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Correction type pour le cas pratique n°2 de la séance 5

(Infractions formelles contre les personnes)


Au regard des faits, il semble que l’on puisse reprocher aux protagonistes un défaut
d’intervention face à un danger pour la vie d’une personne : le fait de ne pas avoir dépendu une
personne encore en vie. L’abstention face à un risque de mort ou de blessure grave rend
susceptible de qualifier les faits de non-assistance à personne en danger. Il sera nécessaire de
revenir sur la qualification de cette infraction, avant d’envisager les liens de participation entre
les différents protagonistes (II).
Notons toutefois que le policier ne fera pas l’objet de l’étude. N’étant pas présent sur les lieux,
il ne pouvait pas intervenir personnellement, ni avoir une connaissance exacte de la gravité de
la situation. Son comportement ne soulève pas de difficulté.
I. La qualification pénale des faits : non-assistance à personne en danger
Il sera nécessaire de vérifier que l’infraction est consommée (A) et qu’aucun fait justificatif
n’est applicable (B).
A. La consommation de l’infraction
L’infraction figure à l’art. 223-6 al. 2 CP. Pour qu’elle soit consommée, il est nécessaire de
démontrer l’existence d’un élément matériel (1) et d’un élément moral (2).
1. Elément matériel
L’infraction suppose l’existence préalable d’un péril (a) ainsi qu’une abstention illicite de porter
assistance (b)
a. Existence d’un péril
Le péril en lui-même n’est pas précisément décrit par l’infraction. L’article 223-6 C. pen.
précise toutefois qu’il doit concerner une personne. Il doit d’agir d’une personne humaine,
vivante et différente de l’auteur même de l’infraction.
En l’espèce, cette première condition relative à la victime ne présente pas de difficulté. La
victime était l’habitant de l’appartement visité par l’huissier, les témoins et le serrurier. Elle est
bien humaine, différente des personnes poursuivies pour l’infraction et il s’est avéré qu’elle
était en réalité bien en vie au moment où les prévenus ont pénétré dans l’appartement et étaient
en mesure d’intervenir. Cette condition est donc bien remplie.
Ensuite, quant à la nature du péril lui-même, la jurisprudence en a précisé les contours.
D’abord, le péril doit être réel. Il doit exister effectivement, son existence faisant l’objet d’une
appréciation objective. En outre, la jurisprudence confirme bien que la source du péril n’a pas
d’importance : ce dernier peut être du aux propres actions de la victime sollicitant le secours,
cela ne fait pas obstacle à la nécessité de l’assistance pour le contrecarrer (Crim. 31 mai 1949 ;
26 avril 1988 pour une tentative de suicide). Il importe également peu que l’issue du péril soit
fatale, l’on se doit de maintenir son assistance.
En l’espèce, il n’y avait aucun doute sur l’existence du péril. Il était évident que la victime
encourrait le risque de mourir par pendaison. Le fait que les protagonistes aient passé de longues
minutes devant la porte avant d’entrer rendait effectivement plus probable que le mort soit

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inévitable, bien que non encore survenue, cela ne les exonérait pas pour autant de leur devoir
d’intervention.
Ensuite, le péril doit être grave et imminent (Crim. 13 janvier 1955). Cela suppose qu’il existe
un risque de mort ou de blessure grave. Ici encore, la jurisprudence privilégie une approche
objective de la gravité du péril, c’est-à-dire tel qu’il est susceptible d’apparaître à une personne
placée dans les mêmes circonstances (Crim. 21 janvier 1954). Quant à l’imminence, il doit en
ressortir que le péril est constant, nécessitant donc une intervention sans plus tarder, sans
attendre que la réalisation soit certaine. La jurisprudence a pu retenir à cet égard que le péril
« est un état dangereux ou une situation critique qui fait craindre de graves conséquences pour
la personne qui y est exposée et qui risque, selon les circonstances, soit de perdre la vie, soit
des atteintes corporelles graves » (T. corr. Rouen, 9 juillet 1975).
Au regard des faits, la gravité et l’imminence du péril ne faisait aucun doute. Il est évident que
la pendaison engendre un risque de mort – qui est d’ailleurs le résultat recherché – qui remplit
bien cette condition de gravité exigée par la jurisprudence. Quant à l’imminence, il est certain
que la mort survient dans un laps de temps réduit à la suite du passage à l’acte de pendaison.
Compte tenu du temps attendu devant la porte de l’appartement, les prévenus pouvaient en
déduire que la mort était sur le point de survenir. Aussi, il n’y a avait aucun doute sur la nécessité
d’une intervention rapide de ces derniers pour mettre fin au péril, même si l’issue leur semblait
fatale et inévitable.
La condition relative à l’existence du péril est bien remplie. Il reste à vérifier que l’abstention
des prévenus étaient bien illicite/injustifiée.
b. Une abstention injustifiée de porter secours
L’article 223-6 C. pen. décrit une abstention de porter secours, c’est-à-dire un comportement
passif au regard du péril encouru. Cette abstention est décrite en contemplation des
interventions qui pouvaient être effectuées pour parer à la réalisation du péril. Ainsi, sera-t-elle
punissable si le prévenu n’a pas agi alors que cela était possible, au regard des actions qu’il
pouvait entreprendre et au regard de l’absence de risque encouru du fait de son intervention.
Dans un premier temps, l’abstention est punissable si elle était possible selon les modalités
décrites par le texte : soit pas une intervention personnelle, soit en provoquant les secours.
Toutefois, le choix n’est pas totalement libre dans cette alternative. La jurisprudence retient de
façon constante que « la loi n’a pas entendu, en formulant cette alternative, lui [le prévenu]
laisser une option arbitraire entre deux modes d’assistance dont l’efficacité peut être différente
selon la nature du péril et les circonstances particulières du moment » (Crim. 26 juillet 1954.
Confirmation : Crim. 13 mars 2007 ; 4 juin 2013). Au contraire, le prévenu se doit d’utiliser le
moyen qui semble le plus effectif au regard des faits, ce qui revient à préférer l’intervention
personnelle. L’action entreprise doit démontrer la possibilité d’enrayer le mal. Ainsi, le plus
souvent on exigera le cumul d’une intervention personnelle et d’une provocation au secours.
Cela ne signifie pas pour autant que l’intervention doit être efficace, c’est-à-dire qu’elle ait
effectivement permis de contrecarrer le péril.
En l’espèce, si l’on considère les actions de l’huissier, ce dernier n’a pris aucune initiative
personnelle, et s’est même opposée à une intervention directe que suggérait le serrurier. Il s’est
contenté d’appeler la police. Néanmoins, cet appel n’avait vocation qu’à prévenir du décès
putatif de la victime et non de provoquer les secours ce qui, au regard des exigences de la

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jurisprudence, n’est pas suffisant. Il aurait du intervenir personnellement, conformément à la
suggestion du serrurier. Ainsi, on peut dire que l’huissier s’est abstenu d’intervenir.
Quant au serrurier, si c’est lui qui a suggéré de dépendre la victime, il n’a pas agi pour autant,
ni pour mettre fin au danger, ni pour vérifier que la victime était encore en vie. Dans ce cas, il
s’agit là encore d’une abstention coupable.
En ce qui concerne les deux témoins enfin, ni l’un ni l’autre n’ont entrepris une action
personnelle pour dépendre la victime. Ils ont admis également ne pas avoir pris de mesures pour
vérifier qu’elle était encore vivante. Ils ont simplement agréé à l’idée d’appeler les secours.
Dans ces circonstances, on peut affirmer qu’ils sont aussi auteurs d’une abstention, n’ayant pas
agi personnellement, conformément aux exigences jurisprudentielles.

Dans un second temps, il est nécessaire de vérifier que l’intervention est licite, c’est-à-dire
qu’elle ne présente pas de risque à intervenir pour l’agent ou les tiers. Le texte n’impose pas
l’héroïsme et l’existence d’un danger peut justifier une absence d’intervention.
Toutefois, au regard des faits, il n’existait aucun danger, pou aucun des prévenus. Il se situait
dans un appartement, la victime n’était ni agitée ni violente, de sorte qu’elle ne risquait de créer
une situation dangereuse dans l’hypothèse d’une intervention. Les abstentions des prévenus
étaient donc illicites.

A l’issue de cette démonstration, on peut alors conclure que l’élément constitutif de l’infraction
de l’article 223-6 al. 2 C. pen. est constituée, à l’égard de chaque prévenu. Reste à vérifier
l’existence de l’élément moral.
2. Elément moral
L’article 223-6 C. pen. est puni de 5 ans d’emprisonnement. Selon l’article 131-4 C. pen. une
peine d’un tel quantum est de nature délictuelle. Il s’agit donc ici d’un délit. Or, selon l’article
121-3 C. pen., « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », ce qui
signifie que les délits sont par principe intentionnel. On peut alors en déduire que la non-
assistance à personne en danger est un délit intentionnel. Ce raisonnement est encore appuyé
par l’emploi du terme « volontairement » dans le texte d’incrimination, confirmant qu’il s’agit
bien là d’une infraction intentionnelle.
Ainsi, il faudra démontrer que l’auteur des faits a agi volontairement et en connaissance de
cause. Il doit d’abord avoir conscience du péril, ce qui fait l’objet d’une analyse objective, au
regard des faits. Une erreur de fait peut dans ce cas faire obstacle à la conscience du péril et à
la réalisation de l’infraction, pourvu qu’il s’agisse d’une erreur que toute personne aurait fait
dans les mêmes circonstances. Par exemple, une personne prenant un blessé pour un individu
simplement ivre commet une erreur de fait (Crim. 3 novembre 1954).
Il sera nécessaire en outre de démontrer que l’abstention était volontaire (refus d’intervention).
Concernant l’huissier, il n’y a pas de doute sur le fait qu’il s’est abstenu volontairement. Il a
démontré une réaction très vive à l’égard de la situation, s’opposant très clairement à toute idée
d’intervenir personnellement, ou même à ce que les autres prévenus interviennent pour
décrocher le corps. Son abstention était bien volontaire. Quant à la conscience du péril, il n’a
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pas cherché à ne serait-ce qu’évaluer la situation. Il a tout de suite cherché à se dédouaner de la
situation, ce qui semble démontrer un désintérêt au sort d’autrui. Or, c’est bien ce qui est
l’attitude reprochée par l’infraction. Il n’a pas cherché à s’enquérir du sort de la victime. Il s’est
même ouvertement opposé au décrochage du corps. Il ne saurait donc invoquer une erreur de
fait sur une situation dont il n’a pas cherché à évaluer la gravité. Ayant déjà été confronté à une
pendaison, il ne pouvait en outre ignorer le péril et sa gravité. L’élément moral est bien constitué
à son égard.
Concernant le serrurier, bien qu’il ait manifesté une vague intention de dépendre la victime, il
n’a pas agi pour autant. Il ne s’est pas opposé à l’huissier bien qu’étant en capacité de le faire.
Aussi, on peut en conclure qu’il s’est abstenu volontairement. Quant à la conscience du péril,
il a exprimé un doute au regard de l’état de la victime : il a entendu un bruit sourd juste avant
de pénétrer dans l’appartement, il a touché la main de la victime qui était encore chaude, il a
demandé de l’aide pour dépendre la victime. Il a témoigné par la suite qu’il ne pensait pas que
la victime était vivante, aucun élément ne pouvant l’indiquer selon lui. Il voulait décrocher le
corps par respect pour la victime. S’il n’a pas démontré une indifférence au sort de la victime,
il semblait assez persuadé qu’elle était effectivement morte. En même temps, il a témoigné que
c’est dans l’espoir d’une hypothétique vie qu’il a voulu dépendre la victime, ce qui semble
indiquer qu’il avait envisagé l’éventualité qu’elle était encore en vie. Au regard des vérifications
qu’il a entrepris, on peut en conclure qu’il avait bien conscience du péril encouru. Il ne devrait
pas pouvoir bénéficier d’une erreur de fait. L’élément moral est bien présent.
Concernant le témoin A, n’ayant rien entrepris pour sauver la victime et n’ayant pas contredit
l’huissier dans sa vive réaction, on peut en déduire qu’il s’est abstenu volontairement. Il a
indiqué avoir pensé que la victime était morte tout de suite et que cela ne faisait pas de doute
pour lui. Pourtant, il a ensuite témoigné que, dans le doute, il aurait décroché le corps de la
victime. Pourtant il n’a rien fait… Il a eu une attitude ambigüe, qui peut laisser penser à une
certaine indifférence au sort de la victime. En même temps, il n’a jamais changé de version, ni
démenti sa croyance sincère dans le fait que la victime était morte. En l’absence de vérification
de sa croyance au décès de la victime, il semble possible de dire qu’il avait conscience du danger
et ne peut bénéficier d’une erreur sincère de fait.
Concernant le témoin B, pareillement, il ressort des faits que son abstention était bien
volontaire, en l’absence d’opposition aux affirmations de l’huissier. Il a aussi témoigné du fait
qu’il a sincèrement cru avoir une personne morte en face de lui. Il ne voyait donc tout
simplement pas l’utilité de décrocher le corps. Il a déclaré en même temps être incapable
d’évaluer si la victime était morte ou vivante. Son cas est difficile à trancher, mais il semble
avoir démontré une certaine indifférence au sort de la victime aussi. Il semble plus difficile de
lui accorder le bénéfice de l’erreur de fait, montrant qu’il avait conscience du danger encouru.

L’élément matériel et l’élément moral étant tous deux réunis à l’égard de tous les prévenus,
l’infraction de non-assistance à personne en danger est bien consommée. Il reste toutefois à
vérifier si des faits justificatifs pourraient exonérer la responsabilité des prévenus.
A. Faits justificatifs
Au regard des faits, on peut envisager le fait justificatif de commandement de l’autorité légitime
du policier sur l’huissier (A) et de l’huissier sur les trois autres protagonistes (B).

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A. Commandement du policier de ne toucher à rien
Le commandement de l’autorité légitime figure à l’art. 122-4 al. 2 C. pen. Il consiste en une
relation entre un titulaire de l’autorité publique et une personne tenue de s’y soumettre, l’ordre
légitime du premier permettant d’excuser le comportement de la seconde.
Le titulaire de l’autorité publique doit être une personne qui dispose légalement du pouvoir de
commande et d’exécution de la loi, ce qui exclut l’autorité privée.
En ce qui concerne, un policier, cette condition ne pose pas de problème puisqu’il dispose
légalement de son pouvoir d’autorité.
Ensuite, l’autorité qui doit être légitime : elle tire son pouvoir de l’organisation politique prévue
par la Constitution, et la personne agit dans l’exercice de ses fonctions ou dans le cadre de sa
compétence.
Ici, il n’y a pas de problème avec le policier : il tire ses pouvoirs légitimes des lois relatives au
maintien de l’ordre public et il agissait bien dans le cadre et à raison de ses fonctions de
représentant de l’ordre public.
Il doit exister un pouvoir hiérarchique entre l’autorité et le citoyen qui obéit à ses ordres. Cela
peut être le cas dans la mesure où le policier est un agent représentant l’Etat et il y a un devoir
d’obéissance au policier.
Le commandement de l’autorité doit être légal. Toutefois, l’obéissance à ce commandement ne
signifie pas que l’on est systématiquement exonéré de sa responsabilité. Il est nécessaire de
faire preuve de discernement. C’est la théorie des baïonnettes intelligentes. Les juges apprécient
in concreto, au regard de l’ensemble des circonstances de fait le degré d’obéissance du
subordonné.
En l’espèce, le commandement du policier n’était pas manifestement illégal mais ce dernier ne
pouvait pas évaluer parfaitement la situation et donc ordonner de ne toucher à rien en toute
connaissance de cause. Par ailleurs, l’ordre ne dispensait pas de faire des vérifications
sommaires qui ne remettaient pas en cause l’intégrité de la scène, tout en recherchant un souffle
ou un pouls.
Donc le fait justificatif ne pourra tenir pour l’huissier.
B. Le commandement de l’huissier.
On se situe une fois de plus dans le cadre de l’article 122-4 al. 2 C. pen. dont les conditions ont
été décrites précédemment.
En ce qui concerne d’abord l’existence d’une autorité publique, un huissier est effectivement
titulaire de l’autorité publique qu’il détient en vertu des lois nationales.
Cependant, il n’a pas de pouvoir hiérarchique sur les autres personnes présentes. En outre, son
ordre ne semble pas légal. En effet, il n’a pas de pouvoir ou d’attribution au regard d’une
situation de pendaison et n’avait aucune légitimité pour intimer l’ordre de ne toucher à rien.
Son ordre n’était donc pas légal et ne saurait exonérer le serrurier et les deux témoins de leur
responsabilité.

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L’infraction de non-assistance à personne en péril est en conséquence parfaitement consommée
à l’égard de tous les protagonistes. Au regard de l’article 223-6 al. 2 C. pen., ce dernier retient
une peine identique à celle prévue dans l’alinéa précédent. Aussi, les prévenus encourent
jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Il reste à savoir en vertu de quel lien de participation peuvent-il être poursuivis.

II. Participation à l’infraction


On a constaté précédemment que les quatre prévenus se sont tous matériellement abstenus et
ont tous l’élément moral requis pour consommer l’infraction. L’ensemble des éléments
constitutifs de l’infraction sont réunis à l’égard de chacun d’eux et il n’est pas réellement
possible de constater une aide matérielle ou intellectuelle à l’égard des uns ou des autres. Aussi,
on semble se trouver dans l’hypothèse d’une coaction, dans la meure où c’est l’action
simultanée et combinée des prévenus qui a conduit au résultat mortel.
Les prévenus seront donc poursuivis en tant que coauteurs.

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