Vous êtes sur la page 1sur 3

Méd. Chir.

Pied (2015) 31:82-84


DOI 10.1007/s10243-015-0410-6

CAS CLINIQUE / CASE REPORT

Fracture isolée de la marge postérieure du tibia : un diagnostic oublié


Isolated Fracture of the Posterior Margin of the Tibia: A Forgotten Diagnosis

H. Zejjari · H. Bousbae · T. Cherrad · J. Louaste · L. Amhajji · K. Rachid


© Lavoisier SAS 2015

Résumé La pathologie traumatique du pied et de la cheville rily through the X-ray profile ankle in external rotation. The
est un motif fréquent de consultation aux urgences. Les frac- outcome was favorable despite the support of delay.
tures de la marge postérieure du tibia, anciennement dénom-
mées fractures de la malléole postérieure, sont fréquentes. Keywords Posterior margin of the tibia · Isolated fracture ·
Elles sont le plus souvent associées à d’autres lésions liga- Trauma · Ankle
mentaires ou osseuses touchant les différents éléments de la
cheville et/ou du pied. Les fractures isolées de la marge pos-
térieure du tibia sont relativement rares. On estime leur fré-
quence à environ 1 % de toutes les fractures de la cheville. Introduction
Le mécanisme de survenue fait intervenir habituellement
une hyperflexion plantaire du pied combinée à une compres- La pathologie traumatique du pied et de la cheville est un
sion axiale de la marge postérieure du tibia par le talus. Nous motif fréquent de consultation aux urgences. Les fractures
rapportons le cas clinique d’un patient victime d’une chute malléolaires se situent au troisième rang des fractures, après
d’escalier chez qui le diagnostic a été posé secondairement les fractures de l’extrémité inférieure du radius et les fractu-
grâce à la radiographie de la cheville de profil en rotation res du col du fémur. Les fractures de la marge postérieure du
externe. L’évolution a été favorable malgré le retard de prise tibia, anciennement dénommées fractures de la malléole pos-
en charge. térieure, sont fréquentes. Elles sont le plus souvent associées
à d’autres lésions ligamentaires ou osseuses touchant les dif-
férents éléments de la cheville et/ou du pied. Les fractures
Mots clés Marge postérieure du tibia · Fracture isolée · isolées de la marge postérieure du tibia sont relativement
Traumatisme · Cheville rares. On estime leur fréquence à environ 1 % de toutes les
fractures de la cheville. Il s’agit cependant d’une véritable
entité clinique et pathologique dont le mécanisme de sur-
Abstract Traumatic pathology of the foot and ankle is a venue fait intervenir habituellement une hyperflexion plan-
common reason for emergency department visit. Fractures taire du pied combinée à une compression axiale de la marge
of the posterior margin of the tibia, formerly called the pos- postérieure par le talus.
terior malleolus fractures are frequents. They are most often
associated with other ligament or bone lesions affecting dif-
ferent parts of the ankle and/or foot. Isolated fractures of the Cas clinique
posterior margin of the tibia are relatively rare. Their fre-
quency is estimated about 1% of all fractures of the ankle. Il s’agit d’un patient âgé de 36 ans qui s’est présenté aux
The occurrence mechanism usually involves a hyperplantar urgences pour une douleur de la cheville suite à un trauma-
flexion of the foot combined with axial compression of the tisme par chute d’escalier avec réception sur le talon, che-
posterior margin of the slope. We report the clinical case of a ville en flexion plantaire. L’impotence fonctionnelle a été
patient with a stair fall in whom the diagnosis was seconda- partielle et l’examen clinique a été pauvre. Les radiographies
de la cheville de face et de profil n’ont pas objectivé de
H. Zejjari (*) · H. Bousbae · T. Cherrad · J. Louaste · lésions osseuses (Fig. 1). Le patient a bénéficié d’un traite-
L. Amhajji · K. Rachid ment par repos, glaçage et anti-inflammatoires. Devant la
Service de chirurgie traumatologique et orthopédique de l’hôpital
persistance de la douleur, le patient consulte dans notre
militaire Moulay Ismail de Meknès, OLM extension sud el
Bassatine, numéro 34, Meknès, Maroc département après un délai de 12 jours, l’examen retrouvait
e-mail : hasanzej@gmail.com une douleur provoquée par la palpation de la région
Méd. Chir. Pied (2015) 31:82-84 83

postérieure de la cheville. Une fracture isolée de la marge la cheville, devant toute suspicion clinique (douleur rétro-
postérieure du tibia non déplacée, visible uniquement sur malléolaire médiale) ou un contexte évocateur d’une hyper-
l’incidence radiologique de profil de la cheville en rotation flexion plantaire, en complément des clichés habituellement
externe, a été retrouvée (Fig. 2). Le patient a bénéficié d’une utilisés en traumatologie courante de la cheville. En cas de
immobilisation par une botte plâtrée pendant six semaines, doute, une TDM semble licite pour le diagnostic positif et
suivie d’une rééducation fonctionnelle. L’évolution a été pour évaluer précisément la taille et le déplacement de la
favorable à six mois de recul. fracture et pour éliminer d’autres diagnostics tels que la frac-
ture de l’os trigone ou du tubercule postérieur du talus. En
effet, plusieurs auteurs [5,6] remarquaient que, dans cette
Discussion fracture, la taille du fragment fracturé était souvent sous-
évaluée par le cliché radiographique latéral standard, du fait
Les fractures marginales postérieures sont souvent responsa- de l’obliquité du trait de fracture, justifiant l’emploi systé-
bles d’une symptomatologie atypique sous forme de dou- matique d’une TDM [7].
leurs peu intenses et d’impotence fonctionnelle minime. Tout cela explique que le diagnostic de cette fracture est
L’examen clinique est pauvre. Il peut montrer une augmen- souvent retardé, voire ignoré.
tation de volume de la cheville et parfois une douleur à la Le traitement est orthopédique ou chirurgical. Il est fonc-
palpation en avant du tendon d’Achille. Cette observation tion du pourcentage de surface articulaire touchée et de la
corrobore celles de Boggs [1] en 1986 et Nugent et Gale présence d’un déplacement. En effet, la présence d’une frac-
[2] en 1990 qui retrouvaient un tableau clinique avec des ture marginale postérieure semble être responsable d’une
impotences fonctionnelles partielles. Ces auteurs insistaient augmentation significative des complications arthrosiques
cependant sur un signe clinique assez spécifique pour eux dans les atteintes de la pince bimalléolaire, même en cas de
qui était la douleur rétromalléolaire médiale. Ces fractures petits fragments marginaux postérieurs [7-9]. Cette fracture a
peuvent s’associer à une rupture des ligaments tibiofibulaires donc un fort potentiel arthrogène, surtout en cas de retards
antérieurs et postérieurs. Une IRM peut être utile. diagnostique et thérapeutique, car c’est une fracture articu-
La superposition de la fibula et du tibia sur les incidences laire concernant un fragment osseux mal vascularisé (aucun
de profil gêne fréquemment la détection radiologique de ces muscle ne s’insère sur cette face postéro-inférieure du tibia).
fractures. En 1971, Mandell [3] estimait déjà que la super- De plus, le pilon tibial doit supporter, sur une surface réduite
position du tibia et de la fibula pouvait masquer cette frac- de 4 cm2, l’ensemble du poids du corps, ce qui entraîne des
ture. Il suggérait de pratiquer un cliché de profil en légère contraintes importantes. Toute diminution de cette surface
rotation externe du pied afin de dégager la fibula en arrière articulaire est donc potentiellement arthrogène, du fait de
de la marge postérieure du tibia, pour détecter cette lésion. l’augmentation des contraintes par unité de surface. En cas
Ebraheim et al. [4] proposaient d’effectuer un cliché en rota- de fracture non déplacée, un traitement orthopédique est
tion externe à 50° du pied. Il apparaît donc nécessaire de recommandé [10], car le risque de développer une arthrose
pratiquer cette incidence particulière en rotation externe de de l’articulation tibiotalienne après un traitement orthopé-
dique est faible. En revanche, il est recommandé de réduire
à ciel ouvert et de fixer toute fracture déplacée dépassant
25 % de surface articulaire, réduisant ainsi significativement
l’incidence de l’arthrose post-traumatique [11].
Dans l’étude de Comat et al. [12], il semble que le retard
diagnostique de cette fracture soit responsable d’un résultat
fonctionnel moins bon et de séquelles plus importantes. En
effet, aucun des quatre cas traités par botte plâtrée dès la
phase initiale n’a entraîné de séquelles à terme. Au contraire,
75 % des cas diagnostiqués tardivement ont évolué vers des
séquelles à type de douleurs, sensations de craquement, rai-
deur ou troubles vasomoteurs.

Conclusion

La fracture isolée de la marge postérieure du tibia est un


Fig. 1 Radiographies de la cheville du patient réalisées en urgence diagnostic rare dans les traumatismes de la cheville. Le diag-
et d’apparence normale. A : vue de face ; B : vue de profil nostic est souvent négligé à cause de la faible spécificité
84 Méd. Chir. Pied (2015) 31:82-84

cheville à haute énergie surtout par mécanisme en hyperfle-


xion plantaire. Un bilan ligamentaire est néanmoins néces-
saire, en particulier à la recherche d’une atteinte des liga-
ments tibiofibulaires inférieurs, même en l’absence de
diastasis sur le cliché standard de face.

Références

1. Boggs LR (1986) Isolated posterior malleolar fractures. Am J


Emerg Med 4:334–6
2. Nugent JF, Gale BD (1990) Isolated posterior malleolar ankle
fractures. J Foot Surg 29:80–3
3. Mandell J (1971) Isolated fractures of the posterior tibial lip at
the ankle as demonstrated by an additional projection, the
“poor” lateral view. Radiology 101:319–22
4. Ebraheim NA, Mekhail AO, Haman SP (1999) External rotation-
lateral view of the ankle in the assessment of the posterior mal-
leolus. Foot Ankle Int 20:379–83
5. Macko VW, Matthews LS, Zwirkoski P, Goldstein SA (1991)
The joint-contact area of the ankle. The contribution of the pos-
terior malleolus. J Bone Joint Surg Am 73:347–51
6. van den Bekerom MP, Haverkamp D, Kloen P (2009) Biomecha-
nical and clinical eva-luation of posterior malleolar fractures. A
systematic review of the literature. J Trauma 66:279–84
7. Jaskulka RA, Ittner G, Schedl R (1989) Fractures of the posterior
tibial margin: their role in the prognosis of malleolar fractures. J
Trauma 29:1565–70
8. Donken CC, Goorden AJ, Verhofstad MH, et al (2011) The out-
come at 20 years of conservatively treated ‘isolated’ posterior
malleolarfractures of the ankle: a case series. J Bone Joint Surg
Fig. 2 Radiographie de la cheville de profil en rotation externe Br 93:1621–5
montrant une fracture non déplacée de la marge postérieure 9. De Vries JS, Wijgman AJ, Sierevelt IN, Schaap GR (2005) Long-
du tibia term results of ankle fractures with a posterior malleolar frag-
ment. J Foot Ankle Surg 44:211–7
10. Stiell IG, Greenberg GH, McKnight RD, et al (1993) Decision
clinique en dehors de la douleur rétromalléolaire interne. Le rules for the use of radiography in acute ankle injuries. Refine-
bilan radiologique standard doit comprendre une radiogra- mentand prospective validation. JAMA 269:1127–32
phie de profil de la cheville en rotation externe. La TDM 11. Kimizuka M, Kurosawa H, Fukubayashi T (1980) Load-bearing
permet d’évaluer exactement le volume du fragment fractu- pattern of the ankle joint. Contact area and pressure distribution.
Arch Orthop Trauma Surg 96:45–9
raire et son déplacement. Le retard dans la prise en charge est 12. Comat G, Barbier O, Ollat D (2014) The posterior malleolar frac-
préjudiciable pour les résultats à long terme, d’où l’intérêt ture: A parachute injury not to be overlooked. Orthop Traumatol
d’avoir à l’esprit ce diagnostic devant un traumatisme de la Surg Res 100:419–22

Vous aimerez peut-être aussi