Vous êtes sur la page 1sur 22

A.

Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Passage en couleurs : à lire seulement pour le plaisir (5 pages sur les 22)

* Dissidences élitaires

Courant 1873, 5 membres du gouvernement démissionnèrent. Aucun n’est de Satsuma ou


Chôshû…sauf SAIGÔ, de Satsuma, qui se retira aussitôt de la vie politique pour fonder une école à
Kagoshima. Les quatre autres (ITAGAKI Taisuke, ETÔ Shinpei, SOEJIMA et GOTÔ Shôjirô (de Saga)
fondèrent le 12 janvier 1874 le premier parti politique japonais : le Parti patriotique (aikoku kôtô 愛国公
党). Ils publièrent dans la presse une déclaration au style semi-oral demandant l’ouverture d’un parlement
élu par le peuple, dénonçant une confiscation du pouvoir par les grands conseillers (leurs anciens collègues)
et défendant un « peuple insoumis, indépendant, libre et souverain » 自主自由独立不羈ノ人民, ainsi que
les « droits naturels [innés] des êtres humains » (tenpu jinken 天賦人権)… c’est-à-dire l’égalité
universelle en droits à la naissance. ITAGAKI fonda à Tosa en avril 1874 la Société des Gentilhommes
engagés (risshi-sha 立志社), prônant l’action sociale et économique tout en propageant des idées
émancipatrices « pour développer le savoir des gens du peuple (人民の知恵を発達し), nourrir la solidarité
(kifû 気風を養成し), promouvoir l’aide sociale (福祉を上進し) et faire progresser les libertés (jiyû 自由を
進 し) ». L’initiative d’ITAGAKI était fondatrice d’une « société civile » progressiste et militante, elle
fit des émules et fut relayée par la presse régionale partout dans le pays, surtout dans l’Ouest japonais où
de nombreux samouraïs s’organisèrent dans des associations.

En parallèle, une frange de dissidents plus « conservateurs » et violents se mit en branle : en janvier
1874, IWAKURA Tomomi lui-même, le chef du gouvernement, fut attaqué en pleine nuit à la sortie du Palais
impérial par neuf samouraïs de haut rang issus de Tosa (anciens hauts-diplomates), ils étaient mécontents de
sa politique générale… Quelques semaines plus tard, en février 1874, ETÔ Shinpei organisa un
soulèvement à Saga, lui, l’ancien ministre de la justice ; défait, il fut décapité tel un vulgaire criminel.

Le danger était grand : et si ces samouraïs se liaient aux paysans, pourrait-on les arrêter ? Le
gouvernement organisa une grande conférence à Ôsaka en janvier 1875 avec les grandes figures de
l’opposition et promit (par rescrit impérial) la fondation d’un régime constitutionnel 立憲政体樹立の詔
(14 avril 1875). Les dissidents fondèrent alors la Société patriotique (aikoku-sha 愛国社), premier
véritable organisation politique nationale, enfant du Parti patriotique annoncé un an auparavant.

Mais avec l’avancée des réformes liquidant la classe des samouraïs, les soulèvements se multiplièrent :
en octobre-novembre 1876 à Kumamoto, le Groupe du Vent divin (shinpûren 神風連) entraîna deux autres
soulèvements quasi simultanés à Fukuoka et à Hagi (Chôshû, où la révolte fut menée par un ancien préfet
du régime). Tous ces soulèvements, ne mobilisant chacun que quelques centaines de samouraïs, furent
écrasés plutôt aisément…. Mais ce ne fut pas le cas du grand soulèvement mené par SAIGÔ Takamori,
le rebelle de Satsuma menant quelques 25 000 partisans en 1877… Satsuma concentrait la plupart des
samouraïs les plus pauvres du pays (30 000 des 35 000 samouraïs les moins bien lotis du pays, avec une
pension de seulement 26 yens par an), c’était des « samouraïs bouseux » (jisamurai 地侍) de Satsuma. La
répression de cette révolte prit une allure de véritable guerre civile : la « Guerre du Sud-ouest » (seinan sensô
西南戦争). Grande épreuve pour le nouveau régime, elle généra d’importantes dépenses (42 millions de

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 1 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


yens) et la mobilisation de 50 000 soldats. Avec ses quelques 10 000 morts, cette guerre vint clore « la
révolution » japonaise ayant éclaté dix ans auparavant.

SAIGÔ Takamori conserve une image populaire de héros romantique de l’âge des samouraïs,
encore dans le Japon d’aujourd’hui : il est l’homme ne se laissant pas faire, le résistant,
l’opiniâtre, celui qui lutte et meurt pour ses valeurs. Par ses prises de position téméraires il avait
été exilé deux fois au cours des années 1850-1860 (d’abord pour éviter la purge d’II Naosuke
entre décembre 1858 et décembre 1861, puis en juillet 1862-janvier 1864 car il avait soutenu les
têtes brûlées de l’auberge Ikeda, liquidées en juillet 1862 sur ordre de Hisamitsu). C’est lui qui
prêcha l’aventure militaire en Corée en 1873, pour maintenir un sens à l’existence sociale de la
classe des samouraïs…

Ces rébellions féodales ont failli par leur féodalité même : les soulèvements populaires comme
élitaires étaient locaux, sans coordination à l’échelle nationale… sans idéologie organisatrice, les shinpûren
refusèrent de se servir d’armes à feu dans leur combat… En 1877, la féodalité est intégralement détruite
au Japon : il n’en reste aucun institution, ni aucune force organisée.

Seule l’opposition organisée politiquement à travers de premiers partis politiques s’imposa, peu
à peu. En 1878, le gouvernement organisa au plan national les assemblées départementales (kengikai
県議会) qui avaient vu le jour spontanément depuis 1871. Le mouvement dissident progressiste se
réorganisa pour les investir : la Société patriotique (aikoku-sha) fut refondée en 1878. De plus en plus de
notables non samouraïs (marchands, « paysans » lettrés, etc.) s’agglutinèrent au mouvement, stimulés par
l’activité des journaux présents dans chaque province… La Société devint en mars 1880 la « Ligue pour
l’ouverture d’un parlement national » (kokkai kisei dômei 国会期成同盟) portant une pétition réclamant
l’ouverture d’un parlement signée par plus de 110 000 personnes dans tout le pays. La Ligue était forte de
quelques 72 groupes (kessha 結社) répartis sur tout le territoire.

Quelques conclusions (1868-1880)

Ce Japon impérial des dix premières années est un nouveau régime à bien des égards.

Politiquement, d’abord, avec deux grandes ruptures, l’une intérieure (l’abolition de la structure féodale et
la liquidation de la classe des samouraïs (révolution qui aura provoqué la seule véritable effusion de sang que
connut le pays), l’autre extérieure (l’établissement de relations inter-étatiques fondée sur le principe de
l’égalité avec l’empire chinois).

Economiquement, l’enjeu des années 1870 résida dans l’établissement d’un cadre national : les échanges
inter régionaux se développèrent, l’établissement d’une monnaie nationale (le yen) contribua à soutenir cet
essor, de nouvelles productions « industrielles » furent lancées. Le secteur du coton est le seul à subir des
effets négatifs en raison du commerce extérieur (concurrence britannique).

C’est culturellement que la rupture fut, finalement, la moins radicale puisque l’intérêt pour les « choses
occidentales » n’avait cessé de croître depuis la fin du 18ème siècle, la force de ce mouvement fut accrue à
partir des années 1840 et 1850 et aboutit ainsi dans les années 1870 à des résultats spectaculaires, dans les
pratiques vestimentaires notamment, mais qu’il ne faut pas exagérer pour autant. Par ailleurs, le brassage des
influences culturelles a été mutuel : le japonisme a bouleversé l’art pictural occidental.

Prenons le temps d’appuyer que la « modernisation » n’est pas une simple « occidentalisation » :
l’Occident lui-même « s’orientalisa » à travers l’expansion de sa force de domination à l’échelle
mondiale. Ce « nouveau » Japon façonnait ainsi lui-même le nouveau monde occidental qu’il étudiait :
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 2 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


sa soie fascine, son thé est bu massivement, ses porcelaines (Satsuma, Arita) sont appréciées, ses estampes
(ukiyo-e) produisent des effets révolutionnaires dans les arts, stimulant la peinture « impressionniste »…
Mais pas seulement le Japon : la découverte du bouddhisme par exemple — inconnu jusqu’en 1817 —
bouleversa la pensée européenne du 19ème siècle, portant notamment l’oeuvre « nihiliste » de Nietzsche
(1844-1900)… le nihilisme exerça une influence considérable dans « la modernité occidentale »
(anarchisme, etc. : « Dieu est mort, la chrétienté est morte »… tragique conscience du déclin paradoxal de
l’Occident avant l’heure !), à l’Ecole des langues orientales (l’Inalco) les cours de japonais donnés par Léon
de Rosny réunissent déjà des centaines de passionnés dans les années 1870, la France comptait alors déjà
aussi plusieurs dizaines de milliers de « bouddhistes » qui, comme les Japonais nouveaux « chrétiens »
convertis dans ces mêmes années, l’étaient surtout par intérêt intellectuel…

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 3 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco

II — La consolidation des nouvelles bases et l’amorce


d’un nouvel élan au cours des années 1880

Si les années 1870 ont été marquées par des bouleversements de tout type, cela continua dans les années
1880 pour faire aboutir les dynamiques politiques (promulgation de la Constitution en 1889) et économiques
(la « révolution industrielle » du « boom des entreprises » des années 1886-89). Au plan culturel, une même
évolution était sensible, avec l’émergence de mouvements « nipponistes » contrebalançant le mouvement
« occidentaliste ».

A) La nouvelle donne économique

Après des années 1870 riches de bouleversements (monnaie, impôts, banques, commerce international,
politique d’innovation technologiques, etc.), les années 1881-85 furent des années de difficultés
économiques et sociales (déflation) et les années 1886-90 furent celles d’un essor industriel rapide, une sorte
de « printemps des entreprises ». Entre 1880 et 1890, la dynamique industrielle, capitaliste, prit tout son
essor et bouscula les fondements agraires de la société.

(1) L’austérité « libérale » (1881-85)

Depuis la multiplication des Banques nationales (1876) et les fortes dépenses dues à la Guerre du Sud-
Ouest (1877), la masse monétaire en circulation avait augmenté et l’inflation atteignait des sommets.

Entre 1868 et 1880, l’Etat émit 48 millions de yens en billets non convertibles (dajôkan-satsu) pour
couvrir ses dépenses, surtout (plus de la moitié) pour la guerre du Sud-Ouest, mais aussi pour sa politique
industrielle (18 millions) et la colonisation de Hokkaidô (3 millions). Pour éponger cette mauvaise monnaie,
ÔKUMA Shigenobu proposa en 1880 un grand emprunt à l’étranger permettant de transformer à crédit cette
monnaie de singe en monnaie-or, mais la perspective de dépendre des capitaux occidentaux fut rejetée par le
gouvernement.

Le rejet du grand emprunt : l’empereur aurait personnellement agit en faveur du rejet de


l’endettement envers l’étranger… c’est ce que lui aurait notamment conseillé Ulysses GRANT
(général héroïque stratège de la Guerre de Sécession et président des USA entre 1869 et 1877)
lors de son séjour de 3 mois au Japon à l’été 1879 (« Il n’y a rien qu’une nation doive éviter plus
que d’emprunter de l’argent à l’étranger. Vous savez bien que certaines nations sont désireuses de
prêter à des nations plus faibles afin de pouvoir établir leur suprématie et exercer une influence
indue sur elles » ; à l’appui des cas contemporains de l’Egypte et de la Turquie).

Il fallut alors retirer de la circulation la mauvaise monnaie non-convertible. Ce fut fait entre 1881 et 1884,
surtout sous la houlette du ministre du Trésor remplaçant ÔKUMA après sa démission (oct. 1881),
MATSUKATA Masayoshi. On alla trouver les 50 millions de yens qu’il fallait dans la poche des
contribuables japonais (+25% de recettes fiscales entre 1880 et 1883 ; surtout en taxant la consommation,
de tabac et d’alcool). La masse monétaire dégonfla (-15% entre 1881 et 1884), une banque centrale (la
Banque du Japon 日本銀行, dite « Nichigin »日銀) fut créée en 1882, dotée du monopole de l’émission
monétaire (les « banques nationales » ne peuvent plus émettre leurs propres billets). La Nichigin émit ses
billets convertibles en métaux précieux à partir de 1885 : la situation financière était dès lors stabilisée.
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 4 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Ce dégonflement de la masse monétaire impliqua une chute vertigineuse des prix des produits
agricoles (- 50% entre 1881 et 1883). C’était « la déflation Matsukata ». Cette chute fut aussi celle des
revenus des paysans… alors même que les impôts augmentaient. Car MATSUKATA augmenta les
dépenses publiques (+ 30% entre 1880 et 1886), surtout pour les armées (+ 75%), alors même que les prix
baissaient de moitié ! Les conséquences furent donc très dures pour les paysans (300 000 expropriations
entre 1881 et 1883) : plus de 60 soulèvements ruraux parcoururent le pays en 1883 (contre à peine 20 en
moyenne entre 1878 et 1882), en 1884 un pic historique fut enregistré (163, soit autant qu’en 1866). La
misère s’étendit à toutes les campagnes et le premier élan industriel du pays fut brisé : la production des
tissus de coton — qui avait doublé entre 1874 et 1880 — recula entre 1880 et 1883 (-10%). Les
tisserands ruraux durent d’abord se préoccuper de produire à manger… Les agents « proto capitalistes »
essuyèrent donc un coup sévère.

(2) La poursuite d’une politique économique forte et « le boom des


entreprises » (1885-90)

La politique publique passa d’une orientation industrielle forte à un retrait spectaculaire : Matsukata
décida de privatiser à vil prix les actifs publics industriels, filatures (Tomioka), fonderie (Kamaishi),
chantiers navals (Nagasaki), mines (Miike) etc. Ce sont souvent des personnages proches du pouvoir qui
rachetèrent les meilleures affaires, pour développer un empire industriel : la mine de charbon de Miike à
Mitsui en 1888, le chantier naval de Nagasaki à Mitsubishi en 1887, deux mines d’argent et de cuivre à
Furukawa en 1884 et 1885, la fonderie de Kamaishi à Tanaka, etc. Ces ventes se firent généralement à perte,
renforçant l’image de « coteries » politico-financières autour des grandes fortunes du pays.

En-dehors de cela, le gouvernement cibla des secteurs-clé comme les transports, les mines, la banque
pour orienter, réglementer et subventionner. Le secteur maritime et le chemin de fer furent ses priorités.
Entre 1884 et 1890, le nombre des entreprises non bancaires passa de 1300 à 4300 et le capital mobilisé
décupla (220 millions de yens en 1890, dont 42 millions pour le chemin de fer et 9 pour les filatures de
coton), avec une croissance particulièrement forte entre 1886 et 1889. Ce premier essor économique de
type capitaliste éclata lors de la crise financière de 1890, signe immanquable de l’entrée du Japon dans
l’ère capitaliste et industrielle, directement connectée au « marché mondial ».

* Le textile (coton et soie)

- coton

Le textile est un secteur-clé de l’industrialisation : ce fut le premier secteur de masse a connaître la


mécanisation. C’est évident lorsque l’on se rappelle qu’au 19ème siècle les vêtements représentaient le
premier poste de dépense par foyer (un tiers des dépenses) et le Japon de l’ère de Meiji ne faisait pas
exception.

Le fil de coton britannique se vendait au Japon un tiers moins cher que le fil local. Après avoir
laminé les productions traditionnelles indienne et chinoise, le tour du Japon était venu… Pour résister
à la concurrence britannique, il fallut au Japon développer la mécanisation de la production, et donc
concentrer les travailleurs dans de grands ateliers.

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 5 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Quelques grandes filatures existaient déjà au Japon, fruits de la politique des années 1860 et 1870 (à
Satsuma et Ôsaka). Le gouvernement investit dans la construction et l’aménagement de nouvelles filatures en
1878, qu’il revendit aussitôt à des acteurs privés. On comptait ainsi 17 filatures de type moderne en 1880
au Japon. Mais elles restaient d’une dimension trop modeste et aménagées selon le modèle préexistant
(proches des champs de coton plutôt que des grands centres de consommation). Cette production ne pouvait
résister aux produits britanniques.

C’est alors que l’initiative privée d’un homme très public (SHIBUSAWA Eiichi, voir annexe Zoom sur
noodle) changea la donne en lançant une entreprise novatrice : la Filature d’Osaka lancée en 1882. En plein
coeur de la ville (quartier de Nishinari), elle réunissait de grands capitaux provenant de l’aristocratie et de
grands marchands (95 investisseurs), travaillait une matière première importée à bon marché (d’abord de
Chine, puis d’Inde) par un système de travail permanent (2x12h) rendu possible par l’éclairage au gaz.
Surtout l’outillage était 5 fois plus important que dans les autres filatures japonaises (10 000 broches contre
2000). Les profits furent immédiats et de nombreux émules apparurent, surtout dans la région
d’Osaka : on comptait 30 compagnies modernes de filage de coton au Japon en 1890. La production
décupla, cet essor permit de limiter les importations : en 1890, la production mécanisée de filés de coton
égalait le volume des importations et les toutes premières balles étaient même exportées. Le Japon
avait réussi à gagner sa mue industrielle dans le coton.

La main-d’oeuvre de ces filatures était surtout composée de très jeunes femmes : des dizaines de milliers
d’ouvrières employées dans des conditions très difficiles, fuyant la misère de leur village aggravée par la
déflation Matsukata, vivant littéralement à l’usine, logées en dortoir sous le contrôle d’un contre-maître
souvent abusif, elles respiraient tant de poussière et de fibres de coton qu’elles ne pouvaient continuer ce
travail plus de dix ans en moyenne, et nombre d’entre elles ne restaient guère plus d’un an.

L’industrie du tissage se développa elle aussi sur de nouvelles bases : la production tripla entre 1885
et 1890 et les importations chutèrent (de 15% à 5% des importations totales du Japon).

Le secteur cotonnier japonais prit son envol grâce au développement progressif de nouvelles
grandes filatures à partir de 1882 et grâce à l’essor de la demande intérieure une fois la déflation
Matsukata éteinte à partir de 1886.

- La soie

Le secteur de la soie conserva sa place à part dans l’économie japonaise et connut lui aussi une
mécanisation importante. La production fut multipliée par deux entre 1885 et 1891 (2000 à 4000 t), tirée
par la forte croissance de la demande des marchés français et américain. La mécanisation progressa
(40% de la production en 1890), faisant baisser les coûts et permettant ainsi le doublement de la
consommation intérieure… La production restait centrée sur des structures de petite et moyenne
dimensions en milieu rural ; la région de Nagano émergea comme son centre majeur avec le Nord et
l’Ouest du Kantô. La soie continua d’être le grand article d’exportation japonais, mais ces exportations
restèrent entre les mains des clients occidentaux (quelques entreprises japonaises tentèrent de s’imposer mais
payèrent le prix de la « dévastation Matsukata » et échouèrent).

* Les transports : de la voile à la vapeur, et la èvre du rail

- Le rail

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 6 sur 22








fi

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


L’Etat dressa un plan pour un réseau national dès 1881 mais les dépenses en jeu étaient trop énormes pour
être assurées rapidement : il engagea alors les travaux progressivement, s’occupant d’abord de la ligne
centrale Tôkyô-Ôsaka. La nouvelle ligne fut achevée en 1889, jusqu’à Kôbe (590 km).

Pour les autres grandes lignes, l’Etat organisa la constitution d’une compagnie privée en novembre 1881
(garantissant les premiers dividendes). Cette « Compagnie des Chemins de fer du Japon » (Nihon tetsudô
gaisha 日本鉄道会社) réunit d’abord des capitaux de la haute aristocratie du pays… puis des notables
riverains des lignes. La compagnie commença par la ligne Nord : Tôkyô-Aomori. En 1885, Utsunomiya
était desservie (110 km depuis Tôkyô), puis la ligna avança progressivement jusqu’à Aomori, en 1891 (750
km depuis Tokyo).

Entre 1885 et 1890 d’autres compagnies privées se multiplièrent dans le sud du pays, à Ôsaka et dans le
Kyûshû, contribuant à la fièvre du rail en 1888-1890 : ces entreprises régionales étaient cotées en bourse, et
constituèrent rapidement 90% des valeurs boursières japonaises.

Elles furent les premières très grandes entreprises par le capital. En 1892, 14 entreprises ferroviaires
concentraient 42 millions de yens de capitaux (contre 9 millions pour les filatures de coton), et tenaient
1364 km de voies ferrées. Le réseau public était lui long de 886 km (pour un total de 2250 km).

- La navigation, de la voile à la vapeur

Mitsubishi était la seule grande entreprise navale japonaise depuis qu’elle avait reçu de l’Etat treize
navires modernes en 1874 pour l’expédition de Taiwan. En 1880 le gouvernement voulut soutenir des
concurrents. Mitsui développa une compagnie concurrente et la guerre des prix fit rage pendant trois ans. La
faillite menaça vite les deux grandes compagnies et le gouvernement poussa à une fusion : les Messageries
maritimes du Japon (Nihon yûsen kaisha 日本郵船会社) furent fondées en 1885. Cette entreprise (NYK)
existe toujours aujourd’hui et est un acteur majeur du secteur au niveau mondial.

Les navires étaient surtout importés mais la construction navale japonaise se développa au point de
satisfaire 1/3 de la demande nationale (contre 6% dans les années 1870). Ces nouveaux navires étaient
surtout à vapeur, modernes. Les grands chantiers navals étaient ceux de Mitsubishi à Nagasaki (reçus de
l’Etat en 1887) et de Kawasaki à Hyôgo (ouverts en 1888). Les navires à vapeur japonais modernisèrent
d’abord les échanges intérieurs, imposant une rude concurrence aux jonques traditionnelles. Au plan
extérieur les navires japonais restaient trop peu nombreux et trop petits pour concurrencer les
occidentaux, qui transportaient toujours la quasi totalité des marchandises entrant et sortant de
l’archipel en 1890.

* Les mines

Le cuivre japonais fut exporté massivement pendant 20 ans, de 1870 à 1890, le pays était alors le plus
grand exportateur mondial. Cela fit la fortune des familles Sumitomo (mine de Besshi) et Furukawa (mine
d’Ashio) qui développèrent à partir de là chacune leur groupe (zaibatsu). La demande de cuivre resta forte au
Japon avec le développement de l’industrie chimique et électrique et à partir de la Première guerre mondiale
le Japon devint un pays importateur (le Chili prit le relais au plan mondial).

C'est surtout dans le charbon que le nouveau Japon se déploie, pour nourrir les machines, l’éclairage, les
navires… Le Japon a du charbon : la production doubla entre 1886 et 1890 pour friser les 3 millions de

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 7 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


tonnes annuelles. Ce charbon japonais s’exportait lui aussi bien, dans tous les ports d’Asie où il nourrissait
les navires occidentaux qui y venaient toujours plus nombreux.

Grâce à ces exportations, le secteur minier japonais put financer sa modernisation et son expansion.

* Le commerce extérieur

Après une stagnation entre 1880 et 1885 pendant laquelle le marasme dû à la « déflation Matsukata » a
contracté les importations et ainsi dégagé un excédent commercial (plus d’exportations que d’importations),
la valeur du commerce extérieur japonais a doublé entre 1885 et 1890. La fin de la déflation Matsukata
fut une véritable libération des forces sociales et économiques japonaises.

L’article majeur des exportations japonaises resta la soie (35% du total) : le Japon devint alors le 2nd
exportateur mondial derrière la Chine. Ce nouvel élan était stimulé par le soulèvement d’une forte
demande aux Etats-Unis : à partir de 1884 la moitié des exportations filait outre-Pacifique.

Alors que la renégociation des traités piétinait, le gouvernement les utilisa à son avantage en autorisant à
certains marchands japonais triés sur le volet l’exportation de certains produits depuis quelques ports choisis.
En 1889, le gouvernement décida d’ouvrir 9 « ports spéciaux d’exportation » réservés aux marchands
japonais afin de stimuler l’exportation de denrées spécifiques comme le charbon et le riz. L’ouverture de
ports de proximité permit de réduire le coût du fret et de pérenniser le développement des régions
concernées.

Cette nouvelle politique d’utilisation positive des traités se retrouve aussi dans les relations avec la
Corée : en 1883, 3 ports du Sud-ouest japonais sont ouverts au commerce coréen (Tsushima,
Shimonoseki, Hakata). Il s’agissait aussi de réagir au renforcement chinois en Corée à partir de 1882.

De manière générale, au cours des années 1880, les exportations japonaises de produits finis
entamèrent une première forte croissance (de 3% dans les années 1870 à 10% dans les années 1880)
tandis que la chute relative des importations de textiles (de 25% des importations à 15%) aboutit à une
première baisse générale de l’achat de produits finis étrangers (de 50% à 45% des importations).

→ l’Etat délaissa sa politique de production directe au profit de grands acteurs privés (Mitsubishi,
Mitsui, etc., les futurs zaibatsu commencent leur formation)

→ de grandes compagnies se formaient (en dehors des zaibatsu embryonnaires), surtout dans les
transports et l’industrie légère (chemin de de fer, coton), nourries principalement par les capitaux moyens ou
petits des notabilités provinciales.
→ à partir de 1886, « boom des entreprises », y compris de petites entreprises dans les secteurs
traditionnels.

En conséquence, l’État diminua sa dépendance fiscale envers la taxe agraire : elle qui lui donnait
66% de ses revenus totaux en 1880, ne lui en donnait plus que 37% en 1890.

Le tournant industriel était pris.

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 8 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco

B) La nouvelle donne socio-politique

(1) Au plan international : s’associer à l’Europe, se dissocier de


l’Asie

* La renégociation des traités

Juillet 1880 : Tôkyô communique à toutes les puissances occidentales une proposition de réforme
des traités. Une conférence s’ouvre en 1882 à Tôkyô pour préparer les négociations, qui sont ouvertes
en 1886 mais aussitôt suspendues l’année suivante…

L’un des enjeux pour le Japon était la fin de l’extraterritorialité (la justice consulaire se prêtant aux
jugements iniques, comme dans l’affaire du Normanton en 1886). Pour accepter de renégocier les traités et
l’extraterritorialité, les Occidentaux exigeaient l’adoption au Japon d’une Constitution garantissant la
séparation des pouvoirs et l’établissement d’une Justice répondant aux normes de « civilisation » voulues par
les occidentaux.

Scandale du Normanton (24 octobre 1886) : lors du naufrage du navire, l’équipage européen du
navire occupa tous les canots de sauvetage laissant les 25 passagers japonais et les 12 matelots
indiens et chinois périr dans les flots. Le capitaine, d’abord innocenté par un tribunal consulaire,
fut finalement condamné à 3 mois de prison sous la pression de « l’opinion publique ».

Dans le cadre de cette politique de « conformation » un centre culturel (restaurant, salle de bal,
bibliothèque) destiné à montrer à quel point les élites japonaises respectaient les coutumes des élites
européennes fut fondé en 1883 : le « Palais du Brame du Cerf » (rokumei-kan 鹿鳴館 ; clin d’oeil
poétique au Livre des Odes)… Il fut toutefois raillé par les occidentaux (!)… et devint la cible des critiques
de la presse patriotique (dans une idée « préservationniste » ; kokusuishugi 国粋主義) particulièrement à
partir de l’incident du Normanton. Il fut fermé en 1887.

Le ministre des affaires étrangères en exercice, INOUE Kaoru (un hiérarque), se vit accusé de mollesse
dans ses positions : sa proposition de nommer des juges étrangers dans les cours de justice du pays — afin de
convaincre les occidentaux — provoqua un ultime tollé. Il démissionna. Prendre sa suite n’était pas chose
aisée, c’est pourquoi les hiérarques eurent l’idée de nommer à ce poste une figure de l’opposition : ÔKUMA
Shigenobu, qui accepta. ÔKUMA tenta lui aussi quelques concessions, proposant de naturaliser les juges
étrangers afin de les intégrer légalement dans les cours de justice japonaise, mais il échoua… et subit
les foudres d’un nationaliste qui tenta de le tuer en 1889 (ÔKUMA perdit une jambe dans l’attentat).

Les Américains étaient les plus disposés à signer de nouvelles modalités favorables au Japon, mais les
Européens renâclaient. Les Britanniques finirent par accepter de s’asseoir à la table des négociations en
1890. L’une des raisons de cette mauvaise volonté européenne était la poursuite d’une politique
d’expansion « coloniale » jusqu’aux portes du Japon, des secousses régionales rebattant les cartes
régionales et dont il nous faut parler.

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 9 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


*« Se départir de l’Asie »… ? (datsua-ron 脱亜論)

La situation mondiale était marquée par l’ultime vague de l’expansion coloniale (1880-1900) :
alors que l’Occident tournait autour de la table des négociations des traités japonais, il lorgnait sur le monde
entier, fort de sa nouvelle industrie lourde, pour obtenir de nouvelles ressources et de nouveaux marchés
(plutôt que de redistribuer les richesses produites aux ouvriers d’Occident !). Le Royaume anglais était bien
le précurseur du mouvement : près d’un million d’Irlandais moururent de faim dans les années 1840 alors
que Londres dépensait sans compter pour « ouvrir » la Chine à l’opium… La France, privée de l’Alsace-
Lorraine par l’Allemagne depuis 1870, frustrée dans son prestige, fut particulièrement active : elle se lança
en Tunisie et au Tonkin (1882-1885). Au Tonkin, son corps expéditionnaire affronta en réalité des miliciens
chinois (les « Pavillons noirs ») envoyés par Pékin. Le protectorat fut finalement concédé par le traité de
Tianjin, le 9 juin 1885. Dans le même temps, les Britanniques s’emparèrent de l’Egypte (1882) et depuis
l’Inde ils soumirent l’Afghanistan (1879) et la Birmanie (1882-1885).

La Chine résista militairement au Sud (Tonkin) et au Nord elle développa une politique
diplomatique visant à maintenir la Corée dans son giron. En Corée, le royaume reconnaissait de longue
date la tutelle protectrice de Pékin et s’en faisait même une fierté, mais il n’était pas question d’être occupé
ou d’être gouverné par des Chinois. Pour la dynastie coréenne, Pékin garantissait un équilibre
protecteur. Mais après le traité de Ganghwa (1876), le « royaume ermite » coréen fut pris de convulsions
modernistes : un parti progressiste pro-japonais avait vu le jour à Séoul et accéda même au pouvoir en
1880, initiant notamment la modernisation des forces militaires coréennes. Pékin, de son côté, agissait
surtout pour contrer les velléités occidentales, pour cela il fallait persuader Séoul d’abandonner le « système
tributaire » pour basculer vers un régime de protectorat « à l’occidentale ». C’est pourquoi Pékin dirigea la
signature du premier traité coréen avec des Occidentaux (traité de commerce américano-coréen, mai
1882). L’économie coréenne n’était pas préparée à intégrer le système commercial mondial, et la royauté
n’était pas prête à se passer des subsides chinois transitant par « le tribut ». Cela aboutit très rapidement à
une double explosion socio-politique : la mutinerie du 23 juillet 1882 (dite mutinerie d’Imo), puis le coup
d’État de décembre 1884 (dit coup d’Etat de Kapsin 甲申).

La mutinerie de 1882 fut celle d’une garnison royale excédée par la corruption des ministres :
non-paiement des soldes (détournées par les ministres) et mauvais traitement (on leur servait de la nourriture
moisie) sur fond de jalousie à l’égard de troupes d’élite entraînées par les Japonais et mieux entretenues.
Lors du soulèvement, l’instructeur japonais fut massacré, ainsi que des dizaines de responsables coréens
(dont le ministre des armées). Les représentants japonais durent prendre la fuite en catastrophe et
naviguer tels des naufragés plusieurs jours avant d’être récupérés au large par un navire britannique. Des
troupes chinoises dépêchées spécialement réprimèrent la révolte… Le gouvernement coréen (tenu par
la reine Min 王閔妃) devint de facto un protectorat chinois (traité d’octobre 1882 : les douanes coréennes
furent placées sous tutelle chinoise, etc.).

Un parti moderniste et national, mécontent de cette mainmise chinoise et admirateur de la trajectoire


japonaise se développa auprès du roi Kojong 高宗, et finit par tenter un Coup d’État en décembre 1884
pour reprendre le dessus et évincer la faction de la reine Min. Ils réussirent dans un premier temps, mais
ne purent résister à la garnison chinoise (1500 hommes maintenus sur place depuis 1882) : ils comptaient sur
le soutien de troupes japonaises… mais le gouvernement à Tôkyô refusa d’appuyer le Coup. Les opposants
furent chassés, certains furent capturés, d’autres trouvèrent refuge au sein de la légation japonaise, prenant le
chemin de l’exil (tel le meneur, KIM Okkyun (1851-1894), au Japon).

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 10 sur 22



A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Cet échec provoqua un traumatisme pour les progressistes japonais : constatant que « l’archaïsme »
chinois l’emportait en Corée, alors que le Tonkin tombait au même moment entre les mains françaises.
Pour eux, le Japon était dorénavant seul dans la marche au Progrès en Asie. FUKUZAWA lança alors sa
formule célèbre appelant à « se dissocier de l’Asie » 脱亜 (mars 1885). Selon eux car « l’arriération » sino-
coréenne condamnait la région à la faiblesse et la défaite face à l’expansionnisme occidental… Cette
nouvelle donne explique qu’à partir de 1885, la cause panasiatique et progressiste japonaise se doubla
d’une tournure de plus en plus nationaliste. C’est ce que montra « l’affaire d’Ôsaka » : en décembre
1885, une organisation japonaise de près de 200 personnes fut démantelée et accusée de « haute trahison »
pour avoir planifié un nouveau coup d’État en Corée autour de la personne de KIM Okkyun. De nombreux
membres du groupe étaient des progressistes japonais ayant participé au Mouvement pour la liberté et les
droits civiques, proches du Parti de la Liberté. La problématique sociopolitique du Japon rejoignait la
conjoncture internationale… Un couple romantique dirigeait le groupe, avec une certaine Hideko qui passe
pour avoir été la première activiste militante japonaise des temps modernes. Les conjurés furent condamnés à
de lourdes peines, mais libérés après quelques années.

(2) Au plan intérieur

* Au sein du gouvernement

Dans les années 1870, par la démission ou par la mort, de nombreux ministres disparurent du
gouvernement, laissant la place à une jeune génération exclusivement issue de Chôshû et Satsuma.

Cette « mue » fut achevée avec la démission d’ÔKUMA Shigenobu de son poste de ministre le 11
octobre 1881. ÔKUMA était un samouraï du prince de Saga (comme ETÔ) auprès duquel il avait très tôt
prôné la collaboration avec Chôshû (dès 1861) ; proche d’ETÔ Shinpei il était toutefois resté au
gouvernement en 1873 lorsque ce dernier démissionna avec fracas. ÔKUMA voulait une monarchie
constitutionnelle et parlementaire et avait soumis un projet de Constitution en ce sens en mars 1881.
Son projet rencontra l’opposition des autres ministres… alors que son idée de grand emprunt avait déjà été
rejetée. Dans ce contexte, en juillet un scandale éclata dans la presse (FUKUZAWA Yukichi) : le scandale de
la privatisation des actifs du Commissariat à la mise en valeur de Hokkaidô (vendus pour une bouchée
de pain). ÔKUMA, fut soupçonné d’avoir divulgué la chose, par esprit de vengeance, à la presse et fut
poussé à la démission. Le même jour, le 11 octobre 1881, l’empereur promulguait sa promesse d’ouvrir un
parlement en 1890.

La démission d’ÔKUMA signa le début d’une nouvelle ère dans laquelle les hommes de Chôshû et
Satsuma tinrent tous les postes-clé. A partir de ces années 1880, la presse commença à dénoncer « les
cliques de Chôshû et Satsuma » (Sat-Chô, chôshû-batsu, satsuma-batsu). Ces nouveaux dirigeants étaient :
ITÔ Hirobumi (1841-1909), INOUE Kaoru (1836-1915), YAMAGATA Aritomo (1838-1922),
MATSUKATA Masayoshi (1835-1924). Ils tinrent les rênes du pouvoir trois décennies durant, ce sont eux
qu’on appelle les « genrô » 元老 (Doyens).

NB : les genrô 元老 eurent une existence officielle entre 1874 et 1889, ils formaient le seul organe
consultatif (genrô-in 元老院, quelques dizaines de membres) avant l’ouverture du Parlement, il
étaient donc des sortes de sénateurs-conseillers recrutés pour leur compétence technique dans
l’administration ou pour leur stature politique dans les cercles des principautés de Sat-Chô. A
partir de 1890, seuls les plus éminents d’entre eux (les 4 évoqués plus haut) continuèrent d’être
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 11 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


appelés (dans la presse) « genrô », dans la mesure où ils continuèrent à exercer un immense
pouvoir d’influence au plus niveau. Un 5ème « genrô » survécut aux autres : le prince SAIONJI
Kinmochi, le dernier actif dans les années 1920 et 1930, jusqu’à sa mort en 1940. NB : on compte
parfois deux ou trois autres « genrô » (KURODA Kiyotaka, ÔYAMA Iwao, KATSURA Tarô) mais
dont l’envergure ou la longévité ne furent pas comparables à ceux cités ici.

La structure du gouvernement fut modifiée en décembre 1885, avec la formation d’un Cabinet
(naikaku 内閣) en lieu et place de la structure reprise de l’âge antique (dajôkan).

Ces réformes sont à comprendre en relation avec les débats intérieurs, très forts encore dans les années
1880 en faveur de réformes pour la participation du peuple au pouvoir.

* Les Mouvements pour la Liberté et les droits du peuple (jiyû minken undô)

Les dissidences des années 1870 se poursuivent et s’organisent, stimulées par le scandale de
corruption de Hokkaidô, la démission d’Ôkuma qui rejoignit « la société civile », et la promesse impériale
d’ouvrir un parlement en 1890.

Le mouvement se structura autour deux grands partis fondés par deux anciens ministres
démissionnaires : le Parti de la Liberté (jiyûtô 自由党) d’ITAGAKI fondé en octobre 1881, prônant un
parlementarisme sans monarque souverain, et le « Parti pour un régime constitutionnel » (rikken kaishintô
立憲改進党) fondé par ÔKUMA en avril 1882, acceptant la souveraineté monarchique. Néanmoins, de
plus en plus de notables de provinces, marchands ou propriétaires, voir de simples paysans, s’impliquèrent
aussi dans ces organisations, créant de multiples partis locaux ou régionaux se réclamant plus ou moins
d’une obédience nationale, généralement orientée en fonction des deux « grands partis » d’ITAGAKI et
ÔKUMA. La dynamique de ces structures politiques s’expliquent à la fois par l’horizon d’un régime
parlementaire pour 1890 et par les nouvelles conditions économiques (rejet de la déflation Matsukata en
milieu rural, stimulation industrielle du chemin de fer à partir de 1881-1882).

Le mouvement politique dans la sphère civile se développa mais fut rapidement privée de
véritables meneurs : ITAGAKI et ÔKUMA conservèrent quelques liens avec le gouvernement ce qui
diminua leur aura populaire. Après avoir été victime d’un attentat raté en avril 1882 (lors d'un discours à
Gifu, près de Nagoya, par un instituteur conservateur qui fut condamné à perpétuité mais libéré après 7
ans), ITAGAKI accepta un long voyage en Europe, en 1882-83, payé par l’entreprise Mitsui. Le Parti de la
Liberté ne résista pas aux tensions internes, et fut dissous en 1884. Ses militants continuèrent leur combat
en ordre dispersé, certains participant à d’importantes révoltes rurales dans les régions ravagées par la
déflation Matsukata (à Fukushima en 1883, 2000 personnes arrêtées ; à Chichibu en 1884 où un « Parti des
miséreux » (困民党 konmintô) proche du Parti de la Liberté organisa une révolte, soldée par 3393
condamnation dont 7 à mort). ÔKUMA accepta, lui, le poste de ministre des affaires étrangères en 1888,
suscitant le désarroi parmi ses partisans. Comme déjà dit, sa manière de vouloir réformer les traités
occidentaux lui valut un attentat. Ces deux meneurs « dissidents » ont donc tous les deux plus ou moins
« retourné leur veste », et subi une tentative d’assassinat…

Pour contrer le développement de ces partis, le gouvernement aida à la création de partis pro-
gouvernementaux… mais de moindre importance, comme le Parti du Régime impérial (Teisei-tô 帝政党)
fondé en 1882 par FUKUCHI Gen’ichirô, le célèbre homme de presse des années 1870. Certaines
structures de cette mouvance seront devenues les embryons de groupes extrémistes, comme la Société du
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 12 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Sombre Océan (Genyô-sha 玄洋社), dont un des membres tenta d’assassiner ÔKUMA en 1889. L’action
violente des samouraïs rebelles des années 1870 se trouva perpétuée par certains de ces activistes,
attentat contre ITAGAKI en 1882, contre ÔKUMA en décembre 1889, mais aussi l’assassinat du ministre
MORI Arinori en février 1889 (son assassin lui reprochait de ne pas avoir enlevé ses chaussures lors d’une
visite aux sanctuaires d’Ise).

Ces partis faisaient de la renégociation des traités leur revendication principale, esquissant un virage
« nationaliste » dans l’activisme politique. La priorité fut alors donnée à la question de la souveraineté
(kokken-ron 国権論) plutôt qu’à celle des droits du peuple (minken-ron 民権論).

Les révoltes rurales sous la déflation Matsukata rappelaient les dissidences populaires du début des
années 1870, avec un début d’organisation sur le mode des partis politiques, mais aucune coordination
nationale n’émergea… En 1884 à Chichibu une certaine « convergence des luttes » s’opéra (certains
membres du Parti de la Liberté participèrent à la révolte), mais cela resta un cas isolé… La détresse sociale
était immense… En 1885, le Japon comptait 89 000 détenus incarcérés (dont 10 000 aux travaux forcés
dans les bagnes de Hokkaidô), record national toutes périodes confondues. Cette même année, le
gouvernement inaugura l’envoi d’émigrants agricoles en direction du royaume de Hawaii : 30 000
Japonais émigrèrent au cours de la décennie suivante pour travailler dans de terribles conditions dans les
plantations de canne à sucre tenues par des propriétaires américains.

Hawaii et la Guerre Hispano-américaine : ce patronat américain orchestra un coup d’Etat pour


abolir la monarchie autochtone en 1893, permettant à Washington d’annexer l’archipel en 1898 à
la faveur de la Guerre hispano-américaine. Le 15 février 1898 un croiseur américain mouillant en
baie de La Havane explosa (268 morts), Washington accusa les Espagnols et s’empara de leurs
colonies à Cuba, Porto Rico et aux Philippines. Un siècle plus tard, il fut prouvé que le croiseur
américain (USS Maine) n’avait pas été torpillé par les Espagnols mais que l’explosion fut
« intérieure », ce qui alimente la thèse d’un complot américain pour provoquer la guerre…

Un « Mouvement pour une grande coalition » (Daidô danketsu undô 大同団結運動) tenta de
réunir en 1886-89 ces forces diluées. Deux figures se distinguèrent dans ce mouvement unitaire : un
homme issu du sérail gouvernemental (GOTÔ Shôjirô 後藤象二郎, 1838-1897, un démissionnaire de
1873) et un électron libre génial (HOSHI Tôru 星亨 1850-1901), qui avait été haut-fonctionnaire avant de
devenir le premier Japonais admis au barreau britannique (!)… On retrouvait aussi dans le mouvement ÔI
Kentarô, qui avait stimulé le soulèvement de Chichibu en 1884 et avait participé à l’affaire d’Osaka en 1885.
Ce mouvement contribua à accroître la pression publique sur le gouvernement pour promulguer la
Constitution et l’ouverture du Parlement.

Les assassinats politiques n’étaient pas des « moeurs » particulières à la politique japonaise : en
France le président de la République (Sadi Carnot) fut assassiné en public en 1894, Jules Ferry
échappa à une balle de revolver en 1887… faut-il évoquer le célèbre sort de Lincoln, président
américain tué en 1865 ? Alexandre II en Russie tué en 1881 ? Umberto 1er en 1900 en Italie ?
sans parler de l’assassinat de l’archiduc Ferdinand-Joseph qui déclencha la Première guerre
mondiale en 1914…

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 13 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


* La CONSTITUTION (promulguée le 11 février 1889)

Comme nous l’avons vu, le milieu politique japonais était riche de diversité d’opinion et de
conflits, les masses populaires manifestaient, l’éducation et la presse se développaient
exponentiellement… Les dirigeants des années 1880 savaient que l’enjeu était d’organiser un régime
dont le gouvernement devait pouvoir changer en fonction des exigences de « l’opinion publique ».

La rédaction d’une Constitution était un sujet sensible car l’enjeu d’une Constitution est de définir
les pouvoirs. En mars 1881, ÔKUMA proposa un texte de Constitution qui donnait au parlement les
pouvoirs législatifs et de contrôle du gouvernement. Ses collègues refusèrent la chose, ils ne souhaitaient
pas se plier à un parlement… mais ils savaient aussi que c’était inéluctable : ils avaient pris le pouvoir entre
1867 et 1868 en promettant de le partager. La promesse d’ouvrir un parlement en 1890 impliquait d’adopter
une Constitution avant cette date : il restait donc neuf ans à ceux qui allaient devenir les hiérarques (genrô
元老, voir p. 11-12) pour élaborer un texte qui leur laisserait la réalité du pouvoir entre les mains.
Comme nous allons le voir, le texte promulgué le 11 février 1889 traitait du parlement, de l’empereur et de
ses ministres… mais ce sont les genrô — absents du texte — qui tenaient l’ensemble, un peu comme la
gravité, force invisible, maintient en équilibre un château de cartes.

L’empereur, figure inconnue des masses encore vingt ans auparavant et qui n’avait aucun
pouvoir défini non plus, se trouva consacré par la Constitution. Il était « sacré et inviolable » (art. 3),
présenté comme issu « d’une dynastie régnant sans interruption dans l’éternité » (art. 1). Il était « le chef
suprême de l’empire » qui « possède la souveraineté et l’exerce » (art. 4), c’était aussi le chef des armées
(art. 11 à 14). Que de formules extraordinaires… mais tous ces pouvoirs « suprêmes » se heurtaient en réalité
à de nombreux éléments : les droits des sujets, la volonté des ministres, du parlement et des conseillers…
L’empereur ne gouvernait tout simplement pas. La prééminence que la Constitution accordait à
l’empereur était proportionnellement inverse à son pouvoir réel. Il s’agissait d’une mise en scène
permettant de sacraliser le régime en comblant notamment la lacune « religieuse » du régime japonais par
rapport aux religions d’Etat occidentales.

Concernant les « droits et devoirs des sujets », les droits de propriété (art. 27), d’expression et
d’association (art. 29) et la liberté de conscience (art. 28) étaient garantis. Le respect de la propriété fut
consacré comme absolu : il ne pouvait être remis en question que par le « pouvoir suprême appartenant à
l’empereur au cas de guerre ou de péril national » (art. 31). Le régime était autant impérial que
capitaliste : la propriété privée et l’empereur, voilà les deux sacrosaints piliers du nouveau régime fondé
par cette Constitution.

Le parlement, lui, était composé de deux chambres : la Chambre des pairs (kizoku-in 貴族院)
réunissant « les princes de sang » (kôzoku 皇族), la noblesse (kazoku 華族) et quelques personnages
spécialement nommés par l’empereur, et la Chambre des députés (shûgi-in 衆議院) accueillant les élus du
peuple. Aucune loi ne pouvait voir le jour sans « le consentement » 協賛 (art. 37) du parlement. Il
pouvait aussi avoir l’initiative de la loi, à l’instar du gouvernement (art. 38). Une totale liberté d’expression
était par ailleurs garantie au sein des chambres (art. 52). Le Parlement avait un moyen de pression
considérable sur le gouvernement en pouvant rejeter les lois proposées, surtout les lois budgétaires [les
dépenses militaires ne pouvaient toutefois être complètement refusées].

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 14 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Le texte ne faisait aucune place au « gouvernement » (seifu 政府) en tant que collectif et seules
quelques lignes sont consacrées aux « ministres d’Etat et conseillers privés ». Le rôle des ministres était de
« conseiller » / « assister » (輔弼 hohitsu) l’Empereur dans l’exercice du pouvoir et d’« en porter la
responsabilité », mais tout ordre impérial devait être contresigné par un ministre d’Etat : le pouvoir de
l’empereur était donc en réalité soumis à la volonté des ministres.

Le second article évoque les « conseillers privés » (sûmitsu komon 枢密顧問), fonction créée en 1888
lors de la création du « Conseil privé » (sûmitsu-in 枢密院). Ces « conseillers » sont nommés par
l’empereur sur indication des conseillers déjà en exercice, ils échappaient totalement au contrôle du
parlement et du gouvernement. Ce cercle très fermé était le véritable coeur du pouvoir. Il ne produisait
aucun document public. Arcane occulte, ce conseil était la chose des « hiérarques » (genrô) de Sat-Chô,
les « coulisses du pouvoir » d’où ils purent continuer à tirer les ficelles : trois des cinq hiérarques de Sat-
Chô présideront le conseil jusqu’en 1922 : ITÔ (6 ans), YAMAGATA (5+11 ans), KURODA (5 ans).

Dans la mesure où les plus haut-gradés dans les armées étaient eux aussi issus majoritairement de
Chôshû (dans l’Armée de Terre) ou de Satsuma (dans la Marine), le poids de ces deux « clans » à la tête de
l’Empire était considérable.

Ces quelques personnages avaient en 1889 déjà 50 ans… et ils disparurent tous entre 1909 et 1924
(ITÔ en 1909, INOUE en 1915, YAMAGATA en 1922, MATSUKATA en 1924). Le régime qu’ils ont créé
pour eux se trouva d’autant plus déséquilibré au fur et à mesure de leur disparition…

Résumons : le style de la Constitution pose l’empereur comme un « chef suprême » mais il est soumis
aux initiatives de ses « proches conseillers », à l’accord de ses ministres et au « consentement » du
parlement… L'empereur était donc un figurant plutôt qu’un dirigeant, déjà plus un « symbole » qu’un
acteur politique. De ce point de vue pas de révolution : depuis des siècles, presque un millénaire, l’empereur
était retiré de la vie politique. Ainsi, l’empereur Meiji n’est intervenu « personnellement » que quatre fois en
45 ans de règne, toujours en arbitre c’est-à-dire sans produire sa propre pensée (par exemple en 1880 contre
l’endettement proposé par Ôkuma, en 1908 pour mettre le holà aux réformes progressistes). L’empereur
Taishô ne fit jamais rien… et l’empereur Shôwa n’intervint que deux fois : pour désavouer le chef de cabinet
TANAKA en 1929 et, surtout, pour imposer la « fin des combats » le 15 août 1945 (cette dernière décision
fut sans doute la seule véritable décision personnelle prise par un empereur japonais : n’était-il pas question
de sa propre survie ?).

Une constitution sous influence ? Le mythe du « modèle allemand »

De la même manière que la Constitution de 1946-47 est souvent présentée comme « américaine », la
Constitution de 1889 est souvent présentée comme « allemande »… Or, si les Etats-Unis dirigeaient
effectivement le Japon en 1946-47 en tant que vainqueurs occupant un pays vaincu et le dirigeant via un
Gouvernement militaire provisoire (SCAP), ce n'était certainement pas le cas du Japon en 1889.
L'analogie des deux situations relève donc d’une vision particulièrement biaisée faisant du Japon un
objet occidental (syndrome de « l’Ouverture du Japon par le Commodore Perry en 1853 »). Ces visions
s’appuient sur quelques micro-éléments réels mais se concentrent sur eux de manière obsessionnelle :
pour le mythe du « modèle allemand » de la Constitution de 1889, il est répété par exemple qu’ITÔ
Hirobumi effectua un long séjour en Europe au cours de 1882 pour préparer le texte constitutionnel et
qu'il s’entoura de conseillers allemands… cela expliquerait « le modèle allemand » de la Constitution de
1889 (et éventuellement le sort des deux empires pendant les années 1940…). Or, ITÔ s’est bien rendu en
Europe, mais il s’agissait pour lui surtout de s’éloigner des tumultes intérieurs japonais et d’observer de

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 15 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


près les normes et les pratiques politiques occidentales pour mieux observer les conséquences de telle ou
telle disposition. Pour ITÔ, l’Europe était un laboratoire d'essais. Il observa le cas allemand avec une
certaine attention car c’était le seul cas d'une monarchie dotée d’une constitution écrite, et elle avait
été fondée récemment (en 1871). Elle avait été fondée par et pour le tout-puissant chancelier Otto
BISMARCK (1815-1898), qu’ITÔ rencontra et qui lui déclara combien les trajectoires du Japon et de
l’Allemagne étaient identiques : celles de « nouveaux venus » face aux puissances coloniales… Mais ITÔ
trouva surtout à Berlin un contre-modèle : le caractère despotique du pouvoir du Kaiser et de son
chancelier le rebuta. Le Kaiser lui conseilla de ne pas même créer de parlement, les juristes (comme
l’éminent et glacial GNEIST) lui conseillèrent de priver le Parlement de toute prérogative militaire ou
budgétaire…
Dans ces années 1880, l’Empire allemand (le « Deuxième Reich ») venait d’avoir été fondé (1871). Et
sa structure n’avait rien de comparable à celle de l’empire japonais fondé la même année à travers des
préfectures. Bismarck, conseiller du roi de Prusse (Guillaume Ier), qui avait forgé cet « empire » qui était
en réalité une confédération monarchique. Le Président de cette Confédération était le roi de Prusse car
son royaume écrasait démographiquement les autres Etats de l’empire (60% de la population, contre 10%
pour le royaume de Bavière en 1871). Le parlement fédéral n'était qu'une chambre d’enregistrement des
décisions personnelles du roi de Prusse et de son chancelier. Le roi-président avait en sus un titre spécial
: « Empereur allemand » (deutscher Kaiser) et non empereur d’Allemagne, puisque l’Allemagne n’existait
pas : il s'agissait de la Prusse associée à de multiples petits Etats… La situation allemande était spéciale,
très éloignée de la réalité japonaise.
Sans doute cet écrasement du parlement plaisait à la plupart des hiérarques japonais qui redoutaient
la force de leurs opposants, mais tel n'était pas le cas d’ITÔ. Et la structure du régime japonais était déjà
incompatible avec le régime allemand : un Etat central à Tokyo avec une même loi partout, contre un Etat
confédéral à Berlin avec des lois différentes selon les différentes régions… La seule analogie imaginable
est la position de chef militaire et diplomatique de l’empereur et l’existence d’un conseiller proche. Or, en
Allemagne ce conseiller proche était seul (le chancelier) et constituait à lui seul le gouvernement ! Le
pouvoir était donc parfaitement personnel : par la volonté du chancelier (BISMARCK entre 1871 et 1890,
sous Guillaume 1er) ou de l’empereur (Guillaume II, qui évinça Birmack). Au Japon, la position des
« genrô » était proche de celle du chancelier Bismarck, mais ils constituaient un collège… et le
gouvernement des ministres existait à part entière ! Quant à « l’empereur », il n’était au Japon
certainement pas un seigneur consacré parmi d’autres seigneurs et, par-dessus tout, il n’exerçait pas
personnellement le pouvoir. Le parlement japonais avait plus de pouvoir que le parlement allemand : il
pouvait s’opposer au budget, alors qu’a Berlin il ne pouvait s’opposer qu’à de nouveaux impôts.
L’empire japonais n'avait rien en commun avec l’empire allemand, et les textes même des constitutions
japonaise et allemande étaient bien différents.
L’analogie avec la Troisième République française est plus pertinente : la « constitution Grévy »
faisait du Président un simple figurant alors même qu’il avait en droit des pouvoirs considérables. Plus
encore, l’administration territoriale japonaise par des préfets nommés par le gouvernement central était
parfaitement identique à la structure française… Enfin, le régime japonais ne reconnaissait aucune
religion d’Etat, contrairement à tous les « Etats modernes »… sauf la République française qui « sépara
la religion de l’Etat » en 1905.
Constitution Grévy : après la défaite de Napoléon III face aux Prussiens, les monarchistes
tentèrent une restauration royale, si bien que les lois fondamentales de la Troisième
République donnèrent au Président des pouvoirs considérables (dissolution du parlement,
initiative et promulgation des lois, il dispose des armées…), mais les républicains finirent par
remporter les élections et Jules Grévy (élu président par le parlement en 1879) adopta une
politique de retrait (non exercice de ses prérogatives) suivie par tous ses successeurs.
Enfin, il est important de rappeler comment les régimes politiques occidentaux eux-même se sont
constitués selon un processus parfaitement semblable à l’empire japonais : en étudiant les systèmes
étrangers pour s’en inspirer selon les besoins. Ainsi en France la Chambre des députés votait les impôts,
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 16 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


à la manière de la Chambre des communes britanniques… mais réduit-on pour autant la République
française à un élève suivant le modèle britannique ?

C) Les développements culturels

(1) L’essor de la culture écrite (presse et littérature)

Les journaux se développèrent eux aussi : on recensait 355 titres déjà en 1883 ! Les moyens
techniques des presses disponibles alors limitait toutefois ces publications à des tirages modestes, de portée
locale le plus souvent… mais au niveau national en 1885, c’était quelques 180 000 journaux qui étaient
imprimés chaque jour au Japon. Le nombre de personnes lettrées croissait, étendant le marché de la lecture.
Le Mainichi d’Osaka était le nouveau grand journal populaire, mais le fait plus remarquable était le
développement de quotidiens engagés politiquement.

En 1882, à la suite de la promesse par l’empereur de l’ouverture d’un parlement en 1890, de la


démission d’ÔKUMA Shigenobu, de la chute des prix qui mobilisent socialement les classes moyennes, les
partis politiques créés vont s’attacher à des journaux gravitant plus ou moins directement autour d’eux
pour diffuser leurs messages et construire une information politique du peuple instruit. La plupart des
journaux fondés en 1882 se développent en parallèle des partis politiques (tô 党). Le Jiyû shinbun 自由新聞
(La Liberté) est ainsi fondé en 1882 comme l’organe de presse du Parti de la liberté (Jiyû-tô). Le Quotidien
de Tôkyô 東京日日新聞 de FUKUCHI soutient évidemment le parti que ce dernier a lancé, le Parti du
régime impérial (Teiseitô 帝政党). D’autres quotidiens sont sous une influence moins directe, comme Le
Courrier (Yûbin shinpô 郵便新報), proche du parti constitutionnel d’ÔKUMA Shigenobu.

Dans La Liberté de nombreuses plumes s’essayèrent et s’aiguisèrent, notamment les précurseurs et


fondateurs du socialisme au Japon (NAKAE Chômin, KÔTOKU Shûsui, SAKAI Toshihiko).

NAKAE Chômin (1847-1901 ; Tosa), il étudia en France, inspiré par Rousseau qu’il traduisit et
fit connaître au Japon, il développa une critique politique forte. Il travailla d’abord pour le
nouveau régime comme intellectuel et traducteur, puis fonda sa propre école de français à Tôkyô,
traduisant Le contrat social (Minyaku-ron 民約論) de Jean-Jacques Rousseau (1882), il
s’engagea fortement dans les mouvements politiques des années 1880, il fut même élu à la
première Diète, mais en démissionna aussitôt ! Il migra alors à Hokkaidô, Otaru, travaillant dans
la presse (boom de Hokkaidô, 50 000 migrants/an entre 1893 et 1904). Il a connu KÔTOKU
Shusui et rencontré KIM Okkyun. Il fut une des plumes brillant dans la presse de l’époque, et
participa au « Mouvement pour la formation d’une grande union » (Daîdô danketsu undô 大同団
結運動) de Gotô Shôjirô et Ozaki Yukio, voulant dans les années 1887-88 ressusciter l’activisme
politique des partis constitutionnels tombés en léthargie depuis la dissolution du Parti de la liberté
(1884). Il avait aussi une part d’ambiguïté puisqu’il n’était pas opposé à la monarchie et puisqu’à
la fin de sa vie il prêcha même la guerre contre la Russie.

(cf les ouvrages de Christine LEVY et Eddy DUFOURMONT).

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 17 sur 22


A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Cette presse politisée va faire éclater quelques scandales politiques et faire pression sur le
gouvernement : ainsi du scandale des ventes des actifs publics de Hokkaidô (1881), de la renégociation des
traités (qui fera la une régulièrement), de divers incidents comme le naufrage du Normanton (1886), mais
aussi en matière économique et sociale le scandale de l’exploitation de la main d’oeuvre à la mine de
Takashima par Mitsubishi dévoilé par la revue « Japonais » Nihonjin 日本人 (« trois mille esclaves »
dénonce-t-elle en 1888).

Si le développement des titres de presse est nettement marqué au début des années 1880 par une
orientation politique libérale favorable aux Droits du Peuple (minken), les titres fondés à partir des années
1887-88 sont plus volontiers souverainistes (kokken), mais aussi des titres plus grand-public :

- la revue Nihonjin 日本人 (Les Japonais), fondée en 1888 par MIYAKE Yukimine 三宅雪嶺 et le
géographe SHIGA Shigetaka 志賀重昂 (1863-1927) — qui publia Des paysages du Japon 日本風景論
en 1894 ;

- le journal Nihon ou Nippon 日本 (Le Japon) fut fondé en 1889 par un démissionnaire de la haute
administration, KUGA Katsunan 陸 南 (1857-1907), déçu par l’occidentalisme ambiant il voulut prôner
le « Nipponisme » (nihonshugi 日本主義) ;

- le mensuel politique d’influence L’ami du peuple (Kokumin no tomo 国民の友) en 1887 puis Le
Quotidien du peuple (Kokumin shinbun 國民新聞) en 1890 furent fondés par TOKUTOMI Sohô 徳富蘇
峰 (1863-1957). Originaire de Kumamoto, il étudia autant les classiques que les travaux occidentaux,
historien, journaliste, il se fit connaître en écrivant Le Japon de demain (Shôrai no nihon 将来乃日本,
1886). Il y soulignait l’importance des défis internationaux du pays et de la modernisation politique pour
l’avènement d’un nouveau Japon profondément différent de l’ancien. Ce livre et son succès montrent la
nouvelle génération émergeant de la « révolution » des années 1860-70.

Cette presse promut le « nationalisme culturel » : le nipponisme (nihonshugi 日本主義) ou encore


l’essentialisme (kokusui-shugi 国粋主義), pensée de la préservation du génie national. Nationalisme qui est
à distinguer du kokka-shugi 国家主義, le nationalisme étatiste (promotion de la puissance internationale et
de l’ordre intérieur, tendance au militarisme), voire du kokumin-shugi 国民主義, qui est un nationalisme plus
purement « populiste » social ou ethniciste.

Ces publications étaient parfois si critiques que le gouvernement promulgua des lois (1883 et
1887) réglementant durement la liberté d’expression, permettant des suspensions ou même des
interdictions pures et simples.

Cette dynamique de la presse participait d’un mouvement plus large de modernisation culturelle tous
azimuts, soutenu par le développement de l’éducation obligatoire.

La littérature se développa à partir de la littérature populaire de la fin 18ème-début 19ème siècle


(gesaku bungaku 戯作文学), riche de tous genres, souvent moqueuse mais aussi empreinte d’un certain
manichéisme moral d’inspiration confucianiste. Ce mouvement s’enrichit de traductions de romans
occidentaux et la publication de premiers « romans politiques » (YANO Ryûkei, TÔKAI Sanchi) dans les
TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 18 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


années 1880. Bientôt un genre s’attachent à dépeindre la vie telle qu’elle est vécue se développa : la
littérature réaliste « shajitsu bungaku » 写実文学 (TSUBOUCHI Shôyô 坪内逍遥 (1859-1935) exposa en
1885 un long traité refondant la littérature sur cette ambition, « L’essence du roman » — shôsetsu shinzui 小
説神髄).

La presse et la nouvelle littérature développaient une langue écrite correspondant à la langue


orale et les écritures utilisées comportent de plus en plus de hiragana, avec de nombreux furigana,
pour s’ouvrir à un public plus large. Cet essor de la lecture de masse couplé à la scolarité de masse
porta « l’unification de la langue écrite et parlée » (genbun icchi 言文一致).

Dans ces années 1880, de grands débats furent menés au sujet de la langue : un grand physicien,
TANAKADATE Aikitsu 田中館愛橘 (1856-1952), proposa en 1885 d’abandonner les kanji et les kana pour
adopter une transcription intégrale en lettres latines (d’une manière différente de ce que les anglais ou les
Français faisaient : « shi » devenait « si », le « tsu » devenant « tu », etc.). MORI Arinori, lui, avait même
tout simplement imaginé dès 1872-73 adopter une langue comme l’anglais en lieu et place du japonais… !

(2) Education et sciences

L’éducation secondaire se développa sur des bases très sélectives (nouveau régime en 1886 qui
porta 48 collèges pour 10 000 élèves en 1887) mais couvrait tout le territoire et préparait aux études
supérieures dans les universités privées et écoles supérieures semi privées qui se multipliaient dans le
pays, à vocation politique ou économique, comme Hôsei 法政 et Senshû 専修 en 1880, Waseda en 1882
(Ôkuma fonda l’Ecole spéciale de Tôkyô 東京専門学校 devenant l’université de Waseda en 1902), mais
aussi des instituts préexistants et se développant en véritables écoles supérieures comme l’École de
Commerce de Tôkyô 東京商業学校 en 1885 (créée en 1875 comme école privée 商法講習所, à l’instar de
Keiô 慶應義塾, mais avec l’aide du ministre de l’éducation Mori Arinori et Shibusawa Eiichi ; elle devint
une université en 1920, en 1945 elle devint l’Université de Hitotsubashi 一橋大学). A Ôsaka, une École de
Droit du Kansai 関西法律学校 fut ouverte en 1886 pour satisfaire la demande en avocats et juristes.

Ainsi aussi d’écoles à vocation plus culturelle (Tôyô 東洋 fondée en 1887 par INOUE Enryô, fervent
réactionnaire bouddhiste) ou même purement cultuelle (créées par des églises bouddhiques comme
« refuges » face à la shintoïsation du politique et la sécularisation du peuple et des élites), comme
Komazawa 駒沢 fondée en 1882 par l’église Sôtô 曹洞宗 (devenant une université en 1925) et quelques
autres établissements fondés par les églises Tendai (en 1885) et Jôdo (en 1887) fusionnant en 1925 pour
devenir l’université de Taishô 大正 en 1926.

Cette profusion d’écoles supérieures est à comprendre comme une continuation de


l’effervescence intellectuelle, scientifique, mais aussi politique. ÔKUMA fonda son université en même
temps que son Parti pour la réforme… et au sommet du gouvernement on craignait ouvertement ces
développements, ce qui poussa au développement des « études pratiques » pour éviter que les jeunes gens
éduqués ne s’adonnent aux discussions passionnées et ne deviennent des intellectuels souhaitant diriger le
pays…

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 19 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


NB : souvent ces écoles privées n’avaient pas les moyens d’embaucher des étrangers sinon pour
enseigner les langues. L’université impériale (mais aussi Keiô, tenu par Fukuzawa) restait leur repaire.

Médecine :

La médecine ne devint une « science » que lentement à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Les
épidémies étaient un problème majeur dans cette période de première grande mondialisation intensive, où
les frontières furent mises à bas pour le meilleur et pour le pire… générant des épidémies mondiales
(pandémies) à la vitesse de diffusion inédite. Cela stimula les travaux de PASTEUR et KOCH dans les
années 1880, qui démontrèrent l’existence des bactéries… PASTEUR clarifia le processus de la
vaccination, plongeant l’humanité dans une nouvelle ère en vainquant une maladie mortelle, la rage.

Au Japon, ces questions étaient traitées avec attention : les grands maux du 19ème siècle (tuberculose,
choléra) frappèrent le pays rapidement et avec force. Le choléra fut la cause de 250 000 morts entre 1877
et 1886 (deux épidémies particulièrement meurtrières en 1879 et 1886 : 106 000 et 108 000. À Nagasaki en
1885 : 8000 morts). La rubéole et la tuberculose (première cause de mortalité pendant des décennies) aussi se
propagèrent… Ces épidémies et travaux promurent une très importante politique de la ville, de l’hygiène
publique, mettant en valeur la nécessité de l’action de l’Etat.

Au Japon, de premiers étudiants se distinguèrent rapidement, parmi eux, le célèbre KITAZATO


Shibasaburô 北里柴三郎 (1853-1931) — NB : transcrit Kitasato « à l’allemande ». Originaire de
Kumamoto, il est formé à la médecine d’abord au sein de l’école régionale du « Nouveau Printemps »
Saishunkan 再春館 (ouvert en 1767). Il étudia le choléra aux côtés de Robert KOCH (bactériologue
allemand concurrent de Louis Pasteur)… et travailla avec BEHRING sur la diphtérie, ce qui lui valut d’être
retenu comme candidat au 1er prix Nobel de médecine en 1890, mais seul son associé allemand reçut le
Prix… ! Courtisé par de nombreuses universités américaines il rentra au Japon en 1892. Il fonda un centre
public de recherches à Tôkyô malgré quelques jalousies. Il identifia le bacille de la peste en 1894 à Hong
Kong, en même temps qu’Alexandre YERSIN (disciple de Pasteur). En 1914, il démissionna de la direction
de son centre pour fonder (en 1915) son propre centre privé de recherches (kitazato kenyûjo 北里研究所),
intégré peu après au sein de l’Université de Keiô (il était proche de FUKUZAWA) et devenant un hôpital
d’excellence, toujours existant.

Du point de vue non épidémiologique, la médecine progresse aussi. Au Japon comme en occident les
médecines traditionnelles sont remises en question : l’empereur Meiji eut 15 enfants, dont 10 sont morts en
bas âge, notamment d’encéphalite et méningite. Les traitements à base de plantes étaient inefficaces et la
médication « chinoise » (kanpô 漢方) fut bannie de la Cour après le décès du prince Michihito en 1893.

Physique :

SEKIYA Seikei ou Kiyokage 関谷清景 (1855-96), premier titulaire d’une chaire universitaire de
sismologie au monde dès 1880, à l’Université de Tôkyô. Initié à la géologie par John Milne (ingénieur des
mines, professeur à Tôdai entre 1876 et 1895, marié à une Japonaise), il forma à son tour de nombreux
disciples, comme ÔMORI Fusakichi 大森房吉 (1868–1923) qui réalisa le premier enregistrement au monde
avec un sismographe pour secousses fortes (strong motion), le 20 juin 1894 lors d’un s isme mineur Tokyo
(ÔMORI énonça sa « loi » voulant que les secousses sismiques sont décroissantes après la secousse
principale — principe défié par le séisme de Kumamoto en 2016…).

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 20 sur 22



A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


Les travaux japonais furent pionniers et réalisèrent un bond en avant, pour la confection des
sismographes notamment, mais aussi pour les méthodes d’évaluation de la force des séismes.

→ la sismologie fait partie de ces disciplines scientifiques nouvelles développée à partir des années 1850,
1860. Le Japon devint ainsi très rapidement « leader » dans ce champ scientifique, avec les chercheurs
italiens (eux aussi très concernés par le problème des séismes).

Mathématiques :

Fondation en 1881 d’un département dédié à l’université de Tôkyô par KIKUCHI Dairoku 菊池大麓
(1855-1917), personnage qui s’efforça de japoniser le vocabulaire mathématique moderne développé en
Europe occidentale tout en distinguant ces termes de ceux employés dans les mathématiques développées au
Japon jusqu’alors (wasan 和算).

Remarque générale : comprendre ce florilège nous amène à chaque fois à apprécier les avancées
réalisées par les prédécesseurs de ces « grands hommes », c’est à dire comprendre dans quelle mesure
le Japon du début du 19ème siècle était préparé/prêt à « la modernisation » (et en cela, n’était-il pas
déjà moderne ?)… C’est d’autant plus important que le phénomène des « experts étrangers » tend à masquer
cette réalité en soulignant l’apparence d’une simple « importation du savoir » (or on « importe » pas une idée
ou une technique comme on importe un kilo de riz ou même une machine : on développe des idées et on
applique telle ou telle technique…).

Economie :

La « déflation Matsukata », le retour d’Occident de nombreux étudiants et le problème général du


commerce extérieur couplé à celui de l’industrialisation (considérée comme le moyen de renforcer la
production nationale et la puissance militaire) nourrirent l’intérêt pour ces questions

→ parfaite connaissance des travaux de tous les pays occidentaux, si les travaux franco-britanniques
« libéraux » l’ont emporté, rapidement les orientations américaines et allemandes (« l’école historique »)
suscitèrent un intérêt croissant et bientôt dominant (à partir de la fin des années ).

Exemples de premiers experts en la matière : TAGUCHI Ukichi 田口卯吉 (1855-1903), fervent partisan
du libéralisme anglo-saxon, il fut par ailleurs un multi-entrepreneur (dans les années 1880 : PDG ou
administrateur à la Bourse de Tôkyô, de deux banques puis deux compagnies ferroviaires, une compagnie
commerciale et une mine…), TAJIRI Inajirô 田尻稲次郎(1850-1923), fondateur de l’université de Senshû
専修大学, d’abord partisan du libéralisme anglo-saxon, son opinion évolua plutôt en faveur d’une politique
de protectionnisme raisonné.

→ sous le régime des traités de 1858, le débat « protectionisme ou libéralisme » était essentiel, même si le
les traités eux-mêmes imposaient le libéralisme… la question du protectionnisme a rejoint celle de la
nécessaire renégociation des traités, en relation avec la question plus générale de l’émancipation politique (le
mouvement pour la liberté et les droits civiques, constitutionnel et parlementaire).

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 21 sur 22

A. Roy 2023 Histoire du Japon Inalco


(3) Les « experts étrangers » (oyatoi gaikokujin 御雇外国人) :

Ces spécialistes occidentaux furent employés en masse par le nouveau gouvernement de Meiji, dans
à peu près tous les domaines. Il s’agissait pour l’Etat japonais de s’assurer d’être à la pointe des
connaissances d’alors. L’investissement fur important, mais limité dans le temps : l’objectif était que les
étrangers forment leurs remplaçants japonais.

En 1874-75, ils étaient plus de 600 : 503 employés par le secteur public (Etat et collectivités) et une
centaine dans le privé, dans tous les domaines, mais il s’agissait surtout de capitaines de navires, enseignants
et ingénieurs. La moitié était britannique (surtout les ingénieurs et capitaines de navire), un cinquième
français (surtout dans l’armée). Leur période d’emploi était toutefois généralement courte (un an ou
deux), surtout les ingénieurs dont les connaissances étaient rapidement transmissibles.

Les juristes et autres intellectuels étaient embauchés à plus long terme, comme le Français Gustave
BOISSONADE (1825-1910) travaillant deux décennies entre 1875 et 1895 à la rédaction du Code pénal, du
Code de procédure criminelle et d’un projet de Code civil… D’autres feront même souche, comme Ernest
FENOLOSSA — universitaire américain arrivé en 1877, converti au bouddhisme et spécialiste des arts — ou
Lafcadio HEARN — journaliste gréco-irlandais abandonné trois fois dans son enfance, trois fois exilé, de Grèce en
Irlande, puis aux USA et en Martinique… il arriva au Japon à 40 ans, enseignant l’anglais à Shimane, où il épousa une
fille de samourais, il se consacra à l’écriture et prit la nationalité japonaise. Les Français les plus notables : Gustave
Boissonnade pour le Droit, Paul Brunat pour la soie, Bruno Larroque (1836-1883) pour les mines de cuivre (22 mois
à Besshi).

Leur emploi « massif » dans le public (Etat, préfectures, etc.) fut limité aux années 1870-75 : dès
1876, la chute fut vertigineuse (se stabilisant à 100-200 experts à partir de 1883 jusqu’en 1898), et le
secteur privé prit la relève au cours des années 1880 avec en 1892 près de 600 employés (notamment
pour le chemin de fer ou capitaines de navires marchands).

Au total, il y eut plus de 2700 étrangers ainsi employés jusqu’en 1889 et même 8 000 jusqu’en
1900… parmi 45 millions de Japonais.

Cette politique d’abord très couteuse fonctionna très bien et assura un enrichissement culturel et
éducatif rapide. Si ce phénomène d’embauche sur contrat d’experts occidentaux est souvent présenté
comme la manifestation — sinon la preuve — du « suivisme » d’un Japon attardé par rapport au « modèle
occidental », il montre surtout la réalité de l’extraordinaire capacité critique et la totale ouverture
intellectuelle et culturelle japonaise. Par ailleurs il faut comprendre que dans la réalité ces experts
étrangers étaient des employés des Japonais, déjà dominés de facto par cette position salariale, certains
n’acceptèrent pas de devenir, après avoir dirigé les affaires, les subalternes de Japonais, ainsi Benjamin
Müller, médecin militaire prussien, préféra quitter le pays après un contrat de trois ans, refusant un emploi
d’adjoint (1871-1874).

On peut aussi admirer l’intelligence d’une politique d’investissement concentrée d’abord sur la
connaissance humaine (écoles, voyages d’études, universités) pour ensuite être capable de s’attacher aux
infrastructures matérielles (chemins de fer, filatures, etc.). Soulignons aussi que tous les pays
occidentaux étaient au même moment, eux aussi, dans un processus de modernisation qui, par
définition, ne peut être que partiel et progressif… L’originalité du Japon résidait dans sa capacité à
butiner partout dans ces pays sans retenue. A l’opposé, la France eut le plus grand mal à « butiner » en
Allemagne (et inversement, car la rivalité était trop vive)… En comparaison, le Japon d’alors a de quoi
être considéré comme le pays le plus ouvert au monde, montrant une nouvelle voie, sa propre voie.

TEXTE A LIRE et RESUMER par soi-même Page 22 sur 22

Vous aimerez peut-être aussi