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150 CnrroN DE PLAToN

HISToIRE ClvtLISATIoN

. Prestige de Syracuse qui défend les . Sophocle (-495 - -406) l'emporre sur
Grecs de Grande-Grèce (Sicile, Italie) Eschyle au concours de tragédie en -468.
contre f invasion des Carthaginois et des Ses tragédies posent le problème de Ia
Étrusques (batailles d'Himère en -480 et responsabilité inclividuelle et ne recon-
de Cumes en -474). naissent pas aux dieux Ia prépondérance
comme Ie fait Eschyle. Les mobiles psy-
chologiques et non la fatalité détermi-
nent 1e destin. On lui doit Antigone,
G.dipe roi, (Edipe à Colone.Il prend part à
des expéditions militaires. Il entretient
des liens avec Péric1ès, Phidias, Héro-
dote.
.Construction du temple de Zeus à
Olympie (v.-468- -456).

-470 ou -469 : Naissance de s()crirtr à Athènes de rnère sage-femme et de père


sculpteur.

Socrate dit avoir herité de sa mère l'art Apollon aurait assigné pour tâche à
d'accoucher, non des corps, mais des Socrate de vivre en philosophant, soit en
esprits (ia maieutique). 11 suit Les ensei- s'analysant lui-mêrne et en analysant les
gnements d'Anaxagore et des sophistes. autres. Son enseignemenl met à l'épreuve
11 discute dans les rues, aux Éiymnases et les propos qui lui sont tenus. Il oblige
dans ies banquets, toujours alfublé du ainsi I'interlocuteur à quitter sa fausse
même manteau et pieds nus. Il contraste tranquillité. Sa sagesse est de reconnaître
ainsi avec 1es sophistes richen'rent vêtus. qu'i1 ne sait rien et que 1'on peut atteinclre
Citoyen d'une laicleur légendaire, sans 1e bien par un cheminement intérieur
histoire et sans reprocl-re . il participe guidé par la raison.
comme hoplite aux guerres et obéit aux Nul ne fait le mal volontairement.
1ois. Anytos, Mé1étos er Lykon 1'accusent
de corrompre 1a jeunesse et d'introduire Connais-toi toi-même.
de nouveaux dieux dans 1a cité. Con- Tout ce quc je sais, c'esl que je ne sais
damné, il meurt en buvirnt [a cigué, re[u- rien.
sant de s'enfuir par respect des lois.

-464 : Révolte des hilotes (dépendants) à mi -v"s. : « Nour.elle physique » : il n'y a


Sparte. ni naissance ni translormation; rien ne
vient de rien; il n'y a que des cornbinai-
-463 : Réforme démocratique d'Éphialte
sons de particules spécifiques.
à Athènes, assassine la même annee par
des aristocrates.
RrpÈnps cHRoNoLocreuES 151

HISToIRE CIVILISATIoN

-462--429 : ;::r'r'ir'lir poursuit la ré- -1 62 : Le philosopl're ', i r,r. ;r Êi ,r'i' ( - 5tl0 -


forme c1'Éphialte : le Conseil des Cinq- -428), de l'écoie ionienne. r,it à Athènes.
Cents dirige aver l'Assemblée du peuple , « Pl'rysicien », i1 enseigr-re que la matière
la plupart des lonctions publiques sont est faite de particules sirnrlaires. que le
rémunérées : c'est lâ nristirophoric (le nris- Soleil est une pierre incandescente et la
thos). clui 1)ermet aux pauvres cle remplir Lune une terre. mais il introduit dans 1a
leur cl-rarge , politique de grands travaux. philosophie l'idée cl'r-rn principe orclonna-
de plein emploi et d'embellissernent de 1a teur de l'univers, Ie Noirs. f intelliger-rce de
vi1le. la nature. Biologiste. il aurait pratiqr"ré
des dissections. il est conseiller de Péri-
-460 : Construction des longs murs
clès et Socrate aurait suivi ses leÇons.
cl'Athènes. Politique d'expansion athé-
nicnnc (Atht'ne> r otrdrait irnpo:cr 'orr o {ril1 g1i'r-lqrt:l{. (i,.-'494-v.-435) d'Agri-
s)-s1ème monétaire). gettte Cn:eigne qUc 1Ct tlt tnCnl> uu ra( r-
nes des choses sont l'air. la terre, le feu,
-459 : Athènes contraint Mégare à se
1'eau (ernprunt ionien) ; aucu11 n'est pre-
clétacher de Sparte. Rivalité croissante
entre Ati'rènes et Sparte.
mier ni ne vient l'un c1e l'autr e ; ils sont
éternels; le cours du monde (le Tout.
r..-450 : I.:r Ligue de Dé1os, clirigée par eûrprunt éleatique) vient de leur réunion
Athènes, instituée avec la contributior.r ou dissociation selon les puissances de
r.olontaire cles alliés. s'est transformée en 1'Amitié ou de la Haine se cédant alterna-
empire athénien contraignant pour les tivement Ia prépondérance (emprunt
alliés devenus sujets (ob1igés cie payer un héraclitéen). Démocrate. il est exilé de sa
tribut6 er-r argent ou de fournir cles navi- cité, Agrigente, par des tyrans.
res). Le trésor confédéral a été deplace de
. [ [r'i-ur{iiils: d'Halicarnasse (-484-
Dé1os à Athènes gui v pr-rise pour l'cntre-
tien de sa flotte et l'édification du Parthé- -425), père de i'Histoire comme clisci-
plir-re (Cicéron), explique les guerres
non. Athènes conlisque des terres aux
cités alliées pour y installer ses colons- Médiques dans ses l{i.stoires (enquêtes).
soldats. Des grandes cités c1u Pélopori- . Esch,vle présente Orestie (-458).
nèse (Sparte, Mégare. Égine) se tendent . L.itrlIririr (-480-.'+06) produit ses pre-
contre 1a sujétion. Des conflits éclatent
n-rières tragéclies en -455; il peint les pas-
(défaite d'Athèr.res à Céronée en -447)
sions e t marque le caractère humain,
jusqu'au traité cle Paix dr. Trrnte Arrs entre
provisoire et conventionnel des règles de
Athènes et Sparte en -446. Athènes rcste
la justice. On 1ui doit Alceste, Hltppo\,te,
maîtresse de la nrer Égée jusqu'en -431 :
Andronmque .

elle foncle Amphipolis (-436), empôche


Bvzance de qr-ritter la Confécleration et
. Construction du Parthénon à Athènes
soutient cies cités libres. sous la responsabilité dr"r scuipteur Phi-
dras (-458 - -'147). Le sculpteur Mvron
(-480 - -,1,+5) y travaille. Achèvement du
temple de Zeus à Olyrnpie (v.-456).

6. Le mot tribut signifie « ce que doit paycr une cite vaincuc au lainqueLrr ..
152 CnrroN op PlaroN

HISToIRE CrvrllsATroN

. l-es : sont des maitres de


sagessc (sophiat er dc rh(.toriqut' clui >e
font er n()ur cns(igller atrx jertne- gen:
pa1
riches d'At}rènes l'art de la parole (rhéto-
rique) et du raisonnement (dialectique),
si utiie à 1'exercice du pour.oir. La vie
intellectuelle prend la forn're d'une plai-
doirie et cl'un concours devant un public
juge. I cruditiùn el ] ! lo(lu(nr c >onl |l i-
mées. La 1oi humaine. conventionnelle et
relative, s'oppose zi 1a 1oi naturelie.
-449 : Paix de Callias enrre Athènes eL le . Le poète Pindare écrit u11e clernière ocle . -450 : Loi des
grand roi des Perses ; elle proclame 1a (-446). Sophocle fait interpréter Alrigone Douze Tables :

liberté cles Grecs d'Asie. (,441). Rorne dispose de


lois écrites large-
-438 : AthénuParthénos (c-ruvre de
Phidias). ment inspirées de
celles du Cre c
-437 : Construcrion des Propylées So1on.
(entrée lnonumentale de I'Aclopole).

-43I--404: Guerre du Péloponnèse. -432 : Exil d'Anaxagore, accnsé


inquiétée par 1esarnbitions d'r\thènes d'impieté. Pl-ridias achàr,e sor-r (ruvre avec
en Grande-Gràce, Corinthe (de la ligue 1es frises du Parthénon. En .-.i32. Euri-
péloponnésienne) demande à Sparte de pide présente la tragéclie À4trie,.:.
lui déclarer la guerre. Les Lacédémoniens
(sor-rs Sparte) ravâgent l'Attique. En
-429,la popuiation d'Arhènes, réfugiée à
f intérieur cles murs, est décimée par la
peste. Périclès meurt. Cléon le remplace.

. participe comrne hoplite à la v.-430 : Début de la mission de Socrate.


victoire de Poticlée (-432--430), oir il En réaction à i'oracle de Delpl'res le décla-
sauve Ia vie d'Alcibiade. et aux défaites de rant le plus sage, il fait sienne I'inscrip-
Délion (-424) er d'Amphipolis (-422). tion du fronton du temple : C.onnais-toi
Avec 1a paix de Nicias (Athénier-r rnodéré) tuî-mAme (devise artribuée ii 1'un cles Sept
en -421. il y a rrêve entle ALhènes er Sages de la Grèce) et il entreprencl de
Sparte. mais hostilité par cités interpo- verilicr qtri. tlr, gcn: r!'nornnrcq \tge\.
sées. 1'est en effet.

. Naissance de Xénophon.

-428 : Naissance de Platon. Premières


comédies dAristophane (-450 - -386).
Sophocle présente Ia tragédie CEdipe roi.
RrpÈnss cunoNor-ocreuns 153

HrstolRr CIVILISATIoN

-427 :Le sophiste (,,ri':.r:r,; (-'lB7--380) . Syracuse paraît


vient convaincre Atl'rènes de protéger sa un temps la pre-
cité en Sicile conrre 1es ambirions de mière cité grecque.
Syracuse. 11 s'établit Èr Athènes ou il ensei- Son tyran, Denys
gne 1a rhércriqr-re Périclès et Thucl'dide (-105). ami des
auraient été au nombr-e de ses auditeurs. lettres. chasse les
11 met en question la notion d'ôtre de Carthaginois de
Parménide. Sicile.

-42L: ':r :' , (n".,.rl de Périciès) -423 : AristLrphane prése nte Les Nuées : il
r.ient au pouvoir conllne chef du parti sry nloqlle de Socrate qu'i1 assirnile aux
démocratique. Athènes reprend les hosti- sophistes. Dans Lc.s Gr.errouilles, qu'il fait
1ités en -419. Elle est défaite à Manrinée jouer en -405. il dépeint l'en'rbarras des
en -418, aiclant en sous-main la coalitior-r Athér-riens devant le personnage cl'Alci-
thébaine centrée autour d'Argos. En biade : Le prenütr point, c'tst de nc pds éle-
-417, e1le massacre et réduit en esclavage ter un lioncearr dans ute cité: mais si on I'a
les habitants de l'i1e de Mi1os, qui refu- élettr jusclu'au. bout, il Jo.ut bien lui passer
sent c1e làire partie de la confédération. .ses htonetrr-s.
En -,115, des cités siciliennes lui deman- . rrrl:".a: .i' (-460--395). historien.
dant son aide, Alcibiade lance une atta-
analyse la guerre du Péloponnèse; il est
que clésastreuse contre Syracuse : la llotte
désigné comme généra1 par 1es Athéniens
athénienne est anéantie et 1es troupes
en -424.
sont massacrées ou réduites en esclavage
en -413. Accusé de sacrilèges à Athènes
o ,,r :i,rr, .:r, de Cos (v.-,160--380) fait
(parodie des mystères et mutilation des de1a rnédecine une discipline méthodi-

statues d'Hermès présentes aux carre- que :Je pe nse que I'epilqsie , appelée aussi
fours), Alcibiade se réfugie à Sparte. Il maladic sd,crée , n'a rkn de plus clivin et
conseille les dirigeants de la ville dans n'e.sü pas plus satt-ée clue lcs autres.
l'aicle à apporter aux Syracusains, soulève . l',r.,, r,, d'Abdère (v.-460--370)
r,.

C}rios et Milet et ménage aux Spartiates fonde une école à Athènes. 11 collectior-rne
des contacts avec la Perse. Sparte reprend maintes obsen ations zoologiqr-res et bota-
la guerre. La résistance c1'Athènes sera niques. Il interprète le monde comme
aidée par Ie retour en grâce d'Alcibiade, étant composé d'atomes qui se combinent
de -'111 à -407, qui sera par 1a suite dans le vide et clont les propriétés de
exi[é consécluemment à une défaite grrrndeur, de lonne et de mouvernent ne
(à Notion). doivent pas être confonclues avec 1es di-
mensions subjectives, te1les ia couleur et
I'odeur. Les dieux eux-mêmes sont des
combinaisons cl'atomes. En mr:rale. il
prône unc vie sans clrarne et I'atteinte du
bonheur par 1a n'rodération cles désirs.
v.-415 : Représerrtation des Tro_ycnnes
d'Euripide.
154 CmroN oe PleroN

HISToIRE CIVILISATIoN

-4ll : À 1a suite de complots aristocrati- . Aristophane présente Les Oiseaux


ques, Athènes est dirigée par une oligar- G41+). Euripide iâit.jouer Electre (-413).
chie (gouvernement du petit nombre). Aristophane présenre Lysistrata (-,+ I 1 ).
D'abord sous Ie régime réactionnaire
des Quatre-Cents (un Conseil réduit à
-411 : Procès d'impiété conrre , ..:. ...,i.
,, sophiste grec (-485--,111) sensua-
400 notables), puis sous celui plus
liste et relativisre. et mort de celui-ci. Il
modéré des Cinq-Mil1e (le corps des
avait dit :
citoyens ne compre plus que 5000 per-
sonnes), otr Théramène (dit « la pan- L'hommr est Ia ntcstu-t de tout.es cho-ses.
toufle r, car il s'adapte à tout) passe au Quant atu dieux, .jc nc puis savoir ni qu'ils
premier plan. 11 soutienr toutes les for- -§ont, rli qu'ils ne sont pds.
mes de gouvernement tant c1u'elles ne
font rien contre la loi. Les tensions civiles -409--,t06 : Acl-rèvement de l'Erecl'r-
théion (les car),atides) sur l'Acropole.
internes à Athènes rnenacent la constitu-
tion. -408--lqq: .. tJ originc arisrocra-
tique, suit les enseignements de Socrate,
-406 : Athènes remporte une ultir-ne vic-
comme 1es jeunes gens riches d'Athènes.
toire aux ilcs Arginuser. Le> raintlueurr.
dont le fils de Périciès. sonr condamnés à
mort au retoul pour ne pa5 avoir se( ouru
les équipages naufragés durant le com-
bat. Le jour de leur procès, Socrate est
épistate des prytanes : il préside donc
i'Assemblée; il s'oppose vainement à ce
qu'onjuge en bioc les accusés, car cette
procédure est conrraire à la ioi. L'Assem-
blée lui rappelle, non sans menaces et
regrets subséquents, la souveraineté sans
restriction du peuple.
-405 : Le Spartiate Lysandre ciétruir la -405 : Aristophane fait.jouer Les Grt-
flotte athénienne à Aigos-Potamos, en nouilles.
Thrace. Il a reçu d'importants suhsides
de la Perse pour construire sa flotte de
guerre et payer des rameurs.

-404 : Athènes assiégée fait reddition


à Sparte. Llsandre I oblige a raser (e5
murs et établit la tvrannie sanglante des
Trente Tyrans. Sparte, jusqu'en,378,
don'rine 1a Grèce et impose l'oligarchie
dans différentes cités. Elle esr périodi-
quernent en guerre contre elles et contre
la Perse (où Alcibiade esr assassiné).
RrpÈnrscHRONoLoGreuES 155

HISTOIRE CNILISATIoN

-'103 : Thrasl,buie, aidé cl'Anvtos (accu-


sateur de Socrate), rétablit la démocratie
à Athènes (pouvoir accru à 1'Assen'rb1éc).
Apaisement cles lr-rttes civiles.

-tve s. : Les alliances et les rappolts de -IVe s. : Siècle de désorclre éconornicpre.


pouvoir changent entre les cités. social et moral : sanctuaires piliés pour l;r
première fois dans l'histoire cles Grecs .
crise dc> cott.cict'ttt': lr -cn> .ir iqu. -t'
dégrade.

-401 - -399 : Des mercenaires grecs, aux -401 : RepréscT1tâtion de 1a tragédie de


ordres de Cyrr"rs rél'o1té contre son [rère . Sophocl, . A:Jipt a (., )inrc.
pénètre nt jusqu'2ru cceur c1e 1'empire
perse. Cyrus est tué.
-399 : Procès et mort de Socrate.

-395 : Athènes reconstruit ies longs . Lvsias (-+40--380), un logographe,


murs et se joint à Thèbes. à Corinthe et iaisse des modèles de discours jucliciai-
à Argos pour se libérer de la tr-rtelle spar- tes. Socrate a refusé cle recourir à ses dis-
tiate. cours pour plaicler sa cause.
-386 : Sparte irnpose aux cités grecques . Isocrate (-436--338) est demeuré le -390 : Prise de
ia paix du Roi, de Perse. Elle iui cède
« modèle des orateurs dans l'Antiquité Rome par les Gau-
les villes grecques d'Ionie en échange de gréco-romaine. lois (histoire des
son appui à son hégémonie cn Grèce oies du Capitole).
-387 : Platon crée 1'Académie (dans les
continentale.
.jardins d'Académos. près d'Athènes), ou
-382 : Les Spartiates prennent 1a cita- il enseigne et compose ses dialogues.
delle de Thèbes. I1s en sonl chassés en l u.qLr'err - ]O I . il \e re!r(l a t|oi: rcprises
-379 et -378. Une alliance est conclue. auprès des t,vrans cie Syracuse, Denys
l'Ancien et sor-r fils Den,vs leJeune, ter-r-
-378 : Nouvelle conlédération (sous
Athènes) de cités inquiètes des Perses et tant de mettre à prolit sa conception poli-
tiqLrc de 1a rcpubliquc. ll
tracassées par Sparte. 'era rncna, e par
les intrigues politiques.
-371 : Les Thébains d'Épaminondas
battent 1es « invincibles » Spartiates à -384 : Naissance d' ',, r , .;,r' (-384-
Leuctres. Ils mettent fin a l'hegemonie -i))).
spârtiate et comrnencent leur suprérnatie. v.-380 : Isocrate, un logographe, invite
les Grecs à l'unité dans sorr Panégriqut.
I
fa rgumenloïion socrotique I r05

e présent chzrpitre voL1s, nret en contact avec le personnase de Socrate,


sollvent le premier nom de philosophe que L'on connaît.

Par atlier:rs, volls \ier-


rez la place qu'occupent lir raison et 1 eollcarlon clans la conception qlre se f:rit
ce granci personnage des rapports humains. et qu'il oppose r\ 1'opinion er :i la
persuasion valorisées par les sophistes.

I-e> :ttj. rs tottj,,ttt t


d'actllâ11rte qLr :lDorde coitcernent la place qLle nolls accorclons à l'opinion ci:rns la
11

cr-rlture occident:rle ainsi qLre notre attitr-rde à l'égard cles lois et de 1a jr-rstice..\ec
Socrate, noLls porivons nolls demander si tor-rtes les opinions se valent et si nous
del'ons toujorlrs en tenir compte. Doit-on respecter les lois en tolltes circonstances ?
Qu'est-ce qlre la justice? Comment réagir firce à I'injusrice? Ultiinemerlt. Socrate
nous conr,'ie à réflécl-iir sllr notre responsabilité concernant Le sens cle notre r,ie.

Socrate: celui qui ne sait rien !


( Au temps où le monologue dominait, où dieux et rois
discouraient devant une assemblée attentive, Socrate
élabora la notion révolutionnaire du dialogue. ))
John ELSON, ,Socrates lvouid Take Heart' ,
Maleiltique
LIne légende, un:rrchétype, prescllle 1lil mvthe :,,'oili Socrate. ['it porirt,rnt, il n'a Du grec maleutlkè, art de
"
rien écrit ! D'or\ lLri vie nt cette renontmée ?
I'accoucheuse,. Étape de sa
méthode par laquelle Socrate
Commençor-rs p:rr résumer certains firits irnportanrs cle 1;i r,'ie de Socrate. I)remier prétend «accoucher, les esprits,
philosophc athénien, il vient au moncle clrrns lrne fanille c1e conclition nloLlesrc, C'ecL a di.ô de.oi er le- verite;
en -470. Sor-i père est sclllptellr et sa mère, strge-felltLrte. Socratc:rffirme clue c'est qu is cortierrert à l,:L,r irsu.
c1e sa rlère clLr'il a hérité cette capaciré d'. accor-rchcr: le s iimes ,), qLlrorl nclmme lrr
Xanthippe
lli.ll,jt:Iiiltll.
Femme de Socrale, Xanthippe était
I[ épor-rse avec cpi il irura trois enfants. 11 reçoit probablerncnr [es
\inihir.1,t, reconnue pour son tempérarnent
enseignements d'Anaragore et de quelques sophistes. Il p:rrticipe comûle hiii:,1:i-r difficile. Socrate disait v0ir dans ce
à qr-relques câmpagnes militaires. P,,ien que corlragelLx. i1 cst tre\s lirid ar-rr yer-rr trait de caractère une bénédiction
qui lui permettait d'exercer sa
des Grecs. Pour eLrx, la be:ruté c1r-r corps exprinre la beal-rté intérierire. Il leur est
patience et sa sérénité,
difÊcile c1e voir ar-r-c1elà des apparences, et c'est prob:rblement pour cel:l qr-re les
sophistes :rur cliscor-irs habiles les rejoignent si facilernent. Cepenclanr, les proches H opliie
de Socrirte reconnaissent chez ce petit homme, à 1ir laicleur flagr,rnre et alr venrre Dans es armées grecques,
proéminent, une âme noble clotée cl'une riche vie intérier-rre. fantassin lcurdement armé.

2. 7-txte NlLlgtll,itLc 11.1 mars 199i), p. 77. (Trailuctiun lit-.ri:l

3. L'hoplite dev,rit pa1'er scs proprcs ;rrrncs. C'cst rltnc rlrrt qu'on poLn';rit reconnlîrrr s.l iLlrtun. oLl s()n
stiltLlt soci;11 à la richessc de son arrnement. On perrr en conclLrrc quc Socr:rre étlit au moins assez
fortuné pour sbifrir cles armes.
I
r06 I Chopitre 6

Frytane Deux actions publiques nous montrent la force de caractère de Socrate.


Officier appartenant à la prytanie. La '
La première action publique se rapporte au procès de généraux dont la foule
prytanie est la commission de 50 per-
sonnes chargée de diriger la boulè.
réclame la mort, malgré leur victoire contre l'ennemi. À la suite d'une victoire
militaire inattendLre, des marins naufragés ne seront pas secourus et moLlrront
l-éon de Salamine pour la patrie. Les généraux responsables justiÊeront leur inaction en invoquant
Stratège et homme d'État. Il est la tempête qui faisait rage. On condamne alors les généraux et, devânt la foule,
proche du parti démocratique. Les Socrate, alors membre du conseil des prrtanes, est le seul à les défendre, car
Trente Tyrans demandent à Socrate de selon la loi athénienne, c'est un à un et non collectivement qu'on peut condam-
l'appréhender, ce que Socrate refuse ner ces hommes. La seconde action publique se passe en -404 sous le règne du
de faire, au risque de périr lui-même.
gouvernement des Trente Tyrans. Critias, le chef du gouvernement, veut s'assurer
Âgora de la soumission de Socrate. Il le désigne donc pour livrer l-ion dc Sa!ilrnine,
Du grec aÉora, « 65ggrnil§g », « place
condamné à mort par les Trente. Le refus d'obéir à cet ordre rend Socrate passible
publique,. Lieu public, marché de la peine de mort. I1 préfère néanmoins refuser piutôt que cle commettre une'
extérieur dans les cités grecques. C'est injustice. Heureusement pour lui, la tyrannie est renversée peu de temps après et
là que se réunit l'assemblée du peuple. il échappe à la mort.
Aristophane (d'environ -45O à Socrate vient tardivement à la philosophie. Il le fait à la suite d'un oracle,
environ -385) c'est-à-dire d'une annonce de la volonté des dieux, qui affirme qu'il est le plus
Poète grec de l'âge classique, père du sage des hommes, et cela à son plus grand étonnement d'ailleurs. Cet incident est
théâtre comique. Dans ses pièces, il déterminant pour le contenu aussi bien qlre pour Ia forme de son enseignement.
ridiculise entre autres les sophistes. À co-pte. de ce jour, il passe la plus grande partie de son temps à discuter dans
les rues, à l'agora, dans les banquets. Il pose cles questions en apparence anodines
tuïélÉtos
ou simples, mais qui embêtent les prétentieux qui croient tout connaître.
lun des trois accusateurs de Socrate,
l\4élétos est un écrivain athénien Pour plusieurs, dont Àristuphirne, Socrâte apparaît comme un sophiste. Or, au
qui a produit quelques tragédies qui tournant du rrn siècle avant J.-C., on devient plus intolérant envers les attaques .

n'ont connu que peu de succès, contre la religion, dont celles des sophistes. C'est dans ce contexte que ceux qui
Anytos éprouvent de I'hostilité à l'égard de Socrate l'accusent d'impiété, d'introduction de
nouvelles divinités et de corruption de Ia jeunesse. Ainsi, en -399, trois personnes
Riche marchand d'Athènes, tanneur
de son état, Anytos est un partisan du
se chargent de cette accusation. Chacune d'entre elles représente une classe:
parti démocratique, dont il est l'un des Nlélétos, les poètes et les écrivains; Ànrtus, les marchands et les artisans; tr-lcon,
représentants les plus influents. ll est les hommes politiques et ceLrx qui ont une position grâce à leur éloquence.
l'un des trois accusateurs de Socrate.
Le procès est relaté dans le texte de son disciple Platon, l'Apologie de Souate.
Lycon Déclaré coupable par un vote serré des 500 personnes élues pour représenter leur
0rateur athénien, l'un des trois communâLrté (l'équivalent de notre Assemblée nationale) (281 voix contre 220),
accusateurs de Socrate. 0n croit puis condamné à mort (368 voix contre 133), Socrate est emprisonné pendant
qu'il est le rédacteur de l'acte près d'un mois avant d'être exécuté. Causé par la tenue d'une fête religieuse, ce
d'accusation contre le philosophe. délai lui permet de s'entretenir avec ses amis. Ceux-ci lui proposent de l'aider à
s'évader, mais Socrate refuse.

Le compte rendu de la discussion sur le bien-


fondé de l'évasion fait I'objet dr Criton. Dans
un troisième dialogue intitulé Phédon, Platon
ir met en scène le dernier entretien du philosophe
.';',
,a! ,..ë(, avec ses amis, qui porte sur l'immortalité de
Ê ##u"* É = à.. r'ê \;
iii 't l'âme. Ce dialogue se termine par une descrip-
1,-?ili tion de la scène où Socrate absorbe la boisson
: r>',
du condamné, la ciguë, un poison qui attaque
iiil
le système nerveux central et amène une parâ-
lysie progressive des murscles. Notons que le
#, *Ti dialogue constitue une manière pour Platon
i§il

É f d'illustrer la méthode socratique de la discus-


É"
sion, c'est-à-dire par questions et réponses pour
trouver le vrai.
.+,,j il aq*
i,it'.},i:i::i:§§îl *.* â 1,*.nilr:ti!{.j{::
Laccusation de corrompre la jeunesse et de ne pas reconnaître les dieux de la
cité était fréquemment formulée contre les sophistes. Socrate n y a pas échappé.
On 1e sait par les témoignages de Platon et de Xénophon: à l'âge de soixante-dix
ans, il s'est vu accuser d'ar.oir cornrnis ces deux fautes. lApologie de Socrate est
un texte de Platon qui tente de disculper Socrate de ces accusations en recréant
le discours qu'il a tenu pour se défendre lors de son procès.
On peut douter que Socrate ait tenu exactement ce discours. Lh-re part non
négligeable de celui-ci r,.ient de Platon, même si certains éléments sont histo-
riques. Nous avons vu en quoi les sophistes enseignaient un savoir pratiqr-re,
bien souvent à prix d'or. Socrate commence sa défènse en expliquant en quoi
sa pensée et sa pratique se distinguent de celles des sophistes, puisque son
rapport au savoir en est radicalement différent.

Un rapport particulier au savoir


Platon, Apologie de Socrate (19a-20c)
Le mensonge dAristophane

Socrate Quelle est l'accusation qui me vaut cette calomnie? [ .] Que


-
dit-on pour me calomnier? [ ] (ll récite l'accusation.) « Socrate est
coupable de se consacrer à des recherches superÊues sur ce qui se passe
sous la terre et dans e ciel, er aussi de faire triompher le p us faible de
s deux arguments et d'ensergner à d'autres con,rment on peut Le faire. » Vorlà
ce donr on m'accuse. Vous avez pu le voir de vos propres yeux dans la

comédie dAristophane: une espèce de Socrate, se balançant Là-haut, drsait


qu'il parcourart es cieux et débitait une foule d'autres sornettes sur des
choses dont je ne su s expert en rien. En parlant ainsi d'une teLle scrence,
r0 je ne tente pas de la discréditer, au cas oir quelqu'un en posséderait 1a

connarssance [...], mais en ce qui me concerne, Athéniens, je suis étranger


à ces recherches. Bon nombre d'entre vous pourraienr témoigner en ma
faveur, et je vous demande de mettre vos témoignages en commun et
d'en discuter entre vous. Vous qur m'avez déjà entendu discuter - et vous
rs êtes présents en grand nombre aujourd'hui -, cherchez à savorr auprès
des autres sr aucun d'entre vous ne m'a déjà entendu avoir une drscussion
sur ces recherches, aussr courte sort-elle, et vous saurez ainsi que tout ce
que l'on dit sur mon compte se résume à cela. ll esr clair qu'aucune de
ces accusations n'est fondée. De plus, si 'on vous dit que j'ai renté d'édu-
)o quer mes concitoyens et que j'ai reçu un salaire à cet effet, cela aussi n'est

Socrtttt. 123

\
pas vrai, quoique j'estime qu'il esr beau de pouvoir éduquer les hommes
cornme le font Corgias de Léonrinoi, Prodicos de Céos er encore Hippias
d'Élis. Tous Les trois, chers concitoyens, parcourent les cités et sonr en
effet capab es d'en convaincre la jeunesse, pour laquelle il esr possible de
25 fréquenter gratuiremenr n'imporre lequei de leurs conciroyens, de délaisser
la fréquentarion de leurs conciroyens pour les fréquenrer, eux, en échange
d'un salaire et en leur donnant en plus des témoignages de reconnaissance.
[ .] Pour ma parr, je me glorifierais er je prendrais de grands airs si je possé-
dais [un rel] savoirl À4ais, voilà, je ne le possède pas, chers Arhéniens

Socrate explique en quoi lbpinion publique athénienne s'en est tenue à la cari-
cature dAristophane. Cependant, il est impossible que cette représentation soit
vraie puisque, contrairement à I'idée reçue, il ne possède pas de savoirparticu-
lier. Socrate souhaite ardemment apprendre quelque chose, c'est la raison pour
laquelle son enseignement ne doitpas être confondu avec celui des sophistes ou
des autres savants. Comme il l'expiique à ses juges, il souffre du fait que Ie savoir,
la chose la plus précieuse à ses yeux, lui fasse défaut. Son ignorance le condamne
à être dans le rôle de l'élève. II rejette donc l'accusation d'être un sophiste
parce que celle-ci suppose qu'il aurait enseigné une théorie ou une science.

- .; ',.:..,,1., : ' '.. :

Nous allons voir en quoi Socrate, mêrne s'i1 ne possédait aucun savoir, n'en
défendait pas moins une philosophie au sens plein du terme. Cette pl-riloso-
phie est fondée sur Ia reconnaissance de l'ignorarzce. premièrement, Socrate
na pas honte de reconnaître qu'il est igr.rorant, contrairernent aux sophistes
et à d'autres personnages dAthènes. Deuxièmement, il tire une sagesse de
cette ignorance.
Pourtant, un important témoignage va à l'encontre de ce que dit Socrate.
Il vient de la Pythie de Delphes, une prêtresse dont les paroles énigmatiques
étaient réputées venir du dieu Apollon lui-même. Cette dernière affirme que
Socrate est le plus savant des Athéniens.

Platon, Apologie de Socrate (20c-2la)


Une forme spéciale de savoir

Peut-être que certains d'entre vous se demandent alors: « Socrare, quel e

I
est cette mise en accusation ? D'où viennent ces calomnies dirigées contre

toi? Si tu n'avais eu aucune occupation qui sorre de l'ordinaire, ru n'aurais


pas cette réputation, et on ne parlerair pas de toi en ces rermes, si ru n'avais

124 CHAPITRE IV
s nen fait qui soit différent de ce que font la plupart des gens. Dis-nous donc
quelque chose à ce sujet, afrn que l'on ne te juge pas sans connaissance
de cause. , À mes yeux, quiconque parlerait ainsr tiendrair un discours
empreint de lustice, et je tenterai de vous expliquer ce qui est arrivé pour
que l'on m'atrribue cette réputation et que l'on me calomnie. Écoutez-moi
1o bien. Certains d'entre vous auront peut-être l'impression que ie plaisante.
Cardez pourtant à l'esprit que ie ne vous dirai rien d'autre que la vérité |

Athéniens, ce qui me vaut cette réputation n'est rien d'autre qu'une forme
de savoir. De quel genre de savoir s'agit-il ? ll est possibLe qu'iL s'agisse d'un
savo r propre à l'humain. Oui, de ce savoir, je rrsque fort d'être savant. À als,

1s à moins que je me trompe, il est probable que les hommes dont ie viens de
l'instant possèdent une science qui dépasse l'huma n. En revanche,
parLer à
personnellement, je ne possède pas cette science, et quiconque l'affirme
est un menteur et rapporte des calomnies sur rnon compte [.. ] [N]'alLez
pas penser que mes propos sont prétentieux. En effet, le dtscours qui suit
20 n'est pas de moi, mais ce discours que je rapporte provient d'une personne
digne de foi. Du savoir que je possède, si c'esr bien un savoir, et de la nature
de ce savoiç je vous présente le témo gnage du dieu de DeLphes. Vous savez
sans doute qui est Chéréphon. llétait mon ami depuis l'enfance el l'ami
de la majorité d'entre vous. [...]. Vous connaissez aussi le caractère qu'avait
)s Chéréphon, le zèle avec lequel il poursuivait ce qu'tl entreprenait. Voilà: un
jour, il s'en alla à Delphes et il eut l'audace de demander à l'oracle [...] s'il
se trouvait quelqu'un qui fût plus savant que moi. Et la Pythie lui répondlt
qu'il n'y avait personne de plus savant. Le frère de Chéréphon peut se

porter lui-même témoin de ces événements puisque Chéréphon est mort.

Les paroles de la Pythie


La Pythie semble confirmer l'accusation qui est faite à Socrate d'être un savant.
11faut alors que Socrate puisse démontrer qu'il ne l'est pas. Il doit par consé-
quent trouver un sens à ce que dit la Pythie, sans pourtant convenir d'être
savant au sens où I'entendent les Athéniens. C'est ce qu'i1 parvient à faire en
tenant ce discours par lequel il se distingue des autres savants de la cité.

Platon, Apologie de Socrate (21b-e)


Lexamen socratique

AÂaintenant, portez attention au but que je poursuis en vous racontant


viennent ces calomnies dirigées
cela. Je dois en effet vous expliquer d'où
contre mor. C'est précisément en entendant ce que l'oracle a dit que je

Socrate 125
m'interrogeai : « Que veur dire le dieu er quel est le sens caché de ses
s paroles ? ,J'ai bien conscience que je ne suis savanr en rien, que veur-il donc
dire quand il affirme que je suis le plus savant
? ll ne s'agit en rous cas pas

de mensonges, car il n'esr pas permis au dieu de mentir. » Très longtemps


après, j'étais encore sans solurion quant au sens de ces paroles. Non sans
peine, j'en arrivai ensuire à entreprendre une enquêre sur les dires du
io dieu. J'aL ai rencontrer un de ceux reconnus pour être savants, car cétart
sans doute le seul endroir où je pouvais réfurer la réponse du dieu er faire
apparaître à l'oracle que « cer homme esr plus savanr que moi, bien que
tu dises que je suis plus savanr que lui » l'examinai donc cer homme avec
soin.le n'a pas besoin de vous dire son nom, sachez seuLement qu'il fait
15 partie de nos hommes poliriques. En l'observanr, voici ce que j'ai remarqué,
Athéniens. Lorsque je discutai avec lui, i1 m'apparur que cet homme passair

pour savant auprès d'un grand nombre d'hommes er surrour auprès de


lui'même, a ors qu'il ne 'érair pas. le renrai ensuite de lur démonrrer qu'il
pensa t être savant sans l'être vraiment. ll s'ensuivir que lui,même atnsi
20 que la p upart de ceux qui avaienr assisré à norre discusston se mirenr à
me halr Quant à moi, je m'en allai en me disant: « Je suis plus savanr que
cet homme. Si aucun de nous deux ne connaît vraisemb ablement rien
d'exceptionnei, lui, en revanche, pense savoir quelque chose, alors qu'il ne
sait rien. Pour ma part, comme lorsque je ne sais pas, je ne pense pas savoir
2s quoi que ce soit, j'apparais donc êrre plus savanr que lui en 1'emportant
sur un perit détail: les choses que je ne sais pas, je ne pense pas les savotr. »

Puis, je me rendis auprès d'un autre qui passair pour êrre encore plus
savant que e précédenr er je consrarai la même chose. Là aussi, je m'arrirai
'inimitié de celui que j'inrerrogeai, de même que ce e de bien d'aurres.

Socrate déflnit donc à quoi tient sa propre sagesse: «Les choses que je ne
sais pas, je ne pense pas les savoir. » Lorsqu'il est en présence d une personne
qui affirme savoir quelque chose, mais qui ne peut en faire la démonstration,
Socrate, en amrmant ne rien savoir, se révèle plus savant que cette personne.
Cette personne est doublement ignorante, car enplus d'ignorer une chose, elle
ignore quelle f ignore.
Cette attitude par rapport au savoir était très combattive. Elle demandait
dâttaquer constamment le savoir des autres pour vérifler chaque fois s'il s'agis-
sait d'un savoir véritable.

Socrate s'attire des ennuis


Cette pratique de la discussion lui valait beaucoup d'hostilité de Ia part de ses
interlocuteurs et des témoins de ses échanges d'arguments.

126 CHAPITRE IV
On peut imaginer la position de quelquun qui affirme savoir quelque chose
et qui, l'instant d'après, doit avouer le contraire. Socrate le rend honteux d'avoir
ainsi prétendu posséder quelque chose qu'il nâ pas. Cette personne perd la face,
et la honte sera d'autant plus grande si elle doit, en plus, l'admettre devant tous
les gens présents, notamment devant ses amis.

Platon, Altologie de Socrate (22e-23b)


Socrate 1e sage

De toute cette recherche, Arhén jens, me viennent beaucoup d'inimitiés, er


de situatons très diffic les, d'autres très désagréables, tant et si bien que de
fausses accusations se sont ensuivies. De là me vient le nom de savant. En

effet, les gens présenrs à nos discussions pensent toulours que je suis savanr
s sur tous les sujets des réfutations que je fais subir à autrui. Le dieu Apollon,
chers juges, risque bren d'être savant, lui, et avec cet oracle, r1 veut peut-être
drre que La science des humains a peu de valeur si elle a une quelconque
valeur. Et Le dieu semble vouloir parler de ce Socrate pour se serv r de mon
nom, comme pour prendre un exemple, comme s'il disa t: « Huma ns, le
10 plus savant d'entre vous esr celui qur, comme Socra[e, a présent à l'esprit
qu'il ne vaut rien, en vériré, à légard de la science, » Voilà ce que je cherche
toujours et encore à savoir au cours de mes pérégrinations, qu'est-ce qu'a
voulu dire le dieu, lorsque je suis en présence d'une personne venue d'icr ou
d'ai leurs qui me semble être savante. Et quand cette personne m'apparaît ne
15 pas être savante, offrani mon aide au dieu, je fais a démonstration qu'elle
ne 1'est pas.

Laccusation des Athéniens repose d'autre part sur I'enseignement de


Socrate. Pourtant Socrate répète navoir jamais enseigné, puisque pour ensei-
gner quelque chose, il lui aurait faliu savoir quelque chose. La méprise des
Athéniens se fonde sur ce qu'est Ia sagesse. Les Athéniens nbnt pas compris
que Ie véritable savoirvient du doute. Si Socrate est un exemple de sagesse, c'est
justement parce qu'il montre à quel point Ie doute est nécessaire pour chemi-
ner dans Ia connaissance. Socrate paraît posséder le savoir, mais en vérité, le
seul savoir qu'il possède se résume à la démonstration qu'il ne possède pas de
connaissances. Il accuse donc à son tour les Athéniens de se méprendre sur ce
qu'est Ie savoir et de faire une fausse accusation.
Malgré toute son ignorance, Socrate atiré de son approche une morale très
affirmative. Il soutenait qu il est préférabie de savoir qubn ignore plutôt que de
penser savoir ce que I'on ne sait pas.

Socrate 127
& §§§§N§§
O Le savoir de Socrate consiste à savoir qu'il ne sait pas.

O Ceux qui croient savoir alors qu'en fait ils ignorent sont en moins bonne
position que Socrate par rapport à la connaissance.

1.3 Lactivité philosopkrique :


la rnise en exarnen
C'est dans l'examen rationnel que se situe I'origine de f impopularité de Socrate.
Comme il passe son temps à s'examiner, à se connaître lui-même et à prendre
conscience de son ignorance, Socrate ne peut faire autrement que de question-
ner ceux qui s'affichent comme savants.

Ménon et les abeilles: la déJinition


Afin d'illustrer cette mise en examen de I'opinion (ou, en d'autres termes, de
f ignorance qui s'ignore), penchons-nous sur le Ménon de Piaton. Ce dialogue
constitue un merveilleux exemple des erreurs de raisonnement que Socrate
s'appliquait à démasquer.
Socrate interroge Ménon pour tenter de savoir ce qu'est Ia vertu. Ce dernier,
d'abord tout conllant, estime qu'il n'y a rien de plus facile à faire.

Platon, Ménon,7Le-72b
Parler de la vertu

ÀAénon - À4ais ce n'esr pas difficile fde dire ce qu'esr la verru], Socrare.
Pour commencer, si tu veux connaître la vertu d'un homme, c'est facile. Ce
qu'est la vertu d'un homme, c'esr d'êrre capable de parriciper aux affaires
de la cité et, ce faisant, favoriser ses amis [our en nuisant à ses ennemis,
5 et soi-même évirer d'en pârir. Si en revanche ru veux connaîrre la verru
d'une femme, ce n'est pas difficile à exposer; qu'elle sache bien gérer la

maison et préserver ce qu'elle contienr, et suivre l'avis de son époux. Er il

existe une autre vertu, celle des enfanrs, Êlles et garçons, er aussi des gens

128 CHAPITRE TV
âgés, qu'ils soient, si tu veux, des citoyens libres, ou plutôt des esclaves. il

10 y a une multitude de vertus, tant et si bien qu'aucune impasse ne nous


empêche de dire ce qu'est la vertu. Car quoi que l'on fasse, pour chacun
d'entre nous, i existe une vertu s'accordant à chaque acrivrté et à tout
âge de la vie. Je pense, Socrate, qu'i en est de même pour 1e v ce

Socrate - J'ai l'impression d'avoir beaucoup de chance, cher N4énon, si

15 à la recherche d'une vertu, j'en ai trouvé tout un essaim auprès de tor.


Et d'ail eurs, AÂénon, concernant certe mage, ce e de la ruche, si ru me
disais, lorsque je re demande ce qui fait l'essence d'une abeille, qu'elles sonr
nombreuses et de toutes sortes, que me répondrais-tu si je re deman-
dais:« Est-ce ce qui les fait être nombreuses et de toutes sortes, er
20 toutes différentes les unes des aurres qui les fait aussi être ce
qu'elles sont ? Ou bren, sous un certain aspect, elles ne
sont en rien différentes les unes des autres, tandis que,
sous un autre aspect, e les d ffèrent en beauré, en
taille ou par une autre caractérisrique de ce genre ?»

25 Dis-moi, que répondrais-tu à cette quesrion ?

Il ne s'agit 1à que d'un exemple des réfutations de


Socrate au cours desquelles il rejetait les prétentions de
savoir queique chose affichées par ses interiocuteurs. Cette
réfutation I'impossibilité de définir une notion par
se fonde sur
une série d'exemples. Pour définir une chose de manière satisfai-
Abeille' pièce de monnaie en argent
sante, une déflnition et7 extension(c'est-à-dire par 1'énumération
(r siècle av'J"C)
cles éléments qui entrent dans cette catégorie) est insuffisante.
I1 faut en plus pourroir en donner une définition en compréhension, c'est-à-dire
en formuler une explicatior-r syntl-rétique qui regroupe toutes les caractéris-
tiques de la chose à définir. Ménon n'a pas tort, ses exemple s de vertu peuvent
être de bons exempies, mais il n'a pas répondu correctement à la question de
Socrate: on ne sait toujours pas quelles sont les caractéristiques s'appliquant
à toute vertu.
Simulant 1a joie cle recel,oir des myriades de vertus, Socrate s'amuse d'abord
de 1'aisance de N4énon à parler de la vertu.Jouant sur I'image de l'essaim cle l.er-
tus, i1 cornpare alors 1a question de sar.oir ce qu'est la vertu à ce1le de savoir ce
qu'est une abeille. Bien entendu, chaqLre abeille est en quelque sorte différente
de toutes les autres. Pourtant, à la question « Qu'est-ce qu'une abeille ? », il ne
s'agit pas de répondre par de multiples caractéristiques qui font être diffé- 1es

rentes 1es unes des autres, mais plutôt par ce qui les rassemble en expliquant
ce qu'e11es ont en commun.

Socrctte: 129
Il en va de même pour la vertu: il existe de multiples actions vertueuses,
toutes différentes et relatives aux époques et aux cultures. Quand bien même
nous les énumérerions toutes, cela ne nous dira pas davantage ce qu'est la
vertu. Pour cela, il faut pouvoir dire: «La vertu consiste, dans tousles cas, à
faire une action de teltype.» Sans cela, il sera impossible de dire ce qui fait de
certaines actions des actions vertueuses, ni de savoir reconnaître, dans une
situation inattendue, ce qu'il convient de faire pour adopter une attitude ver-
tueuse. Quelques lignes plus loin dans le dialogue, Socrate souligne encore le
ridicule de ia réponse de Ménon en comparant Ia vertu à la santé. Sa déflnition
différerait-e1le pour un homme ou pour une femme, comme s'il existait une
santé qui convienne aux femmes et une autre qui convienne aux hommes ?

' '. : .. :,'. ,' : :,:': .'.,,.,,


Une autre manière qu'avait Socrate de réfuter les propos de son interlocuteur
consistait à montrer c1u'il se contredit. Prenons, par exemple, 1e cas où 1'on dirait
que 1a justice est déterminée par f ir-rtérêt dLr plus f.ort. C'est une conception de
1a justice que nous avons déjà rencontrée chez Aristophane. Comme dans une
démocratie les lois sont votées par une majorité, on peut supposer qu'e11es en
représentent les intérêts. De 1i\, on pour:rait en tirer la définition : « La justice est
f intérêt du plus fbrt. On constate ici que la détermination de ce qui est « plus
"
fort» est trop vague pour en faire une définition valable pour tous les cas. En
efflet, il suffit que la majorité change pour que 1a loi change, ce qui fait clue la
distinction entre le luste et l'injuste est appelée à changer. Aussi, entre l'avis
d'un seul expert et 1'arris des milliers de personnes présentes dans 1'assemblée,
il est tout aussi possible de se demander si l'avis le plus fort n'est pas celui de
l'expert, même s'il est seul contre une fbule de personnes. Enfin, mênre si la
justice dépendalt de l'avis de la foule, cette dernière pourrait très bien s'être
trompée sur son propre intérêt:la justice serait alors injuste.
Dans toutes ces situations, la définition de ce qui est juste s'app11que à des
actions différentes au gré des sens que l'on donne aux mots «intérêt du plus
fort ». Cela représente peut-être une manière dont les lois sont créées et votées,
mais, encore une f'ois, i1 est impossible dans ces conditions de dire ce qui fait de
certaines actions des actionsjustes, ni de savoir reconnaître, dans une situation
inattendue, ce qu'i1 convient de fàire pour adopter une attitude juste.
Qu'une définition ne soit pas vaiable pourrait aussi se démontrer au moyen
des contradictions qu'elle imp11que. Pnr exemple, si l'on définissait 1'attitude
du sage par 1e fait de réfléchir posément, il serait facile de rétorquer que 1e
sage doit aussi pouvoir réfléchir prestement lorsqu'il conl.ient de le faire. Si

13O CHAPITRE 1V
I'on souhaitait alors dire que l'attitude du sage est la réflexion tout court, il
serait tout aussi possible de montrer que toute personne qui réfléchit nest pas
nécessairement sage.
La connaissance doit pouvoir échapper à Ia contradiction: quand Socrate
déduisait des contradictions à partir des définitions qu'on lui offrait, il per-
pétuait une exigence des premiers philosophes à l'égard de la science (voir la
section 2.3,p.59).II est possible de voir dans les aventures de Socrate une série
d'exemples où cette exigence est prise en compte jusque dans ses détails les
plus désagréables. Lenquête socratique avait pour but de fournir une définition
des vertus qui puisse permettre de reconnaître, à tout coup, ce qu'il est bon de
faire. Pour cela, il fallait que ia définition soit irréfutable. Voilà pourquoi l'atti-
tude de Socrate étaitla seule qui soit acceptable: à défaut de savoir ce qu'est
la vertu, il fallait tenter de Ie trouver en testant toutes les définitions possibles.

Socrate la torpille: les elfets de la réfutation


PIus loin, dans le Ménon,le jeune rhéteur est assailli par 1es questions de
Socrate. Il réfléchit alors sur Ia discussion pour confier à Socrate comment il
se sent. Ménon accuse Socrate d'être fidèle à cette réputation que plusieurs lui
prêtent, soit de n'avoir d'autres objectifs que de vouloir déstabiliser, ébranler
son interlocuteur pour son bon plaisir.

Platon, Ménon,79e-80b
La torpille

Socrate - Tente donc à nouveau de répondre à la question du début: qu'est-


ce que la vertu ?

AAénon - Socrate, j'ai bien entendu dire, avant de te fréquenter, que tu ne


fais rien d'autre que de poser des questions auxquelles ni toi ni aucun autre
s ne pouvez donner de solution. ÀÂaintenant, j'ar la forte impress on que tu
joues les charlatans, que tu cherches à me faire perdre la rarson au moyen
d'une espèce de drogue et que tu tentes tout bonnement de m'ensor-
celer, si bien que je me rrouve maintenanr complètement dépourvu de
réponses à tes questions En définitive, sr ]e devais te tourner en rtdicule,
10 tu me semblerais, tant par ton alLure qu'en tout autre point, avoir une très
forte ressemb ance avec la torpille, ce large poisson que l'on lrouve dans la
mer. Vorci pourquo : ce poisson engourdit chaque fois qu'on s'approche de
1uiet qu'on le touche. C'est précisément cela que tu me sembles avoir fa t
avec moi. En effet, j'ai vraimenr l'esprit et la langue tout engourdis et je ne
1s suis pas en mesure de te répondre. Pourtant, 1'al à des milliers d'occasions

Socrate 131
prononcé de nombreux discours sur a vertu, et ce a devant un grand
nombre d'auditeurs, et ma foi, je m'en suis rrès bien tiré. A4aintenanr, au
contraire, je ne suis absolumenr pas en mesure de dire ce qu'elle esr. Et
toi, tu me sembles avoir raison de ne pas ever 'ancre d'rci et de ne pas
20 partir en voyage, parce que si ru re comporrais ainsi en des endroirs dans
lesquels tu serais un étranger, rrès vire tu te verrais accusé de sorcellerie

Si NIénon croyait au début ne pas être embarrassé par 1a question cle Socrate,
il a maintenant perdu tous ses rnovens. 11 est dans l'impasse. D'abord si sûr cle
lui et certain de savoir ce qu'est la vertu, i1 se voit maintenant confus devant ses
amis. NIénon, ce grand maître du savoir pratique, est contrairrt de reconnaître 1a

part d'ignorance sur laquelle i1 s'appuyait. 11 accuse donc Socrate et le menace.


La puissance du discours était souvent comparée à 1'effet d'un médicarnent
par les sophistes. N,{énon allrme que la con-rpagr-rie de Socrate est tor-it aLrssi
dangereuse que celle d'une torpille. La torpille est un poisson dont 1a queue
est munie d'un dard émettant des décharges éiectriques qui engourdissent et
qui sont capables de tuer un nageur imprudent. La réplique de Socrate ne se
fàit pas attendre. Bien qriil reconnaisse qr-r'une part de ce que dit N1énon est
vraie, Socrate apporte une nuance essentielle: il est lui-même victime de cet
engourclissement.

Platon, Ménon (B0b-d)


Lart de la comparaison

Socrate Tu es très maiin, À4énon, er il s'en est fallu de peu que ru ne me


trornpes comp èrement.

ÀAénon - Que me dis-tu là, Socrare ?

Socrate - le comprends que but ru poursuivais en farsanr


5 cette comparaison.

À4énon - Quel est ce bur, à ron avis ?

Socrate - Tu t'attendais à ce que, moi aussi, je re décrrve par une compa-


raison. Et je pense de tous ceux qui onr une belle allure qu'i s prennenr
du pLaisir à être comparés ce a esr bren à leur avanrage, car on chois r
10 de belLes images pour faire des comparaisons avec es be les personnes ,

cependant, je ne répondrat pas à ta comparatson au moyen d'une autre


comparaison. Si vraiment la torpille esr engourdie e e-même quand el e
engourdit les autres, on peut me comparer à elle, mais si ce n'esr pas le
cas, la comparaison ne fonctionne pas, le veux dire que, moi-même, je

132 CHAPITRE IV
15 ne possède pas les réponses aux questions queje pose er qui jerrenr
les autres dans une mpasse, mais c'est en étanr moi-même tout à fait
dépourvu de réponses que je pose ces quesrions auxquelles les autres ne
savent que répondre. Ains, pour mainrenanr en revenir à la vertu, je ne
sais pas ce qu'elle est. En ce qui te concerne, peut-être que, auparavanr, ru
20 le savajs avant de m'avoirtouché; maintenant, cependant, tu ressembles
fort qui n'en sait rien. À4a s je désire tour de même examiner
à quelqu'un
avec toi ce que peut être la vertu et la chercher en ta compàgn e.

Pour que 1a comparaison puisse tenir, il fauclrait clue la torpille soit elie-même
engourdie. Socrate fait rernarquer qu'on ne peut rien lépondre d'intellisent à une
comparaison si elle ne tient pas 1a route. 11 évite avec finesse le reproche qui iui
est adressé. Ce n'est pas, dit-i1, par une intention malveillar-rte qu'il sème le trouble
dans 1'âme de ceux qu'i1 fréquente, mais tout sirnplement parce qdil est 1ui-même
troublé et qu'il cherche, auprès de ceux qui 1ui semblent savants, une réponse arux
cluestions qui le préoccupent.

l & ll n'est pas possible de définir un concept (comme la vertu)


en énumérant les multiples choses que ce concept englobe.

æ ll nêst pas aisé de donner une définition irréfutable qui ne mène


à aucune contradiction.

& C'est parce qu'il est lui-même dans l'impasse que Socrate
embarrasse les autres.

Socrate B?
LOUIS-ANDRÉ DORION: SUR LA PRÉTENDUE
IGNORANCE DE SOCRATE
concerne toujours 1es sujets les plus ouvertement un savoir dans Ie do-
importants, ceux qui ressortissent à rnaine des choses les plus inrportan-
I'éthique. Par exemple, dans les dia- tes. Comment Socrate peut-iI à la
logues consacrés à Ia rechercl-ie c1'une fois se déclarer ignorant et afficher
définition d'une vertu, Socrate se de nornbreuses conna issances rnora-
déclare systématiquerlent ignorant les ? Ainsi, dans le texte mênre où Ia
de cette définition. L objet de son Pythie le proclarne le plus savant des
ignorance est donc identique à ceiui hommes parce qu'ii est le seul à
de l'ignorar-rce qu'il met en lumière reconnaître son ignorance, Socra[e
chez ses interlocuteurs qui s'ima- 1l sait que celui qui corrompt un
ginent à tort qu'i1s connaissent les homme s'expose à subir un tort de ia
sujets les plus importants. [. ..] part de celui qu'il a corroutpu (25 e) ;
21 17 sait qu'il est ma1 et honteux de
Dans cette perspective,la fameuse
commettre l'injustice et de désobéir
ir o nie
s o cr atiquie désigne précisément
à un rreilieur que soi (2g b);31 il
cette manæuvle par iaquelle Socrate,
soutient que Ia vertu rre vient pas des
en simulant f ignorance, s'arroge la
La déclaration d'ignorance soulève richesses, mais que c'est au corrtraire
position de questionneur et incite son
de nombreux problèmes que les de la vertu que viennent la richesse
interlocuteur, qui a f impludence de
commentateurs s'emp1oiel1t encore et tous les autres biens (30 b); al 1l
s'attt'ibuer un savoir, à r'épondle dc la
à résoudre. Ainsi, doit-oir croire considère qu'i1 n'est pas permis
position qu'il se croit en mesure de
Socrate sur parole lorsqu'i1 affirme qu'un homme de valeur éprouve un
justifier. Lironie de Socrate consiste
dans l'Apologie (21 b) qu'i1 n'a dommage de Ia part de celui qui ne
ainsi en une double feinte: non seu-
conscience d'être savant ni peu ni 1evautpas (30 d);5/ il est convaincu
lement il simule f ignorance, mais il
beaucoup ? Car, cnfin, Socrate lre qu'il n'a éte injuste envers personne,
feint égalernerrt de reconnaitre le
sait-il pas qu'il vit à Athènes, qu i1 est de sorte qu'il ne se résout pas à pro-
savoir que son irrtel'loctrteur r Ia pré-
rnarié à Xanthippe et qu'il a rrois poser, en guise de contre-pénalité,
tentjon de posséder. 1... ]
enfants ? Lignolance de Socrate ne une chose qu'il saiL être un rnal
s'étencl donc pas à toutes choses, Plusieurs interpl'ètes r'écents se (37 b)l 6/ il présente comrne une
d'ou la necessité dc detelminer alec refusent cependant à considérer que vérité « qu'aucun mal ne peut tou-
précision son objet. Lorsqu'on passe 1a déclaration d'ignorance est une cher un homrne de bierr ni pendant
en revue 1es nombleux passages oîr feinte. Le défi qu'ils doivent relever sa vie ni après sa mort, et que 1es
Socrate se déclare ignolant, il ressort est de rendre compte des nombreux dieux ne se désiuteressent pas de son
claiterlent que cette ignorance passages oir Socrate revendique sol'r ,,. [. .. ]

.: :
$'I:âr"

-1ti. Louis-Anclrél)orion.Socrrr/c.Paris.PLIF.coll.«QLresais-je.)».n,'899.2011,p.-l-i--5-1.
144 CHAPITRE 3 Socrate

,H:+" Pour conciiier les nombreux connaissance ; [b)] il 1ui an'ir.e par- ignorance; or, pour y parvenir, i1 est
passages oùr Socrate se déclare igno- fois de soutenil qu'iI est irnpossible c1'une certaine façon nécessaire qu'i1
rant avec les passages, rron rnoirrs qu'ii en soit autrement qlle ce qu'il ne revendique aucun savoir. Deuxiè-
. nombreux, où il revendique des affirme (Gorgias 472 d), oL1 encore rreûrent, comlne 1a philosophie est
corrnaissances dar)s le domaine qLre sa position est irréfutable pour essentiellement Llne quête, celle du
moral, les interprètes qui croient en autant qu'elle correspoird à 1a r,érité srvoir'. et que le lait nrerrie de persis-
Ia sincérité de la déclaration d'igno- (c1. Gorgias 473 b, 508 1,; Rép. ter clans cette qllête contribr"re à rendre
rance ont proposé différentes expli- i 335 e), ce qui laisse clairement les honrnres rrreilleurs (Ménon 86 lt-c) ,
cations, dont la principale consiste entendre qu'il est persuadé de déte- la déclaration d'ignorance est Lrn
en une distinction entre deu-x emplois rril unc connaissance ccrtaine et artifice qui renr.oie 1es interlocuteurs
des verbes ( savoil'» et « connaitre »: dcfirritive. et non pas une conrrais- (et les lecteurs) à eux-mêmes et à la
lorsque Socrate prétend qu'il ne sait
rien, il n'emploielait pas le verbe
savoir dans le même sens que lors-
qu'il afÊrrne, par exemple, qu'iI sait
« que commettre f injustice, c'est-
à-dire désobéir à qui vaut mieux
que soi, dieu ou lionrme, est un mal,
une honte ». Le savoir qu il refuse de
s'attribuer est une connaissance
certaine et infai[]ible, alors que [e
savoir qu'il lui arrive d'afficher ne
serait rierr de plus que des connais-
sances non définitives auxquelles il
souscrit provisoirement dairs la
mesure où elles n'ont pas encore ete
réfutées. Autremen L dii, le savoi r que
Socrate expose consiste en dif[é-
rentes propositions soumises à la
discussion et qui n'ont janrais éte
renversées par ses int.erlocuteurs, si
bien quil se croit aulorisé à les sou-
tenir aussi longtemps qu'on ne lui
a pas dérnontré qu'ii a tort de Ieur
ajouter foi. Socrate ne se contledirait
donc pas, puisque ce n'est pas dans
le même sens du verbe (( savoir »
qu il prétend ne rien savoir et qu il
aflirme, par ai[eurs, savoir certaines
choses qui ressortissent à l'éthique.

Ce(te solution, ainsi que toutes


celles qui consisten t à dlstinguer
, différents degrés de savoir ou de
connaissance, prête le flanc aux
' objections suivantes: ['..] Socratd.
, n'expose jamais ce genre de distindxi
tion entre différents degrés de

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