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Dissertation : faut – il s’interdire toute mesure protectionniste ?

Doc 1 : les effets positifs de l’ouverture : orientation du commerce et niveau de


vie dans les pays en développement

Doc 2
Les récessions et leurs conséquences font le lit du protectionnisme. Quand la
production baisse et que le chômage augmente, l'idée que les échanges avec
l'étranger y sont pour quelque chose est séduisante. La tentation grandit d'exporter le
chômage en bloquant les importations et en subventionnant les industries nationales,
même si de telles mesures sont manifestement contre-productives. La Crise de 1929
a engendré des mesures ultraprotectionnistes qui ont aggravé le chaos économique
et social aux quatre coins du monde. [...] En 1929, le Congrès américain avait
commencé à réfléchir à une augmentation substantielle des droits de douane avant
même le krach boursier. En juin 1930, malgré les protestations de nombreux
économistes, la loi Smoot-Hawley relative aux droits de douane a été promulguée,
nourrissant un profond ressentiment dans les autres pays et déclenchant quelques
mesures de représailles. [...] L'année 1931 a vu une détérioration de plus en plus
rapide du commerce international et une course folle pour protéger les marchés
intérieurs et les balances des paiements. De grands pays ont procédé à de fortes
dévaluations, imposé des restrictions de change, ou encore largement relevé les
droits à l'importation et contingenté les importations. [...] Le commerce mondial a
diminué de 25 % en volume entre 1929 et 1933, la moitié ou presque de ce recul
étant imputable au relèvement des barrières commerciales. Aux États-Unis,
l'application du nouveau tarif s'est traduite par une hausse du droit de douane moyen
sur les importations taxables, qui est passé de 40 %, un chiffre déjà élevé, à 47 %.
[,..] Bien que le protectionnisme n'ait pas été à l'origine de la crise des années 30, le
renforcement des obstacles au commerce l'a aggravée et, pire encore, a contribué à
asphyxier la reprise. La production mondiale est revenue à son niveau d'avant la
crise en 1938, mais avec un ratio commerce/PIB inférieur d'environ 20 % à celui de
1929. Bien que les différentes séries de restrictions aient été progressivement
supprimées à partir de 1934, il a parfois fallu plusieurs dizaines d'années pour
revenir sur les initiatives malheureuses prises entre 1930 et 1932.
Source : Christian Henn et Brad McDonald « Éviter le protectionnisme »,
Finances & Développement, FMI, mars 2010, pp. 20-23
Doc 3 Importations et emplois dans l’industrie française de l’habillement

Document 4 : emploi manufacturier dans quatre pays européens (en % du total


)

Datastream ,Eurostat ,Natixis


Corrigé

Introduction
Entrée en matière : Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les échanges
internationaux de biens et de services ont connu une croissance sans précédent,
dépassant largement celle du PIB : les échanges mondiaux ont progressé cinq fois
plus vite que le PIB mondial entre 1950 et 2010. Outre les progrès dans les
transports et les communications, l'un des facteurs de cette croissance est la
libéralisation organisée et concertée des échanges, au sein des accords du GATT,
devenu l'OMC en 1995, qui a permis une division par 10 du montant moyen des
droits de douanes depuis sa création. Les droits de douane sont en effet l'une des
mesures possibles d'une politique protectionniste, visant à réduire les importations
de produits étrangers en augmentant leur prix sur le territoire national.
Problématique : Malgré ce contexte de libéralisation des échanges, le débat entre
libre-échange et protectionnisme est à nouveau d'actualité. La crise de 2008 et ses
répercussions ont en effet exacerbé les tensions internationales : les pays durement
affectés par la récession et le chômage risquent de chercher à se protéger de la
concurrence. Cependant, un protectionnisme total aurait des effets très négatifs sur
la croissance de tous comme dans les années 1930. Pour éviter ces deux écueils,
peut-on envisager une simple modération du libre-échange, en s'autorisant
l'utilisation de certaines mesures protectionnistes ?
Annonce du plan : Si le libre-échange, tel qu'il est pensé et vécu, exclut toute
mesure protectionniste (partie I), le contexte actuel peut cependant justifier un
protectionnisme modéré (partie II).

I - La généralisation et les avantages du libre-échange excluent en principe


toute mesure protectionniste
Présentation : La libéralisation des échanges a des atouts qui ont été démontrés
théoriquement (A) et empiriquement (B).

A Les vertus théoriques du libre-échange


L’ensemble de l'argumentaire théorique libéral en faveur du libre-échange conduit à
considérer qu'il faut s'interdire toute mesure protectionniste, puisque celle-ci
conduirait à des effets néfastes sur la croissance. En effet, dès le XVIIIe siècle,
Adam Smith puis David Ricardo, ont démontré les vertus du libre-échange. Chaque
nation a ainsi intérêt à se spécialiser dans la production et l'exportation des produits
pour lesquels elle possède un avantage absolu ou comparatif. Chaque nation
devient ainsi plus compétitive dans ses spécialisations, ce qui permet d'accroître la
richesse produite et toutes les nations sont gagnantes à pratiquer le libre-échange.

Ces gains au libre-échange sont essentiellement dus aux gains de productivité liés à
la division du travail et à l'extension des marchés. En effet, le libre-échange incite les
entreprises à accroître leur compétitivité-prix, grâce à une rationalisation accrue de
leur production. Elles peuvent alors réaliser des économies d'échelle importantes.
Cet effet-taille permet ainsi des réductions de coûts et donc de prix. Les importations
permettent ainsi des prix plus attractifs, ce qui a un effet positif sur le pouvoir d'achat
et donc sur la consommation, vecteur de croissance.
B Les vertus du libre échange constatées empiriquement
L'analyse de deux périodes historiques particulières semble confirmer les thèses
libre-échangistes.

Entre 1963 et 1992, les économies qui se sont ouvertes aux échanges internationaux
se sont développées bien plus vite que les économies autocentrées (doc. 1). Les
premières ont connu les taux de croissance annuels de leur PNB par habitant les
plus élevés, entre 6 et 7 %. Certes, dans cette période exceptionnelle des Trente
Glorieuses, la croissance peut être expliquée par d'autres facteurs. Mais même
après le premier choc pétrolier, seules les économies très ouvertes maintiennent le
taux de croissance de leur PNB par habitant aux alentours de 6 % alors que les
autres, même modérément ouvertes, voient ce taux chuter en dessous de 3 %, voire
même atteindre des taux nuls ou négatifs pour les économies fermées ou
modérément fermées. Ainsi, le libre-échange aurait joué un rôle non négligeable sur
la croissance, notamment dans les pays asiatiques.

La période des années 1930 a été marquée par un repli protectionniste général qui a
été source d'aggravation de la crise de 1929. Les mesures protectionnistes prises en
chaîne et par représailles, par de nombreux pays, ont réduit les échanges
internationaux de 25 %, autoalimentant ainsi la récession générale. Il a fallu attendre
1938 pour retrouver le niveau du PIB mondial de 1929 (doc. 2). Cet exemple
historique nous rappelle les dangers du protectionnisme, tel qu'ils avaient été
théorisés par les libéraux.
Transition : Cependant, brandir le spectre de la crise des années 1930 pour inciter
les pays à s'interdire toute mesure protectionniste, semble peu judicieux aujourd'hui.
Dans la mesure où le contexte a changé, le débat sur la possibilité de pratiques
protectionnistes est de nouveau d'actualité.

II - Une modération du libre-échange dans le contexte actuel

Présentation : La présentation théorique et empirique habituelle des effets


bénéfiques du libre-échange ne doit cependant pas masquer ses effets pervers (A).
Or c'est la prise en compte de ces effets pervers, notamment dus au non-respect des
règles de la concurrence, qui devrait justifier certaines mesures protectionnistes (B).

A. Existence de certains effets pervers du libre-échange


Contrairement à ce qu'énonce la théorie libérale, tous les pays ne gagnent pas à
l'échange. En effet, des économies hyper- spécialisées, notamment dans la
production de produits primaires (produits agricoles ou ressources minières) risquent
de voir se dégrader leurs termes de l'échange : leurs exportations soumises à de très
fortes variations des prix ne génèrent pas es ressources suffisantes pour financer le
développement d'industries à plus forte valeur ajoutée. Ces économies, notamment
celles de l'Afrique, se retrouvent ainsi très dépendantes des variations de la
demande mon: ale et donc fragilisées, en raison même de leur ouverture aux
échanges mondiaux.

Par ailleurs, les pays anciennement industrialisés sont victimes de la concurrence


des pays à bas salaires et du dumping social. Les nouveaux pays industrialisés (NPI)
se sont en effet spécialisés dans des industries qui utilisent relativement beaucoup
de main-d'œuvre : l'électronique, le -extile, le jouet, etc. Cela entraîne une
destruction de l'emploi industriel dans les pays développés à économie de marché
(PDEM). Par exemple en Italie, Allemagne, France et Espagne, la part de l'emploi
industriel dans e total des emplois a chuté d'environ 4 points entre 1999 et 2011 ;
cette part est ainsi passée, en France, de 16 % à 11 %, (doc. 4). Le libre-échange
peut alors être perçu comme l'une des causes de cette « désindustrialisation ».
L'industrie française de l'habillement peut illustrer ce lien entre libre-échange et
destruction des emplois. Sur la décennie 1990, les importations françaises
d'habillement ont fortement augmenté, passant de 40 % à 73 % - la production
domestique. Dans le même temps, les emplois dans ce secteur ont été quasiment
divisés par deux, passant de plus de 260 000 à moins de 140 000 (doc. 3).

Ces deux types d'effets pervers du libre-échange. paraissent légitimer la mise en


oeuvre de certaines mesures protectionnistes.

B Le protectionnisme : une nouvelle légitimité


Certains pays peuvent ainsi s'autoriser des mesures protectionnistes dans l'objectif
de protéger leurs industries, soit lorsqu'elles sont naissantes (cas des pays en
développement — PED) soit lorsqu'elles sont vieillissantes (cas des PDEM). Au XIX'
siècle, Friedrich List est le premier à avoir justifié la protection du marché intérieur
pour les industries naissantes. Ce protectionnisme « éducateur » doit permettre aux
jeunes industries d'atteindre une taille suffisante pour être compétitives sur le marché
mondial. Plus tard, Nicholas Kaldor défend l'idée d'un protectionnisme « défensif »
consistant à protéger les entreprises de la concurrence étrangère, lorsque celles-ci
ne sont plus compétitives.

Dans le même ordre d'idées, dans les années 1980, certains promeuvent les
politiques commerciales stratégiques, visant à subventionner des industries jugées
stratégiques (l'aéronautique par exemple, avec Airbus). Cependant, si ces mesures
protectionnistes se justifient théoriquement et dans le cadre d'une politique
industrielle active ou défensive, elles doivent être très ciblées et temporaires. Elles
ne doivent concerner que des activités jugées stratégiques et ne durer que le temps
nécessaire à la reconversion de certaines activités vieillissantes ou, pour les
industries naissantes, à atteindre une taille suffisante.

Conclusion
Bilan : Dans un contexte de libéralisation des échanges entamée de longue date, le
protectionnisme est difficile à légitimer. Non seulement le libre-échange est promu en
raison de ses effets bénéfiques mais, en outre, les attitudes protectionnistes des
années 1930 ont montré qu'elles ne pouvaient en aucun cas être une issue dans une
situation de crise. Cependant, le libre-échange a des effets pervers sur certains PED
qui voient se dégrader leurs termes de l'échange ou sur des PDEM qui sont
concurrencés par les pays à bas salaires. Face à ces réalités, des mesures
protectionnistes sont alors envisageables mais à la seule condition qu'elles soient
ciblées et temporaires.
Ouverture : Cette conception du protectionnisme ne doit plus alors être un sujet
tabou. Mais, dans un contexte de mondialisation et d'interdépendance des
économies nationales, ces mesures doivent être organisées et concertées à l'échelle
internationale. Une organisation internationale, l'OMC, pourrait jouer ce rôle, mais les
récents cycles de négociations se sont soldés par des échecs, démontrant ainsi la
nécessité d'une réforme en profondeur de l'OMC.

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