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Revue publiée par l’association Champagne Historique ISSN 0758-4245 - Dépôt légal n° 9810 En couverture : Troyes, église
Fondée en 1953 et dirigée par Jeannine Launay, Les opinions émises par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.
puis par Xavier de la Selle de 1995 à 2005. Impression : Paton - Groupe Morault Saint-Pantaléon. Arrestation
Siège social : Archives départementales de l’Aube
Saint-André-les-Vergers des saints Crépin et Crépinien,
131 rue Étienne Pédron 10000 Troyes.
Directrice de la publication : Marie-Dominique Leclerc.
patrons des cordonniers.
Abonnement annuel : 28 s Sculpture du xvie siècle.
Codirecteur de la publication : Jean-Louis Humbert.
Abonnement de soutien : à partir de 32 s (© Wikimedia.org).
Inscription à la Commission Paritaire des Publications
et Agences de Presse n° 1021 G88967 Prix de ce numéro : 8 s
Techniques, approvisionnement,
usages et distributions
« La peau du chamois est fort estimée, préparée de Savoie ne sont pas des pelleteries, mais des peaux
et passée en huile ou en mégie ; on l’emploie dépilées. Il serait en effet impensable dans un milieu curial
à beaucoup d’ouvrages doux et qu’on peut de revêtir une telle fourrure proche de la peau de chèvre
savonner, gants, bas, culottes et gibecières, etc. ou de bouc. Ces peaux de chamois sont, le plus souvent,
On contrefait le véritable chamois avec des peaux destinées à la confection d’accessoires, gants, ceintures,
de boucs, de chèvres, chevreaux et de mouton1. » aiguillettes ou encore bourses au même titre que les peaux
de daim, de chevrotin, de lièvre ou de chien4, mais en
cette fin du xive siècle le chamois participe à la confection
de plusieurs types de pièces vestimentaires.
C’est ainsi qu’est défini le chamois dans l’Encyclopédie en
17532. À partir du xvie siècle, en effet, est appelé chamois Le 19 octobre 1373, la comtesse de Savoie, Bonne de
toute peau légère traitée en huile, c’est-à-dire chamoisée3. Bourbon, commande pour son fils adolescent, le futur
En revanche aux xive et xve siècles, le chamois semble Amédée VII, une cotte et un sac5 long de peau de chamois6.
bien correspondre au véritable animal, de l’espèce des Il s’agit de la première mention explicite de vêtements
rupicapra ou chèvres des rochers vivant en haute altitude taillés dans ce matériau dans les comptabilités de la
(Fig. 1 et 2), qui est encore chassé en nombre, et dont maison de Savoie7. Du fait de sa rareté, l’utilisation de
la peau est sans doute traitée en graisse au vu des cette peau dans la garde-robe de l’aristocratie médiévale
utilisations qui en sont faites. Les peaux de chamois qui n’avait pas encore retenu l’attention des chercheurs8. À
sont acheminées dans les ateliers des tailleurs des princes la cour de Savoie, sur les 36 000 transactions étudiées
Le parchemin,
entre produit de seconde main
et support de l'écrit
Les derniers siècles du Moyen Âge voient la large sous la meule d’un moulin pour obtenir une pâte, ensuite
diffusion auprès de toutes les catégories sociales, séchée sur une forme. Quant au parchemin, il faut avoir
hors du monde purement ecclésiastique ou des abattu un animal, l’avoir dépecé puis traité la peau pour
princes, de l’écriture, sous toutes ses formes : c’est qu’elle reçoive (et conserve) l’encre. Cette caractéristique
ce que les historiens appellent la « révolution de des supports de l’écrit doit amener à s’interroger sur leur
l’écrit1 ». Cette révolution s’observe à travers une processus de fabrication. Ce processus s’inscrit d’une part
production écrite en croissance exponentielle, dans un réseau complexe de besoins en matière première
une grande diversification des typologies (métiers du cuir en général) et d’autre part dans le réseau
documentaires, ainsi que la multiplicité des des métiers de l’artisanat ou du luxe (métiers du livre).
supports de l’écrit, avec l’apparition du papier en Le parchemin est donc le résultat du travail d’un individu,
Italie dès la fin du xiiie siècle puis en France, dès le parcheminier, suite au travail préalable d’une ou
1340-1345 à Troyes2. de plusieurs autres personnes. Ce métier a fait l’objet
de peu d’études, à l’exception des articles de Sophie
Cassagnes-Brouquet4 et de Jean-Marie Yante5. Pourtant,
Jusque-là, les supports de l’écrit sont issus de l’Antiquité les conditions de fabrication et de commercialisation sont
méditerranéenne : papyrus, tablette de cire (pour des complexes : tous les parchemins ne se valent pas et il
écritures plutôt temporaires), supports divers (écritures sur existe un vrai marché du parchemin, notamment dans le
écorce de bouleaux à Novgorod), parchemin. Ce dernier nord de la France (espace qui sera l’objet de la présente
est le matériau le plus utilisé à l’époque médiévale et reste étude). Pour autant, le parchemin est-il l’objet d’un
considéré comme une matière noble et plus solide que le domaine économique clairement défini ? À quel domaine
papier sous l’Ancien Régime. L’emploi de l’un ou l’autre des appartient-il : les métiers du luxe (libraires, etc.) ou les
matériaux devient alors un choix, guidé par les possibilités métiers artisanaux ?
du moment ou les volontés d’authentification : en 1231,
Nous étudierons en premier lieu les caractères du métier
Frédéric II interdit à sa chancellerie sicilienne d’utiliser du
de parcheminier à travers les ordonnances royales et les
papier pour écrire les actes à valeur perpétuelle3.
statuts urbains. Puis, nous chercherons à comprendre
La caractéristique des supports de l’écrit tient au fait qu’ils s’il existe des espaces de production spécifiques pour le
ne sont pas naturellement prêts à porter de l’écriture. Pour parchemin. Enfin, nous replacerons le parchemin dans
le papier, des chiffons sont placés dans une cuve puis l’ensemble des produits du commerce médiéval. Les
Conclusions
La quatrième journée d’étude du CRECIM abordait en de retrouver, en contexte humide, des matériaux en cuir
2019 un thème lié au travail d’une matière première et à la et les traces des structures de production. Il en ressort que
commercialisation d’un produit essentiel du quotidien des les premiers tanneurs, installés à la fin du xie siècle dans
hommes du Moyen Âge. Ces Actes résument la richesse cette zone alors située devant les murs tardo-antiques
des échanges de cette session où il fut question des lieux de l’ancienne cité gallo-romaine, travaillent à partir de
et techniques de production du cuir en Champagne et structures hors sol, recyclant des rejets domestiques pour
dans le Languedoc, du xie au xvie siècle ; de la place la dépilation et utilisant des écorces broyées pour le
des métiers du cuir et de leurs ateliers dans l’espace tannage. À partir du milieu du siècle suivant, des fosses
urbain ; de l’organisation collective de ces professionnels creusées dans le substrat accompagnent la restructuration
pour faire valoir leurs intérêts auprès du prince ou de la urbanistique du quartier de Croncels, qui profite alors
municipalité ; de l’importance de l’onomastique et de la de l’essor démographique lié notamment à l’activité
toponymie ; de l’utilisation des peaux dans la confection des foires, avant qu’un canal en bois n’alimente en eau
du vêtement, des décors intérieurs ou comme support les ateliers et les habitations desservis par un réseau de
de l’écrit, et de leur commerce à l’occasion des foires de voies nouvelles. À Provins, l’inventaire dressé par Olivier
Champagne et du Lendit et dans la péninsule Ibérique. Deforge montre que les installations sont situées en ville
basse, près des cours d’eau, notamment des moulins à
Du côté de la production et des techniques, les fouilles
tan cités dès 1173.
archéologiques de l’extension de l’Hôtel du département,
menées à Troyes en 2010 par Gilles Deborde, ont permis Les multiples métiers du cuir (tanneurs, oigneurs, pélissiers,
corroyeurs, cordonniers, parcheminiers, boursiers, selliers,
bourreliers, mégissiers, gantiers, etc.) traitent des matières
organiques qu’il faut parfois laisser fermenter, utilisant de
nombreux bains dans lesquels entrent différents produits
organiques ou minéraux. Situés à proximité des rivières,
les ateliers du cuir ont besoin d’eau en quantité pour
alimenter les cuves et évacuer des déchets particulièrement
polluants, avec des conséquences sur l’hygiène et des
nuisances sonores et olfactives induites par ces activités
en plein cœur de ville. La toponymie urbaine conserve la
mémoire de ces quartiers spécialisés. Du côté du monde
rural en revanche, les renseignements sont peu nombreux,
mais l’on sait toute la richesse des sources monastiques,
notamment cisterciennes, sur ces questions1.
Ovins et bovins constituent sans nul doute les principaux
animaux fournisseurs de cuir pour le vêtement de la plus
grande partie de la population : chaussures, bonnets,
ceintures, bourses, harnachement de chevaux, pièces