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L’objet ici n’est pas d’analyser le secteur informel dans sa globalité et Driss Assi
sa complexité, il s’agit tout simplement de s’interroger sur les liens qui Université Cadi Ayyad,
s’établissent entre la pauvreté urbaine et le secteur informel. C’est-à-dire Marrakech
rendre compte du rôle éventuel que joue ce secteur, notamment les petits
métiers dans la vie et la survie des pauvres à Marrakech. La région de
Marrakech – Tensift – Al Haouz est l’un des bassins les plus importants
de la pauvreté au Maroc (1). En effet, le taux de pauvreté dans cette région (1) Est considéré comme
est de 24,6 %, alors que la moyenne nationale n’est que de 19 %. pauvre au Maroc toute
personne ou ménage ne
La pauvreté de la région de Marrakech-Tensift-Al Haouz est confirmée disposant pas d’un revenu
par un travail d’identification des provinces prioritaires pour les interventions minimum correspondant
du premier programme des priorités sociales appelé en arabe Barnamaj Al à un seuil de pauvreté
absolu défini sur la base
Aoulaouiyat Al Ijtimaiya (BAJ1). En effet, en classant l’ensemble des d’une estimation de
provinces du Maroc d’après neuf indicateurs sociaux (2) parmi les 14 provinces ressources nécessaires à la
qui ont été identifiées comme les plus pauvres, quatre font partie de la région satisfaction des besoins
vitaux. En 1999, ce
de Marrakech-Tensift-Al Haouz, à savoir El Kelaâ des Sraghna, Chichaoua, revenu était à 3 922 Dh
Al Haouz et Essaouira. En plus, la ville de Marrakech est l’une des trois par an et par personne en
agglomérations urbaines les plus pauvres retenues dans le cadre du programme- milieu urbain et à
3 037 Dh par an et par
pilote de lutte contre la pauvreté en milieu urbain et périurbain au Maroc. personne en milieu rural.
Dans ce contexte, il paraît intéressant de se demander comment les
(2) Ces indicateurs sont :
pauvres se procurent-ils un emploi en milieu urbain ? Le secteur le taux global
“moderne” n’a pas connu un développement suffisant pour absorber les d’analphabétisme ; le taux
masses croissantes de ruraux qui ne cessent de se déverser en ville (3). Une global d’inscription en
première année du
proportion importante de ces populations, ne disposant que de leur force premier cycle de
de travail pour survivre, s’est créée une large panoplie de petites activités l’enseignement
fondamental ; le taux
informelles n’exigeant aucune qualification, aucune expérience, peu ou pas
d’inscription des filles en
de capital de départ et pas même de local. Ce que certains appellent les première année du
petits métiers de survie. Quelles sont ces activités qui permettent aux pauvres premier cycle de
l’enseignement
de survivre en ville ? Quel rôle ces activités ont-elles dans le développement
fondamental ; le taux
local ? Quelles sont leurs perspectives d’évolution ? La réponse à ces questions global de scolarisation au
doit nous aider à comprendre les mécanismes fondamentaux qui génèrent premier cycle de
l’enseignement
et régénèrent le phénomène de pauvreté urbaine.
fondamental ; le taux de
chômage ; le taux de
Qu’est ce que le secteur informel ? desserte en eau potable ;
le taux d’électrification ;
La définition du secteur informel fait l’objet d’un débat entre les chercheurs le pourcentage de la
depuis le début des années soixante-dix. C’est une notion floue et difficile population se situant à
6 km de la formation à saisir. Cette difficulté est prouvée par la multiplicité des appellations données
sanitaire la plus proche ;
la densité du réseau
à ce secteur dit non structuré, non officiel, illégal, souterrain, parallèle,
routier viable (route clandestin, etc. Le terme de secteur informel, appelé ainsi par opposition
principale + route au secteur formel ou officiel, a été introduit pour la première fois en 1972
secondaire + chemin
tertiaire revêtu/superficie
par une équipe du Bureau international du travail (BIT) œuvrant dans le
de la province) ; le taux cadre du programme de recherche sur l’emploi en Afrique.
de dispersion de la Depuis cette date, plusieurs définitions sont proposées (4), mais le secteur
population totale de la
province.
informel reste toujours une notion imprécise définie par un ensemble de
critères qui varient d’un auteur à l’autre. Il s’agit par exemple de : la dimension
(3) Le secteur industriel
n’occupe que près de réduite, l’illégalité, le non-enregistrement, la non-tenue de la comptabilité,
10 % de la population la non-déclaration au fisc, les techniques traditionnelles, etc. Cette multitude
active occupée au niveau de critères explique que sa définition est problématique. Les tentatives de
régional.
définition sont diverses, sans avoir pour autant cerné le secteur informel
(4) On peut citer
particulièrement les
dans son ensemble. Les critères sont multiples, mais aucun d’eux, à lui seul,
travaux de Sethurman n’est suffisant pour recouvrir toutes les activités informelles, c’est-à-dire
(1976), Lachaud (1976), établir une frontière nette entre ce qui est informel et formel. Si on prend
Huggon (1980), Charmes
(1982).
par exemple le critère de légalité, cela est peut-être vrai pour le travail au
noir (drogue, contrebande, etc.), mais qu’en est-il du travail domestique ?
Il existe d’autres petites activités informelles qui sont légales (cireurs,
charretiers, porteurs d’eau, etc.). Pour le critère de faible dimension (capital,
nombre d’employés, chiffre d’affaires, etc.), toutes les entreprises artisanales
sont de ce type. Ce qui amène à une confusion entre artisanat et informel.
En plus, il y a des entreprises de grande dimension, mais informelles. Enfin,
il est difficile de trouver une activité qui satisfait tous les critères.
D’une manière générale, depuis le rapport Kenya (1972), deux grandes
(5) Voir Hugon (1991), définitions ont été proposées (5). La définition fonctionnelle retient des
p. 169. critères organisationnels (la facilité d’accès aux activités, la propriété familiale
des entreprises, l’échelle restreinte des opérations, l’utilisation de techniques
simples et le nombre réduit de travailleurs, des qualifications qui
s’acquièrent en dehors du système scolaire officiel, des marchés échappant
à tout règlement et ouverts à la concurrence). Cette définition présente
l’avantage de cerner le secteur dit informel dans ces aspects essentiels, mais
elle se prête mal à sa quantification.
Ainsi, et dans le but d’une quantification macro-économique du secteur,
la définition statistique considère comme informelles toutes les activités
(6) Les enquêtes d’emploi non enregistrées (non-tenue de comptabilité, non-respect de la fiscalité,
de la Direction de la
Statistique ne classent pas non-enregistrement, etc.).
les actifs occupés selon les Pour le cas du Maroc, les difficultés d’approche du secteur informel
secteurs formel et expliquent en grande partie le manque de données statistiques dans ce
informel.
domaine (6). La seule source officielle dans ce domaine remonte à 1988.
(7) Toute unité
économique qui ne tient
Il s’agit de l’enquête sur les entreprises localisées non structurées (7). C’est
pas de la comptabilité est pourquoi il reste difficile d’estimer avec précision l’importance de ce secteur.
considérée informelle. Parmi les tentatives qui ont essayé d’estimer la contribution du secteur
(8) M’Rabet (1984). informel en matière d’emploi, on peut citer le travail de M. M’Rabet (8).
Tableau 1
Structure de l’emploi dans la ville de Marrakech
Tableau 2
Origine des sources de financement du capital de départ (en %)
Tableau 3
Structure des revenus des ménages (en %)
Quel que soit le sexe du chef de ménage, la structure des revenus des
ménages interrogés montre que la part du chef de ménage dans le revenu
total du ménage, bien qu’inférieure à la moitié, reste la plus importante.
Elle est de 48,2 % dans les ménages dirigés par une femme et de 49,3 %
dans les ménages dirigés par un homme. Deux éléments peuvent expliquer
cette particularité : d’une part, comme cela a été déjà noté, il existe une
forte corrélation entre le statut de chef de ménage et le statut de principal
pourvoyeur au revenu du ménage, d’autre part, le rôle économique important
des membres secondaires dans les ménages pauvres. Le travail des enfants
est un complément important au revenu familial, et, dans certains cas, il
constitue la seule source de revenu du ménage. Le travail des enfants est
donc un élément de la stratégie adoptée par les pauvres pour améliorer le
revenu du ménage et pour réduire au minimum le risque de la perte d’un
emploi par un membre de la famille. La pauvreté est donc une des causes
principales du travail des enfants. Ainsi, l’abolition forcée du travail des
enfants (par l’adoption d’une législation interdisant le travail des enfants
ou imposant l’instruction obligatoire) est vouée à l’échec, puisqu’elle pourrait
mettre en danger la survie des ménages. Pour lutter contre le travail des
enfants par la contrainte, il faudrait parallèlement améliorer les revenus des
ménages pauvres.
En somme, bien que ces emplois soient caractérisés par une faible
productivité et une certaine instabilité, ils procurent aux travailleurs
défavorisés sur le marché de l’emploi des moyens de subsistance, certes
modestes, mais que le secteur structuré n’a pu leur offrir. Ainsi, les petites
activités informelles constituent un “pare-choc” important aux chocs
Conclusion
Le secteur informel joue un rôle économique et social incontestable en
offrant aux pauvres l’occasion d’apprendre un métier, de trouver un emploi,
d’avoir un revenu et donc de survivre en ville. Mais cela ne veut pas dire
que la pauvreté est l’apanage du secteur informel et que le secteur formel
est épargné par le phénomène. Certaines activités dynamiques du secteur
informel dégagent des revenus plus élevés que les salaires distribués dans
le secteur formel. La pauvreté transcende la dichotomie formel et informel.
Références bibliographiques
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