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53ème Congrès International

Société d’Ergonomie
https://www.ebscohost.com/corpor
de Langue Française ate-research/ergonomics-
www.ergonomie-self.org
abstracts

Texte original*.

GRAI, un outil au service de la performance

Vincent SKALEJ1-2, Yves DUCQ3, Alain GARRIGOU2
1
Université de Bordeaux – ISPED, Equipe EpiCEnE, INSERM U1219 Bordeaux Population
Health, 146 rue Léo Saignat 33076 Bordeaux Cedex - France
2
CNB, 162 Quai de Brazza 33072 Bordeaux Cedex v.skalej@cnb.fr
3
Université de Bordeaux – Laboratoire de l'Intégration du Matériau au Système - UMR 5218
CNRS 351 cours de la Libération 33405 Talence cedex - FRANCE

La notion de performance est utilisée à profusion dans la littérature et révèle une absence
d’unanimité tant sur sa définition que sa mesure. En productique c’est le « modèle
gestionnaire » qui prédomine. En ergonomie le « modèle de l’activité » est au cœur de cette
notion de performance. Cependant nous pensons que la proposition d’un modèle prenant en
compte les deux premiers, au travers une méthodologie de type REX, matérialisé par la
construction d’un objet intermédiaire (grille GRAI) et inscrit dans une démarche collective,
apparait comme démarche innovante au service des futurs projets de conception.
Mots-clés : Performance – REX – Objet intermédiaire – GRAI

GRAI, a tool for performance

The concept of performance is used extensively in the literature and reveals a lack of unanimity
on both its definition and its measurement. In production, the “managerial model”
predominates. In ergonomics, the “activity model” is at the heart of this notion of performance.
However, we believe that the proposal of a model taking into account the first two, through a
REX-type methodology, materialized by the construction of an intermediate object (GRAI grid)
and included in a collective approach, appears as an innovative approach in the service of future
design projects.
Keywords: Performance – Feedback – intermediate object - GRAI

*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Bordeaux du 3 au 5
octobre 2018. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du
document, qui est la suivante :
Skalej, V., Ducq, Y., Garrigou, A. (2018). GRAI, un outil au service de la performance. Actes du 53ème Congrès de la SELF, Bordeaux, 3-5
Octobre 2018.
Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies
of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or
commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page.

1
SELF 2018

INTRODUCTION
La performance : une notion floue
Le choix d’un grand nombre
d’entreprises d’adopter ces dernières années
un « même » système de management et de
performance (à savoir « Lean
manufacturing »), pourrait laisser entendre
que la définition de la performance est
unique et acceptée par tous. Toutefois, la
littérature abondante sur la performance
révèle une absence de consensus tant sur sa
définition que sur les critères de sa mesure.
Etymologiquement, le mot performance est
issu de l’anglais to perform « réaliser », ce
qui renvoie à l’accomplissement d’une
action sans a priori sur la nature, ni le niveau
ou la mesure du résultat à obtenir, et
Parformer de l’ancien français « parfaire »
qui renvoie plutôt à l’idée de qualité. En
management, la performance se positionne
sur un continuum avec d’un côté le pilotage
par les résultats financiers quantitatifs, et de
l’autre la conformité aux lois et choix
politiques (Piney, 2015).
Dans la majorité des entreprises,
c’est le modèle « gestionnaire » de la
performance qui est souvent retenu comme
référence. Ce dernier fait référence au
triangle de gestion développé par Gilbert
(1980). La performance y est ainsi ancrée
dans un tryptique intégrant :
 Les objectifs initiaux (finalités),
 Les moyens utilisés (leviers
d’action),
 Et les résultats obtenus
(indicateurs).
La performance porterait dès lors sur
l’efficacité (capacité à réaliser les objectifs
fixés), l’efficience (moyens mis en œuvre
pour produire un résultat) et la pertinence
(degré de cohérence entre les moyens et
objectifs) (Badet, 2016)
Pour les ergonomes, cette
représentation de la performance n’est que
partielle, elle ne permet qu’une analyse a
posteriori en termes financiers (Bourgeois
& Hubault, 2005), en ne prenant en compte
que le travail ayant une production directe
et en excluant les temps indirectement
2
productifs (Blazejewski & Hubault, 1999),
pourtant nécessaires à la réalisation de
l’activité. A ces différents modèles
d’efficacité, Bourgeois (2012) ajoute donc
le point de vue de la santé qu’elle soit
physique, mentale, morale ou sociale, en
observant le coût du travail sur la santé des
opérateurs mais aussi ce que le travail
apporte dans la construction de la santé. Du
point de vue ergonomique, la dimension
économique de la performance est à
confronter avec ces aspects humains
(Bourgeois & Hubault, 2005).
Cette différence de point de vue est
en lien avec la définition même du mot
« travailler ». En ergonomie Travailler, ce
n’est pas « faire ce qu’on a prévu ».
Travailler, « c’est arbitrer entre « ce qu’on
demande et ce que « ça demande ». Le
travail, donc, est une activité qui implique
un arbitrage entre les contraintes de la tâche
et elles de l’individu et celui-ci ajuste
constamment son activité par des
compromis que l’ergonomie qualifie de «
compromis opératoires », « parce qu’ils
servent à réaliser la tâche, c’est-à-dire, à
opérer ». Travailler est une activité qui est «
construite » et non « subie », qui procéderait
d’une stratégie. C’est dans cette dimension
constructiviste du travail que la démarche
ergonomique rejoint la démarche proposée
par Philippe Zarifian autour de la notion de
compétence (2011). La performance, serait
dès lors le résultat d’une construction entre
ce que demande l’entreprise et ce que « ça »
demande au salarié. Etre performant
reviendrait donc à encourager le
développement des capacités des salariés, à
développer leurs compétences (Petit, 2013).
Vers un modèle « hybride » de la
performance
Quel que soit le modèle utilisé, de
nombreux auteurs s’accordent à dire que la
quantification est nécessaire, voire cruciale
dans une optique de performance (Ogien,
2012 ; Bakiri, 2006). Mesurer la
performance favoriserait même un cercle
vertueux, la mesure des résultats permettant
de distinguer un succès d’un échec pour
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récompenser ou corriger (Piney, 2015).
Cette mesure, qui caractérise la
performance, viendrait donc s’inscrire dans
un système plus global structurant la prise
de décision. Badet (2016) précise dans ce
sens qu’un des buts fondamentaux de toute
démarche d’évaluation est la dimension
stratégique. C'est‐à‐dire l’utilisation des
informations produites pour orienter les
décisions des destinataires de l’évaluation.
Cependant, plusieurs limites peuvent être
avancées et ce, sur ces deux modèles.
Légitimité des indicateurs, superposition
d’objectifs, réduction « violente » des
indicateurs de la réalité, démarche peu
participatives pour le modèle
« gestionnaire ». Caractère subjectif des
critères pris en compte, difficultés de
consensus et de compréhension sur le choix
des indicateurs, faible prise en compte de la
dimension économique pour le modèle
« ergonomique ».
Plusieurs auteurs s’accordent ainsi à
relever la nécessiter d’allier cette dimension
« humaine » et « économique » de la
performance (Garrigou, 2001 ; Hubault,
2005) et de créer ainsi un modèle de
performance alliant ces deux dimensions.
Plusieurs arguments vont également dans ce
sens comme la nécessité de proposer un
modèle qui permet aux entreprises de
« s’adapter » aux contextes économiques et
sociaux changeant, tout en étant le plus
systémique possible (Coutarel, 2013 ; Pillet
& al. 2013).
Nous pensons que la méthodologie
utilisée afin de mettre en place ce
nouveau modèle de performance tient
une place centrale. Dès lors, quelle
méthodologie mettre en place pour
arriver à ce nouveau modèle de
performance alliant ces deux
dimensions ? Comment le faire
« accepter » par l’ensemble des acteurs
issus de mondes différents avec des
expériences variées ? Quelle posture de
l’ergonome est nécessaire pour arriver à
ces fins ?
3
SITUATION ET METHODES
Terrain, populations
Pour mener à bien notre projet nous avons
comparé deux conduites de projet qui se
sont déroulées sur un atelier de 40
personnes de production de type menuiserie
dans une entreprise de construction de
catamarans de luxe. L’objectif de
l’entreprise était l’intégration de nouvelles
machines et de nouveaux opérateurs
provenant d’un autre bâtiment (menuiserie
également) avec un process et une cadence
de fabrication différents, dans l’atelier de
menuiserie « central » de l’entreprise.
L’objectif de cette réimplantation était ainsi
d’harmoniser différents moyens et
ressources de l’entreprise dans un même
atelier pour à termes, augmenter de
cadence. A noter que la menuiserie et les
conduites de projet en lien avaient une place
centrale dans la performance de l’entreprise
puisque l’ensemble des pièces alimentant
les autres bâtiments de production de
l’entreprise (impliquant plus de 1000
salariés) proviennent de cet atelier.
Les deux conduites de projet se sont
succédées dans le temps. La première visait
à implanter une nouvelle commande
numérique. Cette dernière a été menée par
le servie industrialisation de l’entreprise. La
seconde visait quant à elle à implanter des
machines de production de type menuiserie
(scie radiale, ponceuse, toupie…) ainsi que
des opérateurs travaillant dans un autre
atelier de l’entreprise. Cette étude a été
menée quant à elle par le service QHSE et
l’ergonome de l’entreprise.
Les deux conduites de projet se sont
déroulées en parallèle sur une durée de 5
mois. Les deux pilotes des projets ont
construit chacun des groupes de travail en
fonction de leur besoin (opérateurs, services
méthodes, bureau d’étude, service qualité,
service sécurité…)
Méthodes de recueil, modes d’analyse
des données
La méthode utilisée afin de comparer les
deux méthodologies de ces deux conduites
de projet, s’est inspirée de différents outils
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issus du monde de la productique et de
l’ergonomie.
L’ensemble des réunions ont été
retranscrites sur papier à l’aide d’un carnet
de bord dans lequel était noté l’ensemble
des décisions prises, des données fournies,
des actions mises ou à mettre en place, les
acteurs concernés et les questions posées
par les différents acteurs de ce projet.
Ces deux conduites de projet ont été
analysées à posteriori, à l’aide d’une
méthode d’analyse des prises de décision
appelée méthode GRAI. La méthode GRAI
est une méthode basée sur la modélisation
d’entreprise avec pour but la conception ou
la reconception des entreprises. Elle se
focalise sur la partie décisionnelle et
s’applique dans une optique générale
d’amélioration des performances de
l’organisation (Ducq, 99). L’originalité de
la méthode se trouve dans la démarche :
C’est une des méthodes qui propose
l’identification des centres de décision et
des variables de décision offrant la
possibilité d’examiner les règles et les
exigences de management dans une
entreprise (Bakiri, 2006), un projet ou ce qui
est étudié. La méthodologie GRAI a pour
objectif l’analyse et la conception des
systèmes de gestion de la production (qui
n’est autre pour nous que le système de
management). Pour cela, elle utilise les
grilles et les réseaux GRAI, des
diagrammes de décomposition, des
tableaux de cohérence etc. Cette méthode
peut être utilisée dans n’importe quel
système de production.
La méthodologie de comparaison a été la
suivante : Les deux conduites de projet
menées avec des méthodologies différentes
ont été étudiées à posteriori à l’aide de cette
outil GRAI. Deux grilles ont ainsi pu être
construites afin d’identifier les décisions
prises, les acteurs clés, les forces et faiblesse
de chacune des deux méthodologies de
conception utilisées. L’objectif final était, à
partir de ces deux grilles représentant deux
modèles de performance différents, de
construire une grille cible issus de ces deux
modèles à la fois différents mais aussi
4
complémentaires, la méthodologie GRAI le
permettant. Ces deux conduites de projet
ont été étudiées à l’aide d’entretiens réalisés
avec les pilotes et acteurs des deux projets
mais également à l’aide de traces (compte
rendu de réunion, invitations de réunions,
mails) et des notes prises.
RESULTATS
Les deux grilles construites ont pu mettre
en évidence un certain nombre d’éléments
dont les suivants :
 Concernant la première conduite de
projet (l’implantation d’une nouvelle
commande numérique menée par le
service industrialisation), les centres
de décisions identifiés dans cette grille
ont permis de mettre en évidence que
les opérateurs n’ont été que très peu
sollicités (2 réunions sur l’ensemble du
projet), tout comme les autres services
supports autre que méthode et bureau
d’étude (représentant 80% des
personnes présentes en réunion). De
plus, les décisions ont été
essentiellement centrées sur les aspects
techniques du projet (près de 85% des
décisions prises). Enfin, une absence
de prise en compte de l’activité réelle
de travail des opérateurs sur une
commande numérique identique et
déjà en place dans ce même atelier, a
également été relevée.
 Concernant la seconde conduite de
projet (la réimplantation de machines
et de postes de travail), plusieurs
éléments sont également à mettre en
avant comme une faiblesse de prise en
compte d’indicateurs « économiques »
reprochés par la direction de
l’entreprise, des décisions prises
essentiellement pour « minimiser » les
potentiels problèmes plutôt que pour
maximiser des solutions…
Outre ces quelques résultats issus de ces
deux grilles GRAI, ce projet a permis avant
tout de réunir et de mettre en débat deux
méthodologies différentes. Le but était, à
partir de ces deux retours d’expérience, de
construire une grille GRAI cible visant à
SELF 2018
combler les lacunes et à renforcer les forces
de chacune des deux méthodologies
utilisées et à définir des indicateurs, des
critères de performances communs
réutilisables pour de futurs projets (sorte de
cahier des charges) du bâtiment. C’est ainsi
que l’ensemble des acteurs des deux projets
se sont réunis afin de construire cette grille
cible.
 La construction de cette grille a permis
de rassembler des acteurs issus
de « mondes différents » autour d’un
même objectif à savoir, construire des
indicateurs de performance, mais pour
une performance (une activité) future.
Dès lors pour arriver à leurs fins, les
acteurs des projets ont dû mesurer les
causes de la performance et non
seulement la performance elle-même.
C’est-à-dire, des mesures qui préparent
et permettent la performance future et
non seulement des mesures qui
mesurent la performance passée.
 En outre, cette construction commune
de nouveaux indicateurs de
performance au travers de cette grille
GRAI cible, a également permis de
laisser une place centrale à l’activité de
tous les acteurs (aussi bien
concepteurs, qu’opérateurs, que
services supports ou autres). En effet,
pour arriver à un consensus, chacun
des acteurs a dû faire appel à ses
expériences passées ainsi qu’un des
moyens spécifiques pour mettre en
avant cette dernière afin de convaincre
les autres acteurs du projet. C’est ainsi
par exemple que les opérateurs ont
construit une maquette de leur atelier
menuiserie avec les différents postes
de travail et les surfaces nécessaires
selon leurs propres critères de
performance pour réaliser le travail
demandé (en prenant en compte les
dimensions des pièces les plus
volumineuses manipulées).
 Enfin, chacune des expériences
présentées a également pu être
enrichies par l’ensemble des acteurs
présents. C’est précisément ce dernier
5
point qui aura permis la construction
d’un système de performance hybride
et « plus juste » alliant des expériences
variées. En effet, si nous reprenons
notre exemple ci-dessus, les
dimensions de chacun des postes ont
été affinées par la suite en prenant en
compte les futures pièces de modèles
de bateaux (plus grands) non construits
encore à ce jour mais envisagés par la
direction. Cette « enrichissement » de
certains services supports aura ainsi
permis de simuler l’activité future des
opérateurs sur leur propre outil
(maquette) afin d’anticiper à
d’éventuels problèmes de place et
circulation.
Il ne s’agit là que des premiers résultats
issus d’une méthodologie que nous venons
de mettre en place. D’autres, sont encore en
cours de synthèses. Néanmoins ces
premiers résultats vont maintenant être
discutés dans la partie suivante.
DISCUSSION
Les grilles GRAI comme objets
intermédiaires, source d’apprentissage
Au-delà des résultats précédemment
exposés, nous pensons que la construction
des grilles GRAI sur ces deux conduites de
projet en ergonomie et en productique, a
permis la rencontre de ces « deux mondes »
source d’apprentissage et de compréhension
entre les différents acteurs de ces projets.
Ces grilles ont pu mettre en évidence les
différentes logiques de conception, les
méthodes, outils utilisés qui ont permis
d’alimenter nos différentes réflexions et
débats pour la création d’une grille et d’un
modèle cible (pour les futurs projets de
conception). Ces travaux sont ainsi en lien
avec ceux de plusieurs auteurs (Landry
2008 ; Raspaud, 2014) qui ont pu démontrer
précédemment qu’une approche par les
objets permettait une bonne lecture de l'acte
de concevoir. Ces objets témoignent ainsi
des stratégies que souhaitent mettre en place
les concepteurs dans leur projet et peuvent
étudier en tant que « trace » de leur activité
cognitive.
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 Ces objets, comme nos grilles, deviennent
dès lors de réels instruments pour les
opérateurs, concepteur et décideurs
soutenant la médiation de leur activité. Les
processus langagiers à l’œuvre en
conception ont potentiellement une
dimension productive visant la qualité de
l’artefact conçu et une dimension
constructive puisqu’ils soutiennent les
apprentissages des participants et le
développement de règles de travail en
commun. C’est ce que Rabardel (2005) a
montré dans son concept de genèse
instrumental, avec une instrumentalisation
(développement de l’artefact, de l’objet qui
va se perfectionner au fil des contradictions,
des débats) et une instrumentation (en
s’appropriant un outil, un sujet transforme
le réel mais il se transforme également lui-
même). Ces apprentissages sont soutenus
notamment par la gestion des désaccords
qui est un moteur d’apprentissage Au-delà
de leur dimension conflictuelle, les
interactions argumentatives en conception
obligent à expliciter ses raisonnements, ce
qui déclenche un processus réflexif et une
restructuration des connaissances qui
soutiennent les apprentissages (Barcellini,
2015). Ce qui remonte et est mis en
discussion, c’est la relation du travail avec
ces objets, travail des concepteurs pour dire
les hésitations et les certitudes dans la
manière de prendre en compte le travail réel
et d’en rendre compte au travers des
simulations numériques, des simulations
sur maquettes ou des essais dynamiques
(Elwert & al, 2015). C’est donner à voir, à
ceux qui décident, qui sont dans d’autres
logiques, d’autres rationalités, les
arguments que le travail a à faire valoir.
Pour cela, les modélisations, les rapports,
les powerpoints, les films, et les grilles
GRAI construites dans nos conduites de
projet, sont des médiateurs utiles et
nécessaires pour pouvoir clarifier le débat,
lever en particulier les « malentendus
culturels » d’origine professionnelle comme
ceux qui se sont exprimés autour des
simulations numériques ou des maquettes.
6
Les grilles GRAI comme retour
d’expérience (REX)
Comme le souligne Bittencourt (2014), en
ergonomie l'intérêt des objets
intermédiaires est surtout d’être une
ressource pour l'action, créés et insérés dans
les projets, avec comme objectif d’interférer
dans les décisions prises par les
concepteurs. En analysant la littérature sur
la thématique, on constate que beaucoup des
utilisations des objets intermédiaires sont
basées sur des maquettes ou des plans
imprimés et adaptées pour un usage en
groupe. Mais très peu d'études présentent un
effort pour créer et spécifier de nouveaux
objets à utiliser. Nous avons tenté de
répondre à ce déficit identifié dans la
littérature avec la construction de ces grilles
GRAI faisant appel à l’expérience engagée
des concepteurs et acteurs dans ces études.
Ce processus dialogique avec la situation
implique une recherche active et consciente,
très similaire à ce que Dewey (2005)
présente comme une expérience pleine ou
encore à ce que Piaget (1975) présente
comme le principe d’accommodation et
d’assimilation : L'individu identifie une
situation problématique et évalue s'il a les
outils pour y faire face ou non. C’est le
début d’une expérience. Puis, dans une
tentative pour résoudre ce problème, est
développé un processus d'actions et de prise
en compte des conséquences de ces actions,
qui culminent finalement à un résultat. Il
importe peu de savoir si le résultat sera un
succès ou non. L’important est que dans ce
processus conscient ait été formulée une
réponse liée à un problème identifié, et
qu’après la conclusion de cette expérience,
la réponse soit incorporée aux compétences
de l'individu. L'expression de l'expérience
elle-même est une nouvelle expérience.
La fonction de l'ergonome doit être
d’organiser le développement de cette
expérience avec les opérateurs, les
concepteurs et les autres parties prenantes
du projet qu'il juge important d'impliquer
dans le processus (Caroly, 2006 ; St
Vincent, 2011). C’est ce qui fut le cas dans
la construction de nos grilles GRAI faisant
SELF 2018
référence à l’expérience des concepteurs
dans une optique de construction d’une
grille cible pour les futurs projets. De plus,
Dewey (2010) affirme que nous ne sommes
pas tous des artistes non pas parce que nous
ne vivons pas des expériences riches et
profondes, mais parce que nous ne
développons pas les compétences
nécessaires pour transformer ces
expériences en objets expressifs. Le rôle de
l'ergonome est ainsi d’aider les acteurs
impliqués dans le projet à réfléchir sur leurs
expériences, de les aider à organiser ces
expériences vécues et de les aider à
conduire le processus d'expression de cette
expérience dans le projet. Pour organiser
ces expériences, il faut que l’ergonome
réfléchisse aux ressources à utiliser, à la
façon de provoquer des interactions, à la
façon dont il doit se comporter au cours des
simulations, au genre de questions à
présenter au sein du groupe, à quels types de
résistances et de conflits ramener « à la
surface » et, enfin, que l’ergonome
réfléchisse aux « moyen d'expression »
présentés aux acteurs pour leur permettre
d’exprimer leur expérience (Bittencourt,
2014). Nos grilles GRAI ont ainsi servi de
support d’expression de ces expériences et
permis de matérialiser ces dernières afin de
les rendre accessibles.
Les grilles GRAI comme démarche
collective
Quel que soit l'objet à concevoir (situation
de travail, ouvrage d'art, objet divers, etc)
celui-ci est trop complexe pour qu'une seule
personne dispose d'une représentation de
tous les problèmes à résoudre, et possède les
compétences pour les résoudre tous
(Caroly, 2007). Dès lors la conception d’un
objet, comme un objet intermédiaire, et
donc nos grilles GRAI, se doit d’être une
activité collective. De nombreux travaux
sur le développement (de l’enfant en
particulier) montrent combien la
"collectivité" et la médiation par le rapport
à d’autres sujets sont des éléments
indispensables au processus
d’appropriation par les individus des acquis
7
du développement de l’humanité. Le
mouvement d’appropriation ne doit pas être
seulement regardé comme un mouvement
par lequel le sujet fait sien du déjà constitué
extérieur, du "patrimoine" (Rabardel,
2005). C’est avant tout un mouvement de
construction, de création ou de "re-création"
c’est-à-dire un mouvement "producteur de
nouveau" (Béguin, 2007 ; 2005). Du point
de vue de l’ergonomie, cette
conceptualisation est en lien avec le modèle
constructiviste exposé précédemment:
l’objectif n’est plus vraiment de transmettre
ou d’apprendre de nouvelles pratiques à des
individus réceptifs, mais bien de leur
permettre de construire, activement, dans
l’usage, de nouvelles compétences, de
transformer ou de créer une nouvelle culture
(Petit, 2013 ; Noyer, 2014)).
CONCLUSION
L’objectif de cette étude était de construire
une méthodologie permettant de créer un
modèle de performance commun alliant des
données, outils, modèles, issus du monde de
l’ergonomie ainsi que celui de la
productique. Bien que conscient des limites
de notre étude (comparaison de deux
conduites de projet, étude à posteriori, grille
cible toujours en cours…), nous pensons
que la création d’un modèle « hybride »
intégrant celui de l’activité et celui de la
performance telle qu’elle est définie par les
gestionnaires favoriserait une prise en
compte de la performance plus systémique
et un système « gagnant-gagnant ». Cela
supposerait la création d’objets
intermédiaires innovants et spécifiques de
type REX, intégré dans une démarche
collective favorisant la rencontre des
mondes professionnels (entre concepteurs –
décideurs et opérateurs mais également
entre l’ergonome et les décideurs de
l’entreprise) et les apprentissages mutuels.
Ces grilles GRAI initialement construites
pour réaliser un état des lieux et définir une
grille (une méthodologie) cible en lien avec
la rencontre de plusieurs « mondes » au sein
de l’entreprise, nous a permis de mettre au
centre des débat la notion de performance
SELF 2018
elle-même dans l’entreprise. Pour aller un
peu plus loin cette étude nous aura permis
d’aborder la performance elle-même
comme un objet intermédiaire, mit en
discussion entre les "différents mondes" de
l'entreprise.
Néanmoins, n’étant encore qu’au prélude
de cette mise en discussion, nous pensons
qu’il sera intéressant de poursuivre notre
projet en finalisant notre grille GRAI cible
afin de tester sa véracité et son adaptabilité
sur des projets de conception futurs et ainsi
poursuivre cette mise en débat sur cette
notion centrale au sein des entreprises,
qu’est la performance.
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