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LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

UN DEFI POUR LA
DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE

Sénégal
Sénégal
Sénégal

JANVIER 2007

Janvier 2007 © ARTICLE 19


ARTICLE 19, 6-8 Amwell Street, London EC1R 1UQ, United Kingdom
Tel +44 20 7278 9292 · Fax +44 20 7278 7660 · info@article19.org · http://www.article19.org
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ISBN 978-1-902598-88-8.

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tout document qui en serait dérivé.
TABLE DES MATIERES

AVANT PROPOS ……………………………………………………………………………………. 4


INTRODUCTION………………………………………………………………………………………6

CHAPITRE I : L’ENVIRONNEMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION SÉNÉGAL………7

SECTION I : CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE…………………………………………. 7


SECTION II : CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL…………………………………………8

PARAGRAPHE I : LES GARANTIES NORMATIVES ET INSTITUTIONNELLES DE LA


LIBERTE D’EXPRESSION………………………………………………………………………… 8

I. Les dispositions de la Constitution…………………………………………………………………...9


II. Le dispositif légal à l’épreuve des faits…………………………………………………………….10
III Les Organisations Professionnelles……………………………………………………………… 19

PARAGRAPHE II : ANALYSE DES QUELQUES RESTRICTIONS À LA LIBERTE


D’EXPRESSION…………………………………………………………………………………….. 20

I. Protection de la réputation : diffamation et injure………………………………………………… 20


II. Diffusion de fausses nouvelles…………………………………………………………………….. 23
Ordre public et sûreté de l’État………………………………………………………………………...24
III. Respect de la vie privée…………………………………………………………………………....26

CHAPITRE II: LE PAYSAGE MÉDIATIQUE SÉNÉGALAIS………………………………. 28

SECTION I : LA PRESSE ÉCRITE………………………………………………………………… . 28


SECTION II : L’AUDIOVISUEL……………………………………………………………………..29
SECTION III : LES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
(TIC)…………………………………………………………………………………………………...32

CHAPITRE III: DE QUELQUES DÉFIS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE………………….35

SECTION I : L’ACCES À L’INFORMATION……………………………………………………… 35


SECTION II : ATTAQUES, HARCÈLEMENTS ET INTIMIDATIONS DE JOURNALISTES,
D’OPPOSANTS POLITIQUES ET DE DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS………………. 36
SECTION III : CONDITIONS MATERIELLES DES JOURNALISTES……………………………37
SECTION IV : L’INFLUENCE DES GROUPES RELIGIEUX…………………………………… 37
SECTION V : LA PROTECTION DES SOURCES………………………………………………… 38
SECTION VI : LE RESPECT DE L’ÉTHIQUE ET DE LA DEONTOLOGIE………………………39
SECTION VII : LA FORMATION ET L’ENCADREMENT PROFESSIONNEL………………… 39
CONCLUSION………………………………………………………………………………………..41
REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUE……………………………………………………………….43
AVANT PROPOS

Malgré les avancées notoires dans le domaine des droits humains et de la démocratie en Afrique, la liberté
d’expression continue d’être contestée voire malmenée par les pouvoirs publics dans beaucoup de pays de la
région. Les acquis des dernières décennies risquent d’être remis en question si les gouvernements africains
ne reconnaissent pas la liberté d’expression comme étant partie intégrante du jeu démocratique, du processus
de développement et d’épanouissement des populations africaines.

Le programme Afrique de ARTICLE 19 travaille depuis plus de six années consécutives avec ses partenaires
nationaux, régionaux et les organes de l’Union Africaine pour renforcer la liberté d’expression sur le
continent africain. Nous avons soutenu la Commission Africaine des Droits humains et des Peuples dans le
processus d’élaboration de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique et dans la mise
sur pied d’un mécanisme de Rapporteur Spécial sur la Liberté d’expression.

Depuis l’adoption de cette Déclaration historique, qui définit, entre autres, l’étendue et la portée de la liberté
d’expression, ARTICLE 19 et ses partenaires ont initié des réflexions régionales et nationales (conférence,
séminaires, colloques, plaidoyers, recherches). Ceci dans le but de sensibiliser les décideurs politiques, les
universitaires, la société civile et les journalistes africains sur l’importance de la mise en application des
normes africaines d’une part et le rôle et la responsabilité des média d’autre part.

Au-delà de cette Déclaration, et la nomination d’un Rapporteur sur la liberté d’expression en Afrique, des
avancées significatives ont vu le jour au niveau de l’Union Africaine, notamment avec la mise en place du
Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (de la bonne gouvernance) depuis 2003. A ce jour, vingt trois
(23) pays africains dont sept (7) en Afrique de l’Ouest ont adhéré à cette structure. Ainsi le Sénégal y a
adhéré le 09 mars 2004, et fera sous peu l’objet d’une évaluation par le panel des éminents pairs du NEPAD.

Malheureusement, ces avancées continentales ne sont pas accompagnées par des réformes internes dans
beaucoup de pays du continent. Au-delà du discours politique, la conformité des législations nationales aux
normes internationales reste encore un grand défi sur le continent. Il s’y ajoute l’absence de mesures de
veille efficaces au niveau continental pour faire face aux manquements des États1. Dans beaucoup de pays,
on note une recrudescence des violations du droit à la liberté d’expression et un enracinement de la culture
de l’impunité. De tels actes sont souvent sources de conflits sociaux et politiques.

Depuis l’alternance politique de 2000 au Sénégal, les relations entre les partis d’opposition et les pouvoirs
publics et les média privés et sont devenues tendues, voire délétères. Cette situation est exaspérée d’une part,
par les conflits entre acteurs politiques et d’autre part par un processus électoral très contesté. En effet, la
tension politique qui règne actuellement au Sénégal, notamment à la veille des élections présidentielles du 25
février 2007 et législatives de juin 2007 pourrait saper davantage les acquis de la démocratie si des mesures
d’urgence ne sont pas prises par les pouvoirs publics pour apaiser la situation.

Par cette étude sur la liberté de la presse au Sénégal, ARTICLE 19 souhaite contribuer à l’amélioration du
cadre juridique et institutionnel du Sénégal conformément aux normes internationales les plus élevées en
matière de liberté d’expression, dans le but de consolider la culture démocratique et la liberté d’expression.
Nous espérons que les décideurs politiques sénégalais et tous les acteurs nationaux et internationaux
prendront en compte les défis majeurs à relever avant et pendant les prochaines élections présidentielle et
législatives, ainsi que les reformes nécessaires dans le long terme.

ARTICLE 19 remercie M. Vieux Faly Savané, journaliste, rédacteur en chef du journal Sud Quotidien et Me
Alioune Sall, avocat et enseignant à la faculté de droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar dont les
contributions nous ont permis de cerner les véritables contours et enjeux de la liberté d’expression au
Sénégal.

Nous avons également bénéficié d’échanges avec des universitaires et des journalistes. Des contributions
enrichissantes ont aussi été apportées lors du colloque national sur l’application des normes internationales
1
La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, en charge de la promotion et de la protection des Droits humains
en Afrique n’a pas de pouvoir de sanction et ses décisions sont souvent ignorées voire contestées par certains États. Une Cour
africaine est mise en place ces dernières années, mais elle n’a pas encore fonctionnelle.
sur la liberté d’expression au Sénégal organisé par ARTICLE 19 en collaboration avec le Centre d’études des
sciences et techniques de l’information (CESTI), l’Ecole Doctorale de science Politique de l’Université
Cheikh Anta Diop de Dakar et l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication
(ISSIC).

Nous remercions également toutes les personnes qui ont voulu donner leur point de vu lors des interviews.
Alexandra Sicotte Levesque, Chargée de Programme Afrique et Dr. Agnès Callamard, Directrice Exécutive
de ARTICLE 19 ont contribué à la finalisation du rapport

Cette étude est dirigée par Fatou Jagne-Senghor, Chargée de Programme Afrique- ARTICLE 19 avec le
soutien financier de la Fondation Ford de l’Afrique de l’Ouest.
Introduction

Le Sénégal est considéré comme l’un des pays les plus démocratiques du continent africain. Depuis son
accession à l’indépendance, le pays a connu une stabilité et un certain degré d’ouverture politique qui lui a
valu la réputation de modèle de démocratie en Afrique. Mais au-delà des apparences, le système politique
sénégalais présentait un certain nombre de limites sur le plan des normes et dans la pratique. Grâce à un
militantisme de la classe politique, des média et de la société civile, le pluralisme politique et médiatique
s’est installé progressivement.

Au cours des deux dernières décennies, le paysage social, politique et médiatique s’est beaucoup développé
et diversifié. La création de plusieurs organes de presse, de partis politiques, d’organisations de la société
civile et de syndicats de professionnels participe indéniablement au renforcement de la démocratie.

Malgré cette évolution importante, le cadre juridique et institutionnel qui régit l’exercice de la liberté
d’expression et l’activité des entreprises de presse et des professionnels de la communication n’est pas
toujours adapté aux réalités économiques, culturelles, sociales et politiques du Sénégal.

Dans ce rapport nous allons dans un premier temps analyser l’environnement dans lequel s’exerce la liberté
d’expression en mettant un accent particulier sur le contexte historique et politique ainsi que le cadre
juridique et institutionnel avec un accent particulier sur la liberté de la presse. Dans le deuxième chapitre,
nous allons nous focaliser sur le paysage médiatique et enfin mettre en exergue dans le dernier chapitre les
défis à relever en matière de liberté d’expression et de la presse. Des recommandations destinées à tous les
acteurs notamment les pouvoirs publics seront formulées.
CHAPITRE I : L’ENVIRONNEMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION AU SÉNÉGAL

SECTION I : CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE

Le Sénégal a accédé à l’indépendance en 1960. La démocratie, entendue comme la consécration du


multipartisme, y est relativement ancienne puisqu’au milieu des années 70, la loi permettait déjà la création
de partis politiques, ce qui n’était pas le cas dans bien d’autres pays d’Afrique. Ainsi, une alternance
politique est intervenue en 2000, le Parti socialiste (PS), au pouvoir depuis 1960, a pacifiquement quitté le
pouvoir au profit du Parti démocratique sénégalais (PDS) et de ses alliés.

Sur le plan administratif, le pays a connu une série de réformes dont la plus récente, en importance, date de
1996, avec une série de transferts de compétences du niveau central au niveau local (neuf domaines de
compétence transférés, et érection de la « région » en collectivité autonome). Du point de vue social, il
existe une « société civile » assez forte et assez impliquée dans les affaires publiques. En l’an 2000, et en
attendant un recensement plus complet et plus officiel du corps électoral, les électeurs étaient
majoritairement des femmes (51%) et des ruraux (54%, résultat à relativiser compte tenu du fait que la
population est, à une écrasante majorité, rurale).

Le Sénégal a connu trois Constitutions depuis 1960, mais des modifications de ce texte sont souvent
intervenues, altérant parfois substantiellement le régime politique choisi. Ces Constitutions datent de 1960,
1963 et 2001, après l’alternance.

Le pays a adhéré à presque tous les grands instruments internationaux de protection des droits humains,
auxquels se réfère d’ailleurs le Préambule de l’actuelle Constitution: Déclaration universelle des Droits de
l’Homme des Nations Unies, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, Convention des Nations Unies sur les droits de l’Enfant de 1989, Charte Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples de 1981 et Protocoles subséquents…

Aux termes de la Constitution elle-même, « chacun a la liberté d’opinion, la liberté de croyance assortie de
sa libre manifestation, la liberté de disposer et de recourir à l’information plurielle ». Il faut y ajouter la
liberté de constituer des associations ainsi que celle de manifester et d’informer.

Dans le cadre de l’affermissement de la démocratie, il convient de citer la création de diverses institutions,


comme le Médiateur de la République (chargé de trouver une solution à l’amiable entre les particuliers et
l’administration), le Haut Conseil de l’Audiovisuel, auquel s‘est récemment substitué le Conseil National de
Régulation de l’Audiovisuel (CNCA), la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA), qui a
remplacé l’Observatoire National des Élections (ONEL).

Depuis l’alternance politique de 2000, des organes officiels de sauvegarde des droits humains ont également
vu le jour. Ils gravitent pour l’essentiel autour du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme, qui a rang de
ministre et qui est rattaché à la Présidence de la République.

Il convient cependant de relever, en même temps, une crise du consensus jusque-là existant, entre le pouvoir
et l’opposition, mais également entre ce même pouvoir et les média dits « privés », c’est-à-dire non publics,
qui ne dépendent pas du Gouvernement. Il en a résulté quelques tensions, notamment lorsque les autorités au
pouvoir ont par exemple voulu limiter la couverture médiatique de la crise en Casamance (région sud du
Sénégal où sévit une rébellion séparatiste depuis les années 1980) ; ou ont fait voter une loi d’amnistie pour
des personnes condamnées après l’assassinat d’un haut magistrat du Conseil constitutionnel, en 1993 (alors
qu’elles étaient dans l’opposition), ou encore lorsque, en août 2005, le chef de l’État a décidé de « reporter »
les élections législatives en les « couplant » avec la présidentielle.

S’agissant des relations entres les pouvoirs publics, et les média et les partis d’opposition, la crise s’est
manifestée par la multiplication des actions en justice. Des journalistes et des opposants ont été souvent
convoqués à la « Division des Investigations Criminelles » (DIC), après la publication d’informations dont
certaines, a priori, n’avaient qu’un lointain rapport avec la sécurité publique ou la défense de l’État.
SECTION II: CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL

PARAGRAPHE I : LES GARANTIES NORMATIVES ET INSTITUTIONNELLES DE LA


LIBERTÉ D’EXPRESSION

I. Les dispositions de la Constitution

La Constitution sénégalaise de Janvier 2001 renferme effectivement des dispositions relatives à la liberté
d’expression, à l’accès à l’information, à la liberté des média et au refus de toute forme de discrimination
basée sur le sexe, la race, la religion, etc. Ces droits et libertés figurent aussi bien dans les grands instruments
internationaux ou déclarations de droits énumérés dans le Préambule (lequel est « partie intégrante » de la
Constitution, et a donc valeur constitutionnelle).

À ce titre on peut citer:

L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui garantit: « la libre
communication des pensées et opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés
par la loi ».

L’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains qui dispose que: « tout individu a droit à la
liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui
de chercher, de recevoir, et de répondre sans considération de frontières, les informations et les idées par
quelque moyen d’expression que ce soit ».

De même que l’article 9 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui dispose que
«… toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements »

A ces instruments, s’ajoutent les articles suivants de la Constitution sénégalaise : l’article 8 garantit la
« liberté d’expression », qui est citée au titre des « libertés civiles et politiques », par ailleurs l’article
10 garantit le « droit d’exprimer librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche
pacifique… » et l’article 11 va plus loin en garantissant la «liberté de création», c’est-à-dire absence de toute
autorisation préalable pour lancer « un organe de presse pour l’information politique, économique,
culturelle, sportive, sociale, récréative, scientifique… »

Au-delà de la liberté d’expression au sens strict, l’accès à l’information est garanti de manière implicite par
les instruments internationaux précités, mais aussi par le préambule et l’article 8 de la Constitution de 2001.

Le Préambule constitutionnel évoque « la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques
ainsi qu’au principe de bonne gouvernance », « l’accès de tous les citoyens, sans discrimination, à l’exercice
du pouvoir à tous les niveaux ».

L’article 8 quant à lui place « le droit à l’information plurielle » au titre des droits civils et politiques.

La liberté des média est souvent « couplée » avec la liberté d’expression. Elle est ainsi évoquée dans
certaines des dispositions déjà citées : article 11 de la Déclaration des Droits humains et du Citoyen de 1789,
article 19 de la Déclaration universelle de 1948, les dispositions précitées du Préambule constitutionnel,
article 8,10 et 11 de la Constitution.

La non discrimination entre citoyens en général est garantie par bien des dispositions des grands textes déjà
cités, qui ont une valeur constitutionnelle.

On relèvera notamment:
L’article 1 précise que la Constitution du « Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité
devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes
les croyances ».

L’article 5 prohibe « tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, de même que toute
propagande régionaliste pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité du
territoire de la République sont punis par la loi ».

L’article 7 affirme que « …tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont
égaux en droit. Il n’y a au Sénégal ni sujet, ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille ».

Le droit des femmes est relativement garanti par la constitution, mais certaines législations sectorielles : le
droit fiscal et le droit familial contredisent l’égalité entre les sexes consacrée par la constitution. L’article
18 interdit le mariage forcé, l’article 19 garantit le droit de la femme à la propriété. Mais il existe un certain
nombre de discrimination, en effet, le droit fiscal oblige les femmes à payer plus d’impôts sur les revenus
que les hommes. Elles ne bénéficient pas automatiquement d'abattements fiscaux même si elles ont des
charges familiales. S’agissant du droit familial, il reconnait le mariage polygamique et consacre l’autorité
parentale de l’homme, qui est considéré de jure comme le chef de famille.

Article 24 garantit la liberté de conscience et de croyance pour tous. Cette liberté est généralement respectée
même si dans la pratique, on note une certaine inclination des pouvoirs publics envers les chefs religieux
musulmans, notamment les familles maraboutiques.

Au regard de cet arsenal juridique, force est de constater que ce ne sont pas les textes et les proclamations de
principe de la liberté d’expression qui manquent dans le dispositif juridique en général. Bien au contraire. Ce
qui tend à être remis en question, c’est leur effectivité ou, plus précisément, leur « exploitation »
juridictionnelle maximale. Les textes sont souvent déconnectés de la pratique, soit parce qu’on les invoque
peu, soit parce que l’autorité judiciaire ou administrative ne leur donne pas toute la considération due à leur
rang dans la hiérarchie des normes. Un droit peut être constitutionnalisé, mais régulièrement malmené par
une autorité administrative. L’exemple de la liberté de manifester ses opinions est éloquent. Célébré comme
l’un des acquis majeurs de la Constitution de 2001, le droit à la marche pacifique par exemple fait l’objet,
régulièrement, de restrictions invariablement fondées sur une notion très subjective d’ « ordre public». (Voir
section sur l’ordre public).

II. Le dispositif légal à l’épreuve des faits

Les dispositions constitutionnelles relatives à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à la liberté


des média ont notamment donné lieu à plusieurs lois et règlements, mais on retiendra les lois et actes
suivants:

- la loi n° 96- 04 du 22 février 1996 relative aux organes de la communication sociale et aux
professions de journaliste et de technicien.
- L’arrêté ministériel portant Cahier des charges des entreprises titulaires du droit de diffuser des
émissions radiophoniques au Sénégal.
- Statuts de la Radio télévision sénégalaise (RTS) (loi n° 12-02 du 6 janvier 1992) et la Loi n° 92-57
du 3 septembre 1992 relative au pluralisme à la radio télévision.
- la loi n° 33/ 2005 du 21 décembre 2005 portant création du Conseil national de régulation de
l’audiovisuel (CNRA) et se substituant à la loi n° 98-09 du 2 mars 1998 créant le Haut conseil de
l’audiovisuel (organe de régulation des média audiovisuels).
- Le code pénal et de procédure pénale.

1. Philosophie générale et innovations de la loi n° 96- 04 du 22 février 1996 relative aux organes de la
communication sociale et aux professions de journaliste et de technicien

Cette loi tente de réguler le secteur de la communication en général. Elle reconnaît l’importance du service
public de l’information et le rôle des journalistes. Elle interdit la concentration des media, permet aux
journalistes de recourir à la clause de conscience en cas de désaccord avec la direction du journal (conditions
avantageuses de rupture du contrat de travail), offre une protection aux journalistes contre le retrait de leur
carte professionnelle, reconnaît la protection des sources et précise les critères de l’aide à la presse.

À coté de ces aspects positifs, la loi prévoit un dispositif répressif pour les infractions relatives aux
entreprises de communication sociale (art. 62- 65).

2. Contenu de la loi:

L’article 1 définit les « organes de la communication sociale », cette définition inclut la presse écrite, radios,
agences de presse…

L’article 3 délimite les droits et responsabilités des propriétaires et directeurs de publication: « Toute
personne physique ou morale peut créer et publier des organes de communication sociale et en être
propriétaire, à la condition que les journalistes, ainsi que les techniciens de la communication sociale qui y
travaillent soient en majorité de nationalité sénégalaise. Dans le cas des sociétés par actions, les actions
doivent être nominatives. Elles ne peuvent être transférées à des tiers qu’avec l’accord de l’organe dirigeant
de la société. »

L’article 4 interdit la concentration des média. Il érige un certain nombre de garde-fous qui visent à éviter la
concentration des média aux mains d’une personne ou d’un groupe de personnes. « Aucune personne
physique ou morale de nationalité sénégalaise ne peut être propriétaire ou détenir la majorité du capital de
plus de trois organes de communication sociale ». Pour ce qui les concerne, « les personnes physiques ou
morales de nationalité étrangère ne peuvent être propriétaires ou détenir la majorité que d’un seul organe
de communication sociale ».

Au Sénégal on note une volonté de diversification de certains groupes de presse. Deux groupes de presse se
détachent toutefois du lot :

• Le Groupe Walf Fadjri est propriétaire de trois titres : un quotidien d’informations générales Walf
Fadjri, un quotidien « people » Walf Grand Place et un quotidien thématique, Walf Sport. Le
Groupe détient aussi une station de radio, « Walf Fm » et des stations relais qui lui permettent de
couvrir l’ensemble du territoire national.

• Le Groupe Sud Communication est propriétaire de deux titres: un journal d’informations générales
Sud Quotidien et un journal thématique Match. Le Groupe dispose aussi d’une station de radio « Sud
Fm » et de stations relais qui lui permettent d’être présent au niveau des 11 régions du Sénégal.

Les articles 10 - 12 garantissent et organisent le droit de rectification et de réponse. Le droit individuel de


« corriger » des informations prend la forme, dans la législation, d’un « droit de réponse » ou de
« rectification ».

Toute personne physique ou morale dispose d’un « droit de rectification » si elle estime que ses actes ou
propos ont été rapportés de façon inexacte ou tendancieuse par un organe de communication. Ces
rectifications doivent être faites dans les mêmes conditions de publication ou de diffusion que celles du
message incriminé. Les personnes disposent également d’un « droit de réponse » auprès de tout organe de
communication ayant publié des imputations propres à porter atteinte à leur honneur ou considération.

Ces personnes doivent d’abord préciser les imputations auxquelles elles souhaitent répondre, ainsi que la
réponse même qu’elles souhaitent apporter. Cette réponse doit être diffusée dans les mêmes conditions de
publicité ou de diffusion que celles du message incriminé. Dans tous les cas, qu’il s’agisse de
« rectification » ou de « réponse », le directeur de publication de l’organe doit diffuser gratuitement la mise
au point. Pour les quotidiens et organes audiovisuels, cette mise au point doit être diffusée au plus tard le
surlendemain de la réception de celle-ci; pour les hebdomadaires, mensuels et trimestriels, à la prochaine
livraison.
Le Cahier des charges des titulaires d’une autorisation de diffusion de programmes radio réitère le « droit de
réponse », au profit notamment des personnes qui s’estiment victimes d’atteinte à leur honneur ou réputation.

Cette organisation générale du droit de « réponse » et de « rectification » se montre attentive à la nécessité de


donner autant de « publicité » et d’écho à la réaction suscitée par l’information elle-même. Elle est donc
dominée par un souci d’égalité des parties en cause, mais elle n’offre pas beaucoup de flexibilité aux organes
de presse pour parer aux demandes abusives.

Ainsi, des limites au droit de réponse doivent être relevées. En fait, c’est moins le droit lui-même que son
efficacité, relativement à certains contextes, qui est en cause. C’est le cas par exemple des émissions dites
« inter actives », qui prolifèrent aujourd’hui, et qui consistent à « donner la parole aux auditeurs » pour qu’ils
s’expriment sur des sujets d’actualité. Ces émissions, compte tenu des conditions dans lesquelles elles sont
enregistrées (« en direct ») donnent parfois lieu à des « dérapages », délibérés ou non, dont des personnes
peuvent être victimes, à travers une atteinte à leur honneur ou considération. Comment, dès lors, répondre à
un intervenant anonyme, souvent peu avisé au demeurant, comment répondre à une intervention de quelques
secondes parfois ? L’idée même de « réponse » ou de « rectification », qui procède d’un souci d’information
ou de pédagogie, est-elle appropriée à ce genre d’émission où le « défoulement » systématique est parfois de
mise? Au-delà de cet exemple, le droit de réponse et de rectification peut être abusé par le public et les
pouvoirs publics et remettre en question l’indépendance éditoriale du journaliste.

La loi tente également de définir le journaliste et lui reconnaît un certain nombre de droits et d’obligations.

L’article 23 définit le journaliste comme «…toute personne diplômée d’une école de journalisme et exerçant
son métier dans le domaine de la communication, toute personne qui a pour activité principale et régulière
l’exercice de sa profession dans un organe de communication sociale, une école de journalisme, une
entreprise ou un service de presse, et en tire le principal de ses ressources»

Les articles 26 - 30 définissent les droits des journalistes. Parmi ces droits reconnus, on peut recenser, l’accès
à l’information (art. 26), la protection des sources (art.27), la possibilité d’invoquer la clause de conscience
(art.28).

Les articles 31 - 39 précisent les devoirs des journalistes qui tournent autour du respect de règles éthique et
déontologique.

L’Article 35 garantit de manière univoque le secret professionnel au journaliste et partant, offre une garantie
spéciale aux sources. «Le journaliste ou le technicien de la communication sociale est tenu au secret
professionnel tel que prévu à l’article 363 du Code pénal. Il ne doit pas divulguer les sources des
informations obtenues confidentiellement. Le journaliste ou le technicien de la communication sociale peut
révéler sa source à son supérieur hiérarchique, mais seulement si ce dernier est lié par le secret
professionnel. Le journaliste ou le technicien de la communication sociale peut être délié du secret sur
l’aveu de la source de l’information s’il a pu être clairement prouvé que ladite source l’avait».

Mais dans la pratique, les journalistes connaissent beaucoup de difficultés à faire prévaloir la protection des
sources sur la confidentialité administrative. 2

Les Articles 58 à 61 organisent l’aide à la presse et stipulent de manière expresse les conditions et modalités
de distribution de cette aide aux organes de presse.

L’article 58 prévoit qu’ « un fonds d’aide aux organes de communication sociale, est créé par la loi de
finances qui en détermine les modalités de fonctionnement.»

Les conditions et modalités d’octroi de cette aide sont précisées par les articles 59 – 60

2
Voir. Affaire Madiambal Diagne op. cit. p. 42
Article 59 : «L’Etat peut aider les organes de communication sociale qui remplissent les conditions ci-
après :

1) Pour la presse écrite :

• tirer au moins 2000 exemplaires et employer un minimum de cinq journalistes ou


techniciens de la communication sociale à plein temps ;
• consacrer au moins 75 % de sa surface à l’information politique, économique, sociale,
culturelle ou sportive ;
• et tirer au moins un tiers de ses ressources de la vente de ses publications, des
abonnements et des souscriptions ou collectes. Ces dispositions ne s’appliquent pas à la
presse locale (régionale ou départementale).

2) Pour les organes audiovisuels :

• être diffusé sur au moins l’étendue d’une région administrative ;


• employer au moins cinq journalistes ou techniciens de la communication sociale à temps
plein ;
• et respecter les dispositions de leur cahier des charges ».

Selon l’article 60, « l’aide apportée à une entreprise de communication est modulée en fonction de la
régularité du titre, du nombre de professionnels qui y travaillent, du tirage, de la diffusion ainsi que des
charges sociales. .»

L’article 61 énonce que: «Le ministre chargé de la Communication publie, chaque année, la répartition des
fonds aux organes de presse, les noms de leur directeur de publication ainsi que la composition de leur
équipe rédactionnelle »;

L’État du Sénégal a fait montre de bonnes dispositions en inscrivant en 1990 dans son budget une aide
financière à la presse privée. Ainsi, de 40 millions de francs CFA en 1990, le montant de l’aide publique a
évolué les années suivantes de 40 à 75, 100, 150, 200, pour atteindre aujourd’hui la somme de 300 millions
de francs CFA.

L’aide à la presse a été au cœur des débats entre les média privés et les pouvoirs publics ces deux dernières
années. En 2005, le gouvernement avait bloqué l’aide et exigé un audit des aides antérieures. Un long bras de
fer s’en est suivi, par la suite, le Président de la République avait promis d’augmenter cette aide à hauteur de
400 millions de francs CFA, soit environ 800.000 dollars américains. Le 3 mai 2006, le Ministre de
l’Information et porte-parole du gouvernement, Dr Bacar Dia avait déclaré que le soutien alloué par l’État à
la presse ne sera plus pécuniaire, mais structurelle. Il sera destiné à la formation et à la création d’une Maison
de la presse.

Selon le ministre, «Ce soutien étant l’argent du contribuable, il nous a semblé nécessaire de nous arrêter
pour faire le point et voir exactement si l’aide est arrivée aux destinataires, si les journalistes, les ayants
droit ont effectivement bénéficié de l’aide».

Il avait également souligné «que cette aide profitait souvent à des gens qui ne respectaient pas toutes les
conditions requises». Pour être bénéficiaire de cette aide à la presse, il faut au moins recruter cinq
journalistes professionnels. «Ce qui n’est pas le cas pour bon nombre de postulants»3

En septembre 2006, la situation fut débloquée, et 300 millions, (environ 600.000 dollars) au lieu des 400
millions seront distribués à plus de cent (100) organes de presse dont certains ne remplissent pas les
conditions édictées par la loi de 1996.

3
Voir. Quotidien le Soleil, Edition du 04 Mai 2006.
En effet, le Ministre de l’Information a utilisé son pouvoir discrétionnaire aux termes d’une décision
ministérielle en date du 25 septembre 2006 pour repartir l’aide à la presse contrairement aux dispositions de
la loi4. Le SYNPICS et certains organes de presse, comme le groupe Walf Fadjri ont dénoncé le mode de
répartition. Un recours pour annulation de la dite mesure été également introduit devant le juge administratif
par le group Walf Fajiri et d’autres organes de presse.

Certains experts des média au Sénégal estiment que l’aide directe à la presse devrait être remplacée par une
aide indirecte, plus structurelle qui serait plus efficace et moins politisée.5

La loi prévoit également des dispositions pénales pour les infractions relatives aux entreprises de
communication sociale, au régime des publications, à l’exploitation de la publication et à la carte nationale
de presse.

L’article 62 dispose que : «Tout manquement aux dispositions de l’article 3 est puni d’une peine
d’emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une amende de cent mille à un million de francs ou l’une de ses deux
peines ».

Aux termes de l’article 63 : « Le propriétaire d’un organe de communication sociale ne respectant pas les
dispositions de l’article 4 est puni d’un emprisonnement de deux à six mois et d’une amende de vingt à cent
mille francs ou de l’une de ces deux peines ».

Aux termes de l’article 64 : «Tout imprimeur qui n’aura pas indiqué son nom et son domicile sur tout écrit
rendu public, conformément aux dispositions de l’article 14 de la présente loi sera passible d’une amende de
20.000 à 100.000 francs. »

En vertu de l’article 65: «Tout manquement aux dispositions de l’article 9 est punie d’une amende de
500.000 à 2.000.000 de francs. Cette sanction s’applique au Directeur de publication. Celui qui a reçu ou
s’est fait promettre une somme ou un avantage à des fins de publicité non identifiée et celui qui l’a promis ou
consenti sont punis de mêmes peines comme auteurs principaux. »

3. L’Arrêté portant Cahier des charges des radios privées (mis à jour le 7 juin 2005)

L’arrêté prévoit les obligations relatives aux programmes, à la promotion d’un contenu africain et national.
Aux termes de l’article13 «Toute radio privée commerciale doit diffuser au moins 20 % de programmes
africains dont au moins 10% consacrés à la production sénégalaise».

Les articles 18 à 25 régulent la publicité, le parrainage et assurent la sauvegarde du pluralisme. L’arrêté


définit également les sanctions encourues en cas de manquement, articles 29 à 31.

L’ensemble de ces dispositions rend compte du dispositif légal dans ses grandes lignes. La question de son
respect se pose cependant avec acuité. Dans leur fonctionnement quotidien, les pouvoirs publics et certaines
radios ne se conforment pas toujours aux prescriptions légales.

Les obligations de service public sont loin d’être exécutées. La mission d’intérêt général qui postule une
certaine « ligne » dans les programmes, n’est pas toujours respectée, des émissions sont manifestement
contraires aux lois et règlements (non respect de la dignité de la personne humaine, « attaques personnelles »,
etc.).

4
Voir. Sud quotidien, Edition du 4 octobre 2006 : Déclaration du bureau exécutif national du Syndicat national des professionnels de
l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS) sur la situation nationale relativement à la presse, Dakar, le 17 Octobre
2006.

5
Abdoulaye Ndiaga Sylla in Media@ction, N°39, Septembre 2004, IPAO
Les normes en matière de publicité et de parrainage (temps d’antenne consacré aux messages publicitaires,
interdiction de certaines formes de « publicité » pour, par exemple, certains « guérisseurs » pratiquant
illégalement une médecine, messages à connotation religieuse ou confessionnelle particulariste, déséquilibre
dans le traitement des différents courants politiques et philosophiques) sont presque quotidiennement violées.

Par ailleurs, le Cahier des charges donne un pouvoir exorbitant au Ministre de la communication pour le
constat des manquements et pour la suspension, voire le retrait de la licence. Ce pouvoir doit être transféré à
un organe indépendant avec le contrôle étroit du juge. En effet, il existe un véritable danger pour la liberté
d’expression de conférer un tel pouvoir au ministère de la communication surtout lorsque la mesure
envisagée peut occasionner le retrait de la licence.

Le Cahier des charges des radios associatives et communautaires est presque similaire à celui des radios
privées à la seule exception qu’elles ne sont pas autorisées à faire de la politique, c’est-à-dire des émissions à
caractère politique et à faire de la publicité. Le cadre juridique actuel n’est pas adapté à la réalité et la
spécificité des radios communautaires et associatives. Ce manque de distinction entre ces deux entités pose
d’énormes problèmes de statut aux radios communautaires et associatives.

Selon Omar Seck N’diaye, Directeur de la Radio communautaire Oxy-jeunes, «les radios communautaires
rencontrent beaucoup de difficultés pour l’octroi de la carte de presse. Au niveau financier, elles ne
reçoivent qu’une portion incongrue de l’aide à la presse, destinée aux entreprises de presse par le
gouvernement. Il leur a fallu un lobbying et l’appui des pouvoirs publics pour pouvoir bénéficier de cette
aide».

Mais au delà de ces difficultés, « les radios communautaires ont contribué au renforcement de la démocratie
locale et à la vulgarisation des langues nationales dans les émissions de radios, surtout interactives »
Affirme N’diaye.

Pour ce qui est des média publics, surtout la télévision nationale, la mission de service public n’est pas
respectée. L’information est loin d’être équilibrée et ne respecte pas les règles minima prévues par la
législation sénégalaise.

L’organe de régulation qui existait jusque-là, le Haut Conseil de l’Audiovisuel (remplacé par le Conseil
National de Régulation de l’Audiovisuel, CNRA) ne disposait pas de pouvoirs de sanction importants, il ne
pouvait adresser, pour l’essentiel, que des « mises en demeure » ou alerter le ministère de tutelle (ministère
de la Communication) pour éventuellement prendre des sanctions.

4. La loi portant création du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA)

Le gouvernent du Sénégal a tenté de revoir quelques aspects de la législation notamment celles qui régulent
le secteur de l’audiovisuel. En décembre 2005, une loi a été adoptée pour réguler l’audiovisuel mais
malheureusement, l’élaboration de celle-ci n’a pas fait l’objet de consultation avec les professionnels de la
communication et n’offre pas de garantie d’indépendance suffisante à l’organe de régulation. En effet, entre
autres problèmes de cette loi, les membres de cet organe sont nommés par le Chef de l’État.

Au delà du déficit dans le processus d’élaboration de la dite loi et de nomination des membres du CNRA,
certaines dispositions sont contraires aux principes internationaux de liberté d’expression.

L’article 9 exige le «respect des institutions de la République», «respect de l’unité nationale, de l’intégrité
territoriale et du caractère laïc de la République».

Cette disposition ne fait que donner les grandes lignes et laisse une marge d’appréciation très importante au
conseil pour définir l’étendue de ces restrictions. De telles restrictions sont vagues et très problématiques. En
principe, tout individu doit avoir la liberté de critiquer les institutions étatiques, notamment en ce qui
concerne leurs politiques et leur fonctionnement. Selon ARTICLE 19, la tendance en droit international est
que les institutions étatiques ne doivent pas être autorisées à ester en justice pour diffamation.
Le Rapporteur spécial des Nations Unions sur la liberté d’expression et d’opinion a recommandé «
l’abrogation des délits de diffamation à l’égard des institutions publiques ». 6

Également, le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies a lancé un appel pour l’abrogation des
délits d’offense et de diffamation à l’endroit de l’État.7

Interdire les discours séparatistes qui ne font pas appel à la violence, ou la remise en question de la laïcité de
l’État ne se justifie pas dans une société démocratique, ces restrictions sont indues et excessives. 8

L’article 10 dispose que «le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel veille à ce que toute station de
radiodiffusion dispose, obligatoirement, d’un système de retardement de la voix d’au moins trois secondes
pour ses émissions interactives».

Cette disposition législative qui impose la mise en place d’un système de retardement des voix ne laisse
aucune discrétion aux radiodiffuseurs pour choisir, en fonction des cas, les mesures adéquates à prendre pour
éviter les dérapages dans les émissions en direct.

En effet, dans certains pays, un système de retardement des voix est souvent utilisé, mais il n’est pas imposé
par le législateur, c’est souvent, une mesure volontaire que les stations radios et de télévisions prévoient dans
leur guide rédactionnel interne pour réduire les risques d’injures sur les ondes ou pour éviter de heurter la
sensibilité des auditeurs et téléspectateurs durant la couverture d’événement dramatiques. 9

Le nouvel organe, le CNRA, mis en place par la loi du 21 décembre 2005, se voit reconnaître, par rapport à
son prédécesseur, le HCA, des garanties supplémentaires d’indépendance. Entre autres, le mandat de ses
membres est irrévocable, ils ne peuvent être poursuivis, recherchés, arrêtés ou jugés à l’occasion d’actes
accomplis ou d’opinions émises dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne peuvent, directement ou
indirectement, détenir des intérêts dans une entreprise du secteur de l’audiovisuel leur mandat est
incompatible avec tout autre mandat électif.

Les membres du CNRA doivent en effet être, selon la loi même, issus des milieux suivants: mouvements des
associations féminines, milieu des professionnels de la communication, milieu des arts, des lettres, de la
communauté universitaire, des mouvements des droits humains, du Conseil National de la Jeunesse, des
associations des personnes du troisième âge.

Seule cette diversité reste un rempart contre la partialité. Il n’y a pas la nécessité d’une neutralité politique
des membres. C’est le président de la République qui nomme tous les membres du CNRA (Art. 3). Il n’y a
aucun mécanisme de contrôle public sur les membres du CNRA. L’assemblée nationale et la société civile
ne sont pas directement impliquées dans le processus de nomination.

À la lecture de la loi de décembre 2005, quelques réserves sur le CNRA peuvent être émises. En effet, bien
que le CNRA doit être représentatif de diverses couches ou composantes de la société, le fait que le pouvoir
de nomination soit entièrement confié au Président de la République peut conduire au moins à une tentation
de ne désigner que des personnes qui « conviennent », et non des personnalités expertes, et critiques à
l’égard du pouvoir.

Rappelons qu’aux termes de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, adoptée par la
Commission africaine des Droits de l’Homme, « la procédure de nomination des membres d’un organe de
régulation doit être ouverte, transparente, prendre en compte la participation de la société civile et ne doit
pas être contrôlée par un parti politique donné » (Principe VII, § 2).

6
Rapport du Rapporteur spécial pour la promotion et la protection de la liberté d’expression et d’opinion, 18 Janvier 2000, UN Doc.
E/CN.4/2000/63, para. 52.
7
Observations sur le rapport du Mexique, 27 Juillet 1999, UN Doc. CCPR/C/79/Add.109.
8
Au Canada, il existe un parti politique légal qui demande la session du Québec ; au Royaume Uni le Parti Nationaliste Écossais
demande la séparation de l’Écosse du reste du pays.
9
Le guide rédactionnel de la BBC a prévu une telle mesure pour la diffusion directe d’éléments sensibles tels que le détournement
d’avion, la prise en otage d’école. Cela est aussi utilisé pour certaines émissions interactives de manière volontaire.
Voir.http://www.bbc.co.uk/guidelines/editorialguidelines/edguide/war/hijackingkidnap.shtml
http://www.mondaq.com/article.asp?articleid=30235&lastestnews=1
L’indépendance des organes de régulation se pose aussi en termes de moyens financiers et juridiques, pour
garantir une véritable indépendance. Le HCA, qui existait jusque-là, s’est toujours plaint de la maigreur de
son budget et surtout de l’absence de véritables pouvoirs de sanction lui permettant de garantir le respect de
la loi. Il n’est pas sûr que le CNRA, qui le remplace, soit mieux loti de ce point de vue.

On peut, d’autre part, formuler d’ores et déjà quelques critiques à l’encontre de cette loi, dans la mesure où
sa préparation n’a donné lieu à aucune consultation des professionnels de l’information et de la société civile.
Il s’agit donc d’un acte purement « administratif », pris en dehors de tout esprit de concertation. Cette
carence aurait sans doute pu être évitée par les autorités.

Le nouvel organe, le CNRA, se voit reconnaître des pouvoirs importants. Il veille à « l’indépendance et à la
liberté d’information dans le secteur de l’audiovisuel » (article 7).

En cas de manquements, il peut faire des observations ou une mise en demeure aux média audiovisuels. Si
celle-ci est infructueuse, il peut prendre une sanction qui peut consister en la suspension totale ou partielle
d’un programme.

Il est tenu, en fonction de la gravité des griefs, de procéder aux sanctions suivantes :
• suspension d’un à trois mois de tout ou partie des émissions ;
• sanction pécuniaire de deux à dix millions de francs CFA (environ 4000 à 20.000 dollars) ;
• pénalité quotidienne de retard de cent mille francs à cinq cent mille francs CFA (environ 200 à 1000
dollars) en cas d’inexécution d’une décision du CNRA.

Le CNRA peut également proposer à l’autorité ayant délivré l’autorisation une réduction de six mois à un an
ou un retrait définitif de ladite autorisation.

Cependant, la loi ne donne au conseil aucune marge d’appréciation pour définir les sanctions. Par exemple,
une suspension d’une semaine ou deux pourrait être plus appropriée en fonction des circonstances, mais
curieusement, la loi ne prévoit pas de sanctions inférieures à un mois. Également la loi ne prévoit que des
sanctions pécuniaires allant de 2 à 10 millions (environ 4000 à 20,000 dollars), dans certains cas, ce montant
pourrait être disproportionné. (article 26).

L’organe de régulation a aussi un rôle d’arbitre, il peut recevoir des plaintes sous forme « administrative ».
Une possibilité de saisine est ouverte à toute personne physique ou morale.

Rappelons que selon le Principe IX de la Déclaration de principes précitée adoptée par la Commission
africaine des Droits humains et des Peuples, « le système des plaintes doit être largement accessible ».

Ce système paraît globalement satisfaisant, mais il a montré ses limites. Les pouvoirs publics et la radio
télévision nationale n’ont pas toujours mis en application les avis et recommandations de la HCA.

L’organisation générale du système de « plaintes publiques » se présente ainsi:

Le CNRA peut être saisi de toute violation des dispositions législatives et réglementaires régissant les média
audiovisuels ainsi que l’accès équitable des partis politiques, des syndicats et des organisations reconnues de
la société civile aux média d’État.

Il peut également se saisir de toute question relevant de sa compétence et en délibérer. Il est saisi en la
personne de son Président par toute personne physique ou morale. La requête ou réclamation est formulée
par écrit, datée et signée par une personne ayant qualité à agir dans ce sens. Le plaignant doit toutefois, sous
peine d’irrecevabilité, énoncer avec suffisamment de précision les griefs articulés.
Ce système paraît satisfaire aux garanties minimales de transparence, mais son indépendance est déjà remise
en question. Il est bien entendu trop tôt pour se prononcer sur son efficacité, le CNRA n’étant pas encore
fonctionnel.
Les « plaintes publiques » peuvent également s’exprimer devant les tribunaux. Dans ce cas, elles
obéissent aux conditions habituellement posées pour la recevabilité de l’action judiciaire. Il faut
notamment un intérêt à agir, direct et personnel, ce droit pouvant être reconnu à des personnes
morales (associations, syndicats éventuellement).

5. Statuts de la Rts (Loi N° 12-02 du 6 Janvier 1992) et la Loi N° 92-57 du 3 Septembre 1992
relative au pluralisme à la Radio Télévision

La loi du 6 janvier 1992 transforme la Radiodiffusion télévision sénégalaise (Rts) en une société nationale
dotée d’une autonomie de gestion mais sans une véritable indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics.
L’article 2 de la dite loi précise la mission de la Rts :
• L’exploitation du service public de la radio et de la télévision,
• Le développement de la radio et de la télévision.

La Société est administrée par un Conseil d’administration composé de douze (12) membres au plus dont :

• Un représentant de la présidence de la République


• Un représentant de la primature
• Un représentant du ministère chargé des Finances
• Un représentant du ministère chargé de la Communication
• Un représentant du ministère chargé de l’Industrie
• Un représentant du ministère chargé de la tutelle des Collectivités locales. Ces représentants sont
désignés par l’autorité dont ils relèvent
• Un député désigné par l’Assemblée nationale
• Un représentant du personnel de la société, désigné conformément aux dispositions du règlement
intérieur
• Deux membres choisis pour leur compétence professionnelle et désignés par le ministre chargé de la
Communication.

Parmi ces douze (12) membres seuls deux (2) sont nommés par l’État en raison de leur compétence
professionnelle. Le Conseil d’administration est présidé par un président élu en son sein sur proposition du
Président de la République (art.13).

Le directeur général est nommé par décret pour trois ans renouvelable, après avis du ministre chargé de la
tutelle technique, sur proposition du Conseil d’administration. Il assure la gestion générale de la société et
veille à l’exécution des décisions prises par les organes délibérants et les autorités de tutelle. (art.20).

Le mode de nomination des instances dirigeantes tel que prévu par la loi n’assurant aucune garantie
d’indépendance à la Rts et se répercute dans son fonctionnement.

À coté de la loi sur la Rts, celle de septembre 1992 renforce le pluralisme à la radio et télévision. La loi
exige à la Rts le traitement équilibré de l’information.

L’article 2 dispose que « La radio et la télévision rendent compte, dans le respect du pluralisme, de l’activité
et des prises de position des organisations syndicales et patronales représentatives et des associations
représentatives de la société civile, telles que, notamment, les associations à but humanitaire, éducatif,
culturel, sportif, de promotion féminine, de défense des droits humains ou de protection des consommateurs
».

III. Les Organisations professionnelles

1. Le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie : un organe d’autorégulation

Le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) a été créé le 3 mai 1999, et mis en place
le 8 juillet 1999. Le CRED est un organe d'autorégulation chargé de veiller à l'observance par les
journalistes, des règles de la déontologie et de l'éthique professionnelle. Il a aussi pour mission de défendre le
droit des citoyens à l'information et contre les atteintes à leurs dignités.

Le CRED peut-être saisi par toute personne physique ou morale en vue de statuer sur le traitement d'une
information par tout organe de presse écrite ou audiovisuelle, privée ou publique. Le plaignant est tenu
d'adresser un courrier en ce sens au président du CRED, dans un délai de six (6) mois à compter de la
diffusion de l'information incriminée.

Il est tenu de statuer dans les quinze jours (15) qui suivent la saisine. Les membres du CRED peuvent
saisir l'institution pour qu'elle se prononce sur le traitement d'une information publiée par un ou plusieurs
organes de presse, sur les relations entre journalistes, ou entre organes de presse. À cet effet, une lettre est
transmise au président du CRED, avec obligation de statuer dans les quinze jours (15) qui suivent sa
réception.

Le CRED est un organe consultatif, ses avis n’ont pas de force exécutoire, mais sa médiation peut remplacer
les procédures judiciaires si ces décisions sont respectées par les journalistes concernés.

Il est composé de treize (13) membres dont :


• quatre journalistes désignés par le Syndicat des Professionnels de l'Information et de la
Communication du Sénégal SYNPICS et qui n'en sont pas nécessairement membres ;
• trois journalistes désignés par les directeurs des organes de presse publics et privés ;
• une personne est aussi désignée par le ministre chargé de la Communication et une autre par le
Conseil de l'ordre des avocats ;
• un représentant des Assemblées universitaires des universités Cheikh Anta Diop de Dakar et Gaston
Berger de Saint-Louis :
• un représentant des Organisations de défense des Droits Humains ; ainsi que
• celui désigné par le Conseil national des associations de consommateurs du Sénégal.

2. Le Syndicat des Professionnels de l'Information et de la Communication du Sénégal (SYNPICS) :


une organisation professionnelle de défense des intérêts matériels et moraux des journalistes

Le Syndicat des Professionnels de l'Information et de la Communication du Sénégal (SYNPICS) existe


depuis 1984. Sa mission est la défense des intérêts matériels et moraux des professionnels de la
communication. À l’époque de sa création, le paysage médiatique était quasiment dominé par les média
d’État, ce contexte rendait très difficile l’établissement et le fonctionnement du SYNPICS.

Aujourd’hui, le SYNPICS est la plus importante organisation professionnelle au Sénégal. Il regroupe des
journalistes du secteur privé comme du public et a initié de nombreuses réformes du cadre juridique des
média au Sénégal.

Par exemple, il a négocié avec le gouvernement la Convention collective des journalistes qui fut signée en
1989. Cette Convention collective, qui fixe les règles générales et les conditions d'emploi des journalistes et
des techniciens de la Communication du Sénégal est entrée en vigueur le 10 avril 1991.

Le SYNPICS a également joué un rôle important dans l’élaboration de la loi 1996 précitée, relative aux
organes de communication sociale et aux professions de journaliste et de technicien et la mise en place du
CRED.

Il a par ailleurs mené le combat pour la dépénalisation des délits de presse. Des discussions avancées ont eu
lieu ces deux dernières années entre les pouvoirs publics et les professionnels de la communication, mais le
gouvernement reste hésitant sur la portée et la date de la réforme des délits de presse.

Selon des sources proches du gouvernement, le principe de la dépénalisation est acquis, «le Chef de l’État a
donné son consentement, mais les modalités de la réforme du code pénal sont encore en étude » souligne
Pierre Sakho, journaliste et Chef de division au ministère de l’Information.
En 2004, dans le cadre de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le SYNPICS a
appuyé une initiative régionale pour mettre en place un cadre uniforme avec une convention collective
régionale qui renforcerait la protection sociale des journalistes.

PARAGRAPHE II : ANALYSE DE QUELQUES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ


D’EXPRESSION

Les restrictions à la liberté d’expression sont nombreuses dans la législation sénégalaise, mais nous ne
retiendrons dans cette étude que celles dont l’utilisation a été récurrente ces dernières années. En effet,
depuis l’avènement de l’alternance politique en 2000, on note une recrudescence de harcèlements,
intimidations, arrestations et actions en justice contre des journalistes et certains membres dirigeants des
partis d’opposition. Des procès en diffamation, pour fausses nouvelles, pour menace à l’ordre public et à la
sécurité de l’État ont été récurrents ces deux dernières années.

I. Protection de la réputation : diffamation et injure

Selon le Code pénal sénégalais, la diffamation est un délit. Elle est définie par l’article 258 du Code pénal
comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la
personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Lorsqu’elle est commise par un moyen de diffusion publique, la diffamation est punissable, même si elle
s’exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés,
mais dont l’identification est rendue possible.

La diffamation est presque systématiquement invoquée contre les journalistes. Le critère de la diffamation,
dans le droit sénégalais, n’est pas dans l’exactitude ou non de la déclaration ou de l’information. Il est dans le
fait de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui. Un fait peut donc être exact en soi, mais si sa
divulgation a pour résultat de porter atteinte à la réputation d’une personne, il constitue une diffamation
punie par la loi.

Lorsque cette information est divulguée par un moyen d’expression publique, elle est punissable même si
cette divulgation a été faite de manière dubitative, c’est-à-dire éventuellement avec des réserves.

Cette disposition de la loi sénégalaise est contraire aux principes reconnus au plan international. En vertu de
ces principes, la véracité des propos constitue une défense suffisante pour extirper le caractère diffamatoire
des propos. Selon une jurisprudence bien établie, les dispositions sur la diffamation ne doivent pas avoir un
but autre que la protection de la réputation contre les abus par voie de presse. Également, nul ne peut
légitimement prétendre à une réputation qu’il n’a pas.

Aux termes de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique,

1. Les États doivent s’assurer que leurs lois relatives à la diffamation sont conformes aux critères ci-
après :
• nul ne doit être puni pour des déclarations exactes, des opinions ou des déclarations
concernant des personnalités très connues qu’il était raisonnable de faire dans les
circonstances ;
• les personnalités publiques doivent tolérer beaucoup plus de critiques ; et
• les sanctions ne doivent jamais être sévères au point d’entraver l’exercice du droit à la
liberté d’expression, y compris par les autres.
2. Les lois sur la vie privée ne doivent pas empêcher la diffusion d’informations d’intérêt public
(Principe XII).
Par ailleurs, il est admis depuis plus d’une décennie dans la plupart des démocraties modernes que les
personnes publiques, de par leur position, la nature de leur activités doivent tolérer plus de critiques se
rapportant à des faits liés à la vie publique. L’acceptation des critiques de la presse renforce la démocratie10.

La bonne foi joue par ailleurs un rôle variable dans l’imputation de responsabilités pénales liées à la
divulgation d’informations.

Tantôt elle n’exerce aucune influence sur la commission du délit :


• C’est le cas en matière de reproduction d’une imputation jugée diffamatoire : elle est toujours
réputée faite de mauvaise foi, à charge pour son auteur de rapporter la preuve contraire (celle de sa
bonne foi, art 264 du Code pénal : « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée
diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur »).

Tantôt la bonne foi limite ou supprime toute responsabilité pénale en matière de divulgation d’informations.

• C’est le cas pour le compte rendu, fait de façon exacte, des discours tenus dans l’enceinte de
l’Assemblée nationale ou du Conseil économique et social ainsi que de tout document imprimé sur
ordre de ces Assemblées (art 269 du Code pénal):

« -Ne donneront ouverture à aucune action, les discours tenus dans le sein de l’Assemblée
nationale et du Conseil économique et social ainsi que les rapports ou toute autre pièce
imprimée par ordre de l’une de ces Assemblées.

-Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques
de l’Assemblée visée à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les
journaux.
-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le
compte rendu fidèle de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours
prononcés ou les écrits produits devant les Tribunaux… »

C’est aussi le cas pour le compte rendu fidèle des débats judiciaires et des discours écrits ou prononcés
devant les tribunaux (art 269 du Code pénal, précité).

La difficulté principale est celle de cerner avec précision la « bonne foi ». La définition de cette notion,
fondamentale ici, est une affaire d’espèce, et sans doute de juge aussi. L’élément déterminant, encore une
fois, est seulement le désir de nuire à une personne, ce qui emporte constitution du délit de diffamation.
Faute d’une telle intention, et quelles que soient les critiques, celles-ci ne devraient donner lieu à aucune
poursuite.

De telles conditions seraient conformes aux dispositions de la Déclaration de principes de la Commission


africaine des Droits humains et des Peuples, relative à la liberté d’expression, Principe XII.

L’examen de la jurisprudence sénégalaise en matière de diffamation laisse apparaître que le juge se montre
tantôt sensible à la nécessité de préserver l’existence du journal en évitant de prononcer des peines trop
lourdes, tantôt se montre au contraire sévère.

Ainsi, par deux fois, il est revenu sur le montant, jugé élevé, de dommages et intérêts :
• Arrêt de la Cour d’appel de Dakar du 14 décembre 1994, « Ministère public et Mansour Tall » c/
Béchir Ben Yahmed (Journal Jeune Afrique) : ramène le montant de 50 millions de F CFA (100.000
Dollars) à 3 millions (6000 dollars).

• Arrêt de la même juridiction, du 08 mai 2000, « Ministère public, Issa Lô et Lamine Bousso » c/
« Sté Éditions Libération, Serge July et Jacqueline Coignard » : ramène la somme de 100 millions de
Francs CFA (200.000 dollars) à 5 millions (10.000 dollars).

10
Handyside C. Royaume Uni, 7 Décembre 1976, 1 EHRR 737, para. 49
Mais d’autres fois, le juge se montre très sévère:

• Arrêt de la même juridiction, 4 juin 1997, « Ministère public et J. Claude Mimran » c/ « Abdoulaye
Ndiaga Sylla et autres » (Groupe « Sud Communication ») : sur la seule base de l’absence
d’objection formulée par les prévenus (qui se sont désistés de l’instance), la Cour maintient la
condamnation de 250 millions de F CFA (500.000 dollars) retenue en première instance par le
Tribunal. Il s’agissait d’un véritable « arrêt de mort » contre le groupe de communication. Cette
condamnation ne sera jamais exécutée grâce à un compromis entre les parties. 11

• Arrêt rendu en 2005 par le Tribunal de Dakar, « Karim Wade12 et Ministère public » c/ le Directeur
de publication du journal L’Observateur : le prévenu est condamné à payer 40 millions F CFA
(80.000 dollars) pour diffamation.

Les amendes infligées aux journalistes dans certaines affaires sont souvent très lourdes eu égard à la capacité
financière des organes de presse qu’ils représentent. Parfois, les condamnations mettent en cause la survie
même des organes en question.

Ainsi, dans toutes les affaires de diffamation dépouillées, les prévenus ont été condamnés faute de preuve de
leurs allégations. Mais, il faut aussi souligner que le code pénal actuel protège davantage les hommes publics
au détriment de la transparence. Il rend difficile le travail d’investigation des journalistes et est contraire aux
normes internationales, notamment la Déclaration de Principes adoptée par la Commission africaine des
Droits humains, qui prescrit que « les sanctions ne doivent jamais être sévères au point d’entraver l’exercice
du droit à la liberté d’expression » (Principe XII § 1).

La jurisprudence sénégalaise a, par deux fois au moins, observé ce principe : affaires précitées, « Mansour
Tall et Ministère public c/ Jeune Afrique et Béchir Ben Yahmed » (arrêt du 14 décembre 1994) et « Issa Lô
et Ministère public c/ Editions Libération, Serge July et Jacqueline Coignard » (arrêt du 08 mai 2000).

Mais elle s’est montrée parfois trop sévère sans doute : affaire « J. C. Mimran et Ministère public c/ Groupe
Sud Communication » (arrêt du 4 juin 1997) et affaire « Karim Wade et Ministère public » c/ le Directeur de
publication du journal L’Observateur :

Il existe d’autres dispositions pénales protégeant la réputation. C’est le cas de l’ « offense contre le Chef de
l’État » (art 254 du Code pénal:

« L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 248 est punie
d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs ou de
l’une de ces deux peines seulement. Les peines prévues à l’alinéa précédent sont applicables à
l’offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du Président de la république »),
d’actes de « désobéissance aux lois du pays, d’atteinte au moral de la population, ou jeté le discrédit
sur les institutions publiques ou leur fonctionnement» (art 255 du Code pénal, précité).

L’Article 265 incrimine l’injure au Président de la République, une même disposition du Code pénal
français a été sévèrement critiquée par la Cour européenne des droits humains dans l’affaire Colombani c.
France, (4 septembre 2001). La Cour a décidé que de telles dispositions n’ont pas de place dans une
démocratie moderne.

«La liberté de presse est réelle au Sénégal. Il y a cependant des articles fourre-tout, comme l’article 80 qui
rendent possible le fait que le journaliste puisse facilement aller en prison. Certes les journalistes ne sont
pas au dessus des lois, mais on doit faire en sorte de ne pas pouvoir les mettre tout de suite en prison dans

11
Voir Abdoulatif Coulibaly, Wade un opposant au pouvoir: l’alternance piégée éd. Sentinelles, juil. 2003
12
Fils et conseiller du Président de la République
les affaires de diffamation. C’est ce qui explique la bataille pour la dépénalisation. » Souligne Abdoulaye
Ndiaga SYLLA., Directeur de Publication de Sud Quotidien et de Match,

Selon Alioune Tine, Secrétaire général de la Rencontre africaine pour les droits humains (RADDHO) «Il ne
faut pas que les personnes diffamées cherchent à couler les journaux en réclamant des sanctions pécuniaires
exorbitantes. La finalité de la sanction ne doit pas être de tuer les journaux. »

II. La diffusion de fausses nouvelles

L’Article 255 incrimine la publication de fausses nouvelles. Cette disposition est problématique et n’est pas
conforme au droit à la liberté d’expression. La Cour Suprême du Zimbabwe ainsi que celle de l’Ouganda ont
jugé que de telles dispositions sont contraires à la constitution.13 En fait, l’existence de telles dispositions
permet de condamner facilement les hommes politiques pour des propos critiques à l’ egard des pouvoirs
publics et les journalistes pour des erreurs dans le traitement de l’information et dans l’exercice de leur
métier au quotidien.

La bonne foi ne joue pas lorsque la publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction de fausses
nouvelles ou de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers aura entraîné la
désobéissance aux lois du pays ou porté atteinte au moral de la population, ou jeté le discrédit sur les
institutions publiques ou leur fonctionnement (art 255 du Code pénal):

«La publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de
fausses nouvelles, de pièces fabriquées ou mensongèrement attribuées à des tiers, sera punie d’un
emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs lorsque la
publication, la diffusion, la divulgation, la reproduction, faite ou non de mauvaise foi, aura entraîné
la désobéissance aux lois du pays ou porté atteinte au moral de la population, ou jeté le discrédit sur
les institutions publiques ou leur fonctionnement. Les mêmes peines seront également encourues
lorsque cette publication, diffusion, divulgation ou reproduction auront été susceptibles d’entraîner
les mêmes conséquences. Dans tous les cas, les auteurs pourront être frappés d’interdiction de
séjour pendant cinq ans au plus ».

Cette disposition a été invoquée en juillet 2004 contre Madiambal Diagne, directeur de rédaction du journal
Le Quotidien (Voir page 42).

Barthélemy Dias, leader du mouvement Convergence socialiste proche du Parti socialiste (Ps) fut également
arrêté pour « diffusion de fausse nouvelles », « offense au Chef de l’État » et « outrage à magistrat ». Il a
bénéficié d'une grâce présidentielle le 22 novembre 2006 après avoir purgé plus de quatre mois de prison.

III. Ordre public et sûreté de l’État

Les restrictions à la liberté d’expression sont, en principe, concevables dans un État démocratique
lorsqu’elles respectent un certain nombre de principes internationaux.14 Non seulement leur justification est
logique, mais elles sont souvent nécessaires pour la protection d’autres droits fondamentaux. En revanche,
on peut discuter de l’absence de précision du concept « ordre public » dans le dispositif juridique du Sénégal.
Cette notion a pu être à la base de bien de négations de la liberté d’expression, à travers la marche pacifique
notamment, droit pourtant constitutionnalisé. L’autorité administrative a justifié des refus d’autorisation de
marche par la menace à l’ « ordre public », alors qu’il était difficile de voir en quoi les manifestations
projetées pouvaient troubler cet ordre. Il semble que le Ministère de l’Intérieur joue un rôle trop important

13
Cour Suprême du Canada, du Zimbabwe et de l’Ouganda ont toutes décidé que le délit de publication de fausses nouvelles est
contraire aux normes constitutionnelles et aux principes démocratiques. À ce propos voir la décision R c. Zundel et Chavunduka et
Choto c. Minister of Home Affairs, respectivement in ARTICLE 19 : http://www.article19.org, rubrique Handbook / cases.
14
Lingens c. Autriche, 8 Juillet 1986, Application No. 9815/82, paras. 39-40 (Court Européenne des Droits humains).
dans le processus d’autorisation; et comme il est souvent politiquement « marqué », il est perçu comme juge
et partie. 15

Force est de constater que la plupart des restrictions pour motif d’ordre public telles que formulées par le
code pénal sont vagues, elles peuvent être abusées et ne servent pas un intérêt légitime dans une société
démocratique (Principe XIII § 1er de la Déclaration de principes).

Selon la Déclaration précitée, « la liberté d’expression ne devrait pas être restreinte pour des raisons
d’ordre public ou de sécurité nationale, à moins qu’il n’existe un risque réel de menace imminente d’un
intérêt légitime et un lien causal direct entre la menace et l’expression » (principe XIII, § 2).

L’un des moyens d’éviter des abus dans l’invocation de l’ « ordre public » aurait pu être la révision des
dispositions du code pénal en la matière et l’intervention en urgence du juge, devant qui des refus
d’autorisation peuvent être contestés suivant une procédure d’urgence. Malheureusement, le contrôle
judiciaire – exercé au Sénégal par le Conseil d’État – est qualifié, en termes techniques, de « contrôle
minimum », c’est-à-dire que le juge ne se montre pas en fait très critique dans l’appréciation de l’usage de
cette restriction par l’autorité administrative. À cela s’ajoute l’absence d’une culture du contentieux entre les
administrés et l’État.

Dans les affaires ci-après contre des journalistes et leaders de l’opposition, l’ordre public a été invoqué et
abusé par l’autorité publique pour restreindre la liberté d’expression et notamment le droit du public à
l’information plurielle.

Le 24 octobre 2003, Sophie Malibeaux, correspondante de Radio France Internationale (RFI) à Dakar, était
sommée de quitter le Sénégal. Les autorités lui avaient reproché sa couverture « tendancieuse » de la crise en
Casamance. En novembre 2003, dans une interview au quotidien français Le Figaro, le président Abdoulaye
Wade explique que la journaliste de RFI a « soutenu objectivement la tentative de sabotage qui
heureusement n’a pas fonctionné en tendant son micro à un révolutionnaire en hôtel » qui appelait au
boycott des négociations de paix.

Le 8 juillet 2004, M. Madiambal Diagne, directeur de publication du journal le Quotidien a été convoqué à
la suite d’un article qui annonçait que l’Union des magistrats s’apprêtait à sortir une déclaration contre les
«velléités de plus en plus affirmées de mettre à des postes stratégiques des magistrats sous les ordres ».

Selon le parquet, l’article serait de nature à inciter les magistrats à troubler l’ordre public. Madiambal
Diagne était emprisonné pendant plus de deux semaines avant de bénéficier d’une liberté provisoire. Son
emprisonnement a été dénoncé par des journalistes et des organisations de la société civile qui ont organisé
une série de manifestations publiques.

Le 17 octobre 2005 après la diffusion par la station Sud FM d'une interview de Salif Sadio, un des chefs
séparatistes radicaux de la région sud de Casamance, la police a fait irruption dans les locaux de Sud FM à
Dakar, dans la capitale sénégalaise et dans certaines de ses stations régionales. Elle a ordonné l'arrêt des
émissions et détenu plusieurs employés pour interrogatoire.

Les autorités sénégalaises ont aussi interdit la distribution de l'édition de ce jour de Sud Quotidien, le journal
qui appartient au même groupe et qui a publié le texte de l'interview de Sadio.

Par ailleurs, les autorités ont maintenu l'interdiction de «toute diffusion, rediffusion ou publication par
quelque organe de presse que ce soit de l'interview incriminée». Selon le communiqué officiel du
gouvernement, la diffusion de l'interview de Sadio constitue «une violation flagrante des dispositions
constitutionnelles et légales sur l'intégrité territoriale, l'unité nationale et l'ordre public ».

15
Le 15 mai 2006, Les femmes des partis membres de la Coalition populaire pour l’alternative (Cpa) avaient décidé d’organiser une
marche pour protester contre l’attribution au Président Abdoulaye Wade du prix Houphouët-Boigny pour la paix. Mais, le préfet de
Dakar avait décidé d’interdire la marche pour motif d’ordre public. Au cours de l’année 2005, plusieurs autres manifestations ont été
interdites pour cause de troubles probables à l’ordre public. On peut citer, celle prévue par « l’Alliance pour la citoyenneté et la
démocratie » qui manifestait pour la libération de l’ancien Premier Ministre.
Après de nombreuses pressions, les pouvoirs publics ont levé l’interdiction, mais ont maintenu une action en
justice qui sera déboutée. En effet, Le tribunal Hors classe de Dakar a prononcé le 6 janvier 2006 en
audience spéciale, la relaxe des journalistes du groupe Sud dans l’affaire de complicité d'atteinte à la sûreté
de l'État et à l'intégrité territoriale du Sénégal.16

Selon Alioune Tine, Secrétaire général de la Raddho «La liberté de la presse existe au Sénégal. Il y a
toutefois que, sans qu’on sache pourquoi des journalistes ont maille à partir avec la justice d’État. Sans
qu’on sache pourquoi, le président de la République Me Abdoulaye Wade a décidé après son arrivée au
pouvoir que la presse ne devrait pas parler de la Casamance (Plus exactement des relations entre le
Mouvement des Forces démocratiques (Mfdc) et l’État). »

«Le gouvernement doit inviter à un débat avec la presse pour qu’ensemble, ils essaient, tout en
reconnaissant le droit du public à l’information, de définir ce qu’est l’information en temps de guerre »,
poursuit Tine.

Le 30 mai 2005 après avoir prononcé un discours appelant les Sénégalais à manifester pacifiquement dans
les rues pour exiger le départ du Président de la République, Abdourahim Agne, dirigeant du Parti de la
réforme (membre du gouvernement depuis novembre 2006) a été convoqué par la Division des
Investigations Criminelles (DIC) et poursuivi pour trouble à l’ordre public et incitation à l’insurrection
populaire sur la base des articles 72 et 80 du Code pénal et l’article 139 du Code de procédure pénale. Il était
détenu pendant des semaines avant d’être libéré suites aux pressions de l’opposition et de la société civile.

Le directeur de publication du quotidien l’Observateur, le correspondant du journal à Kaolack, (région centre


du Sénégal) ont également été interrogés par la DIC pour avoir publié, le 25 mai 2005 un article intitulé
«Agne demande aux populations de descendre dans la rue pour démettre Wade ».

Le 6 avril 2006, M. Amath Dansokho, Vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal et secrétaire


général du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) a été arrêté par la DIC pour propos tenus devant la
presse française et sénégalaise à Paris où il dénonçait le « bâillonnement de la presse » au Sénégal par le
pouvoir, et invitait le peuple sénégalais à faire face à « la machine infernale de destruction de notre société
qu’Abdoulaye Wade a lancée ».

Dans un autre registre, le cinéaste Joe Gaye Ramaka, a également été entendu par la DIC, concernant son
film, tiré des écrits du journaliste Abdou Latif Coulibaly: Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée
et dédié notamment à Me Babacar Sèye, ancien vice-président du Conseil constitutionnel, assassiné le 15 mai
1993. M. Ramaka a été placé sous contrôle judiciaire et fut interdit de sortie du territoire.

En août 2006, Le premier secrétaire du Bloc des centristes gaïndé (BCG, opposition), Jean-Paul Dias, a été
détenu à la prison centrale de Dakar. Il était poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l'État ». Il avait demandé
à Amath Dansokho, secrétaire du PIT et à tous les autres leaders de l'opposition de ne plus répondre aux
convocations de la DIC.

IV. Respect de la vie privée

On peut considérer que le respect de la vie privée n’empêche pas la publication d’informations d’intérêt
public. En effet, aux termes mêmes de la loi, « le journaliste ou le technicien de la communication sociale
est tenu de respecter la vie privée des personnes, dès lors que celle-ci n’interfère pas avec les charges
publiques dont lesdites personnes sont ou prétendent être investies » (art 34 de la loi du 22 février 1996).

La même considération que celle qui précède peut être réitérée ici.
On ajoutera que la jurisprudence a eu à se montrer plutôt souple à l’égard du devoir d’informer. Dans
l’affaire « Ministère public c/ Cheikh Kh. Bâ » (journal d’opposition Sopi), la Cour d’appel dans son arrêt du
10 août 1990 rejette le délit de provocation par voie de presse adressé à des militaires car les « rédacteurs de
cet article n’ont fait que leur devoir de journalistes ».

16
Voir Sud Quotidien 07/01/2006.
Recommandations

Les pouvoirs publics sénégalais doivent :


• Prendre des mesures d’urgence pour abroger les délits de presse notamment, les dispositions du
code pénal et de procédure pénale sur la diffamation, la diffusion de fausses nouvelles, l’injure et
offense au Chef de l’État et aux institutions nationales et étrangères;
• Mettre fin aux attaques, intimidations et aux harcèlements administratifs et judiciaires intempestifs
contre les journalistes et les opposants politiques qui expriment ou manifestent pacifiquement leurs
opinions;
• Mettre fin aux restrictions excessives et anti-démocratiques au droit à la manifestation publique
pacifique.

CHAPITRE II : LE PAYSAGE MÉDIATIQUE SÉNÉGALAIS

Partant de l’idée selon laquelle une vie démocratique engendre la liberté d’expression, la Constitution
sénégalaise dispose en son article 8 que : « Tout citoyen a le droit de diffuser ou d’exposer ses opinions par
la parole, la plume et l’image, ainsi que le droit de s’instruire sans entrave aux sources accessibles à tous ».
Il faudra attendre presque deux décennies pour voir ces dispositions constitutionnelles essayer de s’inscrire
dans les faits.

Section I : La Presse écrite

Dans sa volonté de bâtir un État nation fort, le premier Président du Sénégal indépendant, Léopold Sédar
Senghor a monopolisé les organes de presse dès l’accession du pays à la souveraineté nationale et
internationale. Il n’y avait que le quotidien gouvernemental Paris Dakar de l’époque coloniale qui est
devenu Dakar Matin le 5 avril 1961 aux premières heures de l’indépendance. Ensuite Dakar Matin a disparu
pour céder sa place au quotidien Le Soleil, en mai 1970. Son orientation rend compte exclusivement des
activités politiques, économiques, culturelles et sociales du gouvernement.

Les organes de presse partisane, à défaut de végéter, avaient pour la plupart cessé de paraître, lorsqu’ils
n’étaient pas confinés dans la clandestinité. On peut citer le Mom Sarew du Parti africain de l’indépendance
(PAI) et Xarebi, organe de jeunes intellectuels sénégalais se réclamant de la pensée de Mao Tse Toung.

Ainsi, si la liberté de presse était formellement reconnue dans les textes, il demeurait inexistant dans les faits.
Quelques bouffées d’air vont survenir dans les années 1970 avec l’émergence de journaux qui se défient du
contrôle étatique. C’est ainsi que Le Politicien lancé en 1976 verse dans les dénonciations de certains travers
de l’administration. Promotion et le Cafard Libéré qui voient le jour en 1988 vont s’inscrire dans la même
dynamique.

On assiste en même temps à la naissance de journaux d'informations générales, à équidistance des partis
politiques et du régime au pouvoir. Il en est ainsi de Walfadjri né en 1984 et Sud Hebdo né en 1986 qui
deviendra Sud Quotidien en 1993. Le lancement de ces titres est l’œuvre de jeunes professionnels.

Vers la fin des années 90, la presse sénégalaise qui était jusqu’ici une presse d’informations générales, avec
un accent particulier mis sur la politique, va toutefois se diversifier avec une presse spécialisée (économique,
sportive) qui occupe encore une place marginale dans le paysage médiatique. Cette diversification s’est
quelque peu renforcée avec l’apparition sur le marché d’une presse fait-diversière dont les caractéristiques
principales sont : la modicité du prix de vente, un style, un niveau de langue très accessible, une ligne
éditoriale qui jette son dévolu sur tout ce qui est relatif au sexe, au sang, au scandale. Ce sont des journaux
dits « populaires » ou « people ». Lancé en novembre 1999, le Populaire, un des précurseurs de cette
tendance, s’est rapidement positionné sur le marché. Son succès est lié à la rubrique « Off » constituée de
brèves qui racontent des indiscrétions sur la vie des hommes et des femmes publics du Sénégal.

En 2005, un sondage du BDA a révélé un appétit des sénégalais pour les journaux dits people au détriment
des journaux d’informations générales. Mais selon E. Hamidou Kassé, la presse dite « sérieuse » connaît une
évolution positive de ventes alors que les titres dits «impertinents» connaissant une stagnation.17

Aujourd’hui, le nombre de quotidiens s’élève à 15 (quinze) avec un tirage global de (200.000) exemplaires
par jour. 18

«Il existe un dynamisme artificiel de la presse écrite au Sénégal. Le foisonnement des titres n’est pas
synonyme de pluralisme, cette multiplication irrationnelle des titres augmente la précarité des organes de
presse d’où un certain appétit pour l’aide de l’État à la presse. L’entreprise de presse n’est pas très
rentable, en effet, beaucoup de groupes de presse n’arrivent pas à couvrir leur coût de production et sont
surendettés», souligne Jean Meissa Diop, Rédacteur en chef de Wal Grand Place

Section II : L’AUDIOVISUEL

17
E. H. Kassé, (2002) Misères de la Presse, Ouvrage publié à compte d’auteurs, Dakar, P. 51.
18
Abdou Latif Coulibaly, Une démocratie prise en otage par ses élites, éd. Sentinelles, 2006, p 257.
La Radiotélévision sénégalaise est aujourd’hui présente sur l’ensemble du territoire national par le biais de la
chaîne nationale et de Radio Sénégal Internationale. Il s’y ajoute onze chaînes régionales couvrant chacune
une partie du pays.

Les radios privés commerciales et/ou communautaires ont attendu plus de trois décennies après
l’indépendance pour pouvoir émettre. C’est en 1995 que les ondes seront libéralisées avec les radios Sud Fm
et Nostalgie. À Partir de 2002 émergent des radios thématiques, avec notamment Santé Fm, Sokhna Fm,
Sport Fm qui se spécialisent sur la santé, les femmes et le sport. Les média audiovisuels communautaires
(radios) sont reconnus et réglementés. Est considéré comme média audiovisuel communautaire, toute station
radiophonique privée à but non lucratif. Une seule fréquence est attribuée à chaque radio communautaire, et
elle ne doit en aucune façon participer au débat politique.

Des émissions régionales sont programmées dans les média audiovisuels, et les média publics et privés
bénéficient de stations-relais qui permettent de couvrir l’ensemble du territoire national. La télévision
demeure toutefois un monopole d’État jusqu’en 2006. Une télévision culturelle va toutefois démarrer en
juillet 2003 sous la forme d’un partenariat entre une structure privée dénommée Studio 2000 et une structure
publique, la Radio télévision sénégalaise (Rts).

Il faut cependant noter la distribution et la diffusion des programmes des télévisions étrangères. En 1991
Canal + Horizons se voit attribuer l’exclusivité de la diffusion du bouquet francophone en Afrique au Sud du
Sahara. En 1992 le gouvernement canadien dote le Sénégal d’un émetteur à système de distribution à canal
multiple à la faveur du sommet de la Francophonie à Dakar pour la diffusion des programmes de la chaîne
francophone internationale Tv5.

Les langues locales sont utilisées à la radio et à la télévision dans des tranches horaires spécialement
aménagées afin de veiller à la diversité linguistique. Mais selon certains observateurs de la vie médiatique du
Sénégal, la diversité linguistique est loin d’être acquise par les programmes actuels de la radio télévision
publique.19

Le Sénégal compte environ une centaine de radios privées commerciales et communautaires en 200620. Leur
mise en place est soumise à des règles administratives.

Pour ce qui est de la demande d’une fréquence, le futur acquéreur doit se munir de deux dossiers. L’un
technique et l’autre financier. Le premier est relatif entre autres à la puissance et au mode d’émission. Le
dossier financier concernait le paiement d’une redevance de 5 millions (10.000 dollars) pour les radios
communautaires et 18 millions (36,000 dollars) pour les radios commerciales. Avec la fin du monopole de la
Radio télévision du Sénégal en 1992, cette redevance n’existe plus.

Lorsque la demande est acceptée par le ministère chargé de la communication, elle est ensuite transmise à
l’Agence de régulation des télécommunications (ART) pour autorisation.

Établissement public doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, l’ART est placée sous
l’autorité du Président de la République (Art 2), décret 2003-67 du 1er février 2003. Elle vise à doter le
secteur des télécommunications d’un cadre réglementaire efficace et transparent, susceptible de favoriser une
concurrence loyale au bénéfice des utilisateurs des réseaux et services des télécommunications. L’ART a
aussi pour mission de surveiller la concurrence et de réprimer les pratiques anticoncurrentielles, notamment
les abus de position dominante.

L’autorisation d’émettre est soumise au paiement de redevances dont le montant est fixé par l’ART.
L’autorisation doit être notifiée au bénéficiaire dans un délai ne dépassant pas les deux mois à compter de la
date de demande. Tout refus d’autorisation doit être motivé. Les radios privées sont régies par un cahier des
charges qui fixe les conditions réglementaires pour leur autorisation, leur exercice et leur contrôle.

19
Jacques Habib Sy, La crise de l’audiovisuel au Sénégal, Aid Transparency, 2003
20
Abdou Latif Coulibaly, Une démocratie prise en otage par ses élites, éd. Sentinelles, 2006, p 257.
Depuis quelques années, les radios privées et communautaires ont bouleversé le mode de transmission de
l’information au Sénégal. On note, de plus en plus une forte participation des populations au débat public à
travers les ondes des radios non étatiques surtout dans les langues nationales remettant ainsi en cause le
mode vertical de transmission et le contrôle de l’information par les pouvoirs publics.

En effet, pendant que les radios privées et communautaires se livrent à un exercice qui visent à donner la
parole aux acteurs des différents segments de la vie nationale que ce soit dans des émissions à caractère
politique, économique, social ou culturel, la RTS se concentre beaucoup plus sur les activités
gouvernementales.

Pourtant, en ce qui concerne le service « public » audiovisuel, il existe en droit des garanties d’indépendance.
Ainsi les travailleurs de ce secteur ont «libre accès à toutes les sources d’information non confidentielles et
droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique» (art 26 de la loi du 22 février
1996). Ils peuvent « refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne de son entreprise » (art 27).
Ils ne peuvent « être contraints d’accomplir un acte professionnel ou exprimer une opinion contraire à sa
conviction ou à sa conscience » (art 28). On peut cependant, dans le contexte national sénégalais, discuter
l’indépendance du service « public » audiovisuel.

De manière manifeste, les « média d’État » − plus particulièrement la télévision nationale − sont utilisés à
des fins de propagande politique à peine déguisée. Les émissions, dont les « journaux télévisés » notamment,
se livrent souvent à une forme d’apologie des gouvernants ou de leur action, et « négligent », à l’inverse, les
manifestations et déclarations de l’opposition, de la société civile et des préoccupations quotidiennes des
citoyens. Régulièrement, l’audiovisuel « public » est l’objet de récriminations de la part des partis
d’opposition notamment. Il est quasiment inimaginable d’y voir organiser des émissions mettant en cause la
gestion gouvernementale, même s’il existe parfois des débats contradictoires institutionnalisés par la loi. Le
problème est surtout dans la « culture » de partialité de ces organes d’État, culture assez enracinée.

En novembre 2006, le comité de veille et de résistance citoyenne pour la défense des institutions de la
République, une coalition de plusieurs organisations de la société civile a demandé aux Sénégalais de
boycotter la télévision nationale. Selon le comité, la RTS « n’a jamais été aussi verrouillée et aussi
partisane, se transformant sans scrupule en porte voix du parti au pouvoir, en dépit des assurances fournies
par le Président de la République à l’opposition, lors des récentes consultations des partis politiques ».

L’indépendance éditoriale n’est pas respectée. La Présidence de la République ainsi que certains ministères
ont leurs unités de reportage basées sur place. Des éléments de reportage peuvent ainsi provenir de la
présidence et être diffusés à la télévision sans que la rédaction du journal télévisé ne puisse refuser.

Il s’y ajoute qu’on assiste aujourd’hui à une tendance qui voit de nombreux journalistes de la télévision
devenir conseillers en communication dans les ministères et à la Présidence de la République. Ils continuent
d’occuper leurs diverses fonctions, contrairement à une tradition bien établie qui voulait qu’ils se mettent en
disponibilité lorsqu’ils choisissent d’officier dans les ministères ou autres établissements publics. 21

Les services audiovisuels d’État ne se sont pas transformés en service audiovisuel engageant leurs
responsabilités devant le public par le biais du législateur. Ils visent plutôt à conforter les pouvoirs publics.
Ils sont beaucoup plus au service du gouvernement d’où l’appellation de médias d’État. Ils sont au service de
l’État et des autorités qui l’incarnent.

Les services audiovisuels d’État ont ainsi développé la conception d’une presse au service de son maître.
Comme qui dirait l’État étant l’employeur, on est à son service. Des exemples pouvant étayer cet état de fait
sont légion. Ainsi, mercredi 15 février 2005 l’émission politique « Pluriel » n’a pu se tenir du fait de
l’absence du représentant du Parti démocratique sénégalais (Pds), dont le Secrétaire général est le Chef de
l’État. Ainsi en a décidé le Directeur de la télévision.

21
L’audit de 2005 sur la RTS a montré que des journalistes, qui officient comme conseil en communication à la présidence
continuaient à recevoir leurs salaries de la Rts.
Par ailleurs, les services audiovisuels d’État sont dirigés par un conseil d’administration dont les membres
sont loin d’être protégés des ingérences de nature politique ou économique. En effet dès lors que l’État
détient tous les pouvoirs de nomination, ceux et celles qu’il nomme se mettent à son service.

Les services audiovisuels d’État ne bénéficient pas d’un financement adéquat les protégeant contre toutes
ingérences arbitraires dans leurs budgets. Même si, avec la loi 92-02 du 16/12/91, le statut de la Radio
télévision sénégalaise a été révisé et celle-ci est devenue une Société nationale dotée d’une autonomie de
gestion.

La télévision nationale bénéficie d’un financement indirect sous forme d’une petite taxe perçue sur les
factures d’électricité, sans compter les subventions accordées à la Rts par l’État lors d’évènements
importants, comme en janvier 2006 au Caire, à l’occasion de la dernière coupe d’Afrique des Nations de
Football.

La Rts a récemment bénéficié d’équipements modernes grâce au soutien de la coopération japonaise, mais sa
transformation en service public n’est pas encore à l’ordre du jour. Les directeurs sont nommés et démis au
gré du Chef de l’État.

La télévision nationale sénégalaise reste encore sous le contrôle des pouvoirs publics et n’assure pas un
service public de qualité. Sa couverture de l’information nationale reste très partisane en faveur du pouvoir
en place.

Pourtant, l’actuel Président de la République du Sénégal s’était longtemps battu quand il était dans
l’opposition contre les dérives partisanes de la Rts au profit du Ps, parti au pouvoir avant 2000. Il avait pris
l’engagement dès son accession au pouvoir en 2000 de libéraliser le secteur de l’audiovisuel. Un comité
d’experts avait été mis sur pied pour étudier la question, mais malheureusement, ce travail fut interrompu22.
En janvier 2001, le ministère de la Communication et des Technologies de l’Information avait lancé un appel
d’offres pour l’établissement de chaînes de télévisions privées, mais le processus fut interrompu sans que des
motifs valables soient donnés au public sénégalais et aux personnes intéressées par la télévision.

Le 3 mai 2005, lors la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse, le Chef de l’État avait
déclaré, devant le Directeur Général de l’UNESCO et les professionnels de la communication et journalistes
du monde entier que son gouvernement allait effectivement autoriser l’établissement des chaînes de
télévisions privées terrestres avant la fin de l’année 2005.

Plus d’une année et demie après cette déclaration, le paysage n’a pas beaucoup changé sur ce point. Au
contraire, on note l’apparition en juillet 2006 d’une nouvelle télévision (canal info) qui appartiendrait à des
proches du pouvoir et dont les conditions d’acquisition de fréquences et d’établissement restent encore
inconnues du public et de beaucoup d’operateurs des média. Selon des informations recueillies auprès du
ministère de l’Information, le groupe Excaf Telecom a également reçu une fréquence pour créer une
télévision, ces deux télévisions ont lancé des programmes test depuis la fin du mois de novembre 2006. Le
groupe Wal Fadjri a également lancé une télévision à péage via satellite. À ce jour, il n’y pas eu d’appel
d’offres public pour permettre aux détenteurs de projets de télévision de soumissionner dans la transparence
et l’égalité. En effet, force est de constater qu’il n’existe pas encore une réglementation précise qui pourrait
assurer la libéralisation effective de la télévision dans la transparence.

S’agissant des radios, depuis l’année dernière, des fréquences ont été octroyées pour l’établissement de
radios privées et communautaires. D’aucuns dénoncent la main mise des pouvoirs publics sur ce processus.
Parmi les radios qui ont vu le jour depuis l’année dernière, la plupart appartiendraient à des proches et/ou
membres du parti au pouvoir. À cela s’ajoute l’existence de problèmes techniques, c'est-à-dire une gêne de
proximité entre certaines nouvelles fréquences radios et les plus anciennes, causant des désagréments aux
auditeurs et aux propriétaires des radios touchées. C’est le cas notamment de Sud FM et l’une des nouvelles
radios, Océan FM.23

22
Jacques Habib Sy, La crise de l’audiovisuel au Sénégal, Aid Transparency, 2003
23
Querelles de fréquences, in OSIRIS, revue de presse 3 juin 2006, http://www.osiris.sn/article2375.html
L’Agence de Régulation des Télécommunications, n’a pas encore mis à la disposition du public les règles et
procédures à suivre pour l’octroi de fréquences de télévisions et la liste des nouvelles fréquences radios
attribuées. Il faut cependant rappeler que cette agence ne s’occupe que des aspects techniques, la décision
d’octroi de fréquences revient au ministère de la Communication en consultation avec la Présidence de la
République.

«Pour ce qui concerne l’audiovisuel, l’octroi des fréquences se fait dans l’opacité totale. Les règles du jeu
ne sont pas claires. Certaines personnes prochaines du pouvoir ont reçu l’autorisation de mettre en place
des chaines de télévisions alors que les règles ne sont pas encore établies par les pouvoirs publics et les
autorités de régulation» s’indigne Abdou Latif Coulibaby, Directeur de Sud Fm Radio et de ISSIC.

Section III : Les Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC)

Pour ce qui relève des Technologies de l’Information et de la Communication (Tic), elles vont connaître un
développement fulgurant. C’est ainsi que la stratégie nationale de développement des Tics issue de la
concertation qui s’est tenue en mai 2004 entre opérateurs, Gouvernement, usagers, a conduit à accélérer la
libéralisation du secteur des télécommunications24. Depuis 2000, plusieurs institutions ont été créées pour
accompagner la politique nationale du gouvernement du Sénégal en matière de télécommunications et
surtout dans le domaine des TIC. C’est le cas l’Agence de régulation des télécommunications (ART) et de
l’Agence de l’informatique de l’État (ADIE) entre autres.

Avec la fin du monopole de la Société nationale de télécommunications (Sonatel), l’accès à l’Internet est
devenu plus compétitif. On compte plus d’une dizaine de fournisseurs d’accès depuis décembre 2003. Cette
décision de mettre fin au monopole de la Sonatel favorisera une baisse considérable du prix d’accès à
Internet. Le Sénégal est parmi les rares pays africains à disposer d’une connexion haut débit au Réseau, grâce
à une offre ADSL lancée en mars 2003 par Sonatel. Le Président du Sénégal avait lancé en 2003 lors du
Sommet préparatoire au Somment mondial sur la société de l’information à Genève l’idée d’un fonds de
solidarité numérique qui vise à réduire la fracture numérique entre les pays du nord et ceux en
développement.

Bien que le Sénégal soit assez bien pourvu, notamment dans les capitales régionales, force est de constater
quelques disfonctionnements au niveau du maillage entrepris sur l’ensemble du territoire national. Les zones
de connexion Internet sont quasiment inexistantes dans les zones rurales même si les recommandations
issues de la concertation étaient de les pourvoir grandement.

Il faut également relever l’absence de restrictions sur le contenu, au niveau de l’Internet notamment. Il n’y a
aucune législation, aucune réglementation en ce domaine, aucun contrôle des courriers électroniques
(emails).

Il est d’ailleurs arrivé que des personnes qui se sont senties diffamées par les média aient porté plainte et
saisi les tribunaux.

Le 7 janvier 2004, Christian Costeaux, responsable du site d’informations touristiques


www.senegalaisement.com, a été condamné par contumace, par le tribunal correctionnel de Ziguinchor
(région sud du pays), à un an de prison ferme et à une amende de 600 millions de francs CFA (120.000
dollars). La peine était assortie d’un mandat d’arrêt international. Les plaignants, le maire de Ziguinchor,
principale ville de la région de Casamance et deux hôteliers de la région, reprochaient à Christian Costeaux
des propos diffamatoires visant à ternir leur image. Ce dernier avait publié sur son site un article,
« Ziguinchor, plus de 100 millions (200.000 dollars) détournés au trésor », qui mettait en cause des proches
du maire dans une affaire de corruption.

24
http://www.telecom.gouv.sn/ntic.htm
En 2005 Le fils du Chef de l’État, Karim Wade avait porté plainte contre un site abrité en Afrique du Sud qui
avait dit qu’il était actionnaire d’une société marocaine de télécommunications. Le même Karim Wade a
porté plainte contre le blog de Souleymane Jules Diop abrité par un site basé au Canada.25

Recommendations

• Le gouvernement du Sénégal doit créer un environnement favorable à la liberté d’expression et


particulièrement à l’épanouissement de l’entreprise de presse, en mettant en place un système d’aide
structurelle à la presse et en adoptant des mesures fiscales qui prennent en compte la spécificité des
entreprises de presse ;
• Les autorités publiques doivent arrêter de mettre en place des organes de presse « privée » pour
réduire l’impact et le champ d’action des média non étatiques ;
• La loi sur la CNRA doit être modifiée en consultation avec les journalistes et la société civile et
prévoir des garanties suffisantes d’’indépendance pour les membres ;
• La procédure de nomination des membres du CNRA ne doit pas être contrôlée par les pouvoirs
publics notamment le président de la République ;
• Le CNRA doit rendre compte directement à l’assemblée nationale et non au Président de la
République. Il doit être protégé contre des ingérences de toutes natures, et bénéficier d’une
autonomie budgétaire ;
• L’ART doit être transformée en une autorité indépendante, habilitée à prendre des décisions sur
l’allocation et la gestion des fréquences radio et télévision en consultation avec le CNRA ;
• Le gouvernement du Sénégal doit établir en consultation avec les acteurs du secteur audiovisuel un
processus démocratique et transparent qui assure la libéralisation complète de l’audiovisuel en
prenant en compte les trois secteurs (public, privé, communautaire/associatif), la diversité et le
pluralisme de l’information ;
• La Rts doit être transformée en un véritable service public audiovisuel, accessible à tous et qui
bénéficie d’une indépendance éditorial, d’un conseil d’administration indépendant pour répondre aux
besoins d’information plurielle des différentes couches de la société sénégalaise;
• Le Rts doit arrêter toutes les émissions de propagande partisane au profit du parti au pouvoir et
respecter sa mission de service public notamment pendant la période qui précèdent les élections
présidentielles et législatives de février 2007;
• Un fonds d’aide spécial pour la diversité doit être mis en place par le gouvernement du Sénégal pour
faciliter la création et la production de contenu local et africain;
• Les autorités publiques doivent davantage fournir des efforts pour assurer un meilleur accès des
zones rurales aux TIC à des prix accessibles.

25
Pour plus d’information lire MediaTic édition 2006 au http://www.panos-ao.org/mediatic/article.php3?id_article=196
CHAPITRE III : DE QUELQUES DÉFIS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

Section I : L’accès à l’information

Le droit d’accéder à l’information détenue par des organes publics est prévu par la loi, pour « toutes les
sources d’information non confidentielles » (art 26 de la loi du 22 février 1996). Les limites à l’exercice d’un
tel droit sont : la préservation de la défense nationale, de la paix publique, du droit des autorités et des
personnes privées, ainsi que de la propriété intellectuelle et des œuvres de l’esprit.

Le même régime s’applique à l’information détenue par des organes privés. Il n’y a pas, à proprement parler,
d’obligation, pour les organes publics, de publier des informations. Le refus de divulgation peut concerner
une information « générale » comme une information « personnelle ».

L’accès à l’information publique s’analyse comme un droit de savoir et il doit permettre de porter à la
connaissance des particuliers des informations qui appartiennent aux citoyens dans un souci de transparence.
La reconnaissance effective du droit à l’information publique nécessite le passage de l’administration de
secret à une administration plus transparente. Ce qui suppose l’adoption de textes qui soient plus en
harmonie avec les règles de gestion transparente des affaires publiques.

C’est dans ce cadre qu’un arrêté du Premier Ministre du 15 février 2000 a créé une Commission nationale
sur l’accès à l’information administrative et sur la protection des renseignements personnels. À l’issue de ses
travaux, la Commission a proposé la mise en place d’un organe chargé de contrôler l’accès à l’information
administrative.

Une loi adoptée par l’Assemblée nationale le 15 juin 2006, relative aux archives et aux documents
administratifs prévoit en son article 25 la création d’une commission nationale sur l’accès à l’information
administrative et sur la protection des renseignements personnels. C’est un décret qui doit en principe
organiser une telle structure. Il est attendu de cette structure qu’elle puisse notamment donner une définition
claire de la notion de document administratif pouvant faire l’objet d’une communication et qu’elle se
prononce à l’égard des recours introduits devant le refus de communication de certains documents.

La création d’un tel organe externe de contrôle se justifie pour garantir le droit d’accès à l’information
publique. L’indépendance d’une telle institution doit être garantie tant sur le plan formel qu’à travers le
processus de nomination de ses membres qui doit intégrer les organismes sociaux représentatifs de la société
civile au stade de proposition des candidatures.
Malheureusement, le projet de décret fixant l’organisation et le fonctionnement de la Commission nationale
sur l’accès à l’information administrative considère cet organe comme un simple démembrement de
l’administration. La Commission doit être composée de 9 membres, tous désignés par arrêté du Premier
Ministre. Pour mieux assurer l’indépendance des membres de la Commission, les parlementaires, les élus
locaux et la société civile auraient pu être associés au processus de désignation.

À la lecture de cette loi et d’autres dispositions, il apparaît que l’accès à l’information publique n’est pas
encore un droit totalement garanti au Sénégal contrairement aux recommandations des instances
internationales et régionales. En effet, les textes qui organisent cette liberté publique sont encore très en
retard par rapport aux évolutions notées dans les démocraties y compris en Afrique26. Toutefois, des signes
de progrès existent avec l’adoption de cette loi et notamment la mise en place prochaine de l’organe chargé
de garantir l’accès à l’information administrative.

Selon le prince V de la Déclaration précitée :

1. Les organes publics gardent l’information non pas pour eux, mais en tant que gardiens du bien
public et toute personne a le droit d’accéder à cette information, sous réserve de règles définies et
établies par la loi.
2. Le droit à l’information doit être garanti par la loi, conformément aux principes suivants :
• toute personne a le droit d’accéder à l’information détenue par les organes publics ;
• toute personne a le droit d’accéder à l’information détenue par les organes privés et
qui est nécessaire à l’exercice ou à la protection de tout droit ;
• tout refus de communiquer une information doit être sujet à un recours auprès d’un
organe indépendant et/ou des tribunaux ;
• les organes publics doivent, même en l’absence d’une requête, publier les principales
informations d’un grand intérêt général ;
• nul ne doit faire l’objet de sanction pour avoir livré en bonne foi des informations sur
des comportements illégaux ou qui divulguent des menaces sérieuses pour la santé, la
sécurité ou l’environnement, sauf lorsque l’imposition de sanctions sert un intérêt
légitime et est nécessaire dans une société démocratique ; et
• les lois sur la confidentialité doivent être amendées lorsque nécessaire, en vue de se
conformer aux principes de la liberté d’information.

3. Tout individu a le droit d’accéder aux informations et de les mettre à jour ou alors de corriger des
informations personnelles, qu’elles soient détenues par des organes publics ou privés.

Selon Abdoulaye Ndiaga Silla, «il est difficile dans la pratique d’avoir accès à certaines informations
auprès des autorités, ce qui rend difficile le recoupement ».

Section II : Attaques, harcèlements et intimidations de journalistes, d’opposants politiques et de


défenseurs des droits humains

En juillet 2003, Abdou Latif Coulibaly a reçu des menaces de mort à la suite de la parution de son ouvrage
intitulé Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? Le journaliste continue toujours de subir des
pressions et menaces contre sa personne.

Le 5 octobre 2003, Talla Sylla, Président du parti sénégalais d’opposition l’Alliance Jëf Jël et ancien Vice-
président de l’Assemblée nationale du Sénégal, a été agressé à coups de marteau par des individus non
identifiés. Il avait déclaré quelques semaines avant cette agression que le Président du Sénégal M. Abdoulaye
Wade devait être traduit devant la Haute Cour de Justice, après les révélations du journaliste Abdou Latif
Coulibaly, dans un livre paru en juillet 2003, qui avait critiqué la gestion financière et politique du pays par
le Président Wade. M. Sylla avait, par ailleurs, diffusé une cassette musicale, dans laquelle il critiquait le
Président Wade de façon très virulente.

26
En Afrique : l’Afrique du Sud, le Ghana le Nigeria et l’Ouganda sont parmi les pays qui ont prévu une loi sur l’accès à
l’information.
En octobre 2006, Cheikh Yérim Seck, journaliste d’investigation à l’hebdomadaire français Jeune Afrique a
fait l’objet d’intimidations et d’harcèlements. Il a été informé par des sources policières d’un éventuel
attendant contre sa personne.

En novembre 2006, Pape Alé Niang, Dié Maty Fall, journalistes du groupe sud Communication et Alioune
Tine, Secrétaire Général de la RADDHO ont reçu des menaces de mort. Plusieurs autres journalistes ont été
convoqués par la DIC pendant ces dernières années : ces le cas récemment de Assane Guèye du Groupe
Futurs média et de Léopold Tamba du Groupe Wal Fadjri.

Section III. Conditions matérielles des journalistes

Les journalistes sénégalais évoluent dans des conditions de travail très difficiles. Du fait de la faiblesse des
effectifs, du déficit de formation dans beaucoup de rédaction et du manque de moyens logistiques. Rares
étant les rédactions qui disposent de moyens de transport, il leur arrive parfois de rater des reportages par
défaut de moyens de transport. Si certains groupes de presse ont fait des efforts pour équiper leurs
journalistes en micro ordinateurs, il est toutefois à déplorer un certain déficit d’équipements dans beaucoup
de rédactions.

Malgré l’existence d’une Convention collective des journalistes négociée en 1989 − et aujourd’hui obsolète
sur certains aspects −, force est de constater, qu’elle est loin d’être appliquée par toutes les entreprises de
presse. Beaucoup d’organes de presse ne payent pas à leurs journalistes le salaire minimum prévu par la
convention collective. Par ailleurs, les salaires prévus par celle-ci ne correspondent pas au coût de la vie
actuelle. Les salaires proposés varient de 86.875 Fcfa (170 dollars) à 301.562F CFA (600 dollars) suivant
une catégorisation en 6 classes correspondant chacune à un groupe de qualification déterminée. Difficile
avec de tels émoluments de se loger, et de se nourrir convenablement. Le risque est de voir certains
journalistes être sensibles aux sirènes de la corruption.

Le combat quotidien pour la liberté de la presse, doit impérativement prendre en compte les questions liées
aux conditions de vie et de travail des journalistes. Sans une couverture sociale et une rémunération décente,
beaucoup de journalistes sénégalais risquent de tomber dans les travers du «journalisme alimentaire».

Les conditions matérielles constituent un des obstacles au respect de la déontologie. «Il existe des cas avérés
de corruption et de manipulation politique de journalistes par les pouvoirs publics et les pouvoirs d’argent.
Face à ces dérives, l’autorégulation a montré ses limites, il faut un système crédible et efficace pour corriger
et sanctionner les manquements professionnels ». Estime Diatou Cissé, Secrétaire Générale du SYNCIS.

La Charte de Munich, sur les devoirs et droits des journalistes dispose : « En considération de sa fonction et
de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais
aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’à une rémunération
correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique».

Section IV : L’influence des groupes religieux

Les groupes religieux investissent surtout les média pour la couverture de leurs manifestations et ne se
mêlent généralement pas de la ligne éditoriale des différents groupes de presse. Il arrive toutefois que leur
influence − surtout des familles maraboutiques − oriente, voire limite la couverture médiatique dont ils font
l’objet. Par ailleurs, des fidèles de chefs religieux ou des personnes qui s’en réclament viennent parfois à
menacer tel responsable de presse ou tel journaliste pour avoir publié une information ou un commentaire
défavorable à leur guide religieux.

En octobre 2005, le khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké, avait ordonné la cessation des
émissions de trois stations radios Fm installées dans la ville sainte de Touba. Il s'agissait de la Rts Touba
Mbacké Fm, de Disso Fm Touba et de Radio Touba Hizbut Tarqiyha. Le motif invoqué par le khalife général
est de «préserver la ville sainte de pratiques occultes contraires à l'Islam et à la Suna».
Le 4 mai 2006, Pape Cheikh Fall, correspondant de la station privée Radio Futurs Médias (RFM) à Mbacké,
dans les environs de la ville sainte de Touba, a été attaqué par des hommes armés de barres et de câble de fer.
Cette agression est intervenue à la suite d’une interview réalisée et diffusée le 27 avril avec un disciple du
marabout Cheikh Béthio Thioune qui démentait les propos de son maître quant à l’ampleur du soutien dont
il bénéficie. Des témoins ont reconnu l’un de ses agresseurs comme faisant partie des disciples du Marabout
Cheikh Béthio Thioune.

En effet, le Marabout avait annoncé sa capacité de mobiliser « quatre millions de disciples » pour soutenir la
candidature du président Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de février 2007.

À cela s’ajoute une certaine politisation des événements religieux par les pouvoirs publics contrairement au
principe constitutionnel de laïcité.27

Section V : La protection des sources

La loi du 22 février 1996 (art 35) rappelle que le journaliste ou le technicien de la communication sociale est
tenu par le secret professionnel tel que prévu par les dispositions du Code pénal. Il ne doit pas divulguer les
sources des informations obtenues confidentiellement.

Il ne peut révéler sa source à son supérieur hiérarchique que si celui-ci est également lié par le secret
professionnel. Il peut être délié du secret sur l’aveu de la source de l’information s’il a pu être clairement
prouvé que cette source l’avait induit en erreur. Le Code pénal rappelle également le principe du secret, pour
les « médecins, chirurgiens, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou
par profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie… ».

Ces personnes peuvent cependant être déliées du secret par le juge, pour les nécessités des investigations
qu’il mène. Elles peuvent l’être aussi par les officiers de police judiciaire et agents de la Direction générale
des impôts et domaines agissant dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées sur instructions écrites
du procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite.

On doit cependant noter une grande sévérité des tribunaux lorsqu’ils sont confrontés à des affaires mettant en
cause la confidentialité des sources. En effet, à côté de l’affirmation du principe du secret, il existe des
incriminations pénales dont la conception extensive peut conduire à l’anéantissement de la confidentialité
des sources. Il en est ainsi pour la publication de certains documents, précisément classés « confidentiels ».
Dans de tels cas, souvent, le secret qui concerne le document en question l’emporte sur le secret de la source
elle-même, qui est censée protéger le journaliste. En juillet 2004, Madiambal Diagne, directeur de rédaction
du journal Le Quotidien, a été interpellé et inculpé pour «diffusion de correspondances et de rapports
secrets».

En principe, la loi protège donc le secret des sources, mais la protection reste insuffisante par rapport aux
principes internationaux. En pratique, il faut aussi apprécier, cas par cas, la conformité des décisions
éventuellement rendues avec les principes posés, aussi bien par la loi nationale que par d’autres instruments
juridiques, comme par exemple la Déclaration de principes adoptée par la Commission africaine des droits
humains en matière de liberté d’expression.

Le principe XV de la Déclaration dispose que : « les journalistes ne doivent pas être obligés de révéler leur
source d’information ou d’autres documents détenus dans le cadre de l’exercice de la fonction de
journaliste, sauf si c’est en conformité avec les principes suivants :
 l’identité de la source est nécessaire dans une enquête ou des poursuites relatives à un crime grave, ou
pour assurer la défense d’une personne accusée d’une infraction pénale ;
 l’information ou une information similaire menant au même résultat ne peut pas être obtenue ailleurs ;
 l’intérêt public dans la divulgation prime sur la menace à la liberté d’expression, et ;
 la divulgation a été ordonnée par un tribunal, après une audition complète ».

27
La plupart des événements religieux sont utilisés par les leaders politiques pour se positionner et faire des compagnes de soutien
politique déguisées.
Section VI : le respect de l’éthique et de la déontologie : un défi de l’autorégulation

La création du CRED répondait à la nécessité de responsabiliser davantage les journalistes et de veiller au


plus grand respect des règles déontologiques. Cet organe mis en place par les professionnels de la
communication n’a malheureusement qu’un pouvoir symbolique de dissuasion. Le CRED ne dispose pas de
pouvoir de sanction, beaucoup de journalistes ne reconnaissent pas toujours leurs erreurs, même devant les
pairs. Face à ces difficultés, l’idée d’inclure l’instance d’autorégulation dans la loi pour lui donner une force
juridique a été émise.

Le CRED doit faire face à de nombreux défis liés au professionnalisme dans les média surtout dans un
contexte d’explosion médiatique. La multiplication des violations à l’éthique, la dévalorisation de la
profession, le dumping salarial, le manque de formation de base et professionnel sont autant de facteurs
négatifs pour la liberté d’expression.

L’autre défi majeur du CRED c’est de faire face aux menaces quotidiennes qui pèsent sur la liberté
d’expression au Sénégal et aussi la création d’organes de presse « dits privés » mis en place par les pouvoirs
publics pour amoindrir l’impact des média privés.

«Aujourd’hui, le militantisme a disparu dans la presse au Sénégal, on voit beaucoup de cas de corruption
dans le milieu des journalistes. L’éthique et la déontologie sont bafouées au quotidien. Cette situation
favorise l’existence de journalistes alimentaires et rend vulnérable les journalistes professionnels. C’est
pourquoi, il est important de relancer le débat sur qui est journaliste professionnel pour revaloriser la
profession de journaliste au Sénégal», Souligne Jean Meissa Diop, Rédacteur en chef du journal Walf
Grand Place.

Par ailleurs, le CRED doit être adéquatement financé par la profession, et fonctionner effectivement avec des
règles de démocratie interne. Ceci est un gage pour bénéficier de la reconnaissance du public et des pouvoirs
publics.

Section VII : Formation et encadrement professionnels

Le CESTI est l’une des écoles les plus anciennes et réputées de la sous région Afrique de l’ouest. Elle a
formé un certain nombre de journalistes des pays francophones de l’Afrique de l’ouest et ailleurs. Dans les
années 1990, l’ISSIC, une initiative privée du Groupe Sud Communication, fut créé pour combler un besoin
de formation croissant qui ne pouvait pas être résorbé par le CESTI. Ces deux écoles de formation malgré les
efforts considérables qu’elles fournissent n’ont pas de moyens financiers et les ressources humaines
nécessaires pour faire face à la demande croissante de formation. On note aussi beaucoup d’entraves
pédagogiques liées au manque d’équipement : studios, labos, magnétos, cameras.

S’y ajoute que le système d’enseignement mérite d’être évalué pour s’assurer de sa pertinence et de son
adéquation avec les besoins modernes de communication. Face à ce constat, en 2000, les professionnels de la
communication avaient proposé que 10 % de l’aide à la presse soit affecté à la formation. Mais à ce jour, les
subventions sont très faibles et les rédactions recrutent des jeunes non formés en journalisme.

Au-delà de l’enseignement dans les écoles, la formation journalistique doit se prolonger dans les rédactions
où l’apprentissage et la validation par les pairs consolident les acquis. Le mentoring n’existe plus dans
beaucoup de rédactions, les jeunes journalistes sans expérience sont souvent laissés à leur sort, et ne
bénéficient quasiment pas de conseiller et ne maîtrisent pas les règles professionnelles notamment celles
relatives à l’éthique et à la déontologie. Ce phénomène s’est aggravé avec la dévalorisation du métier de
journaliste consécutive à la prolifération des organes de presse partisane. Face à la précarité de leurs
conditions matérielles de travail au Sénégal, beaucoup de journalistes d’expérience et talentueux ont déserté
les rédactions au profit d’emplois plus lucratifs.
«Par rapport à beaucoup de pays africains, le Sénégal est en avance. Le régime de presse est très libre.
Mais ça a son revers. La presse est devenue le réceptacle, un fourre-tout auquel s’adonnent ceux qui ne
savent plus quoi faire» déplore N’diaga Silla.

Recommendations
• Le gouvernement du Sénégal doit adopter une loi sur l’accès à l’information en conformité avec les
standards internationaux en la matière en consultation avec tous les acteurs sociaux ;
• Les professionnels de la communication notamment les journalistes doivent renforcer le respect des
règles éthiques et de déontologies et prendre en compte l’intérêt public dans la collecte et le
traitement de l’information ;
• Les organisations professionnelles de journalistes doivent initier une révision de la convention
collective des journalistes en vue de protéger les journalistes contre la précarité, la corruption, la
pratique du journalisme alimentaire, et les pressions de toute natures ;
• Les organisations professionnelles de journalistes et les organes de presse doivent contribuer au
financement de l’organe d’autorégulation, renforcer ses capacités et respecter ses verdicts et
recommandations ;
• Les organes de presse doivent s’assurer que l’aide étatique à la presse est utilisée conformément à
la loi ;
• Les institutions de formation publiques et privées doivent bénéficier de ressources humaines et
financières adéquates pour répondre aux besoins grandissants de formation et de modernisation des
curricula des écoles de journalisme.
CONCLUSION GENERALE

La liberté d’expression et de la presse sont fondamentales dans toute démocratie. En effet, sans une presse
libre de s’exprimer sans autorisation et sans censure autre que celles qui engagent la responsabilité et
l’éthique du journaliste, il sera vain d’espérer asseoir une politique de bonne gouvernance, sous le contrôle
de citoyens avisés et informés.

Au Sénégal, la liberté d’expression est garantie par la Constitution qui dispose en son article 8 que : « Tout
citoyen a le droit de diffuser ou d’exposer ses opinions par la parole, la plume et l’image, ainsi que le droit
de s’instruire sans entrave aux sources accessibles à tous ». Ainsi la création de journaux et de radios obéit à
des règles peu contraignantes. Il se trouve toutefois que les rapports entre les pouvoirs publics, les partis
d’opposition, la société civile et la presse privée sont parfois teintés de crispations du fait des velléités
contradictoires de contrôle et de liberté qui animent les différentes parties. Par ailleurs, l’accès à
l’information plurielle des citoyens est souvent limité par des mesures législatives et administratives qui
favorisent l’opacité de la gestion des affaires publiques. De plus en plus, les libertés d’expression et de
marche pacifique, considérées jusqu’ici comme des acquis de la démocratie sénégalaise sont menacées par
des actes d’autorités ou par des décisions de justice illégitimes et contestables.

Aujourd’hui, les restrictions administratives et judiciaires au droit à la liberté d’expression sont au cœur du
débat politique au Sénégal, notamment à la veille des élections de février. Également, la circulation de
certains ouvrages critiques envers le pouvoir en place est également restreinte.28 Ils s’y ajoutent aussi des cas
de violence, d’harcèlements et d’intimidation contre les journalistes, les défenseurs des droits humains et les
leaders politiques.29

« Le fait que des ouvrages puissent être interdits au Sénégal est scandaleux et montre qu’il existe des
menaces sérieuses pour la liberté d’expression. Le président de la République a reçu le prix Houphouët-
Boigny pour la Paix de l’UNESCO, mais paradoxalement, des journalistes sont menacés au quotidien et des
ouvrages qui le mettent en cause ou critiquent son régime (dont le mien) sont bloqués à l’étranger. Les
libraires sénégalais ont reçu des ordres indirects de ne pas les importer au Sénégal », déplore Abdou Latif
Coulibaby.

«La situation politique actuelle rend plus difficile le travail des journalistes. Il s’y ajoute le manque
d’indépendance de la justice. Beaucoup de magistrats sont aux ordres», poursuit Coulibaby.

Les professionnels de la communication ainsi que les associations de journalistes et de défense de la liberté
d’expression ont protesté contre certaines restrictions jugées illégitimes et ont tenu des concertations
internes, et avec les pouvoirs publics dans le but d’améliorer l’environnement et les législations notamment
en matière de délit de presse et d’accès équitable des partis politiques et des citoyens au service public de
l’audiovisuel.

Le gouvernement du Sénégal a promis de réviser les lois qui régissent la liberté d’expression pour les rendre
plus adaptées aux exigences des populations. Cela suppose, d’une part l’abrogation des restrictions contraires
aux standards internationaux et la mise en place d’un environnement économique favorable à
l’épanouissement d’une presse viable et crédible, et d’autre part la libéralisation totale du secteur de
l’audiovisuel et la mise en place d’un véritable service public audiovisuel et des organes de régulation
indépendants. Aussi l’État gagnerait à adopter une loi sur l’accès à l’information qui répond aux standards
internationaux, à saisir la spécificité de l’entreprise de presse, en allégeant ses charges de fonctionnement et

28
Il s’agit de l’Ouvrage du Journaliste Abdoulatif Coulibaly intitulé Affaire maître Sèye : Un meurtre sur commande, éd.
l’Harmattan, Paris 2005, de Mody Niang : Qui est cet homme qui nous gouverne.
29
Voir section 2 chapitre 3
en soutenant la mise en place de media communautaires et de proximité. La subvention de l’État ne saurait à
elle seule suffire; aussi, faudrait-il s’orienter vers des mesures de défiscalisation, de tarifs préférentiels pour
le papier, les équipements et autres intrants, le téléphone, l’électricité, les voyages, etc. C’est là un des vœux
exprimés par les éditeurs.

Les rapports entre média privés et pouvoirs publics sont tendus. « Le gouvernement de l’alternance n’a pas
compris le rôle de la presse. La répartition de l’aide à la presse, les convocations répétées des journalistes à
la DIC, les restrictions à l’accès aux documents officiels et au Palais de la République en sont quelques
preuves de cette incompréhension ». Conclut Jean Meissa Diop
Bibliographie

Ouvrages/ Rapports

Abdou Latif Coulibaly, Wade un opposant au pouvoir: l’alternance piégée éd. Sentinelles, juil. 2003
Abdoulatif Coulibaly, Une démocratie prise en otage par ses élites, éd. Sentinelles, 2006
Jacques Habib Sy, La crise de l’audiovisuel au Sénégal, Aid Transparency
Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest (IPAO), Médiaet Elections au Sénégal, Nouvelles Editions Africaines
du Sénégal 2001
Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest (IPAO), le naufrage du Joola, médiaet société civile face au drame,
IPAO, septembre 2004
Marcel Mendy, La violence politique au Sénégal de 1960 à 2003, éd. Tabala/Bookémissaire, janv. 2006
Michel Ben Arrous, Medias et conflits en Afrique, éd. Karthala, 2001
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CPJ, Sénégal, une liberté surveillée, juin 2005,
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http://www.article19.org/pdfs/standards/accessairwaves.pdf
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http://www.article19.org/pdfs/standards/definingdefamation.pdf
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http://www.article19.org/pdfs/standards/modelfoilaw.pdf
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http://www.article19.org/pdfs/standards/modelpsblaw.pdf

Législations, Déclarations

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Déclaration de Principes sur la liberté d’expression en Afrique, octobre 2002, www.ACHPR.org
Loi n° 96- 04 du 22 février 1996 relative aux organes de la communication sociale et aux professions de
journaliste et de technicien, http://www.panos-ao.org/rubrique.php3?id_rubrique=42
Loi n° 33/ 2005 du 21 décembre 2005 portant création du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel
(CNRA) et se substituant à la loi n° 98-09 du 2 mars 1998 créant le Haut Conseil de l’Audiovisuel (organe
de régulation des médias)
Arrêté ministériel portant Cahier des Charges des entreprises titulaires du droit de diffuser des émissions
radios au Sénégal, http://www.panos-ao.org/rubrique.php3?id_rubrique=42

Statuts de la Rts (Loi N° 12-02 Du 6 Janvier 1992) et la Loi N° 92-57 Du 3 Septembre 1992 relative au
pluralisme à La Radio Télévision, Http://Www.Panos-Ao.Org/Rubrique.Php3?Id_Rubrique=42

Loi n°2001-15 du 27 décembre 2001portant code des télécommunications, un organe indépendant de


régulation, l'Agence de Régulation des Télécommunications (ART), http://www.artp-senegal.org/
‘Tout individu a droit à la liberté
d’opinion et d’expression ; ce qui
implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de
rechercher, de recevoir et de
répandre, sans considérations de
frontières, les informations et les
idées par quelque moyen d’expression
que ce soit.’
Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

La liberté d’expression : un défi pour la


démocratie sénégalaise
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