjection hélas en (3).
118
3. Conclusions sur un marquage compact
119
10) cumulent déjà, à un marquage segmental quasi-spécifique, une
intonation typiquement exclamative;
– pour ce qui est des séquences interjectives 1, 9, 11, 12, 13, 15 et 16
qualifiées ici de «blocs», elles cumulent un sens essentiellement sub-
jectif – avec une forme exclamative (marquage segmental) – et une
intonation exclamative (marquage suprasegmental).
3.2. La perspective contrastive pourrait, semble-t-il, apporter des remar-
ques intéressantes à l’analyse des blocs exclamatifs. Une analyse inter-
linguistique des interjections est tentée plus loin, sur eh bien, dans le
chapitre 12.
120
Chapitre 7
Malheurs de linéarisation
et souci de grammaticalité
Il faut de plus en plus, semble-t-il, admettre que ce qui, dans nos messa-
ges verbaux, tant à l’oral qu’à l’écrit, est perçu comme linéaire, n’est
qu’une succession contrainte par nos moyens de communication verbale
qui sont physiquement de l’ordre du temporel, et, plus généralement, sur
le mode du continu; en témoignent la linéarité de la chaîne écrite et la
succession des paroles dans la chaîne orale. Mais il y a suffisamment de
preuves qui nous obligent à reconnaître l’incapacité de cette linéarité à y
couler non seulement les configurations hiérarchiques de la syntaxe (cf.
Milner 1989: 385 et suiv.), mais aussi les hétérogénéités du discours
naturel, essentiellement ancré dans l’énonciation, qui obligent souvent à
des ruptures, détachements, répétitions, inachèvements, additions après
coup, phrases amorphes, etc. C’est bien parce que la pensée, qui est de
l’ordre du discontinu (cf. Blanche-Benveniste 1990: 64) – j’aimerais
aussi dire du spatial, dans le sens discursif accordé ici au terme «espa-
ces» – a souvent du mal à se conformer à ce qui s’appelle «une phrase
bien formée», ou à l’ordre essentiellement progressif du raisonnement
logique. Il y a, de par la nature complexe du discours, des liaisons diffi-
ciles à faire ou à exprimer dans leur simultanéité, des parallélismes iné-
vitables ou, pis encore, des rapports grammaticaux inexistants. Même
sans compter, au niveau des performances verbales, les maladresses et
les ratés dans la mise en phrase ou en discours. C’est ce qu’on pourrait
appeler, épris comme on est de raison et d’ordre: les malheurs de la
linéarisation.
121
2. Soumission à plusieurs ordres
122
3. L’embarras du choix
4. Degrés de grammaticalité
123
correctes ou inacceptables. En plus, même si nos paroles sont mal en-
chaînées, coupées ou reprises, on en cherche souvent la logique ou la
cohérence et on les prend presque toujours comme acceptables et natu-
relles. Il y a donc plus d’une raison pour regarder la grammaticalité plu-
tôt en termes de degrés, et comme processus plus ou moins actif (à effets
positifs ou / et négatifs). Je propose donc dans ce qui suit une discussion
sur les degrés de grammaticalisation.
La perspective n’est pas nouvelle si l’on se rappelle certains termes
utilisés aussi par Jakobson (1963), dont a-grammatical et anti-grammati-
cal, afin de cerner la distinction entre le langage informel et le langage
poétique. Ceci équivaut à porter sur le langage des jugements plus nuan-
cés, se situant sur une échelle de grammaticalité. D’après Jakobson, il y
aurait un non-grammatical involontaire et un autre, qui serait délibéré.
La perspective s’élargit ainsi vers le processuel, la première catégorie
semblant inclure tout ce qui serait pré-grammatical ou antérieur à l’ordre
de la grammaire (ne constituant dès lors pas des «écarts» à proprement
parler); dans l’autre, les «déviations» se subordonneraient à une fonction
de nature expressive, économique, pathologique ou autre, et agirait, par
rapport au grammatical, de façon destructive. Ce qui voudrait dire que,
par rapport au premier cas, les séquences grammaticalement bien for-
mées seraient le résultat d’un souci de mise en forme grammaticale,
qui est, d’évidence, un mouvement constructif. Pour ce qui est du mou-
vement destructif, il s’avère ne pas toujours comporter un simple mou-
vement négatif, car il peut se retourner sur lui-même pour un deuxième
travail, positif, réparateur. Une représentation schématique de ce que j’ai
ici en vue pourrait être la suivante:
a-grammatical
(mouvement grammaticalement constructif
ou grammaticalisation première)
grammatical
(mouvement grammaticalement destructif)
anti-grammatical
/\
(par simple destruction) (destruction + réparation
ou grammaticalisation seconde)
dé-grammaticalisation hyper-grammaticalisation
124
5. L’a-grammatical
Et des exemples de ce type sont légion dans tous les cas d’apprentissage.
125
mine. La dynamique verbal-non verbal ou présupposé-posé-implicité
laisse peu de place aux «phrases» en tant que structures grammaticales
bien formées. Ce ne sont que des séquences difficilement analysables du
point de vue de la grammaire – ce que les grammairiens appellent phra-
ses segmentées, séquences incidentes, inachèvements, ellipses, propo-
sitions inanalysables, mots de remplissage, détachements, etc. Autant de
manquements à la complétude grammaticale, à la continuité, à l’analy-
sable en termes de «fonctions» syntaxiques, à des relations au sens gram-
matical du terme. Et c’est bien dans ces cas-là qu’on parle de relation
zéro, de sous-entendu, d’incomplétude, d’amorphe, d’extrapositions, etc.
Dans une description plurinivellaire où un niveau / espace à part semble
prendre en charge chaque type distinct de référence (cf. Pop 1992;
2000a), l’énoncé (2) cité ci-dessus aurait la représentation suivante:
(2’)
Ip tiens
s mais moi
D Ça existe
Pd euh
pp moi tout à l’heure
Ip
s quand je voudrais que je dessine
D je ferai un sapin
Pd eh ben
pp quand je voudrais
126
(2’). Un autre exemple, avec de nombreuses ruptures grammaticales – la
séquence (4) ci-dessous:
(4) – Cinquante milliards1/, monsieur le Ministre...2/ De trou...3/ De manquants...4/
Eh!5/ je vous cause!6/ Cinquante milliards!7/
– Eh bien,8/ en effet!9/ brave Bedhour...10/ Hou la la...11/ Ben,12/ dites-moi!...13/
On se douterait pas...14/ Pas rien...15/ En effet,16/ une paille!...17/ Eh bien,18/ eh
bien.19/ (repris à Conchon)
6. Grammaticalisation première
ou le travail constructif: l’interlangue
127
façon explicite presque tous les discours oraux – où des opérations para-
et métadiscursives (Pd / Md) sont à l’œuvre afin d’ajuster la forme de
présentation du message. Dans l’exemple (1) déjà examiné ci-dessus,
pris à un discours enfantin, un travail de correction tente de s’exercer sur
l’expression:
(1) Des casques et ce sont les ceux qui z’éteindent le feu.
Md et ce sont ceux qui (éteignent) le feu
D Des casques
Pd les z’éteindent
128
mentée. Ce type de décision dans le choix des formes correctes se trouve
souvent expliqué dans les discours didactiques, comme en (6) ci-
dessous:
(6) Il faut pas écrire «i z’ont pas», mais «ils n’ont pas». (repris à ELA 81, 1991: 1)
7.1 Dé-grammaticalisation
129
7.2 La grammaticalisation seconde
ou les mouvements réparateurs
Si, par contre, le non verbal n’offre pas de «compléments» à une struc-
ture syntaxique en déséquilibre, des mouvements réparateurs se mettent
en place, consistant en des appuis divers, telles les chevilles grammati-
cales ou les reprises. Quelques situations nous semblent illustrer ce phé-
nomène.
130
montre une fois de plus les «places» d’intégration discursive de deux
«inanalysables» grammaticaux: la non-intégration syntaxique du présen-
tatif et du relatif, et leur appartenance à un espace discursif distinct – le
niveau de la mise en discours (espace paradiscursif Pd). Le discours
paradiscursif Pd se détache du descriptif D, et se montre comme prédi-
cation secondaire (par il y a à rôle structurant), en décalage avec la pré-
dication descriptive D principale un monsieur vous cherche.
131
(14’)
Ip Attends,
Id ça existe pas.
Md i dit que
s le père Noël, lui
D ça existe pas.
pp le père Noël, lui
Pour les quatre ruptures dans cette «phrase de discours» (séquence inci-
dente à l’impératif, deux détachements et une incise), deux mécanismes
réparateurs se sont mis en œuvre, à l’aide de mots-outils vides de sens:
– les pronoms i(l) et ça pour reprendre les termes détachés;
– la conjonction que
et le caractère lié de cette séquence hétérogène, très segmentée, est ainsi
«sauvé». L’effet de tout ce travail réparateur semble être une hyper-
grammaticalité, conséquence naturelle des artifices de «réhabilitation»
grammaticale auquel le locuteur a été obligé de faire appel à la suite de
trois ruptures de construction.
8. Conclusions
132
Dans cette possible modélisation articulant le grammatical et le discursif,
les énoncés «analysables», grammaticaux, seront, à même titre que les
énoncés grammaticalement «inanalysables», des actualisations de prédi-
cations appartenant à des espaces référentiels distincts.
133
Chapitre 8
De la phrase au phrasage:
petits et grands coups discursifs
1. Il y a clôture et clôture…
Reprenons à Stati (1990: 133f.) les trois couches qu’il distingue dans la
signification des phrases:
1 La notion de phrase a été récemment remise en discussion dans les nos 1-2 de
Verbum XXIV (2002) «Y a-t-il une syntaxe au-delà de la phrase?», où A. Berren-
donner rappelle les critères pris en considération pour la définition de la phrase de
langue (maximalité syntaxique, complétude sémantique, démarcation prosodique et
démarcation typographique, pp. 24-25) et où M.-J. Béguelin (85-108) rappelle le
flou qui apparaît dans les définitions scientifiques («fortes») de la notion.
135
– le contenu phrastique, avec deux composantes: la première, sémanti-
co-syntaxique; la deuxième, une modalité d’énoncé (assertive, inter-
rogative, impérative);
– la fonction pragmatique représentée par la fonction illocutoire;
2
– le rôle argumentatif.
Ces couches sous-tendraient 4 types de relations trans-phrastiques:
(i) relations syntaxiques (coordination et subordination – entre les con-
tenus phrastiques);
(ii) relations pragmatiques;
(iii) relations argumentatives;
(iv) cohérence sémantique.
Le marquage spécifique à chacune de ces couches révèle le fait qu’une
clôture syntaxique ne s’accompagne pas nécessairement d’une clôture
pragmatique, argumentative ou sémantique, et vice-versa, ce décalage
étant responsable d’actualisations très diverses de ce qu’on aimerait
avoir comme structure bien formée, en simultané, à tous ces niveaux.
Représentons ces paramètres dans un tableau, en tant que contraintes:
– d’un côté, pour les phrases de langue;
– d’un autre côté pour les phrases de discours:
2 Ces critères se recoupent en partie avec ceux évoqués par Béguelin (2002): struc-
ture syntaxique, complétude syntaxique, psychologique et énonciative.
136
1.1 Les phrases de langue
137
1.2.1 Les énoncés propositions / phrases bien formées
Il s’agit d’énoncés qui sont bien formés du point de vue sémantique et
grammatical, et qui, dans le contexte discursif où ils peuvent se trouver,
acquièrent des fonctions pragmatiques et / ou argumentatives concrètes.
Ce sont ces «phrases complètes» – de celles qu’on nous dit d’utiliser à
l’école –, un cas de figure, entre autres, de ce qu’on appelle énoncés ou
phrases de discours.
138
1.2.3 Les segments amorphes
On peut considérer plusieurs degrés dans la catégorie de l’amorphe:
– d’un côté, les inachèvements – segments elliptiques, segments déta-
chés;
– d’un autre côté, les mots-phrases.
1.2.3.1. Les phrases elliptiques et les phrases segmentées
Elles sont inachevées au niveau grammatical et sémantique, ce qui ne les
empêche pas d’être closes aux autres niveaux de l’expression. Cela peut
aussi être le cas de tous les segments détachés qui, non finis en eux-
mêmes, accomplissent toujours une fonction discursive (v. supra, Chapi-
tre 1 La conversion pragmatique). Il n’y a pas de continuité et de clôture
intonative en ce qui les concerne, par contre l’intégration syntaxique et
sémantique peut s’effectuer ou non.
Notons que les phrases segmentées sont surmarquées au niveau de la modalité
d’énoncé avec plusieurs clôtures intonatives se situant en-deçà des clôtures sé-
mantiques et syntaxiques d’une proposition / phrase bien formée. Ces clôtures
successives semblent indiquer des fonctions discursives diverses (v. supra, Cha-
pitre 1 La conversion pragmatique).
139
2. Interprétation des données
La mise en tableau de ces cas de figure rend plus visible, pour les phra-
ses de langue, l’harmonisation de deux types de clôture, régis par deux
contraintes fortes (sémantico-syntaxique et intonative), alors que pour les
phrases de discours, les quatre types de clôture se trouvent la plupart du
temps en décalage, et c’est plutôt une contrainte pragmatico-argumen-
tative qu’une contrainte formelle qui préside à leur clôture. La contrainte
pragmatique impose qu’un acte illocutoire soit reconnu, tandis que la
contrainte argumentative réclame que soit réalisé un enchaînement de
type argumentatif. En plus, la contrainte intonative (ou de modalité
d’énoncé) des phrases de langue s’avère être beaucoup trop restrictive
pour les phrases de discours, et l’on peut voir à maintes reprises des in-
tonations ascendantes frapper une phrase apparemment assertive-
constatative ou une intonation descendante frapper une phrase marquée
déjà comme interrogative.
140
dique significative: une pause accompagnée d’un contour intonatif perçu
comme distinct du contour précédent. Ces contours sont notés (\) pour
descendant, (\) pour ascendant et –) pour plat (ou, dans d’autres exem-
ples, respectivement ↑, ↓, →).
La première séquence identifiable à une «phrase», avec trois «propo-
sitions» en coodination de 1 à 3 au début de ce fragment, effectue une
violation par rapport aux contraintes imposées aux phrases de langue:
dans cette séquence qui se donne comme intervention-phrase, les con-
tours intonatifs des deux propositions qui la composent sont en conflit:
– la proposition assertive 2 est marquée par un contour descendant,
partageant, par ce contour, la même orientation argumentative que le
connecteur alors indiquant une fonction conclusive (un acte de
CONCLUSION); l’énoncé 2 a donc toutes les raisons d’être considéré
ce type d’acte, porteur, comme il est, et d’un marqueur segmental et
d’un contour, les deux conclusifs;
– le rapport de coordination qui relie 2 à 3 fait inférer une fonction si-
milaire pour 3, mais cette proposition est frappée d’une intonation as-
cendante qui vient contredire la fonction conclusive de 2.
Du point de vue discursif, il s’agirait pour 2 d’un «coup discursif» consi-
déré en première phase par le locuteur comme fini; et même si la forme
syntaxique et sémantique de 3 est symétrique à celle de 2, l’intonation
montante empêche la CONCLUSION de s’accomplir, la donnant comme
ouverte, comme se négociant avec l’interlocuteur. L’énoncé 3 (une pro-
position), de par son contour ascendant, sera interprété comme QUES-
TION. Si cette configuration n’est perçue comme «conflit de structura-
tion» ou comme «conflit pragmatique» que par le linguiste à la recherche
de formations discursives homogènes, les locuteurs, eux, semblent se
servir de ces ambiguïtés structurelles et illocutoires pour communiquer
non pas une seule force illocutoire ou argumentative, mais un complexe
de fonctions discursives.
Le segment 4 est ce que l’on appelle du point de vue de la micro-
syntaxe une «proposition» elliptique; en plus, son contour intonatif ou-
vert le marque comme non fini (un cas d’inachèvement). En tant que
phrase de discours, c’est un énoncé qui, pragmatiquement CONFIRME
141
l’énoncé qui le précède, mais qui, à la fois, se donne comme QUESTION.
Un autre cas de polysémantisme illocutoire.
Avec les énoncés de 5 à 7, on a de nouveau un sentiment de «phrase»,
avec une structure contenant trois propositions assertives en rapport de
coordination, dont 7 a une structure assertive-conclusive, mais se donne,
encore, en contour interrogatif ascendant: un autre conflit CONCLUSION-
QUESTION, glosable en: «est-ce bien la conclusion qu’on peut tirer?».
La RÉPONSE 8 est une proposition syntaxiquement et sémantiquement
bien formée (c’est la vérité/), en plus, pragmatiquement satisfaisante, et
ce n’est que le contour ascendant qui semble contredire cette «vérité»
déclarée explicitement. Mais cette intonation montante n’est ici pas in-
terrogative, mais plutôt exclamative: une PROCLAMATION haute de cette
vérité qui ne semble pas évidente à l’interlocuteur. La vérité de cette
THÈSE – [je suis très naïf, je suis timide] – que veut imposer GS est mise
en DOUTE par BP immédiatement après, en 9, où l’intonation descend,
sans pour autant atteindre le niveau conclusif. Elle est néanmoins l’équi-
valent d’un intonème interrogatif, car le DOUTE, par inférence, est tou-
jours interprétable comme QUESTION.
Ce type d’encodage serait incompatible avec l’écrit, où les seuls contours intona-
tifs sont indiqués par les trois signes de la ponctuation dite «finale» (le point, le
point d’interrogation et le point d’exclamation, comme indiqué dans le tableau).
Tout au plus y indique-t-on la SURPRISE ou le DOUTE par l’association des si-
gnes: [?!]. On a donc, pour l’oral, remplacé les trois signes de ponctuation par des
intonèmes, mais là encore, le système est loin d’être unifié.
142
Dans le tableau ci-dessus, plusieurs clôtures et, partant, unités, ont pu
être indiquées:
1. La première colonne du tableau indique les unités de micro-syntaxe:
les énoncés (propositions complètes ou incomplètes), correspondant
plus ou moins à des actes. Il y a autant de clôtures que d’actes. Total:
12 unités-actes pour le texte (1).
2. Dans la deuxième colonne, la clôture sémantique a été remplacée par
une satisfaction référentielle (extra- ou intra-textuelle). Là, les ex-
pressions anaphoriques ont été considérées comme constituant des
chaînes référentielles avec un antécédent. Total: 4 chaînes référen-
tielles.
3. Dans la troisième, l’intonation remplace les modes d’énoncés. Total:
2 mouvements périodiques / intonatifs.
4. Dans la quatrième colonne, les fonctions pragmatiques de Stati ont
été appelées fonctions illocutoires, responsables de la constitution
d’unités dialogales. Total: 5 échanges.
5. Dans la cinquième, sont recensées les unités monologales. Total pour
ce fragment: 3 mouvements argumentatifs.
6. Dans la sixième colonne sont indiquées les unités de structuration.
Total: 1 grand mouvement discursif, marqué par le connecteur alors
en début de séquence.
Les décalages sont évidents pour ces types distincts d’unités discursives,
dont chacun répond à un autre principe de clôture (cf. aussi Charolles
1988). Toutes ces unités en concurrence sont constitutives d’une sé-
4
quence dialogale identifiable comme «TIRER DES CONCLUSIONS» , où le
descriptif (des assertives) se mêle d’argumentatif, le dialogal de monolo-
gal, le grammaticalement bien formé d’amorphe, etc., dans un travail
complexe et hétérogène mariant des coups discursifs plus ou moins
grands: un travail complexe de phrasage, avec des montées et des des-
centes intonatives, des rythmes divers, liant ou séparant les segments mis
en discours.
4 Pour les unités de type séquence, v. infra, le Chapitre 10 De l’acte aux activités: les
séquences.
143
2.2 Moins que des phrases: les petits coups discursifs
144
2.2.1 Segments amorphes
Dans la catégorie des segments amorphes, il y a d’abord ceux qu’on peut
considérer mal formés et, d’un autre côté, ceux qu’on considère inanaly-
sables grammaticalement.
Les segments mal formés sont des inachèvements divers:
– reprises, corrections:
(3) donc une association:: je l’ai dit::↑ donc une association qui existe depuis
cinquante ans:: ↑ (en L24)
(4) et d’ailleurs on l’avait:: → on l’avait obligée à cette époque-là (en L38)
(5) pour consacrer euh:: pour se consacrer au militantisme patronal ⁄↓ (en L35)
– ratés ou faux-départs:
(6) du:: vous parlez du militantisme vous ⁄↓ (en L26)
– télescopages:
(7) L39 donc c’est:: c’est hier et:: vous voyez:: il y avait encore euh des fem-
mes:: ne pouvaient pas encore:: constituer des associations:: seules
– interjectifs:
bonjour↑ en L21 et L31
ah en L36;
euh écoutez↑ en L34
mhmm↑ en L28
– vocatifs, etc.
145
(8) L26 vous parlez du militantisme vous ⁄↓
146
enchaîne, au-delà du mhmm de L28, par un donc, sur une suite L38 . Cette
dernière, tout en étant un tour de parole distinct, n’est pas pour autant
considérée une intervention distincte, et, qui plus est, cette intervention
constituée déjà de deux tours de parole (L37 et L38) sera complétée par
un troisième tour (L39), qui servira effectivement au locuteur à clore son
intervention. En tout, cette intervention argumentative – constituant ce
que l’on a appelé un mouvement discursif (Roulet 1986) – est donc for-
mée de trois tours de parole appartenant à une seule et même locutrice,
qui rajoute des tours, à deux reprises, à sa première intervention, avant
d’en être complètement satisfaite et la considérer «complète» / close.
Tout un travail ARGUMENTATIF et REFORMULATIF est ici réuni afin de
mener à bonne fin l’idée qu’elle veut faire passer. Les tours de L37 à L39
de (2) sont repris en (9) ci-dessous:
(9) MOUVEMENT ARGUMENTATIF
L37 en fait nous n’avons pas pu faire un syndicat en 1945↑ euh parce que
c’était interdit aux femmes⁄↓
L28 mhmm↑
L38 donc en somme madame Fanon:: fondatrice de cette association↑ a
donc créé une association↑ et d’ailleurs on l’avait:: → on l’avait obligée à
cette époque-là de mettre dans le conseil d’administration des hommes⁄↓
L29 oui↓
L39 donc c’est:: c’est hier et:: vous voyez:: il y avait encore euh des fem-
mes:: ne pouvaient pas encore:: constituer des associations:: seules ⁄↓
147
pourrait bien correspondre à au moins deux interventions, car 2 est bien
un acte de CONCLUSION, et 3 un acte de QUESTION: l’un boucle bien une
séquence qui précède, et l’autre ouvre une nouvelle séquence, et ce, mal-
gré les similitudes sémantico-syntaxiques des deux énoncés 2 et 3. Il en
va de même du tour de parole 5-6-7 du même exemple (1), tour repris ici
en (11):
(11) TOUR DE PAROLE
5 6 7
BP: vous êtes très naïf / vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant /
[REPRISE-CONCLUSIONS ] [DOUTE-QUESTION]
148
2.3.2 Séquences
La notion de séquence ne semble apporter aucune précision supplémen-
taire par rapport aux autres unités invoquées sous 2.3.1. C’est en tout
premier lieu une notion intuitive, appartenant au sens commun des locu-
teurs, et très peu une notion d’expert linguiste. Si, pourtant, la linguisti-
que l’a utilisée pour désigner une entité ou une autre, elle s’est avérée
difficile à définir, une entité passe-partout, répondant tantôt à plusieurs
types de critères à la fois, tantôt à des critères, pris séparément, très di-
vers l’un de l’autre. On peut appeller séquence tout segment de texte
qu’on se propose d’observer, que ce soit d’un point de vue ou d’un autre;
ou qu’on a découpé d’un texte en l’absence même d’un critère précis.
N’empêche que des formules comme séquence narrative, descriptive,
explicative, dialogale, introductive, conclusive, etc. sont d’un usage très
fréquent, et cette énumération est loin de suggérer la grande diversité des
types de séquences qu’on distingue dans les discours (cf. infra, le Chapi-
tre 10 De l’acte aux activités: les séquences). Ainsi, dans (1) ci-dessus,
une séquence DESCRIPTIVE est reconnaissable de 1 à 6, reprise ici sous
(13):
(13) «DESCRIPTION»
BP: alors1/ vous êtes romantique2\ vous êtes parfois naïf3/
GS: très naïf4-
5 6
BP: vous êtes très naïf / vous êtes timide / […]
On voit bien que la frontière entre les deux types de séquences est située
au milieu d’un tour de parole (entre les énoncés 6 et 7 de BP), ce qui
prouve bien un autre décalage dans la perception des unités et de leurs
clôtures.
149
3. Conclusions
150
II. Discours et gradualité
Chapitre 9
153
porteur d’une force illocutionnaire répertoriée dans la langue. Or, dès
que le besoin se présenta de prendre pour niveau d’analyse non plus un
seul acte mais plusieurs, tels qu’ils se manifestent normalement dans le
discours, la contrainte de l’illocutoire telle qu’imposée par la TAL s’est
avérée trop sévère et les inventaires d’actes plutôt insuffisants.
154
– pour 13: DEMANDE D’EXCUSE;
– pour 22: RAPPEL;
– pour 23: DEMANDE;
– pour 24: INFORMATION.
En dehors des marqueurs dénominatifs – verbes illocutionnaires / per-
formatifs comme avouer / j’avoue que..., s’excuser / je m’excuse...) –, les
locuteurs utilisent en règle générale d’autres marqueurs segmentaux,
moins forts, très souvent conventionnalisés; certains ont été appelés:
– marqueurs indicatifs (ex.: l’impératif pour l’ORDRE ou la DEMANDE);
– marqueurs potentiels (comme la forme déclarative qui peut être tantôt
marqueur de DESCRIPTION, tantôt de COMPLIMENT, ou D’AVEU, etc.)
(cf. Etudes de linguistique appliquée no 44).
Aux types de marqueurs segmentaux utilisés pour les ACTES s’ajoutent
des marqueurs prosodiques (pauses, décrochements intonatifs, contours
mélodiques) qui indiquent des frontières d’acte (cf. Ferrari & Auchlin
1995); ce sont des signaux qui, sans les nommer, «montrent» les UNITÉS
dans le flux discursif. A l’écrit, ces frontières d’actes sont des signes de
ponctuation plus ou moins forts, et si généralement la virgule est indica-
tive d’une telle frontière d’ACTE, le point est plutôt un signe prototypique
de fin de PHRASE (au sens discursif de ce terme, de mouvement discursif,
cf. Roulet 1994). A l’oral, comme c’est le cas pour le texte (1) donné ci-
dessus, la segmentation en actes est généralement faites sur des contours
intonatifs perçus comme distincts et accompagnés de pauses.
Résumons en disant que, pour la catégorie d’ACTE DE LANGAGE, c’est
la fonction illocutoire FI qui sert à la reconnaissance des types d’actes;
mais un contenu propositionnel CP est obligatoire, actualisé sous la
forme d’une proposition / phrase complète.
155
mal à trouver «les meilleurs représentants» de la catégorie classique
d’ACTE DE LANGAGE. Ainsi, à côté d’un contenu propositionnel CP fa-
cilement repérable, la fonction illocutoire est souvent, et notamment dans
les séquences monologales, non identifiable. D’autres types de fonctions
semblent s’imposer dans les séquences monologales d’actes, qui sont des
fonctions relationnelles, et auxquelles on a donné le nom de fonctions
interactives (cf. Roulet et al. 1985), notées ici fi. Parmi elles, certains
verbes naturels utilisés par les locuteurs:
RACONTER, ARGUMENTER, JUSTIFIER, REFORMULER, PRÉCISER, RÉSUMER...
156
fonctions initiative / réactive vs fonctions interactives vont se substituer
respectivement à ceux de la première dichotomie.
157
conque fonction – de type illocutoire FI ou interactif fi. Il s’agit, par
exemple, des inachèvements, éliminés généralement des analyses, mais
que l’étude de l’oral mentionne souvent comme des faire distincts:
RATÉS, FAUX DÉPARTS, etc. Il y en a en effet plusieurs dans l’exemple
(1) ci-dessus où Bernard Pivot est obligé de chercher les mots les moins
gênants pour rappeler à Georges Simenon qu’il aimait un peu trop les
femmes:
7 mais n’empêche, 9 je suis, 12 vous êtes, 14 vous êtes un, 16 un, 21 votre,
23 j’aimerais bien
158
seul et même mot de la langue; c’est le cas pour bon, par ex., qui est
classé connecteur, ponctuant et particule à la fois, en fonction de la
perspective d’analyse. Notons aussi que pour les locuteurs ordinaires,
des verbes comme modaliser, connecter, marquer, réguler et ponctuer –
verbes pour décrire ce que font ces mots – sont loin d’être d’un usage
courant, ce qui explique une catégorisation naturelle plutôt difficile.
En plus, dans l’utilisation de ces mots, les frontières prosodiques sont
beaucoup plus rares que pour d’autres unités, et cela parce que ces mots,
étant apparemment de moindre importance pour les locuteurs, tenteraient
de passer plutôt inaperçus. Même les linguistes les désignent souvent du
nom de simples traces.
Plus la question de la segmentation du discours pose des problèmes
aux chercheurs, plus la quête des unités discursives minimales se fait
acharnée, et plus les concessions faites à ce que l’on voudrait considérer
unités importantes. Signe de malaise, sûrement, vis-à-vis d’un carcan
trop étroit, des critères de plus en plus vagues vont être posés, afin que
les descriptions deviennent plus appropriées à ce qui se passe réellement
dans les discours naturels. Ainsi, le critère de la fonction (illocutoire ou
interactive) va être remplacé par le critère de l’autonomie pragmatique;
le critère du contenu propositionnel et du prédicat analysable par le cri-
tère plus permissif de prédication (relationnelle, pour le cas des connec-
teurs, ou non); enfin, un critère énonciatif entrera en jeu, celui de la prise
en charge de l’énoncé par un locuteur. Le mot à lui seul – lexical ou
relationnel – deviendra possible candidat au statut d’unité discursive.
Ceci signifie que, par rapport aux ACTES, vus comme prédications auto-
nomisables, les connecteurs peuvent dorénavant être perçus comme pré-
dicats relationnels que certains auteurs considèrent non autonomisables
(cf. Rossari 1996), mais que la pratique discursive peut très bien présen-
ter comme détachables. Voir à ce propos, dans l’exemple (1) ci-dessus,
les segments:
1 bon, 6 tout ça, 11 oui mais enfin, 20 tout de même, 25 voilà
159
2. La théorie grammaticale (TG)
La théorie des actes de langage (TAL) identifiait dans tout acte une pré-
dication, et, selon cette perspective, l’absence d’une prédication retirerait
le statut d’acte à une expression. Or, les notions de verbes parenthétiques
(cf. Récanati 1984; «recteurs faibles» chez Blanche-Benveniste 1989) et
de prédication seconde (Furukawa 1996) viennent appuyer, du côté des
grammaires, la perspective de plus en plus floue sur les catégories du
discours en général, et sur les actes en particulier. Elles laissent de toute
façon entendre que la notion de prédication est graduelle, que le discours
est le lieu de manifestation de «prédicats» plus ou moins forts ou, dans
une terminologie pré-théorique, de lieu de rencontre de «faires» distincts,
plus ou moins explicites. Cette perspective graduelle de la prédication
semble ouvrir la voie à une perspective graduelle sur les actes, avec des
expressions «plus ou moins actes» (v. les semi-actes), en fonction de leur
degré de prédicativité. La théorie grammaticale rencontre là l’analyse du
discours.
Rappelons que le marquage des prédications ne se fait pas unique-
ment au niveau segmental, mais aussi au niveau suprasegmental (voir,
par ex., ce qu’on a appelé frontières d’actes) et / ou au niveau non verbal
(actes non verbaux).
Les marquages segmentaux d’ACTES sont de type plus analytique
que les deux autres et se manifestent par des expressions prédicatives
plus ou moins fortes. Si les prédicats prototypiques sont des verbes rec-
teurs par excellence, il va de soi qu’aux prédications secondes on atta-
chera des prédications moins fortes: phrases inachevées, verbes recteurs
faibles / parenthétiques, expressions autres que verbales, mais appelées
souvent «prédicatives» (adverbes, interjections, constructions absolues),
etc. Dès lors, dans le même texte (1), on peut considérer comme prédica-
tions secondes, donc QUASI-ACTES:
– les inachèvements 7 mais n’empêche, et 23 moi j’aimerais bien;
– les expressions parenthétiques 13 excusez-moi l’expression et 22 vous
le racontez là aussi; et
– les modalisations 18 vraiment et 20 tout de même.
160
Au niveau suprasegmental, un contour mélodique + pauses perçus à
l’écoute indiquent des frontières pour certaines prédications secondaires:
7 mais n’empêche, 13 excusez-moi l’expression, 18 vraiment, 20 tout de même,
22 vous le racontez là aussi, 23 moi j’aimerais bien
appuyant le statut d’unité distincte que les locuteurs veulent leur assi-
gner. Ce type de marqueurs est par excellence indicatif, procédural.
Enfin, à l’oral, les actes non verbaux sont fréquents et se manifestent
par des gestes, des attitudes, des mimiques plus ou moins conventionna-
lisés; ils se greffent sur les expressions verbales ou relayent celles-ci.
L’exemple (1) offre deux de ces prédications non verbales:
– un haussement d’épaules en 8; et
– un sourire en 13,
les deux en surimpression sur les actes verbaux respectifs, qu’ils ne font
que renforcer.
On peut conclure sur la perspective grammaticale qu’un relâchement
évident s’y fait manifeste avec la reconnaissance des degrés de prédica-
tivité, relâchement similaire à celui qui s’est produit dans la théorie
pragmatique des actes de langage.
161
lesquelles de ces prédications préfèrent les positions parenthétiques, secondes, ef-
façables, c’est-à-dire les positions faibles dans le discours – celles de modalisa-
teurs, régulateurs, ponctuants ou connecteurs –, et lesquelles prennent de préfé-
rence allure d’ACTES proprement dits pour occuper les positions fortes?
162
– formes assertées, descriptives: ce sont les formes les plus marquées,
qui font figure d’ACTES;
– formes indicatives de l’expression: elles ne sont généralement pas
perçues comme actes, mais peuvent effectuer dans le discours les
mêmes opérations qu’effectuerait un acte.
Je rappelle que les espaces discursifs constituent bien des «places» dis-
cursives stables pour des types d’opérations discursives, et l’hypothèse
que je fais ici est qu’en tant que telles, ces opérations seraient capables
de ramener à elles toutes les catégories discursives: ACTES, CONNEC-
TEURS, MODALISATEURS, PARTICULES, etc. Ce qui revient à dire qu’un
acte est opération au même titre qu’un connecteur, un modalisateur, une
particule, un geste, etc., et qu’il peut faire la même chose qu’un connec-
teur, un modalisateur, une particule ou un geste, et vice-versa. Ainsi, la
proposition J’accentue sur le fait (énoncé faisant ACTE) en (2) et l’ad-
verbe bien (qui n’est qu’un MODALISATEUR) en (3) ci-dessous semblent
effectuer la même opération discursive, ou plutôt métadiscursive: celle
d’indiquer que ce que l’on dit (le contenu propositionnel il s’est retiré de
l’affaire) doit être compris dans son sens le plus fort:
(2) J’accentue sur le fait: il s’est retiré de l’affaire.
(3) Il s’est bien retiré de l’affaire.
163
– par une hésitation prosodique (une pause); ou, enfin, par
– un geste d’impuissance, des mains ou des épaules.
Toutes ces expressions, certaines propositionnelles, équivalant à des
ACTES (Je cherche le mot juste), certaines des particules (euh) ou des
signes non verbaux, peuvent actualiser une seule et même opération, qui
est ici de type paradiscursif Pd et qu’on appelle FORMULATION ou
RECHERCHE DES MOTS.
Revenant maintenant à la question:
Lesquelles de ces opérations sont plus sujettes à faire ACTES et lesquelles plutôt
sujettes à faire moins que des ACTES (connecteurs, particules, ponctuants, etc.)?
164
4.2 Les opérations moins qu’actes
165
où le contour intonatif semble indiquer une frontière d’acte, alors que ce
mot n’est qu’une simple trace d’opération énonciative, plus précisément
d’une opération de (RE)FORMULATION, de type para- et métadiscursif à
la fois (Pd/Md).
D’autres marqueurs sont délimités comme de vrais actes, tels, en (1)
ci-dessus:
1 bon, 6 tout ça, 20 tout de même, 23 moi, 25 voilà
Les deux connecteurs sont ici marqués comme ACTES, avec des intonè-
mes distincts. De même, 1 enfin dans (4) ci-dessous, le marqueur, portant
sur la phrase 2, constituée de deux énoncés, est délimité comme acte.
Pour des portées plus restreintes, les mêmes formes verbales se rédui-
sent à de simples traces, sans frontières marquées, car elles doivent s’ef-
facer devant le contenu des segments qu’elles structurent. C’est par
exemple le cas de vraiment en (4) ci-dessus, où le modalisateur est
ATTRACTEUR et porte sur l’énoncé comme je l’imagine, un segment
moins long que celui sur lequel porte enfin, dans ce même exemple: il
reste une simple trace d’OPÉRATION.
Enfin, si l’on compare deux occurrences distinctes de vraiment: 2 en
(4), et 18 en (1), cette dernière reprise ci-dessous en (6), on voit cette
deuxième occurrence marquée d’une frontière d’acte.
(6) parce que -17’ vraiment/18 vous êtes l’infidèle/ total/17"
166
L’adverbe y est plus fortement marqué parce qu’employé à double fonc-
tion: non seulement comme attracteur, mais aussi comme RATIFICATEUR
DIALOGIQUE: il ratifie le sens de l’énoncé 17’’ (vous êtes infidèle).
5. Conclusions
5.1. Dire que tout est opération, c’est homogénéiser la perspective sur
le discours en général et sur le dialogue en particulier. Les opérations
peuvent également être des configurations d’opérations, ce qui permet de
dire qu’aussi bien les catégories difficiles (marqueurs, connecteurs,
ponctuants, régulateurs, ratés, particules) que les actes sont alors des
opérations ou des configurations d’opérations.
5.2. Sur cet ensemble d’opérations très hétérogènes impliquées dans la
production du discours:
– les ACTES DE LANGAGE sont des catégories émergentes d’opérations /
de configurations d’opérations (des «figures» fortes au sens cognitif
du terme) (FI+CP). Ils sont tous naturellement catégorisés (noms
d’actes dans les langues naturelles);
– les ACTES DISCURSIFS sont des catégories émergentes d’opérations /
de configurations d’opérations (fi+CP) et sont en général aussi natu-
rellement catégorisés;
– les NON-ACTES (semi-actes, mots du discours, marqueurs, connec-
teurs, régulateurs, ratés, ponctuants, etc.) coïncident plutôt aux TRA-
CES D’OPÉRATIONS et se constituent rarement en «figures» (sont des
opérations moins émergentes). Leurs noms représentent des catégo-
ries moins naturelles d’activités discursives.
5.3. Un seul et même espace est le lieu de rencontre de plusieurs catégo-
ries (actes, régulateurs, marqueurs...):
– sur l’espace interpersonnel, appels, excuses, reprises diaphoniques,
régulateurs, RAD, etc.;
– sur l’espace subjectif, modalisants, certains phatiques, certains actes
rituels, reprises monophoniques, etc.;
167
– sur l’espace paradiscursif, tous les actes ou marqueurs d’actes de
mise en forme / formulation (ratés, hésitations, faux-départs), certains
actes structurants (cadrages, thématisations, marqueurs d’intégration
linéaire MIL, etc.);
– sur l’espace métadiscursif, actes de reformulation (reprises, com-
mentaires méta, métaphores), ponctuants, marqueurs de structuration
de la conversation (MSC), MIL, etc.;
– sur l’espace présuppositionnel, les retours, les rappels, les explica-
tions d’arrière-fond, les thématisations et les cadrages, des marqueurs
du type vous savez, nous avons vu... de pointage au niveau de la mé-
moire discursive.
Afin que des descriptions plus appropriées puissent être données des
manifestations verbales, il semblerait donc que la catégorie d’OPÉRA-
TION puisse homogénéiser la description des catégories discursives utili-
sées en analyse du discours:
– d’un côté, l’hypothèse que les actes seraient des opérations plus for-
tement délimitées que les autres catégories (modalisateurs, connec-
teurs, etc.) semble se confirmer;
– d’un autre côté, le fait que les non-actes puissent faire figure d’actes
rencontre l’idée déjà accréditée des actes qui peuvent se dissimuler
dans le discours comme non-actes (v. les évaluations ou les injures
indirectes, «cachées» dans les épithètes conjointes) et, en égale me-
sure, celle des connecteurs-ACTES.
168
Chapitre 10
Rappelons ici que les langues catégorisent naturellement les ACTES par
des verbes et des noms comme féliciter / félicitation, demander / de-
mande, refuser / refus, ordonner / ordre, promettre / promesse, etc., ce
qui prouve l’existence de catégories naturelles que les locuteurs perçoi-
vent comme unités plus ou moins reconnaissables, de type Gestalt, dans
le déroulement de leurs discours.
Rappelons aussi que les locuteurs, dans leur activité métadiscursive,
reconnaissent plusieurs TYPES DE TEXTES comme produits de leurs dis-
cours, auxquels ils donnent des noms comme récit, lettre, article, dis-
pute, etc.
169
Mais le langage de tous les jours contient beaucoup d’autres expres-
sions métadiscursives, nommant non pas des actes isolés ou les textes,
mais des ACTIVITÉS DISCURSIVES courantes, qui se constituent en parties
distinctes dans les discours. Pour celles-ci, les locuteurs utilisent des
verbes ou locutions verbales comme raconter, expliquer, faire des re-
marques, faire des hypothèses, faire une digression, faire une confi-
dence, etc. Ces parties perçues comme distinctes dans les discours sont
souvent désignées par le nom passe-partout de séquence, catégorie qui
s’est avérée difficile à définir en linguistique, car elle semble corres-
pondre à une catégorie trop vague, peut-être pré-scientifique, et a par
conséquent reçu des définitions très variables (cf. 3.2. ci-après). En effet,
si l’on cherche à voir si ces entités ont fait l’objet de descriptions lin-
guistiques, le bilan est très relatif: on bien été étudiées certaines catégo-
ries comme celles de récit, explication, description, correspondant de
façon plus évidente:
– à des parties distinctes à l’intérieur de textes écrits; ou
– à des textes pris globalement.
Par contre, en ce qui concerne des catégories moins nettes comme faire
une digression, faire des confidences, faire des remarques, faire des hy-
pothèses, dire des bêtises, etc., les descriptions sont à ce jour presque
inexistantes. Je vais repérer ci-dessous les traces linguistiques de plu-
sieurs de ces ACTIVITÉS VERBALES, pour appuyer l’idée que l’étude de
ces phénomènes est pleinement justifiée, qu’une définition doit être ten-
tée pour ce que l’on dit être une séquence en général, et des descriptions
particulières pour quelques types distincts de ces «ensembles d’actes».
170
l’«ensemble des actes coordonnés ou des travaux de l’être humain; fraction spé-
ciale de cet ensemble».
1 Car, à chaque fois qu’on dit: je raconte, je décris, j’argumente, je me plains, etc.,
c’est un processus qui est désigné et non un acte pris à part.
171
locuteurs perçoivent ces unités comme suites d’actes qui se constituent
en entités distinctes à l’intérieur d’un discours, mettant justement en
évidence, pour la définition de la séquence, cette pluralité d’actes «en
série homogène». Comme on peut le voir ci-dessous, de telles locutions
métadiscursives existent bien en français (fr), en anglais (an) et en rou-
main (ro), et d’autres langues en possèdent sûrement aussi:
FAIRE
fr faire des promesses, des suggestions, des compliments, des affirmations, des
remarques, des commentaires, des prescriptions, ses excuses, des reproches, des
hypothèses
an to make a promise, make a suggestion, make compliments, make statements,
make remarks / observations, make comments, make prescriptions, make an apo-
logy, to reproach sb for sth
ro a face promisiuni, sugestii, complimente, afirmaţii, remarci / observaţii, co-
mentarii, reproşuri, ipoteze
DIRE
fr dire des bêtises, des conneries, des mensonges
an talk nonsense / crap, tell lies
ro a spune prostii / măgării, minciuni, enormităţi
EXPRIMER
fr exprimer des condoléances, des opinions, des regrets
an express condolences / regret, give an opinion
ro a exprima condoleanţe, felicitări, opinii, regrete
APPORTER
fr apporter des preuves, des nouvelles, des arguments, des accusations
an give evidence, make an argument, bring charges
ro a aduce dovezi / probe, veşti, argumente, acuzaţii
DONNER
fr donner des nouvelles, des informations, des renseignements, des explications,
des indications, des conseils
an to bring news, give explanations, give instructions, give advice
ro a da informaţii, veşti, explicaţii, indicaţii, sfaturi
AVANCER
fr avancer des propositions, des hypothèses
an to put forward a hypothesis
ro a avansa propuneri, ipoteze
LANCER
fr lancer des hypothèses, des accusations
an make suggestions, to put forward a hypothesis, press charges
ro a lansa ipoteze, acuzaţii
172
SE PERDRE
fr se perdre en explications
an get carried away
ro a se pierde în explicaţii
Une telle suite d’actes est illustrée ci-dessous par l’exemple (1) où, pour
faire des remarques (au pluriel), le locuteur explicite à chaque fois le
passage d’un(e) REMARQUE / CONSTAT vers l’autre. A noter que, si un
seul acte s’avère insuffisant pour l’effet perlocutoire voulu, les locuteurs
vont l’«étoffer», en en ajoutant d’autres. C’est la manière dont se cons-
truit la SÉQUENCE EXPLICATIVE dans l’exemple (6a) ci-dessous.
Les exemples d’actes en série perçus comme séquences ne manquent
pas, et dans les quelques-uns qui sont donnés de (1) à (7), l’ACTIVITÉ en
train de s’effectuer est:
– ou nommée explicitement:
FAIRE DES REMARQUES, en (1); FAIRE DES REPROCHES, en (2); FAIRE DES HYPO-
THÈSES,en (3); S’EXCUSER, en (4); DONNER / APPORTER DES NOUVELLES, en (5);
DONNER DES EXPLICATIONS, en (6);
– ou exprimée métaphoriquement:
fouiller pour FAIRE DES HYPOTHÈSES, en (3b)
2
– ou seulement «indiquée» par des marqueurs implicites , tels:
c’est, pour LES EXPLICATIONS, en (6b); nu-i adevărat ‹ce n’est pas vrai›, nu m-am
omorît niciodată după acest personaj ‹je n’ai jamais raffolé de ce personnage›,
pour les THÈSES d’une argumentation; deci, tirant une CONCLUSION, en (7):
(1) FAIRE DES REMARQUES
C: […] on va corriger les comptes-rendus/que je vais vous rendre/[le profes-
seur rend les papiers aux étudiants] Mi- Mândruţ Renata/ Andreea/ Ioana
xxx/ […]
E: (toux)
C: encore malade/
2 Ni les exemples français ni les exemples roumains ne sont ici traduits, et pour la
simple raison qu’ils sont trop étendus, mais le traitement graphique de ces textes
laisse facilement «voir» le travail de séquentialisation. Ainsi, les séquences pro-
prement dites sont notées en grisé; leurs noms explicites en PETITES MAJUSCULES
SOULIGNÉES; leurs marqueurs indicatifs, en PETITES MAJUSCULES ITALIQUES; tandis
que les objets décrits (thèmes-titres) dans les séquences descriptives, ainsi que les
thèses dans les séquences argumentatives, en PETITES MAJUSCULES SIMPLES.
173
E: oui\
C: bon\ […] alors\ euh: QUELQUES REMARQUES euh générales/ sur euh […]
sur vos travaux/ avant de-- de proposer une euh une correction/ euh […]
D’ABORD donc\ je vous rappelle le compte-rendu c’est un exercice d’objec-
tivité/ et donc encore une fois-- il s’agit de-- rendre compte-- des idées euh
de: du texte/ sans s- apporter de d’informations personnelles\ je sais plus qui/
a euh: plus ou moins euh je sais pas j- vous ai rendu à quelqu’un xxx/\ […]
DEUXIÈME: DEUXIÈME CONSTAT / avant de faire ce: compte rendu/ on avait
vraiment travaillé un texte/ c’est-à-dire qu’on avait essayé de décortiquer un
peu euh le: le fonctionnement euh des idées/ l’ar- les articulations et cetera/
euh donc ce travail euh qui a été fait en amont/ il ne doit pas accos- il doit
ressortir d’une manière voilée/ euh dans le compte-rendu\ c’est-à-dire que
euh-- certaines mm: ont souligné-- l’auteur développe une argumentation/ des
choses comme ça/ donc ça-- c’est c’est davantage un constat […] oui\ AUTRE:
AUTRE CONSTAT n’oubliez pas/ dans un compte-rendu de toujours commencer
par présenter l’idée générale/ hein/ l’idée euh directrice […] QUOI D’AU:TRE/
[…] j’crois que c’était-- c’est tout euh pour euh les CONSTATS DE GÉNÉRALITÉ
(Corpus Pop)
(2) FAIRE DES REPROCHES / REPROCHER
Elle: De toute façon tu t’endors tout de suite, tu tombes comme une masse. A
chaque fois, c’est pareil; avoue, le grand air te réussit.
Lui: Oui, je suis fatigué, j’ai le droit peut-être.
Elle (Doucement.) Mais JE NE TE REPROCHE RIEN, mon chéri, j’adore te regar-
der dormir. (D. Sallenave, Conversations conjugales)
(3) FAIRE / LANCER DES HYPOTHÈSES
(3a) alors\ QUELLES HYPOTHÈSES ON PEUT FAIRE sur ce symbole\ un p’tit peu sur le
sens\ donc pour chercher à comprendre finalement/ pourquoi euh ce symbole
euh reste euh enfin\ perdu/ comme ça/ dans la société française/ sans que l’on
connaît vraiment ni le sens ni l’origine euh de Marianne très clair (Corpus
Pop)
(3b) C: donc vernis-- culturel\ donc là il faut FOUILLER un p’tit peu euh-- donc là
y a une métaphore/
E : (la superficialité) /
C: donc y a l’idée de superficiel/ de superficialité/ oui/ hm/ quoi d’autre/ y a
une autre idée aussi\ PEUT-ÊTRE\ vernis culturel/
E: le mélange des arts/ peut-être/
C: le mélange des arts\
E: la littérature/ la peinture PEUT-ÊTRE/
C: quel est le lien avec le vernis/
E: je ne sais pas\ la couleur PEUT-ÊTRE\
C: non/ qu’est-ce qu- un vernis donc ça: ça protège/ ça c’est quelque chose
qu’on met-- sur une surface/ quelque chose qu’on recou- on cherche à recou-
vrir quelque chose/
174
E: pour rendre plus beau\ (id.)
(4) FAIRE SES EXCUSES / S’EXCUSER
QUE JULIEN L’EXCUSE, mais il ne s’attendait pas du tout… Une erreur de gra-
phie au secrétariat sûrement… Flovié, Pluvié, n’est-ce pas? Mais de toute fa-
çon, il aurait cru à une homonymie… Jamais il n’aurait pensé que Julien
pouvait donner dans la politique… (M. Bredel, Les petites phrases)
(5) DONNER / APPORTER DES NOUVELLES
Sans se perdre en mondanités, Aymeri APPORTAIT DES NOUVELLES. Bonnes.
Les derniers sondages confirmaient les précédents et laissaient apparaître en-
tre 34 et 36% d’indécis. Un pactole inespéré, encore qu’on pût redouter une
abstention massive. En tout cas, la disparition de Mégissier ne profitait tou-
jours pas à ses concurrents de droite; Sorèze et Frémont ne décollaient pas de
leurs positions. BREF, l’état de l’opinion, à deux jours de l’ouverture de la
campagne officielle, correspondait d’assez près aux projections qu’il avait
communiquées à Varenne la semaine précédente. (id.)
(6) DONNER DES EXPLICATIONS
(6a) En guise de réponse à ma stupeur muette, il m’annonce tout à trac:
– Tu as devant toi un SDF!
Cette EXPLICATION succincte ne me rendant évidemment pas l’usage de la pa-
role, il l’étoffe quelque peu:
– Oui, ma chère, tu as quitté un homme respecté de tous et envié par beau-
coup; un homme privilégié jouissant d’un train de vie plus que confortable; le
mari d’une femme idéale qui savait fermer les yeux et ouvrir sa bourse; le
gendre plein d’espoir d’une douairière cardiaque, plein de promesses… et tu
te retrouves devant un pauvre bougre, cocu, ruiné, avec pour s’abriter uni-
quement cette guimbarde pourrie et pour unique bien les trois valises que j’ai
pu arracher aux griffes des deux hyènes. (F. Dorin, Vendanges tardives)
(6b) ça vous en fait c’est un jeu de mots brouillon de culture/ xxx savoir lequel/ y
a une référence en fait-- BOUillon de culture/ ça vous dit rien/
E: C’EST une émission à la télé\ hein/
C: oui/ C’EST une émission à la télé/ qu’est-ce que vous savez d’autre/ sur
cette émission (peut-être)/
E: xxx
C: BOUILLON DE CULTURE/ C’EST une émission euh: enfin […] euh C’EST une
émission qui était euh animée par Bernard Pivot/ donc euh un une personna-
lité euh de d’aujourd’hui/ enfin il a terminé justement euh cette année der-
nière euh d’animer cette émission/ et en fait c’était une émission littéraire--
sur les les dernières parutions/ et cetera/ donc une émission de référence/ en
fait une émission connue/ donc bouillon de culture/ qu’est-ce que c’est un
bouillon/
E: soupe/
E: soupe/
175
C: une soupe-- oui/ Bouillon de culture Bernard Pivot\ [le professeur écrit le
nom de l’émission et de l’animateur au tableau] donc c’est le nom attaché à
cette émission (Corpus Pop)
(7) APPORTER DES ARGUMENTS
L: pentru că spre deosebire de alţi colegi ai dumneavoastră/\ care au cochetat
cu Constantinescu/\ trebe să recunoaştem/\
I: da\
L: că aţi cochetat cu el/\
I: da\
L: eu nu pot să pricep nimica\
I: io n-am cochetat\
L: domnule aţi cochetat/\ în sensul că l-aţi vrut preşedinte\
I: io/
L: parcă l-aţi vrut/\ la un moment dat\
I: nu\ îmi pare rău\
L: adică -
I: eu sînt printre nu\
L: l-aţi ales ca soluţie/\ cum să nu\
I: nu\ nu\ soluţie de turnesol/\ deci schimbarea roşului în albastru\ NU-I
ADEVĂRAT\ eu n-am considerat niciodată - nu\ nu\ culmea e - io io l-am înju-
rat pe Constantinescu în Academia Caţavencu/\ pe la politică/\ deşi mi-au re-
proşat mulţi/\ şi cînd am fost prin Germania/\ domnule zice/\ şi culmea e că l-
am votat\ deci eu l-am votat pă Constantinescu fără să mă omor deloc după
el/\ în ideea că trebe o schimbare/\ că hai domnule încercăm şi altceva\
L: tocmai/\ însă asta nu v-a împiedicat ca astăzi la trei ani -
I: dacă se-ntîmplă revenim la: - aşa\
L: la trei ani să fiţi necruţător cu el \
I: NU\ N-AM FOST MAI NECRUŢĂTOR ACUM DECÎT ERAM ÎNAINTE/\ NU\ NU\ NU-I
ADEVĂRAT\
L: deci v-aţi păstrat ă:: -
I: dacă-mi citeşti cartea/\ ă cartea mea Pamflete vesele şi triste/\ în care înju-
ram într-una că Iliescu era preşedinte/\ erau şi ironii îngrozitoare la adresa lu’
Constantinescu/\
L: aşa e domnule\
I: NU M-AM OMORÎT NICIODATĂ DUPĂ: – ACEST PERSONAJ/\ […] (id.)
Les séquences «en série» semblent bien être le cas prototypique pour les
ACTIVITÉS VERBALES, car elles illustrent le mieux l’acception la plus
commune des séquences en général en tant que suite homogènes d’actes.
Remarquons sur tous les noms d’activités recensés ci-dessus, mais aussi
sur ceux avec faire qui suivent, que les langues semblent plus ou moins
s’aligner au niveau des expressions utilisées pour désigner ces types
176
d’activités verbales: même s’il y a des différences (singulier vs pluriel
pour le nom des actes en série), la plupart de ces étiquettes méta-
linguistiques encodées par les langues suivent des logiques identiques:
un verbe-support quasiment identique (comme faire, dire, exprimer, etc.)
et des nom d’actes, de préférence au pluriel (v. les expressions ci-
dessus).
177
types d’activités sont mieux perçus comme unités que d’autres activités,
pour lesquelles les langues n’ont pas des étiquettes si bien définies.
Voici quelques exemples pris à un corpus de textes où les locuteurs
parlent des activités verbales qu’ils sont en train d’effectuer: ANALYSER,
en (8), DÉCRIRE, en (9), PLAISANTER, en (10).
(8) ANALYSER
c’qui nous intéresse c’est vraiment l’existence de ce symbole-l- et la perma-
nence du symbole dans la société euh française\ alors\ essayons d’ANALYSER
un p’tit peu/ (Corpus Pop)
(9) DÉCRIRE
(9a) Elle: [...] Nous avons cherché partout, mais nous ne l’avons pas trouvé.
Odette croyait que c’était un bruit dans le radiateur. (Un temps.) Mais c’est
vrai. Dans une vraie maison, il y a UN CHAT. Qui se promène, qui a ses par-
cours.
Lui: Qui pisse partout, oui, pour marquer son territoire. Ce que tu appelles
une maison, pour lui tu n’imagines pas ce que c’est. Un lieu sauvage, plein
d’odeurs. Des odeurs qu’il affectionne, qui l’inspirent. Celles de la poubelle,
celle du linge sale. Et qu’il défend contre les incursions des autres en pissant
aux quatre coins. Régulièrement, quatre fois par jour, de peur que le parfum
s’atténue.
Elle: CE QUE TU DÉCRIS, c’est le comportement d’un mâle. D’un mâle entier.
Nous, nous le ferons couper. (D. Sallenave, Conversations conjugales)
(9b) L2: şi:: în comuna Vulcani erau doi copii- mă duceam la vaccinare şi-i ve-
deam mereu singuri- cel mic era atîta de drăguţ /\ şi mă gîndeam- oare copilul
ăsta va rezista în mizeria aceasta în care erau/ CUM SĂ VĂ DESCRIU- era un pat
din pociung\ aşa se spune la ţară- deci din nişte pa:ri pe cari erau bătute nişte
scîndure- şi nişte haine însleite de mizerie/\ era un sugar micuţ\ iar un o mo-
gîldeaţă de fetiţă- plină de:: fum de funingine- se în::vîrtea prin casă\ cînd mă
duceam la vaccinări vedeam copilul acela me: copiii aceia mereu singuri\ era
o iarnă- era FRIG\ şi mă gîndeam- oare sunt copii în casă/ pot să intru acolo/
şi-mi zic î:: vecinii da\ sunt\ aşa cu inima mică cît un purice/\ să zic aşa- am
intrat în casă că mă gîndeam că îi găsesc îngheţaţi/ nu nu altceva \ copiii erau
vii (Corpus Pop)
(10) PLAISANTER / DÉCONNER
(10a) – Ecoute, je crois que j’ai un truc pour toi. Il faudrait que je le fasse venir de
Rome ou de Turin. Tu sais ce qu’elles s’achètent – tour de bras, les filles, l--
bas, pour séduire et retenir les mecs? Des soutiens-gorge et des petites culot-
tes - la fraise ou au chocolat.
– TU TE FOUS DE MOI OU QUOI!
– Mais non, JE TE JURE, C’EST TRÈS SÉRIEUX. J’ai lu ça dans un journal italien.
(Cl. Sarraute)
178
(10b) L: domnul Meleşcanu/\ vi se pare să aibă şanse/
I: domnule\ Meleşcanu pentru mine:/\ e o:: e un mister/\ aşa\ el are o delica-
teţe::- dacă vrei înnăscută/\ care nu se compară ă:: cu:: candidaţii lu’::- dacă
vreţi cu restul candidaţilor/\ adică e un om care n-a supărat pă nimeni/\
L: stai domnule/\ domnul Constantinescu nu e delicat/\ sau ce vreţi să spune-
ţi/
I: ă: ştii că este două soiuri/\ delicat\ şi cum se cheamă chestia aia/ care se se
pune în supă/ mai există::-
L – a\
I: ă: cum/ ştii domnule/\ e DELICAT şi: - VEGETA\ domnul Co- CRED CĂ DOMNUL
CONSTANTINESCU E VEGETA/\ mai degrabă\ [rîs] deşi: nn nu\ nu\ cred că iniţial
avea o: Csilla/\ un soi de delicateţe d-asta/\ pentru că s-a: în cadrul partidului
sau a celor care-l cunoşteau\ nu pot să spun/\ prin atitudinea lui chiar faţă de
războiul din Balcani/\ şi faţă de alte chestii/\ nu\ e: ă: e genul care se dă spor-
tiv/\ fără să aibă muşchi la purtător\ DECI nu\ nu\ nu e\ nu-i delicat\ nu\
L: poate-i avea acasă/\
I: Meleşcanu nu- Meleşcanu de la îmbrăcăminte/\ de la: gesturi/\ ă: aşa\ deşi
unii pun pă seama soţiei care-l îmbracă- nu-i adevărat/\ nu\ el are: ca structu-
ră/\ el are drept biografii lui care-i (plăteşte şi-l îmbracă)\
L: şi dacă-l îmbracă soţia/\ ce-are domnule/ ce/
I: PĂ TINE TOT NEVASTĂ-TA TE: îţi dă bretelele alea/
L: da’ ce-are / da’ ce-are dacă-l îmbracă soţia/ e prost/
I: nu că sincer/\ să ştii c-ai fost ironizat cu bretea/\ acuma văd ca ţi-ai pus
bretele mai estompate/\ aşa\ ţi-ai pus albastru xxx -
L: îmi iau mîine unele portocalii/\
I: cum/
L: îmi iau mîine unele portocalii/\
I: da’ te rog nu\ insistă că tu ai avut succes cît aveai bretele care săreau în
ochi\ acuma nu xxx\
L: îmi iau unele portocalii mîine/\
I: ţi-ai luat bretele albastre cu roşu/\
L: să le mai asortăm\
I: şi cravata ţi-ai asortat-o/\
L: să le mai asortăm\
I: nu \ eşti mai fin îmbrăcat/\ şi mîine-poimîine eşti calapodul eleganţei/\ (rîs)
L: da da’ n-am trabuc\ n-am trabuc\ n-am trabuc\
I: da\ da\ DECI nu:/ Meleşcanu e un ă: - eu fac un studiu asupra lui/\ şi mai
studiez la el/\ nu că e un fenomen interesant/\ ştii/ ă: succesul lui care e neaş-
teptat/\ pentru că ă: n-a atacat/\ de obicei în România ai succes/\ cum avem
dacă vrei şi noi aicea/\ (Corpus Pop)
Dans ce dernier type de séquence (10), les locuteurs sont perçus comme
disant des «bêtises», comme ayant «dérivé» dans un discours non sé-
179
rieux, et les langues détiennent toutes une variété d’expressions pour
nommer ce type d’activité. Ainsi, les Français utilisent dire des bêtises,
des conneries, et se sont même forgé le verbe déconner. Dans toutes les
langues, les expressions sont généralement métaphoriques pour nommer
cette déviation du «droit chemin» du discours:
ro a deraia, a se prosti
fr déconner
an to adopt a light-hearted note…
180
Les exemples (11)-(16) qui suivent illustrent quelques-unes de ces sé-
quences. Remarquons de nouveau que ces opérations métadiscursives se
font avec ou sans marqueurs explicites:
(11) FAIRE UNE INTRODUCTION
R mesdames messieurs bonjour/\bienvenue à ZIG ZAG CAFÉ--on peut
s’applaudir là pour un- des BONNes habitudes/\ […] [applaudissements]
(TV5 Zig Zag Café)
(12) FAIRE UN RÉSUMÉ / UN SOMMAIRE
F1: voilà\ d’accord\ donc euh\ comme j’vous l’ai dit on va parler plus lon-
guement tout à l’heure/ et là-d’ssus ou va tout de suite voir le MEnu du jour
je vous XXX tout de suite/ il est pas light\ EN SOMMAIRE aujourd’hui […]
nous irons faire un p’tit tour en Angleterre\ assister au championnat du
monde/ [grimace] vous verrez XXX un groupe XXX dans ces disciplines\
XXX les pays chauds/ les nuits caliente/ il fait des ravages partout où il
passe/ ce soir il vient enflammer le plateau/ XXX Enrique Iglesias [musi-
que]/\ (TV5 Union libre)
(13) ÉVOCATIONS
Lui: (Sans l’écouter.) J’essaie. Je ferme les yeux, je retiens mon souffle, ou
bien je les ouvre très grands, dans le noir, et je me dis, ce doit être comme ça,
on ne voit rien, on croit qu’il fait tout noir, mais il ne fait pas noir du tout, il
fait au contraire un grand soleil. Et on n’y voit rien quand même.
Elle: C’est complètement ridicule. Arrête ces ÉVOCATIONS morbides. (D.
Sallenave, Conversations conjugales)
(14) FAIRE UN PANÉGYRIQUE
– Moi qui m’endors sur tous les livres – la deuxième page, j’ai lu le sien
d’une traite. Sans passer une ligne. Je le trouve génial!
En tant qu’adhérente au mouvement «pour la défense de la langue française»,
l’impropriété du terme «génial» en la circonstance me titille l’oreille. Mais
moins cependant que la SUITE DE SON PANÉGYRIQUE:
– C’est vraiment une femme super! Qui est restée cool! Qui la ramène jamais!
Pourtant, avec la vie qu’elle a eue… (F. Dorin, Vendanges tardives)
(15) FAIRE / ESQUISSER UNE DISSERTATION
L--dessus, Faugerand esquissa UNE VAGUE DISSERTATION sur le cynisme
comme expression de la pudeur, qui sentait tant le réchauffé que Julien eut
envie de conclure que tout l’art de la conversation salonnarde résidait vrai-
semblablement dans la constitution d’un stock de péroraisons régulièrement
répétées. (M. Bredel, Les petites phrases)
(16) FAIRE UNE DIGRESSION
– Je suis le fils de votre amie Marguerite, la Bretonne du «Chapeau Rond».
C’est une autre Clairette, Iris Morbleu, qui m’a donné votre adresse. Je
181
m’appelle Keran comme mon grand-père maternel, Zapelli comme mon père
et parfois Bégonia, comme le clown qui fut mon parrain.
La Bretagne et l’Italie cohabitent sur son visage… dangereusement! La ru-
desse de l’une, présente dans son regard bleu marine et ses traits forts, est
compensée par le charme de l’autre, focalisé dans son sourire et dans ses
gestes. – part quelques romantiques purs et durs, tout le monde reconnaît que
le corps parle avant la tête et que la seconde ne fait qu’obéir aux ordres – par-
fois imbéciles – du premier. D’ailleurs, s’il est courant de dire ou de lire «que
les amants se sont aimés au premier regard», il ne vient – personne l’idée de
dire – ou d’écrire – «ils se sont aimés – la première phrase». Encore que moi,
je le pourrais… Mais, quand il a prononcé sa première phrase, Keran, je
l’avais déj- vu. Le mal était déj- fait.
Pardon, saint Pierre, de cette DIGRESSION! J’EN REVIENS À MES MOUTONS.
(F. Dorin, Vendanges tardives)
182
3.1 La séquence dans l’acception courante
L’idée de suite est présente dans toutes ces acceptions, celle de série
e e e
homogène dans la 2 et la 4 , celle d’insertion dans la 3 acception, alors
que celle de différence n’est impliquée que dans la première.
183
Activité et action sont des notions plus ou moins précises dans ce qui s’appelle
«théorie de l’action», et elles s’y confondent avec les notions d’acte de la théorie
des actes de langage, par exemple. On peut le voir dans les définitions suivantes,
reprises à Bange (1992):
(i) «un comportement d’un individu dans une situation donnée est une ACTION
lorsqu’il peut être interprété selon une intention en vue de la réalisation d’un
but qui lui donne un sens» (p. 207);
(ii) «ACTION (des complexes d’activités comme demander et donner un conseil
qui forment un tout – à la réalisation duquel les participants doivent coopé-
rer)» (p. 64);
(iii) ACTIVITÉ – «la totalité complexe de processus reliés par une orientation
commune et par un but déterminé»; «schémas d’activités comme la narra-
tion, la description, l’argumentation» (pp. 11, 64; c’est moi qui souligne).
184
être des sous-systèmes) ayant des relations entre eux: ces relations définissent la
structure du système; enfin, ce système a une ou des fonctions dans un système
qui l’englobe: cette fonction de la séquence correspond au but (ou au sous-but) à
réaliser. Les éléments constitutifs des systèmes sont eux-mêmes des sous-sys-
tèmes, jusqu’au système élémentaire. […] une séquence ne peut être définie que
relativement aux sous-séquences qui la constituent et relativement à la ou aux
fonctions qu’elle a dans une séquence qui l’englobe» (Bange 1992: 172). C’est
dans ce même cadre qu’on distingue une structuration à plusieurs niveaux de l’in-
teraction – des niveaux s’associant pour constituer une structuration locale,
d’autres s’associant pour constituer une structuration globale (cf. id.: 63). Les
activités représenteraient ici des structures globales et les actions, des structures
subordonnées; la séquence, quant à elle, y est vue comme une unité «naturelle»
enchâssée dans une interaction (SÉQUENCES DE RÉPONSE, DESCRIPTIVES, NARRA-
TIVES, INFORMATIVES, etc.).
Critères Activités
une opération cognitive ANALYSER, FAIRE DES HYPOTHÈSES
objet de séquentialisation NARRER, DÉCRIRE, ARGUMENTER
l’identité du locuteur CITER
convention / modalité discursive PLAISANTER
nouveauté de l’information DONNER DES NOUVELLES/EXPLICATIONS
attitude du locuteur FAIRE DES REPROCHES / EXCUSES / REMARQUES /
UN PANÉGYRIQUE
rapport intratextuel INTRODUCTION, CONCLUSION, RÉSUMÉ,
DIGRESSION
185
3.3 Le niveau intermédiaire de structuration:
entre les ACTES et les TEXTES
4. Conclusions
186
discursive, ou encore parce que leur insertion dans les textes ne semble
pas suivre des règles très évidentes.
4.2. J’ai tenté de donner un aperçu général des appellations courantes
qu’utilisent les locuteurs pour les désigner, afin de cerner plus ou moins
les catégories qui s’en détachent. Ainsi, j’ai recensé dans la langue cou-
rante des expressions verbales constituées d’un verbe-support, sémanti-
quement appauvri (du type faire, exprimer, apporter, donner, lancer,
avancer, etc.), auquel s’ajoute de règle:
(i) un nom déverbal, très souvent au pluriel (désignant, justement, une
série d’actes répétés), ou
(ii) un substantif au singulier indiquant le nom d’une activité verbale.
Trois types de verbes-support ont été distingués dans ces expressions:
Des verbes «incolores» du Un substantif déverbal au pluriel, indiquant la
type faire répétition d’ACTES identiques:
PROMESSES, SUGGESTIONS, COMMENTAIRES,
Des verbes de dire: AFFIRMATIONS, ARGUMENTS, EXPLICATIONS,
dire, exprimer… + HYPOTHÈSES, PROPOSITIONS, INJURES,
LAMENTATIONS, BÊTISES, INDICATIONS,
Des verbes plus ou moins PRESCRIPTIONS, CONSEILS, CONFIDENCES…
métaphoriques: Un substantif indiquant le nom d’une ACTIVITÉ:
apporter, donner, avancer, INTRODUCTION, RÉSUMÉ, RÉCIT, DESCRIPTION,
lancer, se perdre en… ARGUMENTATION, PLAINTE, APOLOGIE,
DIGRESSION, PLAISANTERIE…
4.3. J’ai essayé de proposer quelques repères pertinents pour leur défini-
tion. Partant du constat que les séquences sont des unités multi-critères,
il m’a semblé utile d’en détacher ceux qui semblent définitoires pour les
séquences. Je donne de (i) à (v) ci-dessous quelques couples critère –
caractéristique qui semblent jouer dans la définition des séquences dis-
cursives:
(i) le niveau de structuration: intermédiaire;
(ii) la compositionnalité: suite d’actes formant une activité complexe;
(iii) un critère thématique ou fonctionnel: thème ou fonction détachables;
(iv) leur perception comme entités closes: marqueurs de complétude;
(v) leur perception comme entités distinctes d’autres unités qui les pré-
cèdent ou leur succèdent dans le discours: position dans le texte;
187
unités verbale appartenant à des locuteurs distincts; attitudes dis-
tinctes des locuteurs, etc.
4.4. Il semble dès lors que l’approche de ces unités discursives devrait
plutôt s’effectuer en termes de programmes / parcours discursifs, et c’est
ce que j’ai essayé de voir en traitant ce qu’intuitivement est appelé «fil
du discours» dans Pop 2003a, ou infra, Chapitre 12 Parcours discursifs
et marqueurs: le cas de eh bien.
188
Chapitre 11
189
précisément, je m’intéresserai ici d’un côté à la structure de ce type par-
ticulier de séquences, parenthétiques par excellence, ainsi qu’aux mar-
queurs qui en indiquent les frontières pour les délimiter sur tel ou tel
parcours discursif. Par rapport aux autres types de séquences argumen-
tatives, construisant leurs arguments sur des données objectives, subjec-
tives, interpersonnelles, interdiscursives, etc. du discours, le type observé
ici puise les arguments dans le fonds des connaissances communes des
interlocuteurs. On verra que ce travail montré qu’effectuent les locuteurs
sur les présupposés du discours, travail par excellence de l’arrière-plan, a
très souvent une pertinence argumentative.
Mes constatations s’appuient sur des exemples de discours non pro-
grammés d’avance, appartenant à l’oral, que j’ai en partie repris à des
corpus existants (les Onze extraits de corpus chez Blanche-Benveniste
1990 pour le français, ou CORV pour le roumain), et en partie à mes pro-
pres corpus, en français et en roumain (référencés ci-après Corpus Pop).
190
Mais ces «connaissances partagées» dont parlent les linguistes ne sont
pas toujours si évidemment «partagées» par les locuteurs, qui, eux, ont
besoin de vérifier si leurs partenaires disposent ou non des informations
nécessaires pour une bonne réception du discours. Ce qui amène les lo-
cuteurs:
a. pour le cas idéal des discours programmés d’avance, à «préparer le
terrain» de leur entretien (c’est le cas des INCIPITS / CADRES DISCUR-
SIFS); ou,
b. pour le cas des discours non programmés, spontanés, à effectuer
des contrôles ou des ajustements périodiques au niveau des «savoirs à
partager», à l’aide de séquences parenthétiques, de retour, et renouer
ensuite le «fil discursif» de façon plus ou moins explicite.
La première catégorie de cas observés ci-dessous concernera les savoirs
(supposés) non partagés (1.1.), que les interlocuteurs introduisent expli-
citement dans le discours afin d’effectuer une sorte de «remise à jour»
des informations entre eux et leurs partenaires. Dans un deuxième temps,
il s’agira des savoirs partagés (1.2.), que les locuteurs n’ont qu’à «rap-
peler» à leurs interlocuteurs. Pour les deux situations, on verra que ces
informations offertes aux interlocuteurs pour égaliser les «connaissances
d’arrière-plan» ont parfois une simple visée informative (et sont donc
perçues comme actes ou séquences d’INFORMATION), mais que, très
souvent, elles sont utilisées avec une intention argumentative (et auront
la fonction d’ARGUMENTS). Les exemples illustrent, sur une certaine
échelle de continuité, ce passage, souvent flou, entre informatif et argu-
mentatif.
191
sifs), et les discours non programmés d’avance, où les informations sont
récupérées en cours de route et d’habitude par des séquences brèves et
passagères, pour ne pas déranger «le fil» du discours. Certaines de ces
séquences d’arrière-plan, essentiellement informatives, acquièrent parfois
une visée argumentative.
D’autres fois, ces RAPPELS sont implicites (comme en 5), ne portant au-
cun marqueur particulier:
(5) Vous publiez votre deuxième roman policier… (B. Pivot, Bouillon de culture)
192
2
– pour les cas (1, 2 , 4), les modérateurs des émissions pour leurs télés-
pectateurs;
– pour le cas (3), un professeur pour ses étudiants.
Ces RAPPELS apparents ne sont pas ici de vrais rappels, même s’ils se
présentent, dans la plupart des cas, sous des formes très explicites; ce ne
sont de vrais RAPPELS que si les auditeurs / téléspectateurs ont déjà con-
nu ces informations, ce qui fait qu’on les perçoit souvent comme de
vraies INFORMATIONS nouvelles, auxquelles les modérateurs préfèrent
assigner cette forme explicite de rappels. Pour les interlocuteurs invités
dans ces émissions, qui n’ignorent sûrement pas les informations qu’on
leur «rappelle» de la sorte, il s’agit bien d’un «trope conversationnel»,
typique des trilogues télévisés.
193
parle (la poudrière) n’est que supposée commune, et reste donc incer-
taine, raison pour laquelle le locuteur introduit un AJUSTEMENT INFOR-
MATIF par tu sais afin de faire identifier l’objet par son interlocuteur. Dès
que l’acte de référence est confirmée comme réussi (ouais), le référent
ainsi posé peur être pris pour thème de discours. Avec tu sais, l’opé-
ration qui a lieu est une opération complexe, de RÉFÉRENCIATION et de
THÉMATISATION à la fois, vérifiant l’identité de l’objet discursif, et l’acte
de DONNER UNE NOUVELLE n’est, dès lors, qu’indirectement signalé par
tu sais.
194
narrateurs «en cours de route» (cf. aussi Combettes 1998: 69). En voici
un exemple signalé par vous savez, il y avait et des marqueurs temporels
(l’imparfait, l’adverbe avant) explicitant à l’auditeur, après coup, un
élément du cadre qui n’avait pas été introduit avant (ici l’armoire):
(8) alors pour Noël ce justement là euh mon père il m’avait dit tiens puisque tu
as été – une grande fille – bien gentille c’était la première poupée que j’avais
– à Noël - - il dit mais pour que ton frère ne la touche pas - - euh que quand
tu as besoin tu demandes à maman et tu la donnes – euh elle te la donne vous
savez il y avait de grandes armoires avant – et lui avait mis – en haut de
l’armoire - - et: bon quand j’avais envie je m’amusais (repris à Blanche-
Benveniste)
195
(9’)
Ip voyez
s ils m’avaient et j’étais j’étais tombée là
frappée tombée ds:
D ils m’avaient et j’étais j’étais tombée là
frappée tombée ds:
pp avant il y avait les trottoirs – les
ruisseaux voyez
Pd et j’étais
tombée ds:
NARRATION EXPLICATION D’ARRIÈRE-FOND reprise de NARRATION
196
que l’interlocuteur n’a pas une connaissance suffisante. Dans l’exemple
(11) ci-dessous, le locuteur introduit un référent supposé difficile à gérer
par l’interlocuteur (le conseil d’administration) et va «le situer» dans la
représentation qu’il suppose être celle du récepteur. Après la PAREN-
THÈSE EXPLICATIVE, il renoue son commentaire par une REPRISE en bon
ben (le projet présenté par le conseil d’administration […] bon ben le
projet euh présenté par le conseil d’administration):
(11) mais dans les sociétés ouvertes: dans dans le capitalisme où nous sommes:-
on ne peut pas savoir si: euh:- à l’assemblée générale extraordinaire le
pro:jet présenté par LE CONSEIL D’ADMINISTRATION puisque c’est le conseil
d’administration de la société anonyme qui- - prép- qui convoque l’assem-
blée des actionnaires- bon ben le projet euh: présenté par le conseil d’ad-
minis- de d’administration dans: son rapport à l’assemblée générale des ac-
tionnaires- on ne peut pas savoir s’il obtiendra la majorité- requise (id.)
197
Un exemple similaire est (13) ci-dessous, où une THÈSE doit encore être
appuyée ou réfutée. Il s’agit d’une ÉVALUATION NÉGATIVE, formulée
implicitement par l’expression dépréciative cette fille-là, qui doit être
combattue. A une ANTI-THÈSE, glissée brièvement dans le discours
(segments 10-11: fille-là déjà / ça m’a complètement gêné), suivra une
ARGUMENTATION tout aussi brève (12-13: faut dire qu’elle sortait d’une
famille bourgeoise / elle n’était pas du peuple comme moi), car la narra-
tion (ici le parcours discursif principal) ne devrait pas être trop long-
temps interrompue:
(13) BP: mais un jour1/vous racontez cette scène2/
GS: un jour3/elle nous a trouvés4/en flagrant délit avec Boule5/et elle m’a dit
alors6/c’est cette femme-là ou moi7/tu vas la foutre à la porte immé8/c’est
9 10 11
cette fille-là ou moi /FILLE-LÀ DÉJÀ /ÇA M’A COMPLÈTEMENT GÊNÉ / faut
12
dire qu’elle sortait d’une famille bourgeoise /elle n’était pas du peuple
comme moi 13/alors c’était du cette fille-là14/ eh bien j’ai dit15/ce sera cette
fille-là alors16/c’est tout17/ (Apostrophes)
(13’)
Id 7 8 9 10 16
Md 2 3 6 9 10 11 14 15 16 17
Ip 2 8
s 1 3 7 8 9 11 12 13 14 15 16
D 3 4 5 6 15 16
pp 1 2 3 10 12 13
Pd 1 7 8
Cet exemple est plus hétérogène encore: a) parce que l’insertion dans la
narration est double – un COMMENTAIRE MÉTADISCURSIF (10-11 fille-là
déjà ça m’a complètement gêné) + une EXPLICATION D’ARRIÈRE-PLAN
justifiant ce commentaire-thèse (12-13 faut dire qu’elle sortait d’une
famille bourgeoise/elle n’était pas du peuple comme moi) – et b) parce
que dans la narration s’insère à son tour un discours rapporté. Les opéra-
tions sont représentées dans le tableau (13’) comme suit:
1: CADRAGE NARRATIF (opération subjective/présuppositionnelle et paradiscur-
sive en même temps: s/pp/Pd)
2: RAPPEL MÉTADISCURSIF DIAPHONIQUE (pp/Ip/Md)
3: reprise du CADRAGE (pp/D/Ip/Md)
4-5: NARRATION (D)
6: introducteur de discours rapporté polyphonique/narration (Md/D)
198
7: discours rapporté polyphonique, première FORMULATION ÉVALUATIVE
(Id/s/Pd)
8: discours rapporté polyphonique adressé, ÉVALUATION (Id/Ip/s)
9: discours rapporté, polyphonique, ÉVALUATION REFORMULÉE (Id/Md/s)
10: THÉMATISATION d’une formulation, REPRISE POLYPHONIQUE (pp/Md/Id)
11: COMMENTAIRE MÉTADISCURSIF, ÉVALUATION (Md/s)
12-13: JUSTIFICATION de cette évaluation, rattrapage d’information dans la mé-
moire discursive (s/pp)
14: clôture de séquence métadiscursive, COMMENTAIRE SUBJECTIF (Md/s)
15: suite narrative/introducteur de discours rapporté, RELANCE (D/Md)
16: discours rapporté monophonique, CLÔTURE NARRATIVE (Md/D/s)
17: CHUTE NARRATIVE, opération métadiscursive (Md)
199
quence explicative le fait pour appuyer une information «dans le monde»
(DESCRIPTIONS D), tandis que la séquence argumentative appuie néces-
sairement des informations subjectives s (des ÉVALUATIONS D/s).
Un dernier exemple, cette fois en roumain, montre un cas où le mar-
queur deci (‹donc›) du roumain, par excellence conclusif, introduira une
4
INFORMATION D’ARRIÈRE-FOND non comme une CONCLUSION , mais
comme ARGUMENT à une thèse préalable:
(14) POPORUL ROMÂN ARE FARMEC TOCMAI PENTRU CĂ ESTE UN POPOR
AMESTECAT/↓ oricât ne-am da noi o rasă pură:↓ aşa↓ nu suntem arieni cum
vor nemţii → toţi blonzi↓ şi nu ştiu ce↓ în România sunt bruneţi↓ blonzi↓ cu
ochi migdalaţi↓ cu ochi mai oblici/↓ cu urechi mai mari/↓ cu nu ştiu ce/↓ cu
nasul mai cârlionţat/↓ deci ă: am fost la marginea unor imperii care s-au fre-
cat între ele→ Imperiul Otoman şi Imperiul Rus→ în care ă: expansiunea im-
periilor a trecut pe aici↓ asta e↓ d-aia/↓ NU SUNTEM UN POPOR VECHI/↓ oricât
ne-am ne-am aroga noi VECHIMEA ACEASTA CARE NU ARE ATÂT DE MARE
IMPORTANŢĂ/↓ că s-au văzut popoare vechi/↓ care sfârşesc în dramă↓ sunt
pRÂn Africa popoare foarte vechi/↓ care abia au trei ciulini şi o fântână/↓ şi
trăiesc cu toţi din fântâna aia↓ deci nu asta→ (Corpus Pop)
(LE PEUPLE ROUMAIN A DU CHARME JUSTEMENT PARCE QUE C’EST UN PEUPLE
MÉLANGÉ/même si l’on veut passer pour une race pure/bon/on n’est pas des
Ariens comme le voudraient les Allemands/tous blonds/et que sais-je moi/en
Roumanie il y a des bruns/des blonds/aux yeux bridés/aux yeux de tra-
vers/aux grandes oreilles/et ainsi de suite/au nez un peu retroussé/donc euh
nous avons vécu aux frontières d’empires qui se sont frottés les uns contre les
autres/l’Empire Ottoman et l’Empire Russe/où euh l’expansion des empires
est passée par là/c’est ça/c’est pour ça QU’ON N’EST PAS UN PEUPLE ANCIEN/
même si on s’arroge CETTE ANCIENNETÉ QUI NE COMPTE PAS BEAUCOUP/car on
a vu des peuples anciens/qui finissent en drame/il y a en Afrique des peuples
très anciens/qui n’ont que trois chardons et une fontaine/donc c’est pas ça)
4 Une étude sur les emplois du deci du roumain reste à faire, car à sa fonction argu-
mentative, deci cumule ici une fonction de reprise du fil argumentatif, abandonné,
lui, tout de suite après l’énonciation de la thèse.
200
(ii)vechimea aceasta care nu are atât de mare importanţă (‹cette an-
cienneté qui ne compte pas beaucoup›).
L’ARGUMENT appuyant la première est introduit, comme on l’a vu, par
deci (‹donc›) non conclusif, et l’ARGUMENT appuyant la seconde, par că
(‹car› justificatif). La première reprise du fil discursif s’effectue à l’aide
du marqueur d-aia (‹c’est pour ça›), qui indique la fin de la séquence
d’arguments qui précède; la deuxième reprise discursive se fait par un
deci (‹donc›), cette fois conclusif (v. les deux marqueurs, en dehors des
séquences d’arrière-plan). Il reste que ces APPORTS D’INFORMATIONS
nouvelles ne sont pas moins des ARGUMENTS appuyant des THÈSES et
signalés par des marqueurs typiques de l’argumentation.
Les opérations effectuées sur les savoirs qu’on sait partager avec l’inter-
locuteur ne peuvent en principe avoir de visée informative proprement
dite, ce qui, automatiquement leur confère d’autres fonctions. Les sé-
quences que j’ai recensées ont, au niveau informatif, des fonctions de
RAPPELS ou de TOPOÏ, et au niveau argumentatif la fonction d’ARGU-
MENT. Parfois, il n’y a aucun marqueur spécifique pour les introduire, tel
le TOPOS en (15) ci-dessous, où seule une rupture intonative marque le
changement de séquence:
(15) BP: vous êtes très naïf/vous êtes timide/ce qui me paraît surprenant/
GS: c’est la vérité/
BP: c’est la vérité/
GS: oui/C’EST PEUT-ÊTRE POUR ÇA QUE QUELQUEFOIS JE PARLE TROP FORT ET
J’ÉLÈVE TROP FORT LA VOIX/c’est comme tous les timides/on a des moments
où on explooose/ (Apostrophes)
201
– pour le roumain: cred că am mai povestit (‹je pense avoir déjà raconté
ça›) (20), de obicei (‹d’habitude›) (22), dacă ne gândim (‹si nous pen-
sons›) (23), nu vă gândiţi (‹ne pensez-vous pas›) (25), nu uita (‹n’ou-
blie pas›) (24), etc.
En effet, si on les observe de près, ces marqueurs rappellent de façon
plus ou moins directe:
– que quelque chose a déjà été dit ou «vu» dans le discours: cred că am
mai povestit (‹je pense avoir déjà raconté ça›); oui oui mais tu as vu;
– que quelque chose n’a pas encore été dit et doit donc se dire (v. le
marqueur il faut dire que);
– qu’il y a quelque chose à quoi les locuteurs n’ont pas pensé mais de-
vraient le faire: dacă ne gândim (‹si nous pensons›), nu vă gândiţi
(‹ne pensez-vous pas›);
– que les locuteurs ont oublié quelque chose: nu uita (‹n’oublie pas›), il
y a tout de même;
– qu’il y a des lieux communs à prendre en considération: de obicei
(‹d’habitude›), etc.
A part cette fonction forte de RAPPEL, la fonction ARGUMENTATIVE est
plus ou moins explicitement marquée:
– par parce que (en 16 et 19), puisque (en 11), pour ça (en 15), pour le
français, et
– par pentru că (‹parce que›) (20), pour le roumain.
Enfin, les TOPOÏ (proverbes) bénéficient, à leur tour, de beaucoup de
marqueurs introductifs spécialisés, comme ştii că este o vorbă (‹tu
connais le mot›) en (21) ci-dessous, pour le roumain. Les exemples qui
suivent illustrent un cas ou un autre des constatations ci-dessus:
(16) BP: bon/vous êtes romantique/vous êtes naïf/vous êtes timide/vous êtes
bon/tout ça/mais n’empêche/
GS: je ne suis pas bon/je suis/j’ai mes défauts comme tout le monde
BP: oui mais enfin/vous êtes/excusez-moi l’expression/VOUS ÊTES UN/VOUS
ÊTES/UN/UN DRÔLE DE LASCAR AVEC LES FEMMES/parce que/ vraiment/ VOUS
ÊTES L’INFIDÈLE TOTAL/et il y a/ tout de même/votre/votre première
femme/vous le racontez là aussi/moi j’aimerais bien/ (Apostrophes)
(17) la logique de l’argumentation doit ressortir dans le compte-rendu↑ euh: mais
202
elle ne doit pas être clairement à euh:exprimé↓ hein↑ comme: donc il s’agit
pas du tout euh de tout dire↑ il y a des évidences bien sûr que la l:’auteur ar-
gumente↓ […] oui↓ autre: autre constat n’oubliez pas↑ dans un compte-rendu
de toujours commencer par présenter l’idée générale↑ hein↑ l’idée euh direc-
trice↑ certains ont commencé le compte-rendu sans euh: la thématique euh:
générale↑ en général xxx dans le titre↑ donc ne sautez pas cette étape↓ hein↑
(Corpus Pop)
(18) W4: alors je crois que le terrorisme il faut savoir de quel côté il est – je
pense que dans ce cas il est du côté de Guyotat mais c’
X3: oui oui mais tu as vu qu’il avait les yeux qui clignotaient il était comme
un: comme un animal qu’on sort en pleine lumière et e on a vu d’autres gens
se ridiculiser à Apostrophes en vendant leurs salades (repris à Moeschler)
(19) BP: vous avez des colères de temps en temps/
GS: rarement/ça ne m’est plus arrivé depuis vingt ans/
BP: depuis vingt ans/
GS: oui/depuis que je connais Teresa/ je n’en ai plus eu/
BP: décidément/ELLE EST EXTRAORDINAIRE/TERESA/elle vous a fait perdre
tous vos défauts/
GS: eh bien/parce qu’elle est sereine26/elle est/je ne sais pas/c’est un Saint
Bernard/elle aussi/si je puis dire/je ne sais pas/enfin/c’est une union vraiment
comme je l’imagine/ (Apostrophes)
(20) L-bun↓ dar de ce v-aţi întâlnit cu Roman↑ de ce nu v-aţi întâlnit cu Constan-
tinescu/↓ la Craiova↑
I- DE CE M-AM ÎNTÂLNIT↑ deci ă:: ă:: întâmplarea face că:→ în clipa în care
Roman/↓ ă:: l-a invitat pă: Andrei Pleşu să fie ministru/↓ fără să fie membru
de partid↓ şi fără să-l oblige să vină↓ mie mi s-a părut că Roman totuşi are:→
nu are prejudecăţile pe care le au ceilalţi: ă politicieni vis-à-vis de a- anumite
personaje/↓ ă:: a fost un mare curaj↓ bine↓ şi o chestie↓ l-a sfătuit cineva/↓
sau el a gândit cu soţia lui/↓ care e o femeie deşteaptă↓ să mizeze pă Pleşu↓
Pleşu e: → Andrei Pleşu e cel mai bun prieten al meu↓ aşa↓ aşa↓ în afară de
faptul că a:m→ ă:: cred că am mai povestit/↓ ă:: acum că au fost alegerile/↓
acum trei ani sau doi ani↓ câţi au trecut↑ trei sau doi↑
L- dÎn96→ trei ani↓
I- trei ani↓ ă: Petre Roman m-a sunat la uşE↓ deşi noi nu eram prieteni↓ şi:: ă:
m-a întrebat dacă vreau să candidez senator sau deputat/↓ şef pe listă/↓ chiar
la top Bucureşti↓ i-am mulţumit/↓ şi i-am zis dom’le/↓ mulţumesc↓ nu ştiu
ce↓ da’ nu mă interesează chestia asta să devin senator sau: deputat↓ DA:R
TELEFONU’ ĂSTA A FOST IMPRESIONANT/↓ pentru că n-a venit la mine nici
PNŢCD-u’/↓ care mizase pă poetesa Leonida Lari/↓ care i-a şutit↓ şi a trecut
imediat la PRM↓ nu↑ nu m-a sunat nici: ă:→ n-a venit la mine nici: ă: Quintu
s/↓ care e epigramist↓ şi având în vedere că şi eu scriu epigrame mai lungi/↓
adică poezii cu mai multe: strofe↓ aşa↓ eram colegi/↓ singurul care a fost la
203
mine acasă/↓ sunând la uşE/↓ a fost Petre Roman↓ asta mi-a rămas cu::→
aşa↓ (Corpus Pop)
(L- bon/mais pourquoi vous avez préféré voir Roman/pourquoi vous n’avez
pas rencontré Constantinescu/→ Craiova/
I- POURQUOI J’AI PRÉFÉRÉ VOIR ROMAN/alors euh euh le hasard fait que – au
moment où Roman/ euh a invité Andrei Pleşu à devenir ministre/sans qu’il
soit membre du parti/et sans l’obliger à devenir/j’ai eu l’impression que Ro-
man a – n’avait pas les préjugés qu’ont les autres euh politiciens vis-à-vis de
certains personnages/euh c’était un acte de grand courage/bon/et autre
chose/ou quelqu’un l’a conseillé/ou c’est lui qui y a pensé avec sa femme/qui
est une femme intelligente/de mettre la mise sur Pleşu/Pleşu est – Andrei Ple-
şu est mon meilleur ami/bon/bon/en dehors du fait que j’ai – euh je pense
avoir déjà raconté ça/euh il y a au moment des élections/il y a trois ou deux
ans/combien sont passés/trois ou deux/
L- depuis 96/trois ans
I- trois ans/euh Petre Roman a sonné à ma porte/on n’était pas amis/et euh il
m’a demandé si je voulais poser ma candidadture pour sénateur ou dépu-
té/tête de liste/dans le top à Bucarest/je l’ai remercié/et lui ai dit mer-
ci/etcetera/mais ça ne m’intéresse pas de devenir sénateur ou député/mais CE
COUP DE FIL A ÉTÉ IMPRESSIONNANT/car ce n’est ni le PNŢCD/qui avait misé
sur la poétesse Leonida Lari/qui les a largués/passant direct au PRM/non/ni
Quintus/qui est épigrammiste/et vu que j’écris aussi des épigrammes plus
longues/c’est-à-dire des poésies à plusieurs strophes/bon/on était collègues/le
seul qui soit venu chez moi/et a sonné à ma porte/a été Petre Roman/ceci
m’est resté avec – bon)
(21) preţul la floarea soarelui e acelaşi din anul trecut în vreme ce motorina// deşi
s-a vopsit în roşu/ aşa/ ASTA MI SE PARE E O GĂINĂRIE ROMÂNEASCĂ// ştii că
este o vorbă la un moment dat domnule umbli cu cioara vopsită/ ei bine ăştia
au umblat cu motorina vopsită (id.)
(le prix du tournesol est le même que l’année dernière tandis que le die-
sel//bien qu’on l’ait peint en rouge/bon/C’EST UNE MAGOUILLE ROUMAINE À
MON AVIS//il y a un mot tu sais à un moment donné dorer la pilule/eh bien ils
ont doré le gazoile)
(22) L-domnul Meleşcanu./↓ vi se pare să aibă şanse↑
I-domnule↓ Meleşcanu pentru mine:/↓ e o:: e un mister/↓ aşa↓ el are o deli-
cateţe::→ dacă vrei înnăscută/↓ care nu se compară ă:: cu:: candidaţii lu’::→
dacă vreţi cu restul candidaţilor/↓ adică e un om care n-a supărat pă nimeni/↓
[…] Meleşcanu e un ă:→ eu fac un studiu asupra lui/↓ şi mai studiez la el/↓
nu că e un fenomen interesant/↓ ştii↑ ă: SUCCESUL LUI CARE E NEAŞTEPTAT/↓
PENTRU CĂ Ă: N-A ATACAT/↓ de obicei în România ai succes/↓ cum avem dacă
vrei şi noi aicea/↓
L- dacă atacăm↓
I- nu↓
204
L- da’ dacă nu/↓ atacăm şi ne aparăm↓
I- dacă eram oameni cumsecade/↓ Tucă↓ dacă ăsta-seară/↓ apăream doi băieţi
cumsecade/↓ şi-l lăudam aici/↓ nu aveam succes/↓ UITE CĂ EL NU ATACĂ/↓ ŞI
ARE SUCCES↓ (id.)
(L- Monsieur Meleşcanu/il peut gagner → votre avis/
I- eh bien/Meleşcanu pour moi/c’est une c/est un mystère/bon/il a une cer-
taine délicatesse ─ innée si tu veux/qui ne se compare euh aux candidats de –
au reste des candidats si vous voulez/c’est donc un homme qui n’a fait de mal
à personne/[…] Meleşcanu est un euh – je fais une étude dessus/et ce que
j’étudie encore sur lui/c’est un phénomène intéressant/tu sais/euh SON SUCCÈS
QUI EST INATTENDU/PARCE QUE EUH IL N’A PAS ATTAQUÉ/d’habitude en Rou-
manie on a du succès/comme ici si tu veux/
L- si on l’attaque/
I- non/
L- mais sinon/on attaque et on se défend/
I- si on avait été des gens comme il faut/Tucă/si ce soir/on avait été des gars
comme il faut/et on lui avait passé la brosse/on n’avait pas eu de succès/eh
bien LUI IL N’ATTAQUE PAS/ET IL A DU SUCCÈS)
(23) la începutul acestui mileniu↓ nu mai străbatem singuri istoria↓ îl avem acum
pe Sfântul Apostol Andrei↑ şi proclamat ca apostol al nostru↓ ÎNSEMNĂTATE
COVÂRŞITOARE PENTRU NOI PENTRU ROMÂNI↑ dacă ne gândim↑ că acum opt-
zeci de ani↑ episcopul îndreptăţit↑ ales canonic↑ pentru această eparhie↑ a
fost hirotonit în afara cetăţii ↓ şi-aici trebuie să ne gândim↑ câte eforturi↑ a
pus: acest: binecuvântat slujitor al bisericii noastre în vremea aceea când nu
se puteau face biserici ortodoxe în cetăţile atât de frumoase ale Transilvaniei
şi la Arad↑ şi la Sibiu↑ şi în alte părţi↓ (id.)
(au début de ce millénaire/nous ne parcourons plus seuls l’histoire/nous
avons à nos côtés le Saint Apôtre André/et proclamé notre apôtre/SIGNI-
FICATION IMPORTANTE POUR NOUS LES ROUMAINS/si nous pensons/qu’il y a
quatre-vingts ans/l’évêque en droit/élu chanoine/pour cet évêché/a été sacré
extra muros/et ici nous devons penser/combien d’efforts/a déposés ce servi-
teur béni de notre église à cette époque où on ne pouvait pas faire des églises
orthodoxes dans les si belles cités de Transylvanie et à Arad/et à Sibiu/et ail-
leurs)
(24) LDJ: Tu când aveai vârsta mea <Î Nu aveai durerile astea. Î> Aveai serVi
ciu↑ te sculai voios↑ te duceai la slujbă↑ tropăiai toată ziua↑..
GD: Ba da↓ AM AVUT ŞI EU DURERI.
LDJ: nu nu aveai. <MARC probleme MARC> ca să-ţi (AK) să te mişti. Să
păşeşti ca mine.
GD: Nu uita::↑.. nu uita ↑..c-atunci când eu am plecat pă front↑ îmi lăsasem
acasă . bicarbonatu. Şi . de CINsprezece ani↓ din FRAgedă tinereţe↓ pentru
că mâncam pe la canTine↓ pe la . /Î cantina aia↓ a căminului↓ unde era mân-
205
care PROASTă↓ Aspră↓ făcută de un grăjDAR. . Era o mâncare <Î INAC-
ceptabilă I> pentru /I:. Asta (repris à CORV)
(LDJ: toi quand tu avais mon âge/tu n’avais pas mes douleurs/tu avais un
boulot/tu te réveillais content/tu allais à ton boulot/tu trottais toute la journée/
GD: mais si/MOI AUSSI J’AI EU DES DOULEURS
LDJ: non tu n’en avais pas/des problèmes/pour bouger/pour marcher comme
moi
GD: n’oublie…/n’oublie pas/que lorsque je suis parti sur le front/j’avais ou-
blié à la maison mon bicarbonat/et depuis quinze ans/depuis ma plus tendre
jeunesse/car je mangeais dans des cantines/dans cette cantine du foyer/où la
nourriture était mauvaise/âpre/faite par un valet d’écurie/c’était une nourri-
ture inacceptable/pour/ça)
(25) LDJ: Ca TEme propriu-zise de cercetare?
VJ: Ca TEme↓ zice Să NU vină ecologiştii şi: mai ştiu eu cine să spună să
NU-ntrebuinţăm ierbicide↓ să NU-ntrebuinţăm îngrăşăminte CHImice↓ . sin-
Tetice↓ să NU-ntrebuinţăm nu ştiu ce↓ că nu ştiu ce se-ntâmplă. <R Zice R>
NU FACE DECÂT SĂ DEA ECONOMIA ÎNAPOI↑ SĂ RIDICE PROBLEME ECONOMICE
INSURMONTABILE↑ şi eventual să-i facă pe unii care produc medicamente
aŞA-zis naturiste↓ sau fermele-alea biologice care-s îngrăşate numa cu gunoi
de la animale↑ zice ca să vândă de cinci ori preţul↓ <R zice. R> aTÂta-l fac.
LDJ: să vândă mai (AK) cu preţ mare. Devine o afacere a ecologiştilor.
VJ: Da. <P Exact. Exact. P> Zice Nu vă gân<Î diţi↓> că au fost / î: rezolvate
problema . problema problema: /î: . . . . (AK) probleme GRAve alimentare↓.
In Mexic↓ în India↓ prin aportul↑ ştiinţific↑ modern↑ în agriculTUră↓ care//
LDJ: înseamnă să renunţăm la:
VJ: <R zice R> ÎNSEAMNĂ SĂ RENUNŢĂM LA ASTEA?..E O NEBUNIE. (id.)
(LDJ: comme sujets de recherche proprement dits?
VJ: comme sujets/i disent qu’ils ne veulent pas entendre les écologistes nous
dire de ne pas utiliser des herbicides/de ne pas utiliser des engrais chimi-
ques/synthétiques/de ne plus utiliser je ne sais pas quoi/de peur qu’il n’arrive
je ne sais pas quoi/i disent/ÇA NE FAIT QUE RECULER L’ÉCONOMIE/SOULEVER
DES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES INSURMONTABLES/et éventuellement faire à
ceux qui produisent des médicaments soit-disant naturistes/ou ces fermes
biologiques où l’ont n’utilise que des déchets d’animaux/i disent vendre cinq
fois le prix/ils disent/c’est tout ce qu’ils font
LDJ: vendre plus/à un prix plus grand/ça devient une affaire des écologistes
VJ: oui/exact/exact/i disent/vous ne pensez pas qu’on a résolu le problème/le
problème/les problèmes/euh de graves problèmes alimentaires/au Mexique/en
Inde/par l’apport/scientifique/moderne/en agriculture/qui//
LDJ: ça signifie renoncer à
VJ: i disent/ÇA SIGNIFIE RENONCER À TOUT ÇA/C’EST UNE FOLIE)
206
4. Parcours discursifs et marqueurs
Les séquences discursives que j’ai prises ici en considération sont bien
des unités discursives représentant des opérations d’incursion dans les
connaissances à partager ou déjà partagées par les locuteurs. On vient
de voir les marqueurs qui interviennent plus ou moins explicitement pour
indiquer l’entrée sur ces parcours «hors-piste». Très souvent, la clôture
de ces séquences interstitielles est marquée aussi, mais cette fois, les
marqueurs sont moins spécialisés et se confondent, dans la plupart des
cas, avec les marqueurs de structuration du discours: leur fonction n’est
plus celle d’indiquer le type de parcours qui va être parcouru, mais tout
simplement le fait que celui-ci prend ou a pris fin. On a vu dans les
exemples ci-dessus au moins deux types de marqueurs:
– marqueurs de fin de séquence et
– marqueurs de relance discursive.
Des marqueurs comme voyez (9), aşa (‹ainsi› = bon) (20), signalant la
clôture de la séquence en cours, sont ici de vrais ponctuants, laissant à
entendre que le parcours discursif interrompu va ou peut être repris.
Peuvent également être considérés des marques de clôture les
REFORMULATIONS et les marqueurs de FIN D’ÉNUMÉRATION, qui indi-
quent en général une saturation des séquences descriptives. Il en va ainsi
de l’exemple (19), où le locuteur continue de reformuler jusqu’à l’obten-
tion d’une formule convenable, ou encore de (23), où le locuteur indique
la fin de son ÉNUMÉRATION par şi în alte părţi (‹et ailleurs›). Des mar-
queurs de fin de parcours tout aussi intéressants me semblent les formu-
les corrélatives, qui, dès qu’elles sont «remplies», signalent une structure
complète. Cela semble être le cas avec l’exemple (15) où le locuteur,
construisant une séquence en c’est… c’est… (c’est peut-être pour ça que
quelquefois je parle trop fort et j’élève trop fort la voix / c’est comme
tous les timides), indique les limites du parcours discursif qu’il propose à
l’interlocuteur. Enfin, le POST-THÈME, tel cet escalier en (10), me semble
207
avoir le même rôle, de «boucler» une structure par reprise symétrique du
thème:
mais là pas du tout – pas du tout – CET ESCALIER je le montais – il faut dire que –
euh à ce moment-là j’avais pas soixante-seize ans hein – mais malgré tout – ton
grand-père – disait qu’il était balancé qu’il était bien balancé CET ESCALIER.
Ils sont très divers. Ainsi, les parcours narratifs, s’ils sont interrompus
par diverses structures parenthétiques, sont le plus souvent repris par et
(en 8, 12). Un autre marqueur de relance dans mes exemples a été bon
ben (en 11), suivi tout de suite après par une REPRISE LEXICALE. En (13),
c’est le marqueur alors, reconnu, lui, comme structurant. Enfin, dans les
exemples en roumain, j’ai remarqué d’aia (‹c’est pour ça›) et deci
(‹donc›) en (14), plus argumentatifs, mais aussi ei bine (‹eh bien›) en
(21), et uite că (‹voilà que›) en (22) .
5
Une autre preuve semble en être les marqueurs déictiques, qui, eux, sont
près de la monstration; on en a dans des formules utilisant des déictiques
proprement dits, comme:
aşa (‹ainsi, comme ça›) en (20)
deci nu asta (‹donc c’est pas ça›) en (14)
d-aia (‹c’est pour ça›) en (14)
6
mais aussi des marqueurs interjectifs comme:
ei bine (‹eh bien›), en (21).
208
5. Conclusions
209
Chapitre 12
Les dictionnaires de langue (dont je ne cite ici que les plus accessibles)
font une mention très réduite de l’expression figée eh bien. Le Petit Ro-
bert (1968) la traite, sans aucune glose, sous l’entrée de l’interjection eh
e
(E XI , attestée comme variante de hé), et les exemples Eh bien et Eh
211
quoi! ne sont ni contextualisés ni expliqués. L’article destiné à Ei du
roumain dans le DEX semble, par contre, mieux rédigé:
EI interj. Exclamaţie care a) introduce, însoţeşte, întăreşte sau exprimă o între-
bare; b) exprimă sau însoţeşte şi întăreşte un îndemn, o mustrare, o poruncă;
c) exprimă mirarea; d) arată trecerea de la o idee la alta. – Onomatopee. (DEX)
(EI interj. Exclamation qui a) introduit, accompagne, renforce ou exprime une
question; b) exprime ou accompagne et renforce une exhortation, une répri-
mande, un ordre; c) exprime l’étonnement; d) montre le passage d’une idée à une
autre. – Onomatopée)
212
(1) E încruntat. – Ei? întreb. (Caragiale) (I p. 430)
(Il a le front plié. – Eh bien? je lui demande.)
On voit bien que eh bien ou ei bine ne sont point considérés comme ex-
pressions de la langue, ou très peu, par les dictionnaires et les grammai-
res. L’analyse du discours, et plus particulièrement du dialogue, viendra
récupérer cette forme comme «Gliederungssignal» (Gülich 1970), «mot
du discours» (Ducrot 1980), «appui du discours» (Luzzati 1985),
«connecteur discursif» (Roulet et al. 1987), «marqueur discursif» / «dis-
1
course marker» (Shiffrin 1987 ; Andrews 1989; Hansen 1996), etc. Dans
la multitude des approches discursives, quelques types ont pu être déli-
mités, certains plus sémantiques (1.2.1.), d’autres plutôt «périodiques»
(1.2.2.), ou cognitifs (1.2.3.).
213
logique plus générale: dans les formules argumentatives générales où il
est censé se manifester
(S – Q) → C, (non-(S – Q’)) → C (cf. aussi Hansen 1996: 317)
214
1.2.2 Une approche périodique de eh bien
L’analyse de Luzzati (1985) sur ben – dans les termes de l’analyse pé-
riodique du discours – est assez proche des analyses de type structura-
tion, car moins sémantique. Si, pour leur sens général, la structuration et
l’organisation périodique du discours sont toutes les deux de nature mé-
tadiscursive, pour ce qui est de leurs sens particuliers, la première semble
concerner plutôt l’organisation des unités segmentales (et utilise des
marqueurs verbaux du type connecteurs), tandis que la deuxième, le tra-
vail suprasegmental (indiqué par des marqueurs prosodiques). Il est évi-
dent que les deux activités vont de pair.
(2) on en a un
sers-moi un chocolat bon ben s’il est 8 heures du matin
qu’il vient de déjeuner ben c’est un rouge tu vois
s’il est 11 h. de l’après-midi ben c’est un pastis
(Luzzati 1985: 62)
215
– condition (vs résolution; cf. Luzzati 1985);
– repère (vs repéré; cf. Morel 1993);
– cadre (cf. Larroux 1994; Hansen 1996) ou cadrage (cf. Morel 1992);
– support (vs apport dans les théories cognitives).
Et nous voilà, avec certains de ces concepts, trop vite tout près des pers-
pectives cognitives sur le discours.
Mais arrêtons-nous avant à la description périodique du marqueur.
Rappelons que, dans les termes de Luzzati, une période est une unité
formelle et sémantique constituée de trois termes, dont les deux derniers
plus saillants:
– la tension (le sujet, le thème);
– la condition (explication, cause, justification);
– la résolution (l’essentiel, le but de l’énoncé).
Voici un exemple simple de période chez Luzzati (1985: 63):
(a) TENSION CONDITION RÉSOLUTION
Pierre quand il a faim ben il mange quoi
alors hein
Comme dans son exemple précédent (2), ben semble ici équivalent fonc-
tionnel d’un eh bien.
A son tour, Berrendonner (1993) remarque la récurrence d’un schéma
intonatif pour les «mouvements discursifs» (considérés des unités de
rang supérieur intégrant les unités discursives minimales que sont les
énonciations); ce schéma serait formé de deux parties:
(b) Clauses porteuses d’un intonème continuatif ↑ + Clause porteuse d’un into-
nème conclusif ↓
216
convenir à la plupart des emplois de eh bien: il viendrait, et ce, de façon
prototypique, annoncer la fin d’un mouvement discursif:
2
– ou apès une période initiale (incipit )
– ou après une période emboîtée (incidente),
périodes dont la fonction principale serait celle de «préparer / ajuster le
3
cadre», en temps utile ou après coup, pour l’énonciation principale .
Cette dernière énonciation est effectivement finale et équivaut, dans une
acception plus abstraite, à ce qu’on pourrait appeler un «aboutissement
discursif» (à un énoncé visé / intentionné, qui, lui, peut ne pas être «fi-
nal» au sens propre du mot). C’est là, me semble-t-il, la fonction structu-
rante essentielle de eh bien:
indiquer que le travail préparatif au niveau de la mémoire discursive a pris fin et
que ce qui suit est bien une énonciation principale.
2 Forme narrative d’annonciation qui ouvre un espace mental dans lequel le lecteur
est prêt à recevoir d’autres informations (cf. Joly & O’Kelly 1998: 351). Concept
narratif, pris ici dans un sens plus étendu.
3 V. supra, Chapitre 11 Parcours discursifs et séquences argumentatives…
217
cites de ce travail sur les «savoirs» sont en italiques (à remarquer les
verbes savoir, connaître, entendre parler, croire, des expressions comme
faut dire que, puisque c’est comme ça, conditionnelles en si, quand, etc.),
précédant des séquences généralement senties comme «préparatoires»:
(3) … arrondissements et parce qu’il faut savoir qu’il y a beaucoup d’en / d’en-
fants et qui sont hospitalisés et ° ° pas uniquement des enfants d’ailleurs ° (h)
et e ben quand ces enfants sont / sont dans un hôpital (repris à Coste)
(4) Le professeur: Vous savez l’anglais, hein?
L’étudiant: Ben, pas très bien.
Le professeur: Mais vous avez déjà entendu parler de Schegloff?
L’étudiant: Pas vraiment.
Le professeur: Eh bien, vous nous présenterez quand même son papier sur
les pre-pre au prochain séminaire (repris à Roulet et al.)
(5) Grock: Vous connaissez le célèbre pianiste Paderewski?
Partenaire: Paderewski?
Grock: Oui.
Partenaire: Bien sûr.
Grock: Eh bien, il joue encore mieux que moi (repris à Auchlin)
(6) [première bulle] Au fond… on pourrait croire qu’aux échecs… il y a plus de
mauvais joueurs que de bons. [deuxième bulle] Eh bien c’est faux! Il y a
exactement le même nombre de gens qui gagnent des parties que de gens qui
en perdent (Geluck)
(7) Si les patrons de bistrot étaient moins aimables avec le client, le client irait
moins au bistrot et l’alcoolisme régresserait.
– Roger, un muscadet!
– Tu vois pas que je suis occupé, connard! Gros cul! Sac à merde!
– Ah bon! Eh bien! Puisque c’est comme ça, je vais le boire en face ce mus-
cadet! (Geluck)
(8) si vous êtes euh au-dessus de la Roquette eh ben vous avez rue de la Ro-
quette vous avez vous avez le Panthéon qui c’est qui y a pas été – l’Arc de
Triomphe – la Tour Eiffel – bon ben c’est tout (repris à Blanche-Benveniste)
(9) […] moi j’ai appris avec délice que quand un certain Jean-Paul Sartre lui a
apporté Mélancholia qu’il a trouvé un peu triste eh bien il a dit on va appeler
ça La Nausée et puis ça a marché (repris à Hansen)
218
(6’) CONDITION RÉSOLUTION
[première bulle] [deuxième bulle]
Au fond… on pourrait croire Eh bien c’est faux! Il y a exactement
qu’aux échecs il y a plus de le même nombre de gens qui gagnent
mauvais joueurs que de bons. que de gens qui perdent.
Faisons la mention, comme dans les autres analyses, que les mouve-
ments discursifs articulés par eh bien peuvent être des mouvements
phrastiques (ex. 8, 9 et a) ou transphrastiques (les autres exemples):
– dans le premier cas de figure, la période préparative (la «CONDITION»
de Luzzati) correspond à une subordonnée circonstancielle ou condi-
tionnelle et reste intonativement ouverte (contour ascendant);
– dans le deuxième cas de figure, la période préparative correspond à
une séquence intonativement close (contour descendant).
Lors du fonctionnement dialogal du marqueur, il vient généralement:
– en début de réponse, satisfaire à une question (contour généralement
ascendant) et annonçant donc une «RÉSOLUTION» / clôture;
– comme question à lui tout seul.
219
Hansen (1996) attribue à la séquence «X eh bien Y» le contenu codifié
d’une double instruction que le locuteur donnerait à l’interlocuteur:
1) comprendre Y comme actualisant un des éléments d’une comparaison ou
d’un contraste, et chercher le modèle mental du discours pour un second élé-
ment qui peut ou non être manifeste dans X;
2) comprendre la pertinence de Y comme dépendante de la compréhension de X
et, dans la plupart des cas, vice-versa (cf. id.: 337).
4 Pour donc présent dans les interrogations, Culioli nous renseigne: «Interroger, c’est
parcourir, de façon abstraite, les valeurs imaginables sans pouvoir en distinguer une
qui soit valide». Donc «renforce effectivement l’interrogation, avec des effets di-
vers que l’on peut gloser comme de la surprise, de l’impatience, de l’irritation,
parce qu’on n’arrive pas à la fin du parcours» (p. 171).
220
(e) →→→→ ↓]
[ ↑↑↑↑↑↑↑ eh bien ↑
221
2. Actualisations du parcours: la sémantique
de eh bien et ses équivalents en roumain
222
(10’)
GS 1-7 8-9 10-11 12 13-14 15
Id 5-7
Md c’est tout
Md 4 fille-là alors c’était eh bien j’ai dit
déjà du cette-
fille-là
S eh bien c’est tout
D un jour… j’ai dit
Pp un jour… faut dire qu’elle…
Pd eh bien
Pro ↓ ↑ ↑ ↓ ↑ ↑ ↓
223
e(i) (ex. 16, 17, cf. 32 hé du français). La plupart des contextes similaires
d’utilisation révèlent en fait des équivalents fonctionnels très surpre-
nants. J’ai tenté de les repérer dans des schémas discursifs comme ceux
établis ci-dessus de (a) à (e), et la remarque générale qui s’impose est
que ces marqueurs, morphologiquement si différents en roumain, actua-
lisent bien le sémantisme général du marqueur eh bien en français:
– tant au niveau des opérations discursives essentielles impliquées dans
l’énonciation (cf. les «espaces discursifs» dans Pop 2000a);
– qu’aux niveaux cognitifs essentiels (ARRIÈRE-PLAN – AVANT-PLAN,
cf. 2.2.1.-2.2.2. ci-dessous).
Les exemples de (13) à (39) en roumain montrent plusieurs marqueurs
équivalents de eh bien pour cette langue, et ce, dans diverses actualisa-
tions des schémas discursifs prototypiques pour son fonctionnement,
avec leurs deux plans essentiels: l’ARRIÈRE-PLAN et l’AVANT-PLAN,
schémas où:
un travail d’ARRIÈRE-PLAN discursif est généralement suivi d’une montée à
l’AVANT-PLAN.
Ce travail peut aussi rester implicite (dans les exemples de (15) à (17), il
n’est pas marqué). L’observation la plus importante qui s’impose est la
suivante:
Après ce travail sur l’arrière-plan, la montée au premier-plan sera à chaque fois
marquée par un ei (bine):
(13) ştim că în domeniul agricol specialiştii pînă una-alta sînt inginerii agronomi↓
ei bine la ora asta inginerii agronomi sînt nişte sinucigaşi şi nişte oameni
care şi-au amanetat casele la bancă↓ (Corpus Pop)
224
(14) grîul /ăă/ s-a făcut prost anu’ ăsta şi preţu’ este absolut /ăă/ n-are nici o le-
gătură cu realitatea /ăă/ floarea s / preţul la floarea soarelui e acelaşi cu cel
din anul trecut în vreme ce motorina // deşi s-a vopsit în roşu / aşa / asta mi
se pare e o găinărie românească / ştii că este o vorbă la un moment dat / do-
mle umbli cu cioara vopsită // ei bine ăştia au umblat xxx cu motorina vop-
sită (id.)
(15) Dacă punem la socoteală moldoveneasca cultă, rezultă un total de şapte lim-
bi străine cunoscute de noul domn […] Ei bine, înarmat cu acest arsenal fi-
lologic, Teo a pornit-o uşurel spre Iaşi într-o frumoasă după-amiază de
toamnă, pe la vîrsta de şaizeci de primăveri. (Academia Caţavencu 504: 14)
(16) …şi-n primăvară m-am băgat într-o asociaţie d-asta / ş-am investit în agri-
cultură // aşa-m ajuns de cumpăr 5 tractoare / româneşti / care sînt proaste
deşi sînt noi / tră să recunosc c-am greşit / trebuia să cumpăr două mai vechi
germane şi două combine class la mîn-a doua // ei / am investit în agricultu-
ră… (Antena 1)
(17) am zis că poate nu / nu-i anunţă p-ăştia şi scap / văd şi eu ce situaţie-i aicea /
aşa / şi poate pun mîna pe el // E, adevăru ăsta a fost că a venit imediat cu ei
/ cu securitatea / a-nconjurat casa / a-nceput să tragă cu automatele deasupra
casei (Memorialul durerii)
Des marqueurs moins explicites sont présents dans les exemples pour
ce plan narratif dit «second»:
– des imparfaits (20, 21, 29, 32, 34, 35);
– des adverbes d’antériorité comme deja / déjà (28), înainte / avant (36);
– contraste temporel présent-passé composé (26, 36);
– THÉMATISEURS, tels les verbes a avea / avoir (30) ou a fi / être (34);
– că / parce que de JUSTIFICATION (28);
– moyens lexicaux anaphoriques aţi spus / vous avez dit (27), în aceste împre-
jurări / dans ces circonstances (18), pe baza asta / sur cette base (20);
– si (8);
– quand (9), etc.
225
– anaphoriques:
pe baza asta (20) (cf. ah bon et puisque c’est comme ça en 7), etc.
(18) Să nu vă imaginaţi, care cumva, că D.G. n-ar avea probleme personale. Are
două mari şi late. Prima e legată de terenul pe care l-a moştenit […]. Vreo 17
hectare de mlaştină a-ntîia […]. Booon. În atari împrejurări, cumplit de
triste pentru moştenirea sa, G. pune ochii pe un teren la şosea… (Academia
Caţavencu 504: 3)
(19) Cu banii primiţi din străinătate, actualul şef al PNŢCD şi-a tras la scară o
maşină de serviciu, pentru zonele greu accesibile din Munţii Apuseni. Bun,
zicem noi, acuma că aţi pus la punct fundaţiile, ce urmează să construiţi,
fraţi ţărănişti… (id.: 8)
(20) era acolo o bucăţică de hîrtie / care trebuia să o rup de la ordinu de chemare
un cotor / şi să-l trimit înapoi // nu l-am trimes // pă baza asta ei m-o ţinut ei
m-o ţinut înscris (repris à Teiuş)
(21) era unu Costea-n Crinţ // gazdă bună / că să-l las şi pe el tovarăş / că plăteşte
şi el un om / să-şi gunoiască pămîntu // mi-o părut bine că-i om din sat / şi /
cunoaşte… oamenii / cunoşteam şi eu da nu ca el // no bine // pînă o fost
vreme bună / eu am abzis de tot / / pînă o fost vreme bună / s-o mai ocupat şi
el de ele // le-o mai muls / pîn-o făcut o ţîr de brînză (repris à Teiuş)
226
mîinile domnule în obraz / aşa / şi i-a tras / aşa era ca şi cînd tragi în pămînt
(id.)
(24) i-au imobilizat văzînd că ăştia fac uz dă armă / i-au imobilizat / i-au degradat
/ i-au dezarmat / au rupt legăturile telefonice şi au zis domle // ori ei ori noi /
mai bine murim (Memorialul durerii)
(25) am cunoscut ingineri agronomi care / fiind specialişti în agricultură / într-o
perioadă în care – regimul politic se reclamă de la specialişti – nu / că aşa au
venit la putere c-au 15000 de specialişti / aşa / iată mi-am dat seama că spe-
cialiştii în agricultură sînt nişte sinucigaşi (Corpus Pop)
(26) cînd mă duc ş-ajung în capu satuli / auz că se scutură oaia cu clopotu // am
cunoscut clopotu / iacă oile-s aicea // le-o fost băgat bietu om într-o curte /
în capu satuli / de vremea aia grozavă (repris à Teiuş)
(27) – aţi spus înainte că viaţa dvs aici a fost o luptă pe viaţă şi pe moarte
– doamnǎ / a fost / să ştiţi / o luptă / nu s-a… copii mei şi io personal / io /
am fugit că n-am mai avut ce să fac / dar am luptat (Memorialul durerii)
tous avec une valeur plus forte que leurs équivalents morphologiques en
français:
(28) frate-miu deja a luat-o la el pe mămica / că eu nu puteam / n-aveam condiţii
/ stăteam într-o dărăpănătură / într-o periferie la Malu Roşu / fugită / fără
lemne / vai …// Şi-a luat-o frate-miu (Memorialul durerii)
(29) atuncea ei ziceau: // «da şezi mătuşă [neinteligibil]» ice / «că poate vine ca-
reva şi-l fură» // «fure-l dracului» / zic «că nu mai am grijă de el» // [!] Şi-
apoi nu l-o furat // şi-am ajuns cu el pînă acasă // (repris à Teiuş)
(30) io am avut un geamantan / cînd ne-am dus în co /- m dus ouă // ap-atuncea
ouăle pe tren tot cura în cap la un domn (id.)
(31) odată m-o-ntrebat băiatu / păi să-ţi faci un calcul cam cît / să-ţi deie Nicu
banii // poi n-am făcut nici un calcul (Corpus Pop)
(32) cel mai//cel mai mare şarpe a venit la stomac / aici s-a-nfăşurat // ăsta mă
strîngea cel mai rău/ la picioare nu / nu mai simţeam / ziceam că picioarele
mi-s băgate-n beton picioarele // ei / aicea mă sufoca rău / aicea era leşin nu
mai aveam aer să mai respir ş-am băgat aşa două degete aşa să pot să // n-am
putut să rup nimic să // Ş-atunci cînd am văzut că nu mai am aer / nu mai am
nimica / am căzut cu spatele pă perete / pă peretele ăla dă ciment şi s-a în-
tîmplat că şarpele s-a rupt cu greutatea cu care eu m-am lăsat pă el în jos aşa
// s-a rupt şarpele / ş-am căzut jos în neştire (Memorialul durerii)
227
– des marques de SURPRISE NARRATIVE (engageant plusieurs espaces
s, Ip, Md, pp du discours):
acuma ce să vezi? (33), ce-a făcut? (34), ca să mă pomenesc cu / că (35), pe cînd
(colo) (36)
(33) «ş-am rămas de babă // ş-acuma am pierdut-o şi iacă am întunecat aicea şi...
n-am unde să mă culc» // he / feciorii mei /… se gîndiră «oare unde să-l
găzduim? // da l-om duce-aci la Bodoriţa» // aşa-i zice la vecina aia acolea //
acuma ce să vezi? // mă scol / să mă ieie să mă duc-acolea… (repris à Teiuş)
(34) şi-n marginea rîpii acolo unde era / era un fag // un copac // copacu-acela /
avea mai multă uscătură // şi era o uscătură / un…lemn / gros aşa / cam cît
credea mama / ca pe mîn-aşa / ca să-l poată să-l rupă ea // ce-a făcut? // a
scos furca din brîu / a-nfipt-o-n pămînt / şi s-a apucat cu mîinile de creang-
aceea… (id.)
(35) am încercat să mai dau cu capul de zid / aşa / dă // să-i dau jos [şerpii] să văd
ce-o fost acolo / n-am putut să / era sfoara aia / numai dac-aş fi dat cu faţa
poate / da-i spărgeam de-mi scoteau ochii poate [oftat] // ca să mă pomenesc
doamnă peste vro juma de oră aşa cu un larmăt de cîini / cu lătrătură de cîini
/ era şase cîini în celulă acolo (Memorialul durerii)
(36) eu am alergat acolo / ca să văd... că poate trece un mistreţ p-acolo şi eu să-l
împuşc // noi ne-am hotărît înainte că urs n-avem autorizaţie să-mpuşcăm //
pe cînd colo / mă duc acolo / cîinii vin drept la mine / aud că vine vînatu
drept la mine / pe cînd văd un urs mare… (repris à Teiuş)
228
3. Conclusions
229
Certaines des significations du marquer ont des équivalents roumains
plus explicites, certains autres, des équivalents moins explicites. Ces
résultats donnent, je cois, le droit d’investiguer davantage un aspect
moins étudié, celui du marquage descriptif / explicite des procéduraux,
réputés être par excellence implicites. De bonne preuves à ce propos sont
les exemples (13), (14), (17), (18), (20), (35) et (38) ci-dessus.
230
Chapitre 13
231
1. La définition
1
Le Petit Robert donne de l’ouï-dire la définition suivante:
Ce qu’on ne connaît que pour l’avoir entendu dire. – Loc. Par ouï-dire: par la
rumeur publique.
2. Les marqueurs
1 Le statut nominal de ce que les Français appellent ouï-dire est moins stable en rou-
main: l’expression n’existe que sous forme adverbiale (din auzite ‹par ouï-dire›) =
préposition + supin / participe passé au f. pl. (signifiant ‹choses entendues›).
2 Hyper-genre, il faudrait dire, car plusieurs genres proprement dits (rumeurs, ra-
gots, légendes, proverbes, superstitions, etc.) lui sont subordonnés.
232
gorie ont été recensés, par ex., dans Rosier 1999: 162-182). Notons à cet
effet que le français utilise entendre + dire / parler en collocation stable
– v. ex. (4) – là où le roumain ne le fait que rarement.
Passons en revue les marqueurs les plus fréquents impliqués par les
formes de l’ouï-dire, tels qu’ils ont été repérés dans les exemples ci-
dessous ou, vice-versa, qui ont servi à repérer ces fragments:
– verbes du dire ou marqueurs qui en résultent:
fr dire (1, 2 on dit que), parler (les gens parlent), raconter (34 on raconte, les
gens racontent ça)
ro a zice (27, 33 se zice că, zice-se, 19, 23 cică ‹on dit que›, zîse că (pop.), 22 o-s
(pop.) ‹ils ont dit que›), a spune (3, se spune că ‹on dit que›, 32 o spus că ‹il/on
dit que›), a vorbi (se vorbeşte că ‹on parle que›), a povesti (se povesteşte că ‹on
raconte que›, oamenii povestesc că ‹les gens racontent que›, 24 nu s-ar fi povestit
‹on ne l’aurait pas raconté›)
(1) je ne sais pas si c’est vrai / parce qu’on dit un peu tout et n’importe quoi // les
relations entre les Allemands de l’Ouest et les Allemands de l’Est étaient
&euh souvent difficiles // # (Coralrom)
(2) L1. on dispose souvent↑ les:: les:: les:: les filles ou:: les femmes à certaines
fonctions↑ ou à certaines tâches↑ euh euh les relations humaines→ la com-
munication parce que:: on dit que:: ça fait appel à des qualités plus fémini-
nes↑ (Corpus Pop)
(3) Aşa spun ceia ce s’a întâmplat acolo că, la întrebarea ce i-a făcut băiatul, i-a
zis şi lui că vrea să-l omoare şi pe el cu cuţitul. (Iorga 1932 XXIII: 52)
(C’est ce que disent ceux qui se trouvaient là que, à la question du garçon, il
lui avait dit qu’il voulait le tuer aussi avec le couteau.)
233
(surtout dans les expressions aşa am înţeles, am înţeles că… ‹c’est ce que j’ai
compris›, ‹j’ai compris que›);
(A noter que le verbe a auzi ‹entendre› a développé en roumain, en amploi abso-
lu, un sens particulier de ‹entendre parler›: a afla (o veste, o ştire etc.) (DEX)
‹apprendre (une nouvelle, etc.)›, sens qui se retrouve dans l’expression figée
roumaine din auzite ‹par ouï-dire›, litt. ‹par ouï›. En emploi seul, ce sens ne sem-
ble pas être retenu par les dictionnaires du français pour les verbes équivalents
entendre et ouïr, où les locutions entendre parler (d’une chose) et entendre dire
sont explicitées respectivement par ‹l’apprendre, en être informé› et par ‹appren-
dre par la parole, par ce qui se dit›.) «Par-ouï» seul n’existe pas non plus.
(4) J’imagine que vous avez déjà entendu parler du lac de Serre Ponçon // #
c’est la [/] la plus grande retenue artificielle d’Europe // (Coralrom)
(5) Din felurite şi mai multe izvoade am aflat că preamilostivul stăpîn al nostru,
Măria voastră, a binevoit pentru binele de obşte al creştinătăţii […] (Iorga
1999 LXVIII: 250)
(J’ai appris de plusieurs sources que votre Majesté, notre très généreux maî-
tre, a bienvoulu pour le bien-être commun de la crétienté […])
(6) Milostivul Dumnezeu să dăruiască bună pace şi sănătate dumitale,
A[n]dreiiaş Şelar, birău de cetatea Bistriţii, şi la tot Svatul dumitale. Alta, de
veţi vrea să ştiţi de sănătatea dumisale Mării Sale lui Alexandru-Vodă, cu
mila lui Dumnăzău iaste sănătos şi cu pace la Scaunul Mării Sale şi cu toată
ţara wstită depreună. Alta, alte oşti pănă acum tăparte (?) nu au întrat în ţara
noastră de căiri; auzim de Împăratul că vine, şi de Leaşi încă auzim că săntu
oştile în ţara sa. Alta, […] (Iorga 1900, CLXII: 3)
(Que Dieu le généreux vous apporte la paix et la santé à vous, AS, préfet de
la cité de Bistriţa, et à votre Conseil tout entier. Autre chose, si vous voulez
avoir des nouvelles sur la santé de Sa Majesté Alexandru Vodă, par la grâce
de Dieu il est en bonne santé et en bonne paix dans sa Cité avec tous son
pays. Autre chose, d’autres armées jusqu’à présent lointaines, ne sont entrées
de nulle part dans notre pays; nous entendons dire sur l’Empereur qu’il ar-
rive, et sur les Polonais que les armées sont dans leur pays. Une autre, […])
(7) Şi după aceasta să fie ştiut domniilor voastre că a auzit Domnia mea cum că
domniile voastre aţi oprit acolo la Braşov pe sluga noastră Andriaş şi nu l-aţi
crezut că este trimes de Domnia Noastră. (Iorga 1932 II: 6)
(Et après ça que votre seigneur sache que mon Seigneur a entendu dire que
votre seigneur avait arrêté à Braşov notre serviteur A et vous n’aviez pas cru
qu’il était envoyé par Notre Seigneur.)
(8) vai măi omule› / îi spui lui / ‹nu ştiu ce fel de pace / că› zic ‹vine frontu / io
am auzit că vine frontu / nu că-i pace // cum i asta? (repris à Teiuş)
(et je lui dis ‹je ne sais pas de quelle paix tu parles / car› dis-je ‹le front
avance / j’ai entendu dire que le front avance / pas que c’est la paix // je ne
comprends pas›)
234
(9) R: cum vedeţi viitorul↑
I: viitorul↑ (.) foarte negru↓ foarte negru/↓ vă închipuiţi că astăzi am auzit că
mi-a venit repartiţie de la xxx şi să plec cu unu-doi cu încă trei copii (…) pe
drumuri↑ să stau pe drumuri că nu am (.) că nu am mamă↑ nu am tată ↑ sînt
(.) a nimănui deci n-am xxx sînt un copil care: a fost găsit: şi (…) m-au cres-
cut nişte oameni↑ oamenii şi-au luat mîna de pe mine de la 15 ani↑ şi de la 15
ani m-am trezit singură/↓ (TVR1)
(R: comment envisagez-vous votre avenir↑
I: mon avenir↑ (.) très noir↓ très noir/↓ figurez-vous qu’aujourd’hui j’entends
que j’ai reçu une répartition de xxx pour partir avec un-deux encore trois en-
fants (…) me retrouver dans la rue↑ être à la rue car je n’ai pas (.) je n’ai pas
de mère↑ pas de père↑ je suis (.) à personne donc je n’ai pas xxx je suis un
enfant qui: a été retrouvé: et (…) des gens m’ont élevé↑ ces gens se sont dé-
barrassés de moi depuis que j’avais 15 ans et je me suis retrouvée seule /↓)
(9) Scriu închinăciune şi sănătate şi bună pace la Măriia Sa la birăul de Bistriţa;
pohtim şi rugăm pre Măriia Ta că am înţeles că e prinsu Stefan Candrea şi
Stefan Rubol [doi tâlhari] (Iorga 1900, CLX: 2)
(J’écris mes compliments et santé et paix à Sa Majesté le préfet de Bistriţa;
nous invitons et prions Sa Majesté car nous avons compris que SC et SR
[deux brigands] sont arrêtés)
(11) persoana aceea am auzit că a murit (Corpus Pop)
(cette personne-là j’ai entendu dire qu’elle est morte)
(12) Na’seara fetelor…RAMMSTEIN rulzzz!!! Ihihi…is nebuni de legat…pacat
ca s’au despartit…sau trebuie sa se desparta…nust exact…dar au 3 albume
pe viata lor…ati auzit de trupa Megahe... (id.)
(Bonsoir les filles… RAMMSTEIN rulzzz!!! Ihihi…ils sont fous à lier...
dommage qu’ils se soient séparés... ou qu’ils doivent se séparer... je ne sais
pas exactement... mais ils ont 3 albums en tout... vous avez entendu parler du
groupe Megahe...)
235
(14) […] şi de-aceea norodul zice că bisericile lui Ştefan Vodă au toate stahii în
zidurile lor. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 381)
([…] et c’est pour ça que le peuple dit que les églises de Ştefan Vodă ont
toutes dans leurs murs une âme errante.)
(15) Spun bătrînii că-n ziua aceia s-a înserat mai repede ca oricînd. (Poveşti,
snoave şi legende 1967: 402)
(Les vieillards disent que ce jour-là la nuit est tombée plus tôt que jamais.)
– modalisateurs de réserve:
– lexicaux:
fr croire (c’est ce que j’ai cru comprendre); sembler (il semble que), paraître (il
paraît que, 16, 17 paraît-il);
ro 18 după cum am auzit ‹comme je l’ai entendu dire›, a crede ‹croire›(se crede
că ‹on croit que›), a părea ‹paraître›(se pare că, parcă ‹paraît-il›, ‹dirait-on›);
– grammaticaux:
le conditionnel du «on-dit» ou «de mise à distance» (cf. Rosier 1999: 162-172):
25 ar hi fost ‹il y aurait eu›
236
– Enfin, les expressions péjoratives sont légion, et plutôt fréquentes
dans l’argot, implicitant ou explicitant le côté mensonger de l’ouï-
dire:
fr racontars (C’est des racontars); l’expression Tu connais la meilleure? (iron.);
ro vorbe ‹paroles›, poveşti ‹contes›, texte ‹textes› (arg.), ou d’autres expressions
péjoratives: Te ţii de zvonuri? ‹Tu t’occupes de rumeurs maintenant!?›
237
(19) Cică, fîrtate, se zice din bătrîni, că ziua aia a fost cea mai lungă, pentru că
Dumnezeu a ţinut carul cu foc al Soarelui tot mereu în acelaşi loc, pînă cînd
s-o isprăvit cu nunta. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 402)
(On dit, frère, les vieillards le disent, que ce jour-là a été le plus long, car
Dieu a empêché le char à feu du Soleil à avancer jusqu’à la fin de la noce)
Plusieurs récits populaires, genres proches les uns des autres, peuvent
être considérés comme appartenant à l’ouï-dire: contes oraux, légendes,
certaines histoires drôles, rumeurs, etc.
3.1 Légendes
238
Les verbes de parole forment eux aussi des formules plus ou moins fi-
gées (o-s că (pop.) ‹ils ont dit que›, cică ‹on dit que›, pouvant parfois
baliser le récit du début à la fin avec des formes identiques ou synony-
mes – ex. (22), (23):
(22) O-s c-o fost odată un mpărat (Bîrlea 1966: 274)
(On a dit qu’il y avait un fois un empereur)
(23) Acu, cică într-un munte, – poate-i fi văzut dumneata, maică, la Rucăr, că
aco-lo aud că e – este o femeie de piatră, un stei, făcută dintr-un tot şi, îm-
prejuru-i, tot de piatră, o turmă de oi. Aia e baba Dochia cu oile ei. (Poveşti,
snoave şi legende 1967: 375)
(Maintenant, on dit que sur une montagne, – vous avez peut-être vu, à Rucăr,
c’est là que j’entends [dire] que c’est – il y a une femme en pierre, une sta-
tue, faite d’un bloc et, tout autour, toujours en pierre, un troupeau de mou-
tons. C’est la vieille Dochia avec ses moutons)
239
que les narrations sont encore vivantes dans la bouche des gens (26 şi
acuma se povesteşte ‹on le raconte aujourd’hui encore›) et qu’elles nous
viennent par les récits de nos ancêtres (27 aşa se zice din moşi-strămoşi
‹c’est ce qu›on dit depuis le temps de nos ancêtres›):
(26) De atunci a trecut multă vreme, dar şi acuma se povesteşte că licuricii nu
sînt altceva decît scîntei din steaua cea aruncată de pe cer. (Poveşti, snoave şi
legende 1967: 452)
(Beaucoup de temps est passé depuis lors, mais aujourd’hui on raconte en-
core que les lucioles ne sont autre chose que des étincelles de cette étoile que
Dieu avait jetée sur terre)
(27) Oaspeţii benchetuiră într-una şi-ntr-un timp, chiar Luna şi Soarele danţaseră.
Se zice că a fost atunci atîta strălucire şi foc de dragoste în ochii lor, că me-
senii rămaseră uimiţi de văpaia asta îngerească ce-i unea. Lacrămi [curgeau],
fără să vrei, de nevinovăţia acestei mirese, cum n-a mai fost alta pe lume, şi
de mândreaţa mirelui, cum nu s-a mai dovedit altul de atunci. Aşa se zice din
moşi-strămoşi. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 402)
(Les invités firent la fête sans arrêt et à un moment donné, même la Lune et
le Soleil dansèrent. On dit qu’il y eut alors tant d’éclat et de feu d’amour dans
leurs yeux, que les convives restèrent étonnés par la flamme angélique qui les
unissait. Des larmes [coulaient], involontairement, de par l’innocence de cette
mariée, unique au monde, et la beauté du marié, comme jamais on n’en vit
depuis. C’est ce qu’on raconte depuis la nuit des temps)
Enfin, notons que, à la question Qui vous l’a raconté? que les «enquê-
teurs» posent aux «informateurs», ceux-ci répondent qu’ils ont connu ces
histoires par un membre de leur famille, dès leur enfance, qu’ils les ont
entendu raconter par un voisin, un ami, lors de leur stage militaire, ou
par une source plus floue (dans la forêt!), difficile à identifier, dont ils ne
se rappellent plus:
(28) Ieu dintr-o altă parte am prins-o. (Bîrlea 1966: 208)
(Moi je l’ai pris/entendu ailleurs.)
ou:
(29) Api ce şt’iu io, aşa d’e pîn sat. (id.: 150)
(Que sais-je moi, de par le village.)
240
Concernant la véridicité des faits raconté, la question Pensez-vous que
cela est vraiment arrivé?, se voit recevoir des réponses vagues, du type:
(30) Pơt’e că s-o-ntîmplat, pơt’e c-o fost. (Bîrlea 1966: 606)
(Peut-être c’est arrivé, peut-être ça a été)
D’un autre côté, les «informateurs» disent souvent qu’ils ne font que
reproduire des formes figées:
(32) tot la fel egzact atîta-i, nu poţ să modifici n’imic la ię: atîta mn’i-o spus-o so
ru-mea, atîta am spus-o şi ieu (Bîrlea 1966: 294)
(c’est exactement ça, tu peux rien y modifier: autant m’a raconté ma sœur,
autant je raconte moi aussi)
241
4. Genres-séquences: proverbes, dictons,
répliques figées, refrains
Un proverbe est:
[une] formule figée, en général métaphorique, exprimant une vérité d’expérience,
un conseil, et connu de tout un groupe social. (Le Dictionnaire Hachette Ency-
clopédique)
c’est-à-dire une phrase reprise, d’abord par voie orale, ensuite figée par
écrit. Le roumain désigne le dicton non savant par trois noms dérivés du
verbe a zice (‹dire›): zicătoare, zicală et zicere, preuve qu’il s’agit d’un
genre de on-dit largement reconnu. Ce genre bref ne dépasse pas la di-
mension d’une phrase, et ses formes figées sont généralement respectées
par tout le monde. Les proverbes s’introduisent comme séquences rap-
portés dans le discours:
Tous les jolis dictons, proverbes ou adages, dont nos paysans de Provence pas-
sementent leurs discours. (Petit Robert)
et ont des fonctions variables selon les contextes. Les formules métadis-
cursives qui les annoncent ou les referment sont très diversifiées:
(35) Comme dit le proverbe: Ce qui tombe dans le fossé est pour le soldat. (Vigny)
(36) [Le sloebber] C’est celui dont le dicton marollien dit «qu’il vous passe la
main dans le dos par devant et qu’il vous crache dans la figure par der-
rière». (Garnir 1994: 25)
242
Le roumain connaît des formules très diversifiées (ex.: vorba ceea, litt.
‹ce mot-là›), dont l’écrivain Ion Creangă a fait un grand usage dans ses
Souvenirs d’enfance:
(37) Puteam să rămîn cum era mai bine: «Nic-a lui Ştefan a Petrei», om de treabă
şi gospodar în Humuleşti. Vorba ceea: Decît codaş la oraş, / mai bine-n satul
tău fruntaş. (Creangă)
(Je pouvais bien rester comme j’étais: «Jeannot fils d’Etienne fils de Petra»,
homme rangé et aimable à Humuleşti. Comme dit le proverbe: Plutôt premier
dans son village que dernier à la ville.)
Il est tout aussi vrai que les proverbes n’ont pas nécessairement besoin
de formules introductrices pour être utilisés dans le discours, car leurs
formes figées les rendent facilement reconnaissables. Au moins les guil-
lemets de citation ou les italiques sont la plupart du temps là pour les
signaler comme insertions dans le discours.
4.3 Refrains
Pour ce qui est des chansons populaires, cet autre genre figé d’ouï-dire,
elles ont une forme mixte, verbale et mélodique à la fois, qui se transmet
spontanément. La notion restreinte que recouvre le mot refrain est:
243
Suite de mots ou de phrases répétées à la fin de chaque couplet d’une chanson,
d’un poème à forme fixe. (Petit Robert)
et le sens large:
Paroles, idées qui reviennent sans cesse. (v. chanson, leitmotiv, rengaine) (id.)
Un refrain repris est toujours signalé (par ex. à l’aide du marqueur vorba
cîntecului litt. ‹le mot de la chanson›, ou, en (38) ci-dessous, mi-ai adus
aminte de cîntecul cela ‹tu me rappelles cette chanson›):
(38) – […] tată ,[…] te rog, dă-mi calul, armele şi hainele cu care ai fost d-ta
mire, ca să mă pot duce. […]
– Hei, hei, dragul tatei, cu vorba aceasta mi-ai adus aminte de cîntecul cela:
Voinic tînăr, cal bătrîn, / Greu se-ngăduie la drum! (Creangă)
Toutes ces formes fixes sont destinées à être reprises telles quelles, rai-
son pour laquelle elles ont été appelées «discours répété» (wiederholte
Rede) par Coşeriu (Lingvistica integrală 1996: 36-37).
5. Séquences
Il y a des séquences d’ouï-dire qui n’ont pas de formes fixes, et qui sont
moins que des genres: des séquences floues, identifiables par certaines
traces dans le discours. Il s’agit de ces informations approximatives que
les locuteurs rapportent d’habitude avec beaucoup de précautions, à
l’aide de marqueurs de distanciation, d’approximation, d’excuses, etc.
Les superstitions ou certains bribes d’informations / rumeurs peuvent se
constituer dans de telles séquences, plutôt passagères dans les discours.
5.1 Superstitions
244
populaires. Sont également utilisés des marqueurs du dire (43 se zice că,
cică ‹on dit que›; 42 unii zic ‹certains disent›), ou autres (e semn că
‹c’est signe que›; să ştii ‹sache›, este obiceiul să ‹la coutume est de›;
etc.):
(39) Venindu-i cuiva să strănute şi neputând, poi se crede că va fi purtat de nas
de cineva. (Gorovei 1995: 33)
(On croit que si on a envie d’éternuer et qu’on n’y arrive pas, on sera menée
par le bout du nez par quelqu’un.)
(40) Despre vânt să crede că este o hală sau balaur mare, care suflă numai pe o
nare de nas, căci dacă ar sufla pe amândouă ar prăpădi tot pământul. (ibid.:
249)
(On croit du vent que c’est […] un grand dragon qui souffle par une seule na-
rine, car s’il soufflait par les deux, il détruirait toute la terre.)
(41) Poporul crede că fiecare om are o stea care la moartea lui cade de pe cer.
(ibid.: 220)
(Le peuple croit que chaque homme a une étoile qui tombe du ciel quand il
meurt.)
(42) Unii zic că vârcolacii se suie la lună sau la soare pe aţa ce s-a sucit într-o zi
de duminică, iar alţii cred că pe aţa ce se toarce noaptea la lună. (ibid.: 250)
(Il y en a qui disent que les loups-garous montent pour dévorer la lune ou le
soleil sur les fils qu’on a tordus un jour de dimanche, mais d’autres croient
que c’est sur les fils tordus la nuit, au clair de la lune.)
(43) Lupul se zice că e câinele sfântului Petru şi unde-i porunceşte el, acolo face
pradă. […] Se crede că lupul are trei peri de drac pe cap, de aceea e fioros.
(ibid.: 127)
(On dit du loup que c’est le chien à Saint Pierre et là où il lui commande de
faire des dégâts, là il en fait. […] On croit que le loup a trois poils de diable
sur sa tête, c’est pour ça qu’il est cruel.)
Les supersitions ne s’insèrent pas dans le discours sous des formes fi-
gées, à contour très clair: pour ce qui les concerne, c’est plutôt le contenu
qui est rendu et moins la forme, dans des séquences de discours indirect
libre (cf. Perrin 1994: 221):
(44) Şi tot ninsoare şi pîclă pănă în pămînt, de nu se vedea om pe om alăturea
fiind.
– Aşa-i că s-a diochet vremea? zise unul dintre plăieşi oftînd. Mă mieram eu
să fi mîncat lupul iarna asta aşa în pripă. De pe la Înţărcători am prăpădit
drumul. (Creangă)
245
(Et rien que de la neige et du brouillard jusqu’aux pieds, à ne plus voir celui à
côté de soi.
– Le temps s’est gâté, n’est-ce pas? dit l’un des montagnards en soupirant.
J’étais étonné de voir cet hiver bouffé si vite par le loup. Nous avons perdu le
droit chemin à partir de [...])
5.2 Rumeurs
246
de diffuser des informations non vérifiées. Ce n’est pas le cas pour des
écrits plus anciens (époque médiévale, par ex.), où vérifier les informa-
tions était souvent difficile. Je reprends ci-dessous une telle séquence –
v. (45) –, reprise au premier texte littéraire roumain: une «lettre» écrite
par un marchand qui était censé recevoir, par ses agents, des nouvelles
sur une campagne militaire turque en train de se dérouler, pour en infor-
mer un dirigeant de la ville de Braşov, en Transylvanie:
(45) I pak dau ştire domnietale za lucrul turcilor,1/ CUM AMЬ AUZITEU2/ că
⇑păratul au eşit den Sofiѫ,3/ şi aimintrĕ nu e,4/ şi sĕu dus ⇑sus pre Dunăre.5/
I pak să ştii domniiata6/ că au venit un om de la Nicopoe7/ de mie mĕu spus8/
că au văzut cu ochii loi / că au trecut cĕle corabii10/ ce ştii şi domniiata11/ pre
9
Dunăre ⇑sus.12/ I pak să ştii13/ că bagă den tote oraşele căte 50 de omin14/ să
fie ⇑n ajutor ⇑corabii.15/ …/ I pak spui domnietale de lucrul lu Mahamet
beg16/ CUM AMЬ AUZIT DE BOѫRI17/ ce săntь megiiaş18/ şi de genere-miu Ne-
gre19/ cum ѫu dat ⇑mpăratul slobozie lu Mahamet beg20/ pre io-i va fi voѫ21/
pren Ţĕra rumănĕscă iară elь să trĕcă. /…/ I pak spui domnietale ca mai ma-
22
mĕu spus / că au văzut cu ochii loi ‹un homme venant de Nicopoe qui m’avait dit
8
247
crime ou un autre. Dans ces témoignages ou lettres, il y a de nombreuses
séquences de dires rapportés, comme:
(46) Şi, mai târziu, a auzit vorbindu-se că din cauza loviturilor menţionate şi din
lipsa tratamentului şi a îngrijirilor, nevasta lui s-a stins din viaţă. (Zemon Da-
vis 2003: 148)
(Et plus tard, il a entendu dire qu’à cause des coups déjà mentionnés et du
manque de traitement et des soins, sa femme s’était éteinte.)
b) d’un autre côté, par les «dires» de collègues ayant visité la Rou-
manie. Ce dernier cas de figure correspond bien à une catégorie de
ouï-dire: il s’agirait là d’informations transmises par des rapporteurs
plutôt vagues (personnes non spécifiées; v. le marqueur am vorbit şi
cu alţi colegi ‹j’ai parlé avec d’autres collègues aussi›) et pour les-
quelles le locuteur manque de preuves concrètes, d’où le doute possi-
ble sur leur véridicité (v. le marqueur de distanciation am impresia că
‹j’ai l’impression que›):
248
(49) Am vorbit şi cu alţi colegi care au vizitat recent România şi am impresia că
situaţia s-a deteriorat. (id.)
(J’ai parlé avec d’autres collègues qui ont récemment visité la Roumanie et
j’ai l’impression que la situation s’est détériorée.)
249
6. Unités lexicales:
surnoms, lieux-dits et autres noms populaires
Un troisième cas de figure considéré ici est constitué d’un côté par les
«on l’appelle» – des surnoms donnés aux gens (vs les «il s’appelle» pour
les noms propres), et d’un autre côté par les lieux-dits. Ces deux cas peu-
vent se définir comme ouï-dire par les sources généralement floues qui
sont à leur origine.
Poil de Carotte, encore, porte bien son nom, même si à l’origine de celui-
ci n’est pas un on l’appelle vague, mais bien …sa mère:
(54) – […] Poil de Carotte, va fermer les poules!
Elle donne ce petit nom d’amour à son dernier-né, parce qu’il a les che-
veux roux et la peau tâchée . (J. Renard)
250
Rappelons que les noms donnés à une personne spontanément étaient, de
par leur motivation sémantique, de vrais comment on l’appelle? et beau-
coup de langues gardent certaines de ces expressions courantes utilisée
pour introduire aux noms (en fr comment s’appelle-t-il; ro cum îl cheamă
‹comment on l’appelle›; esp como se llama; it come si chiama, qui ren-
voient toutes à les gens appellent x comme ça).
6.2 Lieux-dits
Enfin, par extension, toute appellation qui circule est un ouï-dire (formes
nominales transmises par voie orale), tels les noms populaires des insec-
tes, des plantes, etc. (v. l’ex. 57). Dans des séquences métadiscursives,
comme ci-dessous:
en 57 li se zice ‹on les appelle›; en 58 on parle de; en 60, 63 on appelle, on dit
couramment; en 59, 60-62 (comme) on dit
251
les locuteurs présentent les noms qu’ils utilisent comme des on-dit, qu’il
s’agisse d’insectes (57 lucane), d’un phénomène économique (58 mar-
keting bancaire), social (59 souches) ou psychologique (63 télépathe),
d’un terme de viticulture (60 cépages nobles, cépages à rendement
haut), de zoologie (61 animaux monogames) ou de la vie sociale (62
famille):
(57) De aceea rădaştelor li se zice şi boul lui Dumnezeu şi vaca lui Dumnezeu.
(Poveşti, snoave şi legende 1967: 463)
(Voilà pourquoi les lucanes on les appelle aussi le bœuf de Dieu ou la vache
de Dieu)
(58) aujourd’hui on parle de marketing bancaire//on parle du marketing de
l’assurance//hein donc pour tout ce qui est biens/et tout ce qui est services/on
peut faire du marketing conforme aux attentes des consommateurs visés (Co-
ralrom)
(59) c’est qu’il y a des pratiques identitaires/c’est-à-dire que dans des cités/on a à
la fois des [/] des de souches/comme on dit (id.)
(60) bon on dit des cépages nobles//des cépages qui ont remplacé ce que l’on ap-
pelait avant des cépages à rendement haut/ # tels que l’Aramon/ # mais qui
ne faisaient sûrement pas du bon vin (id.)
(61) ces deux espèces de sociétés conjugales ont donc une signification très diffé-
rente//et pourtant le même mot sert à les désigner/car on dit couramment de
certains animaux qu’ils sont monogames/quoiqu’il y ait chez eux rien qui
ressemble à une obligation juridique (id.)
(62) que ce soit des gens de l’aire privée/ # la famille comme on dit hein/ # ou
que ce soit # l’étranger/ # dans son sens très large (id.)
(63) Ce qu’on appelle un télépathe!/C’est-à-dire que je peux transmettre/ma pen-
sée à distance! (Devos 1976: 49)
252
6.4 Les emprunts
l’expression qui signifie littéralement ‹car c’est comme ça que j’ai en-
tendu› se traduirait plus naturellement par c’est du moins ce qu’on ra-
conte. Dans (65) encore:
(65) Despre vânt să crede că este […] un balaur mare… (Gorovei 1995: 249)
(On dit du vent que c’est […] un grand dragon…)
pour la forme roumaine se crede că ‹on croit que›, on dit que convien-
drait mieux en français. Et ce ne sont que deux exemples prouvant que
253
ces marqueurs, de par le fait de mettre en scène par leurs expressions
tous les ingrédients de la situation de l’ouï-dire (le dit, l’ouïe, la doxa
collective, les agents, etc.), peuvent être et sont, par métonymie, inter-
changeables.
8. Ouvertures
Une dernière remarque: si l’ouï-dire existe bien, de par son nom, dans la
conscience des locuteurs comme catégorie apparemment universelle, il y
a peut-être lieu de regarder une catégorie qui lui ferait pendant – celle de
lu / vu-écrire (on-lit / on écrit). Les «traces» du type J’ai lu quelque part,
comme en (67) ou on en lit des choses en (68) ci-dessous:
(67) J’ai lu quelque part: «Dieu existe, je l’ai rencontré!» (Devos 1976: 29)
(68) On en lit des choses sur les murs!… / Récemment, j’ai lu sur un mur: / «Le
Portugal aux Portugais!» (id.: 115)
254
Conclusion
255
La conclusion qui semble s’imposer est qu’à différents niveaux de
l’analyse grammaticale – fonctions, relations / structuration des unités,
etc. – une gradualité se fait bien évidente, à travers les moyens expres-
sifs, qui obligent souvent de déplacer les frontières pour une catégorie ou
une autre. Si les fonctions, les relations et les structures grammaticales
semblent être issues, historiquement, de structures pragmatiques «non
liées» et sémantiquement plus fortes, le mouvement inverse n’est point
exclu en synchronie, et semble aller des moyens grammaticaux vers les
moyens pragmatico-discursifs. Les deux modes de structuration (macro-
et micro-syntaxique) coexistent, permettant aux locuteurs de donner plus
ou moins de relief ou de passer à leur gré des plans avant du discours aux
plans arrière, choisissant sur ces continua expressifs une forme ou une
autre.
Les conflits de structuration micro- et macro-syntaxiques apparaissent
ainsi comme tout-à-fait naturels, et si leur description s’avère souvent
difficile, au moins deux solutions sont ici offertes: celle des continua
proposée dans cet ouvrage et / ou celle des espaces discursifs proposée
auparavant (Pop 2000a).
L’ébauche de grammaire graduelle que je donne ici rencontre plu-
sieurs tentatives de description de continua (du type grammaire ou du
type plutôt discursif) effectuées par d’autres auteurs:
− enclosures; hiérarchie des adverbes suivant la propension à l’anté-
position; degrés d’application des règles (Kleiber & Riegel 1978);
− connecteurs sémantiques / connecteurs grammaticaux (Gruiţă 1980);
− constructions détachées (Combettes 1982);
− la thématicité (Touratier 1998);
− mise en cadre (Berthonneau 1987; Larroux 1994; Danon-Boileau, L.
& Morel, M.-A. 1997; Touratier 1998);
− continuité thème / topique – cadre (Charolles 2003; Prévost 2003;
Fuchs & Fournier 2003);
− constructions appositives (Bussche 1988);
− hiérarchie des référents et connaissance partagée: les degrés dans
l’opposition connu / nouveau (Combettes 1992);
− marquage de l’explication / justification (Apothéloz & Brandt 1992);
− actants et circonstants (Mélis 1994);
− acte d’ordre de sortir (Morel 1995);
256
− actualisation phrastique / mise en spectacle de la phrase (Bres 1995),
et leurs degrés d’analyticité;
− la relation de concession (Danon-Boileau, L. & Morel, M.-A. 1992;
Pop 1989a; Stati 1998);
− la préposition (Gaatone 2001);
− adverbes > connecteurs de coordination (Van Raemdonck 1998);
− énumération (Charolles 2001); etc.
Les quelques analyses données ici suggèrent plusieurs pistes à suivre en
termes de grammaire graduelle:
– analyses des marques – explicites (plutôt discursives) et implicites
(plutôt grammaticalisées) – pour chacun des continua repérables dans
une langue ou dans l’autre;
– analyses comparatives des langues, pour observer les moyens spécifi-
ques qu’en a développé chacune sur un continuum ou un autre, ainsi
que le degré de grammaticalisation de ces marqueurs;
– analyses sur «le relief» / les «figures» discursives (au sens cognitif du
terme), avec les expressions tenant de l’avant-plan discursif; l’étude
de ces moyens peut avoir un intérêt interlinguistique pratique pour les
approches stylistiques ou la traduction;
– analyses des «raisons textuelles» ou communicatives qui comman-
dent le choix d’un moyen expressif ou / et non d’un autre dans la pro-
duction des discours; ce type d’approche peut apporter des réponses
pour la didactique de la rédaction écrite ou de l’exposé oral;
– analyse des pratiques discursives, avec les formes génériques (genres
plus ou moins reconnus) qu’elles prennent dans une langue ou l’autre;
etc.
Vu la difficulté des approches graduelles, l’affirmation du caractère obli-
gatoirement flou de toute grammaire (cf. Kleiber, Riegel 1978) n’a appa-
remment pas suffisamment «pris», malgré de nombreuses études ponc-
tuelles. C’est la raison pour laquelle, dans son ensemble, ce livre s’est
proposé de rouvrir une discussion à mon avis insuffisamment avancée
jusqu’à présent, dans le désir de montrer, plus explicitement, qu’une
théorie graduelle des faits de langue apparaît comme nécessaire, cohé-
rente et productive.
257
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S’y ajoutent des séquences prises aux auteurs suivants:
E. Baranga, Şt. Bănulescu, Beaumarchais, M. Bredel, I. L. Caragiale, G. Coşbuc, R. Devos,
F. Dorin, M. Eminescu, Geluck, Jarnik-Bîrseanu, Leibnitz, M. Moreau, Cl. Sarraute,
Streiteman, J. Tardieu, M. Tournier, B. Vian
et aux journaux: Le Figaro, Le Monde, La Quinzaine Littéraire, Le Temps,
ainsi qu’à des chaînes de télévision françaises et roumaines.
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