L’Herne

Cahier dirigé par Yannicke Chupin et Monica Manolescu

Vladimir Nabokov
CONTRIBUTEURS : Adam Thirlwell TEXTES INÉDITS DE
Lionel Trilling VLADIMIR NABOKOV :

Vladimir
René Alladaye Tatiana Victoroff
Lila Azam Zanganeh Tadashi Wakashima La tragédie de Monsieur Morn
Pierre Bergounioux Michael Wood Anniversaire
Marie Bouchet Littérature soviétique
Brian Boyd CORRESPONDANCES AVEC : De la démocratie
Géraldine Chouard-Véron L’homme à la déploration anticipée
Yannicke Chupin Sur l’apprentissage du russe

Nabokov
Alfred Hitchcock
Michel Ciment Jean Paulhan Rêves insomniaques
Maurice Couturier Alain Robbe-Grillet Chasser les insectes dans les parcs
Agnès Edel-Roy Kenneth Tynan nationaux américains
Fabrice Gabriel Jouer (Breitensträter-Paolino)
Julie Loison-Charles LETTRES À Humeurs et contrariétés
Monica Manolescu Le Docteur Jivago
Brice Matthieussent Notes sur le roman français
Cécile Miauton
Dmitri Nabokov Sur l’opéra
Mstislav Doboujinski
Véra Nabokov Speak, America
Stanley Kubrick
Azar Nafisi Homme et choses
Saul Steinberg
Georges Nivat Romans sur la guerre
Will Norman Sur Feu pâle
Lance Olsen
AUTRES TEXTES :
Dorothy Parker
Denis Podalydès
Une première tentative de Sartre
Isabelle Poulin
Les écrivains et l’époque
Alain Robbe-Grillet
Rire et rêves
Jean-Paul Sartre
Cambridge
Vanessa Springora
www.lherne.com DOCUMENTS ET ARCHIVES :

Carnets de poésie
L’imagination
Notes préparatoires sur Ada

n’est fertile
Fiches des mensurations de Lolita
Pages de corrections de la traduction
française de Lolita

que lorsqu’elle
L’Herne
© Yousuf Karsh / Camerapress / Gamma Rapho

L’Herne
33 € – www.lherne.com
est futile
33 € – www.lherne.com V. Nabokov
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Vladimir Nabokov

Ce Cahier a été dirigé par

Yannicke Chupin et Monica Manolescu
 Ce Cahier est publié avec
le soutien du Centre National du Livre,
de la Fondation Michalski,
de l’Institut universitaire de France (IUF),
du Laboratoire Héritages, de Cergy Paris Université
et
de la Société Française Vladimir Nabokov.

Les éditions de L'Herne remercient

The Vladimir Nabokov Literary Foundation,
The Wylie Agency
et
et le département de la Berg Collection, New York Public Library

Pour tous les textes, photographies, archives et documents de Vladimir, Véra et Dmitri Nabokov, © 2023, The Vladimir
Nabokov Literary Foundation, used by permission of The Wylie Agency (UK) Limited.
Sauf mention contraire les archives proviennent de la Berg Collection of English and American Literature, The New
York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Éditions de L’Herne, 2023

55 rue Pierre Charron, 75008 Paris
lherne@lherne.com
www.lherne.com
Sommaire

9 Yannicke Chupin et Monica Manolescu

Avant-propos

I – Nabokov et la Russie
Jeunesse littéraire
Vladimir Nabokov
15 La Tragédie de Monsieur Morn – Inédit
28 Rire et rêves
29 Archives : Carnets de poésie 
32 Georges Nivat
Que nous dit la poésie de Vladimir Nabokov ?

Littérature et politique
37 Monica Manolescu
La justice selon Vladimir Nabokov
Vladimir Nabokov
41 Anniversaire – Inédit
43 Littérature soviétique – Inédit

II – Exils
Itinéraires européens
49 Isabelle Poulin
Vladimir Nabokov, ce migrant considérable
Vladimir Nabokov
53 Lettre à Cécile Miauton (1919) – Inédit
56 Cambridge
59 Tatiana Victoroff
L’exil comme l’« antithèse » de la vie : Nabokov au sein de l’émigration russe
63 Lance Olsen
Métaphore mêlée : frises, fresques, papa
67 Tatiana Victoroff
Vladimir Nabokov et Mstislav Doboujinski
69 Vladimir Nabokov
Lettre à Mstislav Doboujinski – Inédit
70 Will Norman
La décennie des crises
74 Vladimir Nabokov et Jean Paulhan
Correspondance
76 Vladimir Nabokov
De la démocratie – Inédit

D’est en ouest : l’invention de l’Amérique

78 Vladimir Nabokov
Sur l’apprentissage du russe – Inédit
81 Michael Wood
Des aisances magiques
86 Adam Thirlwell
Note sur l’exil et la traduction

Lumières d’Amérique
93 Vladimir Nabokov
L’homme à la déploration anticipée – Inédit
95 Vladimir Nabokov et Stanley Kubrick
Lolita, du roman au grand écran – Lettres
98 Michel Ciment
Nabokov-Kubrick : les affinités électives
104 Vladimir Nabokov et Alfred Hitchcock
Correspondance

III – Derrière la scène littéraire

Perspectives familiales
111 Véra Nabokov
À propos de Dmitri – Inédit
114 Dmitri Nabokov
Retour à la pièce de mon père
122 Vladimir Nabokov
Rêves insomniaques – Inédit

Nabokov l’entomologiste
130 Marie Bouchet
Les papillons de Nabokov
134 Vladimir Nabokov
Chasser les insectes dans les parcs nationaux américains – Inédit
135 Pierre Bergounioux
Ornithoptera allotei

Violons d’Ingres
137 Vladimir Nabokov
Jouer (Breitensträter-Paolino) – Inédit
141 Archives : Ada – jeux de Scrabble
143 René Alladaye
Solus Rex : quand Vladimir Nabokov jouait aux échecs avec ses lecteurs
148 Vladimir Nabokov et Pierre Dommergues
« Le détail, tout est là » – Entretien
IV – Affinités et intransigeances
Les pointes assassines
159 Brice Matthieussent
Aversions, détestations, haines de Vladimir Nabokov
164 Vladimir Nabokov
Humeurs et contrariétés – Inédit
167 Vladimir Nabokov et Kenneth Tynan
Correspondance

Nabokov lecteur et critique

169 Jean-Paul Sartre
Vladimir Nabokov : « La Méprise »
171 Vladimir Nabokov
Une première tentative de Sartre
Vladimir Nabokov
173 Le Docteur Jivago – Inédit
175 Notes sur le roman français – Inédit
176 Alain Robbe-Grillet et Vladimir Nabokov
Correspondance

Résonances artistiques
178 Vladimir Nabokov
Sur l’opéra – Inédit
180 Vladimir Nabokov
Lettre à Saul Steinberg

V – Inventer la réalité : créations romanesques

L’événement Lolita
183 Archives : Mensurations de Lolita
185 Véra Nabokov
Journal – Inédit
194 Lionel Trilling
Sur Lolita
195 Dorothy Parker
Lolita
197 Vladimir Nabokov
Speak, America – Inédit
199 Alain Robbe-Grillet
La notion d’itinéraire dans Lolita
200 Julie Loison-Charles
Notes de correction pour la traduction française de Lolita
202 Archives : Deux pages de corrections
204 Tadashi Wakashima
Regard oriental : traduire Lolita en japonais
208 Vladimir Nabokov et Alain Robbe-Grillet
Écrivains sans école – Entretien

Poétiques nabokoviennes
Vladimir Nabokov
211 Homme et choses – Inédit
215 Romans sur la guerre – Inédit
216 Yannicke Chupin
(Un pique-nique, la foudre) : les singulières incidentes de Nabokov
220 Archives : Notes préparatoires sur Ada
222 Vladimir Nabokov
Sur Feu pâle – Inédit
223 Fabrice Gabriel
Où sommes-nous ?

Lire et relire Nabokov

226 Denis Podalydès
Nabokov, chef opérateur
231 Georges Nivat
Nabokov à jamais ?

VI – Postérités
Nabokov aujourd’hui
237 Maurice Couturier
Nabokov, Barthes et Genette : la figure de l’auteur
241 Vladimir Nabokov
Les écrivains et l’époque
243 Lila Azam Zanganeh
Queer Nabokov
246 Brian Boyd
Pour Vladimir Nabokov : l’homme et l’écrivain

Lolita et le nouveau millénaire

250 Géraldine Chouard-Véron
Les couvertures des livres de Nabokov
256 Azar Nafisi
Lire Lolita à Téhéran 
260 Vanessa Springora
Dolores dans le texte
265 Agnès Edel-Roy
Le vertige visionnaire de Lolita : #DitdeDolly

269 Contributeurs
Avant-propos
« Il n’y a pas de gloire sans malentendu »,
rappelait l’écrivain Bertrand Poirot-Delpech au
sujet de l’œuvre de Vladimir Nabokov. Il est
vrai que le succès teinté de scandale de Lolita
a parfois occulté l’immense œuvre littéraire,
polymorphe et multilingue de l’écrivain. De
son premier roman, Machenka (1926), que le
jeune écrivain publia à Berlin, aux œuvres de la
maturité, comme le labyrinthe poétique qu’est
Feu pâle (1962) qui chamboula les lettres améri-
caines, ou la grande chronique Ada ou l’Ardeur
(1969) qui opère l’impossible fusion entre Russie
et Amérique, Nabokov est l’auteur d’une œuvre
d’une liberté exceptionnelle, qui a bouleversé et
redéfini les canons littéraires des époques et des
continents qu’il a traversés.
Ce Cahier de L’Herne qui lui est consacré
est un grand événement grâce tout d’abord aux
textes inédits en français qui sont proposés  :
un extrait de la pièce en vers La Tragédie de
M. Morn, rédigée en russe en 1923-1924,
qui témoigne du talent dramatique du jeune
Nabokov ; un poème consacré à Superman qu’il
écrit en anglais après son arrivée aux États-Unis
(1942) ; des essais rédigés en russe et en anglais
entre 1921 et 1945 sur différents sujets litté-
raires, artistiques et politiques ; des notes sur ses
rêves nocturnes qui montrent son intérêt pour
la dynamique des rêves au-delà de sa critique
acerbe de Freud ; des notes préparatoires pour
ses œuvres qui nous permettent d’explorer son
laboratoire littéraire. Le journal de l’épouse de
Nabokov, Véra, rédigé avant et après la parution
de Lolita aux États-Unis (1958-1959), dont des
extraits sont publiés ici pour la première fois, est
un texte remarquable, qui permet d’éclairer avec
beaucoup de nuance le portrait de cette femme
d’une grande intelligence et d’un grand courage.
Yannicke Chupin et Monica Manolescu
Ce Cahier est un événement aussi car il
montre l’actualité de Nabokov. Les lectures
nouvelles rassemblées ici éclairent la versatilité, la
finesse et la rigueur d’un art qui dépasse les fron-
tières culturelles, et soulignent sa présence persis-
tante au début du xxie siècle, dans nos question-
nements actuels. Les inédits et les contributions
contemporaines retracent les trajectoires translin-
guistiques et transculturelles d’un écrivain forcé
deux fois à l’exil ; lorsque la révolution éclate en
1917, le père de Nabokov, démocrate réformiste,
doit fuir la Russie avec sa famille. Exilé, déplacé
en Angleterre, à Berlin, puis à Paris, Nabokov, son
épouse, Véra, d’origine juive, et leur fils, Dmitri,
échappent à l’avancée allemande in extremis en
embarquant en mai 1940 à Saint-Nazaire à bord
du Champlain, le dernier paquebot en partance
pour les États-Unis. Le frère de Nabokov,
Serguéï, périra quelques années plus tard dans
un camp de concentration allemand. Lorsque le
succès de Lolita lui apporte la gloire et lui rend
la fortune perdue depuis plusieurs décennies,
Nabokov, alors professeur de littérature russe et
européenne à Cornell, donne sa démission, et
avec Véra, en 1959, regagne l’Europe à bord du
Liberté. Le couple s’installe bientôt au Montreux
Palace, en Suisse, pour le restant de leurs jours.
Au-delà de ces itinéraires culturels et géogra-
phiques scandés par l’Histoire, se dévoilent aussi
dans ce Cahier les multiples facettes de l’écrivain,
comme celle de l’entomologiste passionné, qui
parcourait le continent américain à la recherche
de nouveaux spécimens tout en écrivant Lolita.
Nabokov est aussi ce joueur d’échecs expert,
auteur de nombreux problèmes, qui, au sommet
de sa gloire littéraire, continuait à les soumettre à
des journaux spécialisés. Il est encore ce père de
famille, dont Dmitri se souvient avec affection
9
(« Retour à la pièce de mon père »), et l’époux
dont Véra retrace l’accession à la gloire littéraire
dans son journal. Tout au long de sa vie, le poly-
glotte Vladimir Nabokov est aussi traducteur.
Adolescent, il recopiait dans des petits carnets ses
poèmes français préférés avant de les traduire en
russe. Étudiant à Cambridge, il publie la version
russe d’Alice au pays des merveilles. Des décennies
plus tard aux États-Unis, il propose une édition
monumentale du poème Eugène Onéguine de
Pouchkine (1964), traduit en anglais et agré-
menté de plus de 1 000 pages d’annotations.
D’une exigence redoutable sur l’exactitude des
traductions de ses propres romans, il échangeait
de nombreux et volumineux courriers avec ses
traducteurs. C’est cette rigueur qui, à la fin de sa
vie, le contraignit à reprendre, des mois durant,
la traduction française d’Ada ou l’Ardeur, si bien
qu’il ne put terminer son dernier manuscrit,
L’Original de Laura, dont les fiches de brouillon
cartonnées furent dévoilées dans leur état d’ina-
chèvement au grand public en 2009, lorsque son
fils en autorisa une publication posthume.
Enfin, il est aussi un lecteur intransigeant,
sévère, parfois cinglant dans ses notes critiques,
exaspéré par les facilités et les clichés de langage,
les auteurs à la mode ou les généralisations.
Certains auteurs sont une cible récurrente. Ainsi
Freud, « le charlatan viennois », et la science dont
il est le maître sont dans son œuvre l’objet de
tous les sarcasmes. Ses brouillons sont émaillés
de listes d’auteurs, de manies, de mots qu’il haïs-
sait. Ces diverses notes sont explorées ici par
Brice Matthieussent. Pour autant, les pages qui
composent ce Cahier révèlent aussi des affinités
culturelles inattendues ou moins connues,
comme la profonde admiration de l’auteur pour
l’artiste Saul Steinberg ou encore le projet avorté
d’une collaboration avec Alfred Hitchcock. Plus
insolite encore est le poème que lui inspira la
couverture d’un numéro illustré de Superman,
alors le superhéros américain par excellence.
Le poème apparaît ici pour la première fois en
traduction française.
À l’étranger, Nabokov est lu, relu et traduit
avec constance et enthousiasme aussi bien en
Europe et aux États-Unis qu’au Japon, où fut
créée en 1999 la Société japonaise Nabokov, ou
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encore en Nouvelle-Zélande, où réside Brian
Boyd, l’auteur d’une biographie colossale sur
l’auteur ainsi qu’une lecture de son œuvre. En
France, l’œuvre de l’écrivain suscite depuis
toujours un engouement exceptionnel. L’auteur
était lui-même très attaché à la langue française,
qu’il apprit très jeune grâce à sa gouvernante
lausannoise, Mlle Cécile Miauton, un personnage
haut en couleur, dont le talent de lectrice révèle à
l’enfant un univers littéraire : « Tout y passa, Les
Malheurs de Sophie, Le Tour du monde en quatre-
vingts jours, Le Petit Chose, Les Misérables, Le Comte
de Monte-Cristo, et bien d’autres  », se souvient
l’écrivain1. Cécile Miauton devint «  Mademoi-
selle O  » dans la nouvelle qu’il lui consacra en
français en 1936 et qui fut ensuite intégrée à son
autobiographie, relue dans ce Cahier par Denis
Podalydès. À l’âge de 19 ans, c’est encore à sa
gouvernante suisse qu’il raconte dans une lettre
publiée pour la première fois ici les étapes et péri-
péties de l’exil familial et la nouvelle précarité de
la famille. «  Mademoiselle  O  » n’est pas le seul
texte que Nabokov écrivit en français. Alors que
ses romans russes ne pouvaient être lus que par la
communauté russe émigrée, il envisagea même de
devenir écrivain français. Les références aux lettres
françaises abondent dans sa fiction. Flaubert,
Proust, Chateaubriand et Robbe-Grillet faisaient
partie de son panthéon littéraire, alors que Sartre
était un contre-modèle. Nabokov connaissait
très bien la poésie de la Renaissance, et le mot
« nymphette », qui dans tous les dictionnaires est
désormais associé au roman de Nabokov, lui aura
sans doute été inspiré par un poème de Pierre de
Ronsard qui renferme l’unique occurrence du
mot avant la parution de Lolita. Avec les journa-
listes francophones, Nabokov donnait ses entre-
tiens en français, comme celui de 1968 avec Pierre
Dommergues publié dans ce volume.
Aujourd’hui, en France, son œuvre nourrit
un travail d’interprétation et d’édition soutenu.
En témoigne le troisième et dernier volume des
Œuvres romanesques complètes dans la « Pléiade »,
publié en février 2021 sous la direction de
Maurice Couturier. En témoigne aussi le dyna-
misme de la Société française Vladimir-Nabokov,
qui contribue à ce rayonnement exceptionnel en
investissant régulièrement des lieux embléma-
tiques pour cet écrivain en France (Paris, Biar-
ritz) et à l’étranger (Montreux, Cornell) pour
organiser des colloques, des expositions et des
lectures suivies de débats.
Ce Cahier apporte aussi des témoignages
sur la manière dont l’œuvre de Nabokov se
mue en expérience de lecture – parfois de vie –
marquante pour des lecteurs, des traducteurs,
des écrivains et des artistes d’aujourd’hui. Azar
Nafisi, qui organisa des lectures secrètes de Lolita
pour les Iraniennes sous la dictature, souligne la
profonde revendication de liberté qu’elles y ont
trouvée2. Ses romans de jeunesse demeurent une
source de relectures créatives, telle l’évocation
de l’exil berlinois de Nabokov dans le texte de
Lance Olsen.
Lolita continue d’occuper une place de
choix dans le canon de cet auteur, confortée
par l’adaptation filmique de Stanley Kubrick
de 1962 (une collaboration ici évoquée par
Michel Ciment) et par les nombreuses éditions
et traductions aux identités visuelles diverses,
comme le montrent les multiples couvertures du
roman qui évoluent au fil des décennies ou selon
les pays. Lolita est une œuvre qu’il convient de
relire et de comprendre dans toutes ses nuances
narratives et éthiques à la lumière des débats
actuels sur #metoo et sur les victimes de violences
sexuelles, et la redéfinition du consentement,
comme le montre Vanessa Springora. La grande
actualité de Nabokov transparaît dans ces relec-
tures contemporaines de Lolita et aussi dans les
contributions qui évoquent la pertinence de
l’œuvre de Nabokov en réponse aux conflits, aux
guerres et aux situations de crise qui nous désta-
bilisent et nous préoccupent en ce moment : les
soulèvements en Iran, la crise migratoire, l’inva-
sion de l’Ukraine par la Russie, plus générale-
ment la question du tragique, de la justice et de la
tyrannie. Son œuvre prône la démocratie comme
la « condition naturelle de l’homme », capable de
révéler le meilleur de l’humanité. Pour Nabokov,
la littérature est l’expression suprême d’une
quête esthétique exigeante capable de produire
une expérience du «  frisson3  », d’exprimer une
pensée libre, où l’altérité parvient à surgir, dans
sa différence, dans sa souffrance et dans sa vulné-
rabilité, malgré les efforts d’étouffement ou de
domination (voir son essai de 1942 sur la démo-
cratie publié ici, inédit en français jusque-là).
Ses critiques acerbes du régime politique et de la
littérature de l’URSS vont dans ce sens, comme
le montre son essai sur la littérature soviétique de
1940. Figure du dialogue et du croisement des
langues et des cultures, Nabokov nous encourage
à l’ouverture, à la créativité, à l’esprit critique, au
refus de la pensée unique.

NOTES

1. Vladimir Nabokov, Autres rivages, traduit par Yvonne
Davet, révisé et augmenté par Mirèse Akar, puis par Yvonne
Couturier, Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », vol. II, 2010, p. 1229.
2. Azar Nafisi, Lire Lolita à Téhéran, traduit par Marie-
Hélène Dumas, Paris, Plon, 2004.
3.  Vladimir Nabokov, Littératures I. Austen, Dickens,
Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, trad. Hélène
Pasquier, Paris, Fayard, 1983, p. 46.

Nous tenons à remercier chaleureusement toute l’équipe de L’Herne, en particulier Olivia Mauriac, Flore
Navarro et Lucie Lallier, pour leur accompagnement et précieux conseils tout au long de la fabrication du
volume, le personnel des archives Berg de la Bibliothèque publique de New York, Maurice Couturier, Sophie
Bernard-Léger, Daria Sinichkina, Marie Bouchet, Will Norman, Tatiana Ponomareva, Anne-Laure Tissut et
Tatiana Victoroff, ainsi que tous nos auteurs pour la richesse de leurs contributions. Nous souhaitons rendre
hommage à Michel Schneider, qui avait accepté de contribuer à ce Cahier, mais nous a quittés pendant son
élaboration, en 2022.

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