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Section 4.

La médiation, une nécessité pour (re)construire le lien social


Pour compléter ce dispositif conceptuel, nous consacrons cette section à la notion de médiation pour
en expliquer le processus et en souligner le rôle qu’elle joue dans les situations interculturelles en
vue de créer la proximité, résoudre les conflits ou tout simplement réduire la distance en encadrant
les différences et les malentendus éventuels.

4.1. La médiation, vers une définition ?


Selon Larousse, « Médiation » vient du bas latin « médiare » signifiant le fait de « s’interposer ». La
médiation est donc « une intervention destinée à amener un accord ». Ou encore « une procédure
de règlement des conflits collectifs du travail dans laquelle intervient un médiateur » ou encore « un
mode de solution pacifique d’un conflit international, consistant à recourir à des médiateurs.

La médiation serait donc un processus recherché intentionnellement et confidentiel dont le but est
d’aplanir les conflits et les incompréhensions. A ce propos, ce processus suggère aux individus en
conflit l’intervention d’une tierce personne ayant la compétence nécessaire en médiation.

Cette personne se présente en fait comme source d’aide à trouver la résolution adéquate au litige.
Celle-ci, émanant d’un médiateur impartial et indépendant, doit être négociée au risque de nuire aux
intérêts de l’une des deux parties et conforme aux besoins de l’une et de l’autre personnes.

Entendue en tant que pratique sociale d’intervention, La notion de « médiation » se présente comme
une démarche dont le souci est de consolider, restaurer les liens sociaux, de renforcer le vivre
ensemble et d’assurer ou des fois réparer la cohabitation et l’acceptation mutuelle de différences
culturelles.

Or cela semble ne pas suffire pour rendre compte de la charge sémantique de ce concept qui en plus
présuppose en premier lieu le désir de comprendre l’autre, la capacité de traduire et d’interpréter, la
sensibilité interculturelle, la compétence à communiquer.

Par ailleurs, cette palette d’exigences est à compléter par la faculté du médiateur à user sciemment
de stratégies de négociation sans quoi, le règlement des litiges, quelle que soit sa nature, ne peut
être réalisable.

Cette médiation passe divers canaux en l’occurrence le langage. A cet égard, J-R. Ladmiral (2006 :57)
affirme que : « Passer un message d’une langue à une autre nécessite une médiation, il ne s’agit pas
seulement d’une simple traduction linguistique des mots, mais d’un passage d’une langue-culture à
une autre ».
Le processus de médiation ne se réduit donc pas à une simple transformations « technique » qui
consiste à aller d’un système linguistique à un autre tout court ; mais il s’agit essentiellement selon
ce chercheur de réussir à traduire les dimensions culturelles et symboliques qui constituent cette
langue, entre autres, les certitudes, les valeurs, les représentations, les manières de sentir et de
penser, voire les croyances spécifiques aux langues-cultures.

J. Caune (1999 :180) insiste et approfondit cette dimension qui caractérise la médiation en soulignant
que nombreux sont les canaux que traversent notre rapport avec le monde qui nous entoure. Il
avance, dans ce sens, que « nos rapports avec le monde physique, social ou imaginaire ne sont pas
immédiats : ces rapports passent par des constructions intellectuelles, des récits, des mythes, des
représentations symboliques, des langages ».

Selon cette conception, la médiation se présente comme une réalité inhérente à l’existence humaine,
elle s’exerce à travers différents moyens permettant à l’homme de construire du sens, des
significations et instaurer des liens entre les objets, les éléments et les réalités du monde. En plus des
langages, l’homme tisse sa relation avec son environnement à travers les histoires, les mythes et les
images qu’il produit.

C’est dire que la médiation en tant que processus de mise en lien, intervient à tout moment de
l’activité humaine et qu’elle fonde ainsi les différentes phases de cette activité. Loin d’avoir lieu
particulièrement lors de différends en vue de les résoudre, cette médiation doit s’exercer en amont.
Six (1990 :161) stipule à ce titre qu’ « au lieu de s'exercer en aval, après un conflit qui a éclaté, peut
tout autant, doit tout autant, se réaliser en amont, avant même qu'un conflit n'ait apparu ».

Ce chercheur parle plutôt à cet effet, d’une « médiation créatrice » où les médiateurs devront faire
preuve d’imagination et de créativité pour anticiper les situations à risque ou les imprévus porteurs
de contentieux ou de malentendus menaçant les relations.

Cette forme de médiation ne vient pas pour réparer des relations mises à mal ou affectées, mais
produire de nouveaux liens utiles aux individus et aux groupes. A ce propos, cette médiation vise,
d’après Six (1990 :165), à « susciter entre des personnes ou des groupes des liens qui n’existaient pas
auparavant, liens qui seront bénéfiques aux uns et aux autres ».

La médiation est donc une opération complexe étant donné les diverses compétences et les savoir-
faire sur lesquels elle repose.

En effet, comment assurer l’entente en cas de conflit en l’absence d’une grande aptitude à
communiquer ? A défaut d’une compétence interculturelle, comment rapprocher entre des parties
dont les cultures sont différentes ? Comment le médiateur pourrait-il parvenir à instaurer une
réciprocité constructive s’il ne possède pas une habileté affective développée ?

C’est grâce à toutes ces compétences (à la fois communicationnelle, méthodologique et


psychocognitive) que la médiation crée la complicité et forge les rapports solides entre les individus,
les groupes et les communautés quelles que soient leurs différences culturelles.

Certes, la difficulté peut être grande quand il s’agit de jouer cette médiation entre personnes de
cultures différentes. Car souvent, ce qui sépare et divise peut relever de malentendus invisibles ou
implicites. Dans ce contexte, il importe de prendre en compte les dimensions symboliques
engendrées par les différences de cultures porteuses de différences de perception.
Pris en considération, les paradigmes liés à la culture et à l’identité fondent ainsi une médiation
interculturelle comme le postule J. Caune (1999 :87) : « la médiation appelée simultanément
culturelle ou interculturelle postule l’existence d’une « distance culturelle » et donc la nécessité de
réduire cette distance ».

4.2. La médiation interculturelle, pilier de la communication et du lien social

« Physique sociale » comme la qualifie J. Caune (1999), la médiation est au cœur du tissu social. Elle
en est le pilier. Le médiateur est ainsi l’initiateur des fondements de la communauté. Pour y arriver, il
est appelé à user de stratégies de communication mais également à faire preuve de capacités de
prévoir et circonscrire les messages en vue de cadrer les incompréhensions, les confusions, les
malentendus, les distorsions.

Qu’en est-il quand il s’agit d’un contexte interculturel où entrent en interaction deux individus de
cultures différentes ? Comment ce médiateur interculturel procèdera-t-il pour endiguer les obstacles
symboliques, les implicites parfois insaisissables ?

En effet, le médiateur est amené à développer une bonne connaissance du discours, de la


communication, de l’anticipation des situations tout au long du processus depuis le déclenchement
du conflit jusqu’à sa résolution. Ceci ne peut se réaliser qu’à condition que le médiateur puisse
appréhender les interactions sur les plans cognitif, psychologique tout en étant sensible aux
messages implicites de la communication interculturelle dont il repèrera l’effet des cultures
d’appartenances sur l’intercompréhension.

En tant qu’opération centrée sur la construction du sens, la médiation en contexte interculturel


serait, selon Caune (1999 :110) : « une vaste catégorie qui englobe la compréhension, l’explication, le
fait de commenter, d’interpréter et de négocier divers phénomènes, appartenant à différentes
cultures ou subcultures »

La médiation ne se réduit cependant pas à l’enjeu communicationnel. Elle est tout aussi une action
soucieuse essentiellement du lien social. Et partant, elle « recherche les espaces du dialogue et du
consensus et, enfin, aspire à renouer le tissu social déchiré par le développement incontrôlé de la
logique marchande » . En d’autres termes, le médiateur doit être initiateur d’un dialogue
constructeur des valeurs de partage, de coopération et de solidarité ; mais également préparateur
des conditions de l’entente garantissant la création du lien social et fonctionnant comme un rempart
solide contre les ruptures éventuelles de ce lien.

La médiation interculturelle présuppose la présence d’une distance ; son but est justement d’aider à
prendre « la bonne » distance en gérant le face-à-face entre soi et l’autre (Debon, 2011 : 96).

Caune va dans le même sens en soulignant que la médiation interculturelle tout en reconnaissant la
présence d’une distance culturelle, repose sur le principe de réduire cette distance (Caune, 1980 : 11)
par un travail d’anticipation à mener subtilement avant même le déclenchement d’un malentendu ou
d’un différend (Six, 1990 : 165).

Conclusion

Il importe d’être sensible aux pièges que présentent les phénomènes interculturels, de les identifier
et les reconnaître au risque d’en être victime et donc de provoquer non seulement des ratés de
communication mais, qui plus est, de manquer ses relations avec l’autre.

Les phénomènes interculturels spécifiques à la rencontre de l’altérité étrangère peuvent être source
de pièges compromettant les échanges et la relation à l’autre. C’est dans ce sens que ce chapitre
s’est attelé à mettre en évidence ces risques touchant aux processus socio-cognitifs tels les
stéréotypes, les représentations, les préjugés résultant d’un rapport incohérent à la différence
culturelle.

Pour cerner ces aspects problématiques de la communication interculturelle, nous avons présenté
ensuite les concepts fondamentaux et incontournables tels la langue, la culture, l’identité culturelle
en tentant de mettre en lumière l’importance et le rôle de ces concepts dans les situations
interculturelles. Les différences de langues et de cultures peuvent transformer les échanges
situations de chocs et de conflits. L’identité culturelle peut devenir l’instrument d’une distance
creusant un rapport de places source de malentendu, de rejet voire de violences.

Ainsi, pour maîtriser ou réussir les contacts interculturels, il importe d’être armé d’une compétence
interculturelle d’une part ; d’autre part, il est capital d’investir la notion de métacommunication en
tant que démarche pour examiner les échanges interculturels en tant qu’objet de réflexion et
d’analyse. C’est en effet sur ces deux instruments heuristiques que nous nous sommes penché dans
la section 3. Ces outils cognitifs, pratiques et méthodologiques facilitent la compréhension des
interactions interculturelles et l’interprétation des messages et des comportements.

Or, ceux-ci sont-ils suffisants pour vaincre les différents risques que peut engendrer la rencontre avec
l’altérité étrangère ? Pour compléter notre appareil conceptuel, nous avons fait appel à la médiation
interculturelle dans la section 4. Les interactions dans un contexte impliquant des individus porteurs
de cultures différentes, appellent nécessairement un travail de médiation.

Le médiateur interculturel, conscient de la distance que creuse les écarts culturels, les pièges
inhérents à la situation elle-même et les ratés communicationnels dus aux attitudes des
interlocuteurs, est invité à user de son savoir-faire en vue de restaurer les liens menacés ou prévenir
ceux qui risquent de l’être. Opération complexe, la médiation interculturelle consiste ainsi à
rapprocher entre soi et l’autre. C’est une démarche exigeant savoir-faire communicationnel et savoir
être relationnel en vue de gérer, encadrer et réussir le lien social en général, et la relation
interculturelle en particulier.

Or, que peut cette médiation dans un contexte de crise sanitaire imposant distanciation sociale et
confinement ? Et en quoi consiste ce confinement ? Quels enjeux le sous-tendent ? Si le fait de se
confiner se donne à lire tout d’abord comme un remède à une crise sanitaire inédite et implacable,
n’est-il pas porteur d’une reconfiguration du rapport à soi et à l’autre ? N’institue-t-il pas une sorte
de rite de passage ? Quelle transition serait-il en train d’initier en période de crise ? C’est sur ce
concept de confinement et les questions y afférentes que nous allons nous pencher dans le chapitre
suivant.

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