Vous êtes sur la page 1sur 14

RrpÈRrscHRoNoLoGIeuES 143

HISToIRE CIVILISATION

-xrre--Ixe s. : LES ÂGES oBSCURS


(ou le MorT u Âcs cBec)

v.-1200 : Les Doriens (cle donr. « chône, . Les palais s'écroulent, tant sur le conti-
hampe de 1ance, lance ,), venus du nel1t qu'en Crète. Disparition cle la civiii-
Pincle. écrasent cle leurs car.aiiers aux sation mycénienne et du lineaire B : le
glaives c1e [er 1es guerriers aux armes de grec ne s'écrira plus avant le -vttt" siècle.
bronzel. I1s envahissent les ro,vaumes La Grèce entre dans le chaos et 1a barba-
rnl'céniens et l'Ernpire hittite en Anatolie, rie. Pourtant, connaîtra l'innovation
e1le
détruisant tout de pârt et d'autre de Ia de la céran'rique dite « géométrique » en

mer Egée. raison cle sa décoration plus abstraite. De


. De grandes migrations (sur deux à trois petites collectivités renaissent snr 1es
ruines des palais et se structurent autour
siècles) conduisent les Grecs sur 1es côtes
d'un basileus (un roi tribal), assisté par
d'Asie lviirreure, dans I'archipel et ies
un conseil de chefs et une assemblée du
grandes îles de Lesbos, de Chios et
peuple sans pour.oir de décision (préfigu-
Samos, et de Rhodes.
ration de la cité). Cette situation est ce11e
de 1'épopee hon-rérique. Zeus s'irnpose
comme dieu souverain. De nouvelles
divinités originaires d'Asie s'imposent
aussi : Aphrodite (de Cl.rypre), e t Apollon
et sa mère Léto (d'Anatolie).

3. Desauteurscontestenll'h,vpothèsedeIinvasiondorienne,pourlaraisonquelesDoriensétaientdéiàsurplacectsounlis
atix Âchéens qu'ils auraient renvetsés en profitant de leurs dissensions internes. La conquête est ainsi reniplacée par une
prépor.rdérance acquise par degrés. Les (lrecs de l'époque classique croyaient à Ia réalité de finvasion. Matthieu de Durand,
op. cir., p. 44-'16.
144 CRtroN pE PltroN

HlSTOIRE CIvILISATION

-VIIIC- -VIC S. : L'ÉPOQUE ARCHAIQUE -1000--750:


Développernent à
v.-800 cité
: Passage clu rovatttne à la . Céramic}re dite u orientalisante », cat Rome cle villages
son ornernenI est e mp]-tlnté 2i 1'art sr"rr le Palatin et
en Grèce et en Asie Nlineure. Les aristo-
d'Orier-rt (an i maux lar-rtastiques, plar-r res dar-rs la i:1aine, qui
crates remplacetrt le roi. Le conseil et
l'assemblt'e clu peuple subsistent. La exotiques. . . ). devienclra lt.forunr.
métallurgie procure cie I'outillage et cles
-776 : Prernière célébration desJeux
armes, et faYrtrise la c1émographie et les oll,rnpiclut-sr. L'écriture se répancl (pre-
échanges. Les ir-rstitutions se ren[orcent mière liste des r,ainqueurs) à partir de
autour cies aristocrettes cl-refs cie gLlene. 1'alphabet consonantique des Phéni-
cicns, accessible à totts. Une littérature
écrite succècle ii la tradition orale. L'écri-
ture facilite aussi le commerce.
v.-750 : Début de la color-risation+ grec- v.-750 - -700 I , rr, (rhapsode : -753 : Fonclation de

que vers les crites de fl-rrace ainsi qu'en « coLlseLlr r)


comirose ses épopées l'lliade Rome.
Sicile er en Italie du Sud : Chalcis fonde et l'Od,r'sséc. racontallt la grierre c1e Tloie
la première colonie à Cumes en -757, survenue en -1250 et 1es exploits cle ses
puis suivent plusieurs colonies. clont l-réros. il ct Jirtt I' é d u r ation dc ltr G r è c r, d;-t

Syracuse en -733 et Tarente en -706 ; Platon. On venait c1e tout lieu l'er-rtendre
Paestum est fonclée en -700. réciter.

v.-730: Début de I'armetnent hrlplitique . ;;, i:,r,, (paysan ilrclépendant) com- -717 : Délrut de ia
(casque, corselets en métai et en lin. bou- pose Les Travaux et lesJours et une fhéo- periode tnonarchi-
clier, épieu-javelot à lancer. épée courte). gonie , poèn-res qui ordonnent le monde que à Rome, sous
Pa,vsans et artisans pou\rant acheter cles dieux et des pa,vsans dans le cosntos. Nunra Pompilius.
1'équipenient. Ies nobles cessent d'être Ies II voit I'elf itenrent cle l'ancienne société
seuls combattanls de la cité et perdent agrairc ct lc despoti>ttt.'tler toit.
ainsi leurs privilèges politiqr.res. La tac- ll c1énonce leur avidité, f iniustice et la
tique ch-r cornbat en rangs serrés (pha- guerre , recommanclant le labeur e t la
langes) der,ient en usage vers "'650. piété. 11 délaisse les exploits héroiclues
. Sparte est 1â capitale musrcale de la
Grèce. La musique se répand clans l'Asie
grc! qtlc.
v.-700 : I-'homnte clevie nt Ic thème prin-
. ipal dc. pcintrer cttr ccratttiqtt.'

4. Le terme grec pour colonic est apoihîa: il suggère l'iclÉe cle trânsporter son domicile ailleurs;le terlne latin exprime ltr
quelqries cas' les
recherche cle terres à cultiver. L'augmentation cle Ia populirtiotl expliqne ie besoin de terres ou vivre' En
Naucratis. Les colonies gardent un lien plus alfectif et religieur que politicpe
buts étaient commercianx. tel le coinproir cle
avcc 1a métropole.
5. En 391 cle notre ère. un édit cie Théodose ir.rterdit 1a clivinatiolr et lesJcttx olvulpicllres
De jeunes Phocéens [...J con-
duisant leurs uaissea.otx uers
I'extrémité de la mer des Gaules
[...J arriuèrent au gctlfe qui
borde l'embouchure du Rbône.
Le cba.rme d,u paysage les
séduisit. Ils retournèrent chez
eux, y rapportèrent ce qu'ils
auaient uu et ramenèrent une
troupe plus nombreuse. [...J lls se
d.irigèrent cl'abord. uers le roi des
Ségobrigiens, nomm.é Nann, sur
le territoire d.uquel ils uoulaient
bâtir une uille et lui d,eman-
dèrent son amitié. [...J Marseille
"fut ainsi éleuée, près de
I'emboucbure d.u Rbône [...J. Les siècles obscurs (-1200 à -S00). Là, durant les siècles qui suivent, et que les
Ce fut des Marseillais que les
historiens appellent les siècles obscurs, naîtront de nouvelles cités : Phocée,
Gauktis, abandonnant et ad,ou-
Éphèse, Milet, Smyrne, Samos O et bien d'autres qui, mises en relation avec les
cissant leur ba.rba.rie, apprirent à
tnener une uie plus ciuilisée, à Mésopotamiens et les Égyptiens, se nourriront de ces civilisations plus vieilles et
hzbourer ld terre et à entourer plus riches. Par ailleurs, elles deviendront des foyers d'hellénisme et des
leurs uilles de mura.illes. Ils métropoles commerciales. C'est dans cette Grèce d'Asie que va naîüe lentement
s'babituèrent alors à uiure sous la ciülisation grecque proprement dite. C'est là que, vers le -\'tII" siècle,
des lois etnon sous le seul empire s'élaborera [a poésie d'Homère. Dans cette Ionie active, des hommes s'efforceront
des armes, à tailler kz uigne et à
de coordonner et d'organiser les connaissances pratiques élaborées par les peuples
pla,nter l'oliuier. Les bommes et
orientaux. C'est là, avec Thalès de Milet, Pythagore de Samos, Hécatée de Milet
les cboses prirent un tel éclat
qu'il semblait que ce n'était pas et bien d'autres, que vont naltre la science et la philosophie.
la Grèce qui était uenue en
Gaule, tnais la Gaule qui s'était
...,: :.r,.rt.i:tt..,t.ja.t::,j:1., Ir:..:: I .,. . -
transportée en Grèce.
I , ,. : " , ' :: . Au seuil du -vIII' siècle, Iorsqu'elle émerge des temps
lustin
Histoire universelle,
obscurs, la Grèce apparaît comme un pai/s morcelé politiquement en
une
Livre xur. poussière de petites entités indépendantes qu'on appelle des cités-États. Chacune
de ces cités comprend une petite agglomération urbaine établie autour d'un
;ia D'après lustin, guelle a été
monticule servant d'acropole et entourée d'une plaine qui lui assure une
l'influence des Grecs de Marseille
sur les Gaulois ? subsistance minimale, le tout forrnant un ensemble politique souverain .r.t Ét"t.
'
Du -uII" âu -ve siècle, ces cités uessaiment,
il Hetlénisme tout autour de la Méditerranée dans un
(n. m.) Ensembte de la mouvement de colonisation qui
civilisation grecque. constitue un phénomène capital
b Acropole dans l'histoire grecque.
(n. f.) Butte servant de citadelle
et de sanctuaire à de nombreuses
cités grecques.

Pièce reprësentant la nymphe Aréthuse


protecnice de la rité, intiurée de quatre
dauphins.
Banre monnaie était un signe de
souae*tineté, et chaque cité cherchait à
éclipser ses iualet par la beauté dts pièces

4u'elb émettait, presque uujours €n afgent.

26 Hrstotnr DE LA cIl,tLIsArIoN occIDENTALE

§!§ffi
La colonisation grecque. Décidés à partir, les habitants d'une cité ont pris la mer 11 0rigine de la monnaie
sous l'égide d'un magistrat, emporranr avec eux le feu sacré qui devra protéger la selon llristote
nouvelle cité. Ils sont en quête d'un endroit oir s'établir. layant trouvé, ils s'y
installent. Puis d'autres émigrants arrivent, une bourgade se bâtit, des relations se
il n'était pots cornrnocle de
transporter au loin cles d,enrées
nouent avec les autochrones, des liens économiques avec la cité mère. Une pour en rapporter d'autres, sans
nouvelle cité ou « colonie, est née. être sûr el'y trouuer celles qu'on
Qui sont ceux qui parrenr? Des déshérités, caders de grandes familles quun y cbercbait, ni si celles qu'on y
régime de propriété indivisible dépouille au bénéfice de l'aîné, des hommes nlibres, portait conuiendraient. [...J On
que la rareté des bonnes rcrres réduit au srarut d'ouvriers agricoles au service dune conuint donc d.e se donner et de
noblesse qui les pressure, des vaincus des luttes politiques qui entraînent leurs receuoir en écltange quelque
partisans, ou
encore des individus épris d indépendance er, plus ard, des autre cbose qui, outre sa ualeur
conrmerçants avides de matières premières et de débouchés pour leurs produis. Propre, eîtt la cctrnmod.ité cl'être
plus maniable et d'un transport
Plusieurs cités grecques ont leurs colonies. Et lorsqu une colonie est bien assise, plus facile, tel que du métal, soit
elle fonde à son tour une sous-colonie. Agde est fondée par Marseille, elle-même du fer, soit d.e I'argent, soit toute
fondée par Phocée O. Par ce processus d'essaimage, la colonisation fait tache autre matière semblable, dont la
ualeur fut définie cl'abord uni-
d'huile dans toute la Méditerranée et sur les côtes de la mer Noire oir se développe
quement par les dimensions et
la culture du blé, de la vigne et de l'olivier. le poids, et enfin pdr I'appo-
Une Méditerranée grecque. Les conséquences de ce mouvemenr sont immenses. sition d'une empreinte pour éui-
La colonisation du bassin méditerranéen agrandit le monde grec er fait s'épanouir
ter I'embarras eles mesures
continuelles; l'empreinte fut
dans les cités nouvelles les lois, les dieux, les courumes, la langue des Grecs. Car le
mise comme signe cle la quan-
Grec introduit partout son mode de vie, apporre ses dietx. On honore Apollon à ttté de ruétal.
Crotone, à à Târente. Nymphes et dietx ornenr de nombreuses
Syracuse,
monnaies coloniales O. En découvrant le vin, les populations du Languedoc Aristote
Politique, trad. I. Aubonnet,
adoptent Dionysos. Déméter, parrronne de [a Sicile, est vénérée à Agrigente, qui Les Belles Lettres, 1968.
lui consacre un temple et derrx sanctuaires.
Révolution économique. Par ailleurs, la colonisation grecque engendre dans route
la Méditerranée une véritable révolution économique. Elle tisse un réseau de routes
commerciales sur lesquelles Grecs, Égyptiens, Phéniciens et Étrusques se livrent
une concurrence acharnée (E. Les échanges se multiplient, favorisés par la diffirsion
de l'alphabet phénicien auquel les Grecs ont ajouté des voyelles, et par l'apparition
de [a monnaie (9 d'abord en Lydie autour
du -uI" siècle, mais que les cites grecques
sont les premières à ,utiliser comme
monnaie d'échange international.

Tiansformation de la société. En Grèce Coton


Soie
même, l'expansion contribue gran-
dement à développer le commerce er EU ROPE t
Bté
l'artisanat, et donne naissance à une
classe d'artisans, de marchands et Chevaux
d'armateurs fortunés qui réclament de ESPAGNE
Noire
nouveaux droits au détriment de
l'aristocratie. Le gouvernement de la cité N4étaux
Argent
s'en trouvera bien souvent bouleversé. LYDI
ASIE MINEURE

pttÉttrctr

Mer
lüétropoles grecques
o o a colon es grecques ASIE
*"F
V
Itr\
Courants d'mpoftation
Exponations AFRIQ UE Esclaves noirs Padums
Fondations Or

Cntptrnp. 2 La civilisation grecque 11

ffi
L/
.-I
t-l'. ',
.'\lL
'+-]'-r§
ï
c'§
Cnerrrnr 2
40 \
if'

La mythologie grecque
À cle nombreux égarcls, les crol,ances religieLlses et les
mt'thes des anciens (irecs ne diffèrent pas sensibleûrent cle
celrx cles Bab,vloniens et cles Egrpticns. Leut représentation
Le dieu Atlas supportant cle l'univers physique est semblable. Comme eux, ils croient
la voûte céleste que la Terre est une espèce de galette plate. L'intérieur cle
Selon le poète Hésiode, celle-ci renlerme le royaume d'Haclès, seigneur des enfers
Atlas avait été condam- oùl \.ont les âmes des mofts. Le dôn-re céleste clui recouvre Ia
né à supporter lê voûte 'I'erre est renrpli d'eau, c'est pollrquoi il est bleu et nous
cJu ciel. lVlais on a pris envoie parfois cle la pluie. LIn géant, Atlas, c|"ri avait osé
l'habitude de le repré-
senter portânt le monde.
s'opposer à Zeus, le plus puissant cles dieux. a été con-
clamné à solltenir cette Yoûte pour l'éternité. Les sept
planètes visibles à l'cril nu, le Soleil er la l-Llne sonr poLrr les
(irecs comme pour les autres pellples des êtres clir.ins. En
fait, toute la z<-tne clu ciel est un domaine clivin et si les
clier.rx grecs ont l'Ol).mpe ponr demeure, c'est que ce massif
montaÉanellx est le pllrs har.rt de Grèce et clonc le lieu le plus
près clu ciel qu'ils connaissent.

Ces dieux n'ont pas, par ailleurs, des compor-


tements plus « rationnels » qlle les clieux vclisins.
Pour plusieurs philosophes, la vie des dieux racontée par les I En fait, bien des philosophes grecs trollveront
poètes est scandaleuse scandaleuse, indigne et tout à fait u irrationnelle »
« Car ils [Homère et Hésiode] ont raconté sur le compte des dieux la vie de leurs clieux. Ceux-ci ne cessellt en effet
Toutes sortes d'actions qui déf ient la justice : de se tromper les uns les ;rr-rtres et lellr histoire
lls les font s'adonner âu vol, à l'adultère. fc»rrmille de luttes pour le pouvoir qlli vont
Et se livrer entre eux au mensonge trompeurll. » jusqu'à l'infànticicle et au parricicle.

I0. l{apirelonsquect'ttcclistinctionestmoclerne.Pour1esGr-ecs, leûlot.science,,signifie«5i11r1yi1 »g1


rcnvoie alltllnt aux ntathématiques et à la phi.sique <1u'arx réflexions morales et politiqrres.
11. Xcncrphane , I] 12, Étlition c-tablie parJean-Paul Dumonr, I-es présocratirTzles. Bibliothèque clc l:r
Irliiacic. Paris. aO Édiriolrs cÂLLIt\,LdRD, 1989.
"1
L
L'ÉtrRcrNcr DE r RATroNnurÉ rN GnÈcr

P"'
:L 0
41
(î:: ^--"q

Par ailleurs, aucun dieu n'est tout-puissant. Il y en a bien un, Zeus, le plus puis
sant, qü peut imposer sa loi aux autres, mais s'il réussit à le faire, c'est le plus sou-
vent grâce à des stratagèmes, à des ruses où il s'allie à tel autre dieu plus rusé, plus
doué dans tel ou tel domaine. Pas plus qu'un de ces dieux ne représente à lui seul
toute la force et la puissance, aucun î'est pafiaitement bon, parfaitement iuste, par-
faitement raisonnable. En fait, ces dieux diffèrent des humains surtout par leur
immortalité et le caractère grandiose de tout ce qu'ils font. Pour le reste, ils ont tous
les défauts et les qualités des humains.

Les Hellènes de la Grèce ancienne ont tout autaît le respect du sacré que leurs
voisins babyloniens et égyptiens. Pour eux, le surnaturel est présent dans toute la
nature, dans toutes les actions humaines, les plus quotidiennes et celles qui sortent
de l'ordinaire. La foudre est lancée par Zeus, les profondeurs mystérieuses et
menaçantes de Ia mer sont le domaine de Poséidon, le grondement des volcans et
les tremblements de terre sont l'æuvre d'Hadès, dont le domaine se situe à l'in-
térieur de la galette terrestre. Le foyer et la famille sont protégés par Hestia, qui a
son petit autel dans chaque maison qui en a les moyens. Que le blé pousse bien, ou

Édifiés au cours du
-Ve siècle, les temples de
I'Acropole célébraient la
gloire d'Athènes. Les
divinités qui y étaient
honorées avaient, selon le
mythe, joué un rôle dans
l'établissement de la cité
et garantissaient le main-
tien de sa puissance. En se
promenant sur l'Acropole,
c'est l'histoire de son peu-
ple que le citoyen contem-
ple. En faisant acte de
piété envers les dieux,
c'est à sa collectivité qu'il
porte respect.
à
,-\* t
v-l\ !A
Cuarrnr 2
42 \(
Ç
t='--.t

que la récolte soit mauvaise, on le doit à Déméter. Les femmes mariées ont leur
divine protectrice en Héra, épouse de Zeus. Les champs sont parsemés de petits
tumulus de pierres qui symbolisent Ia présence de la divinité et implorent sa protec-
tion. En plus des dieux, il y a des demi-dieux (enfants de dieux et d'humains) et des
héros, humains légendaires l,u leurs qualités exceptionnelles, qui ne sont pas
immortels, mais qui ont une communication étroite avec les dieux12.

La présence des dieux et des héros est aussi visible dans la vie des cités. La pre-
mière divinité que l'on remarque est sans doute la divinité poliade, le dieu ou la
déesse à qui la ville doit sa naissance ou tollt simplement sa puissance et sa
prospérité ; c'est le cas d'Athéna pour Athènes. Cette divinité a évidemment un
temple majeur et de nombreuses statues. Elle a une importance spéciale, mais elle
n'est pas la seule à incarner les qualités pafticulières de la cité et son histoire : ainsi,
l'Érechthéion d'Athènes abrite bien sûr le culte cle la déesse Athéna, mais aussi celui
du héros Érechthée, roi légendaire d'Athènes, celui de Cécrops, premier roi
d'Athènes selon la légende, et celui d'autres héros athéniens. Chaque cité a ainsi un
certain nombre d'édifices consacrés à son histoire. Cela va de pair avec un certain
nombre d'activités religieuses publiques, de grandes fêtes rituelles inscrites sur le
calendrier qui reviennent chaque année et qui durent parfois plusieurs jours, des
sacrifices rituels qui saluent un événement politique particulier, le départ d'une
expédition guerrière par exemple, ou tout simplement l'ouverture de l'Assemblée.

En résumé, les dieux grecs sont plus humains qlre ceux de leurs voisins et ils
sont partout, dans toute la nature et dans tous les moments de la vie . Entre les
Grecs et leurs dieux, il y a presque une fraternité.

Une tradition populaire plutôt qu'un système de croyances dogmatique


Pour se faire une idée juste de l'attitude des Grecs face à leur mythologie, il faut se
rappeler que cette mythologie a été élaborée par des aèdes*, c'est-à-dire par des
poètes et non par des prêtres, des saints et des prophètes comme dans les grandes
religions monothéistes. Ces aèdes ne se référaient pas à une version officielle des
croyances, inscrite dans des livres sacrés et autour de laquelle ils auraient brodé
leur version plus personnelle. Nous possédons, certes, des textes qui racontent les
exploits des dieux et des héros de la Grèce antique, mais ils ont été écrits une fois
la mythologie constituée. Les croyances que les Grecs entretenaient sur leurs dieux
et sur leurs rôles dans l'univers et dans la vie humaine ont été élaboftes à une
époque où ils ne possédaient aucun système d'écriture et elles ont été transmises
oralemeflt. Cela fait de leurs mlthes quelque chose d'assez dfiférent des dogmes
chrétiens (ou juifs, ou musulmans), qui se réfèrent toujours au bout du compte à un
livre sacré censé rapporter la parole de Dieu, cornme la Bible chez les chrétiens.
Les Grecs, elrx, n'ont pas de dogmes. Il faut plutôt se représenter leurs croyances
comme des histoires racontées par toLlt le monde u clepuis touiours » et qLli tirent
leur crédibilité clu poids de cette tradition. On y croit parce que tout le monde y
croit, parce que tout le monde semble y avoir touiours cru.

12. Àinsi, dansL'Iliade d'Homère, Achille est protégé par la déesse Athéna qui lui prodigue ses con-
seils. Ulysse, au cours de sa longue odyssée, rencofltre de nombreuses divinités bienveillantes
comme malveillantes.
à
§\ ï
L'ÉÀaERcENcr DE t RATroNArrrÉ, EN GRÈcE )à\o !(
r\ 0
4s
t:îJl

Le rôle de l'aède est primordial dans


cette civilisation orale , mais il n'agit pas La mythologie écrite
seul. Quand, dans un village, il récite les
histoires des dieux et des héros qui En fait, les mythes grecs ont été écrits à partir d'une certaine époque
yiyaient << avartt les temps présents ,, il et c'est principalement grâce à ces écrits que nous pouvons les con-
naître.
s'adresse à un auditoire qui connaît déjà
l'histoire qu'il va raconter. C'est tou- Les plus connus de ces textes sont certainement L'lliade et
jours la même histoire qu'il raconte et L'Odyssée, qu'on attribue à Homère. lls décrivent la guerre de Troie,
les prouesses d'Achille, les aventures d'Ulysse, etc. Ces deux grands
c'est touiours la même histoire que son
poèmes sont la transcription de ce que les aèdes racontaient orale-
auditoire lui demande. Et pourtant, au fil ment depuis au moins un siècle.
des soirées, au fil des générations, l'his-
toire se modifie ; elle se crée. En effet, Quant à Hésiode, l'autre grand poète à qui nous devons une bonne
partie de notre connaissance de la mythologie des anciens Grecs, il a
l'aède allongera telle aventure qui inté-
écrit [a théogonie, récit mythologique racontant les actions des dieux
resse particulièrement le village, il enjo-
depuis le début des temps. Ce poème est déjà une rationalisation des
liyera tel détail qui plaît etle répétera récits véhiculés par les aèdes; Hésiode ne fait pas que transmettre les
ensuite, etc. Il ne faut pas s'imaginer, mythes traditionnels, il les organise en un système cohérent et original.
cependant, que cette création collectiye
De toute façon, même lorsqu'ils furent rédigés, et mis en ordre
se fait dans une fantaisie gratuite, car,
dans le cas du poème d'Hésiode, jamais les Grecs n'ont considéré ces
étant donné que les modifications ne écrits autrement que comme des interprétations poétiques (et non pas
s'opèrent et suftout ne sont consefvées doctrinales) de la tradition.
que si l'auditoire les accepte, le mythe
Une dernière remarque importante : ces écrits ne furent jamais
ne retient finalement que ce qui est confisqués et mis au service d'un pouvoir absolu comme dans les
impoftant pour le groupe. C'est donc royaumes voisins. Tout cela permet de mieux comprendre comment les
dans cette sorte de dialogue entre les Grecs pouvaient respecter et craindre leurs dieux et les invoquer dans
aèdes et les auditoires que l'histoire s'in- tous les moments importants, et en même temps jouir d'une liberté
Yente, que le mythe se crée. intérieure exceptionnelle pour l'époque.

Dans un tel scénario, i n'y a pas d'auteur à proprement paier, sauf le peuple lü-
même. Mais cet auteur est inconscient de son actiorr créatrice. En effet, puisqu'il
n'y a pas de texte auquel on pouffait comparer les différentes versions, les gens
n'ont iamais l'impression d'inventer les histoires que l'aède leur raconte, ils n'ont
même pas conscience de transformer l'histoire, alofs que c'est pourtant bien ce qui
se passe. C'est en ce sens qu'on dira de la mlthologie grecque qu'elle est une « tra-
dition populaire élaborée par les aèdes », ce qui pourrait s'appliquer en fait aux
mythes de toutes les sociétés sans écriture.

C'est ce trait qui permet de comprendre pourquoi les mlthes revêtent une si
grande importance pour les peuples qui les racontent et pourquoi ils ont toujours
une profonde signification, même pour les observateurs étrangers. C'est que,
comme l'écrit un spécialiste de la Grèce ancienne , « les paroles transmises et les
récits connus de tous sont fondés sur l'écoute pafiagée; ils ne retiennent, ils ne
peuvent retenir que des pensées essentielles, ironiques ou grarres, mais toujours
façonnées par l'atiention prolongée d'un groupe humain, rendu homogène et
coflrme présent à soi-même parlamémoire des générations confonduesl3 ».

13. trIarcel Detienne. L'inuention de lct nt.1'tltologze. Paris, Gallifirarcl, 1987, p. 86.
t:
Lr.
î
Criarrrnr 2
44
4a
(-a' *a

Qu'est-ce qu'un mythe ? ne est le plus souyent surnaturelle :


Qu'est-ce que la pensée ce sont les sentiments et les actions
mythique ? des divinités qui, à l'origine, ont fait
qu'il y a maintenant un monde, des
LJn ethnologue contemporain, Mircea animaux et des hllmains, des hommes
Eliade*, cléfinit ainsi le rnlthe : « [...] le et des femmes, que les humains sont
m1,the raconte comtnent, grâce aux sujets aux maladies et à la mort, etc. Il
exploits cles Êtres sllrnaturels, Llne a fallu des Êtres supérieurs à tout ce
réalité est velllle à l'existencell,. que l'on connaît pour créer de tels
phénomènes. Et comme ces Êtres sur-
Ainsi, les mythes sont des rêcits :
naturels non seulement sont à 1'ori-
ils ne démontrent pas quelque chose,
gine des réalités qui fâçonnent la vie
ils racontent cles ér,énements. D'ail-
des humains, mais continuent à en
lenrs. tant que le m1.the est vivant, per-
être les maîtres par la suite, il est
sonne ne demancle de preuves. Le
logique qu'on veuille s'assurer leurs
mythc est transmis comme une vérité
fàveurs en institllant des rituels par
évidente, qu'on n'interroge pas parce
lesquels on leur rendra hommage et
que, d'une part, tolls les membres du
on implorera leur clémence. Ces céré-
groupe croient la même chose et qu'on
a commencé à y croire en écoutant et
monies et ces prières seront des
moyens pour les humains cl'agir sur la
en observ-ant les alltres depuis le plus
bas âge et qlle, d'autre part, le ques-
ftalité souvent menaçante qui les
entoufe.
tionllerment est inutile puisque la
« pfeLlve » est là. devant tolls, c'est la
Mythe et rationalité
réalité elle-même : « [...] le m]rhe cos-
nrogonique", écrit Eliacle, est " vrai " On ne peut plus, aujourd'hr.ri, consi-
parce qlre I'existence clu moncle est là dérer les mythes comme la pure
pour le prouver , le m1.the cle l'origine expression cle f irrationalité. Les eth-
cle ia mort est également " vrai " parce nologues contemporains nous ont
que Ia rrortdité cle l'homme le prouve, montré que le m).the est une forme de
et ainsi cle suite ,. pensée universelle. Certains arrivent
même à démontrer que la pensée
Le mythe est donc un récit non mythique participe de la même lo-
clémonstratif comme d' autres formes gique que la science et la philosophie,
de cliscours, mais il se distingue des mais même pour eux il subsiste une
contes et cles légendes (du théâtre et différence importante : celle-ci tient à
ch,r cinéma, dirions-nous aujourcl'hui) ce que la pensée sauvage raisorrne cn
en ce qu'il raconte La \rérité sur des s'appuyant sur le concret et le sensi-
réalités importantes pour le groupe. ble, alors que Ia rationalité dévelop-
t,es récits mythiques ont Lrne autre pée à partir des Grecs se situe
particularité : beaucoup d'entre eux, d'emblée sur le plan de l'intelligible et
parmi les plus caractéristiques, sollt de l'âbstraitr5.
des mythes d'origine. Ils racontent
comment telle chose s'est produite Cette différence n'existe pas seule-
« pollr la première fbis ». Et cette origi- ment entre les « primitifs , et les u civi-

1,i. \lircea lllia(jc. .1.ÿecls du mythe. Paris, Gallimarcl. " Idées NRF,. 196J, p. 1 5.
I5. Voir Claucle Lér'i Stmuss, I.dpel?sée sauuage, Paris, Pfesses l,ockct. 1990, chap. I ct p. 119--120.
B;:.
par.- I
§'i:-l
-:
1 !]:
L'ÉulRcrNcr DE LA RATroNeurÉ. rN GnÈcE §:t-l'ü( ", j
§1;
ffi\ ,i;
fi

lisés ,, elle existe en chacun de nous. la créativité et même l'irrationalité.


Comment la penser et comment la la mise de foucls irrationnelle sans les-
vivre ? Devant cette question ouverte, quelles aucLlne raison ne clevienclrait
sans doute devons-nous nous limiter ici critique faute cle données à criticluer. ,
à indiquer cles pistes de réflexion. On
peut d'abord considérer que, peu Quoi qu'il en soit cle toutes 1rs
importe la lumière apportée par la interprétations qlr'on cn clonne, la
parole cle Salluste traduira toujours
rationalité, le mlthe représente la part
d'irrationnei indispensable pour don- une dimension importante clu phé'
nomène mythique, scln universalité.
ner un sens à la vie. C'est en quelque
I-'historien romain écrivait : « f .."1 les
solte ce qu'écrit Henri Duméry : « C'est
m_ythes racontent cles choses qr.ri ne
en effet le mlthe qui instaure les
sc sorlt jatnuis protlrritcs rtt;tis qrri s()nl
valeurs, qui les nolurit, qui les protège,
tor.rjours vraies ,.
qui les propage. C'est lui qui commu-
nique la vie, lui qui apporte l'énergie,

Une religion civique


[Jne religion s'appuie snr cles cro\.ances, mais elle s'incarne aussi clans cles pra-
tiques, des cultes, cles rituels. Sous cet aspect, l'atmosphère religieusc clans laquellc
baignent les philosophes g;recs est radicalernent cliflérente cle celle qu'on pellt
obsener clans les sociétés contemporaines inclustrialisées. Pour simplilier, on pour-
rait clire que la société grecclue est à la fois beaucoup plus religieuse que la nôtre et
Lrealrcoup plus maîtresse qlle nous de sa religion.

Nous somtnes habitr.rés, depuis quelques décennies au Québec, à séparer: les


aflâires cle 1'État cle celles cle I'Église. Les affaires de l'État concernellt tous lcs
citovens, cluelle que soit leur fcri. La religion, elle, est considérée c()mme r"u-re aflaire
pers«rnnelle, privée. El1e est laissée à la conscience c1e chacun. I-es ér,êclnes peuvent
bien se prononcer de temps à autre sLrr une question sociale ou morale, comme les
inégalités sociales olr I'avortement, on accorclera plus ou nroil.rs cl'attention .i leur
opinion selon les circonstances, mais on ne reconnaît pas à la religion Ie clroit de
décicler des orientations cle la société. Et à l'inverse, il ne vienclrait pas à I'esplit cles
c1éputés cle clicter aux Églises leurs dogmes et leurs rituels. Nous vivons dans un Etlt
laiqueu.

Rien c1e tel clans les cités grecqlles de I'Antiquité. Toute la vie sociale y sen.rble
imprégnée cle religion. Ainsi que nclus l'avons c1éjà mentionné, tous les actes pu-
blics cle cluelclue importance sont soulignés par des sacrifices et des rituels. Les
grancles fêtes sont cles fêtes religieuses. On cr«rit communément que la cité a été
fonclée grâce à une clivinité particulière, clue celle-ci continlre à la protéger. et on
I'honore clonc en conséquence, solennellement et régulièrement.

Pourtant, au sein de cette religiosité « galopante », l'homme grec semble plus


libre à bien des égards que les hommes et les femmes d'aujourd'hui. D'abord, cette
religion n'est pas personnelle. La prière individuelle entendue comme un
À
!
46
F.
d
CrmrrrnE 2

t:^.;::A

dialogue intérieur entre le croyant et son dieu est inconnue des Grecs. La religion
s'adresse à chaque individu non pas en tant qu'individu, mais en tant que citoyen
de la polis, en tant que membre de telle famille, en tant qu'homme ou femme,
jeune ou adulte, c'est-à-dire en tant que pefsonne ayant un statut social. Cette reli-
gion s'intéresse si peu aux préoccupations personnelles qu'elle ne senttua iamais la
nécessité de s'interroger profondément sur ce qui arive après la mort, sur la nature
de l'âme16, etc., questions qui pour nous sont une partie essentielle de l'intérêt
religieux.

Ensuite, il n'y a pas à proprement pader de pouvoir religieux qui se situe


au-dessus de la collectivité. C'est touiours en tant que membre de la collectivité
que le Grec participe àlavie religieuse. Et c'est la collectiyité elle-même qui dirige la
yiç lsligieuse. Comme l'écritJean-Pierre Vernant :

C'est l'assemblée du peuple qui a la haute main sur l'économie des biera, des
choses sacrées, des affaires des dieux, comme sur celle des hommes. Elle fixe
les calendriers religieux, édicte des lois sacrées, décide de l'organisation des
fêtes, du règlement des sanctuaires, des sacrifices à accomplir, des dieux nou-
veaux à accueillir et des honneurs qui leur sont dus.

Si on ajoute à cette énumération des pouvoirs de l'Assemblée Ie fait que les


prêtres ne sont pas des personnes consacrées mais des magistrats, donc de simples
citoyens qui exercent cette fonction de manière temporaire, et que tous les
citoyens qui remplissent leurs devoirs civiques peuvent être appelés à remplir cette
fonction à tour de rôle, on peut imaginer le sentiment de liberté que les Grecs, tout
en respectant les dieux et les choses sacrées, pouvaient éprouver faceà leur vie
religieuse . En tant que citoyens en effet, ils participent tous également et pleine-
ment aux décisions la concernant.

16. Les Clrecs se contefltent cle perpétuer [a cro_vance qu ils a\.aient déià à l'épocpre cl l{omère. Les inn-
tômes des morts vivent une existence d'ombres sous terfe . Aucune notion de r'écompense ou cle
pUniIi(rr't n esl rts:ocicc I cc \(ioUr \uUtcrrâin.
<3:\
T
là\. Crmprnr 2
32 -r-
\(
0
t3:-'vq

Une innovation exceptionnelle


La pensée fationnelle, la rutionalité*, est la forme de pen-
Attention ! sée qui est à l'æuyre dans la science et la philosophie
telles que nous les connaissons aujourd'hui. Elle a impré-
Les mots « rationalité », « rationnel » et « raison*»
gné nos manièfes de vivre et de sentif, nos religions do-
ont plusieurs sens. lls peuvent faire référence à la
faculté de penser; ou à ce qui apparaît « raison- minantes, nos façons de voir le monde, de nous juger
nable ou « normal »; ou à la justesse d'un juge-
» nous-mêmes et de iuger les autfes, c'est-à-dire les cultures
ment (« il a raison »); ou à la connaissance qui qui ne yoient pas et ne font pas les choses comme nous.
s'appuie sur le raisonnement et l'expérience (plutôt Cette forme de pensée a été inventée par les Grecs au
que sur la révélation et la foi). C'est ce dernier sens VI" siècle avant notre ère. Or sa naissance a quelque
qui, sauf indication contraire, est utilisé ici. Autre-
chose d'unique et d'étonîaît,à tel point qu'on a pafléà
ment dit, nous parlons dans le présent chapitre de
la rationalité occidentale et non de la raison tout son suiet de « miracle grec ». Unique car aucune culture
court que, bien sûr, tous les humains possèdent et en dehors de la sphère d'influence grecque ne dévelop-
qui est à l'æuvre dans les arts, le mythe, etc. pera cette espèce de pensée. Phénomène étonnant aussi
Lorsqu'on affirme que la forme de pensée inau- car, à première l,ue, rien ne destinait ce petit peuple à la
gurée par les Grecs est rationnelle, cela ne signifie frontière de l'Europe et de l'Asie à engendrer un instru-
pas que les autres formes de pensée appartenant à
notre culture ou à d'autres cultures ne sont pas de
ment qui se révélerait aussi puissant. Mais aussi unique et
la pensée ou sont déraisonnables. étonnant soit-il, l'événement n'est pas miraculeuxl et a
reçu des explications.

)nrrrn es Eqvptiens ?

Au VI. siècle avant notre ère, à l'époque où Thalès de Milet, Anaximandre2, Aîaxi-
mène* et Héraclite* se mettent à penser « à notre façon », il existe ailleurs sur la
planète plusieurs ciyilisations florissantes, plus anciennes que la grecque, plus puis-
santes, et plus savantes. Que ce soit sur le plan des techniques (bronze et fer, agfï
culture et irrigation, architecture, etc.) ou des connaissances plus abstraites
(écriture, arithmétique, observation du ciel, etc.), c€s civilisations ont des traditions
plus longues et plus sayantes que celle des Grecs. Or, en moins de deux siècles, les
Grecs effaceront cet écart et même lorsque leur puissance politique et firilitaire sera
yaincue par les Romains, leur culture sera en grande partie reprise par ceux-ci, et
plus tard par l'Europe chrétienne. Même les philosophes et les scientifiques appaf-
tenant à la civilisation islamique se nourifont de la culture de ce petit peuple.

Commellt celir se fait-il i' C'est dans Lur examen comparatif de ces autres civilisa-
tions ert cle la civilisation grecqlle qlre nous trouverons des explications à cette nais-
sance « miraculeuse ,.

l. Dans son Llsage le plus général. Ie mot . llliraclc , clésigne un phénomène qui déroge aux lois de la
nllturc ct clni cst donc inexplicable.
2. 'l'halès et Annximauclrc scront étucliés au chapitre J.

*
L'Éurncrrucr DE LA RATIoNÀLITÉ EN GRÈcE
33

(â^

]
,r
PÉN NSULE IBÉRIOUE

ASIE
Troie MINEUHE !
ONE
§

. i.i

cRÈrE

Le monde méditerranéen

Les civilisati«)ns avec lescluelles les Grecs ont eu le plus cle contacts sont ccllcs cle
Ilab-vlone et cle 1'Égypter. Ce sont des civilisations très ar.ancées clui clcmer-treront
cl'ailleurs longtemps ponr les Grecs cles images de sagesse et de savoir. C'est dans la
plaine du Tigre et cle l'Euphrate où est constmite la ville cle Ballylonc qLl ()11 rrôu\-e
les plus anciens vesti1aes de l'agricultllre coûnlls ii ce jour. Comme clans les ii_Lltrcs
civilisations agricoles, on 1, observe le ciel cle façon méthocliclue afin cl'étabtir cles
calenclriers et cle préclire les événements (astronomie et astrologie). La gestiolr rles
ro).ellmes et des empires fortement centralisés clui s'1, sont succéclé a itlcité à
développer l'écriture et l'arithmétiqlle. On a allssi cléveloppé toLltcs les connais-
sances techniques nécessaires à l'existence et à l'administration de grancis tcrri-
toires cultivés et de grancles villes. Certains souverains ont senti le bcsoin iie
consigner les lois par écrit (code de Hammurabi"', Ie plus ancien que l'on ct{)n-
naisse). Les rnages* bab,vloniens, à la fbis astronomes et astrologues, soltt consiclÉ'rés
comme les meillenrs observateurs du ciel de l'Anticluité (ils arrivent à prédirc cles
éclipses) et comnte cle grands sages. La visite cle ces sages
églptiens - coû1me cles prêtrcs
f-era d'ailleurs pafiie de la formation de plusieurs phil«tsopl'res grccs.
-
On constate le même avancelnent cles connaissances en Ég-_vpte. C'est cl aillcr,lr-c
de cet empire que provient le plus ancien calenclrier solaire connu. Cepcndant, n:al-
gré leurs nombreuses connrrissances, ces seges ne clér,elopperont ni lrne véritatrle
science ni une philosophie. On peut clire c1u'ils sont certainement cles savants, rnais
pas cles scientiliques . ou ellcore qu'ils ne comprennent pas ce c1u'ils clbservcnt.

3. D'elltres ci\.ilisatiotls plus ékrigr.récs de la Grèce sont aussi très ar.ancées. Les rives clu tlcuvr-faune en
Chine sont cultivécs clepuis le III. millénaire avant notre ère. L'Inclus. au lorcl de l'Incle. ir lussi
accueilli nne grenclc cir.ilisation encorc mal conllue. La civilisation chinoise r.nérite sals doulc
cpelclues renlafqucs. El1e procluit ses premiers philosophes à la rnêr'ne éltoque que la Grècc l)r(.'{!uit
1es siefrs ((bnfilcius. r. , 555 - t',- 119; l,ao-tseu, \.. - 570 - - 1.)O:). El]e suivr:r ccpcûcllrnt ur( oririn-
tation ffès tlilIérentc.
à

s4
N, Cnnprnr 2

s
\0

Ces civilisations ollt qllelqlles traits en commun qui les distinguent de la civilisaticln
grecqlle. Cle sontd'abord de grands empires d«rnt l'administration est très centra-
lisée. fln souverain entolrré d'une classe d'aristocrates et de prêtres peu nombreux
règne sur la multitude de paysans qui les nourrissent. ToLltes les clécisions viennent
de ce centre uniqlle. Le souverain n'a de comptes à rendre qu'eLrx dieux, et parlbis
il est lui-rnêrne dieu. Ce pouvoir absolu et arbitraire du roi ou de l'empereur
s'exerce évidemment clans les domaines économique, militaire et politique, mais iI
dicte aussi son orientation au développement des connaissances. De la même
manière qu'on s'accorcle pour reconnaître que l'invention et le développement de
l'écriture et du calcul sont ettribLlables aux besoins administratifs de ces grands
empires, il far,rt voir que l'étude cle la nature (et cl'aborcl du ciel) et la réflexion
morale
- tolltes cleux du ressort des prêtres - seniront d'abord les besoins des
souverains. Dans ces régirnes alltocratiques"', il n'v a pas c1'espace pollr développer
Iibrement des connaissances hors du service clirect du ponvoir, il n'y a pas de li-
hcrtc clc penice.

Les croyances mlthiques ne fayorisent pas non plus le développement des con-
naissances. Les astres que les mages obseryent a\/ec tant d'attention sont considérés
comme des êtres divins. En observant les déplacements de la Lune et des planètes,
les mages ne se posent jamais la question de savoir quelles lois régissent leurs mou-
yements. Ils ne se demandent même jamais: « De quoi, de quelle matière ces astres
sont-ils constitués ? », puisque par définition les dieux sont d'un€ autre nature et
n'obéissent pas aux mêmes lois que les plantes, les animaux, les humains et les élé-
ments de la nature en général. Ils ne cherchent donc pas à comprendre le fonction-
nement des astfes, mais ils essaient de deyiner ce que leurs mouvements peuvent
révéler des intentions divines. Puisque les astres sont des dieux, Ieurs mouyements
doiyent avoir une influence sur la nature et les humains, et si on les interprète cor-
fectement, on pourra prédire l'avenir ! En un mot, les mages babyloniens et les
prêtres égyptiens sont des astrologues plutôt que des astronomes.
Astronomes
Les astronom'es sont des Mais ce type de croyances est la règle à l'époque et Ies Grecs n'y font pas excep-
scientifiques spécia lisés dans tion. Cependant, daîs les empires babylonien et égyptien, il existe des castes sacer-
l'étude des astres et de la
structure de I'univers, alors dotales qui ont fait de ces mythes des dogmes dans des religions tout entières vouées
au service du pouvoir royal. Ces prêtres jouissent d'un grand pouvoir
que les astrologues sont des
devins prétendant connaître
- si grand
qu'ils amivent parfois à détrôner un roi et à le remplacer par un autre de leur choix.
l'influence des astres sur les Ils préservent jalousement ce pouvoir, et cofllme celui-ci est fondé en grande partie
humains et prédire l'avenir.
sur lerrr réputation de devins, ils gardent secrètes les connaissances qu'ils possèdent
et les réservent aux setrls initiés. Jamais en Égypte et à Babylone on n'aura le souci de
di.ffuser les connaissances, et encore moins celui de les discuter publiquement.

Ainsi, le commun des mortels est maintenu dans l'ignorance par l'obéissance
aveugle due au souverain, de même que par le respect et la peur du sacré. Dans ces
régimes où les connaissances se développent en cercle clos parmi un tfès petit
nombfe de privilégiés et en lien étroit avec le pouvoir politique, tout se conjugue
pour étouffer le moindre germe d'esprit critique.

Vous aimerez peut-être aussi