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Abir El Llaiti - FR5

« L'existence de la plupart des femmes est plus dure que celles d'esclaves entre les
Sarrasins. » Dit Christine de Pizane, une poétesse du XIVe siècle. Une déclaration très
controversée à faire à l’époque, mais qui montre que la situation des femmes dans la
France du Moyen-âge était similaire à celle des esclaves. De fait, on sait que dans cette
période la figure féminine était traitée comme un objet remplaçable que ne servait qu’à
donner naissance aux enfants, préférablement des garçons. Cependant, dans la littérature
de cette même époque, et surtout dans la poésie courtoise, la femme était représentée
comme un être supérieur aux hommes qui n’avait aucun défaut.

Alors, pourquoi la figure de la femme est si élevée dans la poésie courtoise ?

Pour répondre à cette problématique, nous mettrons en lumière, dans un premier


temps, ce qui est l’amour courtois dans la poésie et puis nous montrerons comment la
femme est représentée.

I. L’amour courtois dans la poésie lyrique médiévale

En France, le genre de la poésie lyrique commence à se développer vers le XIIe siècle.


Ce type de poésie tend à se caractériser par l’expression des sentiments personnels et
l’exaltation du « je ».

a. Les Troubadours

Si on parle de poésie lyrique médiévale, il faut mentionner les troubadours. Ils étaient
des poètes et des musiciens du sud de la France (Midi) qui ont fleuri entre le XIe et le
XIIIe siècle. Le mot « troubadour » dérive de l’occitan « trobar », ce que veut dire
composer. Alors les troubadours étaient ceux qui composaient des poèmes de thématique
amoureuse qui étaient destinées à être chantées. De fait, les poèmes des troubadours, on
les connaît comme des canzo.

Ils étaient très favorisés dans la cour des nobles, où ils avaient une certaine liberté
d’expression. Plus tard, l’influence des troubadours s’étendra dans toute l’Europe.

À différence des écrivains de la chanson de geste, qui étaient généralement anonymes, on


connaît les noms de la plupart des troubadours, parmi lesquels nous pouvons souligner
Arnaud Daniel, Bernard de Ventadorn, Raimbaud d’Orange, etc.
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Dans leurs poèmes, écrits en langue d'oc, le thème principal était l'amour courtois. De
fait, c'est dans leurs poèmes que commence ce phénomène que nous pouvons aussi définir
comme la fin'amor.

b. L’amour courtois comme concept

La courtoisie est une notion popularisée dans les cours des nobles durant le Moyen-
âge, qui met en effet des normes sur les rapports entre un homme et une femme. Ces
rapports doivent être raffinés et élégants. Dit cela, l’amour courtois (courtois – de la cour
– noblesse) dans la littérature médiévale fait référence à la relation romantique entre un
chevalier et une dame d’haut niveau social souvent mariée et inaccessible.

L’amoureux vénérait loyalement une figure de femme « interdite », hors d’atteinte, et


même en sachant cela, il ne pouvait jamais la quitter. C’est une relation non-réciproque
et hiérarchique.

Alors, bien que ce concept ait été répandu avec l’apparition des troubadours, ses origines
peuvent se tracer jusqu’à le poète romain Ovide, dans son Ars amatoria (l’Art d’aimer),
où il décrit commet obtenir l’amour d’une femme et le maintenir, et où l’amant est
représenté comme un esclave sentimental de la femme dont il est amoureux. Cette
thématique est très présente aussi dans les canzo des troubadours. En effet, tel que le dit
Bernart de Ventadour : « si elle ne m’en corrige pas, sans cesse cette folie redoublera,
car le fou ne craint rien avant d’avoir reçu »

Cet esclavage sentimental a comme conséquence le malheur et la souffrance.

c. La souffrance comme synonyme d’amour

Effectivement, dans la poésie courtoise, l'amour dépeint n'est pas un amour heureux,
sinon un amour plein d'obstacles et de rejet. Il semble être lié à la souffrance, à la douleur,
et même à la mort. Comme le chant Arnaud Daniel dans Er vei vemeills, vertz, blaus,
blancs, gruocs (Je vois maintenant vermeils, verts, bleus, blancs, jaunes) : « … et le mal
que je sens est délicieux et la flamme est douce, plus elle me brûle. »
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Le poète représente un amant qui se donne en corps et en âme à la femme dont il est
amoureux, sans remettre en question les actions ni les décisions de celle-ci.

Il établit un lien entre le sentiment d'amour et la douleur, qui deviennent en quelque sorte
des synonymes. Nous pouvons prendre comme exemple de cela le canzo de Bernard de
Ventadorn Non es meravelha s’eu chan (Il n’est pas étonnant si je chante), où il se
lamente : « Du cœur je soupire et des yeux je pleure car je l'aime trop, c'est pourquoi
grand mal m'en vient »

En effet, dans les poèmes des troubadours, on peut observer un thème récurrent : le poète
qui déclare son amour éternel à une jeune et belle dame, et celle-ci qui a le pouvoir de
l’accepter ou pas, mais le rejet était souvent sa réponse. De fait, quelquefois, la dame est
décrite comme la cause du mal du poète, la cause de toutes ses misères. Comme Bernard
de Ventadour le dit dans Non es meravelha s’eu chan : « Mon mal est bien d'une belle
apparence », mais même si elle lui fait du mal, il ne peut pas renoncer à elle, « car mieux
vaut mon mal qu'un autre bien ».

Cette souffrance et malheur sont strictement liés à la manière dont la femme est
présentée.

II. La représentation de la femme

a. L’introduction d’une femme idéalement parfaite

Dans les canzo des troubadours la bien-aimée était une femme représentée comme
l’incarnation de la beauté, de la sagesse, de la féminité, être loin d’elle était pire que mort.
Elle restait distante à la touche, mais proche aux yeux, ce que pourrait être interprété
comme un jeu de séduction.

Il faut remarquer que cette femme est d’haute naissance, c’est-à-dire qu’elle appartient à
la noblesse. Cela est important car il met en évidence ce qu’à l’époque on considérait
comme une femme idéale que méritait l’amour d’un ou de plusieurs hommes. Sa beauté
était irréelle, comme le dit Jaufré Rudel dans « Quand lo rius de la fontana » ("Quand le
ru de la fontaine") :
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« Dieu n’a point voulu qu’on vît

Jamais plus belle chrétienne,

Ni juive ni Sarrazine »

Cependant, sa perfection va d’ailleurs de la beauté physique. En effet, sa morale est aussi


incontestable, ce qui la différencie de toutes les autres femmes. Nous avons comme
exemple de cela le poème de Gautier de Coincy « De l’empereeis qui garda sa chastée
contre mout de temptations » :

« Car tant est franche et debonaire

Saige, cortoise et bien aprise

Que renomme plus la prise

Que toutes celles de l’empire »

Cette présentation d’une femme parfaite fait qu’elle soit aperçue comme une figure
surnaturelle.

b. Une figure inaccessible, presque divine

Effectivement, quelquefois, elle est décrite de manière tellement exagérée que l'on peut
même se demander si la femme décrite est réelle ou une divinité.

Cette thématique est retrouvée chez Arnaut Daniel, quand il défend dans son poème
Amors et jois e liocs e temps (L’Amour, la Joie, le lien et la saison) : « Je n'en sais pas un
qui soit aussi constant en Dieu, — ermite, moine ou clerc, — que moi je le suis envers
celle que je chante ».

Nous voyons ici comment le poète place sa bien-aimée sur un piédestal si élevé qu'il va
jusqu'à la comparer à Dieu et à remettre en question la foi et la loyauté des moines et du
clergé.

Cette thématique est aussi dans le poème de Ventadour Tant ai mo cor ple de joya (Mon
cœur si plein de joie) où il décrit ce que semble une prière à la femme : « Madame, pour
votre amour je joins les mains et j'adore. »
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Cependant, alors que le poète fait tout pour gagner l'amour de sa bien-aimée, cette
dernière semble désintéressée et indifférente la plupart du temps, ce qui ajoute à la
souffrance du poète. Elle est représentée comme une femme avec le « cœur dur » comme
le dit Arnat Daniel dans Amors et jois e liocs e tems, quelquefois elle semble être cruelle,
tel que le décrit de Ventadorn dans Non es meravelha seu chan : « L'amour me prend
et aucune clef ne peut ouvrir les prisons
dans lesquelles elle m'a mis »

Même si les troubadours mettaient la femme sur un piédestal divin dans leurs écrits,
la situation réelle de celles-ci était un contraste direct.

c. Sa réalité comme femme - objet dans la société médiévale.

En d’autres termes, la femme du Moyen-âge n’était pas vue comme une figure parfaite
qu’il faut adorer. De fait, la femme était considérée comme une séductrice, un péché
coupable de tous les maux qui frappaient les hommes et, en même temps, elle était aussi
un objet délicat qu'il fallait protéger du monde extérieur et d'elle-même. Cette
« protection » se faisait par le mariage.

En effet, à travers le mariage, la femme passait de la propriété de son père à la propriété


de son mari, et s'il mourait, à celle de son fils ou de son frère.

De plus, à cause du pouvoir de l’Église catholique et de l’inquisition, la figure de la


femme fut diabolisée, elle était l’ennemie principal de l’homme. Le moine Geffroy de
Vendôme (1070 – 1132) était un grand défenseur de cela « Ce sexe a empoisonné notre
premier parent, qui était aussi son mari et son père, a étranglé Jean-Baptiste, livré le très
courageux Samson à la mort. D’une certaine manière aussi, il a tué le Sauveur, cas si sa
faute ne l’avait pas exigé, notre sauveur n’aurait pas eu besoin de mourir. Malheur à ce
sexe en qui n’est ni crainte, ni bonté, ni amitié et qui est plus à redouter lorsqu’il est aimé
que lorsqu’il est haï ».

À cause de cette diabolisation, les femmes seront punies et considérées comme des
sorcières pour des raisons très banales. Malheureusement, personne ne les écoutait, alors
elles finissaient brûlées au nom de Dieu, comme fut le cas de Jeanne d’Arc, la libératrice
d’Orléans.
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Pour conclure, nous pouvons affirmer que le contraste direct entre la représentation de
la femme dans les poèmes courtois et la réalité est évident. Les troubadours parlaient sur
la femme noble de manière très idéalisée et exagérée, ce que faisait qu’on se questionne
sur l’humanité de celle-ci. Cependant, la discrimination entre les femmes idéales, nobles,
belles et les femmes de la compagnie, d’un niveau social plus bas, qui n’existaient pas
dans la poésie courtoise est aussi indiscutable.

Cela montre que la figure de la femme idéalisée était utilisée par les troubadours comme
un moyen d’atteindre une satisfaction amoureuse à travers de leur imagination parce
qu’ils ne pouvaient pas l’achever dans la réalité de son époque.

Cependant, si dans la poésie courtoise représentait une femme parfaite et éthérée,


dans le roman français du XIXe siècle une nouvelle figure féminine va se populariser,
celle de la femme infidèle. Alors, pourquoi la femme et pas le mari ?
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BIBLIOGRAPHIE

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https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1910_num_22_86_7735

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de Gautier de Coinci. Le Moyen Age, CXVI, 367-
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- Libero Romano.16 janvier 2014. « Le déni » : quand la parole des femmes manque à
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- Daniel POIRION, « MOYEN ÂGE - La poésie lyrique », Encyclopædia Universalis [en


ligne]. URL: https://www.universalis.fr/encyclopedie/moyen-age-la-poesie-lyrique/

- De Rougemont, Denis. L’amour et l’Occident. (01/01/2001) Ed: 10-18.

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