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I. Présentation
On s’efforce de présenter ici la pensée d’Héraclite dans son ensemble cohérent, dans sa
totalité fragmentée et fragmentaire. Car cette pensée, qui reconnaît la vérité de l’errance et la
puissance de la bêtise, contient déjà les pensées qui se développèrent ensuite dans les
perspectives autonomisées ; elle éclaire toute la problématique de la fondation et du
dépassement de la philosophie. Il s’agissait donc de grouper autour des grands foyers – du
logos, du cosmos, du divin, de l’homme, de la cité – les fragments qui s’y rapportent le plus
explicitement, tous les fragments émanant d’un même centre et convergeant vers lui : l’être en
devenir de la totalité une, le Jeu suprême.
Héraclite est un penseur. Héraclite pense, le premier, le logos de l’être du devenir total. Lui,
pour la première fois, pense et dit, dans l’horizon du logos ainsi nommé, ce qu’est le Monde.
Héraclite ne fait pas « encore » de la philosophie, c’est-à-dire de la métaphysique. Sa pensée
demeure ouverte et multidimensionnelle, questionnante et énigmatique, fragmentaire et
poétique ; elle ne fixe pas l’Être, elle ne sépare pas l’être du devenir – l’être est devenir et le
devenir est être –, elle ne ferme pas la Totalité, elle ne construit pas de systématique. Héraclite
pense avant même la constitution de la métaphysique et la formation des écoles
philosophiques : il est présocratique, à savoir pré platonicien. Héraclite est le premier penseur
qui déploie la pensée (le logos) scrutant le sens (le logos) de la nature, de la divinité, de
l’homme et de la cité, modes d’être du devenir de l’être du monde total – qu’Héraclite essaie
de saisir.
Essayant d’entrer en dialogue avec sa pensée – qui féconda toute la philosophie, bien que
celle-ci, articulée en Métaphysique et en Théologie, en Logique, en Physique et en Éthique,
semble le laisser derrière elle –, il convient de rester sur le plan de la pensée. Tout en
employant le matériel critique et historique de la recherche contemporaine, et en le prenant
scrupuleusement en considération, il faut oser libérer Héraclite autant de la prison de la pure
et simple érudition archéologique et philologique que de la confusion du bavardage littéraire
et des ratiocinations ou des illuminations « philosophiques ». Il s’agit presque de tenter
l’impossible : lui donner la parole, le rendre parlant.
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II. Biographie d’Héraclite
Né à Éphèse vers 550, (ou 540 ?), il descend d’une famille illustre, peut-être
même princière : une légende rapportée par Diogène Laëerce (IX, 1-17)
rapporte qu’il aurait renoncé au titre royal en faveur de son frère, pour se consacrer à la
philosophie, mais qu’il aurait gardé de ses origines une haine si féroce de la démocratie qu’il
aurait refusé aux Éphésiens de rédiger une constitution pour leur cité – on comprend pourquoi
il a fasciné Platon, autre anti-démocrate notoire…
Il aurait écrit un ouvrage en prose, intitulé Muses ou De la Nature (Lucrèce y fait allusion, I,
657), divisé en trois parties (λόγοι) : le Tout, le Politique et le Théologique ; le tout en une
forme aphoristique et obscure, afin que la multitude ne puisse le comprendre ; et pour plus de
précaution, il l’aurait enfermé dans le temple d’Artémis.
Continuant la tradition des physiologues ioniens qui expliquaient l’univers par des principes
physiques, Héraclite identifie le principe de toutes les choses avec le feu, et affirme l’éternité
de l’univers. « Toutes choses sont convertibles en feu, et le feu en toutes choses » (cité par
Plutarque, Sur le Ε de Delphes) : comme le feu, il n’a ni commencement ni fin – une doctrine
qui a dû surprendre ses contemporains, les philosophes s’étant attachés jusque là à rechercher
l’origine de l’univers. Lucrèce parviendra à concilier ces deux thèses : les atomes sont infinis,
l’univers est illimité, mais notre monde est, lui, fini, et soumis à l’entropie.
Héraclite a aussi réfléchi sur l’âme (une sorte de vapeur, qui se nourrit d’exhalaisons du corps,
change perpétuellement, mais garde son identité, comme le fleuve qui coule mais demeure le
même), sur l’éthique (les lois des cités sont l’émanation de la loi divine), et les conditions de
la connaissance : l’homme n’a pas d’autre moyen d’accéder à la connaissance que les sens,
mais ceux-ci sont trompeurs, et la nature aime bien se cacher aux hommes.
Mais sa doctrine la plus connue reste celle de l’écoulement perpétuel de toute chose,
synthétisée par Platon dans la formule « πάντα ῥεῖ » (tout coule), ou encore « πάντα χωρεῖ καὶ
οὐδὲν μένει » (tout passe et rien ne demeure, Platon, Cratyle, 402a) et que l’on retrouve dans
les « fragments du fleuve ». Ce qui l’amène à l’autre grande thèse qui fait sa gloire : la
coexistence des opposés (puisque le point de départ et le point d’arrivée du changement sont
des opposés) : sommeil / veille, vie / mort… en même temps que leur non-conciliation. « Et
comme même chose il y a en nous et la vie et la mort, et l’éveil et le sommeil, et la jeunesse et
la vieillesse : car ces choses en se transformant sont celles-là, et celles-là à nouveau
deviennent celles-ci ». Héraclite en conclut à une unité dynamique des contraires, une guerre
permanente qui existe partout dans la nature, et qui constitue son mouvement même. La nuit
et le jour constituent un seul et même phénomène, le début et la fin d’un cercle se confondent,
et le chemin qui monte est le même que celui qui descend. L’opposition des contraires se
résout en une unité fondamentale qui s’identifie au feu divin..
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III. Biographie d’Héraclite
Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1988, pp.129-187.
Héraclite décrit un monde en mouvement, dominé par l’élément du feu, un monde chaotique
dans lequel l’homme de raison peine à trouver sa place. Voici quelques extraits d’Héraclite :
– Aussi faut-il suivre le (logos) commun ; mais quoiqu’il soit commun à tous, la plupart
vivent comme s’ils avaient une intelligence à eux”
– “II n’y a qu’une chose sage, c’est de connaître la pensée qui peut tout gouverner partout”
– “Ce monde a toujours été et il est et il sera un feu toujours vivant, s’alimentant avec mesure
et s’éteignant avec mesure”
– “Ce qui est contraire est utile; ce qui lutte forme la plus belle harmonie; tout se fait par
discorde”
– “Ce monde été fait, par aucun des dieux ni par aucun des hommes ; il a toujours été et sera
toujours feu éternellement vivant, s’allumant par mesure et s’éteignant par mesure”
– “Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s’accorder. L’harmonie
du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc”
– “Il faut savoir que la guerre est commune, la justice discorde, que tout se fait et se détruit
par discorde”
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“Les hommes éveillés n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur
monde.”
“Les yeux sont des témoins plus fidèles que les oreilles. ”