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15 MAR 2016 Mise à jour 24.12.

2021 à 12:49 par Laura Mousset

Au Sénégal, le projet de révision de la Constitution fait débat depuis plusieurs


semaines. Sur les 15 points qu’il présente, la réduction du mandat présidentiel de 7 à
5 ans fait particulièrement polémique. Macky Sall, en effet, a récemment renoncé à
réduire son mandat actuel, sur avis du Conseil constitutionnel. Trahison pour les uns,
avancée démocratique pour les autres, le projet a été soumis à référendum ce
dimanche. Au lendemain du scrutin, le "oui" est donné vainqueur.

Oui ou non ? Malgré une faible participation, les Sénégalais se sont prononcé ce
dimanche 20 mars sur le projet de révision de la Constitution proposé par le
président Macky Sall. Selon les résultats partiels publiés ce lundi par les médias, le
"oui" l'a emporté au référendum constitutionnel, visant notamment une réduction du
mandat présidentiel. 

Le scrutin porte sur un projet constitué de 15 points censés « moderniser » et


« consolider » la démocratie sénégalaise, selon le pouvoir. Parmi les points
importants, on retient notamment la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens
(droit à un environnement sain, sur leurs ressources naturelles et leur patrimoine
foncier), le blocage du nombre de mandats présidentiels à deux, le renforcement du
pouvoir de contrôle de l'Assemblée nationale sur les politiques publiques, la
représentation des Sénégalais de l’Extérieur par des députés à eux dédiés… sans
oublier la fameuse réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans! 

Rétropédalage et trahison 
C’est d’ailleurs ce point là précisément qui agite le pays depuis
plusieurs semaines. En effet, le 16 février dernier, Macky Sall a
annoncé qu’après concertation avec le conseil constitutionnel, il
ne réduirait finalement pas son mandat actuel de 7 à 5 ans. Et
que, par conséquent, il gouvernerait le pays jusqu’en 2019.
Pourtant, il en avait fait une promesse de campagne en 2012,
qu’il a réitérée plusieurs fois depuis son élection.

« Macky Sall a fait comme les politiciens souvent : on promet quelque chose avant les
élections mais une fois qu’on est au pouvoir on reconsidère sa promesse », explique
Seidik Abba, journaliste, écrivain et rédacteur en chef de Mondafrique. « Il a mis
trois ou quatre années pour arriver à ce rétropédalage donc on avait déjà des doutes, y
compris dans son propre parti », poursuit le journaliste avant d’ajouter : « le pouvoir
change les gens, il y a pris goût et je pense que son entourage aussi l’a
influencé » dans sa décision. 

Après cette annonce choc, des membres de la société civile ainsi que des partis
d’opposition et des mouvements citoyens comme Y’en a marre ont donc décidé de
former le "front du non", le 24 février dernier. Ils accusent notamment le président de
précipiter le référendum sans laisser le temps suffisant à la société civile et à
l'opposition de débattre, de discuter et d'échanger avec le pouvoir, et de vouloir
promouvoir l'homosexualité via des formulations "floues" dans le texte.

Mais ce qu'ils lui reprochent par dessus tout, c'est de les avoir trahis en ne respectant
pas sa promesse de réduction du mandat actuel. Ils ont d'ailleurs surnommé cela le
"wax-waxeet", une expression née au temps d’Abdoulaye Wade et qui signifie "Je l'ai
dit, je me dédis". Une chanson a même été écrite pour dénoncer cette "trahison".

« Beaucoup de Sénégalais l’ont élu parce qu’il avait promis de


réduire son propre mandat », assure Chimère, étudiant en
gestion à Dakar.

Le 25 février dernier, devant son QG, Idrissa Seck le leader du


parti d’opposition Rwemi avait également déclaré  : « Face au
reniement, au déshonneur qu’il s’est imprimé en revenant sur sa
parole et en ne respectant pas son engagement, le président
Macky Sall met chaque citoyen face à une responsabilité
historique. Voter non à son référendum est le choix du parti
Rwemi ». 

Pour les partisans du "non", Macky Sall aurait dû aller jusqu’au bout de son
engagement et ne pas écouter l’avis du Conseil constitutionnel. « Il ne s’agit pas d’une
décision qui pourrait s’appliquer de manière formelle (…) Il s’agissait d’un avis
consultatif », a souligné lors du débat africain sur RFI, Babacar Gaye, porte-parole du
Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Certains pensent même qu’il aurait pu démissionner et organiser un autre scrutin


présidentiel. « Tout le monde sait qu’il avait d’autres moyens juridiques de faire
respecter sa parole », note pour sa part Fadel Barro, fondateur et coordinateur
du mouvement citoyen Y’en a marre.
Les soutiens du président ne sont évidemment pas de cet avis : « Macky Sall a été le
premier président dans l’Histoire à proposer la réduction de son mandat en
cours », souligne Abdou Karim Fofana, directeur général de l’agence du patrimoine
bâti et représentant de l’Alliance Pour la République (APR), le parti au pouvoir, dans le
quartier de Fann-Point E-Amitié à Dakar. «Le conseil constitutionnel lui a dit que ce
n’était pas possible. Donc entre sa promesse et son serment, il a choisi de respecter
son serment. S’il avait voulu la facilité, il aurait passé cette réforme par l’Assemblée
nationale ».  Pour Abdoulaye Wilane, porte-parole et secrétaire national à la
communication du Parti socialiste sénégalais (PS), interrogé par RFI, « le président,
en républicain démocrate, en homme d’état soucieux de l’état de droits et de la
séparation des pouvoirs a dit qu’il se conformait à l’avis du conseil constitutionnel ».

Un troisième mandat en 2024 ? 


En écoutant l’avis du conseil et en renonçant à sa promesse de réduire son mandat
actuel, Macky Sall a non seulement déçu une grande partie des citoyens sénégalais
mais il a abîmé leur confiance. Beaucoup le soupçonnent désormais de vouloir
briguer un troisième mandat en 2024. « Ils pensent qu’il va nous faire le coup de Wade
en 2001 », assure Chimère. 

En effet, après son élection en 2000, Abdoulaye Wade, l’ex-président sénégalais avait
modifié la Constitution en réduisant le septennat à un quinquennat, renouvelable une
fois. En 2007, il est réélu et décide de réviser un nouvelle fois la Constitution pour
rétablir le septennat. Lors de l’élection présidentielle de 2012, alors que la majorité
des Sénégalais pensent qu’il n’a pas le droit de briguer un troisième mandat,
Abdoulaye Wade décide de se présenter à l’élection. A la surprise générale, sa
candidature est validée par le Conseil constitutionnel qui considère que la
Constitution de 2001 ne s’applique pas à son premier mandat, commencé en 2000.
Cette décision provoque de graves heurts et la formation du Mouvement M23 juin,
résistance active à la candidature de Wade. 

Si le conseil constitutionnel « permettait au président Macky Sall de se représenter en


2024, pour un troisième mandat, au motif que la révision de 2016 ne prend pas en
compte le mandat obtenu en 2012, je ne serai pas surpris. Il faut s’attendre à tout », a
confié Ababacar Guèye, spécialiste en droit constitutionnel dans un entretien au
journal sénégalais Le Populaire. 

Du côté de la présidence sénégalaise, on se défend. Sur son site Internet, elle


propose même une page spéciale "Le vrai-faux du référendum" pour décrypter les
informations. Concernant l’éventualité d’un troisième mandat, voici la réponse de la
présidence : « le projet de réforme constitutionnelle ne contient aucun piège et ne
permettra pas au Président Macky Sall de faire un éventuel troisième mandat à partir
de 2024, peut-on lire sur le site de la présidence. Le mandat actuel du Président
Macky Sall sera décompté dans le nombre de mandats successifs fixé à deux».

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