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Acrobate ou Agile ?

Le concept d’Entreprise Agile est, comme celui de la Transformation


Digitale, une notion qui fait depuis plusieurs années le bonheur des
séminaires de cadres dirigeants. Alors tarte à la crème de consultants ou
piste d’optimisation ?

L’approche « agile » part du principe que tout prévoir à l’avance est


impossible et tout planifier dans le moindre détail est illusoire et contre-
productif ; la réalité économique est faite d’imprévus et consacrer trop de
temps à documenter ce qui va se passer et comment réagir en toutes
circonstances est une perte d’énergie et un facteur de frustration (la
frustration inévitable de ne pas pouvoir se conformer au plan initial dès
lors qu’il est trop détaillé et verrouillé). Le questionnement sur la nécessité
d’adopter des méthodes de travail plus agiles part souvent du constat d’un
manque de réactivité, de trop de bureaucratie et d’une relative
démotivation des employés face à des contraintes administratives et
opérationnelles qui sont de moins en moins en phase avec nos aspirations
et nos pratiques personnelles dans le monde numérique.
Les prémisses des organisations agiles ou méthodes agiles datent d’il y a
une vingtaine d’années. Une des première théorisations en est le
‘Manifesto for Agile Software Development’ (2001), qui formalise
quelques grands principes des méthodes agiles pour faciliter le
développement logiciel : « notre plus haute priorité est de satisfaire le
client » ; « la simplicité est essentielle » ; « la méthode la plus simple et la
plus efficace pour transmettre de l’information à l'équipe est le dialogue en
face à face ». Vous entendrez aussi parler de la méthode SCRUM (mêlée
en anglais) qui date du début des années 1990 et qui vise à découper
l'activité d'une entreprise en une multitude de petits projets réalisables dans
des délais courts ('Sprints') par opposition à des méthodes de planification
plus lourdes. On cite souvent également le cas de General Electric parmi
les premières (très) grandes entreprises à avoir mis en pratique au début
des années 2000 une organisation dite agile avec son programme
« FastWorks » qui vise à favoriser en son sein l’organisation d’équipes en
mode « start-ups »autour de projets d’innovation.

POURQUOI ?
Au-delà des effets de mode, ce mouvement trouve sa justification dans
trois types de nécessité :
1. Customer-centricity. Remettre le client au centre est au cœur de
toutes les stratégies d’entreprise. Cet objectif se heurte souvent à la grande
complexité des grandes entreprises qui fonctionnent comme des silos où
chaque fonction dicte ses règles, avec des strates de management empilées,
et bâtit des systèmes qui au final ne répondent pas toujours bien à la
demande des clients.
2. Aller plus vite. Dans le contexte de transformation numérique que
nous vivons, où les technologies accentuent la versatilité des
consommateurs, la rapidité à saisir les besoins et à les transformer en
produit ou service (« time-to-market ») est critique. Les longs processus de
recueil des besoins, recherche-développement, validation, etc. ne sont plus
adaptés (bien qu’on en comprenne la nécessité dans certains secteurs très
particuliers comme l’industrie pharmaceutique par exemple).
3. Innover. Au royaume de la disruption permanente dans tous les
secteurs, l’innovation est plus que jamais un impératif de survie. Or,
l’innovation ne se décrète ni ne se planifie. Sans évoquer la notion de
sérendipité, selon laquelle l'innovation pourrait fleurir par hasard, on peut
tout au moins reconnaître que l’innovation a sa part de créativité et de
liberté qui a du mal à s’épanouir dans des modèles d’organisation trop
pesants avec des exigences de maitrise du risque très serrées.
COMMENT ?
Comment devenir une Entreprise Agile avec… agilité ? Loin des modèles
trop intellectualisés, l’approche « Agile » peut finalement se résumer à
quelques principes à mettre en œuvre au quotidien.
1. Simplifier = réduire la complexité. Trop d’échelons hiérarchiques,
trop de procédures, trop de systèmes de mesure, trop de reporting font
perdre aux entreprises le sens des réalités du terrain et brident la réactivité
nécessaire pour répondre aux exigences opérationnelles (demande du
client, opportunité de recrutement, interruption de service…). Tout ce qui
concourt à fluidifier les chaines de décision va dans le sens de l’agilité.
2. Libérer les talents. L’entreprise agile met le collaborateur au centre
du jeu en lui offrant un degré de liberté pour proposer des solutions
innovantes, gérer les questions opérationnelles courantes ; elle redonne de
l’autonomie et du pouvoir de décision (‘Empowerement’) aux équipes
proches du terrain et des clients. Tout ne doit pas remonter jusqu’au
sommet. Le cas de la MAIF qui laisse aux équipes des centres d’appel la
latitude de gérer les plannings de présence en est un bon exemple.
L’entreprise agile fait confiance aux collaborateurs ; en cela elle s’oppose
aux modèles où tout est régulé et surveillé.
3. Faire confiance. Les entreprises agiles sont optimistes, font
confiance à la capacité de leurs employés de résoudre les problèmes
courants. Elles encouragent l’expérimentation dans une boucle
d’amélioration continue ; a contrario, les entreprises qui sont trop hostiles à
la prise de risque (‘risk-averse’) développent moult systèmes de
planification et contrôle qui à la longue s’avèrent tout aussi inefficaces que
paralysants.
4. Favoriser la communication et encourager la collaboration. Une
entreprise agile est une entreprise où l’information circule vite et librement.
L’âge où la détention voire rétention d’information était la clé du pouvoir
est derrière nous. Les technologies numériques décloisonnent
complètement l’accès à l’information et aux données.
Ces quelques principes simples seront d’autant plus aisés à mettre en
œuvre et d’autant plus efficaces que l’organisation du travail se
développera dans une unité opérationnelle à taille humaine. Sans aller
jusqu’à reconnaître comme l’anthropologue Robin McDonald Dunbar que
la limite du nombre de personnes avec lesquelles un individu peut avoir
des relations stables est de 148, on comprend aisément que c’est difficile
au-delà d'un certain nombre (sans doute variable en fonction des activités,
probablement de l'ordre de 250 à 500 personnes d'après mon expérience
personnelle) d'encadrer, communiquer, partager, discuter efficacement.

QUELS BENEFICES PEUT-ON EN ATTENDRE ?


Le changement vers l’agilité génère plusieurs types de bénéfices :
- Plus de rapidité pour répondre à une accélération des changements
de comportement des consommateurs - et aussi pour détecter les échecs et
ajuster le tir rapidement ;
- Plus de créativité et une capacité d’innovation augmentée en libérant
les idées et initiatives (par exemple en mixant les profils et fonctions) ;
- Plus de motivation. Toute délégation de pouvoir au niveau
opérationnel - qui va de pair avec la responsabilité et le fait de devoir
rendre des comptes (‘Accountability’) – entraîne un surcroit de
motivation ;
- Plus d’attractivité, notamment pour les jeunes générations qui ne
veulent pas de modèles trop rigides.
Ces bénéfices sont à mettre en regard des inconvénients réels associés :
- Rendre l’entreprise plus agile c’est d’une certaine manière
abandonner une partie du pouvoir aux employés, au risque de démobiliser
la strate du middle management ;
- L’agilité donne plus de liberté et d’une certaine manière crée plus
d’incertitude (moins de règles) et accroit le poids des responsabilités au
niveau opérationnel ; l'accompagnement au changement est donc essentiel ;
- L’entreprise agile, parce qu’elle décentralise et multiplie les centres
de décision et parce qu’elle autorise l’expérimentation, doit accepter un
degré de contrôle moindre et une prise de risque plus grande. De ce point
de vue, le modèle "agile" n’est peut-être pas le meilleur si l’objectif
premier est la maitrise ou la réduction des coûts (mais il peut certainement
« déverrouiller » des opportunités si on recherche de nouveaux relais de
croissance).
AGILITE A TOUS LES ETAGES
Le modèle agile est particulièrement adapté pour les équipes de R&D ou
de développement informatique par exemple ; il est au cœur de la
transformation digitale. Mais son esprit peut s’adapter à tout type d’activité
ou fonction. Souvent pointées du doigt pour contribuer à la bureaucratie
galopante, les fonctions dites de support peuvent contribuer de manière
importante à l’agilité d’une entreprise. Les Directions des Ressources
Humaines ont un rôle essentiel dans la formation des équipes à ces
nouveaux modes de management, dans le recrutement de profils « agiles »,
dans l’adaptation des modèles d’incentives, dans la facilitation du travail à
distance. La Direction des Systèmes d'Information est un maillon clé pour
favoriser l’agilité des modes d’engagement au travail tout comme l’accès
et le partage de l’information (par exemple avec les technologies ‘cloud’
ou par l'usage d'outils de "data viz"). La fonction Finance, en devenant plus
‘Business Partner’ que ‘Contrôleur’, accompagnera les ‘Business Units’ en
leur apportant toutes les informations nécessaires au pilotage de leur
activité avec des outils agiles (tableaux de bord interactifs) plutôt qu'en
contrôlant ou approuvant a priori; en mode agile, les fonctions financières
de support aux affaires (pricing, contrôle de gestion opérationnel) seront
par exemple localisées au sein des équipes ‘Business’. Et même les
Services Généraux contribuent à créer un environnement agile en
organisant des espaces de travail flexibles (open space) et incitant au
partage et à la convivialité.

ALORS, ON FAIT QUOI ?...


L’Entreprise Agile peut dérouter car elle casse les repères traditionnels des
entreprises hiérarchisées et « silotées ». Il ne s’agit sûrement pas de créer
un vide organisationnel par la suppression des lignes de commandement ou
de tout mélanger uniformément. C’est certainement une opportunité de
remettre à plat des schémas d’organisation qui datent et méritent d’être
repensés à l’âge de la transformation digitale. C’est au minimum un cadre
pour conduire le changement.
L’Entreprise Agile c’est avant tout un état d’esprit ; on ne va pas
commencer notre chemin vers l’agilité en écrivant un manuel complet sur
le sujet. Sans aller jusqu’aux modèles radicaux de type holacratie à la
Zappos, il est possible au quotidien d’encourager des comportements et un
mode de travail agiles. C’est avant tout affaire de sensibilisation et
d'acculturation de l’ensemble des collaborateurs, et d’engagement de
l’équipe dirigeante qui doit créer le cadre propice.

Le leader agile est celui qui …


- Donne la direction, le sens : plus que jamais, dans une entreprise agile, il
est nécessaire d’être clair sur la finalité (‘purpose’) et les valeurs
(notamment pour souligner les comportements encouragés: curiosité,
collaboration, bienveillance, etc. ) ;
- Fait confiance ;
- Délègue et ne cherche pas à solutionner les problèmes à la place des
équipes ;
- Veille à la diversité au sein des équipes ;
- Encourage l’expérimentation et la prise d’initiatives ;
- Fait preuve d’empathie et de tolérance à l’échec (pour encourager la
libération des initiatives).

Je suis convaincu qu’en développant ce type d’attitude « agile » on


contribue aussi à créer plus d’épanouissement au travail pour ses collègues
et soi-même. L'important c'est d'encourager fluidité et agilité dans le
mouvement sans installer incertitude et précarité dans l'organisation.
L'approche agile ne doit pas tourner à l'acrobatie.

Jean-Michel JANOUEIX

(Mars 2017)

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