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Master Sciences Juridiques

Module : Droit pénal spécial approfondi


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L’abstention de porter
secours à autrui

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Année universitaire : 2022/2023


Rendre quelqu'un responsable du mal qu'il fait aux autres, c'est la règle ; le rendre
responsable de n'avoir pas empêché un mal, c'est, comparativement, l’exception1.
La philosophie du droit pénal consiste à interdire un acte causant un trouble à la
société et sanctionner sa commission. La notion d’incriminer une abstention était éloignée
jusqu’à ce qu’elle devienne une incrimination d’un refus de répondre à une sollicitation.
Ainsi, une personne peut en effet être rendue responsable devant la société si elle a
manqué d'accomplir de tels actes lorsque tel était son devoir. Car, elle peut nuire aux autres
non seulement par ses actions, mais aussi par son inaction, et dans les deux cas, elle est
responsable envers eux du dommage causé.
Et en vue d’éliminer les formes d’indifférence à l’égard d’autrui et de renforcer de la
solidarité entre les membres de la société, le législateur a tenté d’inclure l’individu à son
devoir de protection et de sécurité de la société en incriminant l’abstention de porter secours à
quelqu’un se trouvant en situation de danger.
A cet égard, l’article 22 de la constitution considère qu’il ne peut être porté atteinte à
l'intégrité physique ou morale de quiconque, en quelque circonstance que ce soit et par
quelque personne que ce soit, privée ou publique.
Aussi, l’article 431 du code pénal marocain incrimine l’abstention de porter assistance
à une personne se trouver en situation de danger.
Donc, porter secours à une personne en danger n’est plus seulement qu’un devoir
moral sanctionné par la culpabilité et les remords ressentis par l’individu, mais une obligation
sanctionnée pénalement par l’Etat. Alors, comment cette infraction est-elle appliqué par le
pouvoir judiciaire ?
En premier lieu, il convient d’analyser la règle pénale incriminant l’abstention de
porter secours à autrui (I). Dans la pratique, le texte manque de précision requise en vertu du
principe de la légalité laissant une large marge d’interprétation au juge (II).
I : La pénalisation d’un devoir moral
II : La justice face à l’infraction

I. La pénalisation d’un devoir moral


1
John Stuart Mill (1859), De la liberté, page 12.
L’infraction de l’abstention de porter secours à autrui est un délit contre les personnes
prévu par l’article 431 du code pénal marocain qui dispose que : « Quiconque s'abstient
volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que sans risque pour lui, ni pour
les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours,
est puni de l’emprisonnement de trois à deux ans et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams.
La peine est portée au double lorsque l’auteur est un époux, un fiancé, un conjoint
divorcé, un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un tuteur ou une personne ayant
autorité sur la victime ou ayant sa charge ou lorsque la victime est un mineur ou une personne
en situation de handicap ou connue pour ses capacités mentales faibles ainsi qu’en cas de
récidive ».
Cet article est une reprise de l’article 63 de l’ancien code pénal français.
L’article prévoit des conditions préalables pour constituer l’infraction d’abstention de
porter secours à autrui (A) et des sanctions qui ont été révisées par la loi 103.13 (B).

A. Des conditions préalables :


L’infraction exige la réunion des conditions suivantes :
 La nécessité d’un péril ;
 La possibilité d’un secours ;
 La volonté de l’abstention.
a. Nécessité d’un péril :
L’article 431 n’a pas précisé l’état du péril. La jurisprudence française l’a défini
comme étant un état dangereux ou une situation critique qui fait craindre de graves
conséquences pour la personne qui y est exposée et qui risque, selon les circonstances, soit de
perdre la vie, soit des atteintes corporelles graves2.
La doctrine dominante associe la notion du péril lorsqu’il constitue une menace sur la
vie de la victime, son intégrité corporelle et morale et sa liberté comme dans le cas de la
séquestration, prise en otage, viol ou atteinte à la pudeur.
D’une autre part, la jurisprudence a ajouté que l’obligation de porter secours concerne
seulement les cas de personnes se trouvant en état de péril imminent et constant, et nécessitant
une intervention immédiate.
Le péril doit être imminent, c'est à dire qu’il est sur le point de se réaliser. Aussi, le
péril constant est celui qui est certain (au moins considéré comme tel) et pas seulement
éventuel. Sur ce point, il convient de préciser qu’il s’agit d’une infraction instantanée
punissant le refus de porter secours, à un moment donné, en présence d’une situation
dangereuse à ce moment-là .
Par exemple, si une personne menace de se suicider à plusieurs reprises sans
l’exécuter, l’infraction n’est pas constituée mais elle le devient au moment où il devient
sérieux.
2
T. Corr. Rouen, 9 juillet 1975, Rev. Sc. Crim., 1976, p.726, Obs. G. Levasseur
Si une personne nécessitant des soins prolongés dans le temps, le refus de soin n’est
pas sanctionné tant qu’il ne constitue pas un danger immédiat pour la personne mais
l’abstention d’assistance au moment possible de la mort constitue l’infraction.
En outre, l’article n’a pas spécifié l’origine du péril, ainsi, il laisse une large marge
d’interprétation. Il peut être le résultat d’un crime comme il peut résulter de n’importe qu’elle
autre situation, même lorsqu’il est provoqué volontairement par la victime comme le suicide.

 Exemple jurisprudence : (officier de force auxiliaire)

Ainsi, un officier des forces auxiliaires a été condamné pour non-assistance après
qu'une femme a essayé de se suicider en se brulant vive devant une annexe administrative et
au lieu de l'aider, il a essayé de fermer les portes de l'administration pour l'empêcher d'y entrer
L’abstention de porter secours à autrui est une infraction formelle, peu importe des
conséquences ultérieures qu’elle soit écartée par une autre personne où qu’elle ne produit
aucun dommage.

b. La possibilité d’un secours :


Toute personne doit porter assistance à une personne en péril, soit par son action
personnelle, soit en provoquant un secours, lorsque qu’il n’y a pas de risque pour lui, ni pour
les tiers.
Le choix entre l’action personnelle ou provoquer un secours n’est pas alternative. Car
la personne est tenue de faire personnellement tout ce qu’on peut faire, dans une situation
donnée, étant bien entendu que tout le monde ne peut pas se voir imposer la même chose. La
possibilité d’un secours s’apprécie en fonction des moyens personnels des intervenants. Ainsi,
une personne normale, lorsqu’il retrouve une personne sujette d’un malaise, elle n’est pas
tenue d’effectuer de lui apporter les soins médicaux nécessaires mais peut s’exonérer en
appelant les secours. Mais, cette exonération ne peut s’appliquer à un médecin qui est dans
l’obligation de lui porter les premiers secours nécessaires. Cette obligation est justifiée par le
Code de déontologie médicale.

 Exemple de jurisprudence  : (affaire Majdoubi )


L'affaire remonte au 9 novembre 1999, le juge Me Ahmed Majdoubi, se rend au
service de cardiologie à l'Hôpital Avicennes pour visiter un ami convalescent. Foudroyé
par une crise cardiaque, L’administration a exigé le paiement d'un acompte de 15 000
dirhams avant de soigner le patient. Malgré le chèque fourni par le patient à l'article de
la mort, on lui oppose sa non-certification par la banque.
Sont poursuivis dans cette affaire, deux médecins et une employée chargée des affaires
administratives, du pavillon des maladies cardiovasculaire de l’hôpital, pour non-
assistance à personne en danger, conformément à l’article 431 du code pénal.
Le ministère public avait demandé que les prévenus répondent de leurs actes, alors que
leurs avocats ont mis en avant le fait qu'ils avaient prodigué les premiers soins
d'urgence, vu l'état critique de M. Majdoubi avant de s'attaquer aux formalités
administratives.
Le tribunal de première instance de Rabat a prononcé son verdict dans l'affaire
Mejdoubi, condamnant un médecin et une employée à six mois de prison avec sursis et à
verser une amende de 900.000 dirhams pour non-assistance à personne en danger.

En outre, l’article 431 réprime l’indifférence mais ne prescrit pas l’héroïsme. Ainsi, le
secours ne doit pas présenter un risque pour la personne ou pour les tiers. Le risque doit être
sérieux et il s’apprécie en fonction de la comparaison du péril couru par la victime.
Il est donc certain qu’on n’est pas tenu d’exposer son intégrité corporelle ni celle des
tiers.
Ainsi, lorsqu’une personne retrouve quelqu’un en train de se noyer, l’eau étant peu
profonde, il doit tenter de le sauver par une action directe. Mais si l’eau est profonde, et le
courant rapide et que la personne ne sait pas nager, il doit alors provoquer un secours.

c. : La volonté d’abstention :
L’abstention n’est punissable que lorsqu’elle volontaire. On ne peut alors reprocher à
celui qui est passé à côté d’un blessé sans le voir, croit, de bonne foi qu’il n’est pas en danger.
L’élément moral réside dans la conscience de l’existence d’un péril et de la possibilité
de porter secours à la victime et que tout de même l’auteur s’est abstenu de porter son
assistance.

B. Des sanctions révisées :


La sanction initiale qui a été prévue par l’article 431 de l’infraction était
l’emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende de 200 à 1000 dirhams ou de l’une de
ces deux peines seulement. Aussi les circonstances aggravantes n’étaient pas prévues.
En 2018, la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence à l'égard des femmes a
modifié les seuils la peine, augmenté l’amende et supprimé la possibilité du choix entre les
deux peines.
Ainsi, le délit d’abstention de porter secours à autrui est puni de l’emprisonnement de
trois à deux ans et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams.
Aussi, la peine est portée au double lorsque l’auteur est un proche de la victime. Cette
aggravation s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la violence domestique en considérant
que les membres de la famille ont l’obligation de se protéger et de porter secours l’un à l’autre
puisque la famille constitue le noyau de la société.
Ainsi, la peine est aggravée lorsque l’auteur est un époux, un fiancé, un conjoint
divorcé, un ascendant, un descendant, un frère, un kafil, un tuteur ou une personne ayant
autorité sur la victime ou ayant sa charge.
Aussi, elle est aggravée lorsque l’état de la victime l’exige lorsqu’il s’agit d’un mineur
ou d’une personne en situation de handicap ou connue pour ses capacités mentales faibles. Et
en cas de récidive.
La tentative et la complicité ne sont pas punissable car elles sont inconcevables pour
les délits d’abstention. Dans le cas de la participation de plusieurs personnes, cela relève de la
coaction et non de la complicité.

II. La justice face à l’infraction


Si l’infraction d’abstention de porter secours à autrui a pour objet de renforcer la
solidarité humaine et garantir ainsi une protection de l’individu, l’application de l’article 431
présente plusieurs difficultés. D’une part, l’imprécision des termes utilisés au niveau de
l’article 431 porte atteinte au principe de la légalité et celui de l’interprétation stricte de la loi
(A). D’une autre part, d’autres délits d’abstention sont prévus par le code pénal, créant une
confusion au moment de la qualification pour le juge (B).

C. Une atteinte à la justice pénale


Le droit pénal est soumis au principe de la légalité et celui de l’interprétation stricte de
la loi afin de protéger les individus contre l’arbitraire du juge.
Au niveau de l’article 431, la notion du péril n’a pas été précisée par le législateur
pendant que le principe de la légalité exige que la règle pénale soit précise de manière à ne
pas laisser au juge la possibilité de l’interpréter autrement.
Donc, devant cette imprécision, le juge peut apprécier la notion du péril selon son
intime conviction. Et si la doctrine dominante a associé le péril à une atteinte physique ou
morale de la victime, il est possible également que le péril porte atteinte à ses biens si on se
réfère aux droits constitutionnels tels que prévu par l’article 21 de la constitution.
Aussi, il est muet concernant l’obligation de porter secours est-elle maintenue en
présence d’un spécialiste, médecin, autorité publique ….
Dans une autre perspective, l’infraction étant une infraction formelle, qui se constitue
peu importe des conséquences ultérieures, et lorsque l’auteur n’est pas l’origine du dommage
initial, est-il légitime d’accorder à la victime lésée le droit de demander réparation du
dommage causé suite à un refus d’assistance.
Les avis diffèrent dans cette situation, un courant refuse d’accorder ce droit partant du
principe qu’il s’agit d’une infraction de moralisation générale et qui concerne directement
l’ordre public et non pas les intérêts de la victime. D’autres supposent que l’abstention a
aggravé le dommage initial et donc l’auteur est en partie responsable du dommage intégrale
subi par la victime. Il convient donc de ventiler entre ce qui est la conséquence du fait
principal et ce qui découle de l’abstention lors de l’évaluation de la réparation à accorder à la
victime.

D. Un dédoublement de délits d’abstention


En sus, l’article 431 n’a pas précisé l’origine du péril. Or, celui-ci peut résulter de
toutes origines, d’une tentative ou d’une infraction déjà commise, d’un délit ou quasi-délit, du
fait d’un tiers, du fait de l’auteur ou du fait de la victime.
De ce fait, le juge est face à une multitude de qualification et donc la frontière entre
l’abstention de porter secours à autrui et d’autres infractions portant atteinte à l’intégrité
physique des personnes demeurent aléatoire : la complicité (article 129), l’obligation
d’empêcher un fait qualifié de crime ou délit (article 430), l’obligation d’avertir les autorités
lors de la connaissance un crime déjà tenté ou consommé (article 299) et l’obligation de porter
secours à autrui (article 431).
En effet, le fait de filmer une infraction au lieu de porter secours à la victime, sans
qu’il y ait crainte sérieuse pour la vie de la personne, ou du moins alerter les autorités en
temps opportun pourrait être considéré selon les cas comme une abstention de porter
assistance à une personne en danger, ou bien une abstention à empêcher un fait qualifié de
crime ou délit ou bien une abstention de dénonciation d’un crime.
Dans certaines situations, la personne même pourrait être considérée comme
complice : comme dans l’affaire de la vidéo relatant le viol d’une femme qui a été trouvée
morte à la suite du viol et de la maltraitance physique qu’elle a subie. L’auteur du viol a été
incarcéré pour homicide volontaire et la personne qui filmait la vidéo poursuivie comme
complice.

Bibliographie :
‫ دار‬،‫ارن‬LL‫ربي والمق‬LL‫ائي المغ‬LL‫انون الجن‬LL‫اص من الق‬LL‫م الخ‬LL‫دة في القس‬LL‫ات جدي‬LL‫ دراس‬،‫ي‬LL‫عبد الحفيظ بلقاض‬ 
.2021 ،‫األمان‬
 Michèle-Laure Rassat, Droit pénal spécial : Infractions du Code pénal, Dalloz,
8ème édition.
 Adolf Ruolt, Code pénal Annoté, Ministère de la justice, 1990.

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