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Analyse linéaire tirade d’Yvan

Yasmina Reza est une dramaturge de renommée internationale. Cela est dû au succès incroyable de
sa pièce Art, créée en 1994. Elle y met en scène 3 amis qui discutent et se disputent au sujet d’une
œuvre d’art que l’un d’entre eux, Serge, a acheté une fortune : un tableau blanc. Les relations
s’enveniment et le plus conciliant, Yvan, est celui qui pâtit le plus de cette tension. L’extrait se situe
au moment où ce dernier rejoint les deux autres. Il est en retard et se lance dans une tirade
logorrhéique qui expose les circonstances qui l’ont retenu. C’est un moment à la fois hilarant et
pathétique car Yvan restitue la conversation extrêmement tendue qu’il vient d’avoir avec sa mère et
aussi sa fiancée. Nous pouvons nous demander en quoi cette mise en abyme spectaculaire montre
les limites du langage. En d’autres termes, comment ce flot de parole met-il en évidence l’incapacité
à communiquer des personnages ?

Mouvements du texte : attention, ici il y a une seule phrase. Celle-ci peut toutefois se décomposer en
4 temps.

Dialogue mère-fils

Domination de la parole maternelle

Dialogue Yvan-Catherine

Domination de la parole de Catherine

Lecture expressive (c’est essentiel sinon on ne comprend pas l’intérêt de cette tirade)

L’objectif est de mettre en évidence comment Yvan porte la voix des autres à ses dépens : sa longue
prise de parole ne lui permet de s’exprimer. Vanité du langage : à la fois il donne de l’importance en
dramatisant (donc exagération et théâtralisation) et leur conversation est vaine car elle ne mène à
rien (pas de communication, échange ou lien) et porte sur un sujet dérisoire, sans réelle importance,

Arguments citations Analyses


Une conversation présentée Verbes introducteurs de
comme une confrontation parole : ping-pong verbal.
Usage du présent (ce dialogue
prend sa place dans l’action en
cours ; Serge et Marc passe au
second plan).
Reprise des mêmes
expressions
Yvan se pose comme un Répétition de maman qui le
personnage de tragédie mais il maintient dans une relation
est ridiculisé. filiale assez immature.
Motif dérisoire du débat qui Terme excessif de la
est présenté comme un drame. supplication, métaphore du
(détournement de la tirade venin. Registre pathétique.
tragique : hypotypose) Le « j’ai » devient « nous »
Ton dramatique de la fatalité
« doit »
Yvan donne vie au personnage Accentue impression de
hors scène via discours direct rapidité et de tension.
libre : une mère agressive et Variété des types de phrases
jalouse . (enchaînement d’un impératif
Échec de ce langage censé Question rhétorique de la et d’une interrogative : pas de
émouvoir. mère qui est même une possibilité de dialogue).
exclamation Caractère mélodramatique de
la répartie de la mère
(métaphore filée du bateau à
la dérive + comparaison) : mise
en scène de son dépit,
rancœur, amertume,
déception, haine, aigreur.
Tentative vaine de se donner Double fonction de cette
une certaine contenance : référence :1. il montre à ses
stratégie de la fuite, du refus amis présents qu’il ne les avait
de la discussion qu’il est pas négligés – il n’est pas
incapable de mener. responsable de ce retard.
2. il montre à sa mère qu’il
n’est pas responsable de
mettre un terme à cette
conversation.
-> incapacité à assumer ses
responsabilités.

La parole est d’ores et déjà présentée comme le lieu de la difficulté. Cette discussion est une joute
oratoire où Yvan perd pied. Il n’a pas la densité ni l’intensité d’un personnage de tragédie. Ce qu’il vit
est dérisoire mais cela le submerge car il n’a pas son mot à dire. De fait, sa mère va prendre le
contrôle de cette conversation.

Inversion de la situation C’est elle qui pose les


questions – elle modifie
l’expression et, en cela, elle en
atténue la portée ; elle perd
son sens → le langage peut
être absurde sans que cela
gêne les interlocuteurs -. Yvan
reprend ses mots sans la
corriger.
Elle le cite pour détourner son
propos. Son interprétation est
grotesque dans la mesure où
ce mariage s’organise
effectivement sans qu’elle soit
sollicitée.
La parole de la mère prend le Répétition de « tout » Dramatisation via hyperbole.
devant de la scène alors qu’elle Se met en scène « la brave Théâtralisation de sa réplique
est absente ! Huguette », « sans moi », et évoque son personnage de
« dans mon dos » victime : paradoxe car elle se
plaint d’être négligée alors
qu’elle monopolise la parole.
Yvan perd sa place. Il fuit la « j’ajoute, me dit-elle » Tous les « je » renvoient à la
discussion. « m’attendent » mère. Yvan n’est plus que le
cod : il subit la parole mais
n’est plus présenté comme
l’exerçant. Il invoque ses amis
(sujets du verbe) : il ne se pose
pas comme maître de ses
actions mais agit toujours par
rapport aux autres.
La mère clôt la conversation : hyperboles Ton mélodramatique. Position
elle a le dernier mot. de victime mais c’est elle qui
raccroche.
Situation amusante car Yvan rapporte les propos de sa mère et s’efface derrière eux. Paradoxe de
cette parole qui est vaine. Il ne peut pas dire ce qu’il pense et ce qu’elle dit n’a aucun intérêt. Ce qui
est montré est l’aliénation familiale de ce fils de 50 ans à une mère égoïste et acariâtre – cette mise
en scène de leur relation n’a rien à voir avec ceux qui y assistent (Marc et Serge) et ajoute à
l’absurdité de la conversation. Mais Yvan ne va seulement être le médiateur de sa mère, il va
également relayer la parole de sa fiancée.

Présentation comique de Allitération et assonance La citation exacte est


l’intervention de Catherine grotesque et confuse. Le
« elle » place la mère comme
une rivale (question avec
tournure courante « qu’est-ce
qu’ » -> réaction spontanée :
mise en question de ses
paroles)
Tentative vaine de se donner « et c’est normal » Se réfère à une norme. Il
une contenance (idem que cautionne une attitude alors
avec sa mère) qu’il la désapprouve.
Un duel verbal déséquilibré : la Dispute avec stichomythies :
parole d’Yvan est mise en agressivité insultante et
doute. Elle n’a plus de valeur dénégation hypocrite. Les deux
car elle n’est pas crédible. font un usage particulier de la
parole (elle s’en sert pour
diriger, s’imposer et lui la
donne « je te jure »)
Répétition de sa réponse : fait
penser à un interrogatoire.

Prise de contrôle par Catherine Impératif Elle impose sa volonté et


Généralisation de sa remarque donne de la force à son
argument. Le « on » généralise
et rejette l’identité de la mère
qui devient un pronom
indéfini.
Réponse pitoyable d’Yvan : le
modalisateur « pourrait »
souligne le peu d’autorité.

Cette retranscription de la dispute avec sa fiancée met en évidence une même relation de
domination qu’avec sa mère. Catherine semble une réplique de sa mère : elle est aussi excessive et
agressive et écrase Yvan. La parole de ce dernier n’ayant plus de valeur il ne la respecte pas (il ment).
C’est elle qui va clore la conversation de façon mélodramatique.
Un personnage excessif Attitude irraisonnée.
Hyperbole
répétition
Chantage affectif ridicule Registre pathétique
Situation absurde Déni de la volonté de la
principale intéressée. La parole
de l’autre n’est pas prise en
compte.
Cette longue tirade ne permet pas à Yvan de s’exprimer. Il disparaît derrière les personnes qu’il
évoque. En fait, il s’agit pour lui de faire une diversion car il est arrivé en retard. Ce ne sont pas des
excuses mais des faits qui le posent en victime. Il ne sert pas de la parole pour raconter quelque
chose d’utile à l’intrigue ; il ne s’en sert pas non plus pour se défendre. Il raconte une histoire,
comme lorsqu’il ment, pour détourner les reproches. Cette mise en abyme interroge sur la fonction
du langage (permet-il de dire ou de ne pas dire ?) mais aussi du théâtre (que raconte-t-il ? Que veut-il
dire ?).

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