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Journal des anthropologues

Association française des anthropologues 


156-157 | 2019
Dettes de sexe ?

Amour, sexualité et… utilité


Les circuits d’échange intime des femmes dans les productions télévisées
contemporaines
Love, Sexuality, and… Utility: A Typology of Women’s Intimate Exchange Circuits
as Represented in Contemporary Television Production

Catherine Lavoie Mongrain et Chiara Piazzesi

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/jda/8008
DOI : 10.4000/jda.8008
ISSN : 2114-2203

Éditeur
Association française des anthropologues

Édition imprimée
Date de publication : 15 mai 2019
Pagination : 37-59
ISSN : 1156-0428
 

Référence électronique
Catherine Lavoie Mongrain et Chiara Piazzesi, « Amour, sexualité et… utilité », Journal des
anthropologues [En ligne], 156-157 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 28 juin 2022.
URL : http://journals.openedition.org/jda/8008  ; DOI : https://doi.org/10.4000/jda.8008

Journal des anthropologues


AMOUR, SEXUALITÉ ET… UTILITÉ :
Les circuits d’échange intime des femmes
dans les productions télévisées contemporaines1

Catherine LAVOIE MONGRAIN − Chiara PIAZZESI

Les relations intimes sont reconnues par les sciences sociales


comme des terrains d’échange à partir desquels les partenaires mul-
tiplient les transferts et dons de toute sorte (Bozon, 2016). La nature
des objets échangés ne se limite pas à ce qui est considéré dans les
sociétés occidentales comme relevant directement du sexuel ou du
sentimental (Tabet, 1987). De nombreux travaux montrent que les
échanges intimes peuvent impliquer des transferts économiques,
matériels et symboliques, qui se mêlent à des partages affectifs,
sexuels et sentimentaux (Benquet & Trachman, 2009 ; Broqua &
Deschamps, 2014a ; Combessie & Mayer, 2013). Ces recherches
soulignent l’asymétrie caractérisant les échanges intimes entre
hommes et femmes, affectant à la fois la nature des contributions
apportées par l’un et par l’autre et les attendus culturels normalisant
certains types d’échange et en sanctionnant d’autres (Tabet, 2004).

 Université du Québec à Montréal, Département de sociologie


Courriel : lavoie_mongrain.catherine@courrier.uqam.ca
 Université du Québec à Montréal, Département de sociologie.
Courriel : piazzesi.chiara@uqam.ca
1 Cette recherche a bénéficié d’un soutien financier de la part du Conseil
de recherche en sciences humaines du Canada.

Journal des anthropologues n° 156-157, 2019 37


Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

La littérature académique sur les échanges intimes, dont une large


partie relève de l’anthropologie et adopte une approche ethnogra-
phique, tend toutefois à placer principalement les cultures non
occidentales dans sa ligne de mire (Benquet & Trachman, op. cit. ;
Broqua & Deschamps, 2014b), puisque les échanges intimes y
seraient une réalité plus aisément mise en discours que dans les pays
occidentaux. En contrepartie, les représentations des échanges in-
times entre hommes et femmes dans les cultures occidentales cons-
tituent actuellement un angle mort des sciences sociales (Lavoie
Mongrain, 2018). Dans cet article, nous contribuons à combler cette
lacune en proposant une typologie des échanges intimes représentés
dans les productions culturelles occidentales contemporaines. Le
matériau analysé est tiré d’une étude de cas conduite sur une série
télévisée populaire québécoise.
Les représentations culturelles d’échanges intimes sont perti-
nentes dans ce contexte, puisque la culture populaire transmet ce que
Simon et Gagnon (1987) appellent des scénarios culturels indiquant
aux acteurs les orientations et prescriptions conventionnelles en
matière de conduite intime. Les scénarios culturels agissent comme
cartes routières en fournissant d’importants renseignements sur les
codes de conduite usuels en matière d’intimité sexuelle et amoureuse
et en guidant l’opérationnalisation des échanges intimes par les
acteurs (Simon & Gagnon, 1986). Les séries télévisées, véritables
« machines à produire des récits » (Esquenazi, 2015), regorgent de
récits se centrant sur le thème de l’intimité amoureuse et sexuelle et
sont reconnues par les chercheurs et chercheuses comme des maté-
riaux utiles à l’étude des scénarios culturels sexuels (Wiederman,
2015). En plus de susciter une sorte d’« addiction » (Glevarec,
2013) pour leur auditoire, elles transmettent des représentations
audiovisuelles dont les contenus véhiculent du sens de manière
parfois plus percutante que les textes (Priest, 1998).

Transactions ou échanges intimes?


L’idée que des échanges mêlant la sexualité avec des objets de
nature variée aient lieu entre partenaires d’une relation intime n’est

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Amour, sexualité et… utilité

pas nouvelle. La mythique distinction entre prostitution et relations


dites ordinaires a été disséquée par l’anthropologue Paola Tabet en
vue d’en exposer la fausseté (1987). Ce type d’échange se retrouve,
dit-elle, dans un éventail de configurations relationnelles, allant du
mariage à ce que nous appelons couramment la prostitution, révélant
l’existence d’une structure, nommée continuum d’échange
économico-sexuel, faisant de la sexualité « un travail "de femmes" »
(2004 : 106). L’ouvrage précurseur de Tabet donne le ton dans
l’étude des échanges intimes : ces échanges sont asymétriques et
impliquent un service sexuel féminin rétribué par une compensation
masculine. Elle laisse également un héritage scientifique poussant à
l’avant-plan l’aspect économique des échanges transformant les
relations intimes entre hommes et femmes en relations marchandes.
Le recours à la métaphore commerciale pour penser les échanges
intimes, particulièrement sexuels, est par ailleurs fréquent en socio-
logie de la sexualité : on compare le partenariat sexuel et amoureux
à un marché où les partenaires troquent et négocient en vue
d’obtenir la satisfaction de leurs désirs (Moon, 2008). Or, il existe
un important décalage entre un marché sexuel « pur » et le marché
sexuel réel, puisque la satisfaction sexuelle peut être troquée contre
un ensemble d’intérêts (matériaux ou symboliques) (Bejin & Pollak,
1977). Pour Martin et George, la métaphore commerciale doit être
abandonnée, car le domaine de l’intime et du sexuel ne possède pas
les caractéristiques essentielles d’un marché, telle l’existence de prix
fixes (2006). Sans ces aspects, l’analogie se révèle tautologique. Le
fait d’assimiler tout échange prenant place au sein de relations in-
times à un marché relève selon Viviana Zelizer (2000) d’une
tendance réductionniste répandue en sciences sociales qui engloutit
ces échanges sous un cadre interprétatif monolithique et, par consé-
quent, en rend invisible la pluralité de significations possibles : les
échanges ne peuvent être compris comme « rien d’autre que »
(nothing but), dans ce cas-ci, un marché. Un deuxième réduction-
nisme consiste à exclure d’emblée la possibilité qu’intimité et mar-
chandage puissent se côtoyer dans une même relation : en les
distinguant en univers de sens séparés (amour versus argent), on les

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

renvoie dans des « mondes hostiles » aux frontières impénétrables


(Zelizer, 2000). Cette approche réfute l’existence même des
échanges intimes : l’expression en soi peut sembler contradictoire,
« échange » et « intime » appartenant à des terrains antagoniques.
Parry et Bloch (1989) retracent les origines de cette dichotomisation
depuis la pensée aristotélicienne jusqu’aux analyses de Marx et
Simmel associant la recherche de profits à l’individualisation et à la
destruction des communautés. Selon ces auteurs, cet héritage se
révèle dans la disposition épistémique à créer, à partir d’un point de
vue ethnocentré, des distinctions entre, d’un côté, les économies
non-monétaires, traditionnelles et fondées sur des systèmes de dons
et, de l’autre, les économies monétaires, modernes et fondées sur
l’échange d’argent. Cette dichotomie marque les interprétations
morales des échanges sous forme de cadeaux et des échanges sous
forme de transferts monétaires, ces derniers étant considérés comme
appartenant exclusivement à la sphère économique et donc exempts
de moralité. Des échos de cette construction antagonique en
« mondes hostiles » peuvent être trouvés dans les normes amou-
reuses occidentales. Le désintéressement matériel fait figure d’idéal
auquel il est attendu que les partenaires se conforment : comme le
dit l’adage, « en amour, on ne compte pas » (Belleau,
2000 ; Henchoz, 2014). Au niveau conceptuel, il paraît probléma-
tique de recourir à la métaphore marchande pour décrire des
transferts monétaires entre partenaires intimes et sexuels. L’emploi,
par exemple, de l’expression « transaction » pour nommer une rela-
tion subordonne l’affectif à l’économique dans un langage qui, par
ailleurs, paraît étranger aux principaux concernés (Castro, 2014). La
sentimentalité et d’autres aspects fondamentaux de l’intimité
sexuelle et amoureuse deviennent accessoires. Les affects occupent
pourtant une part notable des échanges intimes et se retrouvent fré-
quemment au cœur de transferts mêlant la sexualité, la matérialité et
le symbolique (Cauvin Verner, 2014 ; Combessie, 2014 ;
Deschamps, 2011 ; Leclerc-Madlala, 2003 ; Majdoubi, 2014 ;
Ricordeau, 2014 ; Roux, 2011 ; Salomon, 2014). Même les trans-
ferts de type matériel sont indissociables des affects : ils peuvent,

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Amour, sexualité et… utilité

par exemple, servir à exprimer l’intensité des désirs amoureux ou


sexuels des donateurs (Castro, 2012 ; Gourarier, 2013 ; Omokaro,
2014). Circonscrire les pourtours d’une transaction au sein de rela-
tions où se mêlent sentiments amoureux, sexualité, partage des dé-
penses, cohabitation, répartition des tâches domestiques, travail
émotionnel et bien d’autres représente une tâche épineuse, voire
impraticable.
Bozon (2016) considère la circulation de biens, d’informations
et de signes comme la pierre angulaire des relations amoureuses et
de l’attachement intime. L’absence de résolution des dettes, ou le
caractère perpétuel des échanges, conserve, voire renforce, le lien
entre partenaires. Les relances de dons et de dettes, en ce qu’elles
sont productrices de désir, participent également aux efforts de sé-
duction et, accumulées, permettent au couple de se projeter dans
l’avenir (Deschamps, 2013). La circulation d’objets de nature di-
verse (affective, sexuelle, monétaire, etc.) entre partenaires intimes
peut donc être comprise comme un réseau composé de différents
canaux d’échange s’entremêlant selon des principes élaborés de
manière singulière (Zelizer, 2001). L’organisation de ces circuits
d’échange intime fonctionne par le biais de « liens différenciés » à
partir desquels sont constamment réitérés et renégociés les en-
sembles de règles, pratiques et significations partagés par les
membres d’une relation intime (ibid.). Cette approche permet
d’envisager les enchevêtrements de dons et de dettes entre parte-
naires sans recourir à la métaphore commerciale, ni penser l’échange
de sexualité de manière isolée dans le cadre de transactions ponc-
tuelles. Le contexte, représenté ici sous forme de circuit, est indis-
pensable à la compréhension d’échanges particuliers, puisque,
comme l’a remarqué Zelizer (ibid.), leur dissociation des réseaux
dans lesquels ils font sens, engendre irrémédiablement des pro-
blèmes de traduction. Pour cette raison, les unités d’analyse de notre
recherche sont les relations représentées dans la série télévisée :
notre démarche vise à éviter d’identifier de manière isolée des ins-
tances de compensation matérielle faisant suite à des représentations

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

d’activités sexuelles2. Nous offrons par conséquent une analyse des


représentations de circuits d’échange typiques, en prenant en consi-
dération les récits biographiques des couples fictifs, leurs partages
sexuels, affectifs, matériels, etc.

Discerner et typifier les scénarios culturels à partir d’une série


télévisée : le cas de La Galère
L’étude de cas réalisée analyse les récits contenus dans la série
télévisée québécoise La Galère (Durand-Brault & Lorain,
2007-2013), diffusée sur les ondes de la chaîne publique franco-
phone Radio-Canada de 2007 à 2013. Cette série télé, grandement
populaire auprès du public québécois, met en scène quatre femmes
blanches, Claude3, Stéphanie, Isabelle et Mimi, qui décident, à
l’aube de la quarantaine, d’emménager toutes quatre ensemble et
sans leur conjoint. Le public suit, pendant six saisons, leurs aven-
tures amoureuses et sexuelles4 alors que sont abordées des théma-
tiques habituellement peu présentes dans le paysage télévisuel, tel
l’orgasme féminin et le goût du sperme. La série télévisée, scénari-
sée par une femme et réalisée en partie par une femme, présente
diverses problématiques à partir d’un point de vue féminin (Ravary,
2017), point de vue que nous reprenons dans nos analyses en adop-
tant la perspective des protagonistes. Afin de retracer la multitude de
significations véhiculées dans le matériau en vue de mettre sur pied
une typologie des circuits d’échange intime, nous avons opté pour

2 Par exemple, les analyses de contenu d’Eyal et Finnerty (2009) et de


Ward (1995) ne documentent que les gains matériels en tant que
conséquences aux rapports sexuels, sans égard aux contextes ni aux
narrations. Leurs résultats montrent par ailleurs que la représentation de ce
type de conséquence à la télévision est très rare.
3 Claude découvre à la cinquième saison que sa mère biologique est
haïtienne, mais cette nouvelle donnée a peu d’impact sur le portrait dressé
de ses relations intimes et sexuelles.
4 Tous les couples de La Galère qui présentent un circuit d’échange intime
sont hétérosexuels. L’absence de prise en compte de couples non
hétérosexuels constitue une limite de cette étude.

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Amour, sexualité et… utilité

une analyse qualitative approfondie d’une seule série télévisée


(Krippendorff, 2004).
La démarche inductive (Glaser, 1978) empruntée dans cette
étude documente la récurrence de la représentation de certains mo-
dèles de circuits d’échange intime. Elle dépasse le calcul de fré-
quences d’apparition de certains discours ou comportements en
formulant une typologie de configurations de significations. Plus
spécifiquement, chaque circuit typique identifie la conjonction réité-
rée de certaines modalités d’échange et de certaines caractéristiques
relationnelles. Les circuits prennent, dans la série télévisée analysée,
des contours mouvants, les protagonistes négociant et adaptant con-
tinuellement les différents principes et les règles d’échange au gré
des événements perturbateurs. Les relations passent parfois d’un
circuit typique à un autre, suivant les évolutions des personnages. En
observant les fréquents recoupements de certaines modalités, nous
remarquons également des éléments permettant la différenciation
des circuits typiques. Parmi ces éléments, notons le type d’intérêts
ou de visées recherchées par les femmes, le rapport plus ou moins
direct entre ces intérêts et la sexualité au sein du couple, la tempora-
lité des circuits d’échange, ainsi que l’intensité du tabou empêchant
ou tolérant l’énonciation du circuit et de ses modalités. De cette
façon, nous avons identifié la représentation de quatre circuits
d’échange typiques : la relation de convenance à visée économique,
la relation désintéressée avec bénéfice économique, la relation à
sexualité ponctuelle et instrumentale et la relation commerciale avec
intimité sexuelle.

La relation de convenance à visée économique


Un premier modèle de circuit d’échange observé dans la série
télévisée analysée s’articule autour de la centralité d’une visée de
type économique recherchée par une protagoniste. Cette configura-
tion représente dans la série une façon alternative pour les femmes
de répondre à des aspirations ou à se libérer de dettes en contexte de
contrainte économique. Par exemple, au cinquième épisode de la
sixième saison, les quatre femmes élaborent ensemble un plan de

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

séduction de professionnels de la rénovation pour leur soutirer des


services de réparation qu’elles n’ont pas les moyens de payer. Au
départ, la relation n’existe pas : elle est développée de manière op-
portune afin de répondre à une finalité économique qui peut être
diffuse (avoir accès aux ressources financières du partenaire) ou
concise (obtenir une faveur spécifique). Les partenaires sont rempla-
çables et choisis sur la base de leur capacité à répondre aux finalités
recherchées. De plus, bien que le contexte de contrainte soit fré-
quemment associé à ce type de configuration dans la série, les visées
économiques des femmes représentent rarement des besoins essen-
tiels.
Dans les scénarios relatifs à ce type de circuit, les femmes
feignent une disponibilité sexuelle en vue de provoquer et de nourrir
chez leur partenaire un espoir d’accès sexuel. Le circuit d’échange
se dessine autour de la convergence des intérêts différents des deux
partenaires dans une entente tacite de satisfaction réciproque. La
délicatesse avec laquelle les femmes font connaître leurs intentions
sans les nommer directement à leurs partenaires laisse croire que
l’explicitation des modalités d’échange est à proscrire. Les scénarios
dans lesquels les femmes instrumentalisent l’attirance sexuelle
qu’elles inspirent aux hommes montrent presque toujours une
réticence de celles-ci à répondre entièrement aux demandes
(sexuelles) des hommes pour deux raisons principales. D’abord,
l’atteinte des objectifs visés par le partenaire (un rapport sexuel)
risque de mettre fin au circuit sans que la femme ait pu en retirer les
bénéfices voulus : c’est l’espoir sexuel, et non l’actualisation de la
relation sexuelle en soi, qui est censé être garant de bénéfices
économiques. Ces scénarios impliquent des rôles contradictoires
pour les femmes : être gardienne de la sexualité, tout en alimentant
délibérément les espoirs de leur partenaire (Simmel, 1988, 2004).
Ce dialogue entre Isabelle et Claude, principale tenante de ce
raisonnement, à propos de leur plan de séduire des professionnels de
la rénovation est éloquent :
Isabelle : Vous allez faire quoi quand ils vont vous demander de
coucher pour faveurs obtenues?

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Amour, sexualité et… utilité

Claude : Qu’est-ce que tu dis là toi, on ne couche PAS, des affaires


pour les démotiver. C’est avant qu’ils donnent tout, quand ils n’ont
pas ce qu’ils veulent. (S6E55).
Ensuite, dans les scénarios de ce type de circuit, l’actualisation
de la sexualité est aussi condamnée pour des raisons morales. Les
objections, tenues principalement par les trois protagonistes autres
que Claude, portent sur l’immoralité du fait d’instrumentaliser
l’attirance des hommes envers elles afin de leur soutirer une faveur
économique. La longévité de la relation intensifie par contre le
besoin de réciprocité et exacerbe la pression sur les femmes à se
prêter à des relations sexuelles avec leur partenaire. La réalisation de
la sexualité est perçue, à un certain point, comme inévitable et ce,
malgré les réticences des femmes et l’absence ou la faiblesse du
désir envers leur partenaire. Après que Claude ait révélé à Clint, un
homme beaucoup plus âgé, ses intentions de le séduire dans le but
d’hériter de sa fortune, Clint est curieux :
Clint : Puis comment tu pensais faire ça? Écoute, tu connais la game.
Tu m’aurais fait de la bonne soupe, tu m’aurais fait rire, ça c’est sûr.
Mais… t’aurais été obligée de trouver des raisons pour ne pas
coucher avec moi.
Claude : Non, j’ai une amie qui en connaît un char, elle a été douze
ans avec son mari. Mais je pourrais, hein, vous n’êtes pas si pire que
ça.
Une fois la visée matérielle obtenue ou abandonnée dans ces
circuits, la relation n’a plus raison d’être; celle-ci est conséquem-
ment habituellement de courte durée.

La relation désintéressée avec bénéfices économiques


Contrairement au premier modèle de circuit d’échange, la
relation désintéressée avec bénéfice économique ne découle pas
forcément d’une finalité précise et prend forme dans des couples
amoureux durables et économiquement asymétriques. Dans la série
télévisée, ces couples sont composés d’hommes occupant des postes

5 Cette abréviation fait référence à la saison « S » et à l’épisode « E ». Par


exemple, S6E5 signifie le cinquième épisode de la sixième saison.

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

de pouvoir généreusement rémunérés (premier ministre, ministre,


partenaire de firme d’avocat) ou qui disposent autrement d’un im-
portant capital économique (héritage, vols), alors que les femmes
galèrent sur le plan financier (revenus ponctuels, licenciement, faible
rémunération, etc.). Les scénarios de ce circuit nous montrent la
production d’une hiérarchie au sein du couple découlant de ces iné-
galités. L’exemple le plus frappant est celui d’Isabelle, avocate
devenue femme au foyer, insatisfaite de la tangente prise par son
mariage : alors qu’elle était sensée être la « copilote » de son mari
qui, lui, possède une carrière politique florissante, elle ne fait que du
travail domestique non rémunéré pour lequel elle obtient peu de
gratitude (S1E4). Ce type de circuit d’échange prévoit que les
hommes fassent profiter leur conjointe de leurs ressources, princi-
palement par l’entremise de cadeaux. L’idéal amoureux du désinté-
ressement (Henchoz, op. cit.) prévaut néanmoins : les femmes
peuvent prendre plaisir à « se faire gâter », mais doivent occulter,
avec la complicité des hommes, tout intérêt calculé. Même
lorsqu’elles partagent les activités lucratives de leur partenaire, les
femmes renoncent à disposer d’un accès direct – même partiel – aux
gains financiers générés et les soupçonner d’être intéressée constitue
une offense grave. Par exemple, le premier conflit entre Mimi et
Julien est provoqué par la suspicion de ce dernier. Le couple
s’adonne conjointement à des vols de bijouterie, mais seul Julien
dispose de l’accès à l’argent et aux bijoux volés. Lorsqu’il surprend
Mimi avec son portefeuille entre les mains, alors qu’elle cherchait
quelques billets pour payer le livreur de pizza, Julien devient agres-
sif et le lui arrache des mains. Mimi, insultée, quitte en insistant sur
son total désintérêt pour l’argent (S2E1). Une autre règle primordiale
dans ce type de circuit est l’exclusivité sentimentale et sexuelle des
deux partenaires, dont l’infraction révèle d’intéressants
rapprochements entre enjeux économiques et sexualité. Première-
ment, l’infidélité du conjoint ouvre la porte à ce que les femmes
réclament enfin leur dû. Mimi vole le contenu du coffre-fort de
Julien lorsqu’elle découvre qu’il mène une double-vie (S2E3) et
Isabelle menace Jacques de le « laver » dans un violent divorce

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Amour, sexualité et… utilité

après avoir reçu des preuves de ses infidélités (S2E9).


Deuxièmement, les hommes traitent l’accès de leur conjointe à leurs
ressources comme un privilège et contrôlent cet accès par un sys-
tème de récompense et de punition. La non-exclusivité sexuelle de
leur conjointe (ou même ex-conjointe) est punissable par le retrait
des bénéfices économiques. Jacques menace à deux reprises de
couper la pension alimentaire d’Isabelle : quand il découvre qu’il
n’est pas le père biologique de leur fils (S2E1) et quand elle ren-
contre un autre homme (S5E5). En contrepartie, l’argent des
hommes fait office de récompense aux femmes qui se conforment
simultanément à l’idéal du désintéressement et à l’exclusivité
sexuelle. Antoine, partenaire de longue date de Claude, ne cesse de
tester l’amour de celle-ci en prétendant être sans le sou, alors qu’il a
hérité de quelques millions de dollars suite au décès de son père.
Alors que leur couple bat de l’aile et que Claude, maintenue dans
l’ignorance, considère le divorce, Antoine confie un soir à Mimi
qu’il possède encore son héritage et lui révèle sa stratégie : « Un
héritage ne fait pas partie du patrimoine familial. Si elle divorce, elle
n’aura rien. Et si elle ne me divorce pas, elle aura tout. » (S3E4).

La relation à sexualité ponctuelle et instrumentale


Nous avons vu jusqu’à présent l’immixtion d’enjeux
économiques dans des relations de fréquentation de courte durée,
ainsi que dans des relations amoureuses durables. Or, la
représentation des intérêts des femmes ne se limitent pas au domaine
de l’économique. La série télévisée montre en effet un troisième
type de circuit d’échange où les finalités en jeu s’en distinguent et
sont atteignables par la pratique sexuelle elle-même, par exemple :
avoir un enfant, rassurer sa désirabilité, se remonter le moral, rendre
un ancien conjoint jaloux, etc. Le plaisir est encore une fois dans ce
circuit une finalité secondaire. Contrairement aux deux autres
modèles de circuits d’échange, les objectifs des rapports sexuels
sont dicibles dans ce genre de scénario, mais leur énonciation
semble tout de même parfois gêner les protagonistes. Mimi, qui est
célibataire, souhaite ardemment avoir un enfant et se tourne en

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

dernier recours vers le père homosexuel d’un des enfants de


Stéphanie, Ian, pour lui demander de lui accorder ce service.
Signifier à Ian son désir d’avoir un rapport sexuel dans le but de
procréer est représenté comme une activité laborieuse pour Mimi,
qui multiplie les sous-entendus, entrecoupés de longues gorgées de
bière, dans l’espoir que Ian comprenne ce qu’elle lui veut sans
qu’elle ait à le lui dire (S2E6). Les relations qui correspondent à ce
type de circuit d’échange peuvent être, comme dans la relation de
convenance à visée économique, mises sur pied opportunément dans
le but de répondre à une finalité. Elles peuvent aussi être des
relations amicales de longue durée. Dans tous les cas, la sexualité
constitue un événement occasionnel, requérant parfois justification,
et répond à un intérêt dans le court terme. Il arrive que le bon
déroulement du circuit d’échange et la légitimation des rapports
sexuels reposent sur le maintien de l’illusion d’un intérêt partagé.
Par exemple, Stéphanie soupçonne les hommes ayant répondu à
l’annonce de Mimi publiée en ligne, qui cherche un géniteur pour lui
faire un enfant, de vouloir « juste coucher avec [elle] » (S2E7). Dans
ce cas, les hommes souhaitant avoir un rapport sexuel avec Mimi
pour le plaisir et non exclusivement dans le but de procréer sont
considérés malhonnêtes et exclus d’emblée comme partenaires
d’échange. Les sentiments amoureux, qui ne sont pas essentiels dans
ce type de relation, peuvent néanmoins perturber le circuit. Dans
l’exemple de la sexualité à visée procréative entre Mimi et Ian,
l’absence de sentiments et d’attirance sexuelle rendent la pénétration
impossible à accomplir (S2E6).

La relation commerciale avec intimité sexuelle


De même que des finalités économiques peuvent s’immiscer
dans les relations intimes de la série télévisée, l’intimité amoureuse
et sexuelle peut prendre place dans des relations commerciales. Il
arrive dans La Galère que les femmes jettent leur dévolu sur un
homme avec lequel elles font affaire, soit en tant que prestataire de
services professionnels, soit en tant que cliente. Les bafouillages de
Mimi, esthéticienne, incapable de choisir entre le vouvoiement et le

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Amour, sexualité et… utilité

tutoiement pour s’adresser à son client envers qui elle éprouve une
forte attirance, sont un exemple de cet entre-deux (S1E3). La
prestation de services elle-même peut être érotisée dans pareilles
circonstances. Par exemple, Claude émet des sons semblables à de la
jouissance sexuelle au toucher de son massothérapeute avec qui elle
finira par avoir un rapport sexuel sur la table de massage (S1E8).
Mais il ne faut pas réduire ce circuit d’échange à une
« transaction » : la coexistence entre transfert monétaire et activité
sexuelle dans une même interaction ne suffit pas pour établir un lien
de causalité. L’intérêt principal des femmes, contrairement aux trois
autres circuits, est le plaisir sexuel, parfois combiné au désir de
développer une relation sentimentale durable. Les enjeux
économiques, quoique présents, se fondent dans le décor. La
prestation ou la réception de services professionnels est pour ainsi
dire banalisée comme contexte de rencontre amoureuse ou sexuelle
et la conjonction des transferts monétaires avec l’intimité sexuelle ne
semble pas poser problème pour les protagonistes. Les relations
correspondant à ce modèle sont toutes de courte durée et
s’apparentent à ce qui est communément appelé une histoire d’un
soir. Bien que Mimi ait souvent envie de poursuivre la relation, elle
se fait violemment rejeter par les hommes qu’elle drague ou avec qui
elle a eu des rapports sexuels dans un contexte commercial.

Intimité et argent : des scénarios culturels ambivalents et


ambigus
La typologie proposée ici reflète non pas les configurations
typiques d’échange intime telles qu’elles se manifestent entre acteurs
réels, mais renseigne sur les points de repère accessibles aux acteurs
et à partir desquels ils mettent en œuvre des scripts sexuels et
intimes (Simon & Gagnon, 1986). Les scénarios contenus dans La
Galère transmettent une sorte de manuel audiovisuel proposant aux
téléspectateurs, et surtout aux téléspectatrices, des modèles de
négociation et de mise en place des circuits d’échange intime, ainsi
que les émotions légitimes associées aux différents circuits. La
typologie se rapporte à des scénarios parfois cohérents, parfois

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Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

concurrentiels, organisant les échanges intimes dans des modèles


fluides à partir desquels quelques constats peuvent être tirés.
D’abord, la dimension économique occupe une place prépon-
dérante dans les scénarios des circuits d’échanges intimes présentés,
que ce soit à titre de finalité explicitement recherchée ou sous la
forme de transferts encastrés dans les échanges intimes d’une rela-
tion sentimentale durable. Une des protagonistes, Claude, est par
ailleurs caractérisée par son intérêt envers l’argent de ses parte-
naires. Malgré sa centralité dans les relations intimes, cette dimen-
sion éveille de constants soupçons envers l’honnêteté des femmes.
Ainsi, la relation désintéressée avec bénéfice économique se dis-
tingue de la relation de convenance à visée économique en ce que
les sentiments amoureux des femmes, présumés authentiques, sont
censés garantir l’anéantissement des finalités utilitaristes. Cet im-
portant attendu du circuit d’échange intime rend ce dernier accep-
table, et même conforme aux relations romantiques traditionnelles
(Illouz, 1997), alors que le second est fortement condamné à
l’intérieur de la série télévisée à la fois par les femmes elles-mêmes,
les hommes et la société. Les deux autres circuits, soit la relation à
sexualité ponctuelle et instrumentale et la relation commerciale avec
intimité sexuelle, ne semblent poser, au contraire, ni dilemme moral,
ni remise en question de la sincérité des femmes. C’est plutôt celle
des hommes, cette fois, qui est mise en doute. Le fait que le senti-
mental et l’économique y soient accessoires place certainement ces
deux circuits dans une catégorie à part des deux premiers. Claude,
qui défend la plupart du temps l’amalgame de ses intérêts écono-
miques avec son attirance sexuelle et sentimentale pour les hommes,
soulève ce double-standard avec une pointe d’irritation. Alors
qu’elle propose de séduire des hommes pour que ceux-ci offrent des
travaux de rénovation à faible prix, Stéphanie, qui a tenté à plusieurs
reprises de convaincre des hommes de son entourage de lui faire un
enfant, s’indigne : « Utiliser des gars, c’est pas fin, non? », ce à quoi
Claude rétorque : « Ah! Mais pour faire des bébés, c’est correct ? »
(S6E5). Les scénarios tendent en effet à discriminer entre finalités
économiques et autres types de finalités, condamnant les premiers et

50
Amour, sexualité et… utilité

tolérant les seconds, illustrant la corde raide sur laquelle les femmes
bénéficiant des ressources financières de leurs partenaires intimes
masculins s’aventurent.
Ensuite, l’écrasante présence des échanges intimes dans les
scénarios culturels contenus dans la série télévisée questionne la
prégnance des enchevêtrements entre intérêts et intimité amoureuse
et sexuelle dans la culture populaire au Québec. Bien que les
couples hétérosexuels québécois affichent une certaine timidité à
discuter de ces emmêlements et relaient le discours du désintéresse-
ment matériel et financier soutenant la dichotomie argent/amour
(Belleau, op. cit. ; Henchoz, op. cit.), les scénarios culturels regor-
gent de références aux intérêts et finalités utilitaristes en lien avec la
sexualité et l’intimité. Sous couvert de l’humour, les comédies telle
La Galère, peuvent en effet se permettre de repousser les limites de
l’acceptable (Sepulchre, 2018). La dichotomie argent/amour n’est
pas absente pour autant de ces scénarios; elle s’intègre aux repré-
sentations des circuits d’échange intime, plutôt que de se soumettre à
ceux-ci ou de les remplacer. Ces complexités sont révélatrices de
registres symboliques en concurrence, exposant, comme l’exprime
Macé, les compromis issus d’affrontements au sein de l’« arène
publique » qu’est la télévision entre groupes sociaux pris dans des
rapports de domination (2000). L’antagonisme entre intérêts et inti-
mité, bien que répandu dans la série, est constamment confronté à la
reconnaissance par les femmes que leur sexualité et leurs efforts
investis dans la sphère intime possèdent une valeur d’échange. Les
contradictions sont alors nombreuses et révèlent l’ambiguïté des
scénarios culturels censés informer les femmes des règles à suivre en
matière d’échanges intimes. Cette cohabitation entre scripts en appa-
rence contraires (ceux illustrant les utilités des relations intimes et
ceux prônant le désintéressement) présente un intéressant paradoxe
méritant une plus grande attention de la part des sciences sociales.
Finalement, les scénarios culturels observés associent aux
échanges intimes une asymétrie genrée. Il semble important, à ce
point-ci, de rappeler que La Galère est écrite par une femme et met
en scène divers récits à partir du point de vue des quatre

51
Catherine Lavoie Mongrain – Chiara Piazzesi

protagonistes femmes (hétérosexuelles, blanches) de la série. Cette


perspective conduit à des scenarii questionnant les changements
dans les rapports intimes entre hommes et femmes dans une culture
dominée par les scenarii hétérosexuels masculins (Bozon, 2013).
Dans le cas de La Galère, les scripts traditionnels y sont retravaillés
et témoignent de l’affaiblissement observé par Wouters (2004) dans
l’opposition entre sexualité sentimentale pour les femmes et
sexualité lubrique pour les hommes, sans toutefois faire rupture avec
ce modèle. Le désir féminin, traditionnellement occulté des discours
dominants (Fine, 1988), est intégré aux scripts de la série où il est
mis en tension avec les nombreux autres « usages » de la sexualité.
Le plaisir peut constituer une finalité en soi pour les femmes, tel
qu’illustré dans le quatrième circuit. Or, les contenus des scripts sont
dominés par l’idée que la relation de couple, ainsi que les dons des
hommes rendent la sexualité obligatoire où le plaisir féminin, bien
que possible, reste secondaire (Lavoie Mongrain, op. cit.). Les
circuits d’échange proposent également des rôles genrés bien
définis. Notamment, l’argent qui circule typiquement des hommes
vers les femmes, implique un attendu d’accessibilité sexuelle de
celles-ci. Ironiquement, les finalités économiques des femmes
entraînent presque systématiquement, dans la série, la menace d’une
répression. Cette situation illustre la ténacité des scripts traditionnels
refusant aux femmes la possibilité de requérir explicitement
rémunération pour un service sexuel (Pheterson, 2001) ou de
montrer un intérêt pour l’argent de leur partenaire. Finalement, la
sexualité et la sentimentalité représentent des territoires sous la
principale responsabilité des femmes; en particulier, la délicate
gestion du désir masculin. Les circuits d’échange sont donc
représentés selon des scenarii culturels, produits à partir d’une
perspective féminine, non pas comme des formes aplaties de
transferts égaux et réciproques entre hommes et femmes, mais
comme des lieux de négociation traversés par des rapports sociaux
de genre.

52
Amour, sexualité et… utilité

Conclusion
Notre proposition de typologie pour saisir la représentation des
circuits d’échange intime dans les scénarios culturels questionne la
particularité des pays occidentaux, faiblement représentés dans la
littérature sur le sujet, comme cultures frappées d’un fort tabou à
l’endroit des échanges intimes. Elle révèle de plus toute la diversité
des significations contenues dans ces scenarii, ainsi que les intégra-
tions et tensions entre scripts contradictoires se chevauchant. Fina-
lement, elle réitère l’idée d’une asymétrie genrée en exposant des
scenarii produits à partir d’une perspective féminine qui révèlent
une condamnation des intérêts économiques des femmes tout en
acceptant les transferts monétaires des hommes comme des choses
communes dans les relations intimes. La mise en relief des scenarii
culturels impliquant des échanges intimes d’une série télévisée ouvre
de nombreuses perspectives pour des recherches futures. La typolo-
gie des circuits d’échange intime approfondit nos compréhensions
des codes de conduite véhiculés dans les médias de masse et fournit
des indices quant aux conventions occidentales en matière
d’échange intime tout en soulevant de nombreuses questions : Ces
circuits types d’échange intime trouvent-ils des échos dans la
« réalité » sociale? Sont-ils indicateurs des façons dont les cultures
populaires au Québec et ailleurs se représentent les circuits
d’échange intime à grande échelle? Ces interrogations méritent de
bénéficier d’une attention accrue de la part des sciences sociales, car
elles abordent le terrain peu étudié des cultures occidentales qui
semblent pourtant regorger de scenarii combinant intérêts et inti-
mité.

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Résumé
L’idée que des objets de nature autre que sexuelle ou affective (argent,
statut social, etc.) puissent être échangés au sein de relations intimes
communément comprises comme non marchandes, bénéficie aujourd’hui
d’une attention accrue de la part des sciences sociales. Toutefois, les études
s’attardant aux façons dont ces échanges prennent forme dans les
représentations contemporaines de cultures occidentales sont rares. Les
produits culturels, comme les séries télévisées, transmettent ce que Simon et
Gagnon appellent des scenarii culturels orientant la conduite intime (1986 ;
Wiederman, op. cit.). Ces scenarii riches en comportements, attitudes et
émotions appropriés en contexte amoureux et sexuel, font ainsi office de
carte routière dans la constitution des interactions et des relations intimes.
Cet article en explore les contenus en matière d’échanges intimes en
prenant appui sur l’analyse audiovisuelle de la série télévisée québécoise La
Galère. Quatre circuits typiques d’échange intime sont formulés afin de
rendre compte de diverses récurrences dans les règles, pratiques et symboles
qui président à ce type d’échanges.

Mots-clefs : Échanges intimes, scripts sexuels, relations


hétérosexuelles, analyse de contenu qualitative, série télévisée.

Summary
Love, Sexuality, and… Utility: A Typology of Women’s Intimate
Exchange Circuits as Represented in Contemporary Television
Production
The idea that objects other than sexual or affective ones (money, social
status, etc.) can be exchanged within intimate relationships (understood as
non-commercial) has caught increasing attention in the social sciences.
However, studies that focus on how these exchanges take shape in

58
Amour, sexualité et… utilité

contemporary representations of Western cultures remain scarce. Cultural


products, such as television series, transmit what Simon and Gagnon call
cultural scenarios that guide intimate conduct (1986; Wiederman, op. cit.).
These scenarios depict certain behaviours, attitudes, and emotions as
appropriate to intimate and sexual contexts and thus serve as models for the
constitution of intimate interactions and relationships. This article explores
such cultural scenarios through the audiovisual analysis of the Québécois
television series La Galère. Four typical circuits of intimate exchange
demonstrate the various recurrences in the rules, practices, and symbols that
preside over this type of exchange.

Key-words: Intimate exchanges, sexual scripts, heterosexual relations,


qualitative content analysis, television series.

* * *

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