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A mon professeur Eddy Roulet

Table des matières

Introduction 1

I. Sur le continuum grammaire-discours


Chapitre 1
La conversion pragmatique
ou comment passer de la grammaire au discours 11
1. Au-delà de la linéarité 11
2. A une virgule près 14
3. La conversion pragmatique: une question de «relief»? 15
4. Les «figures» nominales 16
4.1 Sujet vs thème, appel, ... 16
4.2 L’épithète au-delà de l’évaluation: hypothèses, concessions,
explications, justifications ou ajouts tout simplement 20
4.3 Les relatives détachées: des explications avant toutes choses 24
4.4 Les fonctions de l’apposition: définitions, développements,
explications, reformulations... 27
4.5 Coordination grammaticale vs coordination discursive 29
5. Conclusions 30
Chapitre 2
Grands et petits thèmes 33
1. Le thème prototypique 33
2. Des thématiseurs forts aux thématiseurs faibles 34
2.1 Thèmes très fortement marqués (TFF) 34
2.2 Thèmes forts (TF): titres et sous-titres 35
2.3 Thèmes moyens (TM) 36
2.4 Thèmes faibles (Tf) 39
2.5 Sujets grammaticaux (S) ou non-thèmes (nonT) 40
2.6 Complémets thématiques (CT) 40
2.7 Gradualité du thème 41
3. Le thème grammaticalisé 42

VII
3.1 Structures métadiscursives ayant engendré
des subordonnants thématiques 43
3.2 Structures métaphoriques ayant engendré
des subordonnants thématiques 47
4. Les thèmes entre grammaire et discours: MG/MD 53
5. En guise d’ouverture: les changements thématiques au fil du texte 54
Chapitre 3
D’une prédication à l’autre 57
1. Pour une typologie de la prédication 57
1.1 Les prédications sémantiques 60
1.2 Les prédications d’énonciation (ou pragmatiques) 66
1.3 Des prédications grammaticales aux prédications
pragmatiques: la conversion pragmatique 71
1.4 Les prédications complexes 72
2. Espaces discursifs pour les types de prédication 73
2.1 L’hétérogénéité du discours 74
2.2 Quelles prédications «font figures d’actes»? 76
3. Conclusions
Chapitre 4
Plus ou moins adverbes: le cas des «adverbes de texte» 81
1. Une portée capricieuse 82
2. De la phrase au texte 84
2.1 Adverbes de séquence? 84
2.2 Adverbes de texte 87
3. De l’adverbe à l’adverbial 90
3.1 Expliciter le «jeu» 91
3.2 Indiquer le «jeu» 95
4. Conclusions 98
Chapitre 5
Métaphore territoriale et possession: du discours à la grammaire 101
1. Une métaphore territoriale 102
1.1 La noi în România (‹chez nous, en Roumanie›) 102
1.2 La noi în ţarǎ (litt. ‹chez nous dans le pays›) 104
1.3 La mine în geantǎ (litt. ‹chez moi dans le sac›) 106

VIII
1.4 La ea în suflet (litt. ‹chez elle dans l’âme›) 107
1.5 La voi în familie (litt. ‹chez vous dans la famille›) 108
1.6 La noi(,) în artele plastice
(‹chez nous, dans les arts plastiques›) 109
1.7 La mine în memorie (litt. ‹chez moi dans la mémoire›) 110
2. Quelques conclusions 110
Chapitre 6
Les blocs exclamatifs 113
1. Un exemple de texte interjectif 113
2. Particularités des expressions interjectives 114
2.1 Le flou sémantique 115
2.2 Séquences informelles, syntaxiquement non intégrées 117
3. Conclusions sur un marquage compact 119
Chapitre 7
Malheurs de linéarisation et souci de grammaticalité 121
1. Une contrainte difficile: la linéarité 121
2. Soumission à plusieurs ordres 122
3. L’embarras du choix 123
4. Degrés de grammaticalité 123
5. L’a-grammatical 125
5.1 Les codes approximatifs 125
5.2 Le discours émotionnel 125
6. Grammaticalisation première ou le travail constructif:
l’interlangue 127
7. L’anti-grammatical ou le travail destructif 129
7.1 Dé-grammaticalisation 129
7.2 La grammaticalisation seconde
ou les mouvements réparateurs 130
8. Conclusions 132
Chapitre 8
De la phrase au phrasage: petits et grands coups discursifs 135
1. Il y a clôture et clôture… 135
1.1 Les phrases de langue 137
1.2 Les phrases de discours 137

IX
2. Interprétation des données 140
2.1 Clôtures en décalage: exemple sur un fragment de discours 140
2.2 Moins que des phrases: les petits coups discursifs 144
2.3 Plus que des phrases: les grands coups discursifs 146
3. Conclusions 150

II. Discours et gradualité


Chapitre 9
En-deçà des actes: les opérations 153
1. La théorie des actes de langage (TAL)
et l’analyse du discours (AD) 153
1.1 Définition prototypique des actes de langage.
Les meilleurs représentants 154
1.2 Elargissement dans l’inventaire d’actes. Représentants
moins bons et même mauvais: actes discursifs, semi-actes... 155
1.3 Les exclus ou les non-actes: ratés, faux-départs,
modalisateurs, marqueurs, connecteurs,
régulateurs, ponctuants, particules... 157
2. La théorie grammaticale (TG) 160
3. La théorie de la référence (TR) 161
4. La théorie des espaces discursifs (TED) 162
4.1 Les opérations faisant actes 164
4.2 Les opérations moins qu’actes 165
5. Conclusions 167
Chapitre 10
De l’acte aux activités: les séquences 169
1. Catégorisation naturelle dans le discours:
actes, activités, genres… 169
2. Les noms des séquences: un problème de catégorisation 170
2.1 Locutions indiquant des séquences «en série» 171
2.2 Verbes d’activités 177
2.3 Locutions indiquant des séquences-blocs 180
3. Quelle définition pour les séquences? 182
3.1 La séquence dans l’acception courante 183

X
3.2 La séquence discursive 183
3.3 Le niveau intermédiaire de structuration:
entre les actes et les textes 186
4. Conclusions 186
Chapitre 11
Parcours discursifs et séquences argumentatives:
une histoire de coulisses 189
1. Une histoire d’arrière-plan:
des savoirs à partager aux savoirs partagés 190
2. Les savoirs à partager et les remises à jour 191
2.1 …. dans les parcours dialogaux 192
2.2 … sur les parcours narratifs 194
2.3 … sur les parcours métadiscursifs 196
3. Les savoirs partagés: rappels, topoï ou justifications 201
4. Parcours discursifs et marqueurs 207
4.1 Marqueurs de fin de séquence 207
4.2 Marqueurs relançant le fil du discours 208
5. Conclusions 209
Chapitre 12
Parcours discursifs et marqueurs: le cas de eh bien 211
1. Eh bien – approche théorique 211
1.1 Dans les dictionnaires et les grammaires 211
1.2 Eh bien dans l’analyse du discours 213
2. Actualisations du parcours: la sémantique de eh bien
et ses équivalents en roumain 222
2.1 Polysémantisme de eh bien 222
2.2 Equivalents roumains de eh bien 223
3. Conclusions 229
Chapitre 13
En-deçà et au-delà des genres: l’ouï-dire 231
1. La définition 232
2. Les marqueurs 232
3. Genres textuels: les récits
(contes oraux, légendes, histoires drôles…) 237

XI
3.1 Légendes 238
3.2 Anecdotes populaires («snoave») 241
4. Genres-séquences: proverbes, dictons, répliques figées, refrains 242
4.1 Lieux communs: proverbes et dictons 242
4.2 Répliques figées 243
4.3 Refrains 243
5. Séquences 244
5.1 Superstitions 244
5.2 Rumeurs 246
6. Unités lexicales: surnoms, lieux-dits et autres noms populaires 250
6.1 Les surnoms et sobriquets 250
6.2 Lieux-dits 251
6.3 Des noms populaires aux mots tout court 251
6.4 Les emprunts 253
7. Problèmes d’équivalences: les traductions 253
8. Ouvertures 254
Conclusion 255
Bibliographie 259

XII
«Les relations grammaticales codent
d’une façon qui leur est plus ou moins spécifique
un certain nombre de relations sémantiques
d’importance cruciale.»
(L. Talmy)
Introduction

Ce volume réunit plusieurs textes suivant une idée directrice, celle que
les fonctions linguistiques, relationnelles ou non, peuvent s’actualiser
sous des formes plus ou moins fortes du point de vue sémantique. Ceci
conduit à une articulation «en douceur» des niveaux micro et macro des
phénomènes linguistiques, sur une échelle graduelle pour chacune des
fonctions prises en considération, et non par une addition forcée ni par
une frontière nette entre les deux systèmes distincts (l’un grammatical,
l’autre, discursif).
Je ne prétends nullement donner ici une image complète de tous les
continua linguistiques qu’il peut y avoir, ni de donner des phénomènes
choisis l’aperçu le plus homogène possible. Reprenant l’idée de Givón
(1979) disant que les locuteurs auraient à disposition deux modes de
communication – l’un, pragmatique, plus concret et sémantiquement
plus fort, l’autre, grammatical, plus abstrait et sémantiquement plus
affaibli – je cherche ici à observer l’articulation entre ces deux modes de
manifestation du verbal.
Le concept de grammaire graduelle que j’utiliserai rappelle celui de
«grammaire floue» – posé déjà par Kleiber & Riegel (1978) ou Com-
bettes (1982), à la suite de Ross, Lakoff, etc., et repris récemment no-
tamment par Charolles (2001) et Roulet (2002). Par contre, vu que mes
exemples proviennent surtout de discours naturels et de masses verbales
plus amples que les «phrases» grammaticales, ces concepts n’ont pas été
abordés ici dans une perspective générativiste comme chez la plupart de
ces auteurs, mais d’un point de vue plutôt discursif.
Je rejoins aussi l’idée directrice des théories sur la grammatica-
lisation qui, voyant l’origine de la grammaire dans le discours, expli-
quent la genèse des fonctions grammaticales, par un processus d’abstrac-
tion, dans les fonctions pragmatiques, et traitent les expressions linguis-
tiques en termes de degrés. Les théories de la grammaticalisation envi-
sagent la constitution des formes grammaticales comme le résultat d’un
cheminement historique effectué par les expressions linguistiques, et ce,
à partir d’un mode de communication primitif, plus concret – appelé
(psycho)logique (cf. Ecole de Prague; ou H. Paul, apud Samain 2001:

1
17-20) ou pragmatique (chez Givón 1979) – vers un mode grammatical,
plus évolué et abstrait. Si pour H. Paul, «toute fonction ‹grammaticale›
s’origine dans une fonction ‹psychologique›» (apud Samain 2001: 19),
pour Givón, la genèse de la syntaxe est dans le discours (1979: 97).
Pour ce qui concerne les relations, disent les mêmes théories:
du point de vue grammatical, on passe […] de la parataxe à la coordination, puis
à la subordination. – C’est le principe de la grammaticalisation (Samain 2001: 22),

ce qui veut dire que les relations peuvent s’exprimer tantôt comme phé-
nomènes du discours, tantôt comme faits de langue (ibid.: 27). On a
donc intérêt à «adopter une représentation unifiée des relations sémanti-
ques et indépendante de leur marquage morphosémantique», traiter cel-
les-ci à des niveaux très divers et en accepter un sémantisme plutôt va-
gue, abstrait, inférable par diverses «figures» (Lemaréchal 2001: 31-42).
C’est, en effet, reconnaître les deux niveaux de structuration du langage
dont parlait aussi Benveniste (1974) quand il faisait la distinction entre
l’organisation sémiotique, du code de la langue et l’organisation sé-
mantique, énonciative ou discursive. Mais c’est surtout rejoindre les
principes de ce qu’on a appelé la pensée faible («il pensiero debole», cf.
Vattimo & Rovatti 1983/1998) et ses modèles non rigides, élastiques et
approximatifs par excellence, où aucune catégorie ne semble plus fonc-
tionner comme unité de mesure.

I. Sur le continuum grammaire-discours

La première partie de ce livre est dédiée au problème de la continuité


grammaire-discours, se plaçant, dès lors, dans une perspective cogni-
tive fonctionnaliste. L’idée directrice rencontre la formule de Charolles
(2001), celle que la phrase serait «un format structural parmi d’autres,
codant d’une manière plus ou moins spécifique, ce que L. Talmy […]
appelle l’ossature d’un complexe expérientiel» (247). Au «drame en
miniature» de la phrase de Tesnière on reconstituera souvent ici la gran-
deur nature, à travers quelques fonctions sémantiques-relationnelles
(dont les plus importantes sont le sujet-thème, le prédicat, la modalité, la
possession, etc.) et la notion même de phrase.

2
Dans le chapitre 1 intitulé La conversion pragmatique, ou comment
passer de la grammaire au discours, je tente de démontrer qu’entre les
modes grammatical et pragmatique de communication, assez largement
reconnus, la frontière n’est pas toujours facile à délimiter, et qu’il faut
plutôt croire à un continuum plus ou moins homogène sur lequel les
langues actualiseraient les fonctions linguistiques. Sur ce continuum, des
«points de passage» entre les fonctions grammaticales et les fonctions
discursives se font évidents, et il s’avère que le procédé discursif respon-
sable de ce passage est – pour certaines fonctions, du moins – le déta-
chement. En effet, pour une série de fonctions à l’intérieur du groupe
nominal, mais pas uniquement, j’ai pu démontrer que le détachement des
fonctions entraînait une transformation de la fonction grammaticale en
fonction pragmatique, transformation appelée ci-après conversion prag-
matique. Tout semble se jouer à une virgule près. Ont été considérées
«figures discursives», au sens cognitif du terme, les mises en vedette des
fonctions grammaticales par divers procédés (expansion, présentatifs,
inversion, marqueurs de ruptures / frontières) dont certains, de nature
verbale, apparaissent comme plus forts, et certains autres, prosodiques,
plus faibles. Quand ils sont responsables d’une «dérivation illocutoire»
– transformant certaines fonctions grammaticales en fonctions discur-
sives – ces procédés ont été ci-après appelés marqueurs de conversion
pragmatique. Il est assez clair que cette «pragmatisation» est bien un
procédé inverse à la grammaticalisation proprement dite qui, en tant
qu’amplification de fonction (ou emphase) a plutôt fait l’objet des études
de stylistique. J’ai soumis à l’observation, à l’intérieur du syntagme no-
minal, les fonctions de sujet, épithète, apposition conjointe, proposition
relative, ainsi que le rapport de coordination.
J’essaie de prouver avec plus de détails (Chapitre 2 Grands ou petits
thèmes) qu’une certaine gradualité est bien à l’œuvre pour une fonction
vague sujet-thème, et une continuité entre les fonctions discrètes de
sujet et de thème prises à part. Ni la distinction sujet-thème, ni la pers-
pective graduelle sur le thème ne sont nouvelles, mais l’on pourra ici
voir que du niveau grammatical (micro-syntaxique) jusqu’au niveau dis-
cursif (macro-syntaxique), la notion de thème est considérée sous plu-
sieurs de ses aspects: positions (plus faibles ou plus fortes) – grammati-
cales et / ou discursives. Les degrés d’émergence du thème vont effecti-

3
vement des expressions sémantiquement explicites, passent par les ex-
pressions grammaticalisées plus ou moins marquées, pour se perdre dans
le marquage prosodique seul, le plus faible pour la notion de thème. Je
tente de passer en revue et de comparer plusieurs possibilités expressives
du thème en français et en roumain, pour démontrer qu’il s’agit effecti-
vement d’un continuum expressif, allant décroissant des moyens lexi-
calisés (forts) jusqu’aux marqueurs grammaticaux (faibles). Ces
moyens d’expression s’avèrent effectuer un passage graduel de ce que
l’on appelle thème discursif vers ce que l’on appelle sujet grammatical,
preuve évidente d’une continuité fonctionnelle macro- / micro-syntaxique.
Le chapitre 3 (D’une prédication à l’autre) est dédié à la problémati-
que très complexe de la prédication. Dans une perspective intégratrice
de deux catégories qui me paraissent relevantes et qu’on pourrait appeler
prédication sémantique et prédication pragmatique, je définis la pre-
mière comme attribuant des propriétés à des «objets du Monde», la se-
conde, comme parlant de l’énonciation. Ces deux types de prédications
seront vues, au niveau de l’expression, comme phénomènes graduels
allant du propositionnel vers le moins propositionnel, de l’explicite vers
l’implicite, et d’une acception stricte – celle de prédicat proprement dit
(catégorie nette) – vers une acception large – celle de prédication (caté-
gorie floue). Des cas de fusion entre les deux types sémantique et prag-
matique sont également pris en considération, sous le nom de prédica-
tion complexe.
La catégorie classique d’adverbe, en tant que modalisateur, est vue
comme catégorie très floue, elle aussi (Chapitre 4 Plus ou moins adver-
bes: le cas des «adverbes de texte»), tenant compte du fait que:
– d’une part, les «adverbes» ont des portées au-delà du verbe ou de la
phrase (cf. les adverbes dits «de constituant» et les «adverbes de
phrase») – à savoir aux niveaux de la séquence discursive ou du texte;
– d’autre part, que ces «adverbes» se présentent souvent, pour un même
travail linguistique, comme plus que des mots (locutions, proposi-
tions) ou, au contraire, moins que des mots (particules).
Ceci semble expliquer l’abandon (déjà entamé) de la catégorie
d’«adverbe», trop restrictive, en faveur de celle d’«adverbial», plus floue
et convenant mieux à la complexité des phénomènes spécifiques à l’oral.

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C’est la notion d’adverbial de texte qui semble alors s’imposer (vs ad-
verbe, au sens premier du mot).
Le chapitre 5 Métaphore territoriale et possession traite d’une struc-
ture possessive du roumain non encore reconnue par les grammaires de
cette langue, malgré sa large utilisation dans le registre parlée. Tout en
témoignant d’une métaphore territoriale encore très forte, elle semble
en train de se figer comme expression grammaticale de la possession.
Une comparaison avec le français et parfois l’anglais invite à des consi-
dérations, d’un côté sur de possibles universaux et, d’un autre côté, sur
des parcours de grammaticalisation distincts d’une langue à l’autre.
Les blocs exclamatifs (chapitre 6) attirent l’attention sur un type de
marquage – non analytique, compact ou «en bloc» – de certains sens,
émotionnels par excellence, se manifestant notamment dans les énoncés
interjectifs, et se distinguant du marquage analytique – prototypique pour
les énoncés grammaticaux. Je montrerai aussi qu’un souci de gramma-
ticalité vient couramment remédier à ce qui, dans l’expression, est sou-
vent moins que grammatical, et révèle par là la pression des contraintes
du mode grammatical sur le mode pragmatique (chapitre 7).
Enfin, un dernier chapitre de cette première partie qui est dédiée aux
continua grammaire / discours s’occupe plus près de la notion de phrase.
Y est proposée une catégorie plus adaptée aux discours spontanés, celle
de phrasage, et ce, en consensus avec toutes les contributions en lin-
guistique de la parole (Saussure, Benveniste, Stati, Roulet) ou en macro-
syntaxe (Blanche-Benveniste, Berrendonner, Luzzati, Charolles, Morel,
etc.). Plusieurs principes de clôture sont pris en considération – sémanti-
ques, syntaxiques, prosodiques et pragmatiques – avec, aussi, des déca-
lages, qui, eux, sont responsables de ces unités imparfaites qui, ne répon-
dant pas aux contraintes fortes des phrases grammaticales, se construi-
sent sur ce qu’on a appelé un sentiment de phrase chez les locuteurs
(chapitre 8 De la phrase au phrasage: petits et grands coups discursifs).

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II. Discours et gradualité

Cette deuxième partie est dédiée à une problématique plus spécifique-


ment discursive – car elle s’occupe de certaines catégories plutôt diffici-
les à définir: opérations énonciatives, séquences, parcours discursifs,
etc. Les repères en sont offerts notamment par une catégorie naturelle
plus nette, celle d’acte: cette catégorie, mieux définie car perçue comme
une Gestalt et donc répertoriée par des noms dans toutes les langues
naturelles, offre une sorte de terre ferme:
– et pour ce qui semble s’en situer en-deçà (les opérations; v. le chapi-
tre 9 En-deçà des actes: les opérations);
– et pour ce qui semble s’en situer au-delà (les séquences; v. le chapitre
10 De l’acte aux activités: les séquences).
Une gradualité ou des continua s’avèrent être à l’œuvre:
– aussi bien entre l’opération (en tant que pré-catégorie) et les catégo-
ries discursives proprement dites qui s’actualisent comme plus ou
moins actes;
– qu’entre les niveaux de textualisation:
niveau acte < niveau séquence < niveau texte.
Cette problématique sera vue, elle aussi, sur une échelle de valeurs gra-
duelles. Ainsi, le chapitre 9 En-deçà des actes: les opérations introduit
dans l’analyse discursive une catégorie concurrente à celle d’acte – la
catégorie d’opération. Je démontre comment la catégorie naturelle
d’acte de langage – s’avérant inadéquate et insuffisante (car sa défini-
tion, trop étroite, laisse de côté de très nombreux phénomènes discursifs,
comme les ratés, faux-départs, modalisateurs, marqueurs, connecteurs,
régulateurs, ponctuants, particules...) – a réclamé d’autres catégories,
plus ou moins larges, comme celles d’acte discursif, de semi-acte, et une
multitude de catégories plutôt relationnelles: opérateurs, marqueurs,
ponctuants, etc. La catégorie d’opération, définie ici sur celle de prédi-
cation énonciative, semble avoir un pouvoir explicatif plus grand car elle
ramène les phénomènes «difficiles» à des faire distincts que les locuteurs
sont censés gérer simultanément dans la production du discours. Chacun
de ces faire occuperait ce que j’ai déjà appelé ailleurs espaces discursifs

6
(cf. Pop 2000a). Dire que «tout est opération», c’est homogénéiser la
perspective sur le discours, c’est-à-dire considérer qu’aussi bien les caté-
gories «difficiles» (marqueurs, connecteurs, ponctuants, régulateurs,
ratés, particules) que les actes sont des opérations ou des configurations
d’opérations.
De l’acte aux activités: les séquences est un chapitre destiné à un type
d’unités discursives intuitivement appelées séquences. J’invoque notam-
ment des phénomènes comme faire des compliments, donner des expli-
cations, lancer des hypothèses, faire une digression, se plaindre, etc., qui
sont, d’évidence, des activités, et non de simples actes, et que les locu-
teurs perçoivent comme distincts à l’intérieur des discours. Ne pas les
avoir encore suffisamment décrites est notamment dû aux difficultés de
définition ou de délimitation que posent de telles «unités», apparaissant
comme trop floues pour l’exigence de rigueur des catégories scien-
tifiques. Pour ces catégories plutôt «naturelles», des définitions et / ou
des descriptions permissives sont à donner: c’est ce que je tente de faire,
entre autres, dans cette section.
Deux autres chapitres mettent en discussion le passage de l’avant-
plan à l’arrière-plan du discours et vice-versa: pour le premier cas de
figure, avec le travail au niveau des savoirs partagés et ses fonctions
argumentatives; pour le deuxième cas, avec le fonctionnement du mar-
queur eh bien qui indique le passage de l’arrière-plan vers le premier
plan discursif. Ainsi, le chapitre 11 Parcours discursifs et séquences
argumentatives: une histoire de coulisses s’occupe des séquences argu-
mentatives insérées dans les discours non argumentatifs: narratifs, des-
criptifs, métadiscursifs, etc. – pour observer la problématique de l’avant-
plan et de l’arrière-plan discursifs. Sont plus précisément étudiées les
«retours» dans le discours, et les effets informatifs et / ou argumentatifs
de ces séquences. Un problème de gradualité se pose là encore, qui lais-
serait voir une échelle plus nuancée de plans arrière et avant, ainsi qu’un
jeu de saillance dépendant des «lectures» possibles; ou, vice-versa, qui
laisserait voir que ces «lectures» seraient dépendantes des degrés de
saillance des plans discursifs. Une description en termes de «fils discur-
sifs» est proposée, avec une analyse des traces / indicateurs utilisé(e)s
par les locuteurs sur les différents parcours – narratifs, descriptifs, dia-
logaux, etc. – qui s’entrelacent dans un seul et même discours / texte.

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Le marqueur eh bien est d’un côté vu comme résultat d’une gramma-
ticalisation, et, d’un autre côté, comme indicateur, plus ou moins expli-
cite, de parcours discursifs. Une des conclusions qui émergent de l’étude
de eh bien et de ses équivalents en roumain laisse entendre que l’obser-
vation des types de parcours discursifs peut être un bon critère pour
l’étude interlinguistique des marqueurs. En dehors de leur sémantisme
flou et de leurs équivalences reconnues difficiles d’une langue à l’autre,
les résultats de ces observations semblent par ailleurs justifier l’inves-
tigation du marquage descriptif (lexical ou explicite) des procéduraux,
réputés par excellence implicites. Une perspective graduelle sur les mar-
queurs est ici suggérée, avec une analyse sur eh bien et ses équivalents
en roumain (Chapitre 12 Parcours discursifs et marqueurs: le cas de ‹eh
bien›).
Un dernier chapitre (13: En-deçà et au-delà des genres: le cas de
‹l’ouï-dire›) pose le problème de la gradualité au niveau des genres dis-
cursifs, et l’échelle aurait la forme:
hyper-genre > genre > séquence > énoncé > mot.
L’étude se fait sur le cas de l’ouï-dire en tant que hyper-genre, avec ses
formes génériques, séquentielles, lexicales, etc.

8
I. Sur le continuum
grammaire-discours
Chapitre 1

La conversion pragmatique ou comment


passer de la grammaire au discours

Dans ce chapitre je m’attache à démontrer que le détachement d’une


fonction grammaticale par une marque prosodique quelconque − vir-
gule, parenthèses, tirets, deux points, point, etc. (pour l’écrit), ou une
rupture intonative et / ou une pause (à l’oral) −, avec ou sans dislocation,
peut transformer cette fonction en fonction discursive-pragmatique.
J’appelle cette transformation conversion pragmatique et considère que
ses marqueurs − dont la virgule de l’écrit − peuvent être vus comme le
point de passage entre la micro-structure et la macro-structure du verbal,
comme une possible frontière entre la grammaire et le discours. Le
point de passage «visible», où tout se joue à une virgule près…

1. Au-delà de la linéarité

Plusieurs exemples pris au fonctionnement du discours m’ont amenée à


croire qu’un simple détachement pourrait effectuer une conversion
pragmatique, soit une transformation de fonction grammaticale en
fonction discursive ou pragmatique. Afin de confirmer ou infirmer
cette hypothèse, je me suis proposé d’observer ce phénomène de façon
plus systématique à l’intérieur du groupe nominal, plus précisément de
soumettre à l’épreuve du détachement diverses fonctions grammaticales
susceptibles de se réaliser à l’intérieur de ce type de syntagme. Les
exemples ont été pris à des discours écrits et oraux, et si pour l’écrit, un
signe de ponctuation effectue bien un détachement, pour l’oral, une
pause, marquée ou non au niveau intonatif, fera bien le même travail.
Comme je l’ai montré ailleurs (Pop 1999; 2000a), dans la plupart des
énoncés, les fonctions grammaticales proprement dites structurent plu-
tôt les parties qui «décrivent le monde», véhiculant par là des informa-

11
tions considérées «fortes», tandis que les fonctions pragmatiques ap-
portent des informations liées à l’énonciation et au contexte de commu-
nication, considérées, elles, plutôt comme secondaires. Qui plus est, les
indices de ce dernier type d’informations sont le plus souvent les ruptu-
res de construction, les segments non intégrés grammaticalement: déta-
chements, incises, segments appositifs, disjoints ou «explicatifs», inter-
jections, vocatifs, etc. Ces ruptures se manifestent par des ponctuants
plus ou moins forts.
Observons la ponctuation du fragment suivant repris à Boris Vian, où
il est clair que l’auteur a eu besoin de certains signes, pour rendre «lisi-
ble» ce texte bourré d’informations hétérogènes: d’un côté pour marquer
ces types distincts d’informations, d’un autre côté pour les intégrer dans
une seule et même unité discursive (ici, un «paragraphe»).

(1) Notez, je ne sais pas du tout comment il marche, le robot à Ducrocq. Mais je
sais que, depuis les tortues électroniques, et surtout l’électrobidule d’Ashby
(ça fait trois jours que je cherche le nom de cet engin, mais contrairement à
ce qu’assure Charles Trenet, je me rappelle surtout le nom de l’auteur et pas
celui de son invention), on est en droit, et même en devoir de ne plus
s’étonner d’une information de ce genre. Il y a maintenant des tas d’appareils
qui choisissent divers trucs de référence (obscure pour nous) à des tas d’au-
tres trucs possibles et manifestent de la sorte une espèce de caractère. De li-
berté, peut-être; comme vous voudrez; moi, Parinaud, vous savez, je ne suis
pas snob. (B. Vian)

On peut montrer comme suit la segmentation en actes qu’effectuent les


signes de ponctuation dans ce fragment:

(1a) Notez,1/ je ne sais pas du tout2’ comment il marche2’’/, le robot à Ducrocq. 3/


Mais je sais que,4’/ depuis les tortues électroniques,5/ et surtout l’électrobidule
d’Ashby6/ (ça fait trois jours que je cherche le nom de cet engin,7/ mais8’
contrairement à ce qu’assure Charles Trenet,9/ je me rappelle surtout le nom
8’’ 4’’
de l’auteur et pas celui de son invention ), on est en droit, / et même en de-
voir de ne plus s’étonner d’une information de ce genre .4’’’/Il y a mainte-
10

nant des tas d’appareils qui choisissent divers trucs de référence11’/ (obscure
pour nous)12/ à des tas d’autres trucs possibles11’’ et manifestent13’ de la sorte14
une espèce de caractère.14’’/ De liberté,15/ peut-être;16/ comme vous voudrez;17/
moi,18/ Parinaud,19/ vous savez,20/ je ne suis pas snob.21/

Si, au niveau de la structuration grammaticale, la virgule ou d’autres


signes de ponctuation agissent comme indicateurs de ruptures, au ni-

12
veau du discours, ces mêmes signes sont des indicateurs de «passage» à
un type différent d’information, à un autre «espace» de manœuvre du
discours. Une représentation du paragraphe (1) en termes de ces espaces
discursifs pourrait bien être la suivante (le segment «principal», en gras
dans l’exemple, est donné dans la grille en grisé):
(1b)
Id 8 9 8’’
Md 6 9
Ip 1
S 2’ 4’ 6 8’ 9 8’’ 4’’
D 2’ 2’’ 3 4’ 4’’
Pp 3 5 6 9
Pp 7 8’ 8’’
Pd 3 7 8’ 8’’
Pro , , . , (, , ), ,

Id
Md 10 (12) 15
Ip
S 10 4’’’. (12) 14 13’’ 16
D 4’’’
Pp 11’ 11’’ 13’ 13’’
Pp (12)
Pd 11’ 15
Pro . . , ;

(cf. Pop 1999; 2000a)

Dans cette séquence, la virgule, les parenthèses et le point-virgule mar-


quent bien des ruptures grammaticales, mais à la fois et par là même, des
opérations discursives distinctes de l’opération censée généralement être
la principale, de description du monde (notées D dans les représenta-
tions):
− des opérations subjectives s (actes de MODALISATIONS 2’, 4, 17;
COMMENTAIRE PERSONNEL / ÉVALUATION 6, 12, 21, ou de THÉMA-
TISATION 18);
− des opérations interpersonnelles Ip (actes d’APPEL 1, 17, 19, 20);
− des opérations métadiscursives Md (PRÉCISIONS 6, 10, 12, 16; NÉGA-
TION POLÉMIQUE 9);
− des opérations présuppositionnelles (POST-THÈME 3, CADRAGE 5, 6,
EXPLICATIONS D’ARRIÈRE-FOND 11, AJOUT 16);

13
− des opérations interdiscursives Id (9);
− des opérations paradiscursives Pd (actes de RECHERCHE DE MOTS 7-
8, 15).
Cette hétérogénéité est tout à fait naturelle dans la communication «en
situation», et on voit bien que le code graphique s’est forgé des moyens
très économiques pour la signaler. Car les quelques signes de ponctua-
tion ne sont parfois là que pour indiquer ces ruptures, et constituent un
vrai système d’aiguillage pour le mode autrement non différencié, car
linéaire, de la communication écrite.

2. A une virgule près

Précisons que, du moins pour les trois signes de ponctuation évoqués ci-
dessus (la virgule, les parenthèses et le point-virgule), la seule différence
est de degré, car chacun peut signaler, indifféremment, ce que peut si-
gnaler un autre; la virgule à elle seule pourrait, à la rigueur, assumer tous
les passages nécessaires entre un type ou autre d’informations et, partant,
indiquer toutes les séquences dites non intégrées grammaticalement:
thématisations, cadrages, appositions, épithètes détachées, vocatifs, in-
cises, adverbes de phrase, relatives explicatives, etc. A l’oral, la pause
est un marqueur prédicatif (Forsgren 1993: 17) ou de passage du plan
avant au plan arrière (Rossi 1999: 67-68), pour la plupart des chercheurs.
On constate en effet que ce que peut justement indiquer une virgule
«forte» (vs les virgules «faibles») c’est une prédication distincte (cf.
Catach, apud Jaffré 1991: 72), invisible autrement sur la linéarité de la
chaîne, avec l’ouverture d’un espace discursif distinct où viendraient
s’inscrire des informations d’un autre type que celles précédemment en-
codées. Or, ces espaces sont ce que l’on pourrait appeler des places dis-
cursives (vs les «places syntaxiques» des fonctions grammaticales; cf.
Pop 1999, 2000a), correspondant notamment à des types distincts d’in-
formation, et, partant, à des types distincts de fonctions discursives.
Il s’avère effectivement que les unités qui occupent ces places discursives sont
interprétées comme ayant des fonctions discursives, et non grammaticales: dans
l’ex. 1 ci-dessus, aucune des fonctions d’APPEL, d’EXPLICATION-PRÉCISION, de

14
COMMENTAIRE, de RECHERCHE DE MOT, de REFORMULATION ou de THÉMATISATION
n’est grammaticale: toutes sont par excellence discursives (elles seront notées par
des petites majuscules dans les exemples).

Une question surgit tout de suite: est-ce aux seules ruptures prosodiques
qu’on reconnaît une fonction discursive? A une virgule ou à une paire de
parenthèses?
Très souvent, oui. Car, comme on a pu le voir pour l’exemple (1) déjà
analysé, c’est une quantité presque négligeable de moyens linguistiques
qui est mise en place pour la gestion de toute la diversité d’informations
mobilisées lors de l’énonciation des phrases. Notons que par ce proces-
sus, la bonne formation de la phrase grammaticale ne se trouve généra-
lement pas dérangée, et que les seuls marqueurs de détachement – vir-
gules et parenthèses – sont à même d’effectuer la conversion gramma-
tical > discursif.

3. La conversion pragmatique:
une question de «relief»?

Du point de vue stylistique, deux sont les modes qui gouverneraient l’ex-
pression linguistique – l’affectif et l’intellectuel – et ce qui est un déta-
chement (ou une conversion pragmatique) s’identifierait dans ce cadre
d’analyse à ce qu’on connaît sous le nom de «mise en relief».
Un retour à l’étymologie de ce dernier terme ne nous semble pas sans intérêt, car
il s’agit bien avec ce genre de procédés – pour utiliser des termens appartenant à
la théorie cognitiviste de la figure – d’un «réhaussement» des segments concer-
nés depuis le niveau ground (support) au niveau figure; soit, en termes d’espaces
discursifs, du niveau linéaire (opérations homogènes sur un seul espace discur-
sif), à un niveau décalé par rapport à la linéarité (sur des espaces discursifs dis-
tincts). Notons que cette idée d’un relief dessiné sur une linéarité ou celle
d’image sont des notions-clé de la logique naturelle de Grize (1990).

Remarquons aussi que, en dehors d’un effet de ponctualité (relief ou


isolement par les ruptures de construction), les détachements sont à l’ori-
gine d’un effet d’îlot ou d’espace fermé, posé comme distinct; et ce, par
un marquage graphique / intonatif, faisant «contour» ou «frontière» avec

15
les séquences voisines, telles les «figures» de l’avant-plan narratif dans
la théorie de Reinhart (1986). Posons donc comme hypothèse de travail
que le détachement est bien un indicateur de spatialité ou de relief en
général: d’un côté, il indique bien le passage vers un autre espace discur-
sif, et d’un autre côté, il donne du relief à la linéarité de la chaîne; c’est
ce dernier effet qui permet de considérer le détachement comme créateur
de figures discursives.

4. Les «figures» nominales

On va observer plus en détail cette «mise en relief» créatrice de figures


telle qu’elle s’effectue à l’intérieur du groupe nominal et, plus précisé-
ment, sur les fonctions typiques qui le constituent: sujet, épithète, appo-
sition conjointe, proposition relative. Sera également observée l’expan-
sion des fonctions par coordination à l’intérieur du groupe nominal. On
pourra voir ainsi de près ce que ces fonctions grammaticales deviennent
quand elles ne se suffisent plus à elles-mêmes et tentent de «transgres-
1
ser» la «phrase» .

4.1 Sujet vs thème, appel, ...

Posons de façon approximative que ce qu’on appelle thème est perçu


comme un sujet mis en évidence. Cet «étoffement» du sujet peut se faire:
− par expansion;
− par inversion et / ou détachement;
− par focalisation.

1 Le terme de transgression rappelle ici d’autres catégories de macro-syntaxe, comme


celles d’extraposition (Jespersen 1975), éjection (Perrot 1980: 74), pointage (Ber-
rendonner 1990), associé (Blanche-Benveniste 1990), soustraction (Drillon 1991),
adjoints (Lambrecht 1998), etc.

16
4.1.1 Propositions sujet, groupes du sujet
Même si très bien intégrée dans la phrase, une proposition sujet a l’air de
s’imposer comme THÈME. Ces sujets par expansion ont tendance à être
délimités prosodiquement et faire effet d’îlot thématique. C’est le cas
dans certains proverbes comme:
(2) Qui vivra verra.
Qui a bu boira.
Qui dort, dîne.
Qui vole un œuf , vole un bœuf.
Qui se ressemble, s’assemble.
Qui langue a, à Rome va.
2
où l’usage est hésitant pour mettre ou ne pas mettre la virgule , car une
limite respiratoire vient contredire ici une règle grammaticale. Le «sujet
grammatical» n’est en fait ici jamais appelé par les grammairiens
«thème», ce qui n’empêche pas de considérer ce détachement prosodi-
que, qui accompagne les propositions sujet plus amples, un indicateur –
assez faible, il est vrai, mais apparemment suffisant – de quelque chose
qui tente de s’imposer comme figure thématique.
Le prouve aussi l’intuition des scripteurs qui, souvent par un impéra-
tif respiratoire et rythmique, ponctuent d’une virgule la frontière entre le
groupe sujet (la proposition sujet) et le verbe:
(3) Tout ce qui n’est pas clair, n’est pas français. (Leibnitz)
Les ennemis de nos amis, sont nos amis. (Streitman)

L’ampleur plus ou moins grande que peuvent prendre ces «séquences


sujet» justifie apparemment de parler d’un continuum sujet – thème et,
partant, de degrés de thématicité. C’est d’ailleurs le principe cognitif
suivant qui semble être à l’œuvre dans tous ces cas:
Plus de forme représente plus de contenu (cf. Lakoff & Johnson 1985: 137)

2 En roumain, par ex., elle est interdite.

17
autrement dit, les expressions linguistiques (ou les «récipients / conte-
3
nants» ) plus amples abritent des référents («contenus») plus consistants
ou forts.

4.1.2 Le sujet détaché


Mieux marqué car en tête de la phrase et presque toujours repris, c’est un
groupe nominal qui peut «faire thème», s’il est détaché. Sa reprise se fait
par des pronoms anaphoriques, conjoints au verbe (ce, je, tu). Il ne s’agit
pas toujours, comme on l’a cru, d’un nouveau thème – car très souvent le
même thème se trouve dans l’énoncé précédent – mais bien, dans une
situation de concurrence thématique, d’une continuité marquée (cf. de
Fornel 1988). Si le détachement agit sur un ancien thème (de règle, par
une virgule faisant rupture), il le fait pour en délimiter le contour, pour
«dessiner» un sujet plus fort, une «figure» discursive, qui deviendra, de
par cette mise en relief, plus qu’un simple sujet. Comparons les énon-
cés «neutres», de (4) à (7) ci-dessous, avec leurs paires thématisées, de
(4’) à (7’):
(4) Blanche était l’harmonie. (4’) Tout faisait cacophonie, bombardiers, en moi,
hors de moi. Blanche, c’était l’harmonie. (Moreau)
(5) Je me mets en panne. (5’) Alors moi, je me mets en panne. (Tournier)
(6) Je faisais face... (6’) Moi je faisais face... (id.)
(7) Je vis en milieu ouvert. (7’) Mais moi, je vis en milieu ouvert. (Moreau)

A remarquer les connecteurs alors et mais qui, en tant que traces évidentes
d’opérations subjectives, appuient l’idée d’EMPHASE pour ces thématisations.
Isolées comme elles sont en 5’, 6’ et 7’, elles suggèrent un co-texte contenant
d’autres thèmes dont on se délimite, comme en 4’.

Cette solution viendrait aussi donner la réponse au cas-problème du


«nominativus pendens» dit «sans fonction syntaxique» (Serbat 1991): si,
de par son détachement, celui-ci ne peut plus être sujet dans une «phrase
grammaticale» bien formée (au niveau micro-syntaxique), une «phrase
discursive» pourra l’intégrer sans problème en tant que «thème» (au
niveau macro-syntaxique).

3 En termes cognitivistes.

18
Lorsque le sujet est détaché à droite, on l’appelle POST-THÈME (cf.
Morel, 1992), THÈME POSTPOSÉ, ANTITHÈME («antitopic») ou THÈME
APPARENT. Celui-ci vient très souvent après un faux-départ, sans perti-
nence référentielle, justement pour faire un travail réparateur au niveau
de la référence et donner une extension explicite à l’expression catapho-
rique qui le précède. Ces EXPLICITATIONS (cf. Fradin 1988: 46 et sequ.)
sont des suppléments d’informations (cf. Furukawa 1996: 15) facilitant
un rattrapage ultérieur du thème / du référent de l’énoncé. Enfin, une
interprétation plus psychologique conférerait au post-thème la fonction
de SURPRISE (après une attente instaurée par le cataphorique). Pour ces
cas de figure, une forme atone du pronom (le sujet grammatical) sera
généralement «renforcée» par une forme redondante (forme tonique du
pronom ou un nom), comme dans (8’), (9’), (10’) ci-dessous:
(8) J’avais l’impression d’attendre ma fin. (8’) J’avais l’impression d’attendre ma
fin, moi aussi, mais une petite fin, pous-
sive, malhabile, médiocre. (Moreau)
(9) Le monstre est capable de tout. (9’) Il est capable de tout, le monstre!
(id.)
(10) T’es rien c..., Ferdinand, me crie Arthur. (10’) T’es rien c... Ferdinand! qu’il me
crie, lui Arthur. (Céline)

Pour le pronom cataphorique, il s’agit ici, plus que dans les exemples à
anaphoriques, d’une rethématisation, car un nouveau thème y est posé
par rapport au discours précédent, et qui sera «mis en figure» par le déta-
chement explicite à droite. Toujours est-il que tous ces macro-sujets ou
«sujets discursifs» – fussent-ils détachés à gauche ou à droite – sont in-
4
diqués comme seuls pertinents pour les prédications posées .

4.1.3 Les vocatifs


Une conversion pragmatique supplémentaire semble se produire avec les
vocatifs; ainsi, le sujet en (11) devient, par une opération similaire de
détachement en (11’), THÈME / RÉFÉRENT PERTINENT (cf. Lambrecht

4 Cf. Lambrecht 1998, qui parle, pour les segments topiques et les vocatifs, de réfé-
rents du discours «ayant une relation de pertinence pragmatique avec la proposi-
tion, sans […] fonction grammaticale ni [de] rôle sémantique dans la phrase»
(p. 45; pas d’italiques dans l’original).

19
5
1998), tout en s’ajoutant une fonction d’APPEL (vs ADRESSE ) à travers
une seconde conversion, qui va transformer un usage descriptif en usage
énonciatif, déictique, en (11’’).
(11) François est le témoin d’un drame qui nous dépasse. (sujet)
(11’) François, il est le témoin d’un drame qui nous dépasse. (THÈME / RÉFÉ-
RENT PERTINENT)
(11’’) François, tu es le témoin d’un drame qui nous dépasse, tous les deux.
(d’après Moreau) (APPEL)
Nous dirons pour conclure au sujet du... «sujet» que sa conversion la
plus courante est celle en THÈME (ou référent pertinent), et que la fonc-
tion d’APPEL semble être le résultat d’une double conversion (associant à
une opération de mise en relief, de règle, intradiscursive, une autre, de
type interpersonnel et extradiscursive).

4.2 L’épithète au-delà de l’ÉVALUATION: HYPOTHÈSES,


CONCESSIONS, EXPLICATIONS, JUSTIFICATIONS
ou AJOUTS tout simplement

Comme pour la position sujet, la position syntaxique d’épithète peut être


plus ou moins marquée par un dédoublement fonctionnel. Si d’habitude
elle fait figure d’ÉVALUATION, d’autres contextes révèlent des fonctions
différentes, comme celle d’HYPOTHÈSES, CONCESSIONS, EXPLICATIONS,
JUSTIFICATIONS ou AJOUTS / RETOUCHES DISCURSIVES.

4.2.1 L’épithète tout court ou L’ÉVALUATION CACHÉE


Une chose doit à notre avis être prise dès le début en considération pour
les adjectifs épithètes (vs adjectifs tout court ou qualificatifs, qui ne font
6
que restreindre l’extension du nom ), à savoir que, avec les épithètes, une

5 Id.
6 Cf. la distinction des anciennes grammaires et une distinction encore en usage dans
les grammaires roumaines. N’oublions pour autant pas que l’épithète a toujours été
reconnue comme figure stylistique – argument appuyant fortement son statut de
fonction discursive (dont il est bien question ici).

20
fonction pragmatique semble se cacher sous une fonction grammaticale –
celle d’ÉVALUATION. Ainsi, en (12):

(12) Sa jolie silhouette se s jolie


dessinait à l’horizon. D Sa jolie silhouette se dessinait à l’horizon.

un adjectif sans expansion et précédant le nom effectue une opération


d’ÉVALUATION, sans que son antéposition (un «détachement», quand
même, au sens de dislocation) perturbe en quelque sorte la structure
normale de la phrase (cf. aussi 21). C’est un des cas, entre autres, où une
fonction discursive est assimilée à une fonction grammaticale, car par-
faitement intégrée à la structure de la phrase.

4.2.2 Plus que de simples évaluations: EXPLICATIONS, CADRAGES,


ATTITUDES, HYPOTHÈSES, COMPARAISONS…

Pour (12’), un «vrai» détachement, marqué prosodiquement, semble s’im-


poser plus fortement qu’en (12) par l’expansion de l’épithète:
(12’) Sa silhouette, jolie sous sa robe légère , se dessinait à l’horizon.
s jolie sous sa robe légère,
D Sa silhouette, se dessinait à l’horizon.

On a affaire dans cet exemple à une vraie frontière d’acte, indiquant non
seulement une simple opération discursive, mais un vrai acte, superposé
à la position syntaxique, normale, de l’adjectif. (Et ce, à la différence de
l’ex. 12 où l’épithète jolie n’est pas isolée et ne fait pas acte.)
Que le cas (12’) ne soit pas normalement pris comme détachement,
bien qu’apportant une «indication complémentaire», s’explique par au
moins une règle grammaticale, selon laquelle la séparation semble plutôt
s’imposer quand une relation supplémentaire se superpose à celle exis-
tant déjà entre le substantif et son adjectif: «quand l’épithète (adjectif et
surtout participe) ne restreint pas l’extension du nom, mais apporte une
indication complémentaire, descriptive ou explicative, elle est souvent
séparée de ce nom» (Grevisse 1986: 544).
Mais ce détachement marque bien une relation entre deux prédica-
tions. Rappelons dans le même sens que les épithètes sont très souvent
des «constructions absolues» à sens très divers: cause, temps, conces-

21
sion, condition, etc. Lors de l’énonciation, ces sens sont plutôt à inter-
préter comme actes d’EXPLICATION (vs circonstanciel de cause), CA-
DRAGE (vs circonstanciel de temps), ATTITUDE CONCESSIVE (vs relation
de concession grammaticale), HYPOTHÈSE (vs circonstanciel de condi-
tion), etc.: autant de fonctions discursives, transgressant le sens descriptif
des propositions subordonnées dans une phrase, et cumulant des sens
pragmatiques très divers (v. les spécifications entre parenthèses ci-
dessous):
(13) Seule, ma mère serait perdue. (HYPOTHÈSE)
(14) Tombés en disgrâce , ils ne se sont jamais réhabilités. (EXPLICATION, CA-
DRAGE)

Notons que l’ÉVALUATION apparaît renforcée lorsqu’elle est accompa-


gnée d’expressions subjectives:
− adverbiaux d’attitude concessive: pourtant (15), mais (16), toutefois,
certes, d’ailleurs (17):
(15) [...] j’éprouverai le sentiment de n’avoir pas été assez viscéral et «original»,
dans ma trituration pourtant forcenée de la parole. (Moreau)
(16) [...] l’homme n’est qu’énergies, une totalisation de toutes les énergies pos-
sibles et imaginables, ce qui en fait un être d’une puissance terrible, mais
fascinante [...] (id.)
(17) Avant le départ, Frank Piccard était très tendu, tout comme son entraîneur
... helvétique d’ailleurs . (repris à Luscher)

− adverbiaux modaux: désespérément (18), éventuellement (19), etc.:


(18) Toutes les nuits, je pensais à ces yeux-là, toujours inachevés . Vides, déses-
pérément vides . (Moreau)
(19) [...] il en vient même à présenter les signes pré-linguistiques ou extra-
linguistiques comme de simples substituts, éventuellement anticipatifs , des
mots. (Quinzaine Littéraire)

− quantificateurs ou comparatifs: toujours (18), quelquefois, presque


(24), certain, tantôt... tantôt, quasi (22), surtout, tout aussi (cf. 21),
plus... que... (21), le plus... (20), etc.:
(20) Je n’échapperais donc jamais aux mots de la passion, ceux qui partent du
cœur brûlant: les plus cruels, les plus insoutenables. (Moreau)

22
(21) Je disposais d’un champ d’investigation unique, moi-même, et mes remous,
plus barbares qu’intellectuels. Et d’un autre, tout aussi important, la
Femme [...] (id.)
(22) Je ne distingue qu’une délicate aquarelle, quasi irrélle , un anti-Goya. (id.)

− marqueurs d’alternative ou réfutant l’alternative: adj.1 ou adj.2 (23), ni


adj.1, ni adj.2 (24):
(23) C’est la foule, la grande foule qui bouge. On dirait qu’elle converge vers un
petit mot, axial, ou central, je ne sais plus, qui ne se conjugue qu’à l’impé-
ratif: crève! (id.)
(24) Il avait un regard suspect: ni sombre ni brillant, presque neutre. (id.)

− marqueur de JUSTIFICATION / EXPLICATION: parce que (35), car, etc.


Dans la plupart de ces cas, les épithètes sont séparées par divers signes de ponc-
tuation (virgules, deux points, points de suspension,) de leurs régents; autant de
frontières d’actes qui font de ces fonctions grammaticales des figures / fonctions
discursives.

4.2.3 Retouches descriptives


Enfin, à part ces ÉVALUATIONS surmarquées au niveau subjectif, un sim-
ple AJOUT discursif semble parfois segmenter la chaîne; c’est lorsque le
scripteur rajoute ou revient sur ses épithètes, afin d’effectuer des RE-
TOUCHES DESCRIPTIVES après une structure de phrase ou un syntagme
déjà donnés comme «finis». En dehors des virgules (cf. 25), c’est un
détachement fort, marquant la fin d’un «coup discursif», qui peut inter-
venir: le point graphique (26), les points de suspension (17, 27), etc.:
(25) La pensée suicidaire, on la découvrira, hachée ou balbutiante , dans nos
ouvrages du passé, lointain ou récent . (id.)
(26) Le carnaval des pulsions criminelles, sexuelles, grotesques, adorantes, ex-
tatiques s’est transformé en cortège décoloré. Lent, soulevant sous ses pas
les poussières du temps. (id.)
(27) Je me sentais piégé. C’était comme un supplément de prison ... verbale...
maniaco-verbale [...] (id.)

L’évaluation n’est pas nécessairement présente dans ces actes informa-


tifs / descriptifs, lancés «après coup», dans les trois exemples d’AJOUTS
ci-dessus. Toujours est-il que, pour les adjectifs ...verbale et maniaco-
verbale (en 27), la lecture ne serait en dehors du détachement pas prag-

23
matique, mais purement «restrictive», donc grammaticale. Telle que les
offre le texte, ces adjectifs cumulent la fonction grammaticale de dé-
terminant et la fonction pragmatique de PRÉCISION / RETOUCHE EX-
PRESSIVE. Soulignons que les AJOUTS marquent ici un processus de
construction «en direct» de l’énoncé, avec des arrêts ou des retours sur le
parcours, ou avec un grossissement des lignes, opérations par excellence
de l’énonciation, propres, plus précisément, au travail complexe de for-
mulation.
Une mention à part méritent les épithètes détachées des pronoms
anaphoriques ou des pronoms de la première et de la deuxième per-
sonne, tous référentiellement suffisants. Automatiquement, leur perti-
nence ne pourra être qu’«explicative» (vs «restrictive»), donc de type
discursif et non grammatical. Les fonctions que prennent pour ce cas
de figure tous les segments détachés sont en effet, comme ci-dessous:
des DESCRIPTIONS (29), EXPLICATIONS (28, 32), JUSTIFICATIONS (30),
ATTITUDES CONCESSIVES (31), ou tout simplement AJOUTS.
(28) Je m’affalais sur mon lit, certain qu’Octavia était une envoyée du Mal [...]
(Moreau) (EXPLICATION)
(29) Il me regardait à peine, la tête enfoncée entre les épaules. (id.) (DESCRIP-
TION)
(30) Tous les enfants s’étaient dispersés, et j’attendais, déçu , n’ayant pas vu
Martine. (Tournier) (JUSTIFICATION)
(31) Don Juan, c’est moi. Oh certes maquillé , fardé , masqué et travesti [...]
(Moreau) (AJOUT RECTIFICATIF)
(32) Interrompu, il pose son doigt sur la ligne en cours. (id.) (EXPLICATION)

4.3 Les relatives détachées:


des EXPLICATIONS avant toutes choses

4.3.1 Pertinence «restrictive» vs pertinence «explicative»


Avec les relatives, deux lectures s’offrent également à l’interprétation:
− une lecture «restrictive», restreignant l’extension du nom, comme 1
en (33) ci-dessous, ou l’ex. (34); et

24
– une lecture explicative – apportant une EXPLICATION destinée à rap-
peler certaines informations dans la mémoire de l’interlocuteur / ré-
cepteur. Dans les exemples ci-dessous, une EXPLICATION D’ARRIÈRE-
PLAN est représentée comme opération de type présuppositionnel pp
en (35), tandis qu’une EXPLICATION TERMINOLOGIQUE – une DÉFI-
NITION – est représentée comme opération métadiscursive Md dans le
segment 2 en (33):
(33) Un homme qui prête un serment ,1/qui jure de [...],2/ ne peut être qu’un
homme aveuglé.3/ (Valéry, repris à Grevisse)
Md qui jure de [...]
D Un homme qui prête un serment, ne peut être qu’un homme aveuglé.

A comparer, dans l’exemple (33), la relative restrictive dans 1 avec la relative


explicative 2. La première est grammaticalement intégrée et s’«aligne», avec son
régent, sur un seul et même espace discursif, D (un cas d’homogénéité discur-
sive); la seconde, de par le détachement, n’est pas intégrée, et se trouve en déca-
lage d’espace: D/Md (hétérogénéité discursive).
(34) Les journaux sont pleins de l’arrestation, à la Celle – Saint-Cloud, dans sa
villa «La Voulzie», de Weidmann, un Allemand que l’on soupçonne
d’avoir assassiné sept personnes . (Tournier)
(35) Son cocher, qui était ivre , s’assoupit tout à coup.
D Son cocher, s’assoupit tout à coup.
pp qui était ivre,

(36) J’étais entièrement saisi, et possédé par ma fascination du Vide, qui est
l’absolu de l’appropriation . (Moreau)

Apparemment, la lecture explicative des relatives n’est possible qu’après


des groupes nominaux dont l’extension est considérée ou présentée
comme «suffisante». (Nous sommes tentée de dire, «référentiellement
pertinente» pour l’interprétation voulue.) L’explicative apporte dans ces
cas-là des informations collatérales, qui ont généralement pour le récep-
teur des fonctions d’EXPLICATION, de DÉFINITION ou de DÉTAIL, et dont
la pertinence se situe au-delà du «donner tout simplement un référent».
Ainsi, avoir isolé la relative en (34) aurait dévié sa fonction identifica-
trice vers une EXPLICATION D’ARRIÈRE-FOND et l’aurait convertie, d’un
indicateur de pertinence référentielle, en indicateur de pertinence expli-
cative. En (35), la pertinence de la relative est DESCRIPTIVE-EXPLI-

25
CATIVE. Pour le marquage des fonctions discursives, c’est souvent des
marqueurs plus forts, comme un couple de parenthèses – v. (37) ci-des-
sous, pour un DÉTAIL présenté comme pertinent pour l’argumentation en
cours:
(37) Les récentes déclarations des trois académiciens (dont une académicienne)
prétendent dissocier la personne de la fonction… (Le Monde)

4.3.2 En-deçà des explications: RÉSUMÉS, SÉLECTION, REPRISES...


Si, d’un côté il y a des relatives restrictives obligatoires, avec, par ex.,
comme antécédent tel (que), il y a d’un autre côté des relatives essen-
tiellement explicatives, qui n’existent pas en dehors du détachement: ce
sont les relatives totalisantes ou résumatives, qui apportent des EXPLICA-
TIONS SUPPLÉMENTAIRES ou des PRÉCISIONS pour tout un groupe de
mots. Elles sont généralement introduites par ce que/qui, celui que/qui
comme dans les exemples (16) et (20) ci-dessus, et forment des énoncés
d’une évidente complexité illocutoire: si la fonction dite «relative» est
bien une fonction grammaticale, car elle restreint la référence d’un
nominal, elle est en même temps censée effectuer une expansion, une
structuration discursive – faible, il est vrai – et acquiert par là une fonc-
tion discursive.
A ces deux fonctions semblent s’ajouter des fonctions discursives de
structuration forte: de REPRISE / RÉSUMÉ (v. les «résumatifs» ce, tout) et
de SÉLECTION (celui, celle...), auxquelles se superposent celles d’EXPLI-
CATION et de PRÉCISION (par les relatives proprement dites). De par leurs
sens structurants / désambiguïsants qui s’ajoutent à leurs sens «explica-
tifs», les pronoms ce totalisant en (16), ou ceux ou celle de sélection en
(20) et (38), semblent bien fonctionner comme convecteurs pragmati-
ques. Sur un continuum des marqueurs de conversion, dont la virgule
serait le convecteur le plus faible, ces pronoms apparaîtraient bien comme
convecteurs pragmatiques forts.
(38) Il était au premier étage d’un charmant hôtel particulier, tout près de
l’église russe. Celle qui a des toits en or. Je m’en souviens maintenant,
parce que les arbres commencent à jaunir et que la lumière est douce... (Le
Temps)

26
Un travail similaire est effectué par la REPRISE avec relative – v. elle qui,
en (39), ci-dessous:
(39) Sa filmographie – qui comprend les noms de Resnais, Tavernier ou Deville
– lui vaut une réputation d’actrice intellectuelle, elle qui serait plutôt une
instinctive inquiète. (Le Temps)
s elle qui serait plutôt...
D Sa filmographie lui vaut une réputation d’…,
pp – qui comprend... –
Pd elle qui serait plutôt...

où une RESTRUCTURATION DISCURSIVE forte (opération paradiscursive


Pd) se met en place par une reprise pronominale thématique (elle) – qui
évite pourtant mal une anacoluthe. La relative cumule ici, en plus, une
fonction ÉVALUATIVE (opération subjective s).

4.4 Les fonctions de l’apposition: DÉFINITIONS,


DÉVELOPPEMENTS, EXPLICATIONS, REFORMULATIONS...

Dans l’exemple (40) ci-dessous:


(40) Trois lettres ont été adressées au président de la République Jacques Chirac.

on a une apposition restrictive, dont la fonction est celle d’identifier le


président de la République par son nom et, donc de référer à lui. Par
contre, en (40’):
(40’) Les trois personnalités qui ont adressé une lettre au président de la Répu-
blique, Jacques Chirac, n’ont aucun titre à imposer leurs vues, pas plus
d’ailleurs que, naguère, Claude Lévi-Strauss au Georges Dumézil pour les
mêmes raisons. (Le Monde)

c’est une apposition explicative qui est choisie. Or, une apposition ex-
plicative EXPLIQUE, INFORME, RECTIFIE, REFORMULE, DÉFINIT ou RAP-
PELLE au lecteur quelque chose qu’il est supposé avoir oublié. Le déta-
chement semble donc non pertinent en (40’’), dans cette phrase qui
s’adresse aux Français, supposés tous connaître l’identité de leur prési-
dent.

27
Voici d’autres exemples d’appositions, de (41) à (46), avec leur
«lecture discursive» notée entre parenthèses:
(41) Elle n’arrêtait pas, à l’époque, de parler littérature , un exercice que je ne
pouvais endurer qu’une demi-heure, pas davantage. (Moreau) (DÉFINITION,
ÉVALUATION)
(42) Je serais sa propriété , un bien dont elle userait et mésuserait à loisir. (id.)
(EXPLICATION, PRÉCISION)
(43) [...] l’homme n’est qu’énergies, une totalisation de toutes les énergies pos-
sibles et imaginables [...] (id.) (REFORMULATION, PRÉCISION)
(44) Ce qui reste de sa «sympathie», c’est sa mémoire, déconfite : tremblants
résidus de noces , nostalgie des partages d’émois , de bouleversement. (id.)
(ÉNUMÉRATION DES PARTIES, DÉTAILS)
(45) Sous ces ronces repose un amour mystique et putréfié . Le grand amour de
ma vie... Amour assassiné . (id.) (REFORMULATION, PRÉCISION)
(46) Ce qui peut rendre léger le transport, ce n’est que le style, ce moment où
des mots se détachent du tas , cassent leur infirmité , prennent leur envol,
et chantent au-dessus de l’écrivain de somme . (id.) (DÉFINITION, ÉVALU-
ATION)

Enfin, dans ces équivalences que posent les appositions, les MÉTAPHO-
RES ne sont pas rares:
(47) Faut-il tuer ce livre, mon enfant, ma maladie? (id.)
(48) Je ne sais, non vraiment je ne sais si je dois tirer ce livre (cet archéopté-
rix...) vers le bas, vers la pensée rampante, ou vers le haut, vers l’esprit su-
périeur. (id.)
(49) Ce n’est pas lui que je regardais, mais son ombre, sur les murs. Le dépla-
cement de cette masse, grossière et dramatique: Falstaff désabusé . (id.)

Toujours est-il que les appositions explicatives apportent des informa-


tions supplémentaires et que des dispositifs de détachement plus ou
moins forts se mettent en place pour signaler ces «places» essentiellement
discursives: virgules, tirets, parenthèses, deux-points, point-virgule, point,
points de suspension, marqueurs spécialisés, etc.
Comme pour l’épithète détachée, une apposition explicative est pres-
que obligatoirement requise par un (pro)nom cataphorique, emphatique,
qui, ayant une extension insuffisamment définie pour le lecteur, se fera
suivre par des DÉFINITIONS, ÉNUMÉRATIONS, DÉVELOPPEMENTS, RECTI-
FICATIONS, REFORMULATIONS, etc., à fonction d’attribution de référent:

28
(50) Enfin un mot qui vient s’inscrire en lettres grasses et rutilantes sur ce fond
frémissant: SALAUD! (id.)
(51) Il devait s’en passer des choses, derrière; des complots, des aveux, de
l’ange et du diable, des histoires de pardon ou d’éternels regrets . (id.)
(52) [...] beaucoup de ses énergies sont mortes, surtout les innommables. (id.)
(53) Ils ne sont plus ce qu’ils étaient: des seigneurs. (id.)

4.5 Coordination grammaticale vs coordination discursive

Il m’a semblé intéressant d’observer le fonctionnement, à l’intérieur du


groupe nominal, de la coordination par juxtaposition ou par les connec-
teurs spécialisés et, ni, ou, mais, etc. On peut constater, comme pour les
autres relations, que la coordination discursive (par ex. détachement
+ et) fait ajouter différentes opérations supplémentaires, de type discur-
sif, aux relations de pure addition qu’était censée traditionnellement ef-
fectuer la «co-ordination» grammaticale. Il s’agit de L’AJOUT SIMPLE, LA
RECTIFICATION (L’AJUSTEMENT), LA REFORMULATION, LA PRÉCISION,
L’ÉNUMÉRATION, LA FIXATION D’UN CADRE, L’INTRODUCTION D’UN
AUTRE NIVEAU DE TEXTUALISATION ou de STRUCTURATION DISCURSIVE,
L’ABOUTISSEMENT ou LA CHUTE DISCURSIVE, LA THÉMATISATION, etc.
Ainsi dans les deux exemples suivants:
(54) Ce sont des mots qui te font aspirer au contraire des mots et la vie au
contraire de la vie.
(54’) N’oublie cependant pas que ce sont des mots qui te font aspirer au contraire
des mots. Et la vie au contraire de la vie. (id.)

le premier, (54), abrite une coordination simple, grammaticale, reliant


des termes homogènes, alors que le second, (54’), de par son détache-
ment – détachement fort, par un point-majuscule –, fait l’effet d’un
AJOUT APRÈS COUP, et le terme détaché acquiert une saillance qu’il
n’aurait pas eue dans la coordination simple. En plus, cette rupture des
termes coordonnés semble conférer au deuxième un statut de CHUTE
DISCURSIVE-TEXTUELLE (ici, chute / résolution de période), effet qui est
plus fort qu’avec une simple coordination. Enfin, je n’exclus pas, dans ce
même cas, l’effet STRUCTURANT, DÉSAMBIGUÏSANT, de la segmentation:

29
trois effets pragmatiques, en tout, pour ce détachement effectué sur un
segment coordonné.
Observons, pour d’autres exemples, de (55) à (59) ci-dessous, les
opérations déclenchées par le détachement (elles sont notées entre pa-
renthèses):
(55) Il tue le désir de se reconnaître, de se détecter dans les autres . (id.)
(REFORMULATION)
(56) Tu peux fourbir ta machine à voler les cris et les sons, et ta boîte à capturer
les images. (Tournier) (DISTINGUER LES NIVEAUX DE STRUCTURATION)
(57) J’avais l’impression d’attendre ma fin, moi aussi, mais une petite fin,
poussive, malhabile, médiocre . (Moreau) (RECTIFICATION par mais)
(58) De toute évidence, Octavia voulait me pétrifier à la faveur d’un ouvrage qui
serait forcément un mythe, ou une mystification. (id.) (RECTIFICATION par
ou)
(59) Ni la musique, ni les décors, ni l’ action, et les personnages moins encore,
ne lui laissent la moindre place. (Tournier) (RÉFUTATION par ni... ni..., et
moins encore)

5. Conclusions

5.1. On peut conclure qu’une fonction grammaticale peut, plus ou


moins, se convertir en fonction discursive, et donc devenir «figure» au
sens cognitif du terme, par plusieurs phénomènes:
− expansion;
− inversion;
− marqueurs de ruptures / frontières, dont certains plus faibles (proso-
diques seules), d’autres plus forts (de nature verbale).
La conversion pragmatique s’avère être un phénomène graduel, utili-
sant des procédés plus ou moins saillants. De ce point de vue, la virgule
dans les détachements apparaît comme le point-frontière entre le gram-

30
7
matical et le pragmatique , et en tant que telle, elle est à considérer un
convecteur pragmatique faible.
5.2. Un certain parallélisme fonctions grammaticales (micro-syntaxe)
vs fonctions pragmatiques (macro-syntaxe) semblerait être à l’œuvre
dans les manifestations verbales, qui permettrait de dire que le discours
(par endroits du moins) serait, en plus grand, ce qu’est la structure
grammaticale au niveau de la micro-analyse: les deux modes de cons-
truction du verbal (grammatical et pragmatique) se font concurrence, en
se montrant ou se cachant selon ce qui est jugé pertinent par le scripteur /
locuteur. Il faut noter ici que la distinction que font les grammaires tra-
ditionnelles entre:
restrictif/déterminatif/régi/conjoint vs explicatif/détaché/régissant/disjoint

semble n’être autre chose qu’une distinction à l’intérieur de la paire rela-


tion grammaticale vs relation discursive. Cette distinction serait à voir
moins comme opposition, mais plutôt
− en termes d’opérations discursives très diverses, virtuellement à la
disposition des locuteurs / scripteurs; et
− en termes de types de pertinence (réferentielle, explicative, descrip-
tive, résumative, etc.).
De toute façon, ceci permet de dire que ce qui est jugé dans les grammai-
res comme «non essentiel pour la phrase» (non pertinent pour la phrase)
et, donc, détachable, est à considérer comme pertinent pour le discours.
5.3. Enfin, toutes les «fonctions», les «nuances» ou «valeurs» attachées
aux mots grammaticaux (PRÉSENTATIF, DÉMONSTRATIF, RÉSUMATIF,
EXPLICATIF, CONCLUSIF, ÉVALUATIF, etc.) sont à voir comme opéra-
tions discursives, marquées de façon plus ou moins forte dans l’énon-
ciation.
5.4. Ces constatations confortent l’idée des deux modes coexistant dans
la communication: un mode pragmatique et un mode grammatical,
dont le premier, plus primitif et concret, plus «expansif», plus transpa-

7 Cf. aussi Neveu 2002 qui considère les détachements le seuil entre le micro- et le
macro-syntaxique (p. 132).

31
rent et plus «vertical» (faisant «figure») s’opposerait au second, plus
condensé / synthétique et plus abstrait (cf. Givón 1979 passim). Les
considérations de Givón suggèrent deux mouvements possibles. Le pre-
mier, du discours vers la grammaire, est celui promu par les théories
de la grammaticalisation, posant l’origine de la syntaxe dans le dis-
cours. Or, ce mouvement allant du pragmatique vers le grammatical ne
laisserait aucune chance au mouvement inverse, de conversion pragma-
tique, observé ci-dessus, car il ferait un retour malvenu, du grammati-
cal au pragmatique, c’est-à-dire d’un type de communication mieux
structuré vers un type moins bien structuré. N’oublions cependant pas
que la théorie de la grammaticalisation n’est qu’une théorie génétique, et
que admettre les deux sens du mouvement c’est bien reconnaître, dans
une perspective synchronique, le pouvoir expressif du mode pragmati-
que, par opposition au pouvoir logique / synthétique du mode grammati-
cal. Toutes les recherches sur l’oral ne font qu’appuyer cette idée.

32
Chapitre 2

Grands et petits thèmes

La perspective dans laquelle je vais placer les structures de thématisation


est de type cognitif et voit les opérations discursives de thématisation sur
un continuum, allant de l’expression la plus explicite vers l’expression
la plus implicite, dans ce qui pourrait être une «grammaire graduelle»
du thème. Je prendrai en considération les processus de gramma-
ticalisation, et expliquerai l’origine de certains marqueurs thématiques
(prépositions / locutions prépositives ou conjonctions / locutions con-
jonctives) à partir de quelques métaphores sous-jacents. Les langues
observées sont le français et le roumain, et les sources des exemples:
journaux, textes littéraires, transcriptions d’oral, exemples repris à d’au-
tres linguistes, etc.

1. Le thème prototypique

Rappelons que, dans son acception prototypique, le THÈME est défini:


– sémantiquement, comme ce dont on parle, ce dont il est question, l’«à
propos»;
– syntaxiquement, par les fonctions de sujet ou de complément, et en
tant que tel, il appartient à la micro-syntaxe;
– du point de vue informatif, comme information ancienne, connue, ou
encore comme topique, avec une position initiale préférée;
– du point de vue discursif, surtout comme détachement ou dislocation,
avec un effet d’«îlot» ou d’extraposition, et sa fonction est macro-
syntaxique.
Toutes ces fonctions sont repérables par des «traces» linguistiques –
marqueurs de thématicité (MT) ou thématiseurs plus ou moins forts.

33
2. Des thématiseurs forts aux thématiseurs faibles

La perspective graduelle sur le «thème» n’est point nouvelle, et l’on peut


voir que, du niveau grammatical (micro-syntaxique) et jusqu’au niveau
discursif (macro-syntaxique), la notion de thème est considérée sous
plusieurs de ses aspects. Rappelons au hasard qu’on parle de marqueur
de «complément thématique» (Fløttum 1999), de marqueurs appuyant la
dislocation (question, quant à, Querler 1999), de la topicalisation d’une
subordonnée conjonctive (Combettes 1999) ou de la gradualité des no-
tions de thème et d’intégration (cf. Martinie & Sitri 1999), de thème de
discours, thème d’énoncé, thème principal, thèmes secondaires, etc. –
aspects très distincts du phénomène, indiquant bien l’existence de posi-
tions grammaticales à côté de positions discursives (cf. Guimier 1999).
Les degrés d’émergence du thème, on le verra, vont, décroissant, d’ex-
pressions sémantiquement explicites vers des expressions grammati-
calisées (plus ou moins marquées elles aussi), pour se perdre dans le
marquage prosodique seul, le plus faible pour la notion de thème.
Si l’on veut passer en revue les possibilités expressives du THÈME, en
français (fr) et en roumain (ro), on constate effectivement qu’il s’agit
d’un continuum expressif contenant des moyens lexicalisés (ML) (dé-
nominatifs / descriptifs) et des marqueurs grammaticaux (MG) (indica-
tifs) en égale mesure. On remarquera que ces moyens d’expression font
un passage en douceur de ce que l’on appelle THÈME discursif vers ce
que l’on appelle sujet grammatical, attestant de cette continuité fonc-
tionnelle déjà posée au chapitre précédent, allant de la macro-syntaxe à
la micro-syntaxe.

2.1 THÈMES très fortement marqués (TFF)

Il faut inclure dans cette catégorie les phrases dénominatives introduisant


explicitement un THÈME DISCURSIF (TD), du type:
fr ro
(1) Le thème de mon intervention sera… (1’) Tema intervenţiei mele va fi…

34
(2) Mon sujet est… (2’) Subiectul despre care voi vorbi este…
(3) Je vais m’occuper de… (3’) Mă voi ocupa de [un subiect]
(4) Je vais me pencher sur un sujet…
(5) Dans ma conférence il s’agira de… (5’) În conferinţa mea va fi vorba despre…

A remarquer pour ce type de thème que les expressions sont plutôt des
«commentaires métadiscursifs», explicitant le THÈME DISCURSIF inten-
tionné par:
– des noms (fr thème, sujet; ro temă, subiect);
– des verbes ou locutions verbales (fr s’agir de, s’occuper de, se pen-
cher sur; ro a vorbi despre, a fi vorba despre, a se ocupa de).
A remarquer aussi l’acception large du substantif sujet (fr) / subiect (ro)
dans le métalangage commun des deux langues, acception qui recoupe
parfaitement celle de thème. Cette coïncidence sémantique est significa-
tive pour la thèse que j’essaie de défendre, celle de la continuité fonc-
tionnelle et cognitive THÈME – SUJET, où THÈME est pris au sens dis-
1
cursif, et SUJET, au sens grammatical. Voici des exemples d’explicita-
tions thématiques:
(6) Dernier thème : les questions européennes et internationales. (Présidentielles
– Le Figaro)
(7) COLONELUL: Ştiţi, excelenţă, pentru moment, e vorba numai de un bust, dar
intenţia noastră e, cum om avea ocazia, să-i adăugăm şi un cal. Fiindcă, cel
puţin aceasta e convingerea mea: bustul fără cal e ca ofiţerul fără sabie.
SBONGHICI: Ba, dacă e vorba la o adică, bust să-l facă, da’ cu o carte în mâ-
nă, că eu, care-l ştiu de mic, numai cu cartea în mână l-am văzut… (Baranga)

2.2 THÈMES forts (TF): titres et sous-titres

Un thème fort (TF) est signalé par des expressions (plutôt explicites)
situant le thème discursif dans des séquences détachées du point de vue
typographique par rapport au texte; c’est l’exemple des TITRES (sur les

1 Notons entre parenthèses que cette distinction de linguiste est imperceptible au


niveau intuitif de la parole.

35
couvertures des livres ou en tête d’ouvrages) et des SOUS-TITRES, comme
dans les ex. de (8) à (12) ci-dessous:
(8) Objet: demande de logement social (sous-titre dans une lettre)
(9) Où il s’agit de …
(9’) ro În care este vorba de(spre)… (sous-titre d’ouvrage)
(10) Sujet: A propos de stress… [suit le texte] (titre de message électronique)
(11) A propos de l’Expo.01 et de l’engagement du Chef du Département fédéral
de l’économie [suit l’article] (Le Temps no 475/1999)
(12) Cât despre tinerii din colonii (titre de chanson, repris à GA1)

2.3 THÈMES moyens (TM)

Je considère comme signalant un THÈME moyen

2.3.1 Les expressions thématiques


à verbes existentiels posant un référent
fr exister (13), être (14, 15), avoir (16, 33), voir (11, 20, 31), savoir;
ro a fi (24, 25, 27), a avea (22, 23), a se da (21), a vedea (28), a şti (26)

ou les expressions à présentatifs / «introducteurs»:


c’est (14), il y a (17, 34), voici (20), voilà (32), comme dans:
fr (13) Il existe de très nombreuses façons de communiquer des informations. Ob-
serve ces graphiques (Clavier…)
(14) C’est le 14 juillet. Pour célébrer cette fête, chaque ambassade hisse le dra-
peau de son pays... (id.)
(15) Il était une fois… (formule de conte)
(16) j’avais ma ma sœur aînée et mon frère… ma sœur aînée elle a été euh éle-
vée par ma grand-mère… mais mon frère lui il pensait qu’à jouer à courir
(repris à Blanche-Benveniste)
(17) Il y a un point cependant, que vous ne devez pas oublier. C’est qu’il est re-
lativement facile de faire ça à un robot, à condition de lui offrir les mots
tout faits. (Vian)

36
(18) Moi je vois ma marraine, celle qui habite à Genève, elle est pour les socié-
tés des consommation suisses… (repris à Berthoud)
(19) t’as vu l’gars il est tout endormi (id.)
(20) Voici des dominos en désordre. Replace-le correctement en observant la fa-
çon dont on a commencé. (Clavier…)
ro (21) Se dau paralelogramele ABB’A’ şi BCC’B’ care sunt incluse în plane dife-
rite. P este mijlocul segmentului… (Cărbunaru)
(22) Avem paralelogramele ABB’A’ şi BCC’B’ care sunt incluse în plane dife-
rite… (oral)
(23) Am vecini care mergeau dă milă cu mine noaptea la două… (Corpus Pop)
(24) Fie mulţimile: A = {a; b; c} şi B = {a; b; c; d; 7}. Se observă că…
(Cărbunaru)
(25) Era un miliţian aicea…ă…cum să vă spun […] unu’ Trifan […] Trifan a
aflat că-i din Ciuperceni şi i-a luat să-i aresteze pe cei doi cetăţeni… (id.)
(26) Se ştie că, de exemplu, numărul 4362 se poate scrie ca o adunare astfel:
4000+300+60+2. Scrieţi, asemănător, numerele… (Cărbunaru)
(27) A fost odată ca niciodată un moş şi o babă. (Creangă)
(28) S-a văzut că relaţia «divide pe» nu este o relaţie simetrică. Se obiş-
nuieşte… (Cărbunaru)

Ces verbes sont grammaticalisés car leur sens lexical est affaibli: ces
expressions fonctionnent bien comme marqueurs thématiques «créateurs
de mondes».
Il faut aussi retenir pour ce cas de figure certaines constructions parti-
culières, d’habitude avec les présentatifs il y a, voici… (ou leurs équiva-
lents), dont les relatives ne sont que des «prédications secondes» pour
des thèmes nouveaux qu’on peut introduire. C’est le cas:
– des constructions à relatives de perception:
(31) Je vois le facteur qui passe.
(32) Voilà le facteur qui passe. (repris à Lambrecht)

où le présentatif voilà, ainsi que le verbe voir, ne seraient que des


formes discursives introduisant des entités nouvelles dans le discours
(un nouveau thème) et non des verbes recteurs forts.
– des relatives prédicatives après avoir ou après le présentatif il y a:
(33) J’ai la petite qui est fatiguée. (repris à Lagae & Rouget)
(34) Il y a Marion qui pleure.

37
Dans ces exemples, le verbe voir et ses formes grammaticalisées (les
présentatifs voilà, voici), ainsi que le verbe avoir et sa forme gramma-
ticalisée (le présentatif il y a) sont des marqueurs thématiques MT:
même si leur sémantisme lexical est très affaibli, c’est toujours ces ver-
bes qui imposent la relative, par un «souci de structuration grammati-
cale» qui ne fait, dans ces exemples, que venir doubler une structure
discursive en thème-rhème.

2.3.2 Les syntagmes syntaxiquement détachés, avec ou sans marquage


conventionnalisé, du type à propos (29), au sujet de, quant à (30)
(29) A propos de Paris, ça fait une éternité que je ne suis pas allé au Louvre.
(repris à Prévost)
(30) Quant au passage à la monnaie unique, les premier secrétaire continue de
poser des conditions. (Libération, repris à Querler)

Comme on le verra ci-après sous 3., le thématisation en subordination


peut «se détacher», c’est-à-dire se mettre en positon discursive, plus
forte (v. les ex. (29) et (30) ci-dessus), ou, au contraire, rester intégrée
grammaticalement (v. 2.6. et 3. ci-dessous).
Dans les exemples (21) et (30), il s’agit bien de constructions subor-
données (comme on en verra bien sous 2.6. et 3. ci-dessous), mais les
segments thématiques sont ici détachés en positions discursives. Ce sont
donc des thèmes plus forts que leurs paires non détachées (29’) et (30’)
ci-dessous:
(29’) ? Ça fait une éternité que je ne suis pas allé au Louvre à propos de Paris .
(exemple manipulé)
(30’) Le premier secrétaire continue de poser des conditions quant au passage à
la monnaie unique. (exemple manipulé)

Si (29’) est inacceptable, c’est parce que le segment thématique n’est pas
un argument du verbe et ne s’intègre pas à la phrase, comme sa position
le laisserait croire.

38
2.4 THÈMES faibles (Tf)

Enfin, les sujets grammaticaux font figure de THÈMES DISCURSIFS s’ils


ont un marquage supplémentaire: un contexte oppositif, un pronom toni-
que ou un substantif détaché pour le français, et, respectivement, un pro-
nom personnel sujet ou un substantif accentué pour le roumain.
Comme pour les thèmes moyens (TM), une structuration gramma-
ticale semble coexister ici avec une structuration discursive, car pour
«mettre en relief» un thème ou rethématiser sans trop déranger la struc-
ture grammaticale, les deux langues mettent en place des moyens com-
plexes et spécifiques, aux niveaux discursif et grammatical à la fois.
Pour le français, c’est le dispositif du détachement qui se met en place,
comme dans les exemples (35)-(37). En roumain, le thème est marqué:
– par des formes morphologiques distinctes – par ex. le pronom sujet eu
en (38) vs sujet inclus, en (38’); le COD pronom tonique pe mine vs
pronom atone sujet logique mă en (39);
– des moyens prosodiques (l’exemple (40), avec un accent d’intensité
sur le thème) qui ne sont complétés par une dislocation proprement
dite que pour les cas «obliques» (exemple (39)).
Fr (35) Moi, en ce moment, vs (35’) En ce moment,
je me sens beaucoup mieux. je me sens beaucoup mieux.
(36) Moi, ça me fait mal. (36’) Ça me fait mal.
(37) Il est mal parti, ton fils. (37’) Ton fils est mal parti.
Ro (38) Eu sînt milionarul, iar dumneata, (38’) ?Sînt milionarul şi eşti
care ai venit cu roata în Metopolis, Glad.
eşti Glad din Marmaţia. (Bănulescu)
(39) Pe mine nu mă interesează asta. (39’) Mă interesează arta.
(40) Mihai a venit (nu Andrei). (40’) Mihai a venit.
(avec accent d’intensité) (sans accent d’intensité)

Dans les ajustements thématiques de type RETOUCHES, Touratier (1998)


fait des distinctions plus fines entre un THÈME appelé «propre» – qui se
trouve en première position – et les autres éléments, moins thématiques,
qui suivent, comme dans: Moi, mon fils, sa femme est malade.

39
2.5 Sujets grammaticaux (S) ou non-thèmes (nonT)

Un thème parfaitement intégré (voire «caché») dans la structure gram-


maticale se confond avec le sujet grammatical et n’apparaît pas comme
structure marquée au niveau discursif. Même si ce n’est plus un thème à
proprement parler, il reste ce qu’on pourrait appeler un «candidat au
thème». Il s’agit des sujets non détachés, en positions grammaticales
fortes ou prototypiques, c’est-à-dire non subordonnées, comme en (41)
et (42) ci-dessous:
fr (41) Je me sens beaucoup mieux. vs (41’) Moi, je me sens beaucoup mieux.
ro (42) Mihai a venit.

En français, le sujet n’est pas marqué thématiquement – v. l’ex. (41) vs


(41’), où il est thématiquement marqué. Dans l’exemple (42) en roumain,
le sujet n’est thématisé que s’il est frappé d’un accent d’intensité.

2.6 Compléments thématiques (CT)

Enfin, les constructions thématiques les moins marquées sont ce qu’on


appelle «compléments thématiques», ces fonctions grammaticales su-
bordonnées, parfaitement intégrées dans la structure grammaticale et se
situant par là en position d’arrière-plan discursif par excellence. Ce sont
les syntagmes introduits par des prépositions / locutions prépositives ou
des conjonctions / locutions conjonctives. Cette catégorie sera décrite
plus en détail dans le paragraphe qui suit.

Remarquons que ces «compléments thématiques» (CT) ne se constituent en fait


pas en THÈMES proprement dits, ou ne sont pas perçus comme tels (ce sont des
non-T, tout comme les sujets). Mais, ils peuvent le devenir dès qu’ils sont déta-
chés, car la position-îlot leur confère une thématicité plus marquée. Ils devien-
nent alors des thèmes moyens (TM) et inscrivent par là cette fonction de thème
au niveau discursif, macro-syntaxique, tout en restant, au niveau micro-
syntaxique, des compléments. C’est un cas évident de «dédoublement fonction-
nel», grammatical et discursif à la fois, un cas de «conversion pragmatique» (cf.
Pop 2000a: 58; 2001, ou, supra, Chap. 1 La conversion pragmatique; pour une
discussion similaire concernant le «cadrage thématique», Danon-Boileau & Mo-

40
rel 1997: 196-198 et, plus récemment, dans Travaux de linguistique française
no 47, 2003).

Pour ce cas de figure, il peut s’agir des mêmes thématiseurs à propos, au


sujet de, quant à retrouvés dans les exemples (29) et (30) ci-dessus; rap-
pelons que si leur position en détachement leur confère un certain pou-
voir thématiseur (appelé sous 2.3.2. «moyen»), en position liée, ces mê-
mes marqueurs sont ce qu’on appelle des «compléments thématiques»
(ou «compléments de relation») et thématisent moins. Si l’on compare
les couples d’énoncés (43)-(43’):
(43) Je ne suis au courant de rien à propos de cette fête .
(43’) A propos de cette fête , je ne suis au courant de rien.

ou les énoncés dans l’échange dialogal (48) ci-dessous, on peut facile-


ment dire qu’ils ne se distinguent que par un degré de thématicité diffé-
rent.

2.7 Gradualité du thème

Résumons la gradualité expressive du thème par le schéma suivant:

TFF > TF > TM > Tf > non-T (S, CT).

Ce schéma ne s’actualise que rarement dans les langues sous cette forme
complète, et les cas de figure discutés ci-dessous n’en sont le plus sou-
vent que des réalisations partielles. Un travail comparatif plus systémati-
que révèlerait des différences intéressantes.
Ce qui sera observé ci-dessous c’est l’expression grammaticalisée
du thème, et plus particulièrement le thème en subordination, avec des
cas similaires à ceux discutés sous 2.6.

41
3. Le THÈME grammaticalisé

Deux situations seraient notamment à prendre en considération:


– les cas non marqués (de sujet grammatical);
– les cas marqués par des «mots grammaticaux» subordonnants (prépo-
sitions, conjonctions et leurs substituts), qui, du point de vue gram-
matical, sont des compléments.
La fonction de sujet grammatical représente l’expression grammaticale
prototypique du thème (tout comme la fonction de prédicat pour la pré-
dication). Si l’on compare le français et le roumain, ces deux langues
romanes mettent en oeuvre des moyens pour la plupart similaires pour
exprimer le sujet, et s’il y a des différences, elles proviennent notam-
ment d’un système flexionnel beaucoup plus riche du roumain, qui, d’un
côté, laisse plus de mobilité au sujet et, d’un autre, rend l’emploi du pro-
nom sujet inutile (il est généralement «inclus» dans la désinence person-
nelle du verbe fléchi). Ceci fait du pronom sujet du roumain plutôt un
THÈME, car son emploi naturel indique toujours une rethématisation ou
relève d’emplois emphatiques.
Le problème du sujet grammatical est sûrement plus compexe si on le
rapporte au THÈME, et demande une attention à part. Dans la suite de ce
chapitre, je m’attache plutôt à observer ce qu’est le THÈME en position de
complément dans la phrase.
La terminologie grammaticale diffère du roumain au français. On parle:
– pour le français, et avec des introducteurs prépositionnels ou conjonctifs, de
compléments circonstanciels pertinentiseurs, de compléments thématiques et
de propositions sujet;
– en roumain, du complément circonstanciel de relation («complement circum-
stanţial de relaţie»), du complément de référence («atribut de referire») et de
la proposition sujet («propoziţie subiectivă»). (Les termes entre parenthèses
sont en roumain.)

Mais d’où viennent ces expressions introductives, grammaticalisées, du


thème? L’hypothèse que je fais ici est la suivante: si la thématisation
est, par excellence, une opération de structuration du discours, l’ori-
gine des prépositions et conjonctions qui en sont les marqueurs devrait se
situer dans une conceptualisation de type métadiscursif, c’est-à-dire

42
dans des expressions qui parlent du discours, sur un mode descriptif ou
sur un mode métaphorique.
On constate en effet que, à part les structures métadiscursives expli-
cites (3.1. ci-dessous), les métaphores discursives (3.2.) les plus fortes
qui seraient à l’origine des expressions grammaticales du thème en fran-
çais et en roumain seraient:
– la métaphore du DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS (3.2.1. ci-
dessous) et
– la métaphore du DISCOURS COMME OBJET (3.2.2. ci-dessous).
Ces deux métaphores sont courantes dans plusieurs langues, et attestent
d’une conceptualisation assez homogène de la catégorie de DISCOURS.
On le verra ci-dessous pour le roumain et le français. On considérera
comme résultat du même processus de grammaticalisation non seule-
ment des prépositions / locutions prépositionnelles et conjonctions / lo-
cutions conjonctionnelles comme au sujet de (marqueurs grammaticaux
au sens strict du terme), mais aussi leurs adverbes / locutions adverbiales
correspondantes, du type à ce sujet; même si ces derniers sont à propre-
ment parler des marqueurs anaphoriques, discursifs, on les considèrera
«grammaticalisés» au même titre que leurs paires prépositives / conjonc-
tionnelles, car ils perdu leur sens lexical ont en égale mesure et sont de-
venus des «outils» syntaxiques: si au sujet de connecte au niveau micro
de la syntaxe, à ce sujet relie au niveau macro-syntaxique.

3.1 Structures métadiscursives


ayant engendré des subordonnants thématiques

Du point de vue cognitif, tant en français qu’en roumain, les prépositions


/ locutions prépositives et les conjonctions / locutions conjonctives de
thématisation s’expliqueraient sémantiquement par des structures méta-
discursives sous-jacentes.
Pour le français, les marqueurs:
– à propos de, au sujet de (locutions prépositives),
– concernant, sur, pour, de, question (prépositions),
– si (conjonction),

43
– dire que (locution conjonctive)
semblent tous provenir d’expressions explicites du «dire», qui auraient
inclus à l’origine des verba dicendi (parler ou dire) ou des substantifs
métadiscursifs comme discussion, question. Certaines de ces expressions
ont trait à la référence du discours au monde, et on remarque facilement
que les expressions de ce type vont des plus explicites (Je fais référence
à) aux expressions d’une simple «relation» (comme relativement à –
locution prépositive, pour – préposition). Je propose pour le français le
schéma de grammaticalisation suivant, avec les expressions explicites /
lexicales (ML) qui auraient engendré les expressions implicites, procé-
durales par excellence, que sont les marqueurs grammaticaux (MG) ou
les marqueurs discursifs (MD) de thématisation:
EXPRESSIONS MÉTADISCURSIVES

ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées


MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
parler de/à propos de à propos de, à ce propos
discussion au sujet de/concernant/sur/ au sujet de, à ce sujet
pour concernant, sur, pour, si
(la) question au sujet de/concernant/sur/ question
pour/si relativement à
se prononcer sur
Je fais référence à quant à
dire que (dire) que

Les exemples en français de (43) à (55) ci-dessous rendent compte de


ces distinctions entre marques lexicales (ML), marques grammaticales
(MG) et marques discursives (MD), ainsi que des cas ambigus:
– notés MG/MD là où, pour un détachement, une marque grammaticale
MG de thématisation peut être considérée, par conversion, une mar-
que discursive MD de thématisation (45, 47, 53);
– notés ML/MG là où une structure lexicale ML peut être interprétée
comme grammaticale MG (43, 55).
(43) Lettre à Voltaire au sujet du poème sur la loi naturelle et le désastre de
Lisbonne [Rousseau, 1760] (repris à Gheorghiu) ML/MG

44
(44) Reste la question de la représentation du gouvernement à l’Expo. (Le
Temps) ML
(45) Question poisson, j’adore la sole. MG/MD
(46) … sa délibération quant au sort des fichiers… (Le Monde)
(47) Quant au drogues de substitution, il conviendrait de mener d’abord un en-
semble d’expériences dans des services hospitaliers au cours de cours en-
cadrées médicalement (repris à Fløttum) MG/MD
(48) A: Pis disons pour la pollution? MG
B: Pour la pollution? Moi je dis que… (repris à Laurendeau) MD
(49) Pour ça , elle est vraiment casse-pied, je ne te le fais pas dire. (repris à
Franckel & Paillard) MD
(50) Pour travailler, il travaille. MD vs Il travaille pour travailler. (id.) MG
(51) Ils ont pour voisins de palier un autre couple. (Le Figaro) MG
(52) Conversations sur divers sujets [Madeleine de Scudéry, 1680] (repris à
Gheorghiu) ML
(53) Sur les nominations: moi, je ne suis pas du tout hostile à ce qu’on réduise
le nombre des nominations faites au Conseil des Ministres. (Présidentielles
– Le Figaro) MG/MD
(54) Qu’est-ce qu’on prend comme dessert? Et en vin? MG
(55) Moi je te dis qu’il fasse beau ou pas je pars. (repris à Berthoud) ML/MG

Pour le roumain, par un processus de grammaticalisation similaire, les


prépositions / locutions prépositives ou les conjonctions / locutions
conjonctives de thématisation auraient à l’origine des expressions méta-
discursives du même type:
EXPRESSIONS MÉTADISCURSIVES

ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées


MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
a vorbi pe tema / despre pe tema
discuţie pe tema / despre despre/de
în chestia chestia cu
a se referi la referitor la
întrebare referitoare la
întrebarea dacă dacă
a se pronunţa asupra asupra
a spune că că

45
On voit bien qu’en se grammaticalisant, les expressions explicites per-
dent les verbes ou les substantifs «descriptifs» du dire (a spune că ‹dire
que›, a vorbi ‹parler›, a se referi la ‹faire référence à›, a se pronunţa
asupra ‹se prononcer sur›) et n’en garde, pour les structures subordon-
nées, que les prépositions ou conjunctions attachées à l’origine à ces
verbes ou substantifs, c’est-à-dire les marques grammaticales par excel-
lence; ici, pour le roumain:
– pe tema (locution prépositive),
– despre/de, asupra (prépositions),
– referitor la (locution prépositive),
– dacă et că (conjonctions).
Par ce processus de grammaticalisation, les structures propositionnelles (v. 56 ci-
dessous) se retrouvent donc réduites à des syntagmes (de 57 à 64) ou, au maxi-
mum, à des propositions sujet (65).

Exemples en roumain:
(56) Mă refer, domnilor, la alegerile pentru comună, mă refer, domnilor, la ale-
gerile pentru Senat. (Baranga) ML
(57) Cât despre cheltuială… te voi împrumuta eu. (Drăghici, repris à GA)
MG/MD
(58) Despre haină ştia că e făcută din pieile de bivol lăsate Fibulei de Kira-cea-
Mare. (Bănulescu) MG/MD
(59) De circulat prin Metopolis, să circule numai «sora mea»… (id.) MG/MD
(60) Vai de mine! MG vs De mine e vai ş-amar! MD
(61) De trup eşti mărunţel, nu-i vorbă, dar la fire eşti mare. (Creangă) MG/MD
(62) Amândoi ne potrivim / Şi la trup şi la uitat (Jarnik-Bîrseanu) MG
(63) Numai aş vrea să ştiu cum rămâne cu moşu-tău. (Creangă) MG vs Cu mo-
şu-tău cum rămâne? MD
(64) Ce mănânci ca desert? MG vs Ca desert, ce vrei? MD
(65) Şi dac-a fost peţită des / E lucru tare de-nţeles. (Coşbuc) MG/MD

Une remarque comparative des deux langues: pour les expressions thé-
matisantes les plus réduites (prépositions «vides» ou quasiment vides,
exprimant la référence par un simple rapport de «relation»), le français a
spécialisé les prépositions sur, comme en (53) et pour, comme dans les

46
exemples de (48) à (51), tandis que le roumain utilise asupra (‹sur›),
despre (‹de, concernant›), comme en (58) et de (‹de›), comme dans les
exemples déjà mentionnés de (59) à (61). Le français thématise les ver-
bes à l’aide de pour + infinitif (50):
(50) Pour travailler, il travaille. vs Il travaille pour travailler. (repris à Franckel
& Paillard) MG/MD

tandis que le roumain le fait à l’aide de de + supin (59):


(59) De circulat prin Metopolis, să circule numai «sora mea»… (Bănulescu)
MG/MD

3.2 Structures métaphoriques ayant engendré


des subordonnants thématiques

Deux métaphores, les plus émergentes, paraît-il, seraient à l’origine de la


plupart des thématiseurs (cf. 3.2.1. et 3.2.2. ci-dessous), à savoir: LE DIS-
COURS COMME ESPACE PARCOURS et LE DISCOURS COMME OBJET.

3.2.1 Le discours comme espace parcours


Cette métaphore se trouve explicitée chez Fauconnier (1984), qui voit le
discours divisé en deux espaces:
– d’un côté, l’espace de la narration par excellence (appelé «espace
raconté») où sont narrés les événements;
– d’un autre côté, un espace secondaire, vu comme un chemin à parcou-
rir par le scripteur en compagnie du lecteur («espace parcours»). Sur
ce parcours, qui est en fait l’espace du texte, le narrateur serait censé
donner des indications de route au lecteur: pour continuer, s’arrêter,
reculer, etc. La preuve en sont des expressions explicitant des mou-
vements à faire sur ce parcours imaginaire: avancer, revenir en ar-
rière, s’arrêter, s’approcher ou s’éloigner, c’est-à-dire se situer dans
des points distincts, loin ou tout près du «sujet» / «thème», etc. A côté
d’expressions par des verbes de déplacement comme celles-ci, des
expressions spatiales – adverbiales ou prépositives – sont souvent
utilisées, en vertu de cette même métaphore qui témoigne d’une re-

47
présentation spatiale du discours: là, à côté, plus avant, chemin fai-
sant, ci-après, sur, outre, à… (cf. aussi Berrendonner 1997: 219-237).
Observons dans le tableau ci-dessous quelques expressions méta-
phoriques attestant de ce travail métadiscursif qui est à l’œuvre dans
toute production discursive. Pour le français:
LE DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS
ML (Marques lexicales explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Nous approchons du sujet/thème
Nous nous éloignons du sujet/thème
Nous sommes avancés dans ce sujet
Nous nous arrêtons à ce sujet à ce sujet, au sujet de, sur (ce sujet)
Revenons en arrière
A côté de cette question… à côté de
Du côté de… du côté de, côté
Premièrement, deuxièmement…
C’est là que je voulais en venir… là
Je vous vois venir…
Nous avons dépassé le sujet outre
A partir de là…

Remarquons la gradualité de ces expressions: si certaines gardent leur


forme lexicale (ML), explicite, et ne se sont pas grammaticalisées (Nous
approchons / nous nous éloignons du sujet, …), d’autres, par contre,
sont:
– des adverbiaux, de règle anaphoriques, se situant à mi-chemin entre
l’expression lexicale et l’expression grammaticale proprement dite: à
ce sujet, sur ce sujet, là;
– des marqueurs discursifs (MD), tels les marqueurs d’intégration
linéaire (MIL), une catégorie de MD spécialisés exclusivement pour
l’organisation «spatiale» du discours descriptif (premièrement,
deuxièmement, …).
Enfin, une dernière catégorie regarde ces expressions précisément qui
ont pu se grammaticaliser davantage et devenir ce qu’on appelle des
mots-outils ou marqueurs grammaticaux (MG): au sujet de, à / du côté

48
de (locutions prépositives), sur, outre, côté (prépositions). Cette gradua-
lité pourrait se représenter schématiquement comme:

ML > adverbiaux / MD > MG

Voici quelques exemples en français:


(66) Rien de probant du côté de l’Italie. (Le Figaro) ML/MG
(67) Côté blague / ça ne va pas très fort dans l’équipe (TV5) MG/MD
(68) Je me suis arrêté sur cet aspect… ML
(69) Sur Racine [R. Barthes] (repris à Gheorghiu) MG /MD
(70) Sur les nominations: moi je ne suis pas du tout hostile à ce qu’on réduise le
nombre des nominations faites au Conseil des Ministres. (Présidentielles –
Le Figaro, repris à Martinie & Sitri) MG/MD
(71) Il se trouve seulement qu’Esther échappe à son environnement, va au théâ-
tre et se découvre une irrésistible vocation pour les planches en même
temps qu’un certain culot pour s’y faire admettre. A partir de là , on espère
que le propos va s’élargir et se consacrer à la fulgurante ascension de
l’héroïne vers la gloire. C’est là d’évidence l’intention de Desplechin. (Le
Figaro) MD

Comme pour le français, il y a pour le roumain (v. tableau ci-dessous):


– des expressions très explicites et, donc, difficilement grammaticalisa-
bles: Ne apropiem / îndepărtăm de subiect ‹Nous approchons / nous
éloignons du sujet›, Să ne oprim / întoarcem la acest subiect ‹Arrê-
tons-nous / Revenons à ce sujet›, Văd unde bateţi… ‹Je vous vois ve-
nir›;
– des expressions à moitié grammaticalisées: les adverbiaux pe / la
această temă ‹sur / à ce thème›, la acest subiect ‹sur / à ce sujet›, pe
lângă / dincolo de (aceasta) ‹à côté de / outre›, aici ‹ici›);
– les expressions effectivement grammaticalisées: pe lângă ‹à côté
de›, dincolo de ‹au-delà de›.

49
LE DISCOURS COMME ESPACE PARCOURS
ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Ne apropiem de subiect pe această temă
Ne îndepărtăm de subiect/temă
Suntem avansaţi în această temă
Să ne oprim la această temă /problemă / la această temă/acest subiect
acest subiect
Să ne întoarcem la…
Pe lângă acest subiect… Pe lângă (aceasta,)…
Mai întâi, în al doilea rând… Mai întâi, în al doilea rând…
Aici voiam să ajung… Aici, …
Văd unde bateţi…
Am depăşit tema… Dincolo de…

Une comparaison entre le français et le roumain donnerait le français


comme ayant un degré de grammaticalisation légèrement accrû par rap-
port au roumain, où les équivalents de sur et là (*pe, *acolo) ne seraient
pas des thématiseurs comme leurs équivalents français, c’est-à-dire ne
seraient pas fonctionnellement identiques à leur emploi en français. Mais
là (= acolo) du français correspondrait à aici (= ici) du roumain. Seules
pe lângă (‹à côté de›) et dincolo de (‹au-delà de›) (en italiques dans le
tableau ci-dessus) se seraient grammaticalisés comme thématiseurs, à
l’instar de leurs équivalents français à côté de et au-delà de. En revan-
che, d’autres expressions roumaines s’y situeraient à un degré de grama-
ticalisation intermédiaire, sous la forme de marqueurs discursifs (MD) –
adverbes, ou locutions circonstancielles: pe această temă, la această
temă, aici (litt. ‹sur ce thème, à ce thème, ici›). Enfin, un équivalent de
côté, grammaticalisé en préposition, n’existe pas en roumain contempo-
rain, si ce n’est la forme archaïque dinspre (litt. ‹du côté de›), telle
qu’elle est utilisée chez le poète Mihai Eminescu, renforcée par le subs-
tantif à sens spatial partea (‹partie›): Dinspre partea închinării, însă,
Doamne, să ne ierţi… (‹Pour ce qui est de capituler, Seigneur, pardonne-
nous…›).

50
3.2.2 Le discours comme objet
Une métaphore émergente de la thématisation identifierait le discours à
un objet qu’on regarde, qu’on construit, qu’on manipule. A preuve, cer-
taines expressions littérales ayant trait à la vue ou à la perception d’un
objet qu’on se passe de l’un à l’autre, ou les expressions ayant trait, plus
abstraitement, à la perception d’un fait (objectualisation du faire). Le
français utilise à cet effet les verbes et locutions regarder, jeter un re-
gard, voir, prendre, reprendre, tenir, poser, toucher, etc., et les gramma-
ticalise comme suit:
LE DISCOURS COMME OBJET
ML (Marques lex., explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Regardons… / Regarde / Voici regarde
Voyons / Je vois… du point de vue, point de vue, vu
Concernant… concernant
Au niveau de… au niveau de, niveau
Du côté de… du côté de, côté
Prenons / Posons… / Tiens… tiens
Pour reprendre…
le fait que + prop. que
le fait de + Inf. de

Notons, avec Danon-Boileau & Morel que certains marqueurs (côté,


niveau) peuvent appartenir à la métaphore du DISCOURS-ESPACE et à la
métaphore du DISCOURS-OBJET à la fois:

si l’objet sur lequel porte le discours est […] conçu comme un objet nettement
structuré et organisé, l’énonciateur a recours alors à des Nprép [noms préposi-
tionnels] tels que côté, niveau. Ceux-ci mettent immédiatement en jeu un système
quasiment spatialisé de relations et de parallélismes. (Danon-Boileau & Morel
1997: 198)

A l’instar, pourrait-on dire, des opérations qui se mettent en place dans la


construction des séquences discursives sujettes à la pure «logique de
l’objet». Jean-Michel Adam utilise pour ce type d’opérations le terme
générique d’«aspectualisation», constituée, elle, de la prise en considéra-

51
tion des différents aspects ou parties d’un objet, comme autant de thè-
mes possibles (cf. Adam 1997: 84):
une partie sélectionnée par aspectualisation peut être choisie comme base d’une
nouvelle séquence, prise comme nouveau thème-titre et, à son tour, considérée
sous différents aspects: propriétés éventuelles et sous-parties (ibid.: 93).

Exemples en français:
(72) Regard sur le Monde actuel [Paul Valéry, 1931] (repris à Gheorghiu) ML
(73) Regarde, là , une mésange. (repris à Berthoud) MD
(74) Considérations sur la France [Joseph de Maistre, 1797] (repris à Gheorg-
hiu) ML/MG
(75) Concernant ce problème, on verra plus tard. (repris à Berthoud) MG/MD
(76) Côté Vivendi, la transaction pourrait présager à terme une sortie définitive
du secteur énergétique. (Le Figaro) MG/MD
(77) Prenons par exemple l’affaire des vins frelatés. (repris à Berthoud) ML
(78) Mémoires touchant les choses advenues pour le fait de la religion à Mont-
pellier et dans le Bas-Languedoc [Jean Philippi, 1550-1600] (repris à Gheorg-
hiu) ML
(79) Le fait que ces adaptations ont été annoncées à deux jours d’une élection
complémentaire à la municipalité est naturellement une pure coïncidence.
(Le Temps) ML
(80) Que l’affaire échoue, ça n’émeut pas Pierre. (repris à Fradin) MG/MD
(81) Comment t’aurais pu lire ce livre, espèce de crétin, puisque tu sais pas?
Que lire t’as jamais su? (repris à Querler) MG/MD
(82) Ça ne lui avait pas effleuré l’esprit, que Marie rentrerait demain. MG/MD
(83) Heureusement qu’il est là! (repris à Furukawa) MG
(84) J’en ai marre de faire le gigolo. (repris à Berthoud) MG
(85) De l’Allemagne [Mme de Staël, 1813] (repris à Gheorghiu) MG/MD

Quant au roumain, il utilise à cet effet les mêmes verbes et locutions que
le français: a privi ‹regarder›, a arunca o privire ‹jeter un regard›, a ve-
dea ‹voir›, a lua ‹prendre›, a relua ‹reprendre› ou l’interjection iată ‹voi-
ci, voilà›, auxquels s’ajoute le substantif fapt ‹fait› constitutif des locu-
tions faptul că ‹le fait que› et faptul de ‹le fait de›, etc., et les gramma-
ticalise comme suit:

52
LE DISCOURS COMME OBJET
ML (Marques lexicales, explicites) > Marques ± grammaticalisées
MG: prép./loc. prép., conj./loc. conj.
MD: adverbiaux
Să privim… în (ceea) ce priveşte
Să aruncăm o privire… cu privire la, în privinţa
Privind privind, privitor la
Să vedem din punct(ul) de vedere (al)
din acest punct de vedere
Văd/ îl văd pe, o văd pe…
Se dă… Se dă…
Să luăm…
Avem… Avem…
faptul că faptul că, că
faptul de de + verbe supin

Exemples en roumain:
(86) În ceea ce priveşte partea stângă a oraşului, de la seminar în sus e declarat
contaminat. (Baranga) MG/MD
(87) În ceea ce priveşte obligaţiile lui Glad, luate la venirea la Metopolis, în
timpul prânzului aceluia de la casa parohială, faţă de generalul Marosin,
astea îl scuteau de-a se expune prea mult în faţa ochilor metopolitenilor
[…] (Bănulescu) MG/MD
(88) Când a plecat de la Aram Telguran, Iapa Roşie scria, citea, socotea ca un
om cu şcoală. Iar cât priveşte Biblia, a aflat-o de la el aproape toată. (id.)
MG/MD
(89) Că în Dicomesia se nasc mai mult băieţi şi că de aceea dicomesienii au ne-
voie de fete venite din alte părţi, poate că e numai o înşelăciune a ochiului.
(id.) MG/MD
(90) Ne doare c-a fost scris aşa. (Coşbuc) MG
(91) Pesemne că m-o fi cunoscând dlui. (Caragiale) MG

4. Les thèmes entre grammaire et discours: MG/MD

Pour faire le point sur le fonctionnement des prépositions et conjonctions


«thématiques», soulignons quelques constatations qui découlent des ob-
servations précédentes: dans les syntagmes intégrés, les prépositions et

53
conjonctions «thématiques» sont à prendre comme de simples MG, si-
gnalant des fonctions grammaticales, alors que dans les mêmes syntag-
mes détachés et / ou disloqués, elles se trouvent déjà «converties» en
MD et indiquent des fonctions discursives ou pragmatiques supplémen-
taires. Ce qui revient à dire que de positions thématiques faibles (S ou
CT), elles passent en positions thématiques moyennes (cas où les mêmes
S ou CT sont détachés; cf. supra 2.3.2.). J’ai appelé ce type de «dériva-
tion illocutoire» conversion pragmatique (cf. Pop 2000a: 58; 2001, ou
supra, Chap. 1 La conversion pragmatique). Pour l’opération de théma-
tisation, elle concerne plus particulièrement la conversion, par déta-
chement, d’un SUJET grammatical en THÈME. C’est le maillon le plus
faible, par où la grammaire peut passer en discours, le lieu de l’arti-
culation grammaire-discours (articulation micro-syntaxe − macro-
syntaxe). Dans les exemples analysés, v. tous les cas marqués MG/MD.

5. En guise d’ouverture: les changements


thématiques au fil du texte

Je donne de (92) à (95) quatre séquences de texte où le changement /


négociation du thème est rendu évident par les marqueurs en italiques.
On peut y voir pour la thématisation aussi bien des expressions lexicales,
explicites, que les expressions grammaticalisées. A remarquer aussi
l’emprunt tel quel du marqueur à propos en roumain (95). Ces exemples
invitent à une étude plus détaillée du thème au fil du texte et à une ré-
flexion sur les choix qu’effectuent les locuteurs / scripteurs entre les
thèmes plus forts et les thèmes plus faibles. (Les entités que les locuteurs
veulent signaler comme THÈMES intentionnés ou non sont notées ci-
dessous en PETITES MAJUSCULES.)
(92) «Une tempête dans un verre d’eau», a déclaré, hier à Tarbes, le ministre de
l’Agriculture, Jean Glavany, à propos de L’AFFAIRE DU COLZA GÉNÉTIQUE-
MENT MODIFIÉ […] Et il a déclaré qu’il n’était «pas question» de DÉTRUIRE
LES PARCELLES CONTAMINÉES […] A moins de vouloir prendre un chemin
hasardeux et long alors qu’on peut emprunter une voie directe et rapide.

54
Voilà pour LA PROCÉDURE. Quant au DÉBAT DE FOND, il reste entier. (Le Fi-
garo)
(93) CES DERNIERS vont pourtant, dans leur immense majorité, rejoindre les
rangs de l’économie privée. Quant aux 85% RESTANTS, ils vont, pour la
plupart, s’y diriger aussi. Votre propos n’est donc pas, contrairement à ce
que vous affirmez, de REVALORISER LES PROFESSIONS MANUELLES qui man-
queraient de candidats. Il s’agit de POUSSER LES MEILLEURS ÉLÈVES, scolai-
rement parlant, vers des apprentissages. (Le Temps)
(94) LES ENFANTS DE LUC sont dans le jardin. PIERRE joue avec ses autos.
SOPHIE, elle est assise sur l’herbe et chante pour ses poupées. (repris à
Fløttum)
(95) L: bun dar se pricepe la agricultură cu tractoarele cu combinele
I: nu nu bine nu se pricepe aicea eu l-am chemat aia-i toată chestia cu
AGRICULTURA da stai: à propos de HANDICAPURILE LUI LA PREZIDENŢIE/ să
nu uit
L: da
I: la AGRICULTURĂ deci: el nu: e greu să
L: asta e părerea dumneavoastră
I: e greu să/ e greu să crezi totuşi/ că: un om care a trăit în Primăverii/ cum
a fost Petre/ dar nu e vina lui şi nu-l acuz pentru asta e mare expert ă:: în
agricultură
L: şi în Primăverii te poţi ocupa cu creşterea viermilor
I: cum nici eu eu n-am crescut în Primăverii/ am crescut în Slobozia da
L: cu CREŞTEREA VIERMILOR DE MĂTASE ÎN PRIMĂVERII/ nu-i nici o proble-

I: nu ştiu dacă sînt atâţia duzi/ că toţi viermii de mătase să stea acolo/ nu
eu l-am chemat
L: (râs)
I: păi eu l-am chemat/ pă: pă Petre: Roman la: acea întâlnire cu agricultorii/
impresionat de drama unor nu de problema DRAMĂ/ nu
L: ajungem şi acolo
I: da aicea: treceam la AGRICULTURĂ/ şi asta de ă: hai s-o amânăm puţin/
fiindcă am amânat-o şi să spun că HANDICAPURILE LUI PETRE/ că despre
asta vorbim
L: vă rog
I: despre CANDIDAŢII LA PREŞEDINŢIE/ şi revenim la ALTE PERSONAJE
L: da
I: deci Petre una că E LA CONDUCEREA ROMÂNIEI E PREŞEDINTELE
SENATULUI ŞI ESTE ÎNTR-O COALIŢIE care nu mai are succes/ clar aşa şi două
chestia ă:: ă:: cu faptul că I SE IMPUTĂ CĂ ESTE: EVREU/ că-n România încă
din păcate/ naţionalismul ăsta… (Corpus Pop)

55
Comme on peut le voir dans ce dernier exemple, le choix du thème ou
des thèmes pertinent(s) devient très souvent difficile dans une interview,
car le locuteur peut avoir du mal à faire le bon choix pour les éléments
thématiques les plus pertinents à son argumentation.
Les virtualités thématiques des énoncés, la divergence d’interprétation de l’infor-
mation thématiquement pertinente, ainsi que la sélection d’un thème pertinent ont
été discutées par Auchlin (1986) et de Fornel (1986); l’ajustement thématique par
des éléments plus ou moins thématiques, par Touratier (1998). Enfin, la notion de
mouvement thématique se retrouve chez de Fornel (ibid.).

56
Chapitre 3

D’une prédication à l’autre

Dans ce chapitre, je me propose:


− dans un premier temps, de passer en revue les différents types de pré-
dication ou ce que l’on désigne sous ce nom, pour,
− dans un deuxième temps, aborder plus en détail le fonctionnement de
ce que j’appellerai la prédication pragmatique, et ce dans le cadre de
ma théorie des «espaces discursifs» (cf. Pop 2000a).
Je mettrai l’accent sur le fait que la notion de prédication est bien une
catégorie floue, avec des manifestations plus fortes ou moins fortes,
comme d’autres catégories plus ou moins grammaticales (entre autres, le
sujet-thème déjà traité au chapitre précédent).

1. Pour une typologie de la prédication

La typologie de la prédication dont je tente de donner une image tant soit


peu globale ci-dessous ne prétend pas à l’exhaustivité, ni ne se réclame
d’un classement généralement adopté: c’est une perspective intégrant
deux catégories qui me paraissent pertinentes dans une première ap-
proximation: une PRÉDICATION SÉMANTIQUE et une PRÉDICATION PRAG-
MATIQUE. La première attribue des propriétés à des «objets du monde»,
la seconde parle de l’énonciation. Ces deux types de prédication seront
vus, au niveau de l’expression, comme phénomènes graduels allant du
propositionnel vers le moins propositionnel, de l’explicite vers l’impli-
cite, d’une acception stricte – celle de PRÉDICAT proprement dit (catégo-
rie nette) – vers l’acception large – celle de PRÉDICATION (catégorie
floue), elle-même plus ou moins diffuse ou amorphe. Enfin, des cas de
fusion entre les types sémantique et pragmatique seront pris en considé-
ration, sous le nom de prédication complexe (v. le bas du tableau).

57
Types de préd. 1.2. P r é d i c a t i o n s d ’ é n o n c i a t i o n 1.1. Prédications «sur le monde» (sémantiques)
Marqueurs• (pragmatiques) primaires secondaires
Marques • préfixes énonciatifs (1.2.1.) • P. logico-philos. (1.1.1.):
analytiques • commentaires métadiscursifs (1.2.1.1.): Le (Lyons ‘68/’89)
(descriptives, thème de mon exposé va être... • gramm./canonique (1.1.2.)
dénominatives, • verbes performatifs (1.2.1.2.): je te pro- P. prototypique = vb conjugué:
assertives) mets de…, je t’ordonne de… Prédicat principal (1.1.2.1.) Prédicat subordonné (verbe régi)
• verbes d’opérations logiques / «recteurs (verbe régissant) (1.1.2.1.):
«prédicativité» faibles» (CBB ‘89) ou «parenthétiques» en • prédication (1.1.2.2.): Quand le chat est parti, les souris dansent.
(Seiler ‘97) position préface (Récanati ‘79, ‘84) p. première (constitutive)
(1.2.1.3.): savoir, croire, supposer, imagi- • expliquée: i. complète
ner, penser: Je crois qu’il pleut. (Wilmet ‘97a): Le chat parti, les
souris dansent.
Marques • expressions en incise (1.2.2.) ii. incomplète p. seconde (1.1.2.2.) (Wilmet ‘97a,b)
moins analyti- •incises pr. dites (vbs de citation, CBB ’97): Pierre intelligent? • discursive/extérieure/transphrastique
ques dit-on, je veux dire, ça s’appelle… • étiquettes: Maison à louer. • infinitifs de narration:
•parenthétiques détachés (Récanati 79,’84): Pommes. (Wilmet ‘97a,b) Et l’assistance d’applaudir. (Melis ‘00)
Il pleut, je crois. «implicite» (Lefeuvre ‘98): • constr. à relatives de perception:
• marqueurs «indicatifs» d’actes (1.2.3.) Parfait! Vents et pluie. Voilà le facteur qui arrive. (Lambrecht‘00)
• «délocutifs» (Anscombre • «opérateurs de prédication»: • appositions (Wilmet ‘97a,b, Forsgren’00,
‘80): s’il te plaît, voulez-vous, pouvez-vous, les semi-auxiliaires (Rousseau CBB ‘00): Je tiens absolument moi poli-
avez-vous, disons... ‘00) cier à venir vous voir.
• thématiseurs: quant à, pour ce qui est de, • adj. détachée («préd. réduite», Combettes
concernant, pour, il y a, avoir, formes ‘98b): Malade, il n’est pas venu.
toniques... • constr. absolues: Le chat parti, les souris
• reformulatifs: je dirais plutôt, enfin, bon... dansent. Pierre est arrivé, les mains ds les
poches. Pierre est torse nu. (Hamon ‘87)
Marques plutôt • «mots-phrases» (1.2.4.) • impliquée (Wilmet ‘97a) Aïe! • intra-phrastique/intérieure (LF 127)
synthétiques • interjections prédicatives: Allez! Regarde! • part. prés.: La sultane s’est levée mettant
(montrées) Ecoute! Tiens!: Il était très malade. Puis là, fin à…. (P.complexe) (Herslund ‘00)
tout à coup tiens, ça s’est mis à aller mieux. • constr. à thème spatialement localisé:
Tiens! =[j’attire ton attention sur le fait que Elle est là qui pleure. (Furukawa ‘00)
«procédures» le contenu de ton intervention est tout à • relatives préd. («avoir», «il y a»): J’ai la
coup renversé dans P.] (Dostie&Léard‘99 ) petite qui est fatiguée. (Lagae&Rouget’98)
•adverbes «ad-phrase»: Heureusement qu’il • «avoir» en emploi attributif: J’ai une
pleut. (Furukawa ‘99 «adv.-prédicat»/Lagae place de libre. (Kupferman ‘00)
«relation préd. inversée»/CBB «associés»); • après vbs perception: Elle se voyait
ro cic («dit-on»): E cel mai bun, cic . avocate. (Willems & Defrancq ‘00)
• «mots du discours» (1.2.5.) • constr. adj.: Il a bu son café tiède. (Mul-
• marqueurs discursifs: mais, eh bien, ben ler ‘00)
• «ponctuants»: c’est tout, quoi, là • constr. avec C. prép.: Paul m’a séduit par
ses bonnes manières. (Cadiot ‘00)
• prédication interne au SN: attribut,
épithète: Pierre est rentré ivre. On l’a
nommé ambassadeur. Je préfère mon thé
bien chaud. (Forsgren ‘00)
Marques • déictiques (1.2.6.): • p r é d i c a t i o n s « p r o f o n d e s » = opérations cognitives (1.1.2.2.)
implicites • temps verbaux • «Nommer c’et déjà prédiquer» (Siblot ‘98) = prédication dénominative
• je: [chercher dans la description de la (jugements thétiques)
«indicativité» situation la personne qui parle] (Reboul & • «a given meaning of any expr.» (Langaker ‘91): the big blue plastic cup
(Seiler ‘97) Moeschler ‘98) • prédications nominales vs préd. relationnelles (processus, rel. atemp.)
• présentatifs: c’est...qui... • les formes = traces d’opérations (Culioli ‘90): chez = rel. préd. de localis.
vraiment = attracteur à l’intérieur du domaine notionnel
• prédications de type identifiant vs de type qualifiant etc. (Combettes ‘98)
• MAN (marqueurs d’ajustement notionnels) (Rieu ‘00): absolu, total
Marques pros., • ruptures synt. : la «conversion pragmatique» par détachement d’une fonction gramm. (1.3.)
pauses, cadrage/localisateurs < circonstanciel
contours A 5 ans, il jouait du piano. <Il jouait du piano à 5 ans. (Combettes ‘98a, Pop ‘00)
inton., ponc- Il jouait du piano. A 5 ans.
tuation (cf. Berthonneau ’87)
Marques P r é d i c a t i o n s c o m p l e x e s ( s é m a n t i c o - p r a g m a t i q u e ) : référence + prédication non canoniques (1.4.)
implicites •adjectifs/noms qualifiants: un maudit Français (= malédiction, cf. de Cornulier ‘76); cet abruti de Pierre (=injure, cf. Ans-
complexes combre ‘80); a monster of a man (Bonker ‘99)
pragma-sém. •marqueurs «potentiels» d’actes: impératif (ordre), futur (promesse)
•interjections déictiques: Dehors! (Wilkins ‘92) (complexe prédicationnel) = type le plus primitif de proposition (Curme),
énoncés instinctifs (Sapir)
•gestes: agenouillement [J’ai une très bonne pensée pour toi. Je ne pourrais jamais penser la même chose de moi]
(Wierzbicka ‘95)
Le tableau et le commentaire qui l’accompagne essaient de donner un
aperçu global de ces types distincts de prédication et ne veulent que fixer
quelques repères dans le domaine si vaste du phénomène. On lira le ta-
bleau:
− horizontalement, afin d’avoir en vue les 2 grands types de prédication
se manifestant en même temps dans un énoncé:
− à droite, la PRÉDICATION SÉMANTIQUE (1.1.), celle-ci comportant,
comme sous-divisions:
− une prédication primaire et
− une prédication secondaire,
correspondant, en grand, respectivement à la prédication princi-
pale et à la prédication subordonnée, catégories classiques des
grammaires;
− à gauche dans le tableau, la PRÉDICATION PRAGMATIQUE (1.2.);
− verticalement, afin de passer en revue les types de marqueurs les ac-
tualisant, allant des plus explicites (plutôt verbes), situés en haut du
tableau, vers les plus implicites (plutôt non-verbes), en bas du ta-
bleau.
(Abréviations: p. = prédication; P. = prédicat; CBB = Claire Blanche-Benveniste;
LF = Langue française)

1.1 Les prédications sémantiques

1.1.1 Acception logico-philosophique


Dans l’acception logico-philosophique de la notion, la prédication repré-
sente l’attribution de propriétés à des choses (cf., par exemple, Lyons
1968, 1989: 270-271, ou autres définitions de ce type).

1.1.2 Acceptions grammaticales.


De la notion de prédicat à la notion de prédication
1.1.2.1. Pour ce qui est des premières acceptions grammaticales, for-
cément canoniques, elles voient en la prédication d’abord le PRÉDICAT
sous sa forme prototypique de verbe conjugué et, comme dans toutes les

60
grammaires classiques, tendent plutôt à nier la valeur de prédicat à
d’autres parties du discours et à d’autres formes du verbe que les formes
fléchies à un mode personnel: la plupart des grammaires scolaires sui-
vent religieusement cette vision.
Dès qu’on élargit la perspective propositionnelle vers une perspective
phrastique, deux types de prédicats sont considérés constitutifs de la
phrase:
− un prédicat principal (sous la forme d’un verbe régissant) et
− un prédicat subordonné (sous la forme d’un verbe régi).
Dans une phrase comme Quand le chat est parti, les souris dansent, la
première proposition (avec son prédicat) est subordonnée à la seconde,
considérée, elle, tout comme son prédicat, principal(e). (Dans les exem-
ples du tableau, ce n’est que la séquence visée qui est donnée en itali-
ques.)
1.1.2.2. Les grammaires plus modernes voient de façon plus permissive
non seulement la notion de «prédicat», mais aussi la binarité principal-
secondaire, et va traiter les phénomènes en termes de «prédication» –
notion nettement moins restrictive que la première. Ainsi, dans la
Grammaire critique… de Wilmet (1997a: 491), une «prédication pre-
mière» (considérée «constitutive» de l’énoncé) sera mise en rapport avec
une «prédication seconde» (dite «surajoutée à l’énoncé»).
LA PRÉDICATION PREMIÈRE
Wilmet (1997a: 492) la classifie en:
− expliquée, dont l’expression est explicitée par un verbe à un mode
personnel, par ex.: Je ressens une vive douleur. Celle-ci peut elle-
même être:
− complète (le verbe porte la prédication par le truchement de la co-
pule qu’il incorpore): Pierre est intelligent;
− incomplète, de type elliptique, comme par exemple dans le lan-
gage affectif (Pierre intelligent?) ou dans les «étiquettes» du type:
Maison à louer ou Pommes;
− impliquée, exprimée par des mots prédicatifs comme les interjec-
tions. Pour reprendre l’exemple de Wilmet, Aïe! serait la version

61
«impliquée» (indicielle) de la prédication «expliquée» (ou descrip-
tive) de Je ressens une vive douleur.
Entre autres, les semi-auxiliaires seraient moins que prédicats, des
«opérateurs de prédication», correspondant à ce que l’on appelle aussi
verbes-supports ou préverbes (cf. Rousseau 2000: 33-34). Rousseau y
inclut les «verbes de modalité», les «verbes de perception» (voir, enten-
dre), les «verbes de croyance» (penser, croire), des verbes de comporte-
ment (essayer, s’efforcer, renoncer), des «verbes d’attitude» (souhaiter,
accepter, refuser).
On s’apercevra que certains de ces semi-auxiliaires peuvent corres-
pondre, indifféremment, à la prédication principale, secondaire, sémanti-
que ou pragmatique, selon le point de vue adopté (cf. le tableau ci-
dessus; et 1.2.1.3. ci-après), et que d’autres seront constitutifs de «péri-
phrases verbales».
Enfin, j’aimerais mentionner l’approche de Florence Lefeuvre qui
distingue deux types de prédication averbale:
− une prédication averbale définie comme «acte qui attribue un prédicat
averbal à un sujet», dont l’une serait plus explicite (du type Heureux,
les pauvres! ou Merveilleux, ces roses!), et une autre implicite
(comme dans Parfait!);
− une prédication averbale définie comme «acte qui pose l’existence du
référent du prédicat averbal»: Vent et pluie (1998: 171).
LA PRÉDICATION SECONDE
Ce qu’on appelle aujourd’hui «prédication seconde» a déjà fait couler
assez d’encre, car la notion est assez floue et les perspectives dont on
l’appréhende très diverses.
Selon Wilmet, par exemple (1997a: 516; 1997b: 422), ce serait une
«prédication facultative, surajoutée à l’énoncé, greffée sans copule sur
un terme quelconque de la prédication première» et «conférant à son
thème la fonction d’apposé» et «à son rhème celle d’apposition». Selon
le numéro 127 de Langue Française (2000):
La prédication seconde, c’est celle qui est réalisée par un type de séquence qui est
syntaxiquement intégré à la phrase, mais dans lequel l’élément nominal concerné
ne constitue pas sémantiquement une tête par rapport à l’élément non nominal
impliqué (p. 4).

62
Elle pourrait se présenter:
A. au niveau discursif et serait appelée «extérieure» ou «transphras-
tique» (par rapport, en général, à une prédication première exprimée
dans une phrase antérieure); c’est surtout le cas des infinitifs de narra-
tion, du type Et l’assistance d’applaudir (Melis 2000) et des construc-
tions à relatives de perception comme Je vois / Voilà le facteur qui passe
(Lambrecht 2000), où le présentatif, ainsi que le verbe «voir», ne se-
raient que des formes discursives introduisant des entités nouvelles dans
1
le discours.
Plusieurs cas de constructions détachées semblent bien appartenir à
cette catégorie, les constructions appositives étant, d’après Wilmet
(ibid.), essentiellement des prédications secondaires:
− les appositions du type:
Je tiens absolument moi policier à venir vous voir.

énoncé où, comme c’est un exemple de l’oral, Claire Blanche Benve-


niste (2000) voit dans les deux unités tonales qui s’y distinguent un
«effet de parenthèse»;
− les adjectifs détachés, cas de figure appelé par Combettes (1998b)
«prédication réduite»:
Malade, il n’est pas venu.2

− les constructions absolues dont s’occupe surtout Suzanne Hamon


(1987), telles:
Le chat parti, les souris dansent.
Pierre est arrivé, les mains dans les poches.
Pierre est torse nu.

B. au niveau phrastique (et elle s’appellerait alors «intérieure» ou


«intra-phrastique» et serait représentée par des segments syntaxique-
o
ment intégrés); le n 127 de Langue française, comme d’ailleurs Naoyo
Furukawa (1996) s’en occupent largement. Il s’agirait de segments où les

1 Le verbe voir est grammaticalisé dans ces emplois en marqueurs thématiques


(v. supra Chap. 2 Grands et petits thèmes).
2 Dans cet emploi, l’épithète se convertit, par détachement, en acte d’EXPLICATION
(v. Chap. 1 La conversion pragmatique).

63
éléments nominaux sont plutôt des constituants immédiats (S, COD, C
prép., A) de la phrase:
− constituants-sujets:
− participes présents du type
La sultane s’est levée mettant fin à l’entretien .
3
que Herslund (2000) appelle ici «prédicat complexe» ;
− constructions à thème spatialement localisé:
Elle est là qui pleure. (Furukawa 2000)

où le prédicat syntaxiquement second est sémantiquement princi-


pal;
− constituants-COD:
− relatives prédicatives après le verbe avoir ou après le présentatif il
4
ya:
J’ai la petite qui est fatiguée . (Lagae & Rouget 1998)

− avec le verbe avoir en emploi attributif:


J’ai une place de libre. (Kupferman 2000)

− après les verbes de perception, comme attribut de l’objet:


Elle se voyait avocate. (exemple de Willems & Defrancq 2000)

− des constructions adjectivales du type:


Il a bu son café tiède . (Muller 2000)

− constructions avec un complément prépositionnel, comme dans:


Paul m’a séduit par ses bonnes manières . (Cadiot 2000)

− les prédications internes aux syntagmes nominaux (attributs, épithè-


tes):
Pierre est rentré ivre.
On l’a nommé ambassadeur.
Je préfère mon thé bien chaud . (Forsgren 2000)

3 A ne pas confondre avec la prédication complexe, telle que définie sous 1.4.
4 Il y a et avoir dans ces contextes sont des thématiseurs (cf. supra Chap. 2 Grands et
petits thèmes).

64
Notons que, pour la plupart, les verbes à une forme non personnelle
(infinitifs, participes), ainsi que les adjectifs, représenteraient gram-
maticalement «moins que des prédicats». De toute façon, une déli-
mitation nette, selon un critère unique, semble impossible à retenir
pour la «prédication seconde / secondaire», car des critères sémanti-
ques et syntaxiques sont souvent en jeu simultanément. Encore faut-il
noter que certaines catégories apparemment distinctes semblent se re-
couper, telles:
– les constructions absolues à complément de manière (Pierre est ar-
rivé, les mains dans les poches, chez Hamon 1987) avec les com-
plément prépositionnels (Paul m’a séduit par ses bonnes maniè-
res, chez Cadiot 2000);
– les constructions absolues (Pierre est torse nu, chez Hamon 1987)
avec les constructions adjectivales (Il a bu son café tiède , de
Müller 2000) ou avec les prédications internes aux syntagmes no-
minaux (Je préfère mon thé bien chaud , chez Forsgren 2000).
LES PRÉDICATIONS «PROFONDES»
Une acception spéciale de la prédication serait ce que l’on pourrait ap-
peler prédication «profonde», correspondant aux «opérations» au sens
cognitif du terme (cf. par ex., les opérations α qui introduisent un objet
ou ouvrent une classe d’objets pour le discours, les opérations η produi-
sant un couple prédicatif, les opérations binaires δ modificatrices du
prédicat, ou τ, les relations, chez Grize 1990). Tout comme pour Siblot
«nommer c’est déjà prédiquer» (1998), pour tous les linguistes cogniti-
vistes, le contenu donné de toute expression («a given meaning of any
expression», Langaker 1991 I: 97) équivaut à une prédication. Pour re-
prendre un exemple de Langaker (1991 I: 117), notons qu’il y a dans le
syntagme:
the big blue plastic cup (‹la grande tasse bleue en plastique›)

ni plus ni moins de 5 opérations / prédications implicites:


− une IDENTIFICATION pour the (‹la›);
− une COMPARAISON pour big (‹grande›);
− une RÉFÉRENCE AU DOMAINE DE LA COULEUR pour blue (‹bleu›);
− une RÉFÉRENCE AU DOMAINE MATÉRIEL dans plastic (‹plastique›), et,

65
− une PRÉDICATION NOMINALE pour cup (‹tasse›).
Dans ce même sens, Culioli (1990) reconnaît dans toute forme linguisti-
que la trace d’une opération: dans la préposition chez, la trace d’une
relation prédicative de LOCALISATION (p. 119), ou dans l’adverbe vrai-
ment, un «attracteur» à l’intérieur du domaine notionnel (p. 60). Pour
ce même type d’opération, Colette Rieu (2000) voit respectivement dans
les adverbes et les adjectifs parfaitement, total, absolu des marqueurs
d’ajustement notionnel (MAN).
Enfin, rappelons que les cognitivistes invoquent diverses dichoto-
mies, dont, par exemple:
− prédications nominales (correspondant à des concepts) vs prédica-
tions relationnelles (correspondant à des processus, relations tempo-
relles, etc.), ou
− prédications de type identifiant vs prédications de type qualifiant (cf.,
pour cette dernière, Combettes 1998), etc.
Avant de passer aux prédications d’énonciation, notons au hasard, sans
les expliciter, quelques autres types de prédication sémantique: équation,
description, situation, possession, procès statifs, procès actifs, etc. (cf.
Bronckart 1983). La problématique semble extrêmement vaste.

1.2 Les prédications d’énonciation (ou pragmatiques)

Le deuxième grand type de prédication que je prends ici en considération


est ce que l’on pourrait appeler PRÉDICATIONS D’ÉNONCIATION. Long-
temps occultées par la perspective «descriptiviste» sur la langue, on ne
saurait plus les négliger depuis l’essor des théories pragmatiques qui
prennent en compte les divers aspects de l’énonciation et ce, malgré une
opinion courante prétendant qu’on parle en fait très peu de l’énoncia-
5
tion . Les marques de ce type de prédication vont, elles aussi, comme on
le verra, d’un degré maximum d’explicite vers un degré maximum d’im-
plicite, ce dernier type correspondant à ce que les pragmaticiens cogniti-
vistes désignent sous le nom de «procédures». Des frontières strictes ne

5 Lisons ici le mot parler au sens de ‹décrire› ou ‹raconter›.

66
sauraient nullement être tracées entre les différentes sous-catégories car
elles s’inscrivent d’évidence dans une gradualité (v. pointillé entre les
cases du tableau).
Je me détache en ce point du schéma de Moeschler & Reboul (1994: 28) quand je
prends en considération, pour l’information pragmatique, un nombre plus grand
d’expressions linguistiques pour les deux types d’encodage (conceptuel et procé-
dural) que n’en proposent ces auteurs; j’ai donc préféré les envisager, tout
comme l’information sémantique, sur un gradient allant du conceptuel / analyti-
que / descriptif vers le procédural / synthétique / indiciel.

1.2.1 Les préfixes énonciatifs


1.2.1.1. Commentaires métadiscursifs
Les commentaires métadiscursifs des analyses conversationnelles, par
ex.:
Je vais te poser une question – pour l’acte de QUESTION, ou
Le thème de mon exposé va être – pour l’acte de THÉMATISATION

se situent au degré maximal du marquage analytique (appelé aussi expli-


cite, descriptif, dénominatif ou assertif) des opérations énonciatives. Ce
sont, pour le premier exemple, un marqueur d’acte illocutionnaire
(dialogal) et, pour le second exemple, un marqueur d’acte interactif /
6
discursif (monologal).
1.2.1.2. Verbes performatifs
On a appelé verbes performatifs les verbes illocutionnaires s’actualisant
à la première personne de l’indicatif présent; pour notre démarche, ils
pourraient s’inclure dans le cas précédent. Les exemples prototypiques
en sont:
Je te promets de P – pour la PROMESSE, ou
Je t’ordonne de P – pour l’ORDRE.

Ce sont des verbes-prédicats à proprement parler, s’attribuant des réfé-


rents au niveau de l’énonciation – et c’est bien à cette catégorie qu’on
pourrait assigner le nom de «PRÉDICATS PRAGMATIQUES».

6 Pour cette dichotomie, v. plus en détail Roulet & al. 1985.

67
1.2.1.3. Recteurs faibles, «parenthétiques» en préface
Certains verbes dits d’opérations logiques («recteurs faibles» chez Blan-
che-Benveniste 1989 ou «parenthétiques» chez Récanati 1979, 1984) du
type savoir, croire, supposer, imaginer, penser, etc. (ex.: Je crois qu’il
pleut) sont sémantiquement moins forts que les verbes qu’ils régissent, et
ne réalisent de ce fait pas une prédication (sémantiquement) principale,
en dépit de leur statut de verbes (syntaxiquement) recteurs; ils se dépla-
cent facilement de la position «préface» (Je crois qu’il pleut) en position
incise (position médiane ou finale). Cette dernière position est plus faible
que la position préface, raison pour laquelle on retrouve ces mêmes ver-
bes dans le tableau parmi les «expressions en incise»: Il pleut, je crois
(cf. ci-dessous, «parenthétiques détachés», sous 1.2.2).

1.2.2 Expressions en incise


N’oublions en effet pas que les incises sont à considérer comme formant
des prédicats omissibles dans l’énoncé, «moins que prédicats». Il s’agit
notamment:
− de verbes de citation (dit-on, je veux dire, ça s’appelle...):
Si on se la casse... la... (ça s’appelle une bombe), si on se casse la bombe, eu ben
c’est pas très gai (Coste, apud Blanche-Benveniste 1989: 122)

− ou des parenthétiques détachés (cf. Récanati 1979, 1984):


Il pleut, je crois.

1.2.3 Marqueurs «indicatifs» d’actes


Certains marqueurs moins explicites – nommés «indicatifs» par l’école
de Genève (vs «dénominatifs») – sont plus désémantisés encore: ils sont
dérivés de formes sémantiquement pleines. Citons ici notamment les
délocutifs dont parle Anscombre (1980), du type s’il vous plaît, voulez-
vous, pouvez-vous, avez-vous, disons, etc., qui «prédiquent» moins en-
core que les parenthétiques, étant déjà devenus des formules convention-
nalisées, figées. Certains sont des indicateurs d’actes de DEMANDE (s’il
vous plaît, voulez-vous, pouvez-vous, avez-vous), certains autres signa-
lent des opérations de (RE)FORMULATION (disons, je dirais plutôt, enfin,

68
bon...), de THÉMATISATION (concernant, pour ce qui est de, quant à, il y
7
a, avoir, formes toniques des pronoms...), etc. Même ceux qui gardent
encore une forme verbale finie seront très peu «prédicats», leur fonction
sémantique s’étant convertie en fonction pragmatique.

1.2.4 Les mots-phrases


Les «petites phrases» que sont les mots généralement appelés «inanaly-
sables» dans les grammaires (comme les interjections, les adverbes de
phrase, etc.) sont en fait des mots «prédicatifs», et la plupart des gram-
maires le disent. Leurs sens se rapprochent de plus en plus de ce qui est
appelé «sens procédural». Tel, par exemple, certains emplois de l’ex-
verbe tenir à l’impératif (Tiens!), pour lequel la «procédure» qui y serait
attachée a été formulée comme suit:
Procédure de Tiens!:
j’indique (et j’attire ton attention sur le fait) que le contenu de I [ton intervention]
est tout à coup inversé dans la phrase P (Dostie & Léard 1999: 110).

La même pragmatisation se serait produite pour les verbes aller, regar-


der, écouter, etc. employés comme interjections / marqueurs.
Pour ce qui est des adverbes-phrases, du type Heureusement qu’il
pleut, leur statut prédicatif leur a valu des noms comme: «adverbes-
prédicats» (chez Furukawa 1999), «relation prédicative inversée» (chez
Lagae & Rouger 1998), «associés» (chez Blanche-Benveniste 1989), etc.
Ils se rapportent au locuteur en tant qu’énonciateur de son message (cf.
«le regard du locuteur» chez Nølke 1993) et correspondent effectivement
à des «adverbes d’énonciation» (ibid.).
Mais il y a d’autres expressions, plus réduites que les adverbes, et
même plus petites qu’un mot – qu’on a appelées «particules» – ayant
pour fonction, elles aussi, de donner des indications d’interprétation aux
interlocuteurs. Ainsi, par exemple, la particule cică du roumain (histori-
quement issue d’un verbe de citation (se) zice că ‹on dit que, dit-on›),
indiquant un OUÏ-DIRE et une non-prise en charge de l’énonciation par le
locuteur: c’est un marqueur-type des BRUITS QUI COURENT, des LÉ-

7 C’est bien un argument en faveur du statut d’actes des segments qu’ils introduisent,
tel qu’on l’a vu, pour ces segments en position détachée, au Chapitre 2 Grands et
petits thèmes.

69
GENDES racontées par tout le monde, du BOUCHE À OREILLE (cf. infra,
Chapitre 13 En-deçà et au-delà des genres: l’ouï-dire).

1.2.5 Les «mots du discours»


Les «connecteurs pragmatiques» (ex.: mais, eh bien, ben...) sont, sé-
mantiquement, les marqueurs les plus proches des mots relationnels de la
grammaire, et, donc, des prédications relationnelles, à cette différence
près qu’ils agissent au niveau de l’énonciation, donnant des indications
sur les rapports qui s’établissent dans le discours entre les énonciateurs,
leurs énoncés, les contextes, la mise en discours proprement dite, etc.
Ainsi, pour ben, la «procédure» est explicitée comme suit:
Procédure pour ben:
si vous entendez le lexème ben, cherchez un contenu P lié au contexte immédiat
et supprimez les implications contextuelles de ce contenu dans votre modèle
mental, avec la garantie de la part du locuteur qu’elles s’avéreront non pertinen-
tes (Hansen 1995: 34).

Les quelque 20 synonymes pour «mots du discours» – synonymes rela-


tifs, évidemment – témoignent de l’ambiguïté catégorielle et fonction-
nelle à laquelle renvoient ces expressions linguistiques. Rappelons uni-
quement, parmi eux, les «ponctuants» de l’oral (par ex.: c’est tout, quoi,
là..., cf. Vincent 1993), qui se rapprochent des signes de ponctuation
graphiques, cette catégorie de marqueurs linguistiques qu’on peut consi-
dérer des plus implicites et complexes à la fois.

1.2.6 Les déictiques


Les déictiques (adverbiaux, temps verbaux, pronoms, etc.) sont des si-
gnaux moins que littéraux, indiquant, eux aussi, des procédures à effec-
tuer lors de l’énonciation. Ce sont des signes relationnels «profonds» (au
sens d’opérations chez les cognitivistes), donnant des indications sur les
participants, sur le temps et le lieu de l’énonciation, etc. Ainsi, pour je, la
«procédure» à suivre serait:
Procédure pour je:
chercher dans la description de la situation la personne qui parle (Reboul &
Moeschler 1998: 148).

70
Notons qu’à un seul et même mot déictique on peut attacher plusieurs
procédures, en fonction des types de référents – mondain, conceptuel,
métadiscursifs – auxquels il peut renvoyer (cf. pour aşa ‹comme ça, ain-
si› du roumain, Pop 2003).

1.3 Des prédications grammaticales


aux prédications pragmatiques: la conversion pragmatique

Il s’avère souvent que par un simple détachement – comme on l’a vu


plus haut pour les verbes dits «parenthétiques» – une fonction sémanti-
co-grammaticale en vient à se convertir en fonction pragmatique.
C’est le cas pour beaucoup de fonctions syntaxiques dans la phrase qui,
en position détachée, sont récupérées par l’analyse du discours et inves-
ties de fonctions discursives. Nous l’avons vu pour le sujet, le COD, le
COI, qui se convertissent en thèmes; pour l’épithète et l’apposition qui,
en position disjointes, se convertissent en EXPLICATIONS, RAPPELS,
REFORMULATIONS, etc.; pour les circonstanciels qui se convertissent en
CADRAGES, et ainsi de suite (cf. Berthonneau 1987, Combettes 1998a,
Pop 2000a, 2001 et supra, Chap. 1 La conversion pragmatique). Ainsi, il
suffit d’une pause / virgule pour qu’un segment intégré syntaxiquement
devienne, par rupture syntaxique, une extraposition, un élément hors
phrase, de la macro-syntaxe. Tel le circonstanciel à 5 ans dans les trois
énoncés suivants:
Il jouait du piano à 5 ans . (circonstanciel)
A cinq ans, il jouait du piano. (CADRAGE)
Il jouait du piano. A cinq ans. (CADRAGE, PRÉCISION, MISE EN RELIEF).

71
1.4 Les prédications complexes
8
Des prédications complexes – sémantiques et pragmatiques à la fois –
semblent être à l’œuvre dans plusieurs cas de figures où il est impossible
de détacher nettement le marquage pragmatique du marquage séman-
tique. C’est par exemple le cas:
− des ainsi appelés «marqueurs potentiels d’actes», dont les impératifs
indiquent un ORDRE ou une DEMANDE, ou le futur, une possible PRO-
MESSE;
− des adjectifs dits «qualifiants» ou «évaluatifs» qui, malgré leur
intégration parfaite dans la structure syntaxique, effectuent en même
temps des actes de langage «dérivés». Je rappelle ici l’exemple de de
Cornulier (1976):
un maudit Français

où le qualifiant maudit effectuerait, de façon performative, un acte de


MALÉDICTION; ou encore l’exemple d’Anscombre (1980):
cet abruti de Pierre

où l’adjectif abruti accomplirait, par dérivation illocutoire, un acte


d’INJURE;
− des interjections déictiques, comme par exemple Out! de l’anglais
(‹Dehors!›), dans laquelle Wilkins voit un «complexe prédicationnel»
glosable par
indique que l’interlocuteur devrait quitter l’espace où se trouve le locuteur.
(1992: 133; trad. L. P.)

Wilkins soutient aussi que – et c’est une remarque intéressante:


dans la décomposition sémantique de toutes les interjections se trouvent un ou
plusieurs des éléments référentiels suivants: je, tu, ceci, cela, maintenant et, peut-
être, ici et là (id.: 132).

Les interjections, les plus petits mots / expressions verbales, sont


souvent reconnues comme le type le plus primitif de propositions, ou
encore comme énoncés instinctifs. Cette dernière opinion rejoint celle

8 A ne pas confondre avec les prédicats complexes de Herslund (2000) du type: «La
sultane s’est levée, mettant fin à l’entretien.»

72
d’Arndt et Janney (1991) qui incluent les interjections dans la «com-
munication émotionnelle» (vs la «communication émotive» et la
«communication cognitive»);
− des gestes, qui sont décrits comme complexes prédicationnels, tout
comme les interjections. Leur sens pourrait se décomposer, comme le
propose par exemple Wierzbicka pour l’agenouillement, comme suit:
J’ai une très bonne pensée pour toi. Je ne pourrais jamais penser la même chose
de moi. (1995: 241; trad. L. P.)

Notons qu’à côté des signes de ponctuation, les signaux verbaux que
sont les interjections appartiennent aux expressions amorphes (non
compositionnelles) et sont les plus proches de l’expression non ver-
bale, gestuelle, qui est encore plus difficilement décomposable. On a
affaire dans leur cas à des prédications diffuses, synthétiques, non ca-
noniques, qui réfèrent et prédiquent en même temps.
Notons également un sens particulier assigné aux marqueurs ana-
lytiques (descriptifs) par Seiler (1997) qui utilise pour désigner leur
fonction le terme de «prédicativité»; il oppose celui-ci au terme
d’«indicativité», attribuable, lui, aux marqueurs implicites.
Après cette vue d’ensemble sur les types de prédications, je propose,
dans ce qui suit (2), un cadre intégrateur pour des possibles types de PRÉ-
DICATIONS PRAGMATIQUES (vs PRÉDICATIONS SÉMANTIQUES), et ce, afin
de donner une possible image de leur fonctionnement simultané dans le
discours.

2. Espaces discursifs pour les types de prédication

Nous avons vu sous 1. ci-dessus, pour les deux grands types de prédica-
tion, qu’un continuum est à prendre en considération au niveau de l’ex-
pression, allant de l’analytique vers le synthétique et l’amorphe. Ceci
oblige à considérer deux pôles extrêmes de la prédicativité et de la prédi-
cation en général:
− d’un côté, une prédication forte – les prédicats proprement dits de la
logique et de la grammaire, constitutifs de ce qu’on appelle expres-

73
sions propositionnelles ou littérales, et caractérisant la communica-
tion de type «cognitif»; c’est le sens standard, restreint, de la prédica-
tion, à laquelle est venue se rattacher ici l’acception pragmatique,
avec, au premier plan, les verbes performatifs. On pourrait affirmer
que seuls les prédicats proprement dits formeraient les figures prédi-
catives à proprement parler;
− d’un autre côté, une prédication faible – les expressions moins que
prédicats, mais dites «prédicatives», qui, ayant perdu de leur «asser-
tivité», restent des expressions non propositionnelles (cf. l’expression
«émotionnelle» et / ou «émotive» chez Arndt & Janney 1991), moins
que littérales ou non littérales (cf. Moeschler & Reboul 1994; Reboul
& Moeschler 1998). Il s’agirait là du sens élargi, non standard de la
notion de prédication.
Or, il est à remarquer que ces types d’expressions (plus ou moins analy-
tiques) actualisent de façon non différenciée les prédications sur le
monde et les prédications sur l’énonciation, et ce, en fonction du poids
plus ou moins grand que prend un type d’information ou un autre dans le
discours. Représenter cette «passation du pouvoir» continuelle entre les
types de références dans le discours m’a paru une tâche nécessaire pour
sa description, et j’ai tenté de représenter ce type de fonctionnement par
ce que j’ai proposé d’appeler ailleurs des «espaces discursifs» (cf. Pop
2000a). D’un autre côté, j’ai voulu donner une réponse aux problèmes
que soulèvent les énoncés non propositionnels / non prédicatifs pour la
théorie des actes de langage, qui nierait le statut d’actes illocutionnaires
aux énoncés sans formes propositionnelles complètes. Avec la théorie
des espaces discursifs, une possible réponse est proposée, jouant princi-
palement sur une distinction à faire entre actes et opérations dans le
discours (v. 2.2. ci-dessous, et infra Chapitre 9 En-deçà des actes: les
opérations), et homogénéisant ainsi la perspective descriptive.

2.1 L’hétérogénéité du discours

Certes, les types de référence et de prédication s’entremêlent et sont vir-


tuellement présents dans tous les discours. Dans Pop 2000a, j’ai défini

74
les espaces discursifs comme étant des parcours distincts à l’intérieur du
discours – distincts par rapport à deux grands types de référence:
− référence au monde (v. l’espace D descriptif ou de la référence au
monde dans la grille ci-dessous);
− référence à l’énonciation / autoréférence (v. les autres espaces dans
la grille: subjectif s; interpersonnel Ip; métadiscursif Md; inter-
discursif Id; présuppositionnel pp; paradiscursif Pd; prosodique Pro;
intersémiotique Is, etc.).
Ces différents parcours seraient gérés simultanément par les locuteurs.
J’ai donc considéré que le discours pourrait se représenter comme une
virtualité d’espaces de manœuvre pour ces types différents d’opérations-
prédications. Cette vision m’a amenée à représenter ces différents espa-
ces sous une forme similaire à une portée musicale (mais qu’il faut ima-
giner plus complexe et moins figée). Ainsi, considérant les prédications
(sémantiques ou pragmatiques) comme des faires, je les ai indifférem-
ment appelées opérations: elles occuperaient, pour chacun des types, un
espace discursif / référentiel distinct. Toute prédication équivaudrait
dans cette représentation à une opération, ce qui va dans le sens du co-
gnitivisme, où, de même, toute opération serait une prédication.
Dans ma grille, les PRÉDICATIONS PRAGMATIQUES se trouvent mieux
représentées (sur 8 espaces) par rapport aux PRÉDICATIONS SÉMAN-
TIQUES (un seul espace, non différencié; cet espace est indiqué, comme
principal, en grisé, car censé porter l’«information principale», sur le
«monde» − le type d’information «préféré»):
Id espace interdiscursif opérations de reprise discursive
Md espace métadiscursif opérations méta (reform., explic., MSC, MIL, ponctuants, attracteurs)
Ip espace interpersonnel o. d’appel à l’interlocuteur (appels, excuses, régul., RAD, déictiques)
s espace subjectif opérations subjectives (évaluations, modalisations, déictiques)
D espace réf. au «monde» opérations descriptives
pp espace présuppositionnel o. sur le savoir partagé (thématisations, cadrages, retours, rappels...)
Pd espace paradiscursif opérations de formulations (ratés, faux-départs, mise en forme, MIL)
Pro espace prosodique expr. suprasegmentale (m. intonatives, pauses, signes de ponct...)
Is espace intersémiotique non verbal (gestuel, mimique, iconique etc.)

Je tiens à mentionner qu’une multiplication des espaces «référence au monde»


serait souhaitable, et donnerait sûrement une modélisation plus appropriée du
discours. Ce n’est pas mon propos ici. Pour ce qui est de la distinction paradis-

75
cursif Pd vs métadiscursif Md, elle correspondrait dans mon modèle à deux types
d’opérations très liés, mais distincts en même temps, respectivement le travail de
formulation et de reformulation. Cette distinction s’est avérée opérationnelle
dans les analyses.

2.2 Quelles prédications «font figures d’actes»?

Partant de cette prémisse que tout est opération / prédication dans le


discours, je propose la réponse suivante à une question, peut-être la plus
épineuse, concernant des catégories devenues classiques dans l’analyse
du discours, à savoir:
Lesquelles des prédications / opérations sont perçues comme ACTES, et lesquelles
comme non-actes (mots du discours, connecteurs, modalisateurs, régulateurs,
ponctuants, etc.)?

L’observation des faits discursifs – illustrés ici par deux fragments de


discours, le texte 1 (noté T1) et le texte 2 (noté T2) ci-dessous – m’a
amenée à quelques conclusions. Dans les textes T1 et T2, deux types de
segmentation sont effectués:
– d’un côté une segmentation de la chaîne en actes (v. les barres verti-
cales qui correspondent à des frontières d’actes);
– d’un autre côté une segmentation en espaces-opérations (v. les barres
horizontales).
Pour des raisons d’économie, ce sont les numéros correspondant aux
différents actes qui indiquent dans la grille la répartition des énoncés
entre les différents espaces-opérations:
Texte 1
Bon1/ moi2/ nous3/ enfin4/ on était5a/ enfin6/ six enfants à la maison5b/ maman tra-
vaillait7a/ mais8a/ euh9/ vraiment8b/ difficilement7b/ parce qu’elle lavait le linge10a/
euh11/ pour les gens10b/ et12/ j’avais ma13a/ ma14/ sœur aînée et mon frère13b/ ma sœur
aînée15/ elle a été16a/ euh17/ élevée par ma grand-mère16b/ mais mon frère18/ lui19/ il
pensait qu’à jouer à courir20/ alors21/ pour ainsi dire22/ c’était presque l’aînée que
j’étais23 (repris à Blanche-Benveniste 1990).

76
Md 4
Md 1 3 8a 8b 10a 10b
Ip
s 2 3 5a 8a 8b 7b
D 5a 5b 7a 7b
pp 2 3 10a 10b
Pd 1 2 4 6 9 11
Md
Md 21
Ip
s 13a 13b 15 18 23
D 16a 16b 20 21 23
Pp 12 13a 13b 15 18 19
Pd 14 17 22

Texte 2
je pense qu’un gamin1a/ qui n’a pas2/ le3/ euh4/ qui ne peut pas5/ qui ne comprend
pas ce qu’on dit1b/ euh6/ je pense qu’il doit se renfermer dans la langue7/ vrai-
ment8/ et se sentir vraiment étranger9/ regarde10/ nous11/ quand on passe dans le
couloir12/ on en a discuté l’autre jour13/ quand on passe dans le couloir14/ qu’on ne
comprend pas15/ moi16/ je cherche pas à comprendre plus loin17/ on passe18/ et puis
c’est tout19 (texte repris à Langue française 73).

Id
Md 8 9
Ip 10
s 1a 7 8 9 11
D 1a 1b 7 9
pp 1a 11
Pd 2 3 4 5 6
Id 13
Md 19
Ip
s 12 16 17 18
D 14 15 18
pp 13 14 15 16 17
Pd 12

Ce qui est souligné dans le texte a été hachuré dans la grille et indique
l’information sémantique-descriptive (espace D) censée être principale.
D’autres types d’informations peuvent l’accompagner, et on voit qu’un
seul et même acte (délimité par des frontières d’actes verticales) peut
être constitué d’une seule ou de plusieurs opérations (fusionnées /
confondues).

77
2.2.1 Les prédications-ACTES
Je fais l’hypothèse que les opérations les plus fortes (ayant des formes
propositionnelles plutôt complètes), de par le fait d’être mieux perçues,
sont naturellement appelées ACTES («font figure» d’actes). Ce serait le
cas, dans les textes T1 et T2, pour:
− les actes illocutionnaires informatifs T1 5ab, 7ab, 16ab, 20; T2 1ab,
7, 9, 14, 15, 18.
− les actes discursifs:
− THÉMATISATIONS fortes T1 13ab j’avais ma sœur aînée et mon
frère
− JUSTIFICATIONS T2 10ab parce qu’elle lavait le linge pour les
gens
− CONCLUSIONS T2 23 c’était presque l’aînée que j’étais
− CADRAGES T2 14, 15 quand on passe dans le couloir, qu’on ne
comprend pas
− EXPLICATIONS T2 17 je cherche pas à comprendre plus loin
− RAPPELS T2 13 on en a discuté l’autre jour
− marqueur d’EXEMPLE / ARGUMENTATION T2 10 regarde.

2.2.2 Prédications «moins qu’actes»


2.2.2.1. Les opérations moins fortes (non propositionnelles), n’étant pas
perçues comme des entités nettes (comme actes proprement dits), reçoi-
vent les étiquettes de modalisateurs, marqueurs discursifs, ponc-
tuants, etc. Si leurs énoncés portent néanmoins des «frontières d’acte»,
c’est que ces opérations sont perçues comme étant assez proches des
actes: dans ce cas de figure il s’agit notamment non d’«actes illocution-
naires» (dialogaux), mais de ce que les Genevois appellent «actes discur-
sifs» (monologaux, constitutifs d’«interventions»):
− ACTES STRUCTURANTS: T1 1 bon, 21 alors, 4 enfin, T2 19 et puis
c’est tout;
− THÉMATISATIONS: T1 2 moi, 3 nous, 15 ma sœur aînée, 18 mais mon
frère, 19 lui, T2 1a je pense qu’un gamin, 11 nous, 16 moi;
− opérations de FORMULATION: T1 8b vraiment, 22 pour ainsi dire, T2
8 vraiment.

78
2.2.2.2. Les prédications les plus faibles «ne font pas figure d’actes» et
se contentent du statut de simples «traces» d’opérations, apparaissant
comme plus ou moins intégrées aux structures propositionnelles:
− verbes parenthétiques: T2 1a, 7 je pense;
− «attracteurs»: T1 23 presque, T2 9 vraiment.
Pour une approche plus approfondie de cette problématique, voir infra, la fin du
Chapitre 9 En-deçà des actes: les opérations. Ce qu’on a appelé ici prédications
seront plutôt appelées là opérations.

79
Chapitre 4

Plus ou moins adverbes:


le cas des «adverbes de texte»

A la suite d’une catégorie improprement dénommée adverbe de phrase,


mais dans le sens des MODALISATEURS D’ÉNONCIATION, je propose ici
une nouvelle catégorie, tout aussi improprement dénommée, par analogie
avec la première: celle d’adverbe de texte. Elle recouvrirait des modali-
sateurs de portée plus large que la phrase, allant jusqu’au niveau de
discours entiers, ou de textes.
En guise de précaution terminologique, précisons les sens assignés ici
à certains termes:
– «adverbe» sera pris au sens d’adverbial;
– «texte» sera pris au sens plus large, de «discours»;
– «portée» ou «incidence» concerneront le domaine d’action du moda-
lisateur aussi bien au niveau micro- (de l’énoncé) qu’au niveau
macro- (textuel) d’analyse;
– «proposition» concernera l’entité grammaticale (vs l’entité logique).
Cette analyse se situe à un niveau d’analyse macro-syntaxique, discursif-
textuel, mais part néanmoins d’un niveau d’analyse phrastique, de type
micro-syntaxique. Cette perspective mènera à une vision plus floue de la
catégorie classique d’«adverbe», et ce, notamment, dans le sens d’une
grammaire de type graduel. Je montrerai:
– d’une part que les «adverbes» ont des portées autres que «verbales» et
/ ou «phrastiques» (cf. les «adverbes de phrase») – à savoir aux ni-
veaux de la séquence discursive ou du texte;
– d’autre part, que ces «mots» appelés «adverbes» sont souvent, pour
un même travail linguistique, plus que des mots (locutions ou même
propositions) ou moins que des mots (particules).
Ceci justifierait de poursuivre l’abandon (déjà entamé) de la catégorie
d’«adverbe» en faveur de celle d’«adverbial».

81
1. Une portée capricieuse

Les quelques considérations qui suivent ont comme point de départ les
remarques de Henning Nølke (1993) sur une sous-catégorie de MODA-
LISATEURS D’ÉNONCIATION, celle des «adverbes illocutoires», et ne veu-
lent ici qu’ouvrir une possible discussion. Les considérations ci-dessous
sont plus précisément inspirées par le chapitre «Pertinence et modalisa-
teurs d’énonciation» où Nølke propose deux interprétations différentes et
alternatives pour certains «adverbiaux illocutoires» (AI) qui accompa-
gnent un acte d’interrogation. Ainsi, dans ses exemples – numérotés ci-
dessous (1) et (2):
(1) Franchement, où étais-tu cette nuit?
(2) Sérieusement , est-ce que tu es sûr que tu veux bien faire la vaisselle?

franchement et sérieusement modaliseraient, d’après Nølke:


– ou bien la QUESTION («le locuteur insiste sur le fait qu’il est sincère
ou franc en posant la question», id.: 124);
– ou bien la RÉPONSE qui est demandée («il [le locuteur] demande à
l’allocutaire de donner une réponse sincère», id., ibid.).
Cette particularité, qui poserait une alternative pour la portée de l’adver-
bial, concernerait, d’après Nølke, uniquement les occurrences où l’adver-
bial est attaché à des ACTES D’INTERROGATION. Dès lors, la thèse exclut
l’interprétation similaire de cet adverbial pour d’autres types d’actes,
fussent-ils illocutoires (représentatifs et directifs), ou non verbaux. Les
arguments de Nølke sont les suivants:
i) Ce n’est que l’interrogation qui demande une réaction linguistique;
ii) Les AI ne pourraient pas porter sur les conditions préalables (de sin-
cérité ou de sérieux) des actes non linguistiques, car de telles condi-
tions n’ont pas été définies.
Ces arguments me semblent discutables sur deux points au moins:
1° même s’ils sont moins forts quant à l’obligation de réagir, les deux
autres types d’actes illocutoires, les représentatifs et les directifs, peu-
vent tout aussi bien demander des réactions linguistiques; voir, par

82
ex., (3) et (4) ci-dessous, où les réactions verbales sont, respective-
ment, presque obligatoire pour (3), et très fréquente pour (4):
(3) – Il a fait un accident.
– Sûr ?
(4) – Taisez-vous!
– Sérieusement ?

2° le fait qu’il n’y ait pas de conditions préalables définies pour les actes
non linguistiques n’est point révélateur de l’absence de ces conditions
pour leur réussite. Par ex.:
(5) X et Y viennent de se disputer. Pourtant, X croise les doigts pour Y qui doit
se présenter à une interview décisive pour lui. Y, n’en croyant pas ses yeux,
remet en cause le geste de X par: – Sérieusement ?

A ces objections marginales, j’aimerais en ajouter une troisième, plus


forte: l’approche de Nølke – ne dépassant pas le niveau d’un seul énoncé
car visant à fixer la portée des AI au niveau d’un acte ou d’un autre – se
heurte inévitablement aux limites qu’elle se pose elle-même. C’est ce qui
se passe notamment dans les cas où l’adverbial n’est attaché explicite-
ment à aucun segment discursif. Ce n’est pas tout à fait le cas en (6), où
il met en doute l’énoncé précédent:
(6) – Je ne supporterais jamais d’habiter à Paris.
– Sérieusement ?

Par contre, en (7), franchement n’est attaché à aucune expression, et


semble donner une instruction du type:
arrête de t’occuper des autres / arrête de rouspéter / arrête de me tenir ce type de
discours et occupe-toi de choses plus intéressantes.

Cette instruction rejoint le sens attribué à Franchement! en emploi seul


dans le Petit Robert: «irritation, impatience»:
(7) – Paul est-il maladroit?
– Franchement!

Il s’agirait d’une portée plutôt implicite, concernant des discours anté-


rieur, de toute une «histoire conversationnelle» qui aurait révélé le pen-
chant menteur du locuteur dont la franchise est ici mise en doute. Enfin,

83
pour (8), repris à Nølke, où sérieusement est attaché en apparence à un
ORDRE, l’adverbial ne concerne pas celui-ci, mais toute une situation:
(8) Sérieusement , ferme la fenêtre!

Contrairement à Nølke, qui marque ce dernier énoncé d’un signe de non-


acceptabilité, on peut considérer (8) comme acceptable si on voit dans
sérieusement une instruction de portée plus large, du type:
Mettons fin au jeu et soyons sérieux maintenant.

Il n’est dès lors pas difficile de proposer, pour ces cas de figure, une
troisième interprétation, qui accepterait l’ambiguïté et étendrait la portée
de l’adverbial, de façon diffuse, à toute la séquence dialogale / inter-
actionnelle dans laquelle il apparaît; et cela, à plusieurs niveaux-espaces
qu’elle occupe dans le discours: descriptif, subjectif, métadiscursif, pré-
suppositionnel, interpersonnel, interdiscursif... (cf. Pop 2000a).

2. De la phrase au texte

2.1 Adverbes de séquence?

Avec les exemples repris à Nølke, on ne dépasse pas le niveau de ce


qu’on pourrait appeler, de façon approximative, SÉQUENCE DISCURSIVE
(en l’occurrence échanges duaux). Or, des portées plus larges peuvent
être concernées pour les occurrences de sérieusement et de ses synony-
mes, où ils sont placés en tête de séquences interactionnelles: ils mar-
quent la fin d’une étape antérieure, jugée non sérieuse (ludique, ironique,
mensongère, etc.) du discours et le passage à une séquence considérée
sérieuse. Des marqueurs du type:
soyons sérieux (maintenant); sans blague; sans rire; parlons sérieusement / sin-
cèrement; façon de plaisanter; vous plaisantez?; trêve de plaisanterie!; tu veux
rire?; tu te moques de moi? / tu te fous de moi?, etc.

donnent / demandent des instructions, un peu comme les didascalies au


théâtre, sur la MODALITÉ de poursuivre l’entretien. Car plusieurs modali-
tés sont en permanence à la disposition des interlocuteurs, comme autant

84
de conventions énonciatives ou de «jeux» possibles. Ainsi, par exem-
ple, l’instruction attachée à «sans rire» par Nef & Nølke ci-dessous:
En disant sans rire, ø, l’énonciation exclut les possibilités d’interprétation par le
comique ou l’ironie qui étaient permises jusque-là et qui risqueraient de fonc-
tionner encore à propos de ø. (Nef & Nølke 1982: 51, apud Nølke 1993: 115)

Une chose semble importante à spécifier: vu que les actes de QUESTION


sont essentiellement initiatifs, il faut supposer qu’ils arrivent souvent à
projeter leur portée bien au-delà de la réaction immédiate – sur
l’ÉCHANGE tout entier ou, plus encore, sur toute l’INTERACTION qu’ils
ouvrent. Ainsi, franchement en (1) pourrait «donner le ton» à toute la
discussion qui suit, tout comme sérieusement en (2). Dans ces deux
exemples, ces adverbiaux peuvent indiquer, au-delà de la modalité d’un
simple échange, un point de tournant dans une interaction plus étendue.
Ils agiraient dans ces cas-là en tant que marqueurs / régulateurs au
niveau de la convention énonciative. Et ces marqueurs peuvent être:
– à orientation proactive / initiative – en tête d’un échange;
– à orientation réactive-initiative – en cours d’interaction;
– à orientation réactive seule – en position finale.
Ainsi, franchement en (7) a l’air d’orienter l’interprétation rétroactive-
ment et proposer une relecture modale (une remise en cause de la moda-
lité initiale). Dans un contexte dépassant cet échange dual, il pourrait être
initiateur d’un autre échange ou d’un autre MODE DISCURSIF, réclamer
que l’intervention se poursuive «sur le mode franc».
Mais un autre problème semble se poser si l’on veut garder l’appel-
lation ADVERBIAL ILLOCUTOIRE de Nølke, car même si «adverbial» est
plus flou et donc plus approprié, «illocutoire» ne convient pas toujours
jusqu’au niveau supérieur du texte. Il est donc clair qu’avec l’extension à
la portée discursive / textuelle, ces catégories se recouperont en partie
seulement. Plus on dépasse le niveau de l’acte isolé, plus la catégorie de
l’illocutoire appliquée à ces adverbiaux s’émousse. Car, en cours d’inter-
action, les locuteurs peuvent négocier le mode du dire séquence par
séquence, stratégie qui semble être plus fréquente que la négociation
acte par acte.
Les exemples de (9) à (11) sont authentiques, respectivement le pre-
mier et le dernier sont des séquences reprises à des émissions télévisées,

85
l’une en français et l’autre en roumain, et l’exemple (10) est repris à un
«cours particulier» de physique:
(9) – Dans ce livre, il s’agit d’une courgette [histoire de la courgette]
– Sérieusement ?!
– C’est mon livre. C’est toute ma vie. C’est tous mes produits. (TF1)
(10) – Que dit la loi d’Archimède?
– La loi d’Archimède dit qu’un corps trempé dans l’eau en sort tout mouillé.
– Ha, ha, ha...
– Sérieusement, maintenant: [...] (oral)
(11) (Conseils pour les femmes enceintes) [...] Să evite stresul. Adică să nu se
certe. Să nu se uite la filme de groază. Serios. (Antena 1)
([...] Eviter le stress. C’est-à-dire ne pas se disputer. Et ne pas regarder des
films d’épouvante. C’est sérieux ça.)

La séquence (12) est reprise à un roman, et (13) est une fausse démons-
tration logique prise à un livre de pragmatique:
(12) – Ecoute, je crois que j’ai un truc pour toi. Il faudrait que je le fasse venir de
Rome ou de Turin. Tu sais ce qu’elles s’achètent à tour de bras, les filles, là-
bas, pour séduire et retenir les mecs? Des soutiens-gorge et des petites culot-
tes à la fraise ou au chocolat.
– Tu te fous de moi ou quoi!
– Mais non, je te jure, c’est très sérieux . J’ai lu ça dans un journal italien.
(Cl. Sarraute)
(13) Nous allons renouveler de façon moins sanglante la «démonstration» du
contemporain de Platon en montrant que l’homme est indiscutablement et
doublement oiseau.
La ressemblance entre deux objets consiste à avoir au moins une pro-
priété en commun, et l’appartenance à une catégorie, dans la théorie du pro-
totype, se décide sur la base de la ressemblance avec le prototype ou avec un
des membres de la catégorie. Or l’homme ressemble à la fois au prototype et
à l’ensemble des membres de la catégorie, ce qui devrait lui valoir une place
de choix parmi les oiseaux (rappelons que, dans la théorie du prototype, au-
cune propriété n’est nécessaire). Comme le moineau, l’homme est un bipède.
Or le moineau est le prototype de la catégorie oiseau. L’homme ressemble
donc au prototype de la catégorie oiseau. On a donc le droit de penser que
c’est un oiseau. Certes, cette ressemblance est mince puisqu’elle ne corres-
pond qu’à une seule propriété du prototype. Mais l’homme ressemble lui aus-
si à tous les membres de la catégorie oiseau: tous les membres de cette caté-
gorie ont la propriété d’être des bipèdes. L’homme est aussi un bipède. Donc
l’homme est un oiseau, non seulement par ressemblance avec le prototype de

86
la catégorie, mais par ressemblance de famille avec chacun des membres de
la catégorie.
Le lecteur un tant soit peu ornithologue pourrait nous objecter que
l’homme n’a pas un certain nombre des propriétés nécessaires qui font qu’un
être vivant est un oiseau: il n’est pas ovipare, il n’a pas de bec, il n’a pas de
plumes, etc. A notre grand regret, nous nous voyons tenus d’informer ce lec-
teur qu’il est peut-être un bon ornithologue, mais qu’il est un piètre psycho-
logue: il n’y a pas, répétons-le, de propriétés définitoires d’une catégorie.
Que l’homme ne ponde pas d’œufs, qu’il n’ait pas de bec ni de plumes, ne le
disqualifie en rien en ce qui concerne son appartenance à la catégorie oiseau.
L’homme est bel et bien un oiseau.
Trêve de plaisanterie: non, bien sûr, l’homme n’est pas un oiseau et,
comme celle du contemporain de Platon, notre démonstration est nulle et non
avenue. […] (Reboul & Moeschler 1998: 129-130)

Comme on peut le voir, LE MODE DISCURSIF est négocié, dans tous ces
exemples, séquence par séquence, et non acte par acte, chose qui justifie
de considérer les adverbiaux modaux comme des adverbiaux de sé-
quence.

2.2 Adverbes de texte

Resituer le problème au niveau du discours signifie, répétons-le, dépas-


ser la perspective 1 AI-1 acte, tout comme celle des conditions préalables
requises pour un seul acte illocutionnaire, et voir dans ces adverbiaux
des marqueurs modaux de portée plus large, allant jusqu’au texte.

2.2.1 Les adverbes illocutoires


Il est vrai, par ailleurs, que «montrer» le MODE DU DIRE n’est pas tou-
jours le cas au niveau global d’un texte. Ce mode reste implicite dans la
plupart des cas où les (inter)locuteurs (se) proposent «un jeu», parlant
sur le mode «non sérieux», de la fiction, comme dans les ironies, les
«tours» joués à quelqu’un, les blagues, ou tout simplement «quand on
plaisante». D’ailleurs c’est la raison pour laquelle les participants en
arrivent à poser des questions au sujet du MODE D’INTERACTION, car
dans la communication quotidienne une mésentente à ce niveau peut
souvent conduire à des malentendus. Fréquemment, ce mode n’arrive à

87
être révélé / découvert qu’en fin d’interaction, comme c’est le cas bien
connu des émissions télévisées françaises «Surprise sur prise»... Là, c’est
la caméra découverte qui dévoile pour la «victime», rétroactivement, le
MODE sur lequel l’entretien tout entier s’est déroulé.
Un autre cas de figure est celui où le MODE TEXTUEL est «indiqué» en
début de texte ou / et en cours de texte; pensons notamment aux légendes
– textes avec lesquels le locuteur / narrateur, de façon plus ou moins
explicite, prend des distances. Mentionnons à ce propos les marqueurs
du type on dit que, correspondant en roumain à se zice că, la particule
discursive cică, contraction de la première. Comme particule discursive,
cică signale, très souvent en début de texte, qu’il s’agit d’un MODE NON
VRAI D’ILLOCUTION. Très présent dans les contes et légendes populaires,
ce marqueur semble indiquer les types de discours se transmettant par
voie orale, fortement marqués non seulement par la polyphonie, mais par
un taux important de relativité aussi, dans le sens d’une vision spécifique
sur le monde, dont l’énonciateur indique qu’il se détache. L’imaginaire
individuel ou collectif que marque ce petit mot lui vaudrait bien le quali-
ficatif de marque par excellence de l’OUÏ-DIRE du roumain (cf. Pop 1998;
2000; 2004).

2.2.2 Les adverbes locutoires (les didascalies)


Il n’en va pas de même, semble-t-il, pour les MODALITÉS LOCUTOIRES,
ces modalités du dire qui ne concernent pas la portée illocutoire des actes
/ des interactions, mais seulement leur MODE DE PRÉSENTATION. C’est ce
qui rend possible à J. Tardieu, par exemple, de proposer l’expression
«avec bonhomie» comme MODALITÉ DE DIRE pour un poème tout entier
(cf. 14 ci-dessous). Cette modalité de dire se présente ici comme une
1
MODALITÉ DE TEXTE entre autres, une MODALITÉ ÉNONCIATIVE ; la
forme complète de la didascalie chez Tardieu est bien: sur le pas de la
porte, avec bonhomie, vue comme «condition préalable» de la réussite
du «dire» pour son texte:

1 Qui – soulignons-le – n’exclut pas les adverbiaux spatio-temporels (comme le fait


Nølke pour cette catégorie, cf. Nølke, 1993).

88
(14)
CONVERSATION
(sur le pas de la porte, avec bonhomie)
Comment ça va sur la terre?
– Ça va, ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères?
– Mon Dieu oui, merci bien.
Et les nuages?
– Ça flotte.
Et les volcans?
– Ça mijote.
Et les fleuves?
– Ça s’écoule.
Et le temps?
– Ça se déroule.
Et votre âme?
– Elle est malade.
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.
(Jean Tardieu)

Cet exemple fait encore une fois penser que certaines modalités énon-
ciatives recouperaient les didascalies dans les textes de théâtre (< gr.
didaskalia «enseignement»), conçues, elles, comme «instructions du
poète dramatique à ses interprètes» (Petit Robert). En effet, un examen
attentif de ces didascalies nous révèle la distinction à faire, à l’intérieur
des modalités d’énonciation ou «du dire», entre
– d’une part, des modalités locutoires et
2
– d’autre part, des modalités illocutoires .
Or, les parenthèses des textes écrits pour être joués ne renferment jamais
des adverbes du type sérieusement, franchement, etc., mais uniquement
des adverbiaux concernant la diction (au sens large) et le jeu de l’acteur:
d’un ton sobre, doucement, calmement, aigrement, sèchement, criant, rougissant,
bas, haut, piteusement, gaiement, malignement, émue, avec embarras, l’air hon-
teux, inquiète, ironique, timidement, confuse, songeuse, radieuse, piquée, hors de
lui, riant, la bouche pleine, etc.

2 Cf. aussi Nølke, 1993: 113, qui distingue, dans la catégorie plus large des modali-
sateurs d’énonciation: les adverbiaux illocutoires, les adverbiaux d’interlocuteurs
et les adverbiaux de présentation.

89
Cela s’explique par le fait que les didascalies ne renvoient qu’au mode
de présentation, donc à l’extérieur, aux apparences du «dire», et non aux
«conditions de sincérité». Ce sont des COMMENTAIRES MÉTALOCUTOI-
RES, ou, plus précisément, des instructions locutoires, exclues générale-
ment des paroles proprement dites des personnages (vs les adverbiaux
illocutoires, qui n’en sont pas exclus). Ces expressions relèvent claire-
ment d’un fait de polyphonie, car elles introduisent la voix de l’auteur,
du metteur en scène, autrement dit d’un commentateur dans le discours.
Mais la classe des didascalies n’est pas homogène non plus. On pour-
rait y distinguer plusieurs catégories, concernant:
– la qualité de la voix (d’un ton sobre, doucement, bas, haut, ...);
– des caractéristiques para-locutoires (la bouche pleine, entre les
dents);
– l’expression du visage et / ou du corps (riant, radieuse, émue, l’air
honteux, hors de lui, ironique, ...),
bref, tout ce qui concerne le texte «dit» / récité, le jeu des personnages,
tel qu’il doit être perçu par les spectateurs. Leur portée est variable, car
ces indications scéniques sont données soit pour une seule réplique, soit
pour toute une tirade ou, parfois, pour le texte entier (comme ci-dessus le
poème de J. Tardieu).

2.2.3 Adverbes interlocutoires


Enfin, il faudrait retenir de Nølke, pour les modalisateurs indiquant le
type d’interrelation entre les locuteurs, le nom d’adverbiaux interlocu-
toires, tels, par ex., entre nous soit dit, marqueur par excellence d’un
SECRET, etc. Certaines didascalies peuvent être considérées telles.

3. De l’adverbe à l’adverbial

Si, au début, ce n’est que l’adverbe proprement dit qui a été pris en
considération pour cerner la catégorie d’adverbe de phrase, Nølke sera
un des premiers à avoir étendu la catégorie d’adverbe à celle d’adver-
bial. Celle-ci a le mérite d’être plus large, et admettre plusieurs types

90
d’expressions à fonctions similaires (la fonction de porter sur un énoncé
tout entier, ou la fonction de porter sur l’énonciation): expressions allant
de mots-adverbes (ou même de particules-adverbes) (3.2. ci-dessous)
jusqu’à des propositions-adverbes (3.1.). Si ces dernières expressions
sont des explicitations modales et représentent littéralement, et par des
prédicats proprement dits (prédications fortes), tel ou tel MODE DE DIRE,
les autres ne sont que des signaux, des prédications secondes, «mon-
trant» et non pas assertant un MODE ou autre d’énoncer. Il faut supposer
que la plupart de ces dernières seraient le résultat de la grammatica-
lisation des premières.
Rappelons que ces expressions adverbiales – plus ou moins adverbes
s’avèrent porter sur plusieurs aspects de l’énonciation:
– intra-énonciatif: l’aspect illocutoire;
– extra-énonciatifs: l’aspect locutoire;
l’aspect interpersonnel, appelé ici interlocutoire;
l’aspect perlocutoire.

3.1 Expliciter le «jeu»

Parmi les expressions les plus explicites, il faut prendre en considération


celles qui prennent une forme propositionnelle (au sens grammatical du
terme).

3.1.1 Soyons sérieux…


Dans une première sous-catégorie, j’en ai distingué qui assertent littéra-
lement un type de jeu dans le discours (sérieux vs non sérieux), et
concernent le respect ou le non-respect de la «condition de sincérité»:
Parlons sérieusement maintenant.
Parlons franc.
Soyons sérieux.
C’est très sérieux.
Cessons de plaisanter.
Tu te fous de moi.
Mais non, c’est seulement pour rire!
Vous plaisantez? (Beaumarchais: 126)

91
Tu te moques, ami. (id.: 85)
Le badinage est consommé. (id.: 134)
Dissimulons avec eux. (id.: 61)
Jouons-nous une comédie? (id.: 209)
Je badine. (id.: 221)
Je ne sais pas si vous pensez de bonne foi, mais vous ne le dites pas de bonne
grâce. (id.: 247)
Mesdames et Messieurs..., je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne
rien dire. (R. Devos)

Certaines des expressions ci-dessus appartiennent au langage quotidien,


d’autres sont reprises à Beaumarchais. Dans les pièces de théâtre, de
telles expressions se trouvent toujours dans la bouche des personnages et
jamais dans les didascalies. Ce sont des MODALITÉS ILLOCUTOIRES, des-
tinées à négocier, ici de façon très explicite, les conditions de sincérité
(le sérieux) entre les participants.
Dès lors, on pourrait peut-être considérer les deux termes de la di-
chotomie illocutoire – sérieux vs non sérieux – comme deux catégories
illocutoires génériques. Le deuxième terme se confondrait avec la
FICTION. Or, à l’encontre de Mœschler & Reboul (1994: 432) qui sou-
tiennent qu’il n’y aurait pas de performatif pour un acte illocutionnaire
de fiction (du type raconter une histoire, écrire un roman), je pense
qu’on pourrait dire qu’il y a des expressions illocutionnaires (plus ou
moins performatives) distinguant bien UN MODE FICTIONNEL (non vrai,
non sérieux, non sincère, ludique) d’avec un MODE NON FICTIONNEL de
dire (vrai, sérieux, sincère) (cf. aussi Searle, apud Mœschler & Reboul
1994: 434). D’un côté, il y a bien des histoires commençant par des pré-
fixes indicatifs du mode de dire, comme:
L’histoire que je vais vous raconter...

D’un autre côté, il y a aussi les «étiquettes» métatextuelles que les écri-
vains ou les scripteurs apposent en général à leurs écrits, du type:
ROMAN, NOUVELLE, COMÉDIE, LETTRE DE RECOMMANDATION, ACCUSÉ DE RÉCEP-
TION, etc.,

et qui indiquent bien le MODE sur lequel s’est effectuée l’écriture et sous
lequel devrait se faire la lecture (le GENRE).
Notons à ce propos une mention plaisante de Diderot, sur un de ses écrits: Ceci
n’est pas un conte...

92
Enfin, parmi les expressions possibles, remarquons que certaines disent
littéralement – même si parfois de façon moins que performative – qu’on
a bien affaire à une communication feinte (cf. id.: 437):
Dissimulons avec eux. (Beaumarchais: 61)
Je badine. (id.: 221)
J’invente.
Je plaisante.
C’est pour rire...

On peut constater que les expressions qui désigneraient les deux MODES
SÉRIEUX vs NON SÉRIEUX sont constituées de structures du type:
verbe de parole + qualificatif illocutoire
parler sérieusement /franchement/sincèrement
parler pour ne rien dire
jouer une comédie
verbe «être» + qualificatif illocutoire/perlocutoire
être sérieux
être pour rire
verbe de pensée + qualificatif illocutoire
penser de bonne foi
verbe illocutoire
plaisanter, se foutre de,
se moquer de, dissimuler,
badiner...
substantifs-«étiquette»
badinage, blague, comédie...

Chacune des deux catégories SÉRIEUX vs NON SÉRIEUX aligneraient,


respectivement, des sous-catégories discursives / textuelles comme:
SÉRIEUX vs NON SÉRIEUX
histoire légendes
informations contes merveilleux
accusés de réception blagues
interviews devinettes
cours, conférences… proverbes…

ce qui laisse dire que le «mode» discursif n’est autre chose que le
«genre» textuel: c’est lui qui décide en fin de compte de ce dernier et
trouve son expression dans les formules introductives (plus ou moins
performatives, on l’a vu) de ces MODES TEXTUELS:

93
fr Vous êtes au courant? (NOUVELLE)
Vous connaissez la dernière? (FAIT EXCEPTIONNEL, BLAGUE)
Je vais vous raconter une blague... (BLAGUE)
Je plaisante. (PLAISANTERIE)
Pour en savoir plus... (INFORMATIONS)
L’histoire que je vais vous raconter... (RÉCIT)
ro Ghici ghicitoarea mea! (DEVINETTE)
(‹Devine ma devinette›)
A fost odată ca niciodată... (CONTE MERVEILLEUX)
(‹Il était une fois...›)

3.1.2 Les didascalies


Quant aux MODALITÉS LOCUTOIRES ou INTERLOCUTOIRES que sont les
didascalies, elles s’expriment aussi par des formes propositionnelles (par
ex. s’écrie, le contrefait dans Le mariage de Figaro).
On peut supposer qu’une catégorie de verbes locutoires (vs verbes
illocutoires, catégorie classique et généralement reconnue) devrait indi-
quer la dimension extérieure du jeu communicatif en général et du jeu
théâtral en particulier. Ces verbes seraient une combinatoire de sèmes
tels:
sème1 [verbe de parole] + sème2 [qualificatif vocal]

dont les actualisations pourraient bien être:


– un syntagme explicite:
verbe de parole + qualificatif vocal
dire à haute voix
parler à voix basse
verbes simples désignant des «modes vocaux»:
crier
balbutier

– l’expressions du type avoir une voix + adj. dont, généralement, il ne


reste qu’un qualificatif adverbial:
d’une voix + adj. (rauque, haut perchée, éteinte, rouillée...),

c’est-à-dire une expression plutôt indicative qu’explicite, assertée.

94
3.2 Indiquer le «jeu»

A part des expressions qui assertent le MODE DU DIRE, en l’explicitant,


(cf. les formes analytiques, propositionnelles), il y en a en effet beaucoup
qui ne font qu’indiquer ce dernier. La forme des énoncés est alors plutôt
«moins que propositionnelle» (syntagmes, adverbes, adjectifs, participes,
particules), aussi bien pour indiquer des modalités illocutoires (sincère-
ment, sans rire), que pour indiquer des modalités locutoires (d’un ton
plaintif, criant) ou interlocutoires (à part, entre nous). Ces expressions
sont des qualificatifs du dire, sous-entendant toutes un verbe de parole
comme parler, dire, demander, répondre, discuter, etc. qui se serait «ef-
facé» en structure de surface.
Observer ces expressions peut s’avérer intéressant, car elles révèlent
la genèse, parfois par grammaticalisation, de certains marqueurs: une
proposition sémantiquement pleine se réduit souvent à une formule.
Précisons entre parenthèses que les expressions ci-dessous ne sont pas toutes uti-
lisées ou utilisables comme «adverbes» de portée textuelle, mais qu’une bonne
partie peuvent concerner une séquence, donc plus qu’un seul énoncé.

3.2.1 Locutions adverbiales

avec humour, d’un ton sombre/plaintif, en colère, avec joie, avec vivacité, avec
embarras, la bouche pleine, l’air honteux, hors de lui, blague à part, sans rire, à
part, entre nous... (v. syntagmes dans le tableau)

3.2.2 Participes présents ou gérondifs

(en) riant, rêvant, criant, raillant, plaidant, glapissant, s’échauffant, rougissant,


se contenant...

3.2.3 Participes passés ou adjectifs

horrifié, sidéré, intéressé, déconcerté, piqué, stupéfait, désolé, outré, pénétré,


troublé, embarrassé, agacé, attendri, calme, inquiet, ironique, confus, exalté, fu-
rieux, ému, radieuse, songeuse...

95
3.2.4 Adverbes proprement dits

vite, étourdiment, follement, vivement, aigrement, piteusement, gaiement, mali-


gnement, sèchement, tranquillement, doucement, calmement, sincèrement, fran-
chement, sérieusement...

3.2.5 Particules
Voici une analyse pour cică et zău du roumain, ces particules réduites,
par contraction, à de simples «signes» ou «indices» équivalant à dit-on,
respectivement à je te jure.
3.2.5.1. Cică (‹dit-on›)
Cică n’a plus de statut propositionnel (comme la structure dont il pro-
vient se zice că), ni même statut d’adverbe (comme disent les diction-
naires, cf. DEX). Sémantiquement, il a d’abord perdu la conjonction că,
ensuite avec le «mot» zice, son sens métadiscursif. Grammaticalement
donc, ce ne serait plus qu’un simple élément parasite, sans nom, et dé-
rangeant la structure de la proposition-phrase. Le sens dérivé qu’a acquis
cică, celui de doute, a complètement éliminé le sens primitif méta-
discursif, mais continue pour autant de garder, sinon l’assertion entière,
du moins une indication de son sens interdiscursif / polyphonique.
Tout comme la forme réduite de l’expression (plus «amorphe» et dif-
ficile à décomposer ou à accepter, faute d’un prédicat, comme «proposi-
tion grammaticale»), son sens dérivé est impossible à décomposer aussi:
l’expression «fait bloc», et les locuteurs la ressentent comme marque
d’ouï-dire – moins un dire (par la perte du mot zice) qu’une marque
d’approximation ou de doute sur la vérité de ce qui est asserté. Une pro-
position s’est ainsi vue carrément «fondre» en une simple «trace» mo-
dale. On pourrait affirmer qu’on est bien, avec cică, en présence d’un
déclencheur d’espace: d’un espace plus restreint ou plus étendu en lon-
gueur, car le marqueur est souvent utilisé comme introducteur non seu-
lement de simples énoncés, mais de récits entiers du type «de bouche à
oreille»: BLAGUES, LÉGENDES POPULAIRES, NOUVELLES OFFICIEUSES,
etc. Voici un exemple où cică déclenche le MODE TEXTUEL de l’ouï-dire
pour le texte tout entier qui suit:

96
(15) Cică era într-un sat un om tare nevoiaş. De nevoiaş ce era, şi-a lăsat casa şi a
plecat să-şi cerce norocul în lume... (Păcală avocat)
(On dit qu’il y avait dans un village un homme très pauvre. Et il était telle-
ment pauvre, qu’il avait quitté sa maison pour tenter sa chance à travers le
monde...)

3.2.5.1. Zău (‹j’te jure›)


Tout comme cică – cette ex-incise fortement destructurée –, l’interjectif
zău du roumain est un mot-phrase qui provient, par une déstructuration
similaire, d’une expression explicite, désignant l’invocation divine pe
Dumnezeu (‹par Dieu, pardi›), et qui s’associait à jur (‹je jure›), perfor-
matif de l’acte de SERMON. Elle s’est par la suite figée, par métonymie,
comme indicateur de SERMON ou de PROMESSE, glosable par je te jure
que..., ou comme DEMANDE DE DIRE LA VÉRITÉ (cf. sincèrement, sérieu-
sement, honnêtement dans la catégorie des adverbiaux). Comme pour
cică, une ex-incise explicite s’est réduite en une «particule», indicateur
implicite d’un MODE DE DIRE.
(16) Spune, zău, ce nu-ţi convine?
(Dis, franchement, qu’est-ce qui ne va pas?)
(17) Cît priveşte pe cela care nu e mulţumit cum am scris-o [povestea], îl rog, da-
că e meşter, să scrie una să i se ducă vestea, că zău nu mă supăr de a fi fru-
moasă şi bine scrisă. (Dragoslav)
(Quant à celui qui ne serait pas content de la manière dont je l’ai écrit [le ré-
cit], je le prie, s’il s’y connaît mieux, d’en écrire un à en faire parler, car je ne
lui en voudrai sincèrement pas si son récit est beau est bien écrit.)

Tels cică ou les adverbes de phrase sérieusement, franchement, etc., la


particule zău se propose, en dehors de sa fonction interpersonnelle d’IN-
VOCATION et de sa fonction subjective de SERMON, comme marqueur de
MODALITÉ ÉNONCIATIVE – garantie pour le locuteur d’un «dire vrai». Si
cică marque la MODALITÉ NON SÉRIEUSE, zău, par contre, indique qu’on
est ou qu’on réclame de discuter sur le MODE SÉRIEUX. En français, il se
traduit par franchement (16), sincèrement (17) ou j’te jure..., dont ce
dernier est déjà devenu automatisme, formule figée. Remarquons que, en
dehors des emplois ci-dessus comme ADVERBE DE PHRASE, zău s’utilise
comme ADVERBIAL RÉTROACTIF DE TEXTE:

97
– en énoncé interrogatif (Zău?), pour VÉRIFIER après coup le sérieux du
discours;
– en énoncé déclaratif ou exclamatif (Zău.), pour RASSURER quant au
sérieux d’un(e) séquence / discours;
– en énoncé exclamatif ou exclamatif-interrogatif (Zău!?), pour recon-
naître le côté extraordinaire des événements qu’on vient de raconter
(marque d’ÉTONNEMENT).

4. Conclusions

4.1. Dès qu’ils ont une portée discursive, cică et zău peuvent être tous les
deux appelés PARTICULES DE TEXTE.
4.2. Une situation générale des faits exposés ci-dessus porrait se repré-
senter comme suit:

Expressions adverbiales

propositionnelles syntagmes adv./adj./particules...


interlocutoires Ça doit rester entre entre nous (soit dit) complice
nous. à part
locutoires s’écrie d’un ton sobre criant, rougissant,
le contrefait la bouche pleine riant, émue, piquée
entre les dents confuse, songeuse
avec embarras radieuse, inquiète
l’air honteux ironique, hors de lui
avec bonhomie bas, haut, doucement
calmement, aigrement
sèchement, gaiement
piteusement
malignement
timidement
illocutoires Je parle sérieusement. Trêve de plaisanterie. sérieusement
Parlons franc. sans rire franchement
C’est très sérieux. sans blague sincèrement
Tu te fous de moi.
Vous plaisantez? ro cicǎ, zǎu
J’te jure.
perlocution C’est seulement pour
rire!

98
4.3. Pour la catégorie d’ADVERBE DE TEXTE proposée ici, une dénomina-
tion plus diffuse, celle d’ADVERBIAL DE TEXTE serait en effet:
– un terme plus vague, mais avec un sens plus large, recouvrant des
entités d’étendue variable (allant de l’adverbe aux propositions);
– un terme suffisamment homogène du point de vue de la fonction
(MODALISATEUR) et correspondant mieux à la description du dis-
cours.
J’aimerais rappeler ici Maurice Dessaintes (1962) qui avait choisi de parler non
plus de conjonctions mais de conjonctifs, non plus d’interjections mais d’ inter-
jectifs, et ce, pour une raison similaire: il se situait sur une position de frontière,
entre la grammaire et la stylistique.

Il faut donc lire les guillemets utilisés dans le titre pour le terme «ad-
verbe de texte» comme indiquant:
– une dénomination moins que littérale, vu que ce n’est pas un verbe qui
est déterminé par cette catégorie, mais
– un ACTE («adverbe de phrase») ou
– une ACTION plus élaborée (SÉQUENCE), voire un TEXTE;
– une dénomination moins que littérale, vu qu’elle inclut d’autres caté-
gories que des adverbes à proprement parler, à savoir toutes les ex-
pressions qui reprennent la fonction prototypique de l’adverbe, et
dont l’expansion va décroissant de la proposition grammaticale jus-
qu’à la particule;
– le fait que ce n’est pas toujours un texte entier qui est concerné, mais
des entités discursives plus étendues que la phrase.
Pour résumer, précisons donc que «adverbe de texte» dans le titre, n’est
qu’un «terme approximatif» pour signifier, en fait, un ADVERBIAL DE
DISCOURS. Il est donc à prendre comme une catégorie floue et graduelle,
concernant le discours à plusieurs niveaux de sa structuration: énoncé,
séquence, texte.

99
Chapitre 5

Métaphore territoriale et possession:


du discours à la grammaire

Le but de ce chapitre est d’attirer l’attention sur un type de structure


possessive ignorée par les grammaires du roumain, mais qui est très uti-
lisée dans la langue courante:
(a) [la + nominal Acc.] + [în / la / pe... + subst.]
Ex.: la noi în oraş, la tine în cameră, la X în casă, la tata la serviciu, etc.
(litt. ‹chez nous dans la ville, chez toi dans la chambre, chez X dans la maison,
chez papa au bureau›)

Impossible à transférer telle quelle dans la plupart des langues, cette


1
structure, qu’il faudrait appeler accusatif possessif , est traduisible à
l’aide de structures possessives du type:
(b) [prep. + adjectif possessif / génitiv + subst.]

où le syntagme stable [la + nominal à l’accusatif] de (a) correspond à


l’adjectif possessif ou au génitif de la structure (b):
fr dans notre ville, dans ta chambre, dans la maison de X / chez X, au bureau de
mon père , etc.
an in our town, in our room, in X’s house, in my fother’s office, etc.

Notons que la structure (b) est visiblement plus condensée que (a), ce qui
laisse supposer
– un degré de grammaticalisation supérieur pour (b) – qui forme un seul
syntagme;
– un degré de compositionnalité / analycité plus grand de (a) – syntaxi-
quement décomposable / analysable en deux syntagmes.

1 Appellation, en termes de grammaire, qui pourrait faire pendant au datif possessif


du roumain et du français.

101
1. Une métaphore territoriale

Les analyses que j’ai effectuées jusqu’à présent sur les contextes d’utili-
sation de ce syntagme stable
S1 [la + nominal Acc.]

conduisent vers l’hypothèse que la structure (a) apparemment gramma-


ticalisée (SG) en roumain semble avoir son origine dans une structure
discursive (SD) du type:
(c) S1 [syntagme locatif] + S2 [ACTE DE PRÉCISION]

A l’analyse, le syntagme locatif S1 semble effectivement conduire en tout


premier lieu à une lecture «territoriale»: la mine ‹chez moi›, la voi ‹chez
vous›, la Andrei ‹chez André›, la domnul Popescu ‹chez M. Popescu›, la
director ‹chez le directeur›, la francezi ‹chez les Français›, etc. – dont la
délimitation est assez vague, car on a du mal à cerner ce territoire indi-
qué par la préposition la du roumain. Elle signifie surtout ‹chez›, du
moment qu’elle s’associe à des nominaux animés (personnes, animaux),
mais peut aussi signifier ‹à› et renvoyer, donc, à un territoire plus vague.
Or, cette délimitation territoriale plutôt floue réclame des précisions réfé-
rentielles. Celles-ci se font de règle par d’autres structures locatives,
telles qu’indiqué dans le deuxième syntagme S2 [prép. în / la / pe... +
subst.] de la structure (a) ci-dessus:
Ex.: la noi în România; la mine acasă; la mama pe noptieră; la director pe bi-
rou; la tine în geantă; etc.
(litt. ‹chez nous en Roumanie; chez moi à la maison; chez maman sur la table de
nuit; chez le directeur sur le bureau; chez toi dans le sac›, etc.)

1.1 La noi în România (‹chez nous, en Roumanie›)

La première extension du syntagme locatif s1 serait:


(i) [la + nominal Acc.] + [prép. + nom propre de territoire / zone]
s1 s2

102
Ex.: la noi în România; la noi în Maramureş; la noi la Cluj; la noi, în cartierul
Grigorescu; etc.
(chez nous en Roumanie; chez nous dans le Maramureş; chez nous à Cluj; chez
nous, dans le quartier Grigorescu, etc.)

Il faut supposer que cette structure serait plutôt une structure discursive
de type explicatif et pourrait se détailler, notamment pour ce premier
cas de figure (i), en:
(i’) ACTE DE CADRAGE + ACTE DE PRÉCISION

Je considère le premier syntagme un acte de CADRAGE pour les raisons


suivantes: il est placé en tête de structure; il est détachable par une vir-
gule; enfin, il se fait toujours suivre par un syntagme explicatif qui cir-
conscrit mieux un LIEU. Si le premier segment ne fait que l’approximer,
le second vient en restreindre la référence par un acte de PRÉCISION, et le
tout est à considérer comme une stratégie de référenciation visant l’attri-
bution d’un référent à un CADRE.
(1) La noi, în România, oamenii gîndesc altfel.
(2) La noi, în Maramureş, tradiţiile s-au păstrat mai bine.
(3) La noi, în [cartierul] Grigorescu, autobuzele circulă mai bine.

Si l’on veut traduire les phrases de (1) à (3) en français, on remarquera


qu’on peut en préserver les structures:
(1’) Chez nous, en Roumanie, les gens pensent autrement.
(2’) Chez nous, dans le Maramureş, les traditions sont mieux gardées.
(3’) Chez nous, dans [le quartier] Grigorescu, les bus circulent mieux.

La structure peut être préservée avec son sens territorial premier, qui
laisse peu de place à une lecture possessive proprement dite. Il est vrai
que ce sens possessif peut être inféré par l’acte initial de CADRAGE, dont
le syntagme locatif (la + nominal) suggère, sémantiquement, un territoire
personnel (et, par là aussi, un «possesseur»). Or, ce territoire personnali-
sé, en relation avec les «objets» désignés par le syntagme suivant s2, peut
facilement indiquer une lecture possessive, du type:
(1’’) România este ţara noastră. (La Roumanie est notre pays.)
(2’’) Regiunea Maramureş (La région de Maramureş est notre
este judeţul nostru. région, celle où nous habitons.)

103
(3’’) Cartierul Grigorescu e (Le quartier Grigorescu est le
cartierul în care locuim. quartier où nous habitons.)

C’est bine l’expérience humaine générale qui rend ce type d’inférence /


interprétation accessible, c’est-à-dire permettre, en présence d’un «ob-
jet», d’attribuer à un humain le statut de candidat à la possession: en
vertu d’une représentation mentale prototypique de la possession comme
relation stable entre un possesseur et un objet.
Notons que les contextes (i), utilisant des noms propres, n’ont pas
d’équivalent roumain direct avec adjectif possessif (ou difficilement
acceptables: ?în România noastră, în Maramureşul nostru, etc.), et que
seules des explicitations du type ţară ‹pays›, regiune ‹région›, cartier
‹quartier› pour, respectivement, România, Maramureş, Grigorescu, peu-
vent s’utiliser avec des adjectifs possessifs (cf. 2.2. ci-dessous).

1.2 La noi în ţară (litt. ‹chez nous dans le pays›)

Un deuxième cas de figure est représenté par une structure où le deu-


xième segment s2 apporte en précision un nom commun désignant un lieu
au sens large (zones, localités, habitations, pièces d’habitation, salles,
etc.): ţară ‹pays›, oraş ‹ville›, sat ‹village›, cartier ‹quartier›, grădină
‹jardin›, curte ‹cour›, bloc ‹immeuble›, casă ‹maison›, apartament ‹ap-
partement›, cameră ‹chambre›, clasă ‹salle de classe›, baie ‹salle de
bain›, bucătărie ‹cuisine›, dulap ‹armoire›, sertar ‹tiroir›, masă ‹table›,
noptieră ‹table de nuit›, etc. La structure (i) devient alors (ii):
(ii) [la + nominal Acc.] + [prép. + noms communs désignant des lieux]
s1 s2
Ex.: la noi în ţară / în oraş / în sat / în cartier / în bloc / în casă / în apartament /
în cameră / în clasă / în sală / în dormitor / în baie / în bucătărie / în dulap / în
sertar / pe masă / în noptieră / în grădină / în curte, etc.

La structure (ii) se traduit en français et en anglais par des constructions


possessives plus grammaticalisées:
fr dans notre pays / ville / village... sur notre table…
an in our country / town / village... on our table…

104
mais n’exclut point une structure discursive française du type:
fr chez nous, dans notre ville
[ACTE DE CADRAGE], [ACTE DE PRÉCISION]

Un équivalent roumain avec adjectif possessif est également possible:


la noi în ţară = în ţara noastră (dans notre pays)
la noi în oraş = în oraşul nostru (dans notre ville)
la voi în curte = în curtea voastră (dans votre cour)
la mine în casă = în casa mea (dans ma maison)
la mine acasă = acasă la mine (chez moi)
la mine în sertar = în sertarul meu (dans mon tiroir)

On peut voir que ces types de «territoires» sont de plus en plus restreints,
allant jusqu’à des «lieux» très personnels: chambres, meubles, tiroirs,
étagères, etc., plus facilement perçus comme territoires personnels et,
mieux encore, comme objets qu’on possède, et pouvant dès lors déve-
lopper plus facilement des équivalents grammaticaux avec adjectifs pos-
sessifs.
Une remarque à propos des expressions roumaines la mine în casă et
la mine acasă s’impose. Si la mine în casă rentre bien dans le système,
et le parallélisme la mine = mea va dans ce cas de figure sans problèmes
(v. les équivalences ci-dessus), la structure la mine acasă (en grisé ci-
dessus) ne se s’aligne pas à ces équivalences. D’un côté, on a affaire là à
une grammaticalisation du deuxième syntagme, qu’on peut reconstituer
comme évolution d’une construction lat: a casa (‹à la maison›) > ro adv.
acasă, adverbe qui a éliminé la structure «normale» *la casa en roumain.
Acasă peut s’intégrer à la structure «territoriale» (a), donnant:
la mine acasă

où acasă occupe la place du deuxième syntagme. Par contre, acasă


n’accepte plus la structure (b), à possessif grammaticalisé, car le subs-
tantif casa, agglutiné dans l’adverbe acasă, ne peut plus régir un déter-
minant adjectival. Les résultats en sont deux structures qui ne se distin-
guent que par l’ordre des mots et qui équivalent, les deux, à ‹chez moi›:
la mine acasă = acasă la mine
C’est par ailleurs intéressant de rappeler que le français chez (< lat. casa) a de
son côté lui aussi été l’objet d’une grammaticalisation, mais là, le substantif latin
casa a donné non pas un adverbe, comme en roumain, mais une préposition

105
(chez) qui, elle, se mettra toujours «en ménage» avec un nominal (moi, lui, nous,
Georges, mes amis, etc.). Ainsi, dans chez moi, du point de vue étymologique,
l’objet possédé se cache dans la préposition chez, alors que le possesseur est en
position d’OI. Avec des parcours et configurations de grammaticalisation diffé-
rents, les expressions la mine acasă et chez moi sont aujourd’hui sémantiquement
équivalentes.

1.3 La mine în geantă (litt. ‹chez moi dans le sac›)

Le cas le plus prototypique de possession est sûrement la structure sé-


mantiquement constituée d’un possesseur et un objet possédé, où «objet»
désigne effectivement des noms d’objets au sens propre. Cette structura-
tion est représentée en (iii) ci-dessous:
(iii) [la + nominal Acc.] + [prép. + noms communs désignant des objets]
s1 s2

ro la mine în geantă / în valiză / în dosar / în paşaport / în lucrare / în carte...=


în geanta mea, în valiza mea, în dosarul meu, în paşaportul meu, în lucrarea
mea, în cartea mea…
fr dans mon sac / ma valise / mon dossier / mon passeport...
an in my bag / suitcase /...

On voit bien que la structure à accusatif du roumain n’est pas traduisible


telle quelle en français ou en anglais et qu’elle s’y traduit par la seule
structure à adjectif possessif. Dans une configuration comme Caută la
mine în geantă, le roumain peut utiliser la structure grammaticalisée en
égale mesure:
ro Caută la mine în geantă. = Caută în geanta mea.
fr Cherche dans mon sac.
an Look in my bag.

106
1.4 La ea în suflet (litt. ‹chez elle dans l’âme›)

La structure (iv) a un degré de «parlé» plus élevé, s’éloignant de l’usage


standard ou littéraire du roumain:
(iv) [la + nominal Acc.] + [prép. + noms désignant des parties du corps]
s1 s2
Ex.: la tine în suflet / în inimă / în cap / în gît / în stomac / pe frunte / în urechi...
(litt. ‹chez toi dans l’âme / dans le cœur / dans la tête / dans la gorge / dans
l’estomac / sur le front / dans les oreilles…›)

La structure à l’accusatif se traduit en français par les adjectifs posses-


sifs, ce que le roumain standard préfère aussi:
la tine în suflet = în sufletul tău (dans ton âme)
la tine în inimă = în inima ta (dans ton cœur)
la tine în cap = în capul tău (dans ta tête)
la tine în gît = în gîtul tău (dans ta gorge)
la tine în stomac = în somacul tău (dans ton estomac)
la tine pe frunte = pe fruntea ta (sur ton front)
la tine în urechi = în urechile tale (dans tes oreilles)

Une phrase roumaine du type:


La tine în suflet trebuie să fie un gol total.

peut se traduire en français parlé par:


Toi, dans ton âme, il doit y avoir un vide total.

où le CADRAGE (la tine) du roumain correspond à la THÉMATISATION


(toi) en français. Pour ce qui est de la phrase (4):
(4) Ce-o fi la ea în suflet? = Ce-o fi în sufletul ei?

elle se traduit en français par:


(4’) Qu’est-ce qu’elle peut bien avoir dans son âme ?

107
1.5 La voi în familie (litt. ‹chez vous dans la famille›)

La structure (v) fait entrer en scène, pour le deuxième syntagme, des


groupes ou collectivités humaines:
(v) [la + nominal Acc.] + [prép. + subst. désignant des groupes/assoc. humaines]
s1 s2
Ex.: la voi în familie / în catedră / în partid / în echipă / în clasă / la asociaţia de
locatari...
(litt. ‹chez vous dans la famille / dans le département / dans le parti / dans
l’équipe / dans la classe / à l’association de locataires›)

qui se traduit en français standard par les structures grammaticales, que


le roumain connaît aussi:
fr dans votre famille / département / parti…
ro în familia / catedra / voastră; în partidul vostru…

Pae contre, la traduction littérale en français s’approche d’une construc-


tion très utilisée dans cette langue qui, en structure emphatique, redouble
l’expression du possessif: après le CADRAGE [s1], la PRÉCISION [s2] vient
appuyer l’idée de possession par l’adjectif conjoint au nom:
la voi, în familie = chez vous, dans votre famille
[s1] , [s2] [s1] , [s2]

Il est intéressant de remarquer que cette dernière structure est en train de


se souder et se figer sous un seul contour intonatif:
la voi în familie = chez vous dans votre famille
[s1s2] [s1s2]

Le français connaît, comme pour (iv), un équivalent discursif:


Vous, dans votre famille…
[THÈME] + [PRÉCISION]

108
1.6 La noi(,) în artele plastice
(‹chez nous, dans les arts plastiques›)

Des structures du type (vi), associant à la structure territoriale-possessive


s1 des noms désignant des entités culturelles, économiques, etc. s2:
(vi) [la + nominal Acc.] + [prép. + noms communs - entités culturelles, écon…]
s1 s2
sont entièrement acceptables en roumain comme organisations discursi-
ves, mais moins acceptables comme constructions grammaticales:
structure discursive (explicative) ? structure grammaticale
la americani, în cultură ? la americani în cultură
la francezi, în artele plastice ? la francezi în artele plastice
la italieni, în pictură ? la italieni în pictură
la ruşi, în critica literară ? la ruşi în critica literară
la chinezi, în ştiinţă ? la chinezi în ştiinţă
la indieni, în mentalitate ? la indieni în mentalitate
la spanioli, în agricultură ? la spanioli în agricultură
la noi, în limbă ? la noi în limbă

Les équivalents français en seraient:


la americani, în cultură
(litt. ‹chez les Américains, dans la culture›)
chez les Américains, dans leur culture… (SD avec CADRAGE)
les Américains, dans leur culture… (SD avec THÈME)
dans la culture des Américains / américaine (SG)
la noi, în limbă
(litt. ‹chez nous, dans la langue›)
chez nous, dans notre langue (SD avec CADRAGE)
nous, dans notre langue (SD avec THÈME)
dans notre langue (SG)

La traduction de la structure discursive en français relève d’une stratégie


reformulative: une fois le premier CADRE-THÈME posé, une REFORMU-
LATION-PRÉCISION suit, qui restreint la portée référentielle de ce cadre.
Pour ce qui est de la structure grammaticale, c’est un génitif (des Améri-
cains) ou un adjectif (américaine) qui sont censés restreindre cette réfé-
rence. Et les pronoms personnels dans les structures discursives (moi,

109
toi,…nous…) y seront co-référentiels des adjectifs possessifs proprement
dits (mon, ton,…, notre…) des structures grammaticales.

1.7 La mine în memorie (litt. ‹chez moi dans la mémoire›)

Enfin, un autre contexte peut actualiser (a) comme structure possessive:


une structure où s2 est représenté par des termes abstraits (processus in-
tellectuels, discursifs, par ex.), comme dans le schéma (vii) ci-dessous:
(vii) [la + nominal Acc.] + [prép. + noms commun - processus intellectuels]
s1 s2
Ex.: la mine în memorie / în amintire / în argumentare...
(litt. ‹chez moi dans la mémoire / dans le souvenir / dans l’argumentation…›)

Ces exemples sont traduisibles en français et en anglais par les syntag-


mes à adjectifs possessifs:
fr dans ma mémoire / mon souvenir / mon argumentation...
an in my memory / my argumentation...

mais des structures discursives en THÈME + PRÉCISION (comme en fr


moi, dans mon souvenir) peuvent facilement être envisagées.

2. Quelques conclusions

2.1. On remarque avec cette construction du roumain une évolution inté-


ressante d’une structure discursive de type explicatif, exprimant un
territoire vague (le CADRE) + une précision territoriale (acte de PRÉCI-
SION), vers une structure quasi grammaticalisée.
2.2. Le sens possessif, lui, évolue d’un sémantisme fort, TERRITORIAL,
vers un sémantisme plus faible – l’idée de POSSESSION proprement dite.
2.2.1. Les possessifs proprement dits / prototypiques se retrouvent
dans le cas des structures (iii) et (iv) sous 2.3. et 2.4. Il s’agit concrète-
ment dans ces cas de figure des «objets possédés» et des «possesseurs»
dont parlent les grammaires (possession aliénable ou inaliénable).

110
2.2.2. Des possessifs implicites et impropres se retrouvent sous (i) et,
partiellement sous (ii) et (v), où la relation avec le territoire est en faite
inversée, car ce ne sont pas les territoires qui appartiennent aux indi-
vidus, comme indiqué par la construction du s1 [la + nominal Acc.], mais
les individus qui appartiennent aux territoires. On peut dire que la rela-
tion de possession est interprétée là par inférence. Sont en égale mesure
des possessifs impropres tous les substantifs indiquant un voisinage,
comme par ex.:
la noi la poştă, la noi la pompa de benzină
(litt. ‹chez nous à la poste, chez nous à la pompe d’essence›)

Un transfert mental permet aux locuteurs de «comprendre» le sens pos-


sessif impliqué dans ces expressions indirectement possessives, à l’aide
de topoï comme:
Tout individu habite un quartier. Dans tout quartier il y a une poste. Les individus
recourent d’habitude aux services postaux les plus proches, ceux de leur quartier.

2.2.3. Des possessifs vagues se trouvent également sous 2.6. et 2.7.,


c’est-à-dire dans les structures (vi) et (vii), où la possession est plutôt
abstraite.
2.2.4. Ce type de sémantisme graduel semble être un cas intéressant de
catégorie floue, qui rend évidente la nécessité d’investigations plus pro-
fondes de la catégorie sémantique de possession, sous ses multiples visa-
ges. Cette gradualité sémantique s’ajoute à la gradualité formelle, ex-
pressive de la possession.
2.3. Des possessifs semblent dès lors être indirectement calculés à tra-
vers d’autres structures comme, par ex., les expressions roumaines:
stă cu mine în bloc = stă în blocul meu
(litt. ‹il habite avec moi dans l’immeuble›) (litt. ‹il habite dans mon immeuble›)
a călătorit cu mine în compartiment = ...în compartimentul meu
(litt. ‹il a voyagé avec moi dans le compartiment›) (‹… dans mon compartiment›)

où la personne semble induire un sens possessif à tout espace / territoire,


définitif ou provisoire, qu’elle occupe et / ou partage avec quelqu’un.
2.4. Malgré les similitudes de construction, je pense que les construc-
tions françaises du type:
fr dans ma ville à moi , dans mon sac à moi , dans mon livre à moi

111
ne sont pas tout à fait équivalables à:
ro la mine în oraş (în oraş la mine), la mine în geantă (în geantă la mine), la
mine în carte (în carte la mine)

car dans ce cas de figure, le français, par la reprise du pronom tonique,


détaché à droite du syntagme, donne à la possession un emploi emphati-
que, ce qui n’est pas le cas pour la construction prépositionnelle séman-
tiquement équivalente du roumain (ro la mine = fr à moi), fût-elle anté-
posée ou postposée: celle-ci n’est ni une anticipation ni une reprise d’un
possessif déjà exprimé. D’un autre côté, l’expression roumaine avec
accusatif est «plus territoriale » que la française qui, elle, malgré le loca-
tif à, ne garde plus rien du sens primitif de cette préposition: elle «fait
bloc» et semble être une construction grammaticalement figée de la pos-
session.
2.5. Il me semble qu’on a affaire dans toutes ces constructions du rou-
main à une négociation du sens au fur et à mesure que la structure s’éla-
bore, avec un ajustement, par EXPLICATION / PRÉCISION, du sens posses-
sif. Il s’agit bien d’une dérivation sémantico-syntaxique et d’une ambi-
guïté discursive-grammaticale. D’un possessif discursif en cours de
grammaticalisation que, vu sa grande fréquence à l’oral, les grammai-
res roumaines pourraient adopter sous la dénomination proposée ici,
d’accusatif possessif.

112
Chapitre 6

Les blocs exclamatifs

Partant, d’un côté, de la classification des mots-phrases (telle que donnée


dans Grevisse 1986: 1588-1599) et, d’un autre côté, d’une classification
des énoncés exclamatifs où les catégories se distinguent en fonction du
type de marquage (cf. Florea 1992; Bacha 2000), je me propose dans ce
chapitre d’observer de plus près le type d’énoncé interjectif. Ce type
d’énoncé, je l’appelle ici «blocs exclamatifs», et je justifierai le choix de
cette métaphore, comme on le verra, aux niveaux sémantique et syntaxi-
que de l’analyse. Il n’y sera guère considéré comme une exception, vu
qu’il actualise l’une des caractéristiques inhérentes des langues naturel-
les et du fonctionnement de celles-ci: le flou ou l’informel.

1. Un exemple de texte interjectif

Je prendrai pour exemple une séquence dialogale naturelle, dont les par-
ticipants sont les membres de deux familles: l’une d’origine française,
l’autre d’origine roumaine. Le texte se déroule surtout en français, avec
quelques séquences en roumain; c’est une conversation à table, sur une
terrasse, entre les 6 personnes composant les deux familles: 2 mères J et
L; 2 pères N et E; leurs 2 fils respectifs, de 10-11 ans, G et D:
(1) La chasse à la guêpe (une guêpe approche)
L: ah ah ah ah! (1)
(E veut tuer la bestiole à l’aide d’un couteau)
J: attention, Eugène! (2)
E: j’veux pas casser...
J: non non mais la guêpe! (3) [...]
E: ni mă ce obraznică-i! (4) (‹tiens ce qu’elle est insolente!›)
L: trebuia să pui farfuria pe ea... (‹tu aurais dû mettre l’assiette dessus›)
N: alors Eugène tape pas à côté tape pas à côté Eugène / et casse pas tes
pieds... / tu l’as eue?

113
E: non! (5) da’ l-am atins ş-o căzut şi văd că s-o... (‹mais je l’ai touchée elle
est tombée et je vois qu’elle...›)
N: il faut qu’on achète une tapette
L: vous en avez pas?!... (6) ah non (7) vous en avez pas / c’est c’est les Du-
croux qui ont une tapette...
N: je te laisse te servir
L: ... et un piège pour les guêpes
N: est-ce que ça marche les pièges à guêpes?
G: ah oui! (8) je l’ai vu ch... oh! (9) au restaurant où j’y vais il y a des mou-
ches et des guêpes... tout ce qu’on XXX! (10) XXX on en avait beau-
coup, hein?(11) tu mets d’ici ou là alors là ! (12)
J: ouh! (13)
G: on XXX dessus
N: très bien ! (14)
L: mon Dieu! (15)
G: iii! (16) c’est XXX! (17)
J: qui? la guêpe ou Eugène?
N: la guêpe est partie, Eugène XXX (oral authentique)
(Les séquences exclamatives ont été numérotées de 1 à 17. Les séquences brouil-
lées, inintelligibles, ont été marquées par XXX.)

2. Particularités des expressions interjectives

Par rapport:
– aux énoncés propositionnels marqués par la seule intonation excla-
mative (6, 17),
– aux énoncés marqués par des mots exclamatifs (ce en roumain,
correspondant au français ce que, dans 4, et tout ce que dans 10), et
– aux énoncés elliptiques nominaux (2, 3), ou adverbiaux du type ad-
verbes-phrases (5, 7, 8, 14),
les séquences 1, 9, 11, 12, 13, 15 et 16 sont des interjections, dont:
– 1 ah, 9 oh, 11 hein, 13 ouh, 16 iii, des interjections pures;
– 12 alors là, 15 mon Dieu!, des expressions figées fonctionnant
comme interjections.
Toutes seront ici qualifiées de «blocs exclamatifs», car elles se distin-
guent des autres catégories d’énoncés exclamatifs par plusieurs traits:

114
– au niveau sémantico-pragmatique, par un flou sémantique (v. 2.1.);
– au niveau syntaxique, par le caractère non intégré et amorphe (v. 2.2.),
qui confère au marquage une aspect compact (v. 2.3.).

2.1 Le flou sémantique

2.1.1 En micro-structure

Un «bloc» est une micro-structure sémantiquement amorphe, ou inanalysable


en unités de sens.

Il est en effet impossible de distinguer des unités discrètes de significa-


tions à l’intérieur des «blocs» 1 ah!, 9 oh!, 12 alors là, 13 ouh!, 15 mon
Dieu!, 16 iii! ci-dessus. Là où une structure s’impose – dans alors là,
mon Dieu! –, elle s’est figée et a perdu son sémantisme premier, deve-
nant «construction» au sens de la grammaire constructionnelle et indi-
quant, par sa configuration globale, un ACTE EXCLAMATIF.
Il faut mentionner le fait que, par rapports aux «blocs», dans les phrases ellipti-
ques, ce qui est exprimé a une substance sémantique plus consistante, les mots
n’en ayant pas complètement perdu leur sens lexicaux.

2.1.2 En macro-structure
La nature globale de la macro-structure sémantique est, on en déduit,
la conséquence de cette micro-structure en fait inexistante. Le séman-
tisme des interjectifs, et par là leur fonctionnalité, est très flou aussi,
car il s’avère le plus souvent difficile de décider des emplois conven-
tionnels ou non conventionnels de ces expressions, surtout en l’absence
de liaisons évidentes avec le contexte immédiat.
L’expérience dialogale révèle en effet que les locuteurs ne parvien-
nent pas toujours à déchiffrer avec précision «ce que l’interlocuteur a
voulu dire» par ces expressions, et même le locuteur a parfois du mal à
expliciter le complexe de significations enfermé dans son exclamation.
La suite (1), ah ah ah ah!, vue et entendue dans la situation concrète de
communication La chasse à la guêpe ci-dessus, veut dire au moins «at-
tention, il y a une guêpe!». Or, en l’absence de traits contextuels suscep-

115
tibles de lever les ambiguïtés, cette interjection peut prêter à des malen-
tendus ou perplexités. Dans Le Petit Robert (1968), les sens de ah! ne
sont que partiellement donnés et leur éventail reste ouvert:
AH! 1. Interjection expressive, marquant un sentiment vif (plaisir, douleur, admi-
ration, impatience, etc.). 2. Interjection d’insistance, de renforcement. «Ah! que
j’en ai suivi de ces petites vieilles!» (BAUDEL.). Ah! j’y pense, pouvez-vous ve-
nir demain? 3. (Redoublé). Marque la surprise, la perplexité. Ah! ah! c’est en-
nuyeux. 4. (En loc. exclamat.). Ah ça! Ah mais! Ah bien oui! Ah bon!

A des mots comme ah!, Grevisse (1986: 1591) assigne «des sentiments
différents selon la situation». Ce qui fait que, pris comme tels ou hors-
contexte, les blocs sont le plus souvent hermétiques et se laissent mal
interpréter; ceci, comme on l’a vu, par manque d’indices situationnels,
ou bien par une charge émotive dont le sémantisme est plutôt amorphe
(v. 13 ouh, 15 mon Dieu!, ou encore 16 iii! dans le dialogue (1) ci-
dessus). Notons que très souvent, quand le contexte est opaque, les in-
terlocuteurs se voient obligés de répliquer à un ah par: Quoi «ah»,
qu’est-ce qui t’arrive?
Les exemples ci-dessus ne sont pas des cas isolés d’interjectifs: dans
la séquence (2) qui suit, transcrite d’après une interview, plusieurs lec-
teurs ont été questionnés sur le sens qu’ils assigneraient à hmm et à oh, et
le fait qu’ils aient interprété ces deux interjections de façon très ap-
proximative n’était apparemment pas dû à leur absence de la situation
concrète de dialogue:
(2) Q9 hmm // et alors ce que tu aimes le moins
L9 Oh ce que j’aime le moins // disons que ca serait les maths / (d’après Lan-
gages no. 74, 1984)

Le Petit Robert (1968) ne mentionne pas le hmm comme mot, et pour oh!
il donne une description similaire à celle de ah!, du moins pour les deux
premiers sens; pour le troisième sens, ce dictionnaire spécifie un possible
fonctionnement substantival.
Ce sont, pour la plupart, des «expressions» au sens d’Ann Banfield (entre autres),
livrées la plupart du temps en rupture de construction. C’est ce qui explique les
effets de sens ambigus de ces blocs d’expression.

116
2.2 Séquences informelles, syntaxiquement non intégrées

2.2.1 Interjections intégrées


Ce n’est que très rarement que les interjections empruntent, en tant que
mots, des fonctions syntaxiques à l’intérieur des phrases structurées
(comme par ex. dans: J’en ai assez de ces ouf!, où l’interjection, conver-
tie en nom, se trouve en position de complément d’objet indirect et donc
intégrée à la structure phrastique).

2.2.2 Non-intégration propositionnelle


En tant que phrases entières – v. leur nom de «mots-phrases» dans les
grammaires les plus récentes –, ces énoncés-blocs sont dépourvus de
toute structure morphologique. Ce manque de forme structurée et donc
de fonction intrapropositionnelle va, semble-t-il, de pair avec leur in-
formel sémantique (v. supra, 2.1.1.).

2.2.3 Non-intégration (trans)phrastique


Ce qui plus est, il s’avère que, en tant que phrases entières, même dans
des relations de type transphrastique, les interjections refusent d’effecti-
vement s’articuler à l’aide de connecteurs grammaticaux comme: depuis
que, parce que, ce qui fait que, mais, afin que, etc., ou par des anaphori-
ques du type: en raison de ceci, par conséquent, donc, enfin, d’ailleurs,
par contre, etc.
On pourrait expliquer cette non intégration par une incompatibilité
structurale, une vraie collision qui se produit entre le sens structurant des
connecteurs et la nature essentiellement non structurée de ces segments
expressifs, qui évitent tout enchaînement logique. Du point de vue syn-
taxique, l’hypothèse qui s’impose est celle que l’informel préfère rester
en rupture avec les séquences structurées, ne pas s’intégrer avec cel-
les-ci dans des séquences liées. A preuve, les occurrences rarissimes des
interjections en structures phrastiques ou transphrastiques liées (du type:
Il a dit ouf!, sanctionnées comme tournures de l’oral, non grammaticales,
auxquelles le bon usage recommande de substituer des structures bien

117
formées comme Il a poussé un soupir). Ce qui est bien une preuve de
plus pour les caractériser comme «blocs», non ouverts à des connexions.
Notons, par contre, que les énoncés exclamatifs structurés ne refusent pas de
s’articuler / s’intégrer grammaticalement. Par ex.: Je ne le supporte plus parce
qu’il est fou!, où ce n’est que la causale qui est sous intonation exclamative. Ou
encore: Je viens de toucher mes droits d’auteur. Donc c’est super! où l’énoncé
exclamatif structuré c’est super! admet bien un connecteur de type transphrasti-
que.

Enfin, si certaines interjections apparaissent en structures liées (cf. Pop


1993), elles sont pour la plupart du temps critiquées par les grammai-
riens. En général, les séquences interjectives s’intègrent mal dans les
structures phrastiques ou transphrastiques, apparaissant comme inci-
dentes.
J’ai montré à plusieurs reprises et sur plusieurs exemples qu’une des-
cription en termes de niveaux discursifs (espaces) serait une solution
possible pour représenter l’articulation des «séquences non intégrées» au
niveau de la macro-syntaxe. L’hétérogénéité d’un exemple comme (3) –
repris à Dessaintes (1962):
(3) Mon frère, hélas ! est à nouveau malade!

peut simplement être représentée de la façon suivante (cf. Pop 1992b):


(3’)
s hélas!
D Mon frère, est à nouveau malade!

Deux «espaces discursifs» distincts sont censés articuler cet énoncé hété-
rogène: un espace descriptif (noté D) de la représentation du monde, et
un espace subjectif (noté s) où s’inscrit la subjectivité. Si la rupture syn-
taxique reste évidente avec cette représentation articulant le grammati-
cal et le discursif, l’intégration discursive l’est en égale mesure.
Chacun de ces modes de structuration réserve des «places»-fonctions pour les
segments qui s’enchaînent dans la production verbale, et si l’interjection hélas
n’a en (3’) aucune place dans la structure grammaticale, elle en a bien une dans la
structure discursive. Car cette dernière accueille, entre autres «marginaux séman-
tiques», les expressions de la subjectivité (v. l’«espace subjectif» s, cf. Pop
2000a), comme l’interjection hélas en (3).

118
3. Conclusions sur un marquage compact

Pour revenir au type de marquage dans les énoncés exclamatifs, je


considère nécessaires les remarques suivantes:
3.1. D’après Milner (1978), il s’agirait pour les énoncés exclamatifs
d’une catégorie sémantiquement et syntaxiquement non marquée. Or, il
nous semble justement que les «blocs» appartiennent à un type d’expres-
sion particulier, marqué: c’est une expression non analytique, impossible
à détailler en termes discrets. Plus précisément, l’association d’une
forme dépourvue de sens référentiel (de dictum), et d’un sens / d’un
complexe de sens pragmatique(s) (du type modus) frappé d’une intona-
tion forte, de type exclamatif – un marqueur pragmatique entre autres.
En tout, un cumul de sens et de marqueurs – plutôt implicites, il est
vrai – de type essentiellement pragmatique.
Ce qui revient à dire que, dans la typologie des mots-phrases et des
énoncés exclamatifs selon leur marquage, les «blocs» seraient la catégo-
rie ayant le marquage le plus compact, où à une expression segmentale
amorphe s’associe obligatoirement une expression suprasegmentale
(l’intonation). De là il faudrait bien conclure qu’il n’y a pas d’interjec-
tion en dehors de l’exclamation (cf. Grevisse 1986: 1590), et donc que
les interjections seraient des énoncés essentiellement exclamatifs (vs
autres types d’énoncés exclamatifs, où l’expression segmentale peut se
manifester, dans la majorité des cas, en dehors d’une intonation excla-
mative). Il y a lieu alors d’envisager pour les énoncés exclamatifs –
comme il est d’ailleurs suggéré par ce que Grevisse appelle une libéra-
tion progressive de la régularité – des degrés de «compactité».
Ainsi, dans le dialogue (1) ci-dessus,
– les énoncés exclamatifs propositionnels (6, 17) ne sont marqués
comme exclamatifs que par l’intonation; de même pour les énoncés
elliptiques nominaux (2, 3) ou adverbiaux du type adverbes-phrases
(5, 7, 8, 14), où aucun cumul segmental / suprasegmental ne se mani-
feste quant au marquage;
– les énoncés propositionnels marqués par des mots exclamatifs (ce en
roumain, correspondant au français ce que, dans 4, et tout ce que dans

119
10) cumulent déjà, à un marquage segmental quasi-spécifique, une
intonation typiquement exclamative;
– pour ce qui est des séquences interjectives 1, 9, 11, 12, 13, 15 et 16
qualifiées ici de «blocs», elles cumulent un sens essentiellement sub-
jectif – avec une forme exclamative (marquage segmental) – et une
intonation exclamative (marquage suprasegmental).
3.2. La perspective contrastive pourrait, semble-t-il, apporter des remar-
ques intéressantes à l’analyse des blocs exclamatifs. Une analyse inter-
linguistique des interjections est tentée plus loin, sur eh bien, dans le
chapitre 12.

120
Chapitre 7

Malheurs de linéarisation
et souci de grammaticalité

1. Une contrainte difficile: la linéarité

Il faut de plus en plus, semble-t-il, admettre que ce qui, dans nos messa-
ges verbaux, tant à l’oral qu’à l’écrit, est perçu comme linéaire, n’est
qu’une succession contrainte par nos moyens de communication verbale
qui sont physiquement de l’ordre du temporel, et, plus généralement, sur
le mode du continu; en témoignent la linéarité de la chaîne écrite et la
succession des paroles dans la chaîne orale. Mais il y a suffisamment de
preuves qui nous obligent à reconnaître l’incapacité de cette linéarité à y
couler non seulement les configurations hiérarchiques de la syntaxe (cf.
Milner 1989: 385 et suiv.), mais aussi les hétérogénéités du discours
naturel, essentiellement ancré dans l’énonciation, qui obligent souvent à
des ruptures, détachements, répétitions, inachèvements, additions après
coup, phrases amorphes, etc. C’est bien parce que la pensée, qui est de
l’ordre du discontinu (cf. Blanche-Benveniste 1990: 64) – j’aimerais
aussi dire du spatial, dans le sens discursif accordé ici au terme «espa-
ces» – a souvent du mal à se conformer à ce qui s’appelle «une phrase
bien formée», ou à l’ordre essentiellement progressif du raisonnement
logique. Il y a, de par la nature complexe du discours, des liaisons diffi-
ciles à faire ou à exprimer dans leur simultanéité, des parallélismes iné-
vitables ou, pis encore, des rapports grammaticaux inexistants. Même
sans compter, au niveau des performances verbales, les maladresses et
les ratés dans la mise en phrase ou en discours. C’est ce qu’on pourrait
appeler, épris comme on est de raison et d’ordre: les malheurs de la
linéarisation.

121
2. Soumission à plusieurs ordres

Si, pour la seule «phrase» de langue, deux ordres au moins se mettent en


compétition (l’ordre hiérarchique de la syntaxe profonde et l’ordre syn-
tagmatique de la structure superficielle), dans la production du discours,
plusieurs principes et règles, qui ne sont pas toujous convergents, sem-
blent se relayer ou se disputer la primauté. Pensons uniquement aux rè-
gles de la politesse qui agissent en général contre les règles de la clarté-
brièveté-vérité. Un dilemme entre autres pour les locuteurs. Ou encore le
principe de pertinence (ou de l’efficacité), contrevenant, tel qu’il est
formulé par Sperber et Wilson, à une structuration idéale, raisonnée et
littérale, du discours. Quant au principe d’économie, agissant à tous les
niveaux de l’expression, il peut, lui aussi, porter atteinte à la clarté du
message: une de ses variantes a reçu l’étiquette de «maxime de noncha-
lance» (cf. Berrendonner 1990), et le concept de «discours approxima-
tif» est bien du même ordre (cf. Moeschler & Reboul 1994). Enfin, un
code stylistique semble également être à l’œuvre, comme principale con-
séquence de l’affectivité et serait responsable des phénomènes de redon-
dance des messages verbaux. Et l’énumération peut continuer...
Ces macro-principes de communication sont à l’origine d’opérations
structurantes qui agissent directement au niveau de la «mise en forme»
dans les deux ordres, scriptural et oral, se distinguant généralement par
une discipline grammaticale et logique accrue du premier par rapport au
second. Au fond, leur distinction est due à des dichotomies du type: for-
gé vs naturel, programmé vs spontané, formel vs informel, pour n’en
citer que trois.
Il y a donc lieu d’envisager les locuteurs harcelés par une multiplicité
de principes, règles et ordres, tous constitutifs de leur compétence com-
municative globale, à l’intérieur de laquelle ils sont censés effectuer des
choix plus ou moins conscients.

122
3. L’embarras du choix

La dominance d’un principe ou d’un autre aura des répercussions sur la


forme du message en général, forme qui ne restera pour autant pas en
dehors des choix conscients ou inconscients. Si, par exemple, sous l’effet
du principe de nonchalance une règle grammaticale a été enfreinte, un
mécanisme réparateur peut se mettre en place pour y remédier. Ce choix
réparateur ne s’effectue pas dans tous les cas de violation, les locuteurs
étant tantôt plus soucieux, tantôt moins soucieux de la forme grammati-
cale. Ce que les manifestations verbales nous laissent néanmoins con-
clure, c’est que le souci pour la forme grammaticale y est plus ou moins
présent, et que le phénomène mérite une étude plus poussée.
On se contentera de signaler à cet effet ici quelques phénomènes qui
paraissent plus évidents, liés à la problématique de mise en forme
grammaticale, sans entrer dans les détails des contraintes au niveau
macro déjà mentionnées. Car, on l’a déjà dit, rien que cette mise en
forme grammaticale s’avère souvent difficile, de par l’hétérogénéité réfé-
rentielle du discours. La modélisation de celui-ci en termes d’espaces (cf.
Pop 2000a) nous servira à en rendre compte, ne serait-ce qu’en partie.

4. Degrés de grammaticalité

Qu’il existe un mouvement de mise en ordre est bien évident, tout


comme de constater qu’il se fait d’abord au niveau de la pensée. Si les
chercheurs parlent d’un «raisonnement démonstratif» (par ex. Nannon
1991: 110), c’est parce que les locuteurs, pour mieux se faire entendre,
seront soucieux d’une mise en ordre facilitant le décodage. Phrases bien
formées et discours bien enchaînés en sont les manifestations. Ce qui ne
signifie cependant pas que tout peut être parfaitement intégré dans la
phrase dite grammaticale, ou parfaitement «aligné», au niveau discursif,
dans un ordre logique, progressif et homogène. Les séquences hétérogè-
nes dites non intégrées (cf. Danon-Boileau, Meunier, Morel, Tournade
1991) ou les «inanalysables» grammaticaux (cf. Pop 1992; 2000) le
prouvent bien, sans toutefois que ces formes soient perçues comme in-

123
correctes ou inacceptables. En plus, même si nos paroles sont mal en-
chaînées, coupées ou reprises, on en cherche souvent la logique ou la
cohérence et on les prend presque toujours comme acceptables et natu-
relles. Il y a donc plus d’une raison pour regarder la grammaticalité plu-
tôt en termes de degrés, et comme processus plus ou moins actif (à effets
positifs ou / et négatifs). Je propose donc dans ce qui suit une discussion
sur les degrés de grammaticalisation.
La perspective n’est pas nouvelle si l’on se rappelle certains termes
utilisés aussi par Jakobson (1963), dont a-grammatical et anti-grammati-
cal, afin de cerner la distinction entre le langage informel et le langage
poétique. Ceci équivaut à porter sur le langage des jugements plus nuan-
cés, se situant sur une échelle de grammaticalité. D’après Jakobson, il y
aurait un non-grammatical involontaire et un autre, qui serait délibéré.
La perspective s’élargit ainsi vers le processuel, la première catégorie
semblant inclure tout ce qui serait pré-grammatical ou antérieur à l’ordre
de la grammaire (ne constituant dès lors pas des «écarts» à proprement
parler); dans l’autre, les «déviations» se subordonneraient à une fonction
de nature expressive, économique, pathologique ou autre, et agirait, par
rapport au grammatical, de façon destructive. Ce qui voudrait dire que,
par rapport au premier cas, les séquences grammaticalement bien for-
mées seraient le résultat d’un souci de mise en forme grammaticale,
qui est, d’évidence, un mouvement constructif. Pour ce qui est du mou-
vement destructif, il s’avère ne pas toujours comporter un simple mou-
vement négatif, car il peut se retourner sur lui-même pour un deuxième
travail, positif, réparateur. Une représentation schématique de ce que j’ai
ici en vue pourrait être la suivante:
a-grammatical

(mouvement grammaticalement constructif
ou grammaticalisation première)
grammatical

(mouvement grammaticalement destructif)
anti-grammatical
/\
(par simple destruction) (destruction + réparation
ou grammaticalisation seconde)
dé-grammaticalisation hyper-grammaticalisation

124
5. L’a-grammatical

5.1 Les codes approximatifs

Précisons qu’il s’agit, la plupart du temps quand on est confronté avec


des énoncés jugés a-grammaticaux, de manifestations du mode pragma-
tique de communication (vs mode grammatical, cf. supra, Chapitre La
conversion pragmatique). C’est notamment dans le langage des enfants
n’ayant pas encore acquis le système grammatical qu’on trouve des sé-
quences qualifiables d’a-grammaticales, ou dans l’apprentissage d’une
langue étrangère. Pour le premier cas, c’est l’ordre naturel du discours
qui prévaut, où une structuration grammaticale n’a pas encore eu le
temps de s’installer, ou bien se retrouve installée à des degrés variables.
Pour le second cas de figure, on a affaire à une interférence de deux co-
des, où la construction du nouveau se fait par rapport à l’ancien. Dans les
deux situations, il peut bien y avoir compréhension même en dehors des
énoncés grammaticalement corrects. On aurait affaire, plus précisément,
à du pré-grammatical, et les phrases suivantes reprises à Hudelot (1980:
67) semble illustrent bien ce qu’on a appellé «système approximatif»
dans l’apprentissage de la première langue:
(1) Des casques et ce sont les ceux qui z’éteindent le feu.
(2) Ça existe mais tiens moi tout à l’heure euh quand je voudrai que je dessine et
ben je ferai un sapin.

Voici un exemple pour l’anglais:


(3) There was several minutes to wait. (repris à Langages no 57)

Et des exemples de ce type sont légion dans tous les cas d’apprentissage.

5.2 Le discours émotionnel

Le discours émotionnel, abrupt lui aussi, ignore en grande partie les


«phrases bien formées». Ce qui n’empêche pas de considérer la majorité
des messages comme parfaitement acceptables. La grammaticalité cède
le pas à la logique naturelle du fragmentaire, du discontinu qui y do-

125
mine. La dynamique verbal-non verbal ou présupposé-posé-implicité
laisse peu de place aux «phrases» en tant que structures grammaticales
bien formées. Ce ne sont que des séquences difficilement analysables du
point de vue de la grammaire – ce que les grammairiens appellent phra-
ses segmentées, séquences incidentes, inachèvements, ellipses, propo-
sitions inanalysables, mots de remplissage, détachements, etc. Autant de
manquements à la complétude grammaticale, à la continuité, à l’analy-
sable en termes de «fonctions» syntaxiques, à des relations au sens gram-
matical du terme. Et c’est bien dans ces cas-là qu’on parle de relation
zéro, de sous-entendu, d’incomplétude, d’amorphe, d’extrapositions, etc.
Dans une description plurinivellaire où un niveau / espace à part semble
prendre en charge chaque type distinct de référence (cf. Pop 1992;
2000a), l’énoncé (2) cité ci-dessus aurait la représentation suivante:
(2’)
Ip tiens
s mais moi
D Ça existe
Pd euh
pp moi tout à l’heure

Ip
s quand je voudrais que je dessine
D je ferai un sapin
Pd eh ben
pp quand je voudrais

En comparant (2) en écriture normale avec (2’) en espaces discursifs, on


voit bien que
– les interjections – fussent-elles appels à l’interlocuteur (tiens), hésita-
tions (euh), connecteurs (et ben);
– les détachements (moi);
– les mots coordonnateurs, «co-ordonnant» au niveau du discours
(mais)
se retrouvent tous, dans l’écriture ordinaire, sagement alignés. Par
contre, la représentation de (2) en termes d’espaces discursifs rend
compte de tous les types de référence qui s’entremêlent dans le discours

126
(2’). Un autre exemple, avec de nombreuses ruptures grammaticales – la
séquence (4) ci-dessous:
(4) – Cinquante milliards1/, monsieur le Ministre...2/ De trou...3/ De manquants...4/
Eh!5/ je vous cause!6/ Cinquante milliards!7/
– Eh bien,8/ en effet!9/ brave Bedhour...10/ Hou la la...11/ Ben,12/ dites-moi!...13/
On se douterait pas...14/ Pas rien...15/ En effet,16/ une paille!...17/ Eh bien,18/ eh
bien.19/ (repris à Conchon)

alligne discursivement tout ce qui pose problème à l’analyse syntaxique:


– ellipses (1, 3, 4, 7, 14, 15, 17) présuppositions pp
– vocatifs (2, 10) opérations interpersonnelles Ip
– interjections (5, 8, 11, 12, 18, 19) opérations subjectives s
– adverbes d’énonciation (9, 16) opérations subjectives s
– phrases délexicalisées (13) marqueurs discursifs
avec la proposition complète 6 (à fonctions intrapropositionnelles «ana-
lysables» syntaxiquement, mais cependant incorrecte), et avec 14, où le
verbe se trouve actualisé en sous-valence. Un vrai discours informel,
1
avec toutes sortes de phrases plus ou moins «amorphes» ; si les énoncés
constitutifs de cette séquence tellement segmentée ne sont pas intégra-
bles en micro-syntaxe, ils le sont bien en termes d’espaces discursifs
(descriptif D, le subjectif s, l’interpersonnel Ip, etc.). On a là une bonne
preuve que plus un discours est «affectif», plus il est amorphe.
Par ailleurs, pour un discours émotionnel comme (4), il est naturel que l’espace
subjectif, avec ses interjections, l’emporte sur les autres.

6. Grammaticalisation première
ou le travail constructif: l’interlangue

On a vu que l’effort de structuration grammaticale agit surtout dans


les situations de ce qu’on appelle «interlangue» chez les étrangers, mais
les natifs le connaissent aussi. La recherche de la «bonne expression» se
fait au niveau du lexique et de la grammaire à la fois. En témoignent de

1 Le terme appartient à Jespersen, 1937 / 1971.

127
façon explicite presque tous les discours oraux – où des opérations para-
et métadiscursives (Pd / Md) sont à l’œuvre afin d’ajuster la forme de
présentation du message. Dans l’exemple (1) déjà examiné ci-dessus,
pris à un discours enfantin, un travail de correction tente de s’exercer sur
l’expression:
(1) Des casques et ce sont les ceux qui z’éteindent le feu.
Md et ce sont ceux qui (éteignent) le feu
D Des casques
Pd les z’éteindent

Le choix grammatical (effectué afin d’utiliser «la forme qui convient»)


s’y fait entre les et ceux. D’un autre côté, l’opération métadiscursive
(Md) intentionnée – une EXPLICATION du mot casque – a une forme très
incorrecte du point de vue grammatical: on constate que, voulant dire ce
sont ceux qui éteignent le feu, le petit locuteur a déjà effectué le raté les
au lieu de dire ceux, et qu’il utilise en plus une forme incorrecte du verbe
(z’éteindent au lieu de éteignent): en tout, deux opérations de formula-
tion (Pd) échouées s’entremêlant avec l’opération métadiscursive (Md)
d’EXPLICATION LEXICALE.
Les autocorrections, on le voit, s’effectuent à divers niveaux, et
l’exemple suivant le montre aussi, sur un faux départ syntaxique:
(5) Je n’aurai pas la moindre chance de prouver, même à toi, que je n’ai pas...
que ces millions ne sont pas à moi . (repris à Sulitzer)
(5’)
Md que ces millions [...]
s même à toi,
D Je n’aurais pas la…,
Pd que je n’ai pas... que ces millions [...]

En représentation plurinivellaire, le travail de correction est un passage continuel


du niveau paradiscursif Pd – de l’expression en train de se faire, la première
formulation, parfois ratée – au niveau métadiscursif Md – opérations de refor-
mulation; le tout, afin de donner un «discours sur le monde» bien formé (v. le ni-
veau descriptif D dans la grille).
Pour les discours écrits, le travail de formulation peut être supprimé en
surface, au fur et à mesure de la rédaction du texte (effacements, correc-
tions, etc.), la forme finale se présentant, du moins dans l’intention des
scripteurs, comme grammaticalement parfaite et logiquement bien argu-

128
mentée. Ce type de décision dans le choix des formes correctes se trouve
souvent expliqué dans les discours didactiques, comme en (6) ci-
dessous:
(6) Il faut pas écrire «i z’ont pas», mais «ils n’ont pas». (repris à ELA 81, 1991: 1)

7. L’anti-grammatical ou le travail destructif

7.1 Dé-grammaticalisation

Un premier mouvement grammaticalement destructif serait, probable-


ment, celui qui est subordonné à la fonction économique du langage,
réduisant au maximum la forme requise par le «bon usage». Il s’agit:
– d’abréviations de vocables par troncation ou élision:
ils > i; je > j’

– de réductions de syntagmes ou de corrélatifs:


il faut > faut; ne... pas... > pas; il y a > ya

– d’ellipses de toutes sortes, permises par les sous-entendus ou par ce


qui a été appelé la «syntaxe mixte» du verbal et du non verbal (cf.
Slama-Cazacu 1973):
(7) – (geste, indiquant un gâteau)
– J’aime pas.

L’équilibre de l’énoncé J’aime pas, avec le verbe utilisé en sous-valence,


est à chercher dans le contexte qui contient, par le geste indiquant un
gâteau, l’objet direct absent de la proposition. C’est un cas des plus natu-
rels du fonctionnement intersémiotique (Is), avec des mouvements allant
du verbal au non verbal et vice-versa. En termes d’espaces discursifs:
(7’)
Is [gâteau]
D J’aime pas
s J’aime pas
où Is = niveau intersémiotique du discours (des manifestations non verbales).

129
7.2 La grammaticalisation seconde
ou les mouvements réparateurs

Si, par contre, le non verbal n’offre pas de «compléments» à une struc-
ture syntaxique en déséquilibre, des mouvements réparateurs se mettent
en place, consistant en des appuis divers, telles les chevilles grammati-
cales ou les reprises. Quelques situations nous semblent illustrer ce phé-
nomène.

7.2.1 L’apposition stylistique


Dans l’apposition stylistique du tour inversif ce diable d’enfant, en rou-
main dracu ăsta de copil, la préposition de, vide de sens, ne fait que
rétablir une liaison perdue par l’inversion emphatique et joue le rôle de
«tampon» (cf. Pop 2000: 54 et suiv.).

7.2.2 Structures exclamatives


Dans certaines structures emphatiques exclamatives, telles: insensé que
2
je suis! (en roumain: nesimţit ce sînt!), les «conjonctifs» que et ce vien-
nent rétablir les rapports bouleversés par l’inversion. Les tampons fr que
et ro ce ne semblent guère coïncider ici avec les marqueurs exclamatifs
fr que ou ro ce de la séquence: Que je suis insensé! (ro Ce nesimţit sînt!).

7.2.3 Les présentatifs


Quelques présentatifs, sans fonction syntaxique, sont censés appuyer des
mises en relief:
(8) C’est vous qu’on appelle.
(9) C’est impossible de partir ainsi.
(10) Il y a un monsieur qui vous cherche.

Une représentation de (10) en termes d’espaces discursifs comme:


(10’)
D un monsieur vous cherche.
Pd Il y a qui

2 Le terme de «conjonctif» est repris à Dessaintes 1962.

130
montre une fois de plus les «places» d’intégration discursive de deux
«inanalysables» grammaticaux: la non-intégration syntaxique du présen-
tatif et du relatif, et leur appartenance à un espace discursif distinct – le
niveau de la mise en discours (espace paradiscursif Pd). Le discours
paradiscursif Pd se détache du descriptif D, et se montre comme prédi-
cation secondaire (par il y a à rôle structurant), en décalage avec la pré-
dication descriptive D principale un monsieur vous cherche.

7.2.4 Les détachements


Dans les détachements, le terme extraposé ne compte pas non plus pour
fonction grammaticale, et ce référent isolé structurellement devra donc
être repris à l’intérieur de la proposition / phrase, afin d’y occuper une
position / fonction syntaxique dans une configuration grammaticale com-
plète. Les causes de ces détachements s’avèrent être en général des atti-
tudes subjectives ou des intentions emphatiques, produisant, en général,
un discours redondant. Tels:
(11) Le marié , comment était-il habillé?
(12) Je n’y vais pas, à Paris .
(13) Les enfants, je les ai vus partir.

En représentation plurinivellaire, (11) serait:


(11’)
Ip comment était-il habillé?
s Le marié,
pp Le marié,

où le terme détaché, pris pour une prédication à part, de type subjectif s


et présuppositionnel pp à la fois, ne dérange pas la «bonne formation» de
la prédication principale, ici une interrogative occupant l’espace inter-
personnel Ip. Deux détachements sont par contre à l’œuvre dans l’exem-
ple (14): le premier (le père Noël) est le référent-thème de ça existe pas,
et l’autre (lui), le référent-thème de i dit que. L’incise i dit que, quant à
elle, est «liée» à la proposition suivante par l’intermédiaire de que, ce qui
lui restitue le statut d’élément intégré:
(14) Attends, le Père Noël , lui i dit que ça existe pas. (repris à Hudelot)

131
(14’)
Ip Attends,
Id ça existe pas.
Md i dit que
s le père Noël, lui
D ça existe pas.
pp le père Noël, lui

Pour les quatre ruptures dans cette «phrase de discours» (séquence inci-
dente à l’impératif, deux détachements et une incise), deux mécanismes
réparateurs se sont mis en œuvre, à l’aide de mots-outils vides de sens:
– les pronoms i(l) et ça pour reprendre les termes détachés;
– la conjonction que
et le caractère lié de cette séquence hétérogène, très segmentée, est ainsi
«sauvé». L’effet de tout ce travail réparateur semble être une hyper-
grammaticalité, conséquence naturelle des artifices de «réhabilitation»
grammaticale auquel le locuteur a été obligé de faire appel à la suite de
trois ruptures de construction.

8. Conclusions

De plus en plus souvent, et nos exemples le prouvent bien, le mot


«phrase» doit être pris dans un sens plus vague, celui de «phrase de dis-
cours», où le facteur décisif est plutôt un «sentiment de phrase» que
semble avoir les locuteurs et moins une structure sémantico-syntaxique
bien formée. De plus en plus souvent faut-il donc aller vers des solutions
discursives intégrant le grammatical ou vers des solutions grammati-
cales intégrant le discursif.
La «phrase grammaticale» proprement dite (et la grammaire donc)
aurait ainsi sa place bien distincte à côté d’énoncés informels ou «ina-
nalysables», dont la grammaire n’est pas à même de rendre compte en-
tièrement. Un jugement non plus en terme de grammatical vs non gram-
matical, mais en termes de degrés de grammaticalité pourrait ainsi se
fonder sur une perspective d’analyse plus permissive, mettant à profit les
acquis de la grammaire et de l’analyse du discours en égale mesure.

132
Dans cette possible modélisation articulant le grammatical et le discursif,
les énoncés «analysables», grammaticaux, seront, à même titre que les
énoncés grammaticalement «inanalysables», des actualisations de prédi-
cations appartenant à des espaces référentiels distincts.

133
Chapitre 8

De la phrase au phrasage:
petits et grands coups discursifs

Je repose dans ce chapitre un problème obsédant: La phrase est-elle une


unité close et bien définie? Pour tenter de le résoudre, il faut d’abord
préciser le point de vue qu’on adopte:
(a) Si l’on se situe dans une perspective traditionnelle, la phrase, en
tant qu’unité de langue et concept grammatical, ne permettrait pas
de mettre en doute son caractère clos et bien délimité;
(b) Par contre, si l’on se situe dans une perspective discursive, les com-
posantes pragmatiques et argumentatives de ce qu’on appelle phrase
de discours (telle qu’elle est envisagée par exemple dans Stati 1990
ou Roulet 1994) permettrait de remettre en cause ce caractère clos
1
ou les limites de cette illusoire «unité de linguiste».
Plusieurs problèmes surgissent quand on veut se donner les repères pour
fixer des limites à la phrase de discours. Une comparaison avec la no-
tion de phrase de langue semble nécessaire.

1. Il y a clôture et clôture…

Reprenons à Stati (1990: 133f.) les trois couches qu’il distingue dans la
signification des phrases:

1 La notion de phrase a été récemment remise en discussion dans les nos 1-2 de
Verbum XXIV (2002) «Y a-t-il une syntaxe au-delà de la phrase?», où A. Berren-
donner rappelle les critères pris en considération pour la définition de la phrase de
langue (maximalité syntaxique, complétude sémantique, démarcation prosodique et
démarcation typographique, pp. 24-25) et où M.-J. Béguelin (85-108) rappelle le
flou qui apparaît dans les définitions scientifiques («fortes») de la notion.

135
– le contenu phrastique, avec deux composantes: la première, sémanti-
co-syntaxique; la deuxième, une modalité d’énoncé (assertive, inter-
rogative, impérative);
– la fonction pragmatique représentée par la fonction illocutoire;
2
– le rôle argumentatif.
Ces couches sous-tendraient 4 types de relations trans-phrastiques:
(i) relations syntaxiques (coordination et subordination – entre les con-
tenus phrastiques);
(ii) relations pragmatiques;
(iii) relations argumentatives;
(iv) cohérence sémantique.
Le marquage spécifique à chacune de ces couches révèle le fait qu’une
clôture syntaxique ne s’accompagne pas nécessairement d’une clôture
pragmatique, argumentative ou sémantique, et vice-versa, ce décalage
étant responsable d’actualisations très diverses de ce qu’on aimerait
avoir comme structure bien formée, en simultané, à tous ces niveaux.
Représentons ces paramètres dans un tableau, en tant que contraintes:
– d’un côté, pour les phrases de langue;
– d’un autre côté pour les phrases de discours:

PHRASE Contenu phrastique Fonctions discursives Types de phrases


Synt.-sém. Mod. F. pragm. F. arg.
énoncé
de langue + . - - Phrase assertive
(phrase-type + ? - - Phrase interrogative
ou «phrase») + ! - - Phrase excl. / impér.
de discours + ./?/! + + Phr. complètes
(phrase- + , +/- + Relatives explicatives
occurrence +/- ,/-/( ) +/- +/- Prop. incidentes
ou «énoncé»)
- . +/- +/- Prop. elliptiques
- . + + Phrases segmentées
+/- , + +/- Détachements
- ./! + +/- Mots-phrases

2 Ces critères se recoupent en partie avec ceux évoqués par Béguelin (2002): struc-
ture syntaxique, complétude syntaxique, psychologique et énonciative.

136
1.1 Les phrases de langue

Le schéma révèle le fait que les phrases de langue (type ou token, ou


«phrases» tout court) se définissent exclusivement sur des configurations
stables et complètes de places syntactico-sémantiques, qui aboutissent à
des clôtures syntactico-sémantiques. Du fait de se trouver détachées de
tout contexte énonciatif, elles sont dépourvues de fonctions pragmatiques
ou argumentatives (valeurs nulles dans le tableau). A cette contrainte
sémantico-syntaxique, les modalités d’énoncé ajoutent une contrainte de
complétude intonative-périodique, coïncidant avec ce qu’il est convenu
d’appeler dans les grammaires les intonations des «types de phrases»:
assertive, interrogative, exclamative.
On peut parler dans le cas des phrases de langue d’une synchronisa-
tion et d’une stabilité des clôtures syntactico-sémantique et des clôtures
intonatives. Les phrases de langues prototypiques sont les phrases-exem-
ples dans les grammaires, considérées en dehors de toute utilisation con-
textuelle.
Mais, ces types sont virtuels, car ce n’est que dans le discours que ces
types de phrases acquièrent des fonctions pragmatiques ou argumen-
tatives concrètes, pour devenir effectivement des «énoncés».

1.2 Les phrases de discours

Pour les phrases de discours (phrases-occurrences ou «énoncés»), on


remarque dans le tableau, sur les sous-types envisagés, un déplacement
des types de clôture de la zone sémantico-syntaxique vers la zone prag-
matique. En effet, plusieurs cas de figure ne se soumettent pas aux
contraintes syntactico-sémantiques: les mots-phrase – vocatifs, interjec-
tions, adverbes de phrase –, les phrases elliptiques, les phrases segmen-
tées, etc., autant de façons naturelles «d’incarner» une phrase (cf. Bé-
guelin 2002: 87).
Les formes observées se situent sur un gradient allant des énoncés
syntaxiquement et sémantiquement bien formés (1.2.1.) vers les énoncés
syntaxiquement et sémantiquement amorphes (1.2.3.). Entre les deux,
quelques types d’énoncés syntaxiquement ambigus (1.2.2.).

137
1.2.1 Les énoncés propositions / phrases bien formées
Il s’agit d’énoncés qui sont bien formés du point de vue sémantique et
grammatical, et qui, dans le contexte discursif où ils peuvent se trouver,
acquièrent des fonctions pragmatiques et / ou argumentatives concrètes.
Ce sont ces «phrases complètes» – de celles qu’on nous dit d’utiliser à
l’école –, un cas de figure, entre autres, de ce qu’on appelle énoncés ou
phrases de discours.

1.2.2 Les énoncés syntaxiquement ambigus


Je retiens pour ce cas de figure les phrases à relatives explicatives ou à
propositions incidentes. Dans les deux cas, une proposition bien formée
syntaxiquement et sémantiquement (la relative ou l’incidente / incise) se
donne en rupture de construction (virgule(s), tirets, parenthèses, etc.)
avec la phrase-mère, ce qui indique une liaison de type discursif: un acte
d’EXPLICATION pour le cas des relatives; généralement un acte de COM-
MENTAIRE, pour le cas des incidentes / incises.
Pour les relatives explicatives, un «relateur» préserve néanmoins la
liaison grammaticale (avec un accord grammatical plus ou moins mar-
qué) entre les deux propositions, ce qui laisse supposer un type ambigu
de relation – à la fois grammaticale et discursive – des segments qui
s’enchaînent. Les quatre types de contraintes y sont d’habitude observés,
ce qui donne des énoncés généralement «clos» aux quatre niveaux
(structuration syntactico-sémantique, modalité d’énoncé, fonction prag-
matique et fonction argumentative) pris en considération ci-dessus par
Stati.
Pour ce qui est des propositions dites «incidentes» ou «incises», et à
l’exception des incidentes «liées», elles sont encodées comme isolées du
reste de la phrase – ce que, d’ailleurs, leurs noms l’indiquent bien. Leur
clôture sémantico-syntaxique est généralement satisfaite au niveau de la
proposition seule (valeur positive dans le tableau), mais leur contour
intonatif n’est pas un contour intégrateur avec la phrase-base, et ce, parce
que leur contenu phrastique est ressenti comme non cohérent avec celle-
ci (valeur négative dans le tableau).

138
1.2.3 Les segments amorphes
On peut considérer plusieurs degrés dans la catégorie de l’amorphe:
– d’un côté, les inachèvements – segments elliptiques, segments déta-
chés;
– d’un autre côté, les mots-phrases.
1.2.3.1. Les phrases elliptiques et les phrases segmentées
Elles sont inachevées au niveau grammatical et sémantique, ce qui ne les
empêche pas d’être closes aux autres niveaux de l’expression. Cela peut
aussi être le cas de tous les segments détachés qui, non finis en eux-
mêmes, accomplissent toujours une fonction discursive (v. supra, Chapi-
tre 1 La conversion pragmatique). Il n’y a pas de continuité et de clôture
intonative en ce qui les concerne, par contre l’intégration syntaxique et
sémantique peut s’effectuer ou non.
Notons que les phrases segmentées sont surmarquées au niveau de la modalité
d’énoncé avec plusieurs clôtures intonatives se situant en-deçà des clôtures sé-
mantiques et syntaxiques d’une proposition / phrase bien formée. Ces clôtures
successives semblent indiquer des fonctions discursives diverses (v. supra, Cha-
pitre 1 La conversion pragmatique).

Dans ces trois cas de figure, les segments-occurrence sont analysables,


mais répondent mal à l’exigence de complétude grammaticale et séman-
tique.
1.2.3.2. Les mots-phrases
Ce cas de figure met en discours des segments inanalysables, compacts
et faisant «bloc» (cf. supra, le Chapitre 6 Les blocs exclamatifs), généra-
lement considérés des équivalents de propositions / phrases. Il s’agit
d’adverbes pro-phrase, de vocatifs, d’interjectifs, tous impossibles à con-
sidérer syntaxiquement et sémantiquement comme bien formés, mais qui
accomplissent des fonctions discursives évidentes:
– les adverbes peuvent être des indicateurs d’actes de CONFIRMATION,
ACCORD, INFIRMATION, MODALISATIONS diverses;
– les vocatifs marquent généralement les actes d’APPEL, etc.;
– les interjectifs sont des indicateurs d’actes illocutoires ou interactifs:
REMERCIEMENT, SALUTATION, APPEL, sentiments divers.

139
2. Interprétation des données

La mise en tableau de ces cas de figure rend plus visible, pour les phra-
ses de langue, l’harmonisation de deux types de clôture, régis par deux
contraintes fortes (sémantico-syntaxique et intonative), alors que pour les
phrases de discours, les quatre types de clôture se trouvent la plupart du
temps en décalage, et c’est plutôt une contrainte pragmatico-argumen-
tative qu’une contrainte formelle qui préside à leur clôture. La contrainte
pragmatique impose qu’un acte illocutoire soit reconnu, tandis que la
contrainte argumentative réclame que soit réalisé un enchaînement de
type argumentatif. En plus, la contrainte intonative (ou de modalité
d’énoncé) des phrases de langue s’avère être beaucoup trop restrictive
pour les phrases de discours, et l’on peut voir à maintes reprises des in-
tonations ascendantes frapper une phrase apparemment assertive-
constatative ou une intonation descendante frapper une phrase marquée
déjà comme interrogative.

2.1 Clôtures en décalage: exemple sur un fragment de discours


3
Le fragment de discours ci-dessous peut illustrer plusieurs «enfreintes»
aux règles de langue:
(1) BP: alors1/ vous êtes romantique2\ vous êtes parfois naïf3/
GS: très naïf4-
BP: vous êtes très naïf5/ vous êtes timide6/ ce qui me paraît surprenant7/
8
GS: c’est la vérité /
9
BP: c’est la vérité \
10
GS: oui / c’est peut-être pour ça que quelquefois je parle trop fort et j’élève
trop fort la voix11/ c’est comme tous les timides12/ on a des moments où on
13
explooose \ (Apostrophes)

La segmentation est en actes (de 1 à 13 dans ce fragment), vu qu’on peut


généralement considérer comme frontière d’acte toute marque proso-

3 Repris à E. Roulet, c’est un fragment d’Apostrophes, avec Bernard Pivot (BP) et


Georges Simenon (GS). Pour les besoins de cette analyse, l’intonation a été re-
constituée sur l’écoute de la cassette vidéo.

140
dique significative: une pause accompagnée d’un contour intonatif perçu
comme distinct du contour précédent. Ces contours sont notés (\) pour
descendant, (\) pour ascendant et –) pour plat (ou, dans d’autres exem-
ples, respectivement ↑, ↓, →).
La première séquence identifiable à une «phrase», avec trois «propo-
sitions» en coodination de 1 à 3 au début de ce fragment, effectue une
violation par rapport aux contraintes imposées aux phrases de langue:
dans cette séquence qui se donne comme intervention-phrase, les con-
tours intonatifs des deux propositions qui la composent sont en conflit:
– la proposition assertive 2 est marquée par un contour descendant,
partageant, par ce contour, la même orientation argumentative que le
connecteur alors indiquant une fonction conclusive (un acte de
CONCLUSION); l’énoncé 2 a donc toutes les raisons d’être considéré
ce type d’acte, porteur, comme il est, et d’un marqueur segmental et
d’un contour, les deux conclusifs;
– le rapport de coordination qui relie 2 à 3 fait inférer une fonction si-
milaire pour 3, mais cette proposition est frappée d’une intonation as-
cendante qui vient contredire la fonction conclusive de 2.
Du point de vue discursif, il s’agirait pour 2 d’un «coup discursif» consi-
déré en première phase par le locuteur comme fini; et même si la forme
syntaxique et sémantique de 3 est symétrique à celle de 2, l’intonation
montante empêche la CONCLUSION de s’accomplir, la donnant comme
ouverte, comme se négociant avec l’interlocuteur. L’énoncé 3 (une pro-
position), de par son contour ascendant, sera interprété comme QUES-
TION. Si cette configuration n’est perçue comme «conflit de structura-
tion» ou comme «conflit pragmatique» que par le linguiste à la recherche
de formations discursives homogènes, les locuteurs, eux, semblent se
servir de ces ambiguïtés structurelles et illocutoires pour communiquer
non pas une seule force illocutoire ou argumentative, mais un complexe
de fonctions discursives.
Le segment 4 est ce que l’on appelle du point de vue de la micro-
syntaxe une «proposition» elliptique; en plus, son contour intonatif ou-
vert le marque comme non fini (un cas d’inachèvement). En tant que
phrase de discours, c’est un énoncé qui, pragmatiquement CONFIRME

141
l’énoncé qui le précède, mais qui, à la fois, se donne comme QUESTION.
Un autre cas de polysémantisme illocutoire.
Avec les énoncés de 5 à 7, on a de nouveau un sentiment de «phrase»,
avec une structure contenant trois propositions assertives en rapport de
coordination, dont 7 a une structure assertive-conclusive, mais se donne,
encore, en contour interrogatif ascendant: un autre conflit CONCLUSION-
QUESTION, glosable en: «est-ce bien la conclusion qu’on peut tirer?».
La RÉPONSE 8 est une proposition syntaxiquement et sémantiquement
bien formée (c’est la vérité/), en plus, pragmatiquement satisfaisante, et
ce n’est que le contour ascendant qui semble contredire cette «vérité»
déclarée explicitement. Mais cette intonation montante n’est ici pas in-
terrogative, mais plutôt exclamative: une PROCLAMATION haute de cette
vérité qui ne semble pas évidente à l’interlocuteur. La vérité de cette
THÈSE – [je suis très naïf, je suis timide] – que veut imposer GS est mise
en DOUTE par BP immédiatement après, en 9, où l’intonation descend,
sans pour autant atteindre le niveau conclusif. Elle est néanmoins l’équi-
valent d’un intonème interrogatif, car le DOUTE, par inférence, est tou-
jours interprétable comme QUESTION.
Ce type d’encodage serait incompatible avec l’écrit, où les seuls contours intona-
tifs sont indiqués par les trois signes de la ponctuation dite «finale» (le point, le
point d’interrogation et le point d’exclamation, comme indiqué dans le tableau).
Tout au plus y indique-t-on la SURPRISE ou le DOUTE par l’association des si-
gnes: [?!]. On a donc, pour l’oral, remplacé les trois signes de ponctuation par des
intonèmes, mais là encore, le système est loin d’être unifié.

Types de clôture Réfé- Into- Fonctions Fonctions interacti- F. de


(macro-synt.) rence na- illocutoires ves (arg., narr., re- struc-
(micro-synt.) tion form., thém.) tura-
tion
1 connecteur i-tx / RÉPLIQUE - +
2 prop. complète e-tx \ COMMENTAIRE CONCLUSION1
3 prop. complète e-tx / QUESTION CONCLUSION2-AJOUT
4 prop. elliptique e-tx - CONFIRMATION CONCLUSION2
5 prop. complète i/e-tx / RATIFICATION REPRISE-CONCLUSION2
6 prop. complète e-tx / - CONCLUSION3-THÈSE1
7 prop. complète i/e-tx / QUESTION ANTI-THÈSE1
8 prop. complète i/e-tx / CONFIRMATION THÈSE1
9 prop. complète i/e-tx \- QUESTION THÈSE1 EN DOUTE
10 mot-phrase i/e-tx / CONFIRMATION THÈSE1
11 phrase complète i/e-tx / ARGUMENT
12 prop. complète i/e-tx / PRE-TOPOS
13 prop. complète e-tx \ TOPOS

142
Dans le tableau ci-dessus, plusieurs clôtures et, partant, unités, ont pu
être indiquées:
1. La première colonne du tableau indique les unités de micro-syntaxe:
les énoncés (propositions complètes ou incomplètes), correspondant
plus ou moins à des actes. Il y a autant de clôtures que d’actes. Total:
12 unités-actes pour le texte (1).
2. Dans la deuxième colonne, la clôture sémantique a été remplacée par
une satisfaction référentielle (extra- ou intra-textuelle). Là, les ex-
pressions anaphoriques ont été considérées comme constituant des
chaînes référentielles avec un antécédent. Total: 4 chaînes référen-
tielles.
3. Dans la troisième, l’intonation remplace les modes d’énoncés. Total:
2 mouvements périodiques / intonatifs.
4. Dans la quatrième colonne, les fonctions pragmatiques de Stati ont
été appelées fonctions illocutoires, responsables de la constitution
d’unités dialogales. Total: 5 échanges.
5. Dans la cinquième, sont recensées les unités monologales. Total pour
ce fragment: 3 mouvements argumentatifs.
6. Dans la sixième colonne sont indiquées les unités de structuration.
Total: 1 grand mouvement discursif, marqué par le connecteur alors
en début de séquence.
Les décalages sont évidents pour ces types distincts d’unités discursives,
dont chacun répond à un autre principe de clôture (cf. aussi Charolles
1988). Toutes ces unités en concurrence sont constitutives d’une sé-
4
quence dialogale identifiable comme «TIRER DES CONCLUSIONS» , où le
descriptif (des assertives) se mêle d’argumentatif, le dialogal de monolo-
gal, le grammaticalement bien formé d’amorphe, etc., dans un travail
complexe et hétérogène mariant des coups discursifs plus ou moins
grands: un travail complexe de phrasage, avec des montées et des des-
centes intonatives, des rythmes divers, liant ou séparant les segments mis
en discours.

4 Pour les unités de type séquence, v. infra, le Chapitre 10 De l’acte aux activités: les
séquences.

143
2.2 Moins que des phrases: les petits coups discursifs

En-deçà des «phrases» à propement parler, il y a les «petits coups discur-


sifs», les segments amorphes ou détachés, dont les dimensions sont infé-
rieures à une proposition ou à une phrase. On va illustrer plusieurs de ces
phénomènes par le fragment de texte (2) ci-dessous.
(2) L21 nous avons Martine Marondelle Joli en ligne↑ bonjour↑
L31 bonjour↑
L22 vous êtes présidente de l’association femmes chefs d’entreprise France↑
c’est bien ça↑
L32 oui↑ tout à fait↓
L23 et c’est une association↑
L33 c’est une association →
L24 donc une association:: je l’ai dit::↑ donc une association qui existe depuis
cinquante ans::↑ vous pensez qu’à plusieurs on est plus fort↑ et qu’il est né-
cessaire à l’heure actuelle de fonctionner on va dire en réseau↑
L34 euh écoutez↑ euh nous l’avons prouvé↑ euh puisque notre réseau existe
effectivement euh depuis plus de cinquante ans↑ depuis 1945↑ et qu’il existe
toujours aujourd’hui↑
L25 oui
L35 et que les femmes:: euh chefs d’entreprise:: euh viennent:: euh nous re-
trouver toutes:: euh lorsque ben:: elles ont un petit peu de temps↑ pour
consacrer euh:: pour se consacrer au militantisme patronal ⁄↓
L26 du:: vous parlez du militantisme vous ⁄↓
L36 ah tout à fait↓
L27 oui↓
L37 en fait nous n’avons pas pu faire un syndicat en 1945↑ euh parce que
c’était interdit aux femmes⁄↓
L28 mhmm↑
L38 donc en somme madame Fanon:: fondatrice de cette association↑ a donc
créé une association↑ et d’ailleurs on l’avait:: → on l’avait obligée à cette
époque-là de mette dans le conseil d’administration des hommes⁄↓
L29 oui↓
L39 donc c’est:: c’est hier et:: vous voyez:: il y avait encore euh des femmes::
ne pouvaient pas encore:: constituer des associations:: seules ⁄↓ (Corpus Pop)

144
2.2.1 Segments amorphes
Dans la catégorie des segments amorphes, il y a d’abord ceux qu’on peut
considérer mal formés et, d’un autre côté, ceux qu’on considère inanaly-
sables grammaticalement.
Les segments mal formés sont des inachèvements divers:
– reprises, corrections:
(3) donc une association:: je l’ai dit::↑ donc une association qui existe depuis
cinquante ans:: ↑ (en L24)
(4) et d’ailleurs on l’avait:: → on l’avait obligée à cette époque-là (en L38)
(5) pour consacrer euh:: pour se consacrer au militantisme patronal ⁄↓ (en L35)

– ratés ou faux-départs:
(6) du:: vous parlez du militantisme vous ⁄↓ (en L26)

– télescopages:
(7) L39 donc c’est:: c’est hier et:: vous voyez:: il y avait encore euh des fem-
mes:: ne pouvaient pas encore:: constituer des associations:: seules

Les segments inanalysables sont les segments indécomposables, qui


font bloc; ils sont généralement appelés mots-phrases:
– adverbes d’énonciation (ou «pro-phrase»):
oui↑ tout à fait↓ en L32; L36
oui en L25; L27; L29

– interjectifs:
bonjour↑ en L21 et L31
ah en L36;
euh écoutez↑ en L34
mhmm↑ en L28

– vocatifs, etc.

2.2.2 Les détachements


Pour ce qui est des détachements, on s’accorde à les considérer actes à
eux seuls, prédications / énoncés à part. Un exemple repris à (2) ci-
dessus est:

145
(8) L26 vous parlez du militantisme vous ⁄↓

où vous, en détachement à droite, est un POST-THÈME.


Pour les cas où c’est un marqueur qui est détaché, comme alors en
(1), frappé d’une intonation montante, il faut supposer qu’il s’agit d’un
connecteur dont la portée s’étend au-delà d’un simple acte et auquel le
locuteur a trouvé pertinent de donner plus de «poids». Le fait que le
marqueur soit isolé par une vraie frontière d’acte du reste des énoncés le
laisse interpréter comme ACTE DE STRUCTURATION (cf. Pop 2000a: 184-
229), et ce, en dépit de son statut non propositionnel.

2.3 Plus que des phrases: les grands coups discursifs

Aussi bien au niveau pragmatique, qu’au niveau argumentatif, des unités


donnant le sentiment de phrase peuvent ne pas coïncider à des phrases
grammaticales. La perception des locuteurs peut en effet retenir comme
entités des unités très floues par rapport au concept linguistique de
phrase, tels les tours de parole, échanges, périodes, mouvements discur-
sifs, etc., si ces unités sont marquées par des clôtures d’un type ou d’un
autre.

2.3.1 Tours de parole, interventions, périodes et mouvements


Ce que l’on aimerait bien associer à une phrase s’avère plus d’une fois
dépasser la frontière très forte des tours de parole, indiquant des unités
qu’on pourrait rapprocher des phrases. Or, c’est déjà un fait reconnu (cf.
Roulet et al. 1985) que tour de parole et intervention ne coïncident pas
toujours, la première étant une unité de type locutoire et l’autre une unité
de type illocutoire.
Si l’on regarde la réplique L37 en (2), on a bien le sentiment qu’il
s’agit d’une intervention close (contour final descendant); en plus, elle
coïncide non seulement avec une phrase bien formée (sémantiquement et
syntaxiquement «complète»), mais aussi à ce que l’on a appelé période,
unité notamment définie sur un critère de clôture intonative. Or, il n’en
est pas ainsi, car ce tour de parole (qui en est clairement un) et cette
phrase sont par la suite considérés insatisfaisants par le locuteur, qui

146
enchaîne, au-delà du mhmm de L28, par un donc, sur une suite L38 . Cette
dernière, tout en étant un tour de parole distinct, n’est pas pour autant
considérée une intervention distincte, et, qui plus est, cette intervention
constituée déjà de deux tours de parole (L37 et L38) sera complétée par
un troisième tour (L39), qui servira effectivement au locuteur à clore son
intervention. En tout, cette intervention argumentative – constituant ce
que l’on a appelé un mouvement discursif (Roulet 1986) – est donc for-
mée de trois tours de parole appartenant à une seule et même locutrice,
qui rajoute des tours, à deux reprises, à sa première intervention, avant
d’en être complètement satisfaite et la considérer «complète» / close.
Tout un travail ARGUMENTATIF et REFORMULATIF est ici réuni afin de
mener à bonne fin l’idée qu’elle veut faire passer. Les tours de L37 à L39
de (2) sont repris en (9) ci-dessous:
(9) MOUVEMENT ARGUMENTATIF
L37 en fait nous n’avons pas pu faire un syndicat en 1945↑ euh parce que
c’était interdit aux femmes⁄↓
L28 mhmm↑
L38 donc en somme madame Fanon:: fondatrice de cette association↑ a
donc créé une association↑ et d’ailleurs on l’avait:: → on l’avait obligée à
cette époque-là de mettre dans le conseil d’administration des hommes⁄↓
L29 oui↓
L39 donc c’est:: c’est hier et:: vous voyez:: il y avait encore euh des fem-
mes:: ne pouvaient pas encore:: constituer des associations:: seules ⁄↓

Malgré l’apparence essentiellement ARGUMENTATIVE (connecteurs typi-


ques: parce que, donc, d’ailleurs, vous voyez), ce grand mouvement
formé de trois tours de parole est fortement marqué comme REFORMU-
LATIF de la première «phrase» L37, et les deux donc du tour L38, comme
d’ailleurs en somme, sont ici des marqueurs reformulatifs-correctifs. De
même, pour le donc introductif du tour L39, il est difficile de décider s’il
est reformulatif ou conclusif. Une fusion d’actes interactifs, faudrait-il
dire, construisant en plusieurs «coups» cette intervention de L3.
D’autre part, si on retourne au texte (1) ci-dessus, on voit bien qu’un
tour de parole comme celui constitué des actes 1-2-3, repris ici en (10):
(10) TOUR DE PAROLE
BP: alors1/ vous êtes romantique2\ vous êtes parfois naïf3/
[CONCLUSION] [QUESTION]

147
pourrait bien correspondre à au moins deux interventions, car 2 est bien
un acte de CONCLUSION, et 3 un acte de QUESTION: l’un boucle bien une
séquence qui précède, et l’autre ouvre une nouvelle séquence, et ce, mal-
gré les similitudes sémantico-syntaxiques des deux énoncés 2 et 3. Il en
va de même du tour de parole 5-6-7 du même exemple (1), tour repris ici
en (11):
(11) TOUR DE PAROLE
5 6 7
BP: vous êtes très naïf / vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant /
[REPRISE-CONCLUSIONS ] [DOUTE-QUESTION]

où 5 et 6 sont des actes de REPRISES-CONCLUSIONS, s’intégrant, de façon


rétroactive, à des séquences de l’avant-texte, alors que 7 réclame – en
tant qu’acte de DOUTE-QUESTION posant, par inférence, une sorte d’anti-
thèse à la thèse précédente – un mouvement proactif de RÉPONSE-
ARGUMENTATION. Celui-ci sera élaboré dans le tour du locuteur GS al-
lant de 10 à 13, repris ici en (12):
(12) ARGUMENTATION
GS: oui10/ c’est peut-être pour ça que quelquefois je parle trop fort et j’élève
trop fort la voix11/ c’est comme tous les timides12/ on a des moments où on
explooose13\

A ce tour unique correspondrait une seule intervention, équivalant ici à


un seul mouvement discursif, marqué par une intonation descendante de
clôture. C’est un mouvement de type argumentatif, appuyant la THÈSE
exprimée par BP [6 vous êtes timide]; celle-ci est confirmée en 10 par
oui, et sera suivie des ARGUMENTS 11-12-13. Ces arguments sont censés
résoudre le conflit entre cette thèse et l’anti-thèse qui nous était antérieu-
rement donnée à inférer, par BP en 7 [ce qui me paraît surprenant]. Mais
ce mouvement est aussi une période complexe, «phrasant» le tout:
– un adverbe-phrase (10);
– une phrase proprement dite (11);
– deux propositions (12 et 13)
en parataxe.

148
2.3.2 Séquences
La notion de séquence ne semble apporter aucune précision supplémen-
taire par rapport aux autres unités invoquées sous 2.3.1. C’est en tout
premier lieu une notion intuitive, appartenant au sens commun des locu-
teurs, et très peu une notion d’expert linguiste. Si, pourtant, la linguisti-
que l’a utilisée pour désigner une entité ou une autre, elle s’est avérée
difficile à définir, une entité passe-partout, répondant tantôt à plusieurs
types de critères à la fois, tantôt à des critères, pris séparément, très di-
vers l’un de l’autre. On peut appeller séquence tout segment de texte
qu’on se propose d’observer, que ce soit d’un point de vue ou d’un autre;
ou qu’on a découpé d’un texte en l’absence même d’un critère précis.
N’empêche que des formules comme séquence narrative, descriptive,
explicative, dialogale, introductive, conclusive, etc. sont d’un usage très
fréquent, et cette énumération est loin de suggérer la grande diversité des
types de séquences qu’on distingue dans les discours (cf. infra, le Chapi-
tre 10 De l’acte aux activités: les séquences). Ainsi, dans (1) ci-dessus,
une séquence DESCRIPTIVE est reconnaissable de 1 à 6, reprise ici sous
(13):
(13) «DESCRIPTION»
BP: alors1/ vous êtes romantique2\ vous êtes parfois naïf3/
GS: très naïf4-
5 6
BP: vous êtes très naïf / vous êtes timide / […]

alors que de 7 à 13 du même texte (1), on reconnaît ce qu’intuitivement


on perçoit comme séquence distincte et qu’on appelle EXPLICATIONS:
(14) «EXPLICATIONS»
BP: […] ce qui me paraît surprenant7/
GS: c’est la vérité8/
BP: c’est la vérité9\
GS: oui10/ c’est peut-être pour ça que quelquefois je parle trop fort et j’élève
trop fort la voix11/ c’est comme tous les timides12/ on a des moments où on
explooose13\

On voit bien que la frontière entre les deux types de séquences est située
au milieu d’un tour de parole (entre les énoncés 6 et 7 de BP), ce qui
prouve bien un autre décalage dans la perception des unités et de leurs
clôtures.

149
3. Conclusions

On pourrait bien conclure en disant qu’il est bien difficile de délimiter


dans les exemples discutés dans ce chapitre de vraies phrases de langue,
et qu’il est évident qu’on a davantage affaire à ce qui a déjà été appelé
phrases de discours. Or, tant qu’on a affaire à des types si divers de clô-
tures et situés à des niveaux si hétérogènes du discours, il semblerait
peut-être plus approprié de parler tout simplement de phrasage, comme
on le fait d’ailleurs en musique, où les portées «portent» effectivement
des signes-notes à plusieurs niveaux-espaces et les intègrent selon des
principes souvent en décalage. Si cette solution est inconfortable pour le
descripteur du discours qui ne sait plus, avec un modèle pluri-réseaux
(cf. Vlad 2003) «à quel saint se vouer», l’adopter signifierait bien ac-
cepter la très complexe configuration des discours et les multiples rai-
sons d’être des unités qui les composent. A l’encontre, il est vrai, du
jugement logique, qui accepte mal qu’on ait affaire à des unités dont la
définition est «moins évidente», à des entités que les locuteurs perçoi-
vent juste comme «distinctes» avec d’autres unités ou configurations, et
qui restent très fuyantes à l’analyse et fort difficiles à définir dans leur
dynamisme.

150
II. Discours et gradualité
Chapitre 9

En-deçà des actes: les opérations

Dans ce chapitre, je toucherai au problème du flou catégoriel au niveau


des ACTES et tenterai de montrer, pour certaines catégories proches des
actes, qu’il y en a qui sont effectivement perçues comme telles – car
mieux «délimitées», au sens propre du terme, à l’aide de frontières
d’actes – alors que d’autres ne le sont pas. Il conviendrait peut-être de
considérer ce dernier cas de figure comme pré-catégoriel ou, tout au
moins, faire une distinction entre les catégories naturelles (portant des
noms naturels dans chaque langue) et les catégories d’expert (catégories
de linguiste, difficilement perceptibles par les locuteurs en tant que telles).
Ma démarche commencera par un petit bilan des catégories les plus
importantes utilisées jusqu’à présent dans l’analyse du discours et du
dialogue. Il s’agira de catégories apportées par différents types d’ana-
lyse, qui se sont le plus impliqués dans la description du discours, tels la
théorie des actes de langage (TAL), les analyses du discours (AD), l’ana-
lyse grammaticale (AG), la théorie de la référence (TR) et la théorie des
espaces discursifs (TED). J’adopterai ici une perspective cognitiviste et
démontrerai comment la catégorie d’ACTE DE LANGAGE, s’avérant insuf-
fisante, a réclamé à tour de rôle le recours à d’autres catégories plus lar-
ges, comme celles, principalement, d’ACTE DISCURSIF et d’OPÉRATION
DISCURSIVE. Mes exemples sont pris à des discours naturels, dont cer-
tains déjà utilisés par d’autres chercheurs.

1. La théorie des actes de langage (TAL)


et l’analyse du discours (AD)

La théorie des actes de langage, née comme réaction à l’illusion descrip-


tiviste, ne tardera pas à créer à son tour un autre type d’illusion, qu’on
pourrait appeler illocutionnaire, car elle dit que tout acte de langage est

153
porteur d’une force illocutionnaire répertoriée dans la langue. Or, dès
que le besoin se présenta de prendre pour niveau d’analyse non plus un
seul acte mais plusieurs, tels qu’ils se manifestent normalement dans le
discours, la contrainte de l’illocutoire telle qu’imposée par la TAL s’est
avérée trop sévère et les inventaires d’actes plutôt insuffisants.

1.1 Définition prototypique des actes de langage.


Les meilleurs représentants

On trouve en effet dans la définition prototypique des ACTES DE LAN-


GAGE une fonction dite illocutoire (ou illocutionnaire) FI qui accompa-
gne un contenu propositionnel CP. Ces deux composants feraient
comme des conditions nécessaires et suffisantes à la définition de la caté-
gorie: tandis que le contenu propositionnel fait référence au monde, la
force illocutionnaire réfère au type d’acte et peut être dénommée à l’aide
d’un verbe naturel, dit illocutionnaire. L’existence de ces étiquettes ver-
bales – noms d’actes:
PROMETTRE, ORDONNER, FÉLICITER, DEMANDER, REFUSER, ACCEPTER, S’EXCUSER

est la preuve d’une forte catégorisation de certains comportements li-


guistiques dans la conscience des locuteurs. Ainsi, dans la séquence dis-
cursive (1) prise à une interview, chaque acte est délimité et numéroté:
(1) BP: bon\1 vous êtes romantique\2 vous êtes naïf\3 vous êtes timide\4 vous êtes
bon\5 tout ça/6 mais n’empêche/7
GS: je ne suis pas bon/8 je suis -/9 j’ai mes défauts comme tout le monde/10
BP: oui mais enfin/11vous êtes/12excusez-moi l’expression/13vous êtes un–14
vous êtes-15’ un–16 un drôle de lascar/ avec les femmes\15" parce que-17’
vraiment/18 vous êtes l’infidèle/ total/17"et il y a-19’ tout de même/20 votre –21
votre première femme\19" vous le racontez là aussi\22 moi j’aimerais bien-23
GS: ma première femme m’avait dit qu’elle se suiciderait/24’
BP: voilà\25
GS: si je la trompais\24" (Apostrophes)

On peut appliquer aux actes 1-24 les étiquettes illocutoires suivantes:


– pour les actes de 1 à 5, 15: CONSTATS;
– pour 7: DOUTE;
– pour les actes 8 et 10: AVEUX;

154
– pour 13: DEMANDE D’EXCUSE;
– pour 22: RAPPEL;
– pour 23: DEMANDE;
– pour 24: INFORMATION.
En dehors des marqueurs dénominatifs – verbes illocutionnaires / per-
formatifs comme avouer / j’avoue que..., s’excuser / je m’excuse...) –, les
locuteurs utilisent en règle générale d’autres marqueurs segmentaux,
moins forts, très souvent conventionnalisés; certains ont été appelés:
– marqueurs indicatifs (ex.: l’impératif pour l’ORDRE ou la DEMANDE);
– marqueurs potentiels (comme la forme déclarative qui peut être tantôt
marqueur de DESCRIPTION, tantôt de COMPLIMENT, ou D’AVEU, etc.)
(cf. Etudes de linguistique appliquée no 44).
Aux types de marqueurs segmentaux utilisés pour les ACTES s’ajoutent
des marqueurs prosodiques (pauses, décrochements intonatifs, contours
mélodiques) qui indiquent des frontières d’acte (cf. Ferrari & Auchlin
1995); ce sont des signaux qui, sans les nommer, «montrent» les UNITÉS
dans le flux discursif. A l’écrit, ces frontières d’actes sont des signes de
ponctuation plus ou moins forts, et si généralement la virgule est indica-
tive d’une telle frontière d’ACTE, le point est plutôt un signe prototypique
de fin de PHRASE (au sens discursif de ce terme, de mouvement discursif,
cf. Roulet 1994). A l’oral, comme c’est le cas pour le texte (1) donné ci-
dessus, la segmentation en actes est généralement faites sur des contours
intonatifs perçus comme distincts et accompagnés de pauses.
Résumons en disant que, pour la catégorie d’ACTE DE LANGAGE, c’est
la fonction illocutoire FI qui sert à la reconnaissance des types d’actes;
mais un contenu propositionnel CP est obligatoire, actualisé sous la
forme d’une proposition / phrase complète.

1.2 Elargissement dans l’inventaire d’actes. Représentants moins


bons et même mauvais: ACTES DISCURSIFS, SEMI-ACTES...

1.2.1 Les ACTES DISCURSIFS et leurs fonctions interactives


L’hypothèse des actes illocutionnaires s’est avérée trop forte pour l’ana-
lyse du discours où, dans l’enchaînement d’actes, on a le plus souvent du

155
mal à trouver «les meilleurs représentants» de la catégorie classique
d’ACTE DE LANGAGE. Ainsi, à côté d’un contenu propositionnel CP fa-
cilement repérable, la fonction illocutoire est souvent, et notamment dans
les séquences monologales, non identifiable. D’autres types de fonctions
semblent s’imposer dans les séquences monologales d’actes, qui sont des
fonctions relationnelles, et auxquelles on a donné le nom de fonctions
interactives (cf. Roulet et al. 1985), notées ici fi. Parmi elles, certains
verbes naturels utilisés par les locuteurs:
RACONTER, ARGUMENTER, JUSTIFIER, REFORMULER, PRÉCISER, RÉSUMER...

mais aussi des catégories de linguistes comme:


THÉMATISER, CADRER, NARRER, etc.,

moins «perceptibles» pour les locuteurs ordinaires. Ce qui signifierait


que, par rapport aux ACTES DE LANGAGE, qui se présentent comme caté-
gories naturelles répertoriées dans le langage commun, d’autres catégo-
ries de l’analyse du discours sont moins perceptibles naturellement.
Leurs noms déjà, qui ne se retrouvent pas dans les inventaires d’actes de
langage, et le fait de se définir sur des fonctions essentiellement discur-
sives – relations dans le discours –, leur ont valu l’inclusion dans une
catégorie distincte, appelée par l’Ecole de Genève ACTES DISCURSIFS (vs
ACTES DE LANGAGE). Dans le texte (1) ci-dessus, les actes de 2 à 5:
– une séquence REFORMULATIVE;
– 10 un ARGUMENT;
– 17 une JUSTIFICATION-COMMENTAIRE; et
– 19 une THÉMATISATION,
non répertoriés entre les ACTES DE LANGAGE, sont classés par les ana-
lystes du discours comme ACTES DISCURSIFS. La plupart concernent le
travail de structuration du discours, et leur ancrage référentiel n’est ni
dans les relations interlocutives, ni dans le «monde». Du point de vue de
la définition, ils seraient alors des représentants moins bons et même
mauvais de la catégorie d’ACTE (dans l’acception classique de la TAL).
Un premier élargissement s’est ainsi produit par rapport à la catégorie de
départ, qui a par la suite entraîné un changement dans la terminologie:
illocutoire sera réservé à dialogal, et discursif à monologal, et les termes

156
fonctions initiative / réactive vs fonctions interactives vont se substituer
respectivement à ceux de la première dichotomie.

1.2.2 Les SEMI-ACTES


Un deuxième élargissement s’ensuit lorsqu’on constate que certaines
phrases mettent en scène plus d’un énonciateur (vs un seul énonciateur
pour un acte). Ce critère a suffi pour dire qu’un segment de phrase pour-
rait représenter à lui seul «une sorte d’acte» (pas tout à fait un ACTE, car
son contenu propositionnel CP était incomplet). Et la décision était prise
d’appeler des segments attribuables à un autre énonciateur SEMI-ACTES
(cf. Rubattel 1996). Or, cette décision semblait en parfaite concordance
avec la théorie revisitée du prototype, qui met en avant les degrés et les
demi-mesures pour les catégories. Malheureusement, cette catégorie
intermédiaire est par après retirée du marché – à tort, semblerait-il, car
elle relevait en fait d’un phénomène typique du discours naturel: d’un
faire distinct, polyphonique, une prédication secondaire à l’intérieur
d’une seule et même phrase grammaticale, une entité perçue comme
hétérogène.
Pour résumer, retenons que l’arrivée des deux catégories – d’un côté
celle d’ACTE DISCURSIF, de l’autre celle de SEMI-ACTE – doit être prise
comme symptomatique d’une insuffisance au niveau de la catégorie trop
forte d’ACTE DE LANGAGE: celle-ci avait, pour une définition trop forte,
un pouvoir explicatif trop faible pour l’analyse du discours.

1.3 Les exclus ou les NON-ACTES: ratés, faux-départs,


modalisateurs, marqueurs, connecteurs, régulateurs,
ponctuants, particules...

1.3.1 Les inachèvements: RATÉS ou FAUX-DÉPARTS


Mais l’analyse du discours est allée plus loin encore que simplement
révéler ces représentants moins bons de la catégorie d’ACTE DE LAN-
GAGE que sont les ACTES DISCURSIFS ou les SEMI-ACTES: elle a aussi
défini ces sortes d’unités qui ne relèvent nullement de la catégorie
d’actes car ne possédant ni contenu propositionnel CP fini, ni une quel-

157
conque fonction – de type illocutoire FI ou interactif fi. Il s’agit, par
exemple, des inachèvements, éliminés généralement des analyses, mais
que l’étude de l’oral mentionne souvent comme des faire distincts:
RATÉS, FAUX DÉPARTS, etc. Il y en a en effet plusieurs dans l’exemple
(1) ci-dessus où Bernard Pivot est obligé de chercher les mots les moins
gênants pour rappeler à Georges Simenon qu’il aimait un peu trop les
femmes:
7 mais n’empêche, 9 je suis, 12 vous êtes, 14 vous êtes un, 16 un, 21 votre,
23 j’aimerais bien

Le travail de formulation y est très important, comme on peut le voir,


et c’est bien le cas pour la plupart des discours non programmés de
l’oral. Notons qu’à ces segments de propositions / phrases (car la majo-
rité ne sont pas des phrases finies) on ne donne généralement pas le nom
d’ACTES.

1.3.2 Mots du discours: modalisateurs, marqueurs, connecteurs,


régulateurs, ponctuants, particules...
Sont également perçus comme NON-ACTES d’autres «sortes d’unités», à
contenu propositionnel flou et dont la fonction n’est ni illocutoire ni
interactive. Ce sont ces mots difficilement analysables, certains détacha-
bles – car appartenant surtout «au locuteur», à l’énonciation, et non au
contenu propositionnel – qui ont été classées comme modalisateurs,
marqueurs, connecteurs, ponctuants, particules, régulateurs, etc. Dans le
texte (1), les linguistes appelleraient ces mots du discours:
– modalisateurs: 18 vraiment, 20 tout de même;
– marqueurs / connecteurs: 1 bon, 19 il y a, 11 oui mais enfin;
– ponctuants: 1 bon, 6 tout ça;
– régulateurs: 11 oui, 25 voilà;
– particules: 1 bon.
Les classes dans lesquelles on hésite à les inclure peuvent varier d’un
auteur à l’autre.
Les étiquettes sont en effet ici légion pour dénommer souvent un seul
et même phénomène, car ces catégories – même si essentiellement
«d’expert» – semblent être instables, et se recoupent souvent pour un

158
seul et même mot de la langue; c’est le cas pour bon, par ex., qui est
classé connecteur, ponctuant et particule à la fois, en fonction de la
perspective d’analyse. Notons aussi que pour les locuteurs ordinaires,
des verbes comme modaliser, connecter, marquer, réguler et ponctuer –
verbes pour décrire ce que font ces mots – sont loin d’être d’un usage
courant, ce qui explique une catégorisation naturelle plutôt difficile.
En plus, dans l’utilisation de ces mots, les frontières prosodiques sont
beaucoup plus rares que pour d’autres unités, et cela parce que ces mots,
étant apparemment de moindre importance pour les locuteurs, tenteraient
de passer plutôt inaperçus. Même les linguistes les désignent souvent du
nom de simples traces.
Plus la question de la segmentation du discours pose des problèmes
aux chercheurs, plus la quête des unités discursives minimales se fait
acharnée, et plus les concessions faites à ce que l’on voudrait considérer
unités importantes. Signe de malaise, sûrement, vis-à-vis d’un carcan
trop étroit, des critères de plus en plus vagues vont être posés, afin que
les descriptions deviennent plus appropriées à ce qui se passe réellement
dans les discours naturels. Ainsi, le critère de la fonction (illocutoire ou
interactive) va être remplacé par le critère de l’autonomie pragmatique;
le critère du contenu propositionnel et du prédicat analysable par le cri-
tère plus permissif de prédication (relationnelle, pour le cas des connec-
teurs, ou non); enfin, un critère énonciatif entrera en jeu, celui de la prise
en charge de l’énoncé par un locuteur. Le mot à lui seul – lexical ou
relationnel – deviendra possible candidat au statut d’unité discursive.
Ceci signifie que, par rapport aux ACTES, vus comme prédications auto-
nomisables, les connecteurs peuvent dorénavant être perçus comme pré-
dicats relationnels que certains auteurs considèrent non autonomisables
(cf. Rossari 1996), mais que la pratique discursive peut très bien présen-
ter comme détachables. Voir à ce propos, dans l’exemple (1) ci-dessus,
les segments:
1 bon, 6 tout ça, 11 oui mais enfin, 20 tout de même, 25 voilà

qu’on interprète intuitivement, de par leur actualisation souvent auto-


nome (avec frontières d’actes), comme ayant certaines fonctions dans le
discours.

159
2. La théorie grammaticale (TG)

La théorie des actes de langage (TAL) identifiait dans tout acte une pré-
dication, et, selon cette perspective, l’absence d’une prédication retirerait
le statut d’acte à une expression. Or, les notions de verbes parenthétiques
(cf. Récanati 1984; «recteurs faibles» chez Blanche-Benveniste 1989) et
de prédication seconde (Furukawa 1996) viennent appuyer, du côté des
grammaires, la perspective de plus en plus floue sur les catégories du
discours en général, et sur les actes en particulier. Elles laissent de toute
façon entendre que la notion de prédication est graduelle, que le discours
est le lieu de manifestation de «prédicats» plus ou moins forts ou, dans
une terminologie pré-théorique, de lieu de rencontre de «faires» distincts,
plus ou moins explicites. Cette perspective graduelle de la prédication
semble ouvrir la voie à une perspective graduelle sur les actes, avec des
expressions «plus ou moins actes» (v. les semi-actes), en fonction de leur
degré de prédicativité. La théorie grammaticale rencontre là l’analyse du
discours.
Rappelons que le marquage des prédications ne se fait pas unique-
ment au niveau segmental, mais aussi au niveau suprasegmental (voir,
par ex., ce qu’on a appelé frontières d’actes) et / ou au niveau non verbal
(actes non verbaux).
Les marquages segmentaux d’ACTES sont de type plus analytique
que les deux autres et se manifestent par des expressions prédicatives
plus ou moins fortes. Si les prédicats prototypiques sont des verbes rec-
teurs par excellence, il va de soi qu’aux prédications secondes on atta-
chera des prédications moins fortes: phrases inachevées, verbes recteurs
faibles / parenthétiques, expressions autres que verbales, mais appelées
souvent «prédicatives» (adverbes, interjections, constructions absolues),
etc. Dès lors, dans le même texte (1), on peut considérer comme prédica-
tions secondes, donc QUASI-ACTES:
– les inachèvements 7 mais n’empêche, et 23 moi j’aimerais bien;
– les expressions parenthétiques 13 excusez-moi l’expression et 22 vous
le racontez là aussi; et
– les modalisations 18 vraiment et 20 tout de même.

160
Au niveau suprasegmental, un contour mélodique + pauses perçus à
l’écoute indiquent des frontières pour certaines prédications secondaires:
7 mais n’empêche, 13 excusez-moi l’expression, 18 vraiment, 20 tout de même,
22 vous le racontez là aussi, 23 moi j’aimerais bien

appuyant le statut d’unité distincte que les locuteurs veulent leur assi-
gner. Ce type de marqueurs est par excellence indicatif, procédural.
Enfin, à l’oral, les actes non verbaux sont fréquents et se manifestent
par des gestes, des attitudes, des mimiques plus ou moins conventionna-
lisés; ils se greffent sur les expressions verbales ou relayent celles-ci.
L’exemple (1) offre deux de ces prédications non verbales:
– un haussement d’épaules en 8; et
– un sourire en 13,
les deux en surimpression sur les actes verbaux respectifs, qu’ils ne font
que renforcer.
On peut conclure sur la perspective grammaticale qu’un relâchement
évident s’y fait manifeste avec la reconnaissance des degrés de prédica-
tivité, relâchement similaire à celui qui s’est produit dans la théorie
pragmatique des actes de langage.

3. La théorie de la référence (TR)

En associant des types de prédicats à des types de référence, la théorie de


la référence a pu apporter un raffinement à la théorie grammaticale. Ain-
si, elle suggère pour les deux grands types de référence – la référence au
monde et l’autoréférence – la distribution suivante des prédications dans
le discours:
– prédications sur le monde, qui sont des prédications essentiellement
descriptives (référence au monde);
– prédications sur l’énonciation (autoréférence);
– prédications sur l’énoncé (autoréférence).
La question la plus intéressante qui s’ouvre pour l’analyse du discours
est dès lors celle de savoir

161
lesquelles de ces prédications préfèrent les positions parenthétiques, secondes, ef-
façables, c’est-à-dire les positions faibles dans le discours – celles de modalisa-
teurs, régulateurs, ponctuants ou connecteurs –, et lesquelles prennent de préfé-
rence allure d’ACTES proprement dits pour occuper les positions fortes?

4. La théorie des espaces discursifs (TED)

Pour répondre à cette question de façon satisfaisante pour l’analyse du


discours, il devient dès lors clair: d’un côté, qu’à une catégorie floue de
prédication devrait peut-être s’associer une catégorie plus permissive de
discours; d’un autre côté, que l’unité ACTE, définie parfois de façon trop
restrictive au niveau des fonctions ou au niveau des contenus proposi-
tionnels, devrait peut-être céder le pas à une catégorie plus floue, mais
dont le pouvoir explicatif serait plus grand.
Or, il se trouve qu’une catégorie en usage dans l’analyse du discours
– celle d’OPÉRATION DISCURSIVE – pourrait être mise à profit à cet effet.
Telle que déjà définie (cf. Culioli 1990; Pop 2000a), cette notion consti-
tuerait un élargissement de la notion d’acte, car elle se fonde sur des
types de prédications plus flous et sur des types de référence spécifiques
au travail énonciatif. Il semblerait en effet que l’analyse du discours, afin
d’éviter les inconvénients d’une terminologie butant sur les catégories
hétéroclites et imparfaites (ACTE, CONNECTEUR, MODALISATEUR, RÉGU-
LATEUR, PONCTUANT, PARTICULE, etc.), pourrait bien profiter de cette
catégorie: même si moins naturelle car moins bien répertoriée par les
locuteurs (pas de noms naturels dans les langues), elle semblerait capable
de donner, par l’expert linguiste, une description homogénéisante du
discours.
Or, les analyses de discours révèlent, à travers différentes marques
linguistiques, plusieurs types constants d’opérations énonciatives spé-
cialisés sur les types de référence. On peut les considérer des faire dis-
tincts, à gérer simultanément par les locuteurs, et occupant chacun un
autre espace discursif / référentiel (cf. Pop 2000a et ici même, les repré-
sentations en termes d’espaces discursifs). Ces types d’opérations peu-
vent se manifester sous des formes plus ou moins explicites, dont:

162
– formes assertées, descriptives: ce sont les formes les plus marquées,
qui font figure d’ACTES;
– formes indicatives de l’expression: elles ne sont généralement pas
perçues comme actes, mais peuvent effectuer dans le discours les
mêmes opérations qu’effectuerait un acte.
Je rappelle que les espaces discursifs constituent bien des «places» dis-
cursives stables pour des types d’opérations discursives, et l’hypothèse
que je fais ici est qu’en tant que telles, ces opérations seraient capables
de ramener à elles toutes les catégories discursives: ACTES, CONNEC-
TEURS, MODALISATEURS, PARTICULES, etc. Ce qui revient à dire qu’un
acte est opération au même titre qu’un connecteur, un modalisateur, une
particule, un geste, etc., et qu’il peut faire la même chose qu’un connec-
teur, un modalisateur, une particule ou un geste, et vice-versa. Ainsi, la
proposition J’accentue sur le fait (énoncé faisant ACTE) en (2) et l’ad-
verbe bien (qui n’est qu’un MODALISATEUR) en (3) ci-dessous semblent
effectuer la même opération discursive, ou plutôt métadiscursive: celle
d’indiquer que ce que l’on dit (le contenu propositionnel il s’est retiré de
l’affaire) doit être compris dans son sens le plus fort:
(2) J’accentue sur le fait: il s’est retiré de l’affaire.
(3) Il s’est bien retiré de l’affaire.

Une intensification de la voix, une pause significative ou encore un signe


de la main suggérant le départ pourraient, en plus, tous effectuer la
même OPÉRATION, car ils modalisent, appuient, accentuent ou souli-
2
gnent le contenu propositionnel CP posé dans les phrases (2) et (3).
Deux types de références seraient impliquées dans cette opération com-
plexe: l’une subjective s (pour l’ÉVALUATION) et l’autre, métadiscursive
Md (référence au MODE DE DIRE).
Un autre exemple: l’opération par laquelle le locuteur cherche le mot
juste – v. 9 je suis en (1), exprimé à l’aide d’un énoncé inachevé – pour-
rait encore s’exprimer:
– de façon explicite, par un ACTE en bonne et due forme: Je cherche le
mot juste;
– de façon implicite, par une interjection / marqueur d’hésitation (euh);

2 Attention aux métaphores utilisées pour cette opération typiquement discursive!

163
– par une hésitation prosodique (une pause); ou, enfin, par
– un geste d’impuissance, des mains ou des épaules.
Toutes ces expressions, certaines propositionnelles, équivalant à des
ACTES (Je cherche le mot juste), certaines des particules (euh) ou des
signes non verbaux, peuvent actualiser une seule et même opération, qui
est ici de type paradiscursif Pd et qu’on appelle FORMULATION ou
RECHERCHE DES MOTS.
Revenant maintenant à la question:
Lesquelles de ces opérations sont plus sujettes à faire ACTES et lesquelles plutôt
sujettes à faire moins que des ACTES (connecteurs, particules, ponctuants, etc.)?

on pourrait répondre en termes de préférences, et non en termes absolus.


Il semblerait en effet que:
les sens conceptuels préfèrent les forme d’ACTES, tandis que les sens instruction-
nels les formes de NON-ACTES.

4.1 Les opérations faisant ACTES

Les opérations de référence au monde sont plus candidates à des pré-


dications fortes, de type descriptif, et sont par conséquent plus facile-
ment encodées et interprétées comme ACTES – illocutionnaires ou dis-
cursifs (ici «figures» au sens cognitif du terme). Les sens qu’elles véhi-
culent sont conceptuels par excellence, et des exemples prototypiques
dans le fragment (1) semblent être:
– les énoncés descriptifs 2 vous êtes romantique, 3 vous êtes naïf,
4 vous êtes timide, 5 vous êtes bon, 8 je ne suis pas bon, 9 j’ai mes
défauts comme tout le monde, etc. (avec une fonction complexe de
DESCRIPTION-ÉVALUATION-REPRISE);
– 13 excusez-moi l’expression (EXCUSE);
– l’énoncé 15 vous êtes un drôle de lascar avec les femmes (DESCRIP-
TION-ÉVALUATION);
– l’énoncé 22 vous le racontez là aussi (RAPPEL);
– l’énoncé 58 ma première femme m’avait dit qu’elle se suiciderait si je
la trompais (INFORMATION-RÉCIT); etc.

164
4.2 Les opérations moins qu’actes

Les opérations de référence à l’énonciation (autoréférentielles) préfè-


rent les prédications plus faibles, de forme moins descriptives ou non
descriptive, et faisant rarement figure d’ACTES.

4.2.1 Les ratés


Dans le fragment (1) ci-dessus:
– 12 vous êtes, 14 vous êtes un, 16 un

sont des TENTATIVES DE FORMULATION échouées qu’on interprète plus


difficilement comme actes, car leurs formes, moins que propositionnel-
les, sont des phrases inachevées qu’on abandonne le plus souvent comme
mal parties, donc non satisfaisantes au niveau du CP. On les appelle
RATÉS ou FAUX-DÉPARTS, et leur statut d’actes, selon la définition pro-
totypique, est, certes, discutable. Ils représentent néanmoins des ACTIVI-
TÉS (opérations) au niveau du travail de mise ne forme du discours (es-
pace paradiscursif Pd dans la TED).

4.2.2 Les connecteurs entre actes et opérations


On a vu que certains connecteurs ou marqueurs, certaines particules, etc.
peuvent parfois s’utiliser avec des frontières prosodiques d’actes, ce qui
veut dire qu’ils sont parfois susceptibles d’être pris comme QUASI-
ACTES. Ainsi, pour enfin en (4) ci-dessous:
(4) enfin1/ c’est une union vraiment comme je l’imagine2/
(4’)
GS 1 2
Id
Md c’est une union comme je l’imagine
Md enfin
Ip
s c’est une union vraiment comme je l’imagine
D c’est une union comme je l’imagine
pp
Pd enfin
Pro / / / \

165
où le contour intonatif semble indiquer une frontière d’acte, alors que ce
mot n’est qu’une simple trace d’opération énonciative, plus précisément
d’une opération de (RE)FORMULATION, de type para- et métadiscursif à
la fois (Pd/Md).
D’autres marqueurs sont délimités comme de vrais actes, tels, en (1)
ci-dessus:
1 bon, 6 tout ça, 20 tout de même, 23 moi, 25 voilà

Ces expressions – de vraies formes implicites, non descriptives –, ont


toutes des sens instructionnels, mais il semble que dès qu’elles sont cen-
sées structurer une séquence plus ample, les locuteurs leur donnent plus
de poids en les délimitant du discours insérant, et en les marquant de la
sorte comme ACTES. Les opérations qu’ils effectuent, en général de type
structurant, se voient ainsi posées comme ACTES (ACTES STRUCTU-
RANTS, de type métadiscursifs Md). Ainsi 1 bon et 6 tout ça en (1) ci-
dessus, où bon porte sur toute la séquence qui suit, de 2 à 5, et tout ça,
sur la même séquence, qu’il boucle:
(5) BP: bon\1 vous êtes romantique\2 vous êtes naïf\3 vous êtes timide\4 vous êtes
bon\5 tout ça /6

Les deux connecteurs sont ici marqués comme ACTES, avec des intonè-
mes distincts. De même, 1 enfin dans (4) ci-dessous, le marqueur, portant
sur la phrase 2, constituée de deux énoncés, est délimité comme acte.
Pour des portées plus restreintes, les mêmes formes verbales se rédui-
sent à de simples traces, sans frontières marquées, car elles doivent s’ef-
facer devant le contenu des segments qu’elles structurent. C’est par
exemple le cas de vraiment en (4) ci-dessus, où le modalisateur est
ATTRACTEUR et porte sur l’énoncé comme je l’imagine, un segment
moins long que celui sur lequel porte enfin, dans ce même exemple: il
reste une simple trace d’OPÉRATION.
Enfin, si l’on compare deux occurrences distinctes de vraiment: 2 en
(4), et 18 en (1), cette dernière reprise ci-dessous en (6), on voit cette
deuxième occurrence marquée d’une frontière d’acte.
(6) parce que -17’ vraiment/18 vous êtes l’infidèle/ total/17"

166
L’adverbe y est plus fortement marqué parce qu’employé à double fonc-
tion: non seulement comme attracteur, mais aussi comme RATIFICATEUR
DIALOGIQUE: il ratifie le sens de l’énoncé 17’’ (vous êtes infidèle).

5. Conclusions

5.1. Dire que tout est opération, c’est homogénéiser la perspective sur
le discours en général et sur le dialogue en particulier. Les opérations
peuvent également être des configurations d’opérations, ce qui permet de
dire qu’aussi bien les catégories difficiles (marqueurs, connecteurs,
ponctuants, régulateurs, ratés, particules) que les actes sont alors des
opérations ou des configurations d’opérations.
5.2. Sur cet ensemble d’opérations très hétérogènes impliquées dans la
production du discours:
– les ACTES DE LANGAGE sont des catégories émergentes d’opérations /
de configurations d’opérations (des «figures» fortes au sens cognitif
du terme) (FI+CP). Ils sont tous naturellement catégorisés (noms
d’actes dans les langues naturelles);
– les ACTES DISCURSIFS sont des catégories émergentes d’opérations /
de configurations d’opérations (fi+CP) et sont en général aussi natu-
rellement catégorisés;
– les NON-ACTES (semi-actes, mots du discours, marqueurs, connec-
teurs, régulateurs, ratés, ponctuants, etc.) coïncident plutôt aux TRA-
CES D’OPÉRATIONS et se constituent rarement en «figures» (sont des
opérations moins émergentes). Leurs noms représentent des catégo-
ries moins naturelles d’activités discursives.
5.3. Un seul et même espace est le lieu de rencontre de plusieurs catégo-
ries (actes, régulateurs, marqueurs...):
– sur l’espace interpersonnel, appels, excuses, reprises diaphoniques,
régulateurs, RAD, etc.;
– sur l’espace subjectif, modalisants, certains phatiques, certains actes
rituels, reprises monophoniques, etc.;

167
– sur l’espace paradiscursif, tous les actes ou marqueurs d’actes de
mise en forme / formulation (ratés, hésitations, faux-départs), certains
actes structurants (cadrages, thématisations, marqueurs d’intégration
linéaire MIL, etc.);
– sur l’espace métadiscursif, actes de reformulation (reprises, com-
mentaires méta, métaphores), ponctuants, marqueurs de structuration
de la conversation (MSC), MIL, etc.;
– sur l’espace présuppositionnel, les retours, les rappels, les explica-
tions d’arrière-fond, les thématisations et les cadrages, des marqueurs
du type vous savez, nous avons vu... de pointage au niveau de la mé-
moire discursive.
Afin que des descriptions plus appropriées puissent être données des
manifestations verbales, il semblerait donc que la catégorie d’OPÉRA-
TION puisse homogénéiser la description des catégories discursives utili-
sées en analyse du discours:
– d’un côté, l’hypothèse que les actes seraient des opérations plus for-
tement délimitées que les autres catégories (modalisateurs, connec-
teurs, etc.) semble se confirmer;
– d’un autre côté, le fait que les non-actes puissent faire figure d’actes
rencontre l’idée déjà accréditée des actes qui peuvent se dissimuler
dans le discours comme non-actes (v. les évaluations ou les injures
indirectes, «cachées» dans les épithètes conjointes) et, en égale me-
sure, celle des connecteurs-ACTES.

168
Chapitre 10

De l’acte aux activités: les séquences

Je prends ici en considération un type d’unités discursives intuitivement


appelées séquences, dont certaines sont insuffisamment prises en consi-
dération par l’analyse du discours. Je pense notamment à des phénomè-
nes comme FAIRE DES COMPLIMENTS, DONNER DES EXPLICATIONS,
FAIRE DES HYPOTHÈSES, FAIRE UNE DIGRESSION, SE PLAINDRE, etc., qui
sont des activités, et non de simples actes, et sont perçues comme des
unités à l’intérieur des discours. En raison de leur statut trop flou pour
l’exigence de rigueur des catégories scientifiques (vs catégories natu-
relles), leur définition / délimitation a généralement posé problème. Mon
intention ici est de faire reconnaître cette catégorie comme pertinente
pour l’analyse du discours. Dans un premier temps je vais en repérer
quelques traces dans certains textes (v. 1 et 2 ci-dessous) et je tenterai,
dans un deuxième temps, de définir et / ou de décrire ces catégories es-
sentiellement «naturelles» de discours (v. 3).

1. Catégorisation naturelle dans le discours:


actes, activités, genres…

Rappelons ici que les langues catégorisent naturellement les ACTES par
des verbes et des noms comme féliciter / félicitation, demander / de-
mande, refuser / refus, ordonner / ordre, promettre / promesse, etc., ce
qui prouve l’existence de catégories naturelles que les locuteurs perçoi-
vent comme unités plus ou moins reconnaissables, de type Gestalt, dans
le déroulement de leurs discours.
Rappelons aussi que les locuteurs, dans leur activité métadiscursive,
reconnaissent plusieurs TYPES DE TEXTES comme produits de leurs dis-
cours, auxquels ils donnent des noms comme récit, lettre, article, dis-
pute, etc.

169
Mais le langage de tous les jours contient beaucoup d’autres expres-
sions métadiscursives, nommant non pas des actes isolés ou les textes,
mais des ACTIVITÉS DISCURSIVES courantes, qui se constituent en parties
distinctes dans les discours. Pour celles-ci, les locuteurs utilisent des
verbes ou locutions verbales comme raconter, expliquer, faire des re-
marques, faire des hypothèses, faire une digression, faire une confi-
dence, etc. Ces parties perçues comme distinctes dans les discours sont
souvent désignées par le nom passe-partout de séquence, catégorie qui
s’est avérée difficile à définir en linguistique, car elle semble corres-
pondre à une catégorie trop vague, peut-être pré-scientifique, et a par
conséquent reçu des définitions très variables (cf. 3.2. ci-après). En effet,
si l’on cherche à voir si ces entités ont fait l’objet de descriptions lin-
guistiques, le bilan est très relatif: on bien été étudiées certaines catégo-
ries comme celles de récit, explication, description, correspondant de
façon plus évidente:
– à des parties distinctes à l’intérieur de textes écrits; ou
– à des textes pris globalement.
Par contre, en ce qui concerne des catégories moins nettes comme faire
une digression, faire des confidences, faire des remarques, faire des hy-
pothèses, dire des bêtises, etc., les descriptions sont à ce jour presque
inexistantes. Je vais repérer ci-dessous les traces linguistiques de plu-
sieurs de ces ACTIVITÉS VERBALES, pour appuyer l’idée que l’étude de
ces phénomènes est pleinement justifiée, qu’une définition doit être ten-
tée pour ce que l’on dit être une séquence en général, et des descriptions
particulières pour quelques types distincts de ces «ensembles d’actes».

2. Les noms des séquences:


un problème de catégorisation

Plusieurs appellations courantes témoignent, comme pour les actes, de


l’existence d’unités de communication naturelles du type ACTIVITÉ (vs
ACTE), si par «activité» on entend, d’après le Petit Robert:

170
l’«ensemble des actes coordonnés ou des travaux de l’être humain; fraction spé-
ciale de cet ensemble».

En effet, les expressions désignant ces activités attestent l’existence:


(i) d’entités perçues compositionnellement comme plus ou moins ho-
mogènes, car les noms qui les désignent contiennent souvent, à côté
d’un verbe-support, un substantif déverbal au pluriel, indiquant la
répétition d’actes identiques quant à leur fonction:
PROMESSES, SUGGESTIONS, AFFIRMATIONS, ARGUMENTS, EXPLICATIONS, HYPO-
THÈSES, COMMENTAIRES, PROPOSITIONS, INJURES, LAMENTATIONS, BÊTISES, INDI-
CATIONS, PRESCRIPTIONS, CONSEILS, CONFIDENCES… (v. 2.1. ci-dessous);

(ii) d’entités multi-actes perçues globalement comme faisant «un tout»;


à preuve, leurs noms constitués de verbes désignant plus que des
ACTES isolés, avec, dans leur sémantisme, un sème [processuel]. De
tels verbes sont:
RACONTER, DÉCRIRE, ARGUMENTER, EXPLIQUER, CITER, ANALYSER, SE PLAINDRE,
PLAISANTER, etc.
1
recouvrant non pas des ACTES, mais une ACTIVITÉ en cours (v. 2.2.) .
(iii) d’entités perçues globalement comme faisant «un tout» par opposi-
tion à d’autres parties d’un discours; le prouvent certains noms de
ces séquences – substantifs dénommant des activités:
INTRODUCTION, RÉSUMÉ, RÉCIT, DESCRIPTION, ARGUMENTATION, PLAINTE, APOLO-
GIE, DIGRESSION, PLAISANTERIE (v. 2.3. ci-dessous).

2.1 Locutions indiquant des séquences «en série»

Les dictionnaires et la langue de tous les jours attestent des expressions


verbales constituées d’un verbe-support, sémantiquement appauvri (du
type faire, exprimer, émettre, apporter, donner, lancer, avancer, etc.) +
un nom déverbal, souvent au pluriel. Ces locutions, incluant un nom
d’acte au pluriel (du type faire des remarques) semblent prouver que les

1 Car, à chaque fois qu’on dit: je raconte, je décris, j’argumente, je me plains, etc.,
c’est un processus qui est désigné et non un acte pris à part.

171
locuteurs perçoivent ces unités comme suites d’actes qui se constituent
en entités distinctes à l’intérieur d’un discours, mettant justement en
évidence, pour la définition de la séquence, cette pluralité d’actes «en
série homogène». Comme on peut le voir ci-dessous, de telles locutions
métadiscursives existent bien en français (fr), en anglais (an) et en rou-
main (ro), et d’autres langues en possèdent sûrement aussi:
FAIRE
fr faire des promesses, des suggestions, des compliments, des affirmations, des
remarques, des commentaires, des prescriptions, ses excuses, des reproches, des
hypothèses
an to make a promise, make a suggestion, make compliments, make statements,
make remarks / observations, make comments, make prescriptions, make an apo-
logy, to reproach sb for sth
ro a face promisiuni, sugestii, complimente, afirmaţii, remarci / observaţii, co-
mentarii, reproşuri, ipoteze
DIRE
fr dire des bêtises, des conneries, des mensonges
an talk nonsense / crap, tell lies
ro a spune prostii / măgării, minciuni, enormităţi
EXPRIMER
fr exprimer des condoléances, des opinions, des regrets
an express condolences / regret, give an opinion
ro a exprima condoleanţe, felicitări, opinii, regrete
APPORTER
fr apporter des preuves, des nouvelles, des arguments, des accusations
an give evidence, make an argument, bring charges
ro a aduce dovezi / probe, veşti, argumente, acuzaţii
DONNER
fr donner des nouvelles, des informations, des renseignements, des explications,
des indications, des conseils
an to bring news, give explanations, give instructions, give advice
ro a da informaţii, veşti, explicaţii, indicaţii, sfaturi
AVANCER
fr avancer des propositions, des hypothèses
an to put forward a hypothesis
ro a avansa propuneri, ipoteze
LANCER
fr lancer des hypothèses, des accusations
an make suggestions, to put forward a hypothesis, press charges
ro a lansa ipoteze, acuzaţii

172
SE PERDRE
fr se perdre en explications
an get carried away
ro a se pierde în explicaţii

Une telle suite d’actes est illustrée ci-dessous par l’exemple (1) où, pour
faire des remarques (au pluriel), le locuteur explicite à chaque fois le
passage d’un(e) REMARQUE / CONSTAT vers l’autre. A noter que, si un
seul acte s’avère insuffisant pour l’effet perlocutoire voulu, les locuteurs
vont l’«étoffer», en en ajoutant d’autres. C’est la manière dont se cons-
truit la SÉQUENCE EXPLICATIVE dans l’exemple (6a) ci-dessous.
Les exemples d’actes en série perçus comme séquences ne manquent
pas, et dans les quelques-uns qui sont donnés de (1) à (7), l’ACTIVITÉ en
train de s’effectuer est:
– ou nommée explicitement:
FAIRE DES REMARQUES, en (1); FAIRE DES REPROCHES, en (2); FAIRE DES HYPO-
THÈSES,en (3); S’EXCUSER, en (4); DONNER / APPORTER DES NOUVELLES, en (5);
DONNER DES EXPLICATIONS, en (6);

– ou exprimée métaphoriquement:
fouiller pour FAIRE DES HYPOTHÈSES, en (3b)
2
– ou seulement «indiquée» par des marqueurs implicites , tels:
c’est, pour LES EXPLICATIONS, en (6b); nu-i adevărat ‹ce n’est pas vrai›, nu m-am
omorît niciodată după acest personaj ‹je n’ai jamais raffolé de ce personnage›,
pour les THÈSES d’une argumentation; deci, tirant une CONCLUSION, en (7):
(1) FAIRE DES REMARQUES
C: […] on va corriger les comptes-rendus/que je vais vous rendre/[le profes-
seur rend les papiers aux étudiants] Mi- Mândruţ Renata/ Andreea/ Ioana
xxx/ […]
E: (toux)
C: encore malade/

2 Ni les exemples français ni les exemples roumains ne sont ici traduits, et pour la
simple raison qu’ils sont trop étendus, mais le traitement graphique de ces textes
laisse facilement «voir» le travail de séquentialisation. Ainsi, les séquences pro-
prement dites sont notées en grisé; leurs noms explicites en PETITES MAJUSCULES
SOULIGNÉES; leurs marqueurs indicatifs, en PETITES MAJUSCULES ITALIQUES; tandis
que les objets décrits (thèmes-titres) dans les séquences descriptives, ainsi que les
thèses dans les séquences argumentatives, en PETITES MAJUSCULES SIMPLES.

173
E: oui\
C: bon\ […] alors\ euh: QUELQUES REMARQUES euh générales/ sur euh […]
sur vos travaux/ avant de-- de proposer une euh une correction/ euh […]
D’ABORD donc\ je vous rappelle le compte-rendu c’est un exercice d’objec-
tivité/ et donc encore une fois-- il s’agit de-- rendre compte-- des idées euh
de: du texte/ sans s- apporter de d’informations personnelles\ je sais plus qui/
a euh: plus ou moins euh je sais pas j- vous ai rendu à quelqu’un xxx/\ […]
DEUXIÈME: DEUXIÈME CONSTAT / avant de faire ce: compte rendu/ on avait
vraiment travaillé un texte/ c’est-à-dire qu’on avait essayé de décortiquer un
peu euh le: le fonctionnement euh des idées/ l’ar- les articulations et cetera/
euh donc ce travail euh qui a été fait en amont/ il ne doit pas accos- il doit
ressortir d’une manière voilée/ euh dans le compte-rendu\ c’est-à-dire que
euh-- certaines mm: ont souligné-- l’auteur développe une argumentation/ des
choses comme ça/ donc ça-- c’est c’est davantage un constat […] oui\ AUTRE:
AUTRE CONSTAT n’oubliez pas/ dans un compte-rendu de toujours commencer
par présenter l’idée générale/ hein/ l’idée euh directrice […] QUOI D’AU:TRE/
[…] j’crois que c’était-- c’est tout euh pour euh les CONSTATS DE GÉNÉRALITÉ
(Corpus Pop)
(2) FAIRE DES REPROCHES / REPROCHER
Elle: De toute façon tu t’endors tout de suite, tu tombes comme une masse. A
chaque fois, c’est pareil; avoue, le grand air te réussit.
Lui: Oui, je suis fatigué, j’ai le droit peut-être.
Elle (Doucement.) Mais JE NE TE REPROCHE RIEN, mon chéri, j’adore te regar-
der dormir. (D. Sallenave, Conversations conjugales)
(3) FAIRE / LANCER DES HYPOTHÈSES
(3a) alors\ QUELLES HYPOTHÈSES ON PEUT FAIRE sur ce symbole\ un p’tit peu sur le
sens\ donc pour chercher à comprendre finalement/ pourquoi euh ce symbole
euh reste euh enfin\ perdu/ comme ça/ dans la société française/ sans que l’on
connaît vraiment ni le sens ni l’origine euh de Marianne très clair (Corpus
Pop)
(3b) C: donc vernis-- culturel\ donc là il faut FOUILLER un p’tit peu euh-- donc là
y a une métaphore/
E : (la superficialité) /
C: donc y a l’idée de superficiel/ de superficialité/ oui/ hm/ quoi d’autre/ y a
une autre idée aussi\ PEUT-ÊTRE\ vernis culturel/
E: le mélange des arts/ peut-être/
C: le mélange des arts\
E: la littérature/ la peinture PEUT-ÊTRE/
C: quel est le lien avec le vernis/
E: je ne sais pas\ la couleur PEUT-ÊTRE\
C: non/ qu’est-ce qu- un vernis donc ça: ça protège/ ça c’est quelque chose
qu’on met-- sur une surface/ quelque chose qu’on recou- on cherche à recou-
vrir quelque chose/

174
E: pour rendre plus beau\ (id.)
(4) FAIRE SES EXCUSES / S’EXCUSER
QUE JULIEN L’EXCUSE, mais il ne s’attendait pas du tout… Une erreur de gra-
phie au secrétariat sûrement… Flovié, Pluvié, n’est-ce pas? Mais de toute fa-
çon, il aurait cru à une homonymie… Jamais il n’aurait pensé que Julien
pouvait donner dans la politique… (M. Bredel, Les petites phrases)
(5) DONNER / APPORTER DES NOUVELLES
Sans se perdre en mondanités, Aymeri APPORTAIT DES NOUVELLES. Bonnes.
Les derniers sondages confirmaient les précédents et laissaient apparaître en-
tre 34 et 36% d’indécis. Un pactole inespéré, encore qu’on pût redouter une
abstention massive. En tout cas, la disparition de Mégissier ne profitait tou-
jours pas à ses concurrents de droite; Sorèze et Frémont ne décollaient pas de
leurs positions. BREF, l’état de l’opinion, à deux jours de l’ouverture de la
campagne officielle, correspondait d’assez près aux projections qu’il avait
communiquées à Varenne la semaine précédente. (id.)
(6) DONNER DES EXPLICATIONS
(6a) En guise de réponse à ma stupeur muette, il m’annonce tout à trac:
– Tu as devant toi un SDF!
Cette EXPLICATION succincte ne me rendant évidemment pas l’usage de la pa-
role, il l’étoffe quelque peu:
– Oui, ma chère, tu as quitté un homme respecté de tous et envié par beau-
coup; un homme privilégié jouissant d’un train de vie plus que confortable; le
mari d’une femme idéale qui savait fermer les yeux et ouvrir sa bourse; le
gendre plein d’espoir d’une douairière cardiaque, plein de promesses… et tu
te retrouves devant un pauvre bougre, cocu, ruiné, avec pour s’abriter uni-
quement cette guimbarde pourrie et pour unique bien les trois valises que j’ai
pu arracher aux griffes des deux hyènes. (F. Dorin, Vendanges tardives)
(6b) ça vous en fait c’est un jeu de mots brouillon de culture/ xxx savoir lequel/ y
a une référence en fait-- BOUillon de culture/ ça vous dit rien/
E: C’EST une émission à la télé\ hein/
C: oui/ C’EST une émission à la télé/ qu’est-ce que vous savez d’autre/ sur
cette émission (peut-être)/
E: xxx
C: BOUILLON DE CULTURE/ C’EST une émission euh: enfin […] euh C’EST une
émission qui était euh animée par Bernard Pivot/ donc euh un une personna-
lité euh de d’aujourd’hui/ enfin il a terminé justement euh cette année der-
nière euh d’animer cette émission/ et en fait c’était une émission littéraire--
sur les les dernières parutions/ et cetera/ donc une émission de référence/ en
fait une émission connue/ donc bouillon de culture/ qu’est-ce que c’est un
bouillon/
E: soupe/
E: soupe/

175
C: une soupe-- oui/ Bouillon de culture Bernard Pivot\ [le professeur écrit le
nom de l’émission et de l’animateur au tableau] donc c’est le nom attaché à
cette émission (Corpus Pop)
(7) APPORTER DES ARGUMENTS
L: pentru că spre deosebire de alţi colegi ai dumneavoastră/\ care au cochetat
cu Constantinescu/\ trebe să recunoaştem/\
I: da\
L: că aţi cochetat cu el/\
I: da\
L: eu nu pot să pricep nimica\
I: io n-am cochetat\
L: domnule aţi cochetat/\ în sensul că l-aţi vrut preşedinte\
I: io/
L: parcă l-aţi vrut/\ la un moment dat\
I: nu\ îmi pare rău\
L: adică -
I: eu sînt printre nu\
L: l-aţi ales ca soluţie/\ cum să nu\
I: nu\ nu\ soluţie de turnesol/\ deci schimbarea roşului în albastru\ NU-I
ADEVĂRAT\ eu n-am considerat niciodată - nu\ nu\ culmea e - io io l-am înju-
rat pe Constantinescu în Academia Caţavencu/\ pe la politică/\ deşi mi-au re-
proşat mulţi/\ şi cînd am fost prin Germania/\ domnule zice/\ şi culmea e că l-
am votat\ deci eu l-am votat pă Constantinescu fără să mă omor deloc după
el/\ în ideea că trebe o schimbare/\ că hai domnule încercăm şi altceva\
L: tocmai/\ însă asta nu v-a împiedicat ca astăzi la trei ani -
I: dacă se-ntîmplă revenim la: - aşa\
L: la trei ani să fiţi necruţător cu el \
I: NU\ N-AM FOST MAI NECRUŢĂTOR ACUM DECÎT ERAM ÎNAINTE/\ NU\ NU\ NU-I
ADEVĂRAT\
L: deci v-aţi păstrat ă:: -
I: dacă-mi citeşti cartea/\ ă cartea mea Pamflete vesele şi triste/\ în care înju-
ram într-una că Iliescu era preşedinte/\ erau şi ironii îngrozitoare la adresa lu’
Constantinescu/\
L: aşa e domnule\
I: NU M-AM OMORÎT NICIODATĂ DUPĂ: – ACEST PERSONAJ/\ […] (id.)

Les séquences «en série» semblent bien être le cas prototypique pour les
ACTIVITÉS VERBALES, car elles illustrent le mieux l’acception la plus
commune des séquences en général en tant que suite homogènes d’actes.
Remarquons sur tous les noms d’activités recensés ci-dessus, mais aussi
sur ceux avec faire qui suivent, que les langues semblent plus ou moins
s’aligner au niveau des expressions utilisées pour désigner ces types

176
d’activités verbales: même s’il y a des différences (singulier vs pluriel
pour le nom des actes en série), la plupart de ces étiquettes méta-
linguistiques encodées par les langues suivent des logiques identiques:
un verbe-support quasiment identique (comme faire, dire, exprimer, etc.)
et des nom d’actes, de préférence au pluriel (v. les expressions ci-
dessus).

2.2 Verbes d’activités

Il s’agit en premier lieu de verbes désignant les ACTIVITÉS VERBALES


non par les ACTES qui les composent, mais par la perception d’une ACTI-
VITÉ en cours comme processus unique:
fr raconter an to tell (a story) ro a povesti
fr décrire an to describe ro a descrie
fr argumenter an to make an argument ro a argumenta
fr citer an to quote ro a cita
fr analyser an to analyse ro a analiza
fr se plaindre an to complain ro a se plînge
fr plaisanter an to joke ro a glumi
Notons que ces verbes à la première personne du singulier de l’indicatif
présent ne fonctionnent pas de la même façon que les performatifs d’ac-
tes, car en disant je raconte, je cite, je me plains ou je plaisante, je décris
bien l’activité que je suis en train d’effectuer, mais je n’effectue pas pré-
cisément cette activité lors de la prononciation de ces mêmes énoncés.
Notons aussi que ces activités verbales ont été en partie théorisées par
plusieurs chercheurs (en narratologie, en rhétorique, en analyse du dis-
cours, etc.), notamment les séquences de type narratif (le récit), les sé-
quences descriptives et les séquences argumentatives, et que toutes sont
vues dans le cadre des typologies textuelles comme de possibles textes.
Pour ce qui est des autres activités, la citation a été généralement décrite
comme procédé d’insertion ou stratégie discursive intertextuelle / poly-
phonique, l’analyse comme une opération cognitive et, enfin, la com-
plainte et la plaisanterie (l’anecdote) plutôt comme types de texte. Le
fait que les langues les désignent par des verbes uniques atteste que ces

177
types d’activités sont mieux perçus comme unités que d’autres activités,
pour lesquelles les langues n’ont pas des étiquettes si bien définies.
Voici quelques exemples pris à un corpus de textes où les locuteurs
parlent des activités verbales qu’ils sont en train d’effectuer: ANALYSER,
en (8), DÉCRIRE, en (9), PLAISANTER, en (10).
(8) ANALYSER
c’qui nous intéresse c’est vraiment l’existence de ce symbole-l- et la perma-
nence du symbole dans la société euh française\ alors\ essayons d’ANALYSER
un p’tit peu/ (Corpus Pop)
(9) DÉCRIRE
(9a) Elle: [...] Nous avons cherché partout, mais nous ne l’avons pas trouvé.
Odette croyait que c’était un bruit dans le radiateur. (Un temps.) Mais c’est
vrai. Dans une vraie maison, il y a UN CHAT. Qui se promène, qui a ses par-
cours.
Lui: Qui pisse partout, oui, pour marquer son territoire. Ce que tu appelles
une maison, pour lui tu n’imagines pas ce que c’est. Un lieu sauvage, plein
d’odeurs. Des odeurs qu’il affectionne, qui l’inspirent. Celles de la poubelle,
celle du linge sale. Et qu’il défend contre les incursions des autres en pissant
aux quatre coins. Régulièrement, quatre fois par jour, de peur que le parfum
s’atténue.
Elle: CE QUE TU DÉCRIS, c’est le comportement d’un mâle. D’un mâle entier.
Nous, nous le ferons couper. (D. Sallenave, Conversations conjugales)
(9b) L2: şi:: în comuna Vulcani erau doi copii- mă duceam la vaccinare şi-i ve-
deam mereu singuri- cel mic era atîta de drăguţ /\ şi mă gîndeam- oare copilul
ăsta va rezista în mizeria aceasta în care erau/ CUM SĂ VĂ DESCRIU- era un pat
din pociung\ aşa se spune la ţară- deci din nişte pa:ri pe cari erau bătute nişte
scîndure- şi nişte haine însleite de mizerie/\ era un sugar micuţ\ iar un o mo-
gîldeaţă de fetiţă- plină de:: fum de funingine- se în::vîrtea prin casă\ cînd mă
duceam la vaccinări vedeam copilul acela me: copiii aceia mereu singuri\ era
o iarnă- era FRIG\ şi mă gîndeam- oare sunt copii în casă/ pot să intru acolo/
şi-mi zic î:: vecinii da\ sunt\ aşa cu inima mică cît un purice/\ să zic aşa- am
intrat în casă că mă gîndeam că îi găsesc îngheţaţi/ nu nu altceva \ copiii erau
vii (Corpus Pop)
(10) PLAISANTER / DÉCONNER
(10a) – Ecoute, je crois que j’ai un truc pour toi. Il faudrait que je le fasse venir de
Rome ou de Turin. Tu sais ce qu’elles s’achètent – tour de bras, les filles, l--
bas, pour séduire et retenir les mecs? Des soutiens-gorge et des petites culot-
tes - la fraise ou au chocolat.
– TU TE FOUS DE MOI OU QUOI!
– Mais non, JE TE JURE, C’EST TRÈS SÉRIEUX. J’ai lu ça dans un journal italien.
(Cl. Sarraute)

178
(10b) L: domnul Meleşcanu/\ vi se pare să aibă şanse/
I: domnule\ Meleşcanu pentru mine:/\ e o:: e un mister/\ aşa\ el are o delica-
teţe::- dacă vrei înnăscută/\ care nu se compară ă:: cu:: candidaţii lu’::- dacă
vreţi cu restul candidaţilor/\ adică e un om care n-a supărat pă nimeni/\
L: stai domnule/\ domnul Constantinescu nu e delicat/\ sau ce vreţi să spune-
ţi/
I: ă: ştii că este două soiuri/\ delicat\ şi cum se cheamă chestia aia/ care se se
pune în supă/ mai există::-
L – a\
I: ă: cum/ ştii domnule/\ e DELICAT şi: - VEGETA\ domnul Co- CRED CĂ DOMNUL
CONSTANTINESCU E VEGETA/\ mai degrabă\ [rîs] deşi: nn nu\ nu\ cred că iniţial
avea o: Csilla/\ un soi de delicateţe d-asta/\ pentru că s-a: în cadrul partidului
sau a celor care-l cunoşteau\ nu pot să spun/\ prin atitudinea lui chiar faţă de
războiul din Balcani/\ şi faţă de alte chestii/\ nu\ e: ă: e genul care se dă spor-
tiv/\ fără să aibă muşchi la purtător\ DECI nu\ nu\ nu e\ nu-i delicat\ nu\
L: poate-i avea acasă/\
I: Meleşcanu nu- Meleşcanu de la îmbrăcăminte/\ de la: gesturi/\ ă: aşa\ deşi
unii pun pă seama soţiei care-l îmbracă- nu-i adevărat/\ nu\ el are: ca structu-
ră/\ el are drept biografii lui care-i (plăteşte şi-l îmbracă)\
L: şi dacă-l îmbracă soţia/\ ce-are domnule/ ce/
I: PĂ TINE TOT NEVASTĂ-TA TE: îţi dă bretelele alea/
L: da’ ce-are / da’ ce-are dacă-l îmbracă soţia/ e prost/
I: nu că sincer/\ să ştii c-ai fost ironizat cu bretea/\ acuma văd ca ţi-ai pus
bretele mai estompate/\ aşa\ ţi-ai pus albastru xxx -
L: îmi iau mîine unele portocalii/\
I: cum/
L: îmi iau mîine unele portocalii/\
I: da’ te rog nu\ insistă că tu ai avut succes cît aveai bretele care săreau în
ochi\ acuma nu xxx\
L: îmi iau unele portocalii mîine/\
I: ţi-ai luat bretele albastre cu roşu/\
L: să le mai asortăm\
I: şi cravata ţi-ai asortat-o/\
L: să le mai asortăm\
I: nu \ eşti mai fin îmbrăcat/\ şi mîine-poimîine eşti calapodul eleganţei/\ (rîs)
L: da da’ n-am trabuc\ n-am trabuc\ n-am trabuc\
I: da\ da\ DECI nu:/ Meleşcanu e un ă: - eu fac un studiu asupra lui/\ şi mai
studiez la el/\ nu că e un fenomen interesant/\ ştii/ ă: succesul lui care e neaş-
teptat/\ pentru că ă: n-a atacat/\ de obicei în România ai succes/\ cum avem
dacă vrei şi noi aicea/\ (Corpus Pop)

Dans ce dernier type de séquence (10), les locuteurs sont perçus comme
disant des «bêtises», comme ayant «dérivé» dans un discours non sé-

179
rieux, et les langues détiennent toutes une variété d’expressions pour
nommer ce type d’activité. Ainsi, les Français utilisent dire des bêtises,
des conneries, et se sont même forgé le verbe déconner. Dans toutes les
langues, les expressions sont généralement métaphoriques pour nommer
cette déviation du «droit chemin» du discours:
ro a deraia, a se prosti
fr déconner
an to adopt a light-hearted note…

Dans l’exemple (10), l’invité et le modérateur d’un talk-show roumain


glissent facilement du thème politique qu’ils sont en train de développer,
et du ton sérieux initial, vers des thèmes culinaires (produit d’assaison-
nement), vestimentaires (bretelles) et de la vie conjugale (les femmes des
politiciens), le tout, par un esprit moqueur, par des jeux de mots faciles,
etc. Les retours vers le thème initial et le ton sérieux se font par le mar-
queur «conclusif» deci (‹donc›), à interpréter comme marqueur de fin de
parcous (cf. infra, Chapitre 12 Parcours discursifs et marqueurs: le cas
de eh bien).

2.3 Locutions indiquant des «séquences-blocs»

D’autres expressions sont des noms au singulier (très rarement au plu-


riel), désignant des ACTIVITÉS DISCURSIVES perçues comme globales et
non comme étant composées d’une suite d’actes. Ces noms peuvent être
utilisés avec le verbe-support faire. Il s’agit d’activités discursives appe-
lées INTRODUCTION, RÉSUMÉ, ÉVOCATION(S), PANÉGYRIQUE, DISSERTA-
TION, DIGRESSION, pour lesquelles les trois langues utilisent des expres-
sions plutôt identiques:
fr faire une introduction an to make an introduction ro a face o introducere
fr faire un résumé an to make a resumé ro a face un rezumat
fr faire une évocation an to evoke ro a face o evocare
fr faire un panégyrique an to make a panegiric ro a face un panegiric
fr faire une dissertation an to make a dissertation ro a face o disertaţie
fr faire une digression an to digress ro a face o digresiune

180
Les exemples (11)-(16) qui suivent illustrent quelques-unes de ces sé-
quences. Remarquons de nouveau que ces opérations métadiscursives se
font avec ou sans marqueurs explicites:
(11) FAIRE UNE INTRODUCTION
R mesdames messieurs bonjour/\bienvenue à ZIG ZAG CAFÉ--on peut
s’applaudir là pour un- des BONNes habitudes/\ […] [applaudissements]
(TV5 Zig Zag Café)
(12) FAIRE UN RÉSUMÉ / UN SOMMAIRE
F1: voilà\ d’accord\ donc euh\ comme j’vous l’ai dit on va parler plus lon-
guement tout à l’heure/ et là-d’ssus ou va tout de suite voir le MEnu du jour
je vous XXX tout de suite/ il est pas light\ EN SOMMAIRE aujourd’hui […]
nous irons faire un p’tit tour en Angleterre\ assister au championnat du
monde/ [grimace] vous verrez XXX un groupe XXX dans ces disciplines\
XXX les pays chauds/ les nuits caliente/ il fait des ravages partout où il
passe/ ce soir il vient enflammer le plateau/ XXX Enrique Iglesias [musi-
que]/\ (TV5 Union libre)
(13) ÉVOCATIONS
Lui: (Sans l’écouter.) J’essaie. Je ferme les yeux, je retiens mon souffle, ou
bien je les ouvre très grands, dans le noir, et je me dis, ce doit être comme ça,
on ne voit rien, on croit qu’il fait tout noir, mais il ne fait pas noir du tout, il
fait au contraire un grand soleil. Et on n’y voit rien quand même.
Elle: C’est complètement ridicule. Arrête ces ÉVOCATIONS morbides. (D.
Sallenave, Conversations conjugales)
(14) FAIRE UN PANÉGYRIQUE
– Moi qui m’endors sur tous les livres – la deuxième page, j’ai lu le sien
d’une traite. Sans passer une ligne. Je le trouve génial!
En tant qu’adhérente au mouvement «pour la défense de la langue française»,
l’impropriété du terme «génial» en la circonstance me titille l’oreille. Mais
moins cependant que la SUITE DE SON PANÉGYRIQUE:
– C’est vraiment une femme super! Qui est restée cool! Qui la ramène jamais!
Pourtant, avec la vie qu’elle a eue… (F. Dorin, Vendanges tardives)
(15) FAIRE / ESQUISSER UNE DISSERTATION
L--dessus, Faugerand esquissa UNE VAGUE DISSERTATION sur le cynisme
comme expression de la pudeur, qui sentait tant le réchauffé que Julien eut
envie de conclure que tout l’art de la conversation salonnarde résidait vrai-
semblablement dans la constitution d’un stock de péroraisons régulièrement
répétées. (M. Bredel, Les petites phrases)
(16) FAIRE UNE DIGRESSION
– Je suis le fils de votre amie Marguerite, la Bretonne du «Chapeau Rond».
C’est une autre Clairette, Iris Morbleu, qui m’a donné votre adresse. Je

181
m’appelle Keran comme mon grand-père maternel, Zapelli comme mon père
et parfois Bégonia, comme le clown qui fut mon parrain.
La Bretagne et l’Italie cohabitent sur son visage… dangereusement! La ru-
desse de l’une, présente dans son regard bleu marine et ses traits forts, est
compensée par le charme de l’autre, focalisé dans son sourire et dans ses
gestes. – part quelques romantiques purs et durs, tout le monde reconnaît que
le corps parle avant la tête et que la seconde ne fait qu’obéir aux ordres – par-
fois imbéciles – du premier. D’ailleurs, s’il est courant de dire ou de lire «que
les amants se sont aimés au premier regard», il ne vient – personne l’idée de
dire – ou d’écrire – «ils se sont aimés – la première phrase». Encore que moi,
je le pourrais… Mais, quand il a prononcé sa première phrase, Keran, je
l’avais déj- vu. Le mal était déj- fait.
Pardon, saint Pierre, de cette DIGRESSION! J’EN REVIENS À MES MOUTONS.
(F. Dorin, Vendanges tardives)

Par rapport aux séquences en série, les séquences-blocs semblent être


perçues et donc se définir comme des entités distinctes non en raison de
leur configuration interne, comme les premières, mais par rapport au
discours insérant. Ainsi, une INTRODUCTION n’est «introduction» qu’en
raison de sa position dans un discours plus ample, une DIGRESSION n’est
«digression» que par rapport au discours-base, un RÉSUMÉ n’est «résu-
mé» que par rapport à un autre discours, etc. Une perspective intra- ou
interséquentielle semble donc expliquer ces types de séquence, et si pour
les séquences en série, c’est la première qui est en jeu, pour les séquen-
ces-blocs, c’est plutôt une perspective interséquentielle qui est responsa-
ble de la catégorisation.
Une dernière remarque concernant ces catégorisations: les étiquettes
nominales attestent un statut mieux stabilisé des séquences comme caté-
gories discursives, et ce, pour la simple raison que les catégories-noms
recouvrent en général des concepts mieux délimités que d’autres.

3. Quelle définition pour les séquences?

Différentes perspectives doivent être retenues pour pouvoir mieux définir


ce qu’on appelle séquence en général, et le poids de l’une ou de l’autre
peut être un critère pertinent de distinction.

182
3.1 La séquence dans l’acception courante

La définition générique de la catégorie séquence semble être fondée en


premier lieu sur l’idée de suite, et deuxièmement sur un sentiment de
différence: une séquence est perçue comme telle en raison d’une diffé-
rence quelconque (de fonction ou autre) avec un segment discursif pré-
cédant ou suivant. Voici les acceptions du mot séquence dans le Petit
Robert:
1. Liturg. Chant rythmé qui prolonge le verset de l’alléluia (– la messe) ou le
trait. 2. – certains jeux, Série d’au moins trois cartes de même couleur qui se sui-
vent; au pocker, Série de cinq cartes qui se suivent, de couleur quelconque. 3. Au
cinéma, Suite de plans constituant un tout sous le rapport d’une action dramati-
que déterminée. 4. Ling. Suite ordonnée de termes.

L’idée de suite est présente dans toutes ces acceptions, celle de série
e e e
homogène dans la 2 et la 4 , celle d’insertion dans la 3 acception, alors
que celle de différence n’est impliquée que dans la première.

3.2 La séquence discursive

Définir la séquence en tant qu’unité discursive semble rencontrer plu-


sieurs problèmes, dont les plus importants pourraient être liés aux possi-
bles confusions avec d’autres unités discursives naturelles; avec des ac-
tes, mouvements, échanges, paragraphes, textes ou segments de textes,
ou, selon Kerbrat-Orecchioni (1990: 219), avec des transactions, épiso-
des, phases, sections, etc., chez divers auteurs. Rappelons que les sé-
quences sont plutôt intuitivement définies:
– sur les fonctions qu’elles sont censées accomplir (FAIRE DES PRO-
MESSES, DONNER DES EXPLICATIONS, FAIRE DES REPROCHES), et de
ce point de vue elles ressemblent aux actes. La confusion est notam-
ment possible pour les séquences en série, qui semblent se définir
comme ayant une seule force illocutionnaire pour tous les actes qui la
composent. Rappelons que la notion de macro-acte (cf. Van Dijk
1977, apud Kerbrat-Orecchioni id.) est fondée sur cette même catégo-
rie.

183
Activité et action sont des notions plus ou moins précises dans ce qui s’appelle
«théorie de l’action», et elles s’y confondent avec les notions d’acte de la théorie
des actes de langage, par exemple. On peut le voir dans les définitions suivantes,
reprises à Bange (1992):
(i) «un comportement d’un individu dans une situation donnée est une ACTION
lorsqu’il peut être interprété selon une intention en vue de la réalisation d’un
but qui lui donne un sens» (p. 207);
(ii) «ACTION (des complexes d’activités comme demander et donner un conseil
qui forment un tout – à la réalisation duquel les participants doivent coopé-
rer)» (p. 64);
(iii) ACTIVITÉ – «la totalité complexe de processus reliés par une orientation
commune et par un but déterminé»; «schémas d’activités comme la narra-
tion, la description, l’argumentation» (pp. 11, 64; c’est moi qui souligne).

– comme délimités par des marqueurs (prosodiques ou verbaux), et de


ce point de vue elles ressemblent aux mouvements discursifs ou aux
périodes (composés, comme les séquences, de plusieurs énoncés qui
s’enchaînent, ils se confondent facilement);
– comme segments de discours appartenant à un locuteur ou à un autre,
et de ce point de vue elles peuvent se confondre avec les tours de pa-
role ou les interventions;
– comme unités dialogales (par opposition aux unités monologales), et
de ce point de vue elles peuvent s’assimiler aux échanges (cf. aussi
séquence minimale chez Bange 1992, 46);
– comme segments de texte thématiquement distincts, et de ce point de
vue, elles peuvent se confondre avec les paragraphes, dans les struc-
tures monologales, ou les transactions, dans les structures dialogales;
– comme segments de texte délimités dans l’espace textuel (introduc-
teur, conclusif, etc.), et de ce point de vue elles se confondent facile-
ment avec des «parties» d’un texte: celles qui sont unanimement re-
connues comme organisatrices de textes: INTRODUCTION, EXPOSI-
TION, CONCLUSION.
Rappelons qu’en ethnométhodologie la notion de séquence est utilisée notam-
ment pour désigner les parties introductives (l’entrée) et conclusives (la sortie)
d’une conversation (de règle sections rituelles), ou encore les insertions latérales,
n’ayant pas de rapport thématique avec la partie définitoire de l’interaction (cf.
Levinson 1983 ou Bange 1992, 50 et suiv.: PRÉ-SEQUENCES / SÉQUENCES D’OU-
VERTURE, SIDE SEQUENCES / SÉQUENCES LATÉRALES, CLOSING SEQUENCE / SÉ-
QUENCES DE CLÔTURE). Dans le cadre de cette même théorie, la séquence «est un
système qu’il est possible de délimiter; qui est constitué d’éléments (qui peuvent

184
être des sous-systèmes) ayant des relations entre eux: ces relations définissent la
structure du système; enfin, ce système a une ou des fonctions dans un système
qui l’englobe: cette fonction de la séquence correspond au but (ou au sous-but) à
réaliser. Les éléments constitutifs des systèmes sont eux-mêmes des sous-sys-
tèmes, jusqu’au système élémentaire. […] une séquence ne peut être définie que
relativement aux sous-séquences qui la constituent et relativement à la ou aux
fonctions qu’elle a dans une séquence qui l’englobe» (Bange 1992: 172). C’est
dans ce même cadre qu’on distingue une structuration à plusieurs niveaux de l’in-
teraction – des niveaux s’associant pour constituer une structuration locale,
d’autres s’associant pour constituer une structuration globale (cf. id.: 63). Les
activités représenteraient ici des structures globales et les actions, des structures
subordonnées; la séquence, quant à elle, y est vue comme une unité «naturelle»
enchâssée dans une interaction (SÉQUENCES DE RÉPONSE, DESCRIPTIVES, NARRA-
TIVES, INFORMATIVES, etc.).

Tout comme les séquences, les catégories intuitives de partie, épisode,


section, étape, phase sont des notions vagues, d’utilisation courante,
correspondant à des unités cognitives / modèles cognitifs de l’usage. Ce
sont des notions fondé(e)s sur des critères ou «niveaux de structuration»
multiples (cf. Berrendonner & Reichler-Béguelin 1989; Kerbrat-Orec-
chioni 1990: 218-219; Kallmeyer, apud Bange 1992: 64). Chaque acti-
vité se définirait alors, par rapport à d’autres activités, sur un critère dif-
férent; pour les exemples (1)-(16) ci-dessus:

Critères Activités
une opération cognitive ANALYSER, FAIRE DES HYPOTHÈSES
objet de séquentialisation NARRER, DÉCRIRE, ARGUMENTER
l’identité du locuteur CITER
convention / modalité discursive PLAISANTER
nouveauté de l’information DONNER DES NOUVELLES/EXPLICATIONS
attitude du locuteur FAIRE DES REPROCHES / EXCUSES / REMARQUES /
UN PANÉGYRIQUE
rapport intratextuel INTRODUCTION, CONCLUSION, RÉSUMÉ,
DIGRESSION

185
3.3 Le niveau intermédiaire de structuration:
entre les ACTES et les TEXTES

Une dernière remarque quant à la façon dont on catégorise les séquences


concernerait le niveau de catégorisation de ces unités. Elles se situent
d’évidence au niveau intermédiaire de structuration des unités, entre les
unités globales (ou maximales: TEXTES) et les unités locales (minimales:
ACTES). Leur statut n’est pour autant pas stable, car si certaines séquen-
ces se constituent facilement en entités au niveau global sous forme de
TEXTES (se plaindre / plainte; raconter / récit; plaisanter / anecdote;
apporter des nouvelles / nouvelles, etc.), d’autres, au contraire, se cons-
tituent plutôt en entités au niveau local, sous forme d’ACTES (promesse,
compliment, bêtise). Enfin, nombre d’activités discursives restent fluc-
tuantes, car on peut bien dire DÉCLARATION ou COMMENTAIRE et enten-
dre par là un acte, une séquence ou un texte tout entier. Ce type de phé-
nomènes a été désigné du nom d’«unités à géométrie variable», recou-
vrant, par des processus de catégorisations pratiques, des classes plutôt
floues (cf. Berrendonner & Reichler-Béguelin 1989). Le niveau intermé-
diaire de structuration dont il est question ici et auquel se situeraient les
séquences coïnciderait – suivant les genres G1 (macro), G2 (meso), …
distingés par Kerbrat-Orecchioni (2003) – avec le niveau de catégorisa-
tion meso G2. Un métalangage concernant les niveaux de structuration
semble bien prendre forme.

4. Conclusions

4.1. J’ai essayé dans ce chapitre d’attirer l’attention sur la problématique


d’un type d’unités situées entre le niveau de structuration global (TEXTE)
et local (ACTE) du discours et qu’on appelle souvent par le nom assez
vague de séquences. Correspondant non pas à des ACTES isolés, mais à
des groupements d’actes qu’on perçoit notamment comme ACTIVITÉS,
ces unités semblent avoir été moins abordées en raison justement de leur
statut souvent fluctuant entre un niveau et un autre de la structuration

186
discursive, ou encore parce que leur insertion dans les textes ne semble
pas suivre des règles très évidentes.
4.2. J’ai tenté de donner un aperçu général des appellations courantes
qu’utilisent les locuteurs pour les désigner, afin de cerner plus ou moins
les catégories qui s’en détachent. Ainsi, j’ai recensé dans la langue cou-
rante des expressions verbales constituées d’un verbe-support, sémanti-
quement appauvri (du type faire, exprimer, apporter, donner, lancer,
avancer, etc.), auquel s’ajoute de règle:
(i) un nom déverbal, très souvent au pluriel (désignant, justement, une
série d’actes répétés), ou
(ii) un substantif au singulier indiquant le nom d’une activité verbale.
Trois types de verbes-support ont été distingués dans ces expressions:
Des verbes «incolores» du Un substantif déverbal au pluriel, indiquant la
type faire répétition d’ACTES identiques:
PROMESSES, SUGGESTIONS, COMMENTAIRES,
Des verbes de dire: AFFIRMATIONS, ARGUMENTS, EXPLICATIONS,
dire, exprimer… + HYPOTHÈSES, PROPOSITIONS, INJURES,
LAMENTATIONS, BÊTISES, INDICATIONS,
Des verbes plus ou moins PRESCRIPTIONS, CONSEILS, CONFIDENCES…
métaphoriques: Un substantif indiquant le nom d’une ACTIVITÉ:
apporter, donner, avancer, INTRODUCTION, RÉSUMÉ, RÉCIT, DESCRIPTION,
lancer, se perdre en… ARGUMENTATION, PLAINTE, APOLOGIE,
DIGRESSION, PLAISANTERIE…

4.3. J’ai essayé de proposer quelques repères pertinents pour leur défini-
tion. Partant du constat que les séquences sont des unités multi-critères,
il m’a semblé utile d’en détacher ceux qui semblent définitoires pour les
séquences. Je donne de (i) à (v) ci-dessous quelques couples critère –
caractéristique qui semblent jouer dans la définition des séquences dis-
cursives:
(i) le niveau de structuration: intermédiaire;
(ii) la compositionnalité: suite d’actes formant une activité complexe;
(iii) un critère thématique ou fonctionnel: thème ou fonction détachables;
(iv) leur perception comme entités closes: marqueurs de complétude;
(v) leur perception comme entités distinctes d’autres unités qui les pré-
cèdent ou leur succèdent dans le discours: position dans le texte;

187
unités verbale appartenant à des locuteurs distincts; attitudes dis-
tinctes des locuteurs, etc.
4.4. Il semble dès lors que l’approche de ces unités discursives devrait
plutôt s’effectuer en termes de programmes / parcours discursifs, et c’est
ce que j’ai essayé de voir en traitant ce qu’intuitivement est appelé «fil
du discours» dans Pop 2003a, ou infra, Chapitre 12 Parcours discursifs
et marqueurs: le cas de eh bien.

188
Chapitre 11

Parcours discursifs et séquence


argumentative: une histoire de coulisses

Ce chapitre traite d’un type de séquences discursives, parenthétiques par


excellence, dont la fonction principale est celle d’effectuer un travail
explicite au niveau des savoirs à partager, du connu et du nouveau (cf.
aussi Combettes 1992), ou de ce que l’on appelle mémoire discursive. Il
s’avère que certaines de ces opérations n’ont effectivement qu’une perti-
nence purement informative, mais d’autres sont utilisées par les locuteurs
pour leur pouvoir argumentatif. Il s’agit d’un type particulier d’argumen-
tation, non planifiée ou «hors parcours», celle qui s’inscrit, discrète et
passagère, sur le plan second des discours non nécessairement argumen-
tatifs. Le modèle des «espaces discursifs» (Pop 2000a) a été utilisé pour
mieux visualiser la place qu’occupent, dans l’hétérogénéité constitutive
des discours, ces opérations d’arrière-fond. Quelques types d’actes spé-
cifiques ont ici été décelés, dont les plus fréquents sont:
– les INFORMATIONS NOUVELLES (donnant à l’interlocuteur les «savoirs
à partager» pour la bonne réception du discours et effectuant le plus
souvent des recadrages);
– les RAPPELS;
– les TOPOÏ;
– les JUSTIFICATIONS.
Si les trois premières catégories ne sont qu’indirectement argumen-
tatives, la dernière l’est par excellence. Ont également été retenus cer-
tains marqueurs spécifiques à ces parcours discursifs.
Les remarques qui suivent s’inscrivent dans une approche linguisti-
que de l’argumentation, sans concerner directement les discours argu-
mentatifs proprement dits. Ce que je me suis proposé ici est de jeter un
regard sur une catégorie de petites séquences argumentatives, celles,
notamment, qui ne se montrent pas comme telles et qui effectuent un
travail explicite au niveau de la mémoire discursive des locuteurs. Plus

189
précisément, je m’intéresserai ici d’un côté à la structure de ce type par-
ticulier de séquences, parenthétiques par excellence, ainsi qu’aux mar-
queurs qui en indiquent les frontières pour les délimiter sur tel ou tel
parcours discursif. Par rapport aux autres types de séquences argumen-
tatives, construisant leurs arguments sur des données objectives, subjec-
tives, interpersonnelles, interdiscursives, etc. du discours, le type observé
ici puise les arguments dans le fonds des connaissances communes des
interlocuteurs. On verra que ce travail montré qu’effectuent les locuteurs
sur les présupposés du discours, travail par excellence de l’arrière-plan, a
très souvent une pertinence argumentative.
Mes constatations s’appuient sur des exemples de discours non pro-
grammés d’avance, appartenant à l’oral, que j’ai en partie repris à des
corpus existants (les Onze extraits de corpus chez Blanche-Benveniste
1990 pour le français, ou CORV pour le roumain), et en partie à mes pro-
pres corpus, en français et en roumain (référencés ci-après Corpus Pop).

1. Une histoire d’arrière-plan:


des savoirs à partager aux savoirs partagés

Comme je le montrerai dans le chapitre suivant sur le marqueur eh bien,


il s’avère clairement que les locuteurs / scripteurs signalent souvent les
passages qu’ils effectuent, en parlant ou en écrivant, du plan second vers
le premier plan du discours, et que les opérations s’effectuant à chacun
de ces niveaux demandent encore d’être soigneusement analysées. D’un
autre côté, il apparaît clairement que les opérations d’arrière-plan peu-
vent avoir des configurations diverses, en fonction du type de discours
ou, plus précisément, des intentions de communication ponctuelles des
locuteurs. Enfin, que sur les différents types d’informations (cf. Pop
2000a) les «connaissances partagées» (ou présuppositions) soient par
excellence des opérations d’arrière-plan me semble une évidence, si l’on
pense à la dichotomie discursive posé vs présupposé ou à toutes les lois
«de progression» dans le discours, imposant l’apport d’information nou-
velle et proscrivant l’information dite «connue».

190
Mais ces «connaissances partagées» dont parlent les linguistes ne sont
pas toujours si évidemment «partagées» par les locuteurs, qui, eux, ont
besoin de vérifier si leurs partenaires disposent ou non des informations
nécessaires pour une bonne réception du discours. Ce qui amène les lo-
cuteurs:
a. pour le cas idéal des discours programmés d’avance, à «préparer le
terrain» de leur entretien (c’est le cas des INCIPITS / CADRES DISCUR-
SIFS); ou,
b. pour le cas des discours non programmés, spontanés, à effectuer
des contrôles ou des ajustements périodiques au niveau des «savoirs à
partager», à l’aide de séquences parenthétiques, de retour, et renouer
ensuite le «fil discursif» de façon plus ou moins explicite.
La première catégorie de cas observés ci-dessous concernera les savoirs
(supposés) non partagés (1.1.), que les interlocuteurs introduisent expli-
citement dans le discours afin d’effectuer une sorte de «remise à jour»
des informations entre eux et leurs partenaires. Dans un deuxième temps,
il s’agira des savoirs partagés (1.2.), que les locuteurs n’ont qu’à «rap-
peler» à leurs interlocuteurs. Pour les deux situations, on verra que ces
informations offertes aux interlocuteurs pour égaliser les «connaissances
d’arrière-plan» ont parfois une simple visée informative (et sont donc
perçues comme actes ou séquences d’INFORMATION), mais que, très
souvent, elles sont utilisées avec une intention argumentative (et auront
la fonction d’ARGUMENTS). Les exemples illustrent, sur une certaine
échelle de continuité, ce passage, souvent flou, entre informatif et argu-
mentatif.

2. Les savoirs à partager et les remises à jour…

Observons, dans un premier temps, comment introduisent les locuteurs


les savoirs supposés non partagés dans différents types, non nécessaire-
ment argumentatifs, de discours: parcours dialogaux, narratifs, métadis-
cursifs, etc. Une différence s’imposera sans difficulté, celle entre les
discours programmés d’avance, où les informations supposées incon-
nues sont posées en début des séquences (les INCIPITS ou CADRES discur-

191
sifs), et les discours non programmés d’avance, où les informations sont
récupérées en cours de route et d’habitude par des séquences brèves et
passagères, pour ne pas déranger «le fil» du discours. Certaines de ces
séquences d’arrière-plan, essentiellement informatives, acquièrent parfois
une visée argumentative.

2.1 … dans les parcours dialogaux

2.1.1 Les INCIPITS des entretiens


Il est d’usage que, dans les entretiens télévisés – discours oraux préparés
d’avance – les modérateurs présentent leurs invités aux téléspectateurs
en début d’émission. Ils le font par des formules de RAPPEL explicites (v.
1
les exemples de 1 à 4 ci-dessous) :
(1) bonjour/je vous rappelle que vous êtes préfet//de la Marne (TV5, en début
d’entretien télévisé)
(2) je rappelle que Lionel Jospin est votre mari… (B. Pivot, Bouillon de culture)
(3) d’abord donc je vous rappelle le compte rendu est un exercice d’objectivité
et donc encore une fois il s’agit de rendre compte des idées euh: du texte sans
s- apporter d’information personnelles (Corpus Pop)
(4) al cincilea invitat este cel mai solicitat om din ultimele zile// este adevărat
domnule Vulcan? […] deci este vorba despre dl Vulcan… (ProTV, début
d’émission)
(le cinquième invité est l’homme le plus sollicité de ces derniers jours//est-ce
vrai monsieur Vulcan? […] il s’agit donc de monsieur Vulcan…)

D’autres fois, ces RAPPELS sont implicites (comme en 5), ne portant au-
cun marqueur particulier:
(5) Vous publiez votre deuxième roman policier… (B. Pivot, Bouillon de culture)

Dans ces exemples, les locuteurs rappellent, en début d’entretien, les


informations que sont censés connaître leurs interlocuteurs:

1 Qui sont paradoxaux en dehors de ces situations typiques de trilogues télévisuels,


car les invités, auxquels ces formules sont adressées directement, connaissent
mieux que toute autre personne les informations qui leur sont «rappelées».

192
2
– pour les cas (1, 2 , 4), les modérateurs des émissions pour leurs télés-
pectateurs;
– pour le cas (3), un professeur pour ses étudiants.
Ces RAPPELS apparents ne sont pas ici de vrais rappels, même s’ils se
présentent, dans la plupart des cas, sous des formes très explicites; ce ne
sont de vrais RAPPELS que si les auditeurs / téléspectateurs ont déjà con-
nu ces informations, ce qui fait qu’on les perçoit souvent comme de
vraies INFORMATIONS nouvelles, auxquelles les modérateurs préfèrent
assigner cette forme explicite de rappels. Pour les interlocuteurs invités
dans ces émissions, qui n’ignorent sûrement pas les informations qu’on
leur «rappelle» de la sorte, il s’agit bien d’un «trope conversationnel»,
typique des trilogues télévisés.

2.1.2 Les RATTRAPAGES en cours de route


Il y a des cas où les informations d’arrière-plan ne sont pas posées dans
l’incipit / cadre de l’entretien, mais sont récupérées, sur le «parcours
conversationnel» (Dostie & de Sève 1999), en cours de route, en fonc-
tion des besoins ponctuels de la progression du discours. Ce cas est il-
lustré brièvement dans l’exemple (6) ci-dessous:
(6) B: Hé Jean, tu connais pas la nouvelle?
A: La nouvelle… Quelle nouvelle?
B: T’sais là, la vieille poudrière, le long de la rivière au village...
A: Ouais…
B: Bon ben, elle va être rénovée. J’ai rencontré Gaston à la caisse. Il m’a dit
que la municipalité l’avait rachetée pour en faire un site touristique. Qu’est-
ce que t’en penses? (d’après Dostie & de Sève 1999: 11)

Le fonctionnement du marqueur tu sais, plusieurs fois étudié (cf. Da-


voine 1981; Dostie & de Sève 1999), est ici ambigu. D’un côté, son sé-
mantisme indique que ce qu’il introduit serait une information connue
par l’interlocuteur (un RAPPEL), or cette hypothèse est infirmée par son
fonctionnement pragmatique: tu sais introduit le plus souvent une
INFORMATION nouvelle, ce qui semble être le cas en (6) ci-dessus. Mais
ceci n’est qu’en partie valable, car la connaissance de l’objet dont on y

2 Même si connues par les interlocuteurs, en 1 et 2, à qui ils s’adressent directement.


Ce phénomène (un trope télévisuel par excellence) mériterait une étude à part.

193
parle (la poudrière) n’est que supposée commune, et reste donc incer-
taine, raison pour laquelle le locuteur introduit un AJUSTEMENT INFOR-
MATIF par tu sais afin de faire identifier l’objet par son interlocuteur. Dès
que l’acte de référence est confirmée comme réussi (ouais), le référent
ainsi posé peur être pris pour thème de discours. Avec tu sais, l’opé-
ration qui a lieu est une opération complexe, de RÉFÉRENCIATION et de
THÉMATISATION à la fois, vérifiant l’identité de l’objet discursif, et l’acte
de DONNER UNE NOUVELLE n’est, dès lors, qu’indirectement signalé par
tu sais.

2.2 … sur les parcours narratifs

2.2.1 Les incipits narratifs


Comme on l’a déjà vu avec les exemples 1-4 ci-dessus, les informations
d’arrière-plan peuvent servir d’abord comme INCIPITS ou CADRES des
entretiens, tout comme ils servent d’INCIPITS dans les récits traditionnels
(du type: il y avait une fois un roi et une reine…) (cf. aussi Larroux
1994; Joly, A., D. O’Kelly 1998). Les récits oraux utilisent le même
procédé, comme dans (7) ci-dessous, même si les marqueurs diffèrent un
peu:
(7) bon moi enfin on était enfin six enfants à la maison- - maman travaillait […]
et: j’avais ma sœur aînée et mon frère… (repris à Blanche-Benveniste)

On était et j’avais sont ici des thématiseurs, marqueurs spécialisés pour


l’arrière-plan discursif (cf. supra, Chapitre Grands et petits thèmes).
Les «groupes localisateurs» (Combettes 1998: 87) au niveau micro
peut s’étendre au niveau macro du texte et devenir ce qu’en théorie litté-
raire on appelait CADRES avant que les linguistes ne reprennent, eux aus-
si, le terme.

2.2.2 Les RATTRAPAGES en cours de route


Il n’en reste pas moins que, très souvent, beaucoup des informations,
traditionnellemnt prédestinées pour ce procédé typique d’entrée dans le
récit qu’est l’INCIPIT, restent non posées et se verront rattrapées par les

194
narrateurs «en cours de route» (cf. aussi Combettes 1998: 69). En voici
un exemple signalé par vous savez, il y avait et des marqueurs temporels
(l’imparfait, l’adverbe avant) explicitant à l’auditeur, après coup, un
élément du cadre qui n’avait pas été introduit avant (ici l’armoire):
(8) alors pour Noël ce justement là euh mon père il m’avait dit tiens puisque tu
as été – une grande fille – bien gentille c’était la première poupée que j’avais
– à Noël - - il dit mais pour que ton frère ne la touche pas - - euh que quand
tu as besoin tu demandes à maman et tu la donnes – euh elle te la donne vous
savez il y avait de grandes armoires avant – et lui avait mis – en haut de
l’armoire - - et: bon quand j’avais envie je m’amusais (repris à Blanche-
Benveniste)

Après cette parenthèse, la narration est reprise à l’aide de et qui «renoue»


le fil narratif interrompu par la séquence parenthétique. On dirait une
structure du type:
D narration suite de la narration
pp [explication d’arrière-fond]

où la NARRATION occuperait l’avant-plan (ou, en termes d’espaces dis-


cursifs, le plan descriptif du monde D), alors que l’EXPLICATION d’ar-
rière-fond, occuperait le plan second (ou, en termes d’espaces discursifs,
le plan de la mémoire discursive ou des présupposés pp). Or, cette
structure est bien confirmée dans d’autres exemples (v. 9 ci-dessous),
(9) il(s) m’avaient frappée – et j’étais tombée dans: avant il y avait les trottoirs –
les ruisseaux voyez – j’étais tombée là (id.)

Ainsi, après être «descendu» dans l’arrière-plan du récit (marqué en gri-


sé), le locuteur en reprend le fil – ici au sens propre du mot, car c’est une
REPRISE littérale, une répétition presque à l’identique du segment aban-
donné (et j’étais tombée dans: […] – j’étais tombée là). Cette reprise est
précédée d’un marqueur (voyez) qui donne pratiquement «à voir» (pour-
rait-on dire, pour re-sémantiser ce marqueur) ce «tableau» fugitif, «hors-
parcours», à l’auditeur. Ci-dessous, la représentation de ce fragment de
récit en termes d’«espaces discursifs» rend visibles non seulement les
«voies» qu’empruntent les récits (descriptive D, subjective s, interper-
sonnelle Ip, présuppositionnelle pp, paradiscursive Pd, etc.), mais aussi
leurs décalages:

195
(9’)
Ip voyez
s ils m’avaient et j’étais j’étais tombée là
frappée tombée ds:
D ils m’avaient et j’étais j’étais tombée là
frappée tombée ds:
pp avant il y avait les trottoirs – les
ruisseaux voyez
Pd et j’étais
tombée ds:
NARRATION EXPLICATION D’ARRIÈRE-FOND reprise de NARRATION

Enfin, remarquons que par le travail de RATTRAPAGE INFORMATIF en (9),


le narrateur veut effectuer un ajustement dans la mémoire discursive
considéré par lui nécessaire, une sorte de «remise à jour» des savoirs non
partagés, qui n’est en rien argumentative, mais juste informative: c’est un
APPORT D’INFORMATION servant strictement de support à la narration en
train de se faire.
Par contre, dans l’exemple (10) ci-dessous, la locutrice apporte l’in-
formation d’arrière-fond en fin de parcours, et la visée informative sem-
ble se doubler ici d’une visée argumentative: quand on est plus jeune on
monte plus facilement les escaliers. A remarquer dans cet exemple un
marqueur spécialisé pour le travail sur les présupposés (faut dire que),
qui introduit la séquence parenthétique:
(10) j’habi- nous habitions au quatrième étage nous étions perchés/ et hé/ X
c’était le dernier étage– alors aujourd’hui tu tu le sais– l’é- l’escalier moi
c’est– c’est le point noir– je monte difficilement à mon âge– je bute contre
les marches – MAIS LÀ PAS DU TOUT– PAS DU TOUT– CET ESCALIER JE LE
MONTAIS– il faut dire que– euh à ce moment-là j’avais pas soixante-seize
ans hein– mais malgré tout– ton grand-père– disait qu’il était balancé qu’il
était bien balancé cet escalier (id.)

2.3 … sur les parcours métadiscursifs

Des AJUSTEMENTS DE SAVOIRS s’effectuent par les locuteurs non seule-


ment au niveau descriptif-narratif, qui est informatif par excellence, mais
aussi au niveau métalinguistique. On peut le constater quand un nouveau
référent / concept est introduit dans le discours, dont le locuteur suppose

196
que l’interlocuteur n’a pas une connaissance suffisante. Dans l’exemple
(11) ci-dessous, le locuteur introduit un référent supposé difficile à gérer
par l’interlocuteur (le conseil d’administration) et va «le situer» dans la
représentation qu’il suppose être celle du récepteur. Après la PAREN-
THÈSE EXPLICATIVE, il renoue son commentaire par une REPRISE en bon
ben (le projet présenté par le conseil d’administration […] bon ben le
projet euh présenté par le conseil d’administration):
(11) mais dans les sociétés ouvertes: dans dans le capitalisme où nous sommes:-
on ne peut pas savoir si: euh:- à l’assemblée générale extraordinaire le
pro:jet présenté par LE CONSEIL D’ADMINISTRATION puisque c’est le conseil
d’administration de la société anonyme qui- - prép- qui convoque l’assem-
blée des actionnaires- bon ben le projet euh: présenté par le conseil d’ad-
minis- de d’administration dans: son rapport à l’assemblée générale des ac-
tionnaires- on ne peut pas savoir s’il obtiendra la majorité- requise (id.)

A des exemples à visée purement informative comme en (11), s’ajoutent


des cas où les séquences d’arrière-plan ont aussi un rôle argumentatif.
En (12) ci-dessous, l’INFORMATION OBJECTIVE transmise par maman
travaillait est suivie d’une INFORMATION plutôt SUBJECTIVE (euh vrai-
ment difficilement), et pour appuyer cette ÉVALUATION, la locutrice ap-
porte une JUSTIFICATION (parce qu’elle lavait le linge – euh – pour les gens):
(12) bon moi enfin on était enfin six enfants à la maison-- MAMAN TRAVAILLAIT
mais- euh VRAIMENT DIFFICILEMENT parce qu’elle lavait le linge- euh- pour
les gens- et: j’avais ma sœur aînée et mon frère… (id.)

Cette parenthèse explicative est une JUSTIFICATION plutôt MÉTADISCUR-


SIVE, venant appuyer la THÈSE-ÉVALUATION passagère introduite par la
locutrice au cœur de sa narration (les thèses sont notées en petites majus-
cules dans les exemples). Après cette brève séquence argumentative, le
fil narratif est repris par et. En termes d’«espaces»:
(12’)
Md parce qu’elle lavait le linge
s mais vraiment et j’avais ma sœur…
difficilement
D maman et j’avais ma sœur…
travaillait difficilement
pp parce qu’elle lavait le linge
Pd euh
NARRATION THÈSE ARGUMENT suite de la NARRATION

197
Un exemple similaire est (13) ci-dessous, où une THÈSE doit encore être
appuyée ou réfutée. Il s’agit d’une ÉVALUATION NÉGATIVE, formulée
implicitement par l’expression dépréciative cette fille-là, qui doit être
combattue. A une ANTI-THÈSE, glissée brièvement dans le discours
(segments 10-11: fille-là déjà / ça m’a complètement gêné), suivra une
ARGUMENTATION tout aussi brève (12-13: faut dire qu’elle sortait d’une
famille bourgeoise / elle n’était pas du peuple comme moi), car la narra-
tion (ici le parcours discursif principal) ne devrait pas être trop long-
temps interrompue:
(13) BP: mais un jour1/vous racontez cette scène2/
GS: un jour3/elle nous a trouvés4/en flagrant délit avec Boule5/et elle m’a dit
alors6/c’est cette femme-là ou moi7/tu vas la foutre à la porte immé8/c’est
9 10 11
cette fille-là ou moi /FILLE-LÀ DÉJÀ /ÇA M’A COMPLÈTEMENT GÊNÉ / faut
12
dire qu’elle sortait d’une famille bourgeoise /elle n’était pas du peuple
comme moi 13/alors c’était du cette fille-là14/ eh bien j’ai dit15/ce sera cette
fille-là alors16/c’est tout17/ (Apostrophes)
(13’)
Id 7 8 9 10 16
Md 2 3 6 9 10 11 14 15 16 17
Ip 2 8
s 1 3 7 8 9 11 12 13 14 15 16
D 3 4 5 6 15 16
pp 1 2 3 10 12 13
Pd 1 7 8

Cet exemple est plus hétérogène encore: a) parce que l’insertion dans la
narration est double – un COMMENTAIRE MÉTADISCURSIF (10-11 fille-là
déjà ça m’a complètement gêné) + une EXPLICATION D’ARRIÈRE-PLAN
justifiant ce commentaire-thèse (12-13 faut dire qu’elle sortait d’une
famille bourgeoise/elle n’était pas du peuple comme moi) – et b) parce
que dans la narration s’insère à son tour un discours rapporté. Les opéra-
tions sont représentées dans le tableau (13’) comme suit:
1: CADRAGE NARRATIF (opération subjective/présuppositionnelle et paradiscur-
sive en même temps: s/pp/Pd)
2: RAPPEL MÉTADISCURSIF DIAPHONIQUE (pp/Ip/Md)
3: reprise du CADRAGE (pp/D/Ip/Md)
4-5: NARRATION (D)
6: introducteur de discours rapporté polyphonique/narration (Md/D)

198
7: discours rapporté polyphonique, première FORMULATION ÉVALUATIVE
(Id/s/Pd)
8: discours rapporté polyphonique adressé, ÉVALUATION (Id/Ip/s)
9: discours rapporté, polyphonique, ÉVALUATION REFORMULÉE (Id/Md/s)
10: THÉMATISATION d’une formulation, REPRISE POLYPHONIQUE (pp/Md/Id)
11: COMMENTAIRE MÉTADISCURSIF, ÉVALUATION (Md/s)
12-13: JUSTIFICATION de cette évaluation, rattrapage d’information dans la mé-
moire discursive (s/pp)
14: clôture de séquence métadiscursive, COMMENTAIRE SUBJECTIF (Md/s)
15: suite narrative/introducteur de discours rapporté, RELANCE (D/Md)
16: discours rapporté monophonique, CLÔTURE NARRATIVE (Md/D/s)
17: CHUTE NARRATIVE, opération métadiscursive (Md)

Plusieurs «fils discursifs», plus ou moins saillants, peuvent être suivis


dans cette représentation. La narration proprement dite (suivre «le fil
narratif» sur l’espace D: 3-6, 15) est entourée ou coupée par d’autres
opérations, très complexes, et ces différents «fils» vont s’entrelacer.
Après les opérations / parcours inséré(e)s, une reprise du parcours insé-
rant se fait à chaque fois:
– le fil narratif (annoncé par 1-3 et par des marqueurs comme un jour,
le verbe raconter) sera poursuivi d’abord en 4-5, ensuite dans le dis-
cours rapporté 6-9; coupé par le COMMENTAIRE MÉTADISCURSIF 10-
11 et L’INCURSION DANS LA MÉMOIRE DISCURSIVE 12-13, il ne sera
repris qu’en 15 par un eh bien, après la clôture des autres insertions;
le parcours narratif complet va de 3 à 9 et de 15 à 17;
– le fil métadiscursif 10-11, coupé, lui, par L’EXCURSION DANS LA
MÉMOIRE DISCURSIVE 12-13, est renoué par alors 14, nous indiquant
comme parcours métadiscursif complet: 10-11, 14;
– enfin, le parcours dans la mémoire discursive 12-13 est signalé par
faut dire que (en début de séquence); c’est une petite INCURSION
DANS L’ARRIÈRE-PLAN, apportant «les savoirs à partager».

(13) est ainsi un cas d’emboîtement successif de parcours et de sé-


quences, dont celle qui intéresse ici (12-13) est la plus emboîtée: elle
apporte les INFORMATIONS D’ARRIÈRE-PLAN à des fins argumentatives.
Une comparaison entre les exemples (9) et (13) ci-dessus rend aussi
compte de la différence entre séquence explicative et séquence argu-
mentative proprement dite: si les deux types de séquences vont en égale
mesure prendre des informations dans l’arrière-plan du discours, la sé-

199
quence explicative le fait pour appuyer une information «dans le monde»
(DESCRIPTIONS D), tandis que la séquence argumentative appuie néces-
sairement des informations subjectives s (des ÉVALUATIONS D/s).
Un dernier exemple, cette fois en roumain, montre un cas où le mar-
queur deci (‹donc›) du roumain, par excellence conclusif, introduira une
4
INFORMATION D’ARRIÈRE-FOND non comme une CONCLUSION , mais
comme ARGUMENT à une thèse préalable:
(14) POPORUL ROMÂN ARE FARMEC TOCMAI PENTRU CĂ ESTE UN POPOR
AMESTECAT/↓ oricât ne-am da noi o rasă pură:↓ aşa↓ nu suntem arieni cum
vor nemţii → toţi blonzi↓ şi nu ştiu ce↓ în România sunt bruneţi↓ blonzi↓ cu
ochi migdalaţi↓ cu ochi mai oblici/↓ cu urechi mai mari/↓ cu nu ştiu ce/↓ cu
nasul mai cârlionţat/↓ deci ă: am fost la marginea unor imperii care s-au fre-
cat între ele→ Imperiul Otoman şi Imperiul Rus→ în care ă: expansiunea im-
periilor a trecut pe aici↓ asta e↓ d-aia/↓ NU SUNTEM UN POPOR VECHI/↓ oricât
ne-am ne-am aroga noi VECHIMEA ACEASTA CARE NU ARE ATÂT DE MARE
IMPORTANŢĂ/↓ că s-au văzut popoare vechi/↓ care sfârşesc în dramă↓ sunt
pRÂn Africa popoare foarte vechi/↓ care abia au trei ciulini şi o fântână/↓ şi
trăiesc cu toţi din fântâna aia↓ deci nu asta→ (Corpus Pop)
(LE PEUPLE ROUMAIN A DU CHARME JUSTEMENT PARCE QUE C’EST UN PEUPLE
MÉLANGÉ/même si l’on veut passer pour une race pure/bon/on n’est pas des
Ariens comme le voudraient les Allemands/tous blonds/et que sais-je moi/en
Roumanie il y a des bruns/des blonds/aux yeux bridés/aux yeux de tra-
vers/aux grandes oreilles/et ainsi de suite/au nez un peu retroussé/donc euh
nous avons vécu aux frontières d’empires qui se sont frottés les uns contre les
autres/l’Empire Ottoman et l’Empire Russe/où euh l’expansion des empires
est passée par là/c’est ça/c’est pour ça QU’ON N’EST PAS UN PEUPLE ANCIEN/
même si on s’arroge CETTE ANCIENNETÉ QUI NE COMPTE PAS BEAUCOUP/car on
a vu des peuples anciens/qui finissent en drame/il y a en Afrique des peuples
très anciens/qui n’ont que trois chardons et une fontaine/donc c’est pas ça)

Deux THÈSES se glissent ici dans le discours:


(i) poporul român are farmec tocmai pentru că este un popor amestecat
(‹le peuple roumain a du charme justement parce que c’est un peuple
mélangé›), reformulée, après l’insertion, par d-aia nu suntem un po-
por vechi (‹c’est pour ça qu’on n’est pas un peuple ancien›);

4 Une étude sur les emplois du deci du roumain reste à faire, car à sa fonction argu-
mentative, deci cumule ici une fonction de reprise du fil argumentatif, abandonné,
lui, tout de suite après l’énonciation de la thèse.

200
(ii)vechimea aceasta care nu are atât de mare importanţă (‹cette an-
cienneté qui ne compte pas beaucoup›).
L’ARGUMENT appuyant la première est introduit, comme on l’a vu, par
deci (‹donc›) non conclusif, et l’ARGUMENT appuyant la seconde, par că
(‹car› justificatif). La première reprise du fil discursif s’effectue à l’aide
du marqueur d-aia (‹c’est pour ça›), qui indique la fin de la séquence
d’arguments qui précède; la deuxième reprise discursive se fait par un
deci (‹donc›), cette fois conclusif (v. les deux marqueurs, en dehors des
séquences d’arrière-plan). Il reste que ces APPORTS D’INFORMATIONS
nouvelles ne sont pas moins des ARGUMENTS appuyant des THÈSES et
signalés par des marqueurs typiques de l’argumentation.

3. Les savoirs partagés:


RAPPELS, TOPOÏ ou JUSTIFICATIONS

Les opérations effectuées sur les savoirs qu’on sait partager avec l’inter-
locuteur ne peuvent en principe avoir de visée informative proprement
dite, ce qui, automatiquement leur confère d’autres fonctions. Les sé-
quences que j’ai recensées ont, au niveau informatif, des fonctions de
RAPPELS ou de TOPOÏ, et au niveau argumentatif la fonction d’ARGU-
MENT. Parfois, il n’y a aucun marqueur spécifique pour les introduire, tel
le TOPOS en (15) ci-dessous, où seule une rupture intonative marque le
changement de séquence:
(15) BP: vous êtes très naïf/vous êtes timide/ce qui me paraît surprenant/
GS: c’est la vérité/
BP: c’est la vérité/
GS: oui/C’EST PEUT-ÊTRE POUR ÇA QUE QUELQUEFOIS JE PARLE TROP FORT ET
J’ÉLÈVE TROP FORT LA VOIX/c’est comme tous les timides/on a des moments
où on explooose/ (Apostrophes)

D’autres fois, ces opérations se reconnaissent à des marqueurs en grande


partie spécialisés pour les savoirs partagés, tels:
– pour le français: tu sais/vous savez (6), il y a tout de même (16), faut
dire que (10), n’oubliez pas (17), oui oui mais tu as vu (18), etc., ou

201
– pour le roumain: cred că am mai povestit (‹je pense avoir déjà raconté
ça›) (20), de obicei (‹d’habitude›) (22), dacă ne gândim (‹si nous pen-
sons›) (23), nu vă gândiţi (‹ne pensez-vous pas›) (25), nu uita (‹n’ou-
blie pas›) (24), etc.
En effet, si on les observe de près, ces marqueurs rappellent de façon
plus ou moins directe:
– que quelque chose a déjà été dit ou «vu» dans le discours: cred că am
mai povestit (‹je pense avoir déjà raconté ça›); oui oui mais tu as vu;
– que quelque chose n’a pas encore été dit et doit donc se dire (v. le
marqueur il faut dire que);
– qu’il y a quelque chose à quoi les locuteurs n’ont pas pensé mais de-
vraient le faire: dacă ne gândim (‹si nous pensons›), nu vă gândiţi
(‹ne pensez-vous pas›);
– que les locuteurs ont oublié quelque chose: nu uita (‹n’oublie pas›), il
y a tout de même;
– qu’il y a des lieux communs à prendre en considération: de obicei
(‹d’habitude›), etc.
A part cette fonction forte de RAPPEL, la fonction ARGUMENTATIVE est
plus ou moins explicitement marquée:
– par parce que (en 16 et 19), puisque (en 11), pour ça (en 15), pour le
français, et
– par pentru că (‹parce que›) (20), pour le roumain.
Enfin, les TOPOÏ (proverbes) bénéficient, à leur tour, de beaucoup de
marqueurs introductifs spécialisés, comme ştii că este o vorbă (‹tu
connais le mot›) en (21) ci-dessous, pour le roumain. Les exemples qui
suivent illustrent un cas ou un autre des constatations ci-dessus:
(16) BP: bon/vous êtes romantique/vous êtes naïf/vous êtes timide/vous êtes
bon/tout ça/mais n’empêche/
GS: je ne suis pas bon/je suis/j’ai mes défauts comme tout le monde
BP: oui mais enfin/vous êtes/excusez-moi l’expression/VOUS ÊTES UN/VOUS
ÊTES/UN/UN DRÔLE DE LASCAR AVEC LES FEMMES/parce que/ vraiment/ VOUS
ÊTES L’INFIDÈLE TOTAL/et il y a/ tout de même/votre/votre première
femme/vous le racontez là aussi/moi j’aimerais bien/ (Apostrophes)
(17) la logique de l’argumentation doit ressortir dans le compte-rendu↑ euh: mais

202
elle ne doit pas être clairement à euh:exprimé↓ hein↑ comme: donc il s’agit
pas du tout euh de tout dire↑ il y a des évidences bien sûr que la l:’auteur ar-
gumente↓ […] oui↓ autre: autre constat n’oubliez pas↑ dans un compte-rendu
de toujours commencer par présenter l’idée générale↑ hein↑ l’idée euh direc-
trice↑ certains ont commencé le compte-rendu sans euh: la thématique euh:
générale↑ en général xxx dans le titre↑ donc ne sautez pas cette étape↓ hein↑
(Corpus Pop)
(18) W4: alors je crois que le terrorisme il faut savoir de quel côté il est – je
pense que dans ce cas il est du côté de Guyotat mais c’
X3: oui oui mais tu as vu qu’il avait les yeux qui clignotaient il était comme
un: comme un animal qu’on sort en pleine lumière et e on a vu d’autres gens
se ridiculiser à Apostrophes en vendant leurs salades (repris à Moeschler)
(19) BP: vous avez des colères de temps en temps/
GS: rarement/ça ne m’est plus arrivé depuis vingt ans/
BP: depuis vingt ans/
GS: oui/depuis que je connais Teresa/ je n’en ai plus eu/
BP: décidément/ELLE EST EXTRAORDINAIRE/TERESA/elle vous a fait perdre
tous vos défauts/
GS: eh bien/parce qu’elle est sereine26/elle est/je ne sais pas/c’est un Saint
Bernard/elle aussi/si je puis dire/je ne sais pas/enfin/c’est une union vraiment
comme je l’imagine/ (Apostrophes)
(20) L-bun↓ dar de ce v-aţi întâlnit cu Roman↑ de ce nu v-aţi întâlnit cu Constan-
tinescu/↓ la Craiova↑
I- DE CE M-AM ÎNTÂLNIT↑ deci ă:: ă:: întâmplarea face că:→ în clipa în care
Roman/↓ ă:: l-a invitat pă: Andrei Pleşu să fie ministru/↓ fără să fie membru
de partid↓ şi fără să-l oblige să vină↓ mie mi s-a părut că Roman totuşi are:→
nu are prejudecăţile pe care le au ceilalţi: ă politicieni vis-à-vis de a- anumite
personaje/↓ ă:: a fost un mare curaj↓ bine↓ şi o chestie↓ l-a sfătuit cineva/↓
sau el a gândit cu soţia lui/↓ care e o femeie deşteaptă↓ să mizeze pă Pleşu↓
Pleşu e: → Andrei Pleşu e cel mai bun prieten al meu↓ aşa↓ aşa↓ în afară de
faptul că a:m→ ă:: cred că am mai povestit/↓ ă:: acum că au fost alegerile/↓
acum trei ani sau doi ani↓ câţi au trecut↑ trei sau doi↑
L- dÎn96→ trei ani↓
I- trei ani↓ ă: Petre Roman m-a sunat la uşE↓ deşi noi nu eram prieteni↓ şi:: ă:
m-a întrebat dacă vreau să candidez senator sau deputat/↓ şef pe listă/↓ chiar
la top Bucureşti↓ i-am mulţumit/↓ şi i-am zis dom’le/↓ mulţumesc↓ nu ştiu
ce↓ da’ nu mă interesează chestia asta să devin senator sau: deputat↓ DA:R
TELEFONU’ ĂSTA A FOST IMPRESIONANT/↓ pentru că n-a venit la mine nici
PNŢCD-u’/↓ care mizase pă poetesa Leonida Lari/↓ care i-a şutit↓ şi a trecut
imediat la PRM↓ nu↑ nu m-a sunat nici: ă:→ n-a venit la mine nici: ă: Quintu
s/↓ care e epigramist↓ şi având în vedere că şi eu scriu epigrame mai lungi/↓
adică poezii cu mai multe: strofe↓ aşa↓ eram colegi/↓ singurul care a fost la

203
mine acasă/↓ sunând la uşE/↓ a fost Petre Roman↓ asta mi-a rămas cu::→
aşa↓ (Corpus Pop)
(L- bon/mais pourquoi vous avez préféré voir Roman/pourquoi vous n’avez
pas rencontré Constantinescu/→ Craiova/
I- POURQUOI J’AI PRÉFÉRÉ VOIR ROMAN/alors euh euh le hasard fait que – au
moment où Roman/ euh a invité Andrei Pleşu à devenir ministre/sans qu’il
soit membre du parti/et sans l’obliger à devenir/j’ai eu l’impression que Ro-
man a – n’avait pas les préjugés qu’ont les autres euh politiciens vis-à-vis de
certains personnages/euh c’était un acte de grand courage/bon/et autre
chose/ou quelqu’un l’a conseillé/ou c’est lui qui y a pensé avec sa femme/qui
est une femme intelligente/de mettre la mise sur Pleşu/Pleşu est – Andrei Ple-
şu est mon meilleur ami/bon/bon/en dehors du fait que j’ai – euh je pense
avoir déjà raconté ça/euh il y a au moment des élections/il y a trois ou deux
ans/combien sont passés/trois ou deux/
L- depuis 96/trois ans
I- trois ans/euh Petre Roman a sonné à ma porte/on n’était pas amis/et euh il
m’a demandé si je voulais poser ma candidadture pour sénateur ou dépu-
té/tête de liste/dans le top à Bucarest/je l’ai remercié/et lui ai dit mer-
ci/etcetera/mais ça ne m’intéresse pas de devenir sénateur ou député/mais CE
COUP DE FIL A ÉTÉ IMPRESSIONNANT/car ce n’est ni le PNŢCD/qui avait misé
sur la poétesse Leonida Lari/qui les a largués/passant direct au PRM/non/ni
Quintus/qui est épigrammiste/et vu que j’écris aussi des épigrammes plus
longues/c’est-à-dire des poésies à plusieurs strophes/bon/on était collègues/le
seul qui soit venu chez moi/et a sonné à ma porte/a été Petre Roman/ceci
m’est resté avec – bon)
(21) preţul la floarea soarelui e acelaşi din anul trecut în vreme ce motorina// deşi
s-a vopsit în roşu/ aşa/ ASTA MI SE PARE E O GĂINĂRIE ROMÂNEASCĂ// ştii că
este o vorbă la un moment dat domnule umbli cu cioara vopsită/ ei bine ăştia
au umblat cu motorina vopsită (id.)
(le prix du tournesol est le même que l’année dernière tandis que le die-
sel//bien qu’on l’ait peint en rouge/bon/C’EST UNE MAGOUILLE ROUMAINE À
MON AVIS//il y a un mot tu sais à un moment donné dorer la pilule/eh bien ils
ont doré le gazoile)
(22) L-domnul Meleşcanu./↓ vi se pare să aibă şanse↑
I-domnule↓ Meleşcanu pentru mine:/↓ e o:: e un mister/↓ aşa↓ el are o deli-
cateţe::→ dacă vrei înnăscută/↓ care nu se compară ă:: cu:: candidaţii lu’::→
dacă vreţi cu restul candidaţilor/↓ adică e un om care n-a supărat pă nimeni/↓
[…] Meleşcanu e un ă:→ eu fac un studiu asupra lui/↓ şi mai studiez la el/↓
nu că e un fenomen interesant/↓ ştii↑ ă: SUCCESUL LUI CARE E NEAŞTEPTAT/↓
PENTRU CĂ Ă: N-A ATACAT/↓ de obicei în România ai succes/↓ cum avem dacă
vrei şi noi aicea/↓
L- dacă atacăm↓
I- nu↓

204
L- da’ dacă nu/↓ atacăm şi ne aparăm↓
I- dacă eram oameni cumsecade/↓ Tucă↓ dacă ăsta-seară/↓ apăream doi băieţi
cumsecade/↓ şi-l lăudam aici/↓ nu aveam succes/↓ UITE CĂ EL NU ATACĂ/↓ ŞI
ARE SUCCES↓ (id.)
(L- Monsieur Meleşcanu/il peut gagner → votre avis/
I- eh bien/Meleşcanu pour moi/c’est une c/est un mystère/bon/il a une cer-
taine délicatesse ─ innée si tu veux/qui ne se compare euh aux candidats de –
au reste des candidats si vous voulez/c’est donc un homme qui n’a fait de mal
à personne/[…] Meleşcanu est un euh – je fais une étude dessus/et ce que
j’étudie encore sur lui/c’est un phénomène intéressant/tu sais/euh SON SUCCÈS
QUI EST INATTENDU/PARCE QUE EUH IL N’A PAS ATTAQUÉ/d’habitude en Rou-
manie on a du succès/comme ici si tu veux/
L- si on l’attaque/
I- non/
L- mais sinon/on attaque et on se défend/
I- si on avait été des gens comme il faut/Tucă/si ce soir/on avait été des gars
comme il faut/et on lui avait passé la brosse/on n’avait pas eu de succès/eh
bien LUI IL N’ATTAQUE PAS/ET IL A DU SUCCÈS)
(23) la începutul acestui mileniu↓ nu mai străbatem singuri istoria↓ îl avem acum
pe Sfântul Apostol Andrei↑ şi proclamat ca apostol al nostru↓ ÎNSEMNĂTATE
COVÂRŞITOARE PENTRU NOI PENTRU ROMÂNI↑ dacă ne gândim↑ că acum opt-
zeci de ani↑ episcopul îndreptăţit↑ ales canonic↑ pentru această eparhie↑ a
fost hirotonit în afara cetăţii ↓ şi-aici trebuie să ne gândim↑ câte eforturi↑ a
pus: acest: binecuvântat slujitor al bisericii noastre în vremea aceea când nu
se puteau face biserici ortodoxe în cetăţile atât de frumoase ale Transilvaniei
şi la Arad↑ şi la Sibiu↑ şi în alte părţi↓ (id.)
(au début de ce millénaire/nous ne parcourons plus seuls l’histoire/nous
avons à nos côtés le Saint Apôtre André/et proclamé notre apôtre/SIGNI-
FICATION IMPORTANTE POUR NOUS LES ROUMAINS/si nous pensons/qu’il y a
quatre-vingts ans/l’évêque en droit/élu chanoine/pour cet évêché/a été sacré
extra muros/et ici nous devons penser/combien d’efforts/a déposés ce servi-
teur béni de notre église à cette époque où on ne pouvait pas faire des églises
orthodoxes dans les si belles cités de Transylvanie et à Arad/et à Sibiu/et ail-
leurs)
(24) LDJ: Tu când aveai vârsta mea <Î Nu aveai durerile astea. Î> Aveai serVi
ciu↑ te sculai voios↑ te duceai la slujbă↑ tropăiai toată ziua↑..
GD: Ba da↓ AM AVUT ŞI EU DURERI.
LDJ: nu nu aveai. <MARC probleme MARC> ca să-ţi (AK) să te mişti. Să
păşeşti ca mine.
GD: Nu uita::↑.. nu uita ↑..c-atunci când eu am plecat pă front↑ îmi lăsasem
acasă . bicarbonatu. Şi . de CINsprezece ani↓ din FRAgedă tinereţe↓ pentru
că mâncam pe la canTine↓ pe la . /Î cantina aia↓ a căminului↓ unde era mân-

205
care PROASTă↓ Aspră↓ făcută de un grăjDAR. . Era o mâncare <Î INAC-
ceptabilă I> pentru /I:. Asta (repris à CORV)
(LDJ: toi quand tu avais mon âge/tu n’avais pas mes douleurs/tu avais un
boulot/tu te réveillais content/tu allais à ton boulot/tu trottais toute la journée/
GD: mais si/MOI AUSSI J’AI EU DES DOULEURS
LDJ: non tu n’en avais pas/des problèmes/pour bouger/pour marcher comme
moi
GD: n’oublie…/n’oublie pas/que lorsque je suis parti sur le front/j’avais ou-
blié à la maison mon bicarbonat/et depuis quinze ans/depuis ma plus tendre
jeunesse/car je mangeais dans des cantines/dans cette cantine du foyer/où la
nourriture était mauvaise/âpre/faite par un valet d’écurie/c’était une nourri-
ture inacceptable/pour/ça)
(25) LDJ: Ca TEme propriu-zise de cercetare?
VJ: Ca TEme↓ zice Să NU vină ecologiştii şi: mai ştiu eu cine să spună să
NU-ntrebuinţăm ierbicide↓ să NU-ntrebuinţăm îngrăşăminte CHImice↓ . sin-
Tetice↓ să NU-ntrebuinţăm nu ştiu ce↓ că nu ştiu ce se-ntâmplă. <R Zice R>
NU FACE DECÂT SĂ DEA ECONOMIA ÎNAPOI↑ SĂ RIDICE PROBLEME ECONOMICE
INSURMONTABILE↑ şi eventual să-i facă pe unii care produc medicamente
aŞA-zis naturiste↓ sau fermele-alea biologice care-s îngrăşate numa cu gunoi
de la animale↑ zice ca să vândă de cinci ori preţul↓ <R zice. R> aTÂta-l fac.
LDJ: să vândă mai (AK) cu preţ mare. Devine o afacere a ecologiştilor.
VJ: Da. <P Exact. Exact. P> Zice Nu vă gân<Î diţi↓> că au fost / î: rezolvate
problema . problema problema: /î: . . . . (AK) probleme GRAve alimentare↓.
In Mexic↓ în India↓ prin aportul↑ ştiinţific↑ modern↑ în agriculTUră↓ care//
LDJ: înseamnă să renunţăm la:
VJ: <R zice R> ÎNSEAMNĂ SĂ RENUNŢĂM LA ASTEA?..E O NEBUNIE. (id.)
(LDJ: comme sujets de recherche proprement dits?
VJ: comme sujets/i disent qu’ils ne veulent pas entendre les écologistes nous
dire de ne pas utiliser des herbicides/de ne pas utiliser des engrais chimi-
ques/synthétiques/de ne plus utiliser je ne sais pas quoi/de peur qu’il n’arrive
je ne sais pas quoi/i disent/ÇA NE FAIT QUE RECULER L’ÉCONOMIE/SOULEVER
DES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES INSURMONTABLES/et éventuellement faire à
ceux qui produisent des médicaments soit-disant naturistes/ou ces fermes
biologiques où l’ont n’utilise que des déchets d’animaux/i disent vendre cinq
fois le prix/ils disent/c’est tout ce qu’ils font
LDJ: vendre plus/à un prix plus grand/ça devient une affaire des écologistes
VJ: oui/exact/exact/i disent/vous ne pensez pas qu’on a résolu le problème/le
problème/les problèmes/euh de graves problèmes alimentaires/au Mexique/en
Inde/par l’apport/scientifique/moderne/en agriculture/qui//
LDJ: ça signifie renoncer à
VJ: i disent/ÇA SIGNIFIE RENONCER À TOUT ÇA/C’EST UNE FOLIE)

206
4. Parcours discursifs et marqueurs

Les séquences discursives que j’ai prises ici en considération sont bien
des unités discursives représentant des opérations d’incursion dans les
connaissances à partager ou déjà partagées par les locuteurs. On vient
de voir les marqueurs qui interviennent plus ou moins explicitement pour
indiquer l’entrée sur ces parcours «hors-piste». Très souvent, la clôture
de ces séquences interstitielles est marquée aussi, mais cette fois, les
marqueurs sont moins spécialisés et se confondent, dans la plupart des
cas, avec les marqueurs de structuration du discours: leur fonction n’est
plus celle d’indiquer le type de parcours qui va être parcouru, mais tout
simplement le fait que celui-ci prend ou a pris fin. On a vu dans les
exemples ci-dessus au moins deux types de marqueurs:
– marqueurs de fin de séquence et
– marqueurs de relance discursive.

4.1 Marqueurs de fin de séquence

Des marqueurs comme voyez (9), aşa (‹ainsi› = bon) (20), signalant la
clôture de la séquence en cours, sont ici de vrais ponctuants, laissant à
entendre que le parcours discursif interrompu va ou peut être repris.
Peuvent également être considérés des marques de clôture les
REFORMULATIONS et les marqueurs de FIN D’ÉNUMÉRATION, qui indi-
quent en général une saturation des séquences descriptives. Il en va ainsi
de l’exemple (19), où le locuteur continue de reformuler jusqu’à l’obten-
tion d’une formule convenable, ou encore de (23), où le locuteur indique
la fin de son ÉNUMÉRATION par şi în alte părţi (‹et ailleurs›). Des mar-
queurs de fin de parcours tout aussi intéressants me semblent les formu-
les corrélatives, qui, dès qu’elles sont «remplies», signalent une structure
complète. Cela semble être le cas avec l’exemple (15) où le locuteur,
construisant une séquence en c’est… c’est… (c’est peut-être pour ça que
quelquefois je parle trop fort et j’élève trop fort la voix / c’est comme
tous les timides), indique les limites du parcours discursif qu’il propose à
l’interlocuteur. Enfin, le POST-THÈME, tel cet escalier en (10), me semble

207
avoir le même rôle, de «boucler» une structure par reprise symétrique du
thème:
mais là pas du tout – pas du tout – CET ESCALIER je le montais – il faut dire que –
euh à ce moment-là j’avais pas soixante-seize ans hein – mais malgré tout – ton
grand-père – disait qu’il était balancé qu’il était bien balancé CET ESCALIER.

4.2 Marqueurs relançant le fil du discours

Ils sont très divers. Ainsi, les parcours narratifs, s’ils sont interrompus
par diverses structures parenthétiques, sont le plus souvent repris par et
(en 8, 12). Un autre marqueur de relance dans mes exemples a été bon
ben (en 11), suivi tout de suite après par une REPRISE LEXICALE. En (13),
c’est le marqueur alors, reconnu, lui, comme structurant. Enfin, dans les
exemples en roumain, j’ai remarqué d’aia (‹c’est pour ça›) et deci
(‹donc›) en (14), plus argumentatifs, mais aussi ei bine (‹eh bien›) en
(21), et uite că (‹voilà que›) en (22) .
5

Dans le sémantisme primitif de certains marqueurs argumentatifs, la


métaphore de la vue est plus d’une fois évidente:
voyez (en 9)
oui oui mais tu as vu (en 18)
uite că (‹voilà que›) (en 22)

Une autre preuve semble en être les marqueurs déictiques, qui, eux, sont
près de la monstration; on en a dans des formules utilisant des déictiques
proprement dits, comme:
aşa (‹ainsi, comme ça›) en (20)
deci nu asta (‹donc c’est pas ça›) en (14)
d-aia (‹c’est pour ça›) en (14)
6
mais aussi des marqueurs interjectifs comme:
ei bine (‹eh bien›), en (21).

5 Pour les équivalents de eh bien en roumain, voir infra, le chapitre 12 Parcours


discursifs et marqueurs: le cas de eh bien.
6 Le caractère déictique des interjections est déjà un lieu commun en linguistique (cf.
Wilkins 1992).

208
5. Conclusions

Mes remarques ci-dessus sont issues de l’observation d’un type de sé-


quences discursives, parenthétiques par excellence, où les locuteurs in-
troduisent des INFORMATIONS dans la mémoire discursive ou réactivent
des informations s’y trouvant à un moment donné. Certaines de ces sé-
quences, décelables sur des parcours discursifs non argumentatifs, s’avè-
rent avoir une pertinence purement informative, mais d’autres sont bien
utilisées pour leur pouvoir argumentatif. Quelques types d’actes et de
marqueurs spécifiques ont été décelés dans ce chapitre, qui ont comme
fonction d’ancrer l’argumentation dans la mémoire discursive. L’appro-
che peut avoir un intérêt multiple:
– pour la description des opérations effectuées plus ou moins explici-
tement sur la mémoire discursive;
– pour la description des mécanismes argumentatifs en général, parce
qu’elle en observe de plus près un point de détail peut-être insuffi-
samment étudié: un type d’opération argumentative indirecte qui,
sous l’apparence, le plus souvent, d’un travail au niveau des savoirs
partagés, effectue en fait un ACTE ARGUMENTATIF (l’appui d’une
THÈSE). Il s’agit, dans tous les cas, d’une argumentation d’arrière-
plan;
– pour la description de quelques marqueurs spécialisés pour ce type
d’opération argumentative;
– pour la définition des séquences en général, comme type distinct
d’unités discursives.

209
Chapitre 12

Parcours discursifs et marqueurs:


le cas de eh bien

Je propose dans ce chapitre:


1. une synthèse théorique de l’analyse du marqueur eh bien telle qu’elle
est proposée:
1.1. dans les dictionnaires et les grammaires
1.2. dans le cadre plus général de l’analyse du discours
1.2.1. comme «mot du discours» / marqueur discursif
1.2.2. dans le cadre plus particulier de l’analyse périodique du
discours, comme signalant la résolution d’une période
1.2.3. en termes d’analyse cognitive comme indiquant la montée
au premier-plan discursif et la fin d’un parcours.
2. A l’aide de ces différents types d’analyse, je propose dans un
deuxième temps l’observation des équivalents de eh bien en roumain.
Cette deuxième démarche révélera le fait que les multiples significa-
tions de ce marqueur en français trouvent des équivalents différents
dans sa langue-sœur, chaque signification pouvant en fait s’y actuali-
ser par un autre marqueur. J’ai travaillé sur un corpus d’enregistre-
ments propre (Corpus Pop), mais j’ai parfois repris des transcriptions
de discours authentiques chez d’autres auteurs.

1. Eh bien – approche théorique

1.1 Dans les dictionnaires et les grammaires

Les dictionnaires de langue (dont je ne cite ici que les plus accessibles)
font une mention très réduite de l’expression figée eh bien. Le Petit Ro-
bert (1968) la traite, sans aucune glose, sous l’entrée de l’interjection eh
e
(E XI , attestée comme variante de hé), et les exemples Eh bien et Eh

211
quoi! ne sont ni contextualisés ni expliqués. L’article destiné à Ei du
roumain dans le DEX semble, par contre, mieux rédigé:
EI interj. Exclamaţie care a) introduce, însoţeşte, întăreşte sau exprimă o între-
bare; b) exprimă sau însoţeşte şi întăreşte un îndemn, o mustrare, o poruncă;
c) exprimă mirarea; d) arată trecerea de la o idee la alta. – Onomatopee. (DEX)
(EI interj. Exclamation qui a) introduit, accompagne, renforce ou exprime une
question; b) exprime ou accompagne et renforce une exhortation, une répri-
mande, un ordre; c) exprime l’étonnement; d) montre le passage d’une idée à une
autre. – Onomatopée)

Pour ce qui est du roumain ei bine, l’équivalent le plus probable de eh


bien, il est mentionné dans le même DEX sous l’entrée de l’adverbe bine
comme expression équivalente de după cum spuneam (‹comme je di-
sais›); aucune illustration en contexte n’est proposée, et cet équivalent,
on verra plus loin, ne peut en fait être considéré qu’une des nombreuses
acceptions de ei bine (‹eh bien›).
Pour ce qui est des grammaires, le Grevisse, pour prendre un exemple
représentatif, n’en fait aucune mention. La Grammaire de l’Académie
roumaine nous la donne en exemple au chapitre Interjecţia («L’inter-
jection») où le commentaire ne concerne d’ailleurs que ei (bine n’étant
pas inclus dans l’expression):
Unele interjecţii adaugă comunucării o notă afectivă nediferenţiată ca sens, me-
nită să exprime adeziunea vorbitorului faţă de cele spuse, întărind sau subliniind
o afirmaţie, o negaţie sau o întrebare:
Ei bine, tînguirea asta mi se pare absolut nefundată. (Caragiale)
Ei, ce-a zis Codan… Îmi dă fetiţa? (Camil Petrescu) (GA, I: 425)
(Certaines interjections ajoutent à la communication une note affective sémanti-
quement non différenciée, destinée à exprimer l’adhésion du locuteur vis-à-vis de
ce qu’il dit, renforçant ou soulignant une affirmation, une négation ou une ques-
tion: Eh bien, cette lamentation me semble complètement injustifiée.
Eh, qu’est-ce qu’il a dit, Codan?… Me confie-t-il la fillette?)

A remarquer la non-sélection typographique de bien comme élément


composant de l’interjection: seul ei est mis en évidence dans le premier
exemple.
Plus loin, parlant d’une catégorie d’interjections, celles qui consti-
tuent à elles seules des propositions, la même grammaire donne pour
exemple un ei équivalant à une question:

212
(1) E încruntat. – Ei? întreb. (Caragiale) (I p. 430)
(Il a le front plié. – Eh bien? je lui demande.)

1.2 Eh bien dans l’analyse du discours

On voit bien que eh bien ou ei bine ne sont point considérés comme ex-
pressions de la langue, ou très peu, par les dictionnaires et les grammai-
res. L’analyse du discours, et plus particulièrement du dialogue, viendra
récupérer cette forme comme «Gliederungssignal» (Gülich 1970), «mot
du discours» (Ducrot 1980), «appui du discours» (Luzzati 1985),
«connecteur discursif» (Roulet et al. 1987), «marqueur discursif» / «dis-
1
course marker» (Shiffrin 1987 ; Andrews 1989; Hansen 1996), etc. Dans
la multitude des approches discursives, quelques types ont pu être déli-
mités, certains plus sémantiques (1.2.1.), d’autres plutôt «périodiques»
(1.2.2.), ou cognitifs (1.2.3.).

1.2.1 Eh bien comme «mot du discours» / «marqueur discursif»


Hansen (1998) relève plusieurs types d’approches sémantiques des mar-
queurs:
a) l’approche homonymique ou maximaliste;
b) l’approche monosémique ou minimaliste; et
c) l’approche polysémique ou diachronique.
A la différence de Gülich (1970) qui (apud Hansen 1998: 250) considé-
rait eh bien un introducteur sans contenu sémantique, dans les analyses
ultérieures les linguistes s’attachent à lui trouver des sens différents, et
ce, à plusieurs niveaux (sémantico-logique, pragmatique ou de structura-
tion) du discours:
1.2.1.1. Ainsi, les effets pragmatiques (réaction spontanée, suite inatten-
due, conclusion, conséquence, sens phatique) relevés par Sirdar-Iskandar
(1980) sont considérés sous-tendus par une signification sémantico-

1 Son analyse de well de l’anglais peut mener à des comparaisons pragma-séman-


tiques intéressantes avec eh bien.

213
logique plus générale: dans les formules argumentatives générales où il
est censé se manifester
(S – Q) → C, (non-(S – Q’)) → C (cf. aussi Hansen 1996: 317)

eh bien introduirait le terme Q (conséquence); S y est considérée une


situation donnée et C la conclusion qu’on peut tirer des relations s’éta-
blissant entre S et Q. Cette approche semble de type minimaliste, car une
signification générale y est supposée sous-tendre plusieurs effets prag-
matiques.
1.2.1.2. Pour l’école de Genève, eh bien est un indicateur d’actes discur-
sifs et de forces interactives, telles la concession (conséquence ou con-
clusion inattendues), l’attente déçue, la simulation d’échange, la rétroin-
terprétation (Roulet et al. 1987); cette approche semble tenir d’un maxi-
malisme pragma-sémantique.
1.2.1.3. Comme marqueur de structuration de la conversation (MSC, cf.
Auchlin 1981) ou, plus généralement marqueur de structuration discur-
sive, eh bien serait introducteur ou marqueur de rupture (MRD) (An-
drews 1989) en premier lieu; Andrews tente d’en donner la plupart de
ses emplois distributionnels (v. 1.2.2. ci-dessous).
Remarquons aussi que l’approche d’Andrews semble ouvrir une qua-
trième perspective, non mentionnée par Hansen, sur une possible appro-
che synonymique: Andrews entreprend une comparaison entre ben et eh
bien/eh ben afin de trouver les zones d’action communes et les zones
d’action distinctes de ces marqueurs apparentés les uns aux autres. Shif-
frin (1987) pose elle aussi le problème, et parle des «équivalents fonc-
tionnels» («fonctional equivalents») des marqueurs en général; pour les
besoins plus précis de son analyse, ses exemples sont des cas assez éloi-
gnés les uns des autres (cf. well et I mean, par ex., p. 325).
A ma connaissance, on ne dispose pas encore à l’heure actuelle d’une
approche diachronique de eh bien, mais le sujet semble bien s’imposer.
Enfin, les équivalents inter-linguistiques représenteraient une piste tout
aussi intéressante, et je tenterai dans ce chapitre une telle approche (v. 2
ci-dessous).

214
1.2.2 Une approche périodique de eh bien
L’analyse de Luzzati (1985) sur ben – dans les termes de l’analyse pé-
riodique du discours – est assez proche des analyses de type structura-
tion, car moins sémantique. Si, pour leur sens général, la structuration et
l’organisation périodique du discours sont toutes les deux de nature mé-
tadiscursive, pour ce qui est de leurs sens particuliers, la première semble
concerner plutôt l’organisation des unités segmentales (et utilise des
marqueurs verbaux du type connecteurs), tandis que la deuxième, le tra-
vail suprasegmental (indiqué par des marqueurs prosodiques). Il est évi-
dent que les deux activités vont de pair.
(2) on en a un
sers-moi un chocolat bon ben s’il est 8 heures du matin
qu’il vient de déjeuner ben c’est un rouge tu vois
s’il est 11 h. de l’après-midi ben c’est un pastis
(Luzzati 1985: 62)

Cet exemple et ce type d’analyse montrent facilement l’interchangeabi-


lité de ben et de eh bien et il serait en effet intéressant d’appliquer ce
genre d’analyse à eh bien. J’essayerai d’en donner une ci-dessous, car
elle me semble conduire en douceur vers un minimalisme plus radical,
celui pratiqué par les approches cognitives (1.2.3.).
Déjà dans l’analyse effectuée par Andrews (1989) – sur un eh bien
s’intercalant au corps de l’énoncé en tant qu’«appui du discours» (vs eh
bien «introducteur» d’énoncé dans les répliques) – l’idée d’un marqueur-
charnière se fraie clairement un chemin, et une analyse plus abstraite de
ce marqueur peut dès lors facilement être envisagée. Andrews passe en
revue les emplois où eh bien peut s’intercaler:
– entre une circonstancielle (qui pose un problème) et la proposition
principale (qui résout le problème);
– entre un adverbe placé en début d’une proposition et le reste de la
proposition;
– entre un sujet (détaché ou complexe) et le reste de la proposition.
Or, il n’est point difficile de passer des circonstancielles, des adverbes et
des sujets détachés à ce qu’on appelle, de façon plus abstraite:
– situation (S) / thème / motif / substrat / présupposés (vs Q consé-
quence; cf. Sirdar-Iskandar, in Ducrot et al. 1980);

215
– condition (vs résolution; cf. Luzzati 1985);
– repère (vs repéré; cf. Morel 1993);
– cadre (cf. Larroux 1994; Hansen 1996) ou cadrage (cf. Morel 1992);
– support (vs apport dans les théories cognitives).
Et nous voilà, avec certains de ces concepts, trop vite tout près des pers-
pectives cognitives sur le discours.
Mais arrêtons-nous avant à la description périodique du marqueur.
Rappelons que, dans les termes de Luzzati, une période est une unité
formelle et sémantique constituée de trois termes, dont les deux derniers
plus saillants:
– la tension (le sujet, le thème);
– la condition (explication, cause, justification);
– la résolution (l’essentiel, le but de l’énoncé).
Voici un exemple simple de période chez Luzzati (1985: 63):
(a) TENSION CONDITION RÉSOLUTION
Pierre quand il a faim ben il mange quoi
alors hein

Comme dans son exemple précédent (2), ben semble ici équivalent fonc-
tionnel d’un eh bien.
A son tour, Berrendonner (1993) remarque la récurrence d’un schéma
intonatif pour les «mouvements discursifs» (considérés des unités de
rang supérieur intégrant les unités discursives minimales que sont les
énonciations); ce schéma serait formé de deux parties:
(b) Clauses porteuses d’un intonème continuatif ↑ + Clause porteuse d’un into-
nème conclusif ↓

Les périodes se caractérisent par la présence d’un intonème conclusif et


sont constituées d’énonciations (périodes minimales) et d’états intersti-
ciels de la «mémoire discursive» («états transitoires» et «états-buts»). Si
les énonciations emboîtées (périodes incidentes) peuvent suspendre pro-
visoirement l’exécution d’une période principale afin de rétablir «un
présupposé manquant» (id.: 58), les énonciations finales des périodes
sont des opérateurs qui s’appliquent à un état transitoire pour produire un
état-but (id.: 53). C’est bien ce schéma de type réparateur qui me semble

216
convenir à la plupart des emplois de eh bien: il viendrait, et ce, de façon
prototypique, annoncer la fin d’un mouvement discursif:
2
– ou apès une période initiale (incipit )
– ou après une période emboîtée (incidente),
périodes dont la fonction principale serait celle de «préparer / ajuster le
3
cadre», en temps utile ou après coup, pour l’énonciation principale .
Cette dernière énonciation est effectivement finale et équivaut, dans une
acception plus abstraite, à ce qu’on pourrait appeler un «aboutissement
discursif» (à un énoncé visé / intentionné, qui, lui, peut ne pas être «fi-
nal» au sens propre du mot). C’est là, me semble-t-il, la fonction structu-
rante essentielle de eh bien:
indiquer que le travail préparatif au niveau de la mémoire discursive a pris fin et
que ce qui suit est bien une énonciation principale.

Schématiquement, ceci pourrait se représenter minimalement (structure


segmentale + structure prosodique) comme suit:
(c) CONDITION RÉSOLUTION
énonciation préparatoire / transitoire ↑ [eh bien] ↑ énonciation principale ↓

où l’intonème continuatif frappant en général eh bien semble s’appliquer


rétroactivement à la séquence préalable; quand cette séquence représente
une digression plus importante, ayant interrompu la progression infor-
mationnelle du discours, elle se présente comme close (intonème conclu-
sif).
Je montrerai plus loin par d’autres exemples que eh bien n’est pas
obligatoire dans ce schéma (notation avec crochets); s’il est toutefois
choisi par le locuteur, c’est qu’il est censé aider l’interlocuteur à retrou-
ver le «fil discursif».
Voici quelques exemples illustrant ce schéma; à remarquer que eh
bien ou ses équivalents sont toujours précédés d’un travail d’ajustement
au niveau des «savoirs partagés» (cf. aussi Hansen 1996: 320) – condi-
tion nécessaire à l’énoncé qui suit. Les expressions plus ou moins expli-

2 Forme narrative d’annonciation qui ouvre un espace mental dans lequel le lecteur
est prêt à recevoir d’autres informations (cf. Joly & O’Kelly 1998: 351). Concept
narratif, pris ici dans un sens plus étendu.
3 V. supra, Chapitre 11 Parcours discursifs et séquences argumentatives…

217
cites de ce travail sur les «savoirs» sont en italiques (à remarquer les
verbes savoir, connaître, entendre parler, croire, des expressions comme
faut dire que, puisque c’est comme ça, conditionnelles en si, quand, etc.),
précédant des séquences généralement senties comme «préparatoires»:
(3) … arrondissements et parce qu’il faut savoir qu’il y a beaucoup d’en / d’en-
fants et qui sont hospitalisés et ° ° pas uniquement des enfants d’ailleurs ° (h)
et e ben quand ces enfants sont / sont dans un hôpital (repris à Coste)
(4) Le professeur: Vous savez l’anglais, hein?
L’étudiant: Ben, pas très bien.
Le professeur: Mais vous avez déjà entendu parler de Schegloff?
L’étudiant: Pas vraiment.
Le professeur: Eh bien, vous nous présenterez quand même son papier sur
les pre-pre au prochain séminaire (repris à Roulet et al.)
(5) Grock: Vous connaissez le célèbre pianiste Paderewski?
Partenaire: Paderewski?
Grock: Oui.
Partenaire: Bien sûr.
Grock: Eh bien, il joue encore mieux que moi (repris à Auchlin)
(6) [première bulle] Au fond… on pourrait croire qu’aux échecs… il y a plus de
mauvais joueurs que de bons. [deuxième bulle] Eh bien c’est faux! Il y a
exactement le même nombre de gens qui gagnent des parties que de gens qui
en perdent (Geluck)
(7) Si les patrons de bistrot étaient moins aimables avec le client, le client irait
moins au bistrot et l’alcoolisme régresserait.
– Roger, un muscadet!
– Tu vois pas que je suis occupé, connard! Gros cul! Sac à merde!
– Ah bon! Eh bien! Puisque c’est comme ça, je vais le boire en face ce mus-
cadet! (Geluck)
(8) si vous êtes euh au-dessus de la Roquette eh ben vous avez rue de la Ro-
quette vous avez vous avez le Panthéon qui c’est qui y a pas été – l’Arc de
Triomphe – la Tour Eiffel – bon ben c’est tout (repris à Blanche-Benveniste)
(9) […] moi j’ai appris avec délice que quand un certain Jean-Paul Sartre lui a
apporté Mélancholia qu’il a trouvé un peu triste eh bien il a dit on va appeler
ça La Nausée et puis ça a marché (repris à Hansen)

Sous forme de schéma périodique, ces énoncés se représenteraient


comme suit:

218
(6’) CONDITION RÉSOLUTION
[première bulle] [deuxième bulle]
Au fond… on pourrait croire Eh bien c’est faux! Il y a exactement
qu’aux échecs il y a plus de le même nombre de gens qui gagnent
mauvais joueurs que de bons. que de gens qui perdent.

Faisons la mention, comme dans les autres analyses, que les mouve-
ments discursifs articulés par eh bien peuvent être des mouvements
phrastiques (ex. 8, 9 et a) ou transphrastiques (les autres exemples):
– dans le premier cas de figure, la période préparative (la «CONDITION»
de Luzzati) correspond à une subordonnée circonstancielle ou condi-
tionnelle et reste intonativement ouverte (contour ascendant);
– dans le deuxième cas de figure, la période préparative correspond à
une séquence intonativement close (contour descendant).
Lors du fonctionnement dialogal du marqueur, il vient généralement:
– en début de réponse, satisfaire à une question (contour généralement
ascendant) et annonçant donc une «RÉSOLUTION» / clôture;
– comme question à lui tout seul.

1.2.3 Vers une approche cognitive


On a bien vu que le travail des marqueurs n’est pas un travail de structu-
ration isolé, mais, au contraire, un auxiliaire d’autres niveaux, notam-
ment sémantiques du discours. Précisons que les perspectives plus ré-
centes de l’analyse du discours voient de plus en plus à la place d’un
simple travail de structuration, qui serait superficiel, un travail plus pro-
fond, au niveau des représentations cognitives. Le sens qu’on accorde
aux marqueurs dans ce type d’approches est alors dit instructionnel (ou
procédural), car ils sont censés donner des instructions à l’interlocuteur
sur la manière de construire un modèle mental cohérent du discours (cf.
Hansen 1996). Ainsi, pour ben, la seule instruction qui lui serait associée
est la suivante:
Si vous entendez le lexème ben, cherchez un contenu P lié au contexte immédiat
et supprimez les implications contextuelles de ce contenu dans votre modèle
mental, avec la garantie de la part du locuteur qu’elles s’avéreront non pertinen-
tes (id.: 34).

219
Hansen (1996) attribue à la séquence «X eh bien Y» le contenu codifié
d’une double instruction que le locuteur donnerait à l’interlocuteur:
1) comprendre Y comme actualisant un des éléments d’une comparaison ou
d’un contraste, et chercher le modèle mental du discours pour un second élé-
ment qui peut ou non être manifeste dans X;
2) comprendre la pertinence de Y comme dépendante de la compréhension de X
et, dans la plupart des cas, vice-versa (cf. id.: 337).

Une approche cognitive plus abstraite, de type culiolien, pourrait appor-


ter une description de eh bien en termes de «parcours». Ainsi, pour
Culioli (1990), donc signalerait «la mise en œuvre d’un programme spé-
cifique» et correspondrait à «une consigne qui indique que l’on doit re-
monter la chaîne pour identifier le terme antérieur», un «prédécesseur»,
un «site». La relation s’établirait entre «deux représentations, à savoir un
4
parcours et une issue» (id.: 169-170).
C’est curieux de voir que les emplois de donc comme «reprise après
digression» ne sont plus traités par Culioli comme comprenant un par-
cours (vs les emplois de donc dans les interrogations, les injonctions et
les exclamations). Mais ce n’est pas le traitement de donc qui intéresse
ici (bien que, on le verra, certains de ses emplois semblent se superposer
sur ceux de eh bien). Pour eh bien, je dirais qu’un parcours est toujours
impliqué, tel que suggéré par les analyses périodiques (cf. ci-dessus,
1.2.2.), et son instruction semble alors être la suivante:
Eh bien indique que l’interruption d’un parcours a touché à sa fin et annonce le
but / l’issue de ce parcours.

Maximalement (au niveau discursif), on aurait un schéma du type:


(d) [ →→→→→ →→→→ ↓]
↑↑↑eh bien↑

Les trois parties du schéma (d) ne sont pas toujours actualisées et on a


souvent affaire à un parcours minimal du type (e), comme ci-après:

4 Pour donc présent dans les interrogations, Culioli nous renseigne: «Interroger, c’est
parcourir, de façon abstraite, les valeurs imaginables sans pouvoir en distinguer une
qui soit valide». Donc «renforce effectivement l’interrogation, avec des effets di-
vers que l’on peut gloser comme de la surprise, de l’impatience, de l’irritation,
parce qu’on n’arrive pas à la fin du parcours» (p. 171).

220
(e) →→→→ ↓]
[ ↑↑↑↑↑↑↑ eh bien ↑

Ce schéma équivaut à un relais arrière-plan – avant-plan narratifs et on


verra bien qu’un jeu de marqueurs segmentaux et suprasegmentaux se
met en place dans les discours-occurrences pour l’actualiser. Je propose
la séquence narrative (10) comme exemple de parcours maximal:
(10) GS un jour1 / elle nous a trouvés2 / en flagrant délit avec Boule3 / et elle m’a
dit alors4 / c’est cette femme-là ou moi5 / tu vas la foutre à la porte immé6 /
c’est cette fille-là ou moi7↓ / fille-là déjà8 / ça m’a complètement gêné9↑ /
faut dire qu’elle sortait d’une famille bourgeoise10 / elle n’était pas du peu-
ple comme moi11↑ / alors c’était du cette fille-là12↓ / eh bien↑ j’ai dit13 / ce
sera cette fille-là alors↓14 / c’est tout15↓ / (Apostrophes)

– la DIGRESSION – travail d’arrière-plan (10-12) – est marquée par


faut dire en début et par alors à la fin;
– la REPRISE DU «FIL NARRATIF» – travail d’avant-plan et la fin de la
séquence narrative sont annoncées par eh bien et par la montée into-
native qui lui est associée;
– quant au marqueur c’est tout, il vient doubler l’intonation conclusive,
marquant ce qui s’appelle une CHUTE.
Quant au parcours minimal, il pourrait s’illustrer avec les exemples (11)
et (12), où ne sont actualisées que l’énonciation préparatoire (marqueurs
d’arrière-plan, respectivement quand et il y a) et l’énonciation-but ou
principale (marqueur eh bien):
(11) quand un certain Jean-Paul Sartre lui a apporté Mélancholia qu’il a trouvé
un peu triste↑ eh bien↑ il a dit on va appeler ça La Nausée et puis ça a mar-
ché↓ (repris à Hansen)
(12) il y a deux balises à passer↓ eh bien↑ il a mis 3h 20 pour passer…↓ (TV5)

Ce dernier exemple est peut-être le meilleur pour illustrer le fonctionne-


ment de eh bien en termes de FOND et de FIGURE: si le fond informatif
(ou support) est assuré par la thématisation en il y a et a un contour into-
natif plat, la figure informative, qui est le rhème, sera marquée par eh
bien et par la montée du contour intonatif.

221
2. Actualisations du parcours: la sémantique
de eh bien et ses équivalents en roumain

2.1 Polysémantisme de eh bien

Hansen (1996) décrit eh bien comme ayant un sémantisme complexe,


syncrétique – caractéristique d’ailleurs générale de tous les marqueurs
(cf. Shiffrin 1987: 325 passim). Ainsi:
– réaction spontanée, suite inattendue / information importante, sus-
pense, argumentatif, phatique (chez Sirdar-Iskandar: 1980);
– structuration / rupture, introducteur de réplique, relais thème-rhème
ou cadre-propos (Andrews 1989: 203);
– concession (Roulet et al. 1987: 38-39);
– comparaison, contraste entre 2 possibles scénarios, évaluation, né-
gociation des savoirs communs (Hansen 1996: 321-332),
sont autant de fonctions attribuées à eh bien. En termes d’espaces discur-
sifs, on peut montrer que eh bien vient clairement après une séquence de
digression (cf. Pop 2000a: 223), marquant un acte de DÉNOUEMENT
NARRATIF. Dans l’exemple (10), un travail métadiscursif Md (actes 8-9;
12) et un travail au niveau présuppositionnel pp (actes 10-11, marqués
par faut dire que), qui en dépend, viennent interrompre le «fil narratif»;
ce dernier y est signalé par le marqueur un jour et représenté dans un
espace discursif de type descriptif D. On voit bien ci-dessous que, à la
fin de cette digression constituée à son tour par deux périodes emboîtées,
la REPRISE NARRATIVE par les actes 13-14 (D/Md) se fait par eh bien.
Représenter le fil du discours de cette manière peut rendre plus mani-
feste le fait que, comme dit Shiffrin (1987: 320 passim), les marqueurs
agissent à plusieurs niveaux discursifs simultanément, permettant aux
locuteurs de construire et d’intégrer plusieurs dimensions de la réalité.

222
(10’)
GS 1-7 8-9 10-11 12 13-14 15
Id 5-7
Md c’est tout
Md 4 fille-là alors c’était eh bien j’ai dit
déjà du cette-
fille-là
S eh bien c’est tout
D un jour… j’ai dit
Pp un jour… faut dire qu’elle…
Pd eh bien
Pro ↓ ↑ ↑ ↓ ↑ ↑ ↓

La représentation ci-dessus montre justement plusieurs espaces (niveaux)


engagés simultanément par eh bien. Du point de vue de son sémantisme
interne, eh bien engage les espaces:
– subjectif s (c’est une interjection et un évaluatif discursif);
– métadiscursif Md (c’est un marqueur de structuration);
– interpersonnel Ip (savoirs partagés des interlocuteurs toujours impli-
qués),
auxquels s’ajoutent les espaces occupés par le discours préalable et le
discours qui suit: dans le cas précis de l’exemple (10), les espaces méta-
discursif Md et présuppositionnel pp de la DIGRESSION qui précède (re-
présenté à gauche) et l’espace descriptif-narratif D de la CHUTE NAR-
RATIVE (représenté à droite). En tout, 5 espaces pour l’exemple (10); s’y
ajoute l’espace prosodique Pro, engagé, lui aussi, avec son marquage
intonatif.

2.2 Equivalents roumains de eh bien

Si, dans une approche comparative on se proposait de donner un seul


équivalent de eh bien en roumain, la tentative serait vouée à l’échec:
même si au niveau morphologique un équivalent exact semble exister (ei
bine), celui-ci n’est pas le plus naturel dans tous les contextes d’utilisa-
tion du eh bien français. On préfère l’utiliser dans un style plutôt intel-
lectuel et recherché (ex. 13, 14, 15), et je suis portée à croire qu’il s’agit,
pour cet équivalent, d’un calque; sinon, une forme plus naturelle en est

223
e(i) (ex. 16, 17, cf. 32 hé du français). La plupart des contextes similaires
d’utilisation révèlent en fait des équivalents fonctionnels très surpre-
nants. J’ai tenté de les repérer dans des schémas discursifs comme ceux
établis ci-dessus de (a) à (e), et la remarque générale qui s’impose est
que ces marqueurs, morphologiquement si différents en roumain, actua-
lisent bien le sémantisme général du marqueur eh bien en français:
– tant au niveau des opérations discursives essentielles impliquées dans
l’énonciation (cf. les «espaces discursifs» dans Pop 2000a);
– qu’aux niveaux cognitifs essentiels (ARRIÈRE-PLAN – AVANT-PLAN,
cf. 2.2.1.-2.2.2. ci-dessous).
Les exemples de (13) à (39) en roumain montrent plusieurs marqueurs
équivalents de eh bien pour cette langue, et ce, dans diverses actualisa-
tions des schémas discursifs prototypiques pour son fonctionnement,
avec leurs deux plans essentiels: l’ARRIÈRE-PLAN et l’AVANT-PLAN,
schémas où:
un travail d’ARRIÈRE-PLAN discursif est généralement suivi d’une montée à
l’AVANT-PLAN.

Regardons les deux étapes essentielles de ce parcours, et leurs marqueurs


(2.2.1. et 2.2.2. ci-dessous).

2.2.1 Le travail d’ARRIÈRE-PLAN


Observons d’abord les marques explicites des opérations qui s’effectu-
ent au niveau de la mémoire discursive, constitutive de l’ARRIÈRE-PLAN:
– a şti / savoir, dans les exemples: (3), (4), (13), (14);
– a cunoaşte / connaître, dans les exemples (5) et (25) (l’espace pp).

Ce travail peut aussi rester implicite (dans les exemples de (15) à (17), il
n’est pas marqué). L’observation la plus importante qui s’impose est la
suivante:
Après ce travail sur l’arrière-plan, la montée au premier-plan sera à chaque fois
marquée par un ei (bine):
(13) ştim că în domeniul agricol specialiştii pînă una-alta sînt inginerii agronomi↓
ei bine la ora asta inginerii agronomi sînt nişte sinucigaşi şi nişte oameni
care şi-au amanetat casele la bancă↓ (Corpus Pop)

224
(14) grîul /ăă/ s-a făcut prost anu’ ăsta şi preţu’ este absolut /ăă/ n-are nici o le-
gătură cu realitatea /ăă/ floarea s / preţul la floarea soarelui e acelaşi cu cel
din anul trecut în vreme ce motorina // deşi s-a vopsit în roşu / aşa / asta mi
se pare e o găinărie românească / ştii că este o vorbă la un moment dat / do-
mle umbli cu cioara vopsită // ei bine ăştia au umblat xxx cu motorina vop-
sită (id.)
(15) Dacă punem la socoteală moldoveneasca cultă, rezultă un total de şapte lim-
bi străine cunoscute de noul domn […] Ei bine, înarmat cu acest arsenal fi-
lologic, Teo a pornit-o uşurel spre Iaşi într-o frumoasă după-amiază de
toamnă, pe la vîrsta de şaizeci de primăveri. (Academia Caţavencu 504: 14)
(16) …şi-n primăvară m-am băgat într-o asociaţie d-asta / ş-am investit în agri-
cultură // aşa-m ajuns de cumpăr 5 tractoare / româneşti / care sînt proaste
deşi sînt noi / tră să recunosc c-am greşit / trebuia să cumpăr două mai vechi
germane şi două combine class la mîn-a doua // ei / am investit în agricultu-
ră… (Antena 1)
(17) am zis că poate nu / nu-i anunţă p-ăştia şi scap / văd şi eu ce situaţie-i aicea /
aşa / şi poate pun mîna pe el // E, adevăru ăsta a fost că a venit imediat cu ei
/ cu securitatea / a-nconjurat casa / a-nceput să tragă cu automatele deasupra
casei (Memorialul durerii)

Des marqueurs moins explicites sont présents dans les exemples pour
ce plan narratif dit «second»:
– des imparfaits (20, 21, 29, 32, 34, 35);
– des adverbes d’antériorité comme deja / déjà (28), înainte / avant (36);
– contraste temporel présent-passé composé (26, 36);
– THÉMATISEURS, tels les verbes a avea / avoir (30) ou a fi / être (34);
– că / parce que de JUSTIFICATION (28);
– moyens lexicaux anaphoriques aţi spus / vous avez dit (27), în aceste împre-
jurări / dans ces circonstances (18), pe baza asta / sur cette base (20);
– si (8);
– quand (9), etc.

Des marques de satisfaction ou d’ÉVALUATION RÉTROACTIVE indi-


quent un travail métadiscursif du locuteur concernant le discours déjà
parcouru. A preuve:
– les évaluatifs du type bine, bun pour le roumain, bien pour le français,
présents respectivement dans ei bine et eh bien:
Bun. În aceste / atari împrejurări, … (18)
bun… acuma că… (19)
no (bine) (21)

225
– anaphoriques:
pe baza asta (20) (cf. ah bon et puisque c’est comme ça en 7), etc.
(18) Să nu vă imaginaţi, care cumva, că D.G. n-ar avea probleme personale. Are
două mari şi late. Prima e legată de terenul pe care l-a moştenit […]. Vreo 17
hectare de mlaştină a-ntîia […]. Booon. În atari împrejurări, cumplit de
triste pentru moştenirea sa, G. pune ochii pe un teren la şosea… (Academia
Caţavencu 504: 3)
(19) Cu banii primiţi din străinătate, actualul şef al PNŢCD şi-a tras la scară o
maşină de serviciu, pentru zonele greu accesibile din Munţii Apuseni. Bun,
zicem noi, acuma că aţi pus la punct fundaţiile, ce urmează să construiţi,
fraţi ţărănişti… (id.: 8)
(20) era acolo o bucăţică de hîrtie / care trebuia să o rup de la ordinu de chemare
un cotor / şi să-l trimit înapoi // nu l-am trimes // pă baza asta ei m-o ţinut ei
m-o ţinut înscris (repris à Teiuş)
(21) era unu Costea-n Crinţ // gazdă bună / că să-l las şi pe el tovarăş / că plăteşte
şi el un om / să-şi gunoiască pămîntu // mi-o părut bine că-i om din sat / şi /
cunoaşte… oamenii / cunoşteam şi eu da nu ca el // no bine // pînă o fost
vreme bună / eu am abzis de tot / / pînă o fost vreme bună / s-o mai ocupat şi
el de ele // le-o mai muls / pîn-o făcut o ţîr de brînză (repris à Teiuş)

2.2.2 La montée en AVANT-PLAN


Plusieurs marqueurs (descriptifs-dénominatifs ou indicatifs) peuvent ef-
fectuer la montée au premier plan narratif:
– des marques phatiques indiquant, indirectement – par des formules
d’ADRESSE attirant l’attention de l’interlocuteur (espace Ip) – des
INFORMATIONS IMPORTANTES, INFORMATIONS-SURPRISE:
mă(i) (23), măi uite-acuma (22), măi frate (22), doamnă (27), domnule neutre
(23, 24), iată / iacă (25, 26), uite, ştii?, să ştiţi (27) (cf. eh / hé du français)
(22) şi ne-am dus acolo şi le-am făcut pompă / le-am tencuit casa / le-am săpat în
grădină cu ascensoare din alea / seara la nouă pornea / dimineaţa la cinci s-
oprea / tot automatizat / i-am făcut … şi zic / măi uite-acuma ţi-am făcut ca-
sa / te-am pus la punct pe tine // am vrut să plec din Timişoara [….] // măi
frate şi plec […] şi am plecat (Corpus Pop)
(23) făceau diverse scheme// o dat în geam / mă / ş-o prins lumea pe unu care-o
dat în geam ş-o spart geamurile la Consiliul Judeţean de partid şi l-o prins /
era securist domnule / c-avea armă din aia mică// o femeie cînd i-a băghat

226
mîinile domnule în obraz / aşa / şi i-a tras / aşa era ca şi cînd tragi în pămînt
(id.)
(24) i-au imobilizat văzînd că ăştia fac uz dă armă / i-au imobilizat / i-au degradat
/ i-au dezarmat / au rupt legăturile telefonice şi au zis domle // ori ei ori noi /
mai bine murim (Memorialul durerii)
(25) am cunoscut ingineri agronomi care / fiind specialişti în agricultură / într-o
perioadă în care – regimul politic se reclamă de la specialişti – nu / că aşa au
venit la putere c-au 15000 de specialişti / aşa / iată mi-am dat seama că spe-
cialiştii în agricultură sînt nişte sinucigaşi (Corpus Pop)
(26) cînd mă duc ş-ajung în capu satuli / auz că se scutură oaia cu clopotu // am
cunoscut clopotu / iacă oile-s aicea // le-o fost băgat bietu om într-o curte /
în capu satuli / de vremea aia grozavă (repris à Teiuş)
(27) – aţi spus înainte că viaţa dvs aici a fost o luptă pe viaţă şi pe moarte
– doamnǎ / a fost / să ştiţi / o luptă / nu s-a… copii mei şi io personal / io /
am fugit că n-am mai avut ce să fac / dar am luptat (Memorialul durerii)

– des marques d’enchaînement narratif (l’espace descriptif D):


şi (28), (ş)-apoi (29), poi / păi (31), ap-atuncea (30), ş-atunci (32)

tous avec une valeur plus forte que leurs équivalents morphologiques en
français:
(28) frate-miu deja a luat-o la el pe mămica / că eu nu puteam / n-aveam condiţii
/ stăteam într-o dărăpănătură / într-o periferie la Malu Roşu / fugită / fără
lemne / vai …// Şi-a luat-o frate-miu (Memorialul durerii)
(29) atuncea ei ziceau: // «da şezi mătuşă [neinteligibil]» ice / «că poate vine ca-
reva şi-l fură» // «fure-l dracului» / zic «că nu mai am grijă de el» // [!] Şi-
apoi nu l-o furat // şi-am ajuns cu el pînă acasă // (repris à Teiuş)
(30) io am avut un geamantan / cînd ne-am dus în co /- m dus ouă // ap-atuncea
ouăle pe tren tot cura în cap la un domn (id.)
(31) odată m-o-ntrebat băiatu / păi să-ţi faci un calcul cam cît / să-ţi deie Nicu
banii // poi n-am făcut nici un calcul (Corpus Pop)
(32) cel mai//cel mai mare şarpe a venit la stomac / aici s-a-nfăşurat // ăsta mă
strîngea cel mai rău/ la picioare nu / nu mai simţeam / ziceam că picioarele
mi-s băgate-n beton picioarele // ei / aicea mă sufoca rău / aicea era leşin nu
mai aveam aer să mai respir ş-am băgat aşa două degete aşa să pot să // n-am
putut să rup nimic să // Ş-atunci cînd am văzut că nu mai am aer / nu mai am
nimica / am căzut cu spatele pă perete / pă peretele ăla dă ciment şi s-a în-
tîmplat că şarpele s-a rupt cu greutatea cu care eu m-am lăsat pă el în jos aşa
// s-a rupt şarpele / ş-am căzut jos în neştire (Memorialul durerii)

227
– des marques de SURPRISE NARRATIVE (engageant plusieurs espaces
s, Ip, Md, pp du discours):
acuma ce să vezi? (33), ce-a făcut? (34), ca să mă pomenesc cu / că (35), pe cînd
(colo) (36)
(33) «ş-am rămas de babă // ş-acuma am pierdut-o şi iacă am întunecat aicea şi...
n-am unde să mă culc» // he / feciorii mei /… se gîndiră «oare unde să-l
găzduim? // da l-om duce-aci la Bodoriţa» // aşa-i zice la vecina aia acolea //
acuma ce să vezi? // mă scol / să mă ieie să mă duc-acolea… (repris à Teiuş)
(34) şi-n marginea rîpii acolo unde era / era un fag // un copac // copacu-acela /
avea mai multă uscătură // şi era o uscătură / un…lemn / gros aşa / cam cît
credea mama / ca pe mîn-aşa / ca să-l poată să-l rupă ea // ce-a făcut? // a
scos furca din brîu / a-nfipt-o-n pămînt / şi s-a apucat cu mîinile de creang-
aceea… (id.)
(35) am încercat să mai dau cu capul de zid / aşa / dă // să-i dau jos [şerpii] să văd
ce-o fost acolo / n-am putut să / era sfoara aia / numai dac-aş fi dat cu faţa
poate / da-i spărgeam de-mi scoteau ochii poate [oftat] // ca să mă pomenesc
doamnă peste vro juma de oră aşa cu un larmăt de cîini / cu lătrătură de cîini
/ era şase cîini în celulă acolo (Memorialul durerii)
(36) eu am alergat acolo / ca să văd... că poate trece un mistreţ p-acolo şi eu să-l
împuşc // noi ne-am hotărît înainte că urs n-avem autorizaţie să-mpuşcăm //
pe cînd colo / mă duc acolo / cîinii vin drept la mine / aud că vine vînatu
drept la mine / pe cînd văd un urs mare… (repris à Teiuş)

– des marques de QUESTION (opérations de type Ip – s):


aşa că vin şi te întreb (37), ce-mi spui?(38) (cf. ei tout court en 1):
(37) Bre Marko! Noi sîntem cea mai mare minoritate din România. Practic, în ra-
port cu celelalte minorităţi sîntem o majoritate. Aşa că vin şi te întreb: de ce
mama dracu’ să nu înveţe evreii, lipovenii şi ţiganii limba majorităţii mag-
hiare? (Academia Caţavencu 504: 8)
(38) şi strigă la mine / şi io am ieşit afară / şi-mi spune: «ţi-aduc o bucurie» // zic
«ce-mi spui?» // zice «să ştii că s-o făcut pace» (repris à Teiuş)

– des marques de RÉPONSE / RÉPLIQUE comme păi (31, 39):


(39) «p-asta cum o dai / p-asta cum o dai?» îi spuneam: «asta-i atîta» / ca cum ar
fi acu la un magazin / «asta-i atît / asta-i atîta…» // păi dă şi mie cinci metri
d-asta…» (id.)

228
3. Conclusions

J’ai essayé de mettre à profit plusieurs types de description effectuées sur


les marqueurs discursifs en général, afin de repérer des équivalents fonc-
tionnellement identiques de eh bien en roumain. Les particularités des
séquences où apparaît ce marqueur en français et ses caractéristiques
sémantiques en ont révélé d’abord un type de «parcours discursifs»
préférentiel, sur lequel peuvent ensuite se repérer des homologues
fonctionnels en roumain (langue où l’équivalent morphologique ei bine
n’a pas une grande utilisation). De façon schématique, les équivalents de
eh bien en roumain pourraient se représenter comme suit (v. la colonne
de droite dans le tableau):
Equivalents roumains de eh bien
Marqueurs dialogaux:
Questions: Ce-a făcut? Ce-mi spui?
Aşa că vin şi te întreb…
Réponses: Deci, Păi
Marqueurs narratifs:
d’enchaînement: şi, ş-apoi, poi, păi,
ş-atunci
de surprise narrative:
ca să mă pomenesc, pe cînd colo,
acuma ce să vezi?, şi ce crezi?
Marqueurs déictiques:
«du parcours»: acuma, acuma că
phatiques: iată, uite, să ştiţi, ei, măi,
domnule, frate, doamnă

avant-plan avant-plan
le «fil du Eh bien reprise du «fil discursif»
discours» ↑
un jour
↓ arrière-plan
SAVOIRS PARTAGÉS ÉVALUATION DES
SAVOIRS
savoir/a şti bon /bun
connaître/a cunoaşte bien / bine
avoir dit/aţi spus în aceste
quand, si/cînd, dacă împrejurări
(thém.) avoir, être/a avea, a fi…
pe baza asta

Schéma du passage qu’effectue eh bien de l’arrière-plan


vers l’avant-plan discursif

229
Certaines des significations du marquer ont des équivalents roumains
plus explicites, certains autres, des équivalents moins explicites. Ces
résultats donnent, je cois, le droit d’investiguer davantage un aspect
moins étudié, celui du marquage descriptif / explicite des procéduraux,
réputés être par excellence implicites. De bonne preuves à ce propos sont
les exemples (13), (14), (17), (18), (20), (35) et (38) ci-dessus.

230
Chapitre 13

En-deçà et au-delà des genres: l’ouï-dire

Je me propose de délimiter plusieurs aspects de la catégorisation de


l’ouï-dire, de ce type de discours rapporté qui semble se construire à
plusieurs niveaux:
a) GENRES proprement dits (catégories nettes);
b) SÉQUENCES, en tant que traces plus ou moins «fondues» dans le dis-
cours;
c) UNITÉS LEXICALES (notamment NOMS PROPRES transmis par une tra-
dition orale),
dont b et c relèverait plutôt d’une sorte de précatégorisation. C’est cette
précatégorisation que j’appelle dans le titre «en-deçà des genres», pour
opposer ce(s) cas de figure à des manifestations de l’ouï-dire en tant que
genres discursifs intuitivement reconnus comme tels et dont la preuve
sont les dénominations naturelles que les langues ont presque toutes dans
leurs lexiques (rumeur, légende, proverbe, dicton, etc.) Je n’exclurai pas
non plus les cas largement discutés en linguistique «polyphonique» qui
ont bénéficié de catégorisations «d’expert», très diverses – un acquis
relativement stable et reconnu en la matière (discours direct, indirect,
indirect libre et les autres variantes de discours rapporté; dialogisme;
mention; connotation autonymique; polyphonie, diaphonie, etc.). Si les
appellations utilisées par les chercheurs linguistes n’ont pas de corres-
pondant dans le lexique des langues naturelles, c’est qu’il s’agit bien de
catégories plus floues que celles désignées dans les langues par des mots
du lexique courant. Ce type de démarche peut aider à distinguer les caté-
gories plus émergentes d’ouï-dire d’avec les catégories moins émergen-
tes, et les inscrire ainsi sur un continuum / des continua.
Le corpus bilingue (français et roumain) sur lequel j’appuie mes
exemples est constitué de textes à circulation plutôt orale ou faisant réfé-
rence à cette circulation orale (vu la spécificité du genre): textes anciens
et récents, écrits et oraux, du type littérature orale fixée par écrit (anecdo-
tes, proverbes), témoignages, lettres, discours spontanés, média, etc.

231
1. La définition
1
Le Petit Robert donne de l’ouï-dire la définition suivante:
Ce qu’on ne connaît que pour l’avoir entendu dire. – Loc. Par ouï-dire: par la
rumeur publique.

et le Dictionnaire Hachette Encyclopédique l’illustre par l’exemple:


Apprendre une nouvelle par ouï-dire.

Ces explications de dictionnaire donnent les repères de la définition du


2
«genre» : connaissance reçue par une source exclusivement orale / au-
ditive. Or, cette source est généralement perçue comme s’opposant à la
vue – garantie absolue de véridicité (v. les expressions comme fr vu de
mes propres yeux; ro am văzut cu ochii mei) – et voue donc aux formes
de l’ouï-dire des interprétations plutôt réservées. Il s’agira:
– de lettres (d’information, de grâce);
– de genres populaires ou littéraires à circulation orale;
– de croyances populaires;
– de nouvelles officieuses (vs officielles) et rumeurs;
– du discours de la presse;
– d’oral spontané, chat; etc.

2. Les marqueurs

Les marqueurs du genre sont liés à tous les ingrédients de ce type de


situation communicative où l’ouï-dire implique nécessairement un on
dit, ce qui explique facilement le transfert des marqueurs centrés sur
l’auditeur (l’ouï-dire) vers les marqueurs centrés sur le locuteur (le on-
dit), et non seulement (la plupart des marqueurs pour cette dernière caté-

1 Le statut nominal de ce que les Français appellent ouï-dire est moins stable en rou-
main: l’expression n’existe que sous forme adverbiale (din auzite ‹par ouï-dire›) =
préposition + supin / participe passé au f. pl. (signifiant ‹choses entendues›).
2 Hyper-genre, il faudrait dire, car plusieurs genres proprement dits (rumeurs, ra-
gots, légendes, proverbes, superstitions, etc.) lui sont subordonnés.

232
gorie ont été recensés, par ex., dans Rosier 1999: 162-182). Notons à cet
effet que le français utilise entendre + dire / parler en collocation stable
– v. ex. (4) – là où le roumain ne le fait que rarement.
Passons en revue les marqueurs les plus fréquents impliqués par les
formes de l’ouï-dire, tels qu’ils ont été repérés dans les exemples ci-
dessous ou, vice-versa, qui ont servi à repérer ces fragments:
– verbes du dire ou marqueurs qui en résultent:
fr dire (1, 2 on dit que), parler (les gens parlent), raconter (34 on raconte, les
gens racontent ça)
ro a zice (27, 33 se zice că, zice-se, 19, 23 cică ‹on dit que›, zîse că (pop.), 22 o-s
(pop.) ‹ils ont dit que›), a spune (3, se spune că ‹on dit que›, 32 o spus că ‹il/on
dit que›), a vorbi (se vorbeşte că ‹on parle que›), a povesti (se povesteşte că ‹on
raconte que›, oamenii povestesc că ‹les gens racontent que›, 24 nu s-ar fi povestit
‹on ne l’aurait pas raconté›)
(1) je ne sais pas si c’est vrai / parce qu’on dit un peu tout et n’importe quoi // les
relations entre les Allemands de l’Ouest et les Allemands de l’Est étaient
&euh souvent difficiles // # (Coralrom)
(2) L1. on dispose souvent↑ les:: les:: les:: les filles ou:: les femmes à certaines
fonctions↑ ou à certaines tâches↑ euh euh les relations humaines→ la com-
munication parce que:: on dit que:: ça fait appel à des qualités plus fémini-
nes↑ (Corpus Pop)
(3) Aşa spun ceia ce s’a întâmplat acolo că, la întrebarea ce i-a făcut băiatul, i-a
zis şi lui că vrea să-l omoare şi pe el cu cuţitul. (Iorga 1932 XXIII: 52)
(C’est ce que disent ceux qui se trouvaient là que, à la question du garçon, il
lui avait dit qu’il voulait le tuer aussi avec le couteau.)

– substantifs déverbaux issus de ces verbes de dire:


fr des on-dit, des racontars;
ro vorbe ‹paroles›, poveşti, basme ‹contes›;

connotés souvent négativement par leur côté fictionnel / mensonger;


– verbes de l’ouïe, du savoir et de la compréhension:
fr entendre (4 j’ai entendu dire / parler), ouïr (par ouï-dire), savoir, apprendre,
comprendre (j’ai cru comprendre que)
ro a auzi ‹entendre (parler)› (7-9, 18 am auzit că ‹j’ai entendu dire que›, din au-
zite ‹par ouï-dire›, 6 auzim ‹nous entendons›, 11, 12 aţi auzit de ‹vous avez en-
tendu parler de›, 20 auziţ ‹entendez›, o auzît ‹a/ont entendu›, 23 aud că ‹j’entends
que›), 21 a asculta ‹écouter›, 5 a afla ‹apprendre›, 10 a înţelege ‹comprendre›

233
(surtout dans les expressions aşa am înţeles, am înţeles că… ‹c’est ce que j’ai
compris›, ‹j’ai compris que›);
(A noter que le verbe a auzi ‹entendre› a développé en roumain, en amploi abso-
lu, un sens particulier de ‹entendre parler›: a afla (o veste, o ştire etc.) (DEX)
‹apprendre (une nouvelle, etc.)›, sens qui se retrouve dans l’expression figée
roumaine din auzite ‹par ouï-dire›, litt. ‹par ouï›. En emploi seul, ce sens ne sem-
ble pas être retenu par les dictionnaires du français pour les verbes équivalents
entendre et ouïr, où les locutions entendre parler (d’une chose) et entendre dire
sont explicitées respectivement par ‹l’apprendre, en être informé› et par ‹appren-
dre par la parole, par ce qui se dit›.) «Par-ouï» seul n’existe pas non plus.
(4) J’imagine que vous avez déjà entendu parler du lac de Serre Ponçon // #
c’est la [/] la plus grande retenue artificielle d’Europe // (Coralrom)
(5) Din felurite şi mai multe izvoade am aflat că preamilostivul stăpîn al nostru,
Măria voastră, a binevoit pentru binele de obşte al creştinătăţii […] (Iorga
1999 LXVIII: 250)
(J’ai appris de plusieurs sources que votre Majesté, notre très généreux maî-
tre, a bienvoulu pour le bien-être commun de la crétienté […])
(6) Milostivul Dumnezeu să dăruiască bună pace şi sănătate dumitale,
A[n]dreiiaş Şelar, birău de cetatea Bistriţii, şi la tot Svatul dumitale. Alta, de
veţi vrea să ştiţi de sănătatea dumisale Mării Sale lui Alexandru-Vodă, cu
mila lui Dumnăzău iaste sănătos şi cu pace la Scaunul Mării Sale şi cu toată
ţara wstită depreună. Alta, alte oşti pănă acum tăparte (?) nu au întrat în ţara
noastră de căiri; auzim de Împăratul că vine, şi de Leaşi încă auzim că săntu
oştile în ţara sa. Alta, […] (Iorga 1900, CLXII: 3)
(Que Dieu le généreux vous apporte la paix et la santé à vous, AS, préfet de
la cité de Bistriţa, et à votre Conseil tout entier. Autre chose, si vous voulez
avoir des nouvelles sur la santé de Sa Majesté Alexandru Vodă, par la grâce
de Dieu il est en bonne santé et en bonne paix dans sa Cité avec tous son
pays. Autre chose, d’autres armées jusqu’à présent lointaines, ne sont entrées
de nulle part dans notre pays; nous entendons dire sur l’Empereur qu’il ar-
rive, et sur les Polonais que les armées sont dans leur pays. Une autre, […])
(7) Şi după aceasta să fie ştiut domniilor voastre că a auzit Domnia mea cum că
domniile voastre aţi oprit acolo la Braşov pe sluga noastră Andriaş şi nu l-aţi
crezut că este trimes de Domnia Noastră. (Iorga 1932 II: 6)
(Et après ça que votre seigneur sache que mon Seigneur a entendu dire que
votre seigneur avait arrêté à Braşov notre serviteur A et vous n’aviez pas cru
qu’il était envoyé par Notre Seigneur.)
(8) vai măi omule› / îi spui lui / ‹nu ştiu ce fel de pace / că› zic ‹vine frontu / io
am auzit că vine frontu / nu că-i pace // cum i asta? (repris à Teiuş)
(et je lui dis ‹je ne sais pas de quelle paix tu parles / car› dis-je ‹le front
avance / j’ai entendu dire que le front avance / pas que c’est la paix // je ne
comprends pas›)

234
(9) R: cum vedeţi viitorul↑
I: viitorul↑ (.) foarte negru↓ foarte negru/↓ vă închipuiţi că astăzi am auzit că
mi-a venit repartiţie de la xxx şi să plec cu unu-doi cu încă trei copii (…) pe
drumuri↑ să stau pe drumuri că nu am (.) că nu am mamă↑ nu am tată ↑ sînt
(.) a nimănui deci n-am xxx sînt un copil care: a fost găsit: şi (…) m-au cres-
cut nişte oameni↑ oamenii şi-au luat mîna de pe mine de la 15 ani↑ şi de la 15
ani m-am trezit singură/↓ (TVR1)
(R: comment envisagez-vous votre avenir↑
I: mon avenir↑ (.) très noir↓ très noir/↓ figurez-vous qu’aujourd’hui j’entends
que j’ai reçu une répartition de xxx pour partir avec un-deux encore trois en-
fants (…) me retrouver dans la rue↑ être à la rue car je n’ai pas (.) je n’ai pas
de mère↑ pas de père↑ je suis (.) à personne donc je n’ai pas xxx je suis un
enfant qui: a été retrouvé: et (…) des gens m’ont élevé↑ ces gens se sont dé-
barrassés de moi depuis que j’avais 15 ans et je me suis retrouvée seule /↓)
(9) Scriu închinăciune şi sănătate şi bună pace la Măriia Sa la birăul de Bistriţa;
pohtim şi rugăm pre Măriia Ta că am înţeles că e prinsu Stefan Candrea şi
Stefan Rubol [doi tâlhari] (Iorga 1900, CLX: 2)
(J’écris mes compliments et santé et paix à Sa Majesté le préfet de Bistriţa;
nous invitons et prions Sa Majesté car nous avons compris que SC et SR
[deux brigands] sont arrêtés)
(11) persoana aceea am auzit că a murit (Corpus Pop)
(cette personne-là j’ai entendu dire qu’elle est morte)
(12) Na’seara fetelor…RAMMSTEIN rulzzz!!! Ihihi…is nebuni de legat…pacat
ca s’au despartit…sau trebuie sa se desparta…nust exact…dar au 3 albume
pe viata lor…ati auzit de trupa Megahe... (id.)
(Bonsoir les filles… RAMMSTEIN rulzzz!!! Ihihi…ils sont fous à lier...
dommage qu’ils se soient séparés... ou qu’ils doivent se séparer... je ne sais
pas exactement... mais ils ont 3 albums en tout... vous avez entendu parler du
groupe Megahe...)

– substantifs ou pronoms indéfinis, indiquant une source référentiel-


lement vague des dires rapportés:
fr on (on dit, dit-on); les gens (les gens disent que)
ro se ‹on› (43 se zice (că), zice-se ‹on dit que›, 26 se povesteşte ‹on raconte›, 24
s-ar fi povestit ‹on aurait raconté›, 39, 40, 43 se crede ‹on croit›), 42 unii ‹cer-
tains›, 21 cine ‹qui›, lumea ‹les gens› (lumea spune că ‹les gens disent que›, 13 o
spune toată lumea ‹tout le monde le dit›, lumea vorbeşte ‹les gens parlent); 41
poporul, 14 norodul ‹le peuple›, 15, 19 bătrânii ‹les vieillards›, etc.
(13) A fost o femeie foarte frumoasă. N-o spun eu. O spune toată lumea. (Ciu-
leandra, film)
(C’était une belle femme. Ce n’est pas moi qui le dit. Tout le monde dit ça.)

235
(14) […] şi de-aceea norodul zice că bisericile lui Ştefan Vodă au toate stahii în
zidurile lor. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 381)
([…] et c’est pour ça que le peuple dit que les églises de Ştefan Vodă ont
toutes dans leurs murs une âme errante.)
(15) Spun bătrînii că-n ziua aceia s-a înserat mai repede ca oricînd. (Poveşti,
snoave şi legende 1967: 402)
(Les vieillards disent que ce jour-là la nuit est tombée plus tôt que jamais.)

– modalisateurs de réserve:
– lexicaux:
fr croire (c’est ce que j’ai cru comprendre); sembler (il semble que), paraître (il
paraît que, 16, 17 paraît-il);
ro 18 după cum am auzit ‹comme je l’ai entendu dire›, a crede ‹croire›(se crede
că ‹on croit que›), a părea ‹paraître›(se pare că, parcă ‹paraît-il›, ‹dirait-on›);

– grammaticaux:
le conditionnel du «on-dit» ou «de mise à distance» (cf. Rosier 1999: 162-172):
25 ar hi fost ‹il y aurait eu›

Ces expressions indiquent la non prise en charge, par le locuteur, de


ce qu’il est en train de raconter:
(16) Omar c’était un descendant du [/] du cheikh Omar / paraît-il / qui avait
&euh # islamisé le # l’Afrique Noire (Coralrom)
(17) mais à l’époque c’était dans la région d’Aigues-Mortes / où il y a eu paraît-
il les premières vignes (id.)
(18) Tatăl lui Manea se duse să-şi revadă pe fiul său şi să-l scoată din acea pă-
dure. Dar el, după cum am auzit, ajunse tocmai noaptea în pădure şi de-o
dată aude că se apropie de el cineva. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 353)
(Le père de Manea voulut revoir son fils dans la forêt pour le sortir de là.
Mais, d’après ce que j’ai entendu dire, ce dernier venait d’arriver dans la
forêt et entend tout à coup que quelqu’un s’approche de lui.)

– une catégorie de substantifs désignent des genres figés (formes per-


çues comme stables), dont certains fixés par l’écrit:
fr rumeurs, proverbes, dictons
ro legende ‹légendes›, zvonuri ‹rumeurs›, proverbe ‹proverbes›, zicători, dic-
toane ‹dictons› (étymologiquement liés à leur origine essentiellement orale).

236
– Enfin, les expressions péjoratives sont légion, et plutôt fréquentes
dans l’argot, implicitant ou explicitant le côté mensonger de l’ouï-
dire:
fr racontars (C’est des racontars); l’expression Tu connais la meilleure? (iron.);
ro vorbe ‹paroles›, poveşti ‹contes›, texte ‹textes› (arg.), ou d’autres expressions
péjoratives: Te ţii de zvonuri? ‹Tu t’occupes de rumeurs maintenant!?›

3. Genres textuels: les récits


(contes oraux, légendes, histoires drôles…)

Une preuve évidente de catégorisation en GENRES TEXTUELS sont les


étiquettes (substantifs, pour la plupart) qu’utilisent les langues naturelles
pour désigner un genre ou un autre (légende, rumeur, bruit qui court,
etc.).
En dehors de ces appellations très stables, retenons certaines expres-
sions métadiscursives plus ou moins conventionnalisées désignant ces
types discursifs; pour le français:
Je vais vous dire ce que j’ai entendu…, Une bonne nouvelle…, On dit que…, Tu
sais la dernière?, Tu connais la meilleure?…, etc.

ou, pour le roumain:


Am auzit o chestie extraordinară ‹J’ai entendu dire un truc extraordinaire›, Auzi
ce se zice ‹Ecoute ce qu’on dit› ou encore, pour commencer un célèbre cycle de
légendes: Am auzit multe poveşti la Hanul Ancuţei ‹J’ai entendu beaucoup
d’histoires à l’Auberge d’Ancuţa›.

A ce type d’expressions qu’on peut considérer des marqueurs explicites


(car ils dénomment l’activité discursive qui va suivre) s’ajoutent d’autres
marqueurs, déjà grammaticalisés, comme le roumain cică (<zice că ‹on
dit que› – v. ex. (19)), devenu particule pour signaler et / ou baliser les
légendes ou les … bruits qui courent (cf. Pop 2000a: 23-26). Un mar-
quage redondant est possibles dans ces genres essentiellement de l’oral:

237
(19) Cică, fîrtate, se zice din bătrîni, că ziua aia a fost cea mai lungă, pentru că
Dumnezeu a ţinut carul cu foc al Soarelui tot mereu în acelaşi loc, pînă cînd
s-o isprăvit cu nunta. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 402)
(On dit, frère, les vieillards le disent, que ce jour-là a été le plus long, car
Dieu a empêché le char à feu du Soleil à avancer jusqu’à la fin de la noce)

Plusieurs récits populaires, genres proches les uns des autres, peuvent
être considérés comme appartenant à l’ouï-dire: contes oraux, légendes,
certaines histoires drôles, rumeurs, etc.

3.1 Légendes

Le nom de ce genre discursif indique


[un] récit ou tradition populaire qui a, en général, pour sujet soit des événements
ou des êtres imaginaires, mais donnés comme historiques, soit des faits réels,
mais déformés, embellis et parfois mêlés de merveilleux. (Dictionnaire Hachette
Encyclopédique)

Le mode oral, transmis par la tradition, est marqué:


– ou en incipit – ex. (20)-(22), (24), (25);
– ou en chute narrative – ex. (26), (27);
– ou sur tout le parcours du texte.

3.1.1 Les entrées dans la narration


Les entrées dans la narration sont, du moins pour les récits roumains,
marquées par des formules faisant appel à l’ouïe (a asculta, ‹écouter›, a
auzi ‹entendre›) et à l’apprentissage du texte (sûrement en vue d’une
transmission ultérieure). Il est intéressant d’y voir les narrateurs populai-
res jouer souvent sur l’ambiguïté vérité-mensonge – ex. (30), (31):
(20) Auziţ o poveste, […] cin’e-a auzî/bin’e s-a hod’in’i,/cel ce n-a auzi,/a
durn’i. (Bîrlea 1966: 77-78)
(Entendez une histoire, […] qui l’entendra/bien se reposera/qui ne
l’entendra pas,/dormira.)
(21) Cin’e-o asculta, / Bine-o-a-mvăţa. (Bîrlea 1966: 78)
(Qui l’écoutera / Bien l’apprendra)

238
Les verbes de parole forment eux aussi des formules plus ou moins fi-
gées (o-s că (pop.) ‹ils ont dit que›, cică ‹on dit que›, pouvant parfois
baliser le récit du début à la fin avec des formes identiques ou synony-
mes – ex. (22), (23):
(22) O-s c-o fost odată un mpărat (Bîrlea 1966: 274)
(On a dit qu’il y avait un fois un empereur)
(23) Acu, cică într-un munte, – poate-i fi văzut dumneata, maică, la Rucăr, că
aco-lo aud că e – este o femeie de piatră, un stei, făcută dintr-un tot şi, îm-
prejuru-i, tot de piatră, o turmă de oi. Aia e baba Dochia cu oile ei. (Poveşti,
snoave şi legende 1967: 375)
(Maintenant, on dit que sur une montagne, – vous avez peut-être vu, à Rucăr,
c’est là que j’entends [dire] que c’est – il y a une femme en pierre, une sta-
tue, faite d’un bloc et, tout autour, toujours en pierre, un troupeau de mou-
tons. C’est la vieille Dochia avec ses moutons)

La formule suivante est proche de celles des contes écrits, et réfère à la


transmission orale des textes:
(24) A fost, a fost, că dacă nu ar fi fost nu s-ar fi povestit. (Poveşti, snoave şi le-
gende 1967: 383)
(Il était, il était [une fois], car si ça n’avait été on ne le racontait pas.)
Le conditionnel de la doxa anonyme est bien présent dans ces récits,
ouvrant souvent sur le mode (et le monde) fictionnel, en début de narra-
tion:
(25) Ar hi fost un om bătrîn şi-o femeie, şi-a avut o fată şi-um băiat. (Bîrlea
1966: 159)
(Il y aurait eu un vieil homme et une femme, et ils ont eu une fille et un gar-
çon)

Comme on peut le voir dans cet exemple, ce conditionnel «créateur de


monde», dans l’incipit, n’est plus repris dans la suite de la phrase ni en
cours de narration, sa portée étant, de par sa position de déclencher, pro-
jetée sur le récit tout entier. Certains récits réitèrent pourtant cette mar-
que ou d’autres marques de l’ouï-dire en cours de narration.

3.1.2 Les formules finales


Pour les formules finales, le même souci, très souvent explicité, de se
détacher du récit par des expressions métadiscursives, indiquant aussi

239
que les narrations sont encore vivantes dans la bouche des gens (26 şi
acuma se povesteşte ‹on le raconte aujourd’hui encore›) et qu’elles nous
viennent par les récits de nos ancêtres (27 aşa se zice din moşi-strămoşi
‹c’est ce qu›on dit depuis le temps de nos ancêtres›):
(26) De atunci a trecut multă vreme, dar şi acuma se povesteşte că licuricii nu
sînt altceva decît scîntei din steaua cea aruncată de pe cer. (Poveşti, snoave şi
legende 1967: 452)
(Beaucoup de temps est passé depuis lors, mais aujourd’hui on raconte en-
core que les lucioles ne sont autre chose que des étincelles de cette étoile que
Dieu avait jetée sur terre)
(27) Oaspeţii benchetuiră într-una şi-ntr-un timp, chiar Luna şi Soarele danţaseră.
Se zice că a fost atunci atîta strălucire şi foc de dragoste în ochii lor, că me-
senii rămaseră uimiţi de văpaia asta îngerească ce-i unea. Lacrămi [curgeau],
fără să vrei, de nevinovăţia acestei mirese, cum n-a mai fost alta pe lume, şi
de mândreaţa mirelui, cum nu s-a mai dovedit altul de atunci. Aşa se zice din
moşi-strămoşi. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 402)
(Les invités firent la fête sans arrêt et à un moment donné, même la Lune et
le Soleil dansèrent. On dit qu’il y eut alors tant d’éclat et de feu d’amour dans
leurs yeux, que les convives restèrent étonnés par la flamme angélique qui les
unissait. Des larmes [coulaient], involontairement, de par l’innocence de cette
mariée, unique au monde, et la beauté du marié, comme jamais on n’en vit
depuis. C’est ce qu’on raconte depuis la nuit des temps)

Enfin, notons que, à la question Qui vous l’a raconté? que les «enquê-
teurs» posent aux «informateurs», ceux-ci répondent qu’ils ont connu ces
histoires par un membre de leur famille, dès leur enfance, qu’ils les ont
entendu raconter par un voisin, un ami, lors de leur stage militaire, ou
par une source plus floue (dans la forêt!), difficile à identifier, dont ils ne
se rappellent plus:
(28) Ieu dintr-o altă parte am prins-o. (Bîrlea 1966: 208)
(Moi je l’ai pris/entendu ailleurs.)

ou:
(29) Api ce şt’iu io, aşa d’e pîn sat. (id.: 150)
(Que sais-je moi, de par le village.)

Les «informateurs» sont parfois en mesure de reconstituer toute une


chaîne de narrateurs (cf. par ex. Bîrlea 1966: 272) et indiquent, le cas
échéant, s’ils ont déjà transmis le récit à leurs enfants ou à d’autres per-
sonnes.

240
Concernant la véridicité des faits raconté, la question Pensez-vous que
cela est vraiment arrivé?, se voit recevoir des réponses vagues, du type:
(30) Pơt’e că s-o-ntîmplat, pơt’e c-o fost. (Bîrlea 1966: 606)
(Peut-être c’est arrivé, peut-être ça a été)

ou, par un narrateur plaisant:


(31) A fost adevărată, vez bin’e, c-acolo ieram şî ieu, că-s bătrîn (Bîrlea 1966:
354)
(Mai bien sûr que c’était vrai, moi-même j’y étais aussi, car je suis vieux)

D’un autre côté, les «informateurs» disent souvent qu’ils ne font que
reproduire des formes figées:
(32) tot la fel egzact atîta-i, nu poţ să modifici n’imic la ię: atîta mn’i-o spus-o so
ru-mea, atîta am spus-o şi ieu (Bîrlea 1966: 294)
(c’est exactement ça, tu peux rien y modifier: autant m’a raconté ma sœur,
autant je raconte moi aussi)

3.2 Anecdotes populaires («snoave»)

Ce genre discursif appelé en roumain «snoavă, -e» est défini comme:


Petit récit (de type populaire) à contenu ancdotique. (DEX; traduit du roumain)

Il a en roumain un nom particulier (<sl. iz nova ‹de nouveau›) qui le


distingue de «anecdotă», néologisme désignant histoire drôle en général.
En plus, snoavă n’a pas d’équivalent lexical en français et se traduit par
une périphrase. Ce genre textuel est essentiellement oral, et se transmet
de bouche à oreille comme toute la littérature populaire en général; les
marques de l’on-dit y sont présentes:
(33) Zîśe c-o fost on sărac şî avę tri copii. (Antologie de proză populară epică)
(On dit qu’il était [une fois] un homme pauvre qui avait trois enfants)
(34) On raconte, aux environs du Mouton bleu, qu’un krabber de cette paroisse,
un jour que sa femme s’était laissé mourir, s’appliqua sur le corps, afin de ne
pas les perdre, les sangsues non utilisées par la défunte, en sorte qu’à la suite
de cet acte de krabbisme concentré, il trépassa lui-même, pour la grande joie
de ses héritiers. (Garnir 1994: 17)

241
4. Genres-séquences: proverbes, dictons,
répliques figées, refrains

J’appelle genres-séquences les séquences figées, ne dépassant générale-


ment pas les dimensions d’une phrase, et s’insérant telles quelles ou
«détournées» dans le discours.

4.1 Lieux communs: proverbes et dictons

Un proverbe est:
[une] formule figée, en général métaphorique, exprimant une vérité d’expérience,
un conseil, et connu de tout un groupe social. (Le Dictionnaire Hachette Ency-
clopédique)

et un dicton est, à son tour:


une phrase passée en proverbe (id.)

c’est-à-dire une phrase reprise, d’abord par voie orale, ensuite figée par
écrit. Le roumain désigne le dicton non savant par trois noms dérivés du
verbe a zice (‹dire›): zicătoare, zicală et zicere, preuve qu’il s’agit d’un
genre de on-dit largement reconnu. Ce genre bref ne dépasse pas la di-
mension d’une phrase, et ses formes figées sont généralement respectées
par tout le monde. Les proverbes s’introduisent comme séquences rap-
portés dans le discours:
Tous les jolis dictons, proverbes ou adages, dont nos paysans de Provence pas-
sementent leurs discours. (Petit Robert)

et ont des fonctions variables selon les contextes. Les formules métadis-
cursives qui les annoncent ou les referment sont très diversifiées:
(35) Comme dit le proverbe: Ce qui tombe dans le fossé est pour le soldat. (Vigny)
(36) [Le sloebber] C’est celui dont le dicton marollien dit «qu’il vous passe la
main dans le dos par devant et qu’il vous crache dans la figure par der-
rière». (Garnir 1994: 25)

242
Le roumain connaît des formules très diversifiées (ex.: vorba ceea, litt.
‹ce mot-là›), dont l’écrivain Ion Creangă a fait un grand usage dans ses
Souvenirs d’enfance:
(37) Puteam să rămîn cum era mai bine: «Nic-a lui Ştefan a Petrei», om de treabă
şi gospodar în Humuleşti. Vorba ceea: Decît codaş la oraş, / mai bine-n satul
tău fruntaş. (Creangă)
(Je pouvais bien rester comme j’étais: «Jeannot fils d’Etienne fils de Petra»,
homme rangé et aimable à Humuleşti. Comme dit le proverbe: Plutôt premier
dans son village que dernier à la ville.)

Il est tout aussi vrai que les proverbes n’ont pas nécessairement besoin
de formules introductrices pour être utilisés dans le discours, car leurs
formes figées les rendent facilement reconnaissables. Au moins les guil-
lemets de citation ou les italiques sont la plupart du temps là pour les
signaler comme insertions dans le discours.

4.2 Répliques figées

Elles se distinguent des proverbes et dictons par leur marquage essen-


tiellement dialogal (marqueurs d’adresse, d’obligation de réplique, de
subjectivité ou «expressifs», cf. Pop 1998a: 431-432). De telles séquen-
ces sont: A l’aise, Blaise!, Chaud devant!, T’occupe!, Tu sais ce qu’il te
dis le…?, C’est la galère!, Laisse-moi mon air!, Vous en êtes un autre!
Je vais te faire voir de quel bois je me chauffe, A qui le dis-tu?, etc., qui
sont des marqueurs figés d’actes, repris à un inventaire d’expressions
conventionnalisées dans chaque langue et réutilisés à des fins argumen-
tatives, ironiques ou autres (v. exemples chez Bernet & Rézeau 1989).

4.3 Refrains

Pour ce qui est des chansons populaires, cet autre genre figé d’ouï-dire,
elles ont une forme mixte, verbale et mélodique à la fois, qui se transmet
spontanément. La notion restreinte que recouvre le mot refrain est:

243
Suite de mots ou de phrases répétées à la fin de chaque couplet d’une chanson,
d’un poème à forme fixe. (Petit Robert)

et le sens large:
Paroles, idées qui reviennent sans cesse. (v. chanson, leitmotiv, rengaine) (id.)

Un refrain repris est toujours signalé (par ex. à l’aide du marqueur vorba
cîntecului litt. ‹le mot de la chanson›, ou, en (38) ci-dessous, mi-ai adus
aminte de cîntecul cela ‹tu me rappelles cette chanson›):
(38) – […] tată ,[…] te rog, dă-mi calul, armele şi hainele cu care ai fost d-ta
mire, ca să mă pot duce. […]
– Hei, hei, dragul tatei, cu vorba aceasta mi-ai adus aminte de cîntecul cela:
Voinic tînăr, cal bătrîn, / Greu se-ngăduie la drum! (Creangă)

Toutes ces formes fixes sont destinées à être reprises telles quelles, rai-
son pour laquelle elles ont été appelées «discours répété» (wiederholte
Rede) par Coşeriu (Lingvistica integrală 1996: 36-37).

5. Séquences

Il y a des séquences d’ouï-dire qui n’ont pas de formes fixes, et qui sont
moins que des genres: des séquences floues, identifiables par certaines
traces dans le discours. Il s’agit de ces informations approximatives que
les locuteurs rapportent d’habitude avec beaucoup de précautions, à
l’aide de marqueurs de distanciation, d’approximation, d’excuses, etc.
Les superstitions ou certains bribes d’informations / rumeurs peuvent se
constituer dans de telles séquences, plutôt passagères dans les discours.

5.1 Superstitions

Ce sont des croyances transmises par la tradition, dont les folkloristes


recueillent des formes plus ou moins approximatives chez divers locu-
teurs. La formule initiale la plus utilisée, avec le verbe croire (39, 40, 43
se crede că ‹on croit que›, 41 poporul crede ‹le peuple croit›, 42 alţii
cred că ‹d’autres croient que›) indique bien qu’il s’agit de croyances

244
populaires. Sont également utilisés des marqueurs du dire (43 se zice că,
cică ‹on dit que›; 42 unii zic ‹certains disent›), ou autres (e semn că
‹c’est signe que›; să ştii ‹sache›, este obiceiul să ‹la coutume est de›;
etc.):
(39) Venindu-i cuiva să strănute şi neputând, poi se crede că va fi purtat de nas
de cineva. (Gorovei 1995: 33)
(On croit que si on a envie d’éternuer et qu’on n’y arrive pas, on sera menée
par le bout du nez par quelqu’un.)
(40) Despre vânt să crede că este o hală sau balaur mare, care suflă numai pe o
nare de nas, căci dacă ar sufla pe amândouă ar prăpădi tot pământul. (ibid.:
249)
(On croit du vent que c’est […] un grand dragon qui souffle par une seule na-
rine, car s’il soufflait par les deux, il détruirait toute la terre.)
(41) Poporul crede că fiecare om are o stea care la moartea lui cade de pe cer.
(ibid.: 220)
(Le peuple croit que chaque homme a une étoile qui tombe du ciel quand il
meurt.)
(42) Unii zic că vârcolacii se suie la lună sau la soare pe aţa ce s-a sucit într-o zi
de duminică, iar alţii cred că pe aţa ce se toarce noaptea la lună. (ibid.: 250)
(Il y en a qui disent que les loups-garous montent pour dévorer la lune ou le
soleil sur les fils qu’on a tordus un jour de dimanche, mais d’autres croient
que c’est sur les fils tordus la nuit, au clair de la lune.)
(43) Lupul se zice că e câinele sfântului Petru şi unde-i porunceşte el, acolo face
pradă. […] Se crede că lupul are trei peri de drac pe cap, de aceea e fioros.
(ibid.: 127)
(On dit du loup que c’est le chien à Saint Pierre et là où il lui commande de
faire des dégâts, là il en fait. […] On croit que le loup a trois poils de diable
sur sa tête, c’est pour ça qu’il est cruel.)

Les supersitions ne s’insèrent pas dans le discours sous des formes fi-
gées, à contour très clair: pour ce qui les concerne, c’est plutôt le contenu
qui est rendu et moins la forme, dans des séquences de discours indirect
libre (cf. Perrin 1994: 221):
(44) Şi tot ninsoare şi pîclă pănă în pămînt, de nu se vedea om pe om alăturea
fiind.
– Aşa-i că s-a diochet vremea? zise unul dintre plăieşi oftînd. Mă mieram eu
să fi mîncat lupul iarna asta aşa în pripă. De pe la Înţărcători am prăpădit
drumul. (Creangă)

245
(Et rien que de la neige et du brouillard jusqu’aux pieds, à ne plus voir celui à
côté de soi.
– Le temps s’est gâté, n’est-ce pas? dit l’un des montagnards en soupirant.
J’étais étonné de voir cet hiver bouffé si vite par le loup. Nous avons perdu le
droit chemin à partir de [...])

Cette séquence fait allusion à une croyance disant qu’on considère


l’hiver passé quand le loup-(garou) l’aura mangé. Après avoir évoqué
cette croyance sous forme de commentaire personnel, le locuteur reprend
son discours là où il l’a interrompu.

5.2 Rumeurs

La rumeur publique est un type d’information, de nouvelle. C’est:


[un] bruit ou [des] nouvelles qui se répandent dans le public. (Petit Robert)

Il est intéressant de remarquer que le mot roumain zvon ‹rumeur› (avec


un sémantisme similaire à celui de rumeur pour le français) a une famille
lexicale très riche par rapport au mot français qui, lui, est orphelin:
fr rumeur (publique) ro zvonar, -ă, -i, -e (n., adj.)
zvonist, -ă, i, -e (n., adj.) ‹personne qui répand les
rumeurs›
a se zvoni (vb imps) Se zvoneşte că…
zvonire, -i (n.f.) – substantif dérivé du verbe
précédent

En plus, les dictionnaires du roumain ne disent rien du mot zvonistică


(‹la zvonistique›, en traduction plaisante), nom donné par les Roumains à
la technique de la Securitate qui, sous Ceauşescu, était censée répandre
des informations fausses dans la population: la signification que le peu-
ple a donnée et donne encore à ce mot est celle de ‹science ou technique
3
de désinformation›.
En principe, dans les écrits formels, c’est plus rare de voir ce genre de
nouvelles se manifester aujourd’hui, car la déontologie des média interdit

3 Une étude de pragmatique socio-culturelle pourrait être intéressée de cette pratique


communiste diabolique comptant justement sur la naïveté d’un peuple enclin à
croire ce qu’on racontait dans la rue plutôt qu’aux discours officiels.

246
de diffuser des informations non vérifiées. Ce n’est pas le cas pour des
écrits plus anciens (époque médiévale, par ex.), où vérifier les informa-
tions était souvent difficile. Je reprends ci-dessous une telle séquence –
v. (45) –, reprise au premier texte littéraire roumain: une «lettre» écrite
par un marchand qui était censé recevoir, par ses agents, des nouvelles
sur une campagne militaire turque en train de se dérouler, pour en infor-
mer un dirigeant de la ville de Braşov, en Transylvanie:
(45) I pak dau ştire domnietale za lucrul turcilor,1/ CUM AMЬ AUZITEU2/ că
⇑păratul au eşit den Sofiѫ,3/ şi aimintrĕ nu e,4/ şi sĕu dus ⇑sus pre Dunăre.5/
I pak să ştii domniiata6/ că au venit un om de la Nicopoe7/ de mie mĕu spus8/
că au văzut cu ochii loi / că au trecut cĕle corabii10/ ce ştii şi domniiata11/ pre
9

Dunăre ⇑sus.12/ I pak să ştii13/ că bagă den tote oraşele căte 50 de omin14/ să
fie ⇑n ajutor ⇑corabii.15/ …/ I pak spui domnietale de lucrul lu Mahamet
beg16/ CUM AMЬ AUZIT DE BOѫRI17/ ce săntь megiiaş18/ şi de genere-miu Ne-
gre19/ cum ѫu dat ⇑mpăratul slobozie lu Mahamet beg20/ pre io-i va fi voѫ21/
pren Ţĕra rumănĕscă iară elь să trĕcă. /…/ I pak spui domnietale ca mai ma-
22

rele miu / DE CE AM ⇑NŢELES ŞI EU /…/ (Scrisoarea lui Neacşu)


23 24

Sont réitérés dans ce texte:


– des marqueurs d’actes informatifs:
1 dau ştire domnietale ‹je vous informe›; 6 să ştii domniiata ‹que votre majesté le
sache›; 13 să ştii ‹sache›; 16 et 23 spui domnietale ‹je vous dis›

– des marqueurs de l’ouï-dire (ou de réserve):


2 cum amь auziteu ‹comme je l’ai entendu›; 17 cum amь auzit de boѫri ‹comme
je l’ai entendu par les boyards›; 24 de ce am ⇑nţeles şi eu ‹de ce que j›ai pu
comprendre›;

– des marqueurs de véridicité (ou de garantie):


4 şi aimintrĕ nu e ‹et ce n’est pas autrement›; 7-8-9 un om de la Nicopoe / de mie
7

mĕu spus / că au văzut cu ochii loi ‹un homme venant de Nicopoe qui m’avait dit
8

avoir vu de ses propres yeux›; 18-19 ce săntь megiiaş18/ şi de genere-miu Negre


‹qui sont des voisins / et par mon gendre Negre›)

marqueurs dont la fonction est d’appuyer la crédibilité de la source.


D’autres sources écrites anciennes sont les lettres de grâce (cf. un corpus
e
de lettres du XVI siècle chez Zemon Davis 2003), où sont consignés les
dires de témoins ayant dû s’en tenir à ce qu’ils ont vu ou entendu sur un

247
crime ou un autre. Dans ces témoignages ou lettres, il y a de nombreuses
séquences de dires rapportés, comme:
(46) Şi, mai târziu, a auzit vorbindu-se că din cauza loviturilor menţionate şi din
lipsa tratamentului şi a îngrijirilor, nevasta lui s-a stins din viaţă. (Zemon Da-
vis 2003: 148)
(Et plus tard, il a entendu dire qu’à cause des coups déjà mentionnés et du
manque de traitement et des soins, sa femme s’était éteinte.)

Enfin, malgré l’interdit, de telles séquences peuvent parfois s’insinuer


dans les discours médiatiques. L’exemple (47) ci-dessous est repris à un
journal télévisé roumain qui a cru bon introduire des informations
concernant les négociations de la Roumanie pour l’entrée dans l’UE par
une rumeur ironique:
(47) un alt zvon a început să circule prin ţară şi anume că începînd cu 2007 nu
va mai fi permisă fabricarea ţuicii, băutura… (Antena1, 26 nov. 2003)
(une autre rumeur commence à courir dans le pays, à savoir qu’à partir de
2007 la fabrication de la tzouika, la boisson…, ne sera plus autorisée)

De même, dans une déclaration à la presse, le parlementaire européen M.


Oostlander justifiait récemment sa proposition de suspension des négo-
ciations avec la Roumanie:
a) d’un côté par le rapport défavorable de Mme Emma Nicholson –
une source écrite, d’autorité, à une garantie de crédibilité difficile-
ment contestable (une personnalité politique citée et son rapport
officiel sont des preuves plus que suffisantes de vérité):
(48) Am ascultat raportul Emmei Nicholson şi am fost cu adevărat şocat de re-
marcile sale. (EZ 3621: 9)
(J’ai écouté le rapport de Emma Nicholson et j’ai été réellement choqué par
ses remarques. )

b) d’un autre côté, par les «dires» de collègues ayant visité la Rou-
manie. Ce dernier cas de figure correspond bien à une catégorie de
ouï-dire: il s’agirait là d’informations transmises par des rapporteurs
plutôt vagues (personnes non spécifiées; v. le marqueur am vorbit şi
cu alţi colegi ‹j’ai parlé avec d’autres collègues aussi›) et pour les-
quelles le locuteur manque de preuves concrètes, d’où le doute possi-
ble sur leur véridicité (v. le marqueur de distanciation am impresia că
‹j’ai l’impression que›):

248
(49) Am vorbit şi cu alţi colegi care au vizitat recent România şi am impresia că
situaţia s-a deteriorat. (id.)
(J’ai parlé avec d’autres collègues qui ont récemment visité la Roumanie et
j’ai l’impression que la situation s’est détériorée.)

On pourrait affirmer qu’il s’agit peut-être là d’un type ambigu d’infor-


mation, à garantie contestable, vu que la source invoquée est orale et
plutôt imprécise. Bref, un type d’information difficilement identifiable,
très proche de la rumeur, mais pas complètement anonyme. Ce qu’on
appelle des informations officieuses.
Un phénomène intéressant peut appuyer ce cas de figure: pour les in-
formations à sources «non autorisées», perçues comme rumeurs, les lo-
cuteurs se voient obligés de demander «des comptes», comme dans les
questions presque figées du type Qui te l’a dit? Dans ce même sens,
certaines formules justificatives, figées, du type C’est ce qu’on raconte /
dit (v. c-aş-am auzit en 50), peuvent instituer rétroactivement une sé-
quence, autrement non marquée, comme rumeur proprement dite:
(50) CJ: l-au trimis la o secţie de votare în (AK) la Timişoara↓ c-aŞ-AM auzit↓
(CORV)
(CJ: ils l’ont envoyé à une section électorale en (AK) à Timişoara↓ c’est du
moins ce que j’ai entendu dire↓)

J’ai relevé dans le corpus un autre cas ambigu, doublement marqué


comme ouï-dire (par n-ai auzit? ‹tu n’as pas entendu [parler]?›, et par
cică ‹on dit que›), et dont le contenu est plutôt une anecdote abrégée,
invoquée comme argument:
(51) Dac-ar fi să iasă toţi învăţaţi, după cum socoţi tu, n-ar mai avè cine să ne tra
gă ciubotele. N-ai auzit că unul cică s-a dus odată bou la Paris, unde-a fi
acolo, şi a venit vacă? (Creangă)
(Si tout le monde devait s’instruire, comme tu crois, il n’y aurait plus per-
sonne à nous aider à enfiler nos chaussures. Tu n’as pas entendu l’histoire de
celui qui est parti bœuf pour Paris, c’est où ça déjà?, et en est rentré vache?)

N’oublions pas la peur du «qu’en-dira-t-on?», cette épée de Damoclès


dont se sentent menacées en permanence nos «faces» ou images publi-
ques...

249
6. Unités lexicales:
surnoms, lieux-dits et autres noms populaires

Un troisième cas de figure considéré ici est constitué d’un côté par les
«on l’appelle» – des surnoms donnés aux gens (vs les «il s’appelle» pour
les noms propres), et d’un autre côté par les lieux-dits. Ces deux cas peu-
vent se définir comme ouï-dire par les sources généralement floues qui
sont à leur origine.

6.1 Les surnoms et sobriquets

Le Petit Robert explique l’origine des surnoms / sobriquets comme suit:


Jadis les gens du peuple n’étaient connus que par un sobriquet tiré de leur profes-
sion, de leur pays. (Balzac)

et donne comme exemple:


(52) Elle venait de la Suisse allemande, ce qui l’avait fait surnommer, «la Prus-
sienne». (Larbaud)

Beaucoup de récits sont présentés comme explications / arguments pour


des surnoms, tel dans l’ex. 53 ci-dessous:
(53) În vremea veche, demult-demult, de cînd minte nu se ţine, era pe aici, pe la
noi, un domn de-i zicea lumea Domnul de Rouă. Şi de ce machea îi zicea lui
lumea Domn de Rouă?
Să vă spun tărăşenia cum este. (Poveşti, snoave şi legende 1967: 391)
(Dans un temps très révolu, dont on se rappelle pas, il y avait dans ces para-
ges, chez nous, un monsieur que les gens appelaient Monsieur la Rosée. Et
pourquoi l’appelait-on Monsieur la Rosée?
C’est ce que je vais vous raconter dans ce qui suit.)

Poil de Carotte, encore, porte bien son nom, même si à l’origine de celui-
ci n’est pas un on l’appelle vague, mais bien …sa mère:
(54) – […] Poil de Carotte, va fermer les poules!
Elle donne ce petit nom d’amour à son dernier-né, parce qu’il a les che-
veux roux et la peau tâchée . (J. Renard)

250
Rappelons que les noms donnés à une personne spontanément étaient, de
par leur motivation sémantique, de vrais comment on l’appelle? et beau-
coup de langues gardent certaines de ces expressions courantes utilisée
pour introduire aux noms (en fr comment s’appelle-t-il; ro cum îl cheamă
‹comment on l’appelle›; esp como se llama; it come si chiama, qui ren-
voient toutes à les gens appellent x comme ça).

6.2 Lieux-dits

Un lieu-dit est un lieu qui ne porte pas un nom «officiel»; c’est


[un] lieu de la campagne qui porte un nom traditionnel désignant une particularité
d’ordre topographique ou historique. L’autocar s’arrête au lieudit des «trois
chênes» . (Petit Robert)
(55) acest Caure […], în jurul orelor nouă seara […], împreună cu mai mulţi ve-
cini, care mergeau să petreacă dincolo de poarta numitului oraş Senlis,
cunoscută sub numele de poarta Sainct Rieulle, începe să spună […] aceste
cuvinte […] (Zemon Davis 2003: 153)
(vers neuf heures du soir, ce Caure […], accompagné de plusieurs voisins,
qui allaient faire la fête au-delà de la porte de ladite ville de Senlis, porte
connue sous le noms de Sainct Rieulle, commence à dire […] les mots sui-
vants)
(56) dans les journaux de l’époque / c’est-à-dire vers mille huit cent quatre-vingt-
huit / # quatre-vingt-dix / # on parle beaucoup de la villa / # Thomson // #
elle est plus connue sous le nom de villa Thomson (Coralrom)

6.3 Des noms populaires aux mots tout court

Enfin, par extension, toute appellation qui circule est un ouï-dire (formes
nominales transmises par voie orale), tels les noms populaires des insec-
tes, des plantes, etc. (v. l’ex. 57). Dans des séquences métadiscursives,
comme ci-dessous:
en 57 li se zice ‹on les appelle›; en 58 on parle de; en 60, 63 on appelle, on dit
couramment; en 59, 60-62 (comme) on dit

251
les locuteurs présentent les noms qu’ils utilisent comme des on-dit, qu’il
s’agisse d’insectes (57 lucane), d’un phénomène économique (58 mar-
keting bancaire), social (59 souches) ou psychologique (63 télépathe),
d’un terme de viticulture (60 cépages nobles, cépages à rendement
haut), de zoologie (61 animaux monogames) ou de la vie sociale (62
famille):
(57) De aceea rădaştelor li se zice şi boul lui Dumnezeu şi vaca lui Dumnezeu.
(Poveşti, snoave şi legende 1967: 463)
(Voilà pourquoi les lucanes on les appelle aussi le bœuf de Dieu ou la vache
de Dieu)
(58) aujourd’hui on parle de marketing bancaire//on parle du marketing de
l’assurance//hein donc pour tout ce qui est biens/et tout ce qui est services/on
peut faire du marketing conforme aux attentes des consommateurs visés (Co-
ralrom)
(59) c’est qu’il y a des pratiques identitaires/c’est-à-dire que dans des cités/on a à
la fois des [/] des de souches/comme on dit (id.)
(60) bon on dit des cépages nobles//des cépages qui ont remplacé ce que l’on ap-
pelait avant des cépages à rendement haut/ # tels que l’Aramon/ # mais qui
ne faisaient sûrement pas du bon vin (id.)
(61) ces deux espèces de sociétés conjugales ont donc une signification très diffé-
rente//et pourtant le même mot sert à les désigner/car on dit couramment de
certains animaux qu’ils sont monogames/quoiqu’il y ait chez eux rien qui
ressemble à une obligation juridique (id.)
(62) que ce soit des gens de l’aire privée/ # la famille comme on dit hein/ # ou
que ce soit # l’étranger/ # dans son sens très large (id.)
(63) Ce qu’on appelle un télépathe!/C’est-à-dire que je peux transmettre/ma pen-
sée à distance! (Devos 1976: 49)

Comme il s’agit là non seulement d’une histoire de noms, mais aussi


d’une histoire de concepts, de catégorisation, la voie semble dès lors
ouverte pour considérer toute dénomination et, partant, tout le lexique
comme un on-dit / ouï-dire plus ou moins implicite, où les gens donnent
et / ou entendent dire des mots.

252
6.4 Les emprunts

Non en dernier lieu, je voudrais mentionner certains emprunts qui entrent


dans une langue et se figent comme des formes entendues avant qu’une
instance terminologique n’ait eu le temps d’intervenir pour les valider et
les fixer par écrit. L’exemple du mot anglais site (en informatique), sem-
ble s’être imposé en roumain avec sa prononciation d’origine [sajt],
parce qu’une standardisation du terme – sous la forme [sit], plus proche
de l’esprit de cette langue latine, comme c’était le cas en français, par ex.
– est toujours attendue. Au moment où elle viendra effectivement, ce
sera trop tard, car la forme anglo-américaine se sera déjà depuis long-
temps imposée à l’usage. Par ouï-dire. Et c’est loin d’être un exemple
isolé.

7. Problèmes d’équivalences: les traductions

En traduisant les séquences susmentionnées (du français en roumain ou


vice-versa), j’étais tentée plus d’une fois de traduire un marqueur par un
autre, par ex. les marqueurs de l’ouïe par des marqueurs du dire, preuve
incontestable que les deux opérations, au-delà de leurs significations
littéralement distictes, ont des sens / effets de sens identiques. Par exem-
ple, en (64):
(64) CJ: l-au trimis la o secţie de votare în […] la Timişoara↓ c-aŞ-AM auzit↓
(CORV)
(litt. ‹ils l’ont envoyé à une section électorale en […] à Timişoara↓ car c’est
comme ça que j’ai entendu›)

l’expression qui signifie littéralement ‹car c’est comme ça que j’ai en-
tendu› se traduirait plus naturellement par c’est du moins ce qu’on ra-
conte. Dans (65) encore:
(65) Despre vânt să crede că este […] un balaur mare… (Gorovei 1995: 249)
(On dit du vent que c’est […] un grand dragon…)

pour la forme roumaine se crede că ‹on croit que›, on dit que convien-
drait mieux en français. Et ce ne sont que deux exemples prouvant que

253
ces marqueurs, de par le fait de mettre en scène par leurs expressions
tous les ingrédients de la situation de l’ouï-dire (le dit, l’ouïe, la doxa
collective, les agents, etc.), peuvent être et sont, par métonymie, inter-
changeables.

8. Ouvertures

Pour rendre compte de l’effet de sens des marqueurs de l’on-dit / ouï-


dire, penons un exemple d’utilisation erronée de l’expression on dit que;
il s’agit d’une copie d’étudiant dont le sujet à traiter était: «La formation
du français des origines à nos jours»:
(66) Tout d’abord on a dit que la langue française est une langue d’origine latine.
Dès toutes les langues latines la langue française est considérée comme une
des plus belle. (sic) (copie d’étudiant)

Une dernière remarque: si l’ouï-dire existe bien, de par son nom, dans la
conscience des locuteurs comme catégorie apparemment universelle, il y
a peut-être lieu de regarder une catégorie qui lui ferait pendant – celle de
lu / vu-écrire (on-lit / on écrit). Les «traces» du type J’ai lu quelque part,
comme en (67) ou on en lit des choses en (68) ci-dessous:
(67) J’ai lu quelque part: «Dieu existe, je l’ai rencontré!» (Devos 1976: 29)
(68) On en lit des choses sur les murs!… / Récemment, j’ai lu sur un mur: / «Le
Portugal aux Portugais!» (id.: 115)

laissent entendre qu’on a affaire à une catégorie moins générale et de


toute façon moins présente à l’esprit des gens, vu que les langues n’ont
pas figé (ou très peu) dans leurs lexiques ce genre d’expression. Si
l’impersonnel scrie cǎ (‹on écrit que›) du roumain est assez utilisé pour
référer à ce qui est paru dans les journaux, son équivalent français sem-
ble l’être moins. Affaire à suivre…

254
Conclusion

Ces treize chapitres, s’ils ne se constituent pas en une description com-


plète de ce que j’aimerais définir comme grammaire graduelle, appor-
tent du moins quelques arguments en faveur de cette perspective en ter-
mes de degrés, qui semble plus adéquate aux phénomènes linguistiques
naturels en général et aux discours spontanés en particulier. Dans la
première partie, les descriptions partielles sur une fonction ou une autre
donnent une image tant soit peu détaillée de ce qu’une telle grammaire
devrait offrir.
Montrant plusieurs continua qui semblent exister entre certaines
fonctions grammaticales et certaines fonctions discursives, j’essaie de
développer une idée qui commence à être de plus en plus débattue au-
jourd’hui, celle de l’articulation grammaire-discours, autrement dit,
entre ce que l’on appelle micro- et macro-syntaxe. Je reprends, entre
autres, l’idée chère aux théoriciens de la grammaticalisation, celle des
deux modes de construction du verbal invoqués d’habitude: le mode
grammatical, plus synthétique et plus lié, et le mode pragmatique, plutôt
non intégré grammaticalement. La gestion de ces deux modes semble se
faire par un mouvement alternatif, permanent, entre l’un et l’autre, et
selon les «besoins communicatifs» des locuteurs, qui, eux, mettront telle
fonction sur un plan avant (sémantiquement plus fort) ou, au contraire,
sur un plan secondaire (fonctions sémantiquement plus faibles) du dis-
cours. La structuration des discours spontanés, de nature plutôt pragma-
tique, montre néanmoins qu’un souci de grammaticalité est toujours
présent même dans les discours non préparés d’avance, et qu’un travail
de réparations grammaticales se met en place à chaque fois qu’un conflit
pragmatique-grammaire se manifeste. Les jugements de grammaticalité
peuvent dès lors se mettre à l’abri du pragmatique, et autoriser de distin-
guer entre deux types de pertinence: l’un grammatical et l’autre discursif.
Ainsi, un thème, grammaticalement non intégré, aura une pertinence
pragmatique, tandis que le sujet, qui est intégré à la phrase de langue,
aura une pertinence grammaticale (cf. aussi Danon-Boileau, L., Meunier,
A., Morel, M.-A. 1991: 112).

255
La conclusion qui semble s’imposer est qu’à différents niveaux de
l’analyse grammaticale – fonctions, relations / structuration des unités,
etc. – une gradualité se fait bien évidente, à travers les moyens expres-
sifs, qui obligent souvent de déplacer les frontières pour une catégorie ou
une autre. Si les fonctions, les relations et les structures grammaticales
semblent être issues, historiquement, de structures pragmatiques «non
liées» et sémantiquement plus fortes, le mouvement inverse n’est point
exclu en synchronie, et semble aller des moyens grammaticaux vers les
moyens pragmatico-discursifs. Les deux modes de structuration (macro-
et micro-syntaxique) coexistent, permettant aux locuteurs de donner plus
ou moins de relief ou de passer à leur gré des plans avant du discours aux
plans arrière, choisissant sur ces continua expressifs une forme ou une
autre.
Les conflits de structuration micro- et macro-syntaxiques apparaissent
ainsi comme tout-à-fait naturels, et si leur description s’avère souvent
difficile, au moins deux solutions sont ici offertes: celle des continua
proposée dans cet ouvrage et / ou celle des espaces discursifs proposée
auparavant (Pop 2000a).
L’ébauche de grammaire graduelle que je donne ici rencontre plu-
sieurs tentatives de description de continua (du type grammaire ou du
type plutôt discursif) effectuées par d’autres auteurs:
− enclosures; hiérarchie des adverbes suivant la propension à l’anté-
position; degrés d’application des règles (Kleiber & Riegel 1978);
− connecteurs sémantiques / connecteurs grammaticaux (Gruiţă 1980);
− constructions détachées (Combettes 1982);
− la thématicité (Touratier 1998);
− mise en cadre (Berthonneau 1987; Larroux 1994; Danon-Boileau, L.
& Morel, M.-A. 1997; Touratier 1998);
− continuité thème / topique – cadre (Charolles 2003; Prévost 2003;
Fuchs & Fournier 2003);
− constructions appositives (Bussche 1988);
− hiérarchie des référents et connaissance partagée: les degrés dans
l’opposition connu / nouveau (Combettes 1992);
− marquage de l’explication / justification (Apothéloz & Brandt 1992);
− actants et circonstants (Mélis 1994);
− acte d’ordre de sortir (Morel 1995);

256
− actualisation phrastique / mise en spectacle de la phrase (Bres 1995),
et leurs degrés d’analyticité;
− la relation de concession (Danon-Boileau, L. & Morel, M.-A. 1992;
Pop 1989a; Stati 1998);
− la préposition (Gaatone 2001);
− adverbes > connecteurs de coordination (Van Raemdonck 1998);
− énumération (Charolles 2001); etc.
Les quelques analyses données ici suggèrent plusieurs pistes à suivre en
termes de grammaire graduelle:
– analyses des marques – explicites (plutôt discursives) et implicites
(plutôt grammaticalisées) – pour chacun des continua repérables dans
une langue ou dans l’autre;
– analyses comparatives des langues, pour observer les moyens spécifi-
ques qu’en a développé chacune sur un continuum ou un autre, ainsi
que le degré de grammaticalisation de ces marqueurs;
– analyses sur «le relief» / les «figures» discursives (au sens cognitif du
terme), avec les expressions tenant de l’avant-plan discursif; l’étude
de ces moyens peut avoir un intérêt interlinguistique pratique pour les
approches stylistiques ou la traduction;
– analyses des «raisons textuelles» ou communicatives qui comman-
dent le choix d’un moyen expressif ou / et non d’un autre dans la pro-
duction des discours; ce type d’approche peut apporter des réponses
pour la didactique de la rédaction écrite ou de l’exposé oral;
– analyse des pratiques discursives, avec les formes génériques (genres
plus ou moins reconnus) qu’elles prennent dans une langue ou l’autre;
etc.
Vu la difficulté des approches graduelles, l’affirmation du caractère obli-
gatoirement flou de toute grammaire (cf. Kleiber, Riegel 1978) n’a appa-
remment pas suffisamment «pris», malgré de nombreuses études ponc-
tuelles. C’est la raison pour laquelle, dans son ensemble, ce livre s’est
proposé de rouvrir une discussion à mon avis insuffisamment avancée
jusqu’à présent, dans le désir de montrer, plus explicitement, qu’une
théorie graduelle des faits de langue apparaît comme nécessaire, cohé-
rente et productive.

257
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S’y ajoutent des séquences prises aux auteurs suivants:
E. Baranga, Şt. Bănulescu, Beaumarchais, M. Bredel, I. L. Caragiale, G. Coşbuc, R. Devos,
F. Dorin, M. Eminescu, Geluck, Jarnik-Bîrseanu, Leibnitz, M. Moreau, Cl. Sarraute,
Streiteman, J. Tardieu, M. Tournier, B. Vian
et aux journaux: Le Figaro, Le Monde, La Quinzaine Littéraire, Le Temps,
ainsi qu’à des chaînes de télévision françaises et roumaines.

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