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Pour réussir un commentaire de texte en droit, il est bien sûr essentiel de

connaître la méthodologie du commentaire de texte. Mais il peut également être


intéressant d’avoir un exemple de commentaire de texte, afin de bien
comprendre ce qu’on attend de vous dans cet exercice.
C’est tout l’objet de cet article. Vous trouverez ci-dessous un exemple de
commentaire de texte en droit constitutionnel. Il s’agit plus précisément d’un
commentaire d’un texte de Walter Bagehot, extrait de The English Constitution,
son ouvrage paru en 1867.
Je vous propose que vous lisiez d’abord le texte, avant de prendre connaissance
du corrigé.
Voici le texte à commenter :
Le trait caractéristique du régime présidentiel, c’est que le président y est élu
par le peuple d’une certaine manière et la chambre des représentants d’une
autre façon. C’est l’indépendance mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif qui est la qualité distincte du régime présidentiel, tandis qu’au
contraire la fusion et la combinaison de ces pouvoirs servent de principe au
gouvernement de cabinet.
Maintenant que vous avez lu le texte, vous pouvez lire l’exemple de
commentaire de texte ci-dessous. Bonne lecture !
 

 
Ce texte est un extrait de The English Constitution, l’ouvrage majeur de Walter
Bagehot paru en 1867. Né en 1826, Walter Bagehot était un essayiste
britannique, connu pour ses écrits dans des domaines aussi divers que l’histoire,
la littérature, l’économie ou encore la politique. Sans être juriste de profession,
Bagehot écrit également, à diverses reprises, sur le droit constitutionnel.
Dans The English Constitution, il analyse la Constitution du Royaume-Uni,
notamment concernant le fonctionnement du Parlement et de la monarchie
britannique, ainsi que les différences entre le régime parlementaire britannique
et le régime présidentiel américain.
The English Constitution intervient en effet à une époque où les pratiques
institutionnelles américaine et britannique, pourtant fondées à l’origine sur des
systèmes constitutionnels similaires, s’éloignent progressivement l’une de
l’autre. Au Royaume-Uni, le Parlement obtient progressivement le droit de
contrôler le Cabinet (l’organe de décision collective du gouvernement, composé
du Premier ministre et des ministres les plus importants), et le veto législatif
disparaît. Inversement aux États-Unis, le président garde son droit de veto et
continue de nommer les ministres de manière discrétionnaire, ces derniers
n’étant pas responsables devant le Parlement.
Mais au-delà de ce glissement du pouvoir, Bagehot distingue les deux régimes
sur la base du mode d’élection du pouvoir exécutif. Là où dans le régime
américain, l’élection du président est dissociée de celle des parlementaires, dans
le régime britannique, le leader du parti majoritaire est appelé à devenir Premier
ministre et à nommer les membres du gouvernement. C’est pourquoi selon
Bagehot, le régime américain est un régime présidentiel de séparation et
d’indépendance des pouvoirs, tandis que le régime britannique (qu’il appelle
« gouvernement de cabinet ») est au contraire un régime de confusion des
pouvoirs.
Cet extrait permet donc de s’interroger sur la distinction des régimes politiques.
Certes, l’intention de Bagehot n’était pas d’établir des catégories de régimes
dans lesquelles pourraient se ranger l’ensemble des systèmes politiques. Pour
autant, force est de constater qu’encore aujourd’hui, la majorité des auteurs
considèrent qu’il n’y a que deux catégories de régimes politiques et que tous les
systèmes, bien qu’ils puissent présenter des variantes, procèdent nécessairement
soit du régime présidentiel, soit du régime parlementaire. Mais cette distinction
est-elle encore pertinente aujourd’hui ?
En distinguant point par point le régime américain et le régime britannique,
Bagehot a forgé la distinction entre régime présidentiel et régime parlementaire
(I). Néanmoins, cette distinction mérite aujourd’hui d’être remise en cause (II).
 
I) Une distinction entre régimes politiques théorisée par Bagehot
 
Le mode d’élection du chef de l’exécutif (A) et les rapports entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif (B), tant au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis,
expliquent que Bagehot ait distingué les régimes politiques en deux catégories, à
savoir le régime présidentiel et le régime parlementaire.
 
A) Une distinction selon le mode d’élection du pouvoir exécutif
Selon Bagehot, le mode d’élection de l’exécutif constitue le fondement de la
distinction entre régime présidentiel et régime parlementaire.
Comme il le relève dans cet extrait de The English Constitution, le président
américain « est élu par le peuple d’une certaine manière et la chambre des
représentants d’une autre façon ». En effet, le président américain est élu au
suffrage universel indirect. Concrètement, le peuple élit au suffrage universel
direct un collège de grands électeurs, et le président est désigné à la majorité des
grands électeurs. Par ailleurs, les parlementaires sont également élus au suffrage
universel direct. Ainsi, chaque Etat fédéré élit deux sénateurs au scrutin
uninominal majoritaire à un tour. De manière similaire, les membres de la
Chambre des représentants sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour,
chaque Etat désignant cette fois-ci un nombre de représentants proportionnel à
son nombre d’habitants. La conséquence de ces élections dissociées est que le
président n’est absolument pas assuré d’avoir une majorité parlementaire. Ainsi,
la vie politique américaine peut être paralysée si le président et le Congrès sont
dans l’incapacité de trouver un « compromis » politique, notamment lors du vote
du budget fédéral. Dans un pareil cas, le gouvernement fédéral est alors
dépourvu d’autorisation légale lui permettant de financer son fonctionnement et
l’administration est gelée (on parle de « shutdown »).
Inversement, au Royaume-Uni, le monarque choisit comme Premier ministre le
leader du parti politique majoritaire à la Chambre des communes, qui est la
chambre basse du Parlement. Ensuite, le Premier ministre choisit les membres
du gouvernement. Dès lors, dans le régime parlementaire, l’élection du Premier
ministre et la nomination des membres du gouvernement procèdent directement
de l’élection des parlementaires. En conséquence, le Premier ministre
britannique dispose généralement d’une majorité parlementaire, bien qu’il
puisse la perdre dans de rares cas, comme ce fut le cas pour Theresa May en
2017 à la suite d’élections anticipées, ou encore Boris Johnson en 2019 avec la
défection du député conservateur Phillip Lee qui avait rejoint le Parti libéral-
démocrate.
Ainsi, le mode d’élection des gouvernants structure le régime politique mis en
oeuvre. Mais les relations entre les pouvoirs sont également révélatrices de la
nature du régime politique.
 
B) Une distinction selon les relations entre les pouvoirs
Bagehot souligne « l’indépendance mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif » qui est caractéristique du régime présidentiel, et l’oppose à « la fusion
et la combinaison de ces pouvoirs » qui structurent le gouvernement de cabinet,
c’est-à-dire le régime parlementaire britannique. En effet, il existe davantage de
moyens d’action réciproques entre les pouvoirs dans le régime britannique que
dans le régime américain.
Aux Etats-Unis, il existe une véritable séparation des pouvoirs exécutif et
législatif. Ainsi, le président ne dispose pas de l’initiative des lois ; il ne peut pas
déposer un projet de loi au Congrès. En outre, il ne peut pas dissoudre le
Congrès. A l’inverse, il n’est pas responsable politiquement devant le Congrès,
ce qui signifie que les parlementaires ne peuvent pas le renverser (il encourt
seulement une responsabilité pénale par la procédure d’
« impeachment » pour « trahison, concussion ou autres crimes et délits » (article
II de la Constitution américaine de 1787)).
A l’inverse, au Royaume-Uni, le gouvernement a l’initiative des lois. A ce titre,
la plupart des lois votées proviennent de projets de loi à l’initiative du
gouvernement, ce qui démontre la collaboration qui existe entre le
gouvernement et le Parlement. De plus, le gouvernement est politiquement
responsable devant la Chambre des Communes. Cela signifie qu’il existe une
véritable responsabilité politique du Premier ministre devant son propre groupe
parlementaire. Plusieurs Premiers ministres britanniques ont ainsi été contraints
de démissionner par leur propre majorité parlementaire : Margaret Thatcher en
1990 (une majorité s’était dressée notamment contre sa politique hostile à
l’Union européenne), Theresa May en 2019 (après avoir échoué à mettre en
oeuvre le Brexit)… Ces démissions montrent le lien prégnant qui existe entre la
fonction de chef du parti majoritaire et celle de Premier ministre au Royaume-
Uni et sont donc une illustration de la fusion qui existe entre le pouvoir exécutif
et le pouvoir législatif, comme l’avait théorisée Bagehot dans cet extrait de The
English Constitution.
 
Ainsi, il apparaît que la distinction entre régime présidentiel et régime
parlementaire forgée par Bagehot constitue toujours le fondement de la
classification des régimes politiques (I). Cependant, cette distinction doit être
relativisée (II).
 
II) Une distinction entre régimes politiques remise en cause
 
La distinction affirmée par Bagehot peut aujourd’hui apparaître obsolète, tant les
régimes américain et britannique ont évolué dans le sens d’une atténuation de
leurs différences (A). Par ailleurs, la diversité des régimes contemporains tend
également à remettre en cause cette distinction (B).
 
A) Une distinction remise en cause par l’évolution des régimes
Depuis la fin du XIXème siècle, les régimes américain et britannique ont évolué
de sorte que la frontière entre régime présidentiel et régime parlementaire s’est
atténuée : le régime américain n’est plus un régime de séparation stricte des
pouvoirs tandis que le régime britannique n’est plus un régime de fusion totale
des pouvoirs comme l’affirmait Bagehot.
D’abord, le président américain signe les textes votés par le Congrès afin de leur
donner force exécutoire. Mais il dispose d’un veto qui lui permet de refuser de
signer le texte et de le renvoyer au Congrès. Or à l’époque de Bagehot, le
recours au veto ne semblait pouvoir être motivé que par l’inconstitutionnalité de
la loi, au point que de nombreux présidents américains n’utilisaient jamais leur
droit de veto. Plus tard, des motifs d’opportunité se sont développés, poussant
certains présidents américains à utilisé leur droit de veto à de très nombreuses
reprises (Cleveland l’a utilisé 304 fois de 1885 à 1889 et de 1893 à 1897,
Roosevelt l’a utilisé 371 fois de 1933 à 1945…). Ce recours au droit de veto est
une véritable arme à la disposition du président pour contrecarrer les plans du
Congrès.
En outre, si le président américain ne peut en théorie être destitué qu’en raison
de sa responsabilité pénale par la procédure d’ « impeachment », on assiste
aujourd’hui à une banalisation de son utilisation. Alors que l’« impeachment »
est censé éviter l’émergence d’une tyrannie au sommet de l’Etat américain, cette
procédure a par exemple été utilisée en 1998 à l’encontre de Bill Clinton suite à
l’affaire Monica Lewinsky, une collaboratrice avec laquelle il aurait eu des
relations sexuelles durant son mandat. De même, en 2019, Donald Trump a été
mis en accusation (impeached) pour « abus de pouvoir », les démocrates
l’accusant d’avoir fait pression sur son homologue ukrainien Volodymyr
Zelensky pour qu’il lance une enquête sur Joe Biden, son rival pour l’élection
présidentielle de 2020. Ces exemples démontrent que l’ « impeachment » tend
aujourd’hui à mettre en cause non pas la responsabilité pénale, mais la
responsabilité politique du président, contribuant ainsi à limiter la séparation
stricte des pouvoirs propre au régime présidentiel.
A l’inverse, dans le régime britannique, le Premier ministre jouissait d’un droit
de dissolution de la Chambre des Communes qui lui permettait concrètement de
choisir la date des élections législatives à un moment qu’il jugeait favorable. Or
le « Fixed-term Parliaments Act 2011 », promulgué le 15 septembre 2011,
interdit aujourd’hui au Premier ministre d’avoir recours à ce type de dissolution
« tactique ». En effet, le Premier ministre ne peut dorénavant dissoudre la
Chambre des Communes que dans deux hypothèses : en premier lieu, si la
Chambre des Communes a voté une motion en faveur de la tenue d’une élection
anticipée, en second lieu, suite à l’adoption d’une motion de censure par la
Chambre des Communes qui entraînerait le renversement du gouvernement et
une incapacité de former un nouveau gouvernement obtenant la confiance de la
chambre basse dans les 14 jours. Ainsi, le Premier ministre britannique ne
dispose plus d’une véritable faculté de dissoudre le Parlement, ce qui est
pourtant une caractéristique majeure des régimes parlementaires.
Par ailleurs, si le régime britannique était qualifié par Bagehot de
« gouvernement de cabinet », c’est parce que le Cabinet constituait le noyau dur
de l’appareil gouvernemental, les décisions étant prises de manière collégiale.
Mais depuis la seconde moitié du XIXème siècle, l’autorité du Premier ministre
britannique s’est nettement affirmée et ce dernier décide seul, ce qui conduit à
une véritable présidentialisation du pouvoir.
Au-delà de ces évolutions, le régime parlementaire et le régime présidentiel ont
été transposés dans de nombreux autres pays avec des différences plus ou moins
notables par rapport à leurs modèles d’origine.
 
B) Une distinction remise en cause par l’hétérogénéité des régimes
Si le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont été à l’origine de la distinction entre
régime parlementaire et régime présidentiel telle qu’elle a été conceptualisée par
Bagehot, il n’en demeure pas moins que chacun de ces régimes forme
aujourd’hui un ensemble hétérogène, contribuant à rendre la distinction de
Bagehot un peu trop simpliste.
D’une part, le régime parlementaire, présent dans la plupart des grandes
démocraties occidentales, comporte des formes diverses : parlementarisme
moniste et dualiste, parlementarisme inorganisé et rationalisé, etc… Ainsi, si la
majorité des pays, à l’image du Royaume-Uni, pratiquent un parlementarisme
moniste avec un souverain ne jouant pas un rôle politique actif, certains pays,
comme le grand-duché de Luxembourg, continuent de favoriser un
parlementarisme dualiste. De même, la responsabilité politique du
gouvernement peut généralement être engagée seulement devant la chambre
basse, comme c’est le cas au Royaume-Uni, mais elle peut l’être également
devant la chambre haute dans certains régimes (c’était le cas de la France sous la
IIIème République, c’est le cas aujourd’hui de l’Italie). En outre, certains
régimes parlementaires ont mis en place de véritables mécanismes de
rationalisation afin de lutter contre l’instabilité gouvernementale et l’incapacité à
légiférer en l’absence de majorité parlementaire. Un bon exemple de
parlementarisme rationalisé est l’Allemagne, avec notamment l’article 67 de la
Loi fondamentale allemande qui prévoit la motion de censure constructive : « Le
Bundestag [chambre basse du Parlement] ne peut exprimer sa défiance envers
le chancelier fédéral qu’en élisant un successeur à la majorité de ses
membres ».
Par ailleurs, si le Premier ministre britannique bénéficie d’une quasi-investiture populaire
puisque les citoyens anglais, en votant pour un parti votent également pour le leader de celui-
ci et donc pour le futur Premier ministre, il en va différemment dans d’autres régimes
parlementaires comme l’Allemagne où le chef de l’exécutif est élu par le Parlement. Dans de
nombreux pays, le président est même élu au suffrage universel direct : France, Finlande,
Portugal, Autriche, Irlande, Pologne, République tchèque, etc…
Au sein des régimes parlementaire qui prévoient l’élection du chef de l’État au suffrage
universel direct, la France de la Vème République se distingue tout particulièrement puisque
le président français devient le chef de l’exécutif lorsqu’il dispose d’une majorité
parlementaire. En effet, la révision constitutionnelle de 1962 instaurant l’élection du président
de la République au suffrage universel direct et la pratique de la fonction qui a été faite par De
Gaulle et ses successeurs ont accentué la présidentialisation du régime. En définitive, le
président de la République est sorti de son rôle d’arbitre pour devenir un gouvernant et le
Premier ministre s’est trouvé affaibli, à la tête d’un gouvernement chargé simplement de
mettre en oeuvre la politique déterminée par le président. C’est pourquoi le régime français
est qualifié de présidentialiste, voire de semi-présidentiel par certains auteurs. Contrastant à
bien des égards avec les régimes parlementaires classiques, il n’entre « dans aucune catégorie
» selon François Goguel.
D’autre part, transposé dans les États d’Amérique latine au lendemain de leur accession à
l’indépendance (de 1811 à 1830), le régime présidentiel américain a été dénaturé par le
constituant latino-américain. La stricte séparation des pouvoirs a été un échec dans tous ces
pays, et le régime présidentiel s’est transformé en régime présidentialiste avec l’hégémonie
d’un président élu au suffrage universel direct. Ainsi, non seulement ce dernier dispose
souvent des pouvoirs de crise, mais il peut fréquemment intervenir dans la procédure
législative (comme en Argentine, au Brésil, au Mexique, en Colombie, au Chili, au
Venezuela…), ou même recevoir une habilitation législative (c’est le cas au Brésil, au Pérou,
au Mexique, au Chili et en Colombie), ou encore dissoudre le Parlement (en Uruguay et en
Équateur). En définitive, la pensée de Bagehot a mal vieilli concernant l’indépendance
mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif dans le régime présidentiel ; il n’est en
effet pas exagéré de considérer qu’elle n’est plus la « qualité distincte du régime
présidentiel ».
 

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