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HISToIRE ClvtLISATIoN
. Prestige de Syracuse qui défend les . Sophocle (-495 - -406) l'emporre sur
Grecs de Grande-Grèce (Sicile, Italie) Eschyle au concours de tragédie en -468.
contre f invasion des Carthaginois et des Ses tragédies posent le problème de Ia
Étrusques (batailles d'Himère en -480 et responsabilité inclividuelle et ne recon-
de Cumes en -474). naissent pas aux dieux Ia prépondérance
comme Ie fait Eschyle. Les mobiles psy-
chologiques et non la fatalité détermi-
nent 1e destin. On lui doit Antigone,
G.dipe roi, (Edipe à Colone.Il prend part à
des expéditions militaires. Il entretient
des liens avec Péric1ès, Phidias, Héro-
dote.
.Construction du temple de Zeus à
Olympie (v.-468- -456).
Socrate dit avoir herité de sa mère l'art Apollon aurait assigné pour tâche à
d'accoucher, non des corps, mais des Socrate de vivre en philosophant, soit en
esprits (ia maieutique). 11 suit Les ensei- s'analysant lui-mêrne et en analysant les
gnements d'Anaxagore et des sophistes. autres. Son enseignemenl met à l'épreuve
11 discute dans les rues, aux Éiymnases et les propos qui lui sont tenus. Il oblige
dans ies banquets, toujours alfublé du ainsi I'interlocuteur à quitter sa fausse
même manteau et pieds nus. Il contraste tranquillité. Sa sagesse est de reconnaître
ainsi avec 1es sophistes richen'rent vêtus. qu'i1 ne sait rien et que 1'on peut atteinclre
Citoyen d'une laicleur légendaire, sans 1e bien par un cheminement intérieur
histoire et sans reprocl-re . il participe guidé par la raison.
comme hoplite aux guerres et obéit aux Nul ne fait le mal volontairement.
1ois. Anytos, Mé1étos er Lykon 1'accusent
de corrompre 1a jeunesse et d'introduire Connais-toi toi-même.
de nouveaux dieux dans 1a cité. Con- Tout ce quc je sais, c'esl que je ne sais
damné, il meurt en buvirnt [a cigué, re[u- rien.
sant de s'enfuir par respect des lois.
HISToIRE CIVILISATIoN
6. Le mot tribut signifie « ce que doit paycr une cite vaincuc au lainqueLrr ..
152 CnrroN op PlaroN
HISToIRE CrvrllsATroN
. Naissance de Xénophon.
HrstolRr CIVILISATIoN
-42L: ':r :' , (n".,.rl de Périciès) -423 : AristLrphane prése nte Les Nuées : il
r.ient au pouvoir conllne chef du parti sry nloqlle de Socrate qu'i1 assirnile aux
démocratique. Athènes reprend les hosti- sophistes. Dans Lc.s Gr.errouilles, qu'il fait
1ités en -419. Elle est défaite à Manrinée jouer en -405. il dépeint l'en'rbarras des
en -418, aiclant en sous-main la coalitior-r Athér-riens devant le personnage cl'Alci-
thébaine centrée autour d'Argos. En biade : Le prenütr point, c'tst de nc pds éle-
-417, e1le massacre et réduit en esclavage ter un lioncearr dans ute cité: mais si on I'a
les habitants de l'i1e de Mi1os, qui refu- élettr jusclu'au. bout, il Jo.ut bien lui passer
sent c1e làire partie de la confédération. .ses htonetrr-s.
En -,115, des cités siciliennes lui deman- . rrrl:".a: .i' (-460--395). historien.
dant son aide, Alcibiade lance une atta-
analyse la guerre du Péloponnèse; il est
que clésastreuse contre Syracuse : la llotte
désigné comme généra1 par 1es Athéniens
athénienne est anéantie et 1es troupes
en -424.
sont massacrées ou réduites en esclavage
en -413. Accusé de sacrilèges à Athènes
o ,,r :i,rr, .:r, de Cos (v.-,160--380) fait
(parodie des mystères et mutilation des de1a rnédecine une discipline méthodi-
statues d'Hermès présentes aux carre- que :Je pe nse que I'epilqsie , appelée aussi
fours), Alcibiade se réfugie à Sparte. Il maladic sd,crée , n'a rkn de plus clivin et
conseille les dirigeants de la ville dans n'e.sü pas plus satt-ée clue lcs autres.
l'aicle à apporter aux Syracusains, soulève . l',r.,, r,, d'Abdère (v.-460--370)
r,.
C}rios et Milet et ménage aux Spartiates fonde une école à Athènes. 11 collectior-rne
des contacts avec la Perse. Sparte reprend maintes obsen ations zoologiqr-res et bota-
la guerre. La résistance c1'Athènes sera niques. Il interprète le monde comme
aidée par Ie retour en grâce d'Alcibiade, étant composé d'atomes qui se combinent
de -'111 à -407, qui sera par 1a suite dans le vide et clont les propriétés de
exi[é consécluemment à une défaite grrrndeur, de lonne et de mouvernent ne
(à Notion). doivent pas être confonclues avec 1es di-
mensions subjectives, te1les ia couleur et
I'odeur. Les dieux eux-mêmes sont des
combinaisons cl'atomes. En mr:rale. il
prône unc vie sans clrarne et I'atteinte du
bonheur par 1a n'rodération cles désirs.
v.-415 : Représerrtation des Tro_ycnnes
d'Euripide.
154 CmroN oe PleroN
HISToIRE CIVILISATIoN
HISTOIRE CNILISATIoN
cr-rlture occident:rle ainsi qLre notre attitr-rde à l'égard cles lois et de 1a jr-rstice..\ec
Socrate, noLls porivons nolls demander si tor-rtes les opinions se valent et si nous
del'ons toujorlrs en tenir compte. Doit-on respecter les lois en tolltes circonstances ?
Qu'est-ce qlre la justice? Comment réagir firce à I'injusrice? Ultiinemerlt. Socrate
nous conr,'ie à réflécl-iir sllr notre responsabilité concernant Le sens cle notre r,ie.
3. L'hoplite dev,rit pa1'er scs proprcs ;rrrncs. C'cst rltnc rlrrt qu'on poLn';rit reconnlîrrr s.l iLlrtun. oLl s()n
stiltLlt soci;11 à la richessc de son arrnement. On perrr en conclLrrc quc Socr:rre étlit au moins assez
fortuné pour sbifrir cles armes.
I
r06 I Chopitre 6
n'ont connu que peu de succès, contre la religion, dont celles des sophistes. C'est dans ce contexte que ceux qui
Anytos éprouvent de I'hostilité à l'égard de Socrate l'accusent d'impiété, d'introduction de
nouvelles divinités et de corruption de Ia jeunesse. Ainsi, en -399, trois personnes
Riche marchand d'Athènes, tanneur
de son état, Anytos est un partisan du
se chargent de cette accusation. Chacune d'entre elles représente une classe:
parti démocratique, dont il est l'un des Nlélétos, les poètes et les écrivains; Ànrtus, les marchands et les artisans; tr-lcon,
représentants les plus influents. ll est les hommes politiques et ceLrx qui ont une position grâce à leur éloquence.
l'un des trois accusateurs de Socrate.
Le procès est relaté dans le texte de son disciple Platon, l'Apologie de Souate.
Lycon Déclaré coupable par un vote serré des 500 personnes élues pour représenter leur
0rateur athénien, l'un des trois communâLrté (l'équivalent de notre Assemblée nationale) (281 voix contre 220),
accusateurs de Socrate. 0n croit puis condamné à mort (368 voix contre 133), Socrate est emprisonné pendant
qu'il est le rédacteur de l'acte près d'un mois avant d'être exécuté. Causé par la tenue d'une fête religieuse, ce
d'accusation contre le philosophe. délai lui permet de s'entretenir avec ses amis. Ceux-ci lui proposent de l'aider à
s'évader, mais Socrate refuse.
Socrtttt. 123
\
pas vrai, quoique j'estime qu'il esr beau de pouvoir éduquer les hommes
cornme le font Corgias de Léonrinoi, Prodicos de Céos er encore Hippias
d'Élis. Tous Les trois, chers concitoyens, parcourent les cités et sonr en
effet capab es d'en convaincre la jeunesse, pour laquelle il esr possible de
25 fréquenter gratuiremenr n'imporre lequei de leurs conciroyens, de délaisser
la fréquentarion de leurs conciroyens pour les fréquenrer, eux, en échange
d'un salaire et en leur donnant en plus des témoignages de reconnaissance.
[ .] Pour ma parr, je me glorifierais er je prendrais de grands airs si je possé-
dais [un rel] savoirl À4ais, voilà, je ne le possède pas, chers Arhéniens
Socrate explique en quoi lbpinion publique athénienne s'en est tenue à la cari-
cature dAristophane. Cependant, il est impossible que cette représentation soit
vraie puisque, contrairement à I'idée reçue, il ne possède pas de savoirparticu-
lier. Socrate souhaite ardemment apprendre quelque chose, c'est la raison pour
laquelle son enseignement ne doitpas être confondu avec celui des sophistes ou
des autres savants. Comme il l'expiique à ses juges, il souffre du fait que Ie savoir,
la chose la plus précieuse à ses yeux, lui fasse défaut. Son ignorance le condamne
à être dans le rôle de l'élève. II rejette donc l'accusation d'être un sophiste
parce que celle-ci suppose qu'il aurait enseigné une théorie ou une science.
Nous allons voir en quoi Socrate, mêrne s'i1 ne possédait aucun savoir, n'en
défendait pas moins une philosophie au sens plein du terme. Cette pl-riloso-
phie est fondée sur Ia reconnaissance de l'ignorarzce. premièrement, Socrate
na pas honte de reconnaître qu'il est igr.rorant, contrairernent aux sophistes
et à d'autres personnages dAthènes. Deuxièmement, il tire une sagesse de
cette ignorance.
Pourtant, un important témoignage va à l'encontre de ce que dit Socrate.
Il vient de la Pythie de Delphes, une prêtresse dont les paroles énigmatiques
étaient réputées venir du dieu Apollon lui-même. Cette dernière affirme que
Socrate est le plus savant des Athéniens.
I
est cette mise en accusation ? D'où viennent ces calomnies dirigées contre
124 CHAPITRE IV
s nen fait qui soit différent de ce que font la plupart des gens. Dis-nous donc
quelque chose à ce sujet, afrn que l'on ne te juge pas sans connaissance
de cause. , À mes yeux, quiconque parlerait ainsr tiendrair un discours
empreint de lustice, et je tenterai de vous expliquer ce qui est arrivé pour
que l'on m'atrribue cette réputation et que l'on me calomnie. Écoutez-moi
1o bien. Certains d'entre vous auront peut-être l'impression que ie plaisante.
Cardez pourtant à l'esprit que ie ne vous dirai rien d'autre que la vérité |
Athéniens, ce qui me vaut cette réputation n'est rien d'autre qu'une forme
de savoir. De quel genre de savoir s'agit-il ? ll est possibLe qu'iL s'agisse d'un
savo r propre à l'humain. Oui, de ce savoir, je rrsque fort d'être savant. À als,
1s à moins que je me trompe, il est probable que les hommes dont ie viens de
l'instant possèdent une science qui dépasse l'huma n. En revanche,
parLer à
personnellement, je ne possède pas cette science, et quiconque l'affirme
est un menteur et rapporte des calomnies sur rnon compte [.. ] [N]'alLez
pas penser que mes propos sont prétentieux. En effet, le dtscours qui suit
20 n'est pas de moi, mais ce discours que je rapporte provient d'une personne
digne de foi. Du savoir que je possède, si c'esr bien un savoir, et de la nature
de ce savoiç je vous présente le témo gnage du dieu de DeLphes. Vous savez
sans doute qui est Chéréphon. llétait mon ami depuis l'enfance el l'ami
de la majorité d'entre vous. [...]. Vous connaissez aussi le caractère qu'avait
)s Chéréphon, le zèle avec lequel il poursuivait ce qu'tl entreprenait. Voilà: un
jour, il s'en alla à Delphes et il eut l'audace de demander à l'oracle [...] s'il
se trouvait quelqu'un qui fût plus savant que moi. Et la Pythie lui répondlt
qu'il n'y avait personne de plus savant. Le frère de Chéréphon peut se
Socrate 125
m'interrogeai : « Que veur dire le dieu er quel est le sens caché de ses
s paroles ? ,J'ai bien conscience que je ne suis savanr en rien, que veur-il donc
dire quand il affirme que je suis le plus savant
? ll ne s'agit en rous cas pas
Puis, je me rendis auprès d'un autre qui passair pour êrre encore plus
savant que e précédenr er je consrarai la même chose. Là aussi, je m'arrirai
'inimitié de celui que j'inrerrogeai, de même que ce e de bien d'aurres.
Socrate déflnit donc à quoi tient sa propre sagesse: «Les choses que je ne
sais pas, je ne pense pas les savoir. » Lorsqu'il est en présence d une personne
qui affirme savoir quelque chose, mais qui ne peut en faire la démonstration,
Socrate, en amrmant ne rien savoir, se révèle plus savant que cette personne.
Cette personne est doublement ignorante, car enplus d'ignorer une chose, elle
ignore quelle f ignore.
Cette attitude par rapport au savoir était très combattive. Elle demandait
dâttaquer constamment le savoir des autres pour vérifler chaque fois s'il s'agis-
sait d'un savoir véritable.
126 CHAPITRE IV
On peut imaginer la position de quelquun qui affirme savoir quelque chose
et qui, l'instant d'après, doit avouer le contraire. Socrate le rend honteux d'avoir
ainsi prétendu posséder quelque chose qu'il nâ pas. Cette personne perd la face,
et la honte sera d'autant plus grande si elle doit, en plus, l'admettre devant tous
les gens présents, notamment devant ses amis.
effet, les gens présenrs à nos discussions pensent toulours que je suis savanr
s sur tous les sujets des réfutations que je fais subir à autrui. Le dieu Apollon,
chers juges, risque bren d'être savant, lui, et avec cet oracle, r1 veut peut-être
drre que La science des humains a peu de valeur si elle a une quelconque
valeur. Et Le dieu semble vouloir parler de ce Socrate pour se serv r de mon
nom, comme pour prendre un exemple, comme s'il disa t: « Huma ns, le
10 plus savant d'entre vous esr celui qur, comme Socra[e, a présent à l'esprit
qu'il ne vaut rien, en vériré, à légard de la science, » Voilà ce que je cherche
toujours et encore à savoir au cours de mes pérégrinations, qu'est-ce qu'a
voulu dire le dieu, lorsque je suis en présence d'une personne venue d'icr ou
d'ai leurs qui me semble être savante. Et quand cette personne m'apparaît ne
15 pas être savante, offrani mon aide au dieu, je fais a démonstration qu'elle
ne 1'est pas.
Socrate 127
& §§§§N§§
O Le savoir de Socrate consiste à savoir qu'il ne sait pas.
O Ceux qui croient savoir alors qu'en fait ils ignorent sont en moins bonne
position que Socrate par rapport à la connaissance.
Platon, Ménon,7Le-72b
Parler de la vertu
ÀAénon - À4ais ce n'esr pas difficile fde dire ce qu'esr la verru], Socrare.
Pour commencer, si tu veux connaître la vertu d'un homme, c'est facile. Ce
qu'est la vertu d'un homme, c'esr d'êrre capable de parriciper aux affaires
de la cité et, ce faisant, favoriser ses amis [our en nuisant à ses ennemis,
5 et soi-même évirer d'en pârir. Si en revanche ru veux connaîrre la verru
d'une femme, ce n'est pas difficile à exposer; qu'elle sache bien gérer la
existe une autre vertu, celle des enfanrs, Êlles et garçons, er aussi des gens
128 CHAPITRE TV
âgés, qu'ils soient, si tu veux, des citoyens libres, ou plutôt des esclaves. il
rentes 1es unes des autres, mais plutôt par ce qui les rassemble en expliquant
ce qu'e11es ont en commun.
Socrctte: 129
Il en va de même pour la vertu: il existe de multiples actions vertueuses,
toutes différentes et relatives aux époques et aux cultures. Quand bien même
nous les énumérerions toutes, cela ne nous dira pas davantage ce qu'est la
vertu. Pour cela, il faut pouvoir dire: «La vertu consiste, dans tousles cas, à
faire une action de teltype.» Sans cela, il sera impossible de dire ce qui fait de
certaines actions des actions vertueuses, ni de savoir reconnaître, dans une
situation inattendue, ce qu'il convient de faire pour adopter une attitude ver-
tueuse. Quelques lignes plus loin dans le dialogue, Socrate souligne encore le
ridicule de ia réponse de Ménon en comparant Ia vertu à la santé. Sa déflnition
différerait-e1le pour un homme ou pour une femme, comme s'il existait une
santé qui convienne aux femmes et une autre qui convienne aux hommes ?
13O CHAPITRE 1V
I'on souhaitait alors dire que l'attitude du sage est la réflexion tout court, il
serait tout aussi possible de montrer que toute personne qui réfléchit nest pas
nécessairement sage.
La connaissance doit pouvoir échapper à Ia contradiction: quand Socrate
déduisait des contradictions à partir des définitions qu'on lui offrait, il per-
pétuait une exigence des premiers philosophes à l'égard de la science (voir la
section 2.3,p.59).II est possible de voir dans les aventures de Socrate une série
d'exemples où cette exigence est prise en compte jusque dans ses détails les
plus désagréables. Lenquête socratique avait pour but de fournir une définition
des vertus qui puisse permettre de reconnaître, à tout coup, ce qu'il est bon de
faire. Pour cela, il fallait que ia définition soit irréfutable. Voilà pourquoi l'atti-
tude de Socrate étaitla seule qui soit acceptable: à défaut de savoir ce qu'est
la vertu, il fallait tenter de Ie trouver en testant toutes les définitions possibles.
Platon, Ménon,79e-80b
La torpille
Socrate 131
prononcé de nombreux discours sur a vertu, et ce a devant un grand
nombre d'auditeurs, et ma foi, je m'en suis rrès bien tiré. A4aintenanr, au
contraire, je ne suis absolumenr pas en mesure de dire ce qu'elle esr. Et
toi, tu me sembles avoir raison de ne pas ever 'ancre d'rci et de ne pas
20 partir en voyage, parce que si ru re comporrais ainsi en des endroirs dans
lesquels tu serais un étranger, rrès vire tu te verrais accusé de sorcellerie
Si NIénon croyait au début ne pas être embarrassé par 1a question cle Socrate,
il a maintenant perdu tous ses rnovens. 11 est dans l'impasse. D'abord si sûr cle
lui et certain de savoir ce qu'est la vertu, i1 se voit maintenant confus devant ses
amis. NIénon, ce grand maître du savoir pratique, est contrairrt de reconnaître 1a
132 CHAPITRE IV
15 ne possède pas les réponses aux questions queje pose er qui jerrenr
les autres dans une mpasse, mais c'est en étanr moi-même tout à fait
dépourvu de réponses que je pose ces quesrions auxquelles les autres ne
savent que répondre. Ains, pour mainrenanr en revenir à la vertu, je ne
sais pas ce qu'elle est. En ce qui te concerne, peut-être que, auparavanr, ru
20 le savajs avant de m'avoirtouché; maintenant, cependant, tu ressembles
fort qui n'en sait rien. À4a s je désire tour de même examiner
à quelqu'un
avec toi ce que peut être la vertu et la chercher en ta compàgn e.
Pour que 1a comparaison puisse tenir, il fauclrait clue la torpille soit elie-même
engourdie. Socrate fait rernarquer qu'on ne peut rien lépondre d'intellisent à une
comparaison si elle ne tient pas 1a route. 11 évite avec finesse le reproche qui iui
est adressé. Ce n'est pas, dit-i1, par une intention malveillar-rte qu'il sème le trouble
dans 1'âme de ceux qu'i1 fréquente, mais tout sirnplement parce qdil est 1ui-même
troublé et qu'il cherche, auprès de ceux qui 1ui semblent savants, une réponse arux
cluestions qui le préoccupent.
& C'est parce qu'il est lui-même dans l'impasse que Socrate
embarrasse les autres.
Socrate B?
LOUIS-ANDRÉ DORION: SUR LA PRÉTENDUE
IGNORANCE DE SOCRATE
concerne toujours 1es sujets les plus ouvertement un savoir dans Ie do-
importants, ceux qui ressortissent à rnaine des choses les plus inrportan-
I'éthique. Par exemple, dans les dia- tes. Comment Socrate peut-iI à la
logues consacrés à Ia rechercl-ie c1'une fois se déclarer ignorant et afficher
définition d'une vertu, Socrate se de nornbreuses conna issances rnora-
déclare systématiquerlent ignorant les ? Ainsi, dans le texte mênre où Ia
de cette définition. L objet de son Pythie le proclarne le plus savant des
ignorance est donc identique à ceiui hommes parce qu'ii est le seul à
de l'ignorar-rce qu'il met en lumière reconnaître son ignorance, Socra[e
chez ses interlocuteurs qui s'ima- 1l sait que celui qui corrompt un
ginent à tort qu'i1s connaissent les homme s'expose à subir un tort de ia
sujets les plus importants. [. ..] part de celui qu'il a corroutpu (25 e) ;
21 17 sait qu'il est ma1 et honteux de
Dans cette perspective,la fameuse
commettre l'injustice et de désobéir
ir o nie
s o cr atiquie désigne précisément
à un rreilieur que soi (2g b);31 il
cette manæuvle par iaquelle Socrate,
soutient que Ia vertu rre vient pas des
en simulant f ignorance, s'arroge la
La déclaration d'ignorance soulève richesses, mais que c'est au corrtraire
position de questionneur et incite son
de nombreux problèmes que les de la vertu que viennent la richesse
interlocuteur, qui a f impludence de
commentateurs s'emp1oiel1t encore et tous les autres biens (30 b); al 1l
s'attt'ibuer un savoir, à r'épondle dc la
à résoudre. Ainsi, doit-oir croire considère qu'i1 n'est pas permis
position qu'il se croit en mesure de
Socrate sur parole lorsqu'i1 affirme qu'un homme de valeur éprouve un
justifier. Lironie de Socrate consiste
dans l'Apologie (21 b) qu'i1 n'a dommage de Ia part de celui qui ne
ainsi en une double feinte: non seu-
conscience d'être savant ni peu ni 1evautpas (30 d);5/ il est convaincu
lement il simule f ignorance, mais il
beaucoup ? Car, cnfin, Socrate lre qu'il n'a éte injuste envers personne,
feint égalernerrt de reconnaitre le
sait-il pas qu'il vit à Athènes, qu i1 est de sorte qu'il ne se résout pas à pro-
savoir que son irrtel'loctrteur r Ia pré-
rnarié à Xanthippe et qu'il a rrois poser, en guise de contre-pénalité,
tentjon de posséder. 1... ]
enfants ? Lignolance de Socrate ne une chose qu'il saiL être un rnal
s'étencl donc pas à toutes choses, Plusieurs interpl'ètes r'écents se (37 b)l 6/ il présente comrne une
d'ou la necessité dc detelminer alec refusent cependant à considérer que vérité « qu'aucun mal ne peut tou-
précision son objet. Lorsqu'on passe 1a déclaration d'ignorance est une cher un homrne de bierr ni pendant
en revue 1es nombleux passages oîr feinte. Le défi qu'ils doivent relever sa vie ni après sa mort, et que 1es
Socrate se déclare ignolant, il ressort est de rendre compte des nombreux dieux ne se désiuteressent pas de son
claiterlent que cette ignorance passages oir Socrate revendique sol'r ,,. [. .. ]
.: :
$'I:âr"
-1ti. Louis-Anclrél)orion.Socrrr/c.Paris.PLIF.coll.«QLresais-je.)».n,'899.2011,p.-l-i--5-1.
144 CHAPITRE 3 Socrate
,H:+" Pour conciiier les nombreux connaissance ; [b)] il 1ui an'ir.e par- ignorance; or, pour y parvenir, i1 est
passages oùr Socrate se déclare igno- fois de soutenil qu'iI est irnpossible c1'une certaine façon nécessaire qu'i1
rant avec les passages, rron rnoirrs qu'ii en soit autrement qlle ce qu'il ne revendique aucun savoir. Deuxiè-
. nombreux, où il revendique des affirme (Gorgias 472 d), oL1 encore rreûrent, comlne 1a philosophie est
corrnaissances dar)s le domaine qLre sa position est irréfutable pour essentiellement Llne quête, celle du
moral, les interprètes qui croient en autant qu'elle correspoird à 1a r,érité srvoir'. et que le lait nrerrie de persis-
Ia sincérité de la déclaration d'igno- (c1. Gorgias 473 b, 508 1,; Rép. ter clans cette qllête contribr"re à rendre
rance ont proposé différentes expli- i 335 e), ce qui laisse clairement les honrnres rrreilleurs (Ménon 86 lt-c) ,
cations, dont la principale consiste entendre qu'il est persuadé de déte- la déclaration d'ignorance est Lrn
en une distinction entre deu-x emplois rril unc connaissance ccrtaine et artifice qui renr.oie 1es interlocuteurs
des verbes ( savoil'» et « connaitre »: dcfirritive. et non pas une conrrais- (et les lecteurs) à eux-mêmes et à la
lorsque Socrate prétend qu'il ne sait
rien, il n'emploielait pas le verbe
savoir dans le même sens que lors-
qu'il afÊrrne, par exemple, qu'iI sait
« que commettre f injustice, c'est-
à-dire désobéir à qui vaut mieux
que soi, dieu ou lionrme, est un mal,
une honte ». Le savoir qu il refuse de
s'attribuer est une connaissance
certaine et infai[]ible, alors que [e
savoir qu'il lui arrive d'afficher ne
serait rierr de plus que des connais-
sances non définitives auxquelles il
souscrit provisoirement dairs la
mesure où elles n'ont pas encore ete
réfutées. Autremen L dii, le savoi r que
Socrate expose consiste en dif[é-
rentes propositions soumises à la
discussion et qui n'ont janrais éte
renversées par ses int.erlocuteurs, si
bien quil se croit aulorisé à les sou-
tenir aussi longtemps qu'on ne lui
a pas dérnontré qu'ii a tort de Ieur
ajouter foi. Socrate ne se contledirait
donc pas, puisque ce n'est pas dans
le même sens du verbe (( savoir »
qu il prétend ne rien savoir et qu il
aflirme, par ai[eurs, savoir certaines
choses qui ressortissent à l'éthique.