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JUAN GUGGER SENS UNIQUE 02.06 - 08.07.

2023

JUAN GUGGER INAUGURE L’ESPACE


DE LA GALERIE GARDETTE AVEC SON
EXPOSITION SENS UNIQUE.

Artiste argentin résidant à


Paris, Juan Gugger fait de l’imperma-
nence la constance de sa pratique artis-
tique et de sa vie, passée entre dif-
férentes résidences artistiques depuis
dix ans. Son travail explore les états
transitoires de l’urbain et la violence
de notre modernité à l’ère du capitalo-
cène, de la mondialisation matérielle,
culturelle et politique. Ses installa-
tions sont perméables avec le contexte
extra-artistique dans lequel elles
s’inscrivent : elles en sont à la fois
un résidu involontaire et le reflet cru.
La Galerie Gardette présente deux séries
centrales de son travail qui habitent
le lieu de manière radicale. Celles-ci
ouvrent l’espace de la galerie à la rue,
le monde de l’art à la société.
Juan Gugger investit le lieu
avec un geste disruptif qui amorce une
situation particulière, un territoire
de négociation avec les usages quo-
tidiens de l’espace. Dans la première
salle, nous faisons face à une soixan-
taine de Boxes (All That Melted into the
Air Solidifies on Surfaces), des moulages
en béton de boîtes en carton collectées
dans les rues parisiennes.

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Ces sculptures se lisent
comme une métaphore de la vie de l’ar-
tiste: ce sont des objets instables,
aux multiples origines et destinations,
chargés d’un passé énigmatique. L’accu-
mulation de ces boîtes vides et décon-
textualisées transforme la galerie en
zone de stockage industriel. Elles dé-
limitent l’espace de passage en condi-
tionnant les mouvements des corps.
À l’arrière, l’installation Deck XIII
(New Scenario), un assemblage de palettes
récupérées, et entrecoupées de débris
polyformes, limite notre champ visuel.
Elle empêche aussi l’accès à une partie
de la pièce, et l’usage de plusieurs
murs d’accrochage. La forme du Deck XIII
(New Scenario) a été définie de concert
avec le galeriste qui avait besoin d’ac-
céder à certaines portes pour l’usage
économique et pratique de sa galerie. Il
est donc le fruit de ces négociations:
entre l’architecture, ses habitants et
l’artiste. Juan Gugger propose une expé-
rience sculpturale et immersive de l’ar-
chitecture, qui se pense ici comme une
accumulation de sculptures, le point de
départ d’une relation renouvelée à notre
environnement mental et physique.
L’artiste présente des
sculptures polysémiques, il dévoile
des couches de sens en ajoutant des
couches de matière. Les Boxes (All That
Melted into the Air Solidifies on Sur-
faces) emballent et protègent, tandis
que le Deck XIII (New Scenario) dis-
simule et cache. Ils sont ici arra-
chés au scénario urbain et resignifiés.

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Ces installations questionnent le “seuil de la lo-
gique du monument”, mentionné par Rosalind Krauss dans son texte
manifeste En quoi ces sculptures contemporaines incarnent-elles
une “perte de lieu” ? Comment un carton déchu par hasard, dans
une rue anonyme de Paris, récupéré aléatoirement par un artiste
nomade, atterrit-il dans une galerie, sans fonction et sans
contenu ? Juan Gugger présente des sculptures déracinées, qui sont
constituées de débris sans provenance. Selon la théoricienne,
“a sculpture is a commemorative representation”, les œuvres pré-
sentées ici incarnent une forme d’anachronie car elles font écho au
déchet, qui “flotte entre l’oubli et la mémoire” selon Serge Lattouche.
Le déchet recueille, enregistre et retient le souvenir : les
palettes sont marquées par leurs usages anciens, et les car-
tons numérotés par leur identification d’origine. Ce sont des
objets d’évocation du passé, qui portent paradoxalement en eux
leur future disparition et détérioration matérielle. Cette dé-
composition est à la fois inhérente à leur statut de débris,
mais est aussi due à l’action de l’artiste lui-même. Les dé-
chets récupérés sont compressés entre les lattes des palettes,
“asphyxiés” selon ses mots. Cette déformation fait écho à la
violence subie par ces objets, qui sont humiliés par notre mo-
dèle de consommation, où l’on produit puis jette. Le moulage en
béton induit aussi la destruction de la boîte en carton dont il
est issu : c’est-à-dire que les Boxes (All That Melted into the
Air Solidifies on Surfaces) sont des empreintes, elles parlent
à la fois de l’absence et de la présence de l’objet originel.
“Les empreintes sont elles-mêmes des objets anachroniques”.
Le passé qui travaille le présent.

Ces deux installations présentent des matériaux


symboliques de l’urbain: carton, béton, palette industrielle.
L’urbaniste Paul Virilio proclamait en 1977 la “fin de la géo-
graphie”, du fait de la dissociation entre la vitesse des
échanges et les différenciations spatiales. Ces objets symbo-
liques et techniques inaugurent une nouvelle ère : celle du ca-
pitalocène global. Ils incarnent le point d’orgue d’une stan-
dardisation du monde : comme l’unité basique des mouvements
des biens matériels et un vocabulaire visuel devenu universel.

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La palette est née pour des du 20ème siècle, les premières boîtes tinationale, dont les résidus en carton
besoins militaires à la veille de la Se- en carton en série sont construites vers mettent en évidence le coût matériel de
conde Guerre mondiale. Son usage s’est 1890. Elles s’empilent, se plient et se la révolution digitale. Les boîtes en
multiplié dans les années 60 en parallèle déplient. C’est une matière malléable, carton dans un monde de boîtes en béton.
du rêve consumériste américain, comme facile à stocker et à recycler. Sa taille Avec une grande virtuosité
une manière d’homogénéiser la surface délimite et détermine la forme de nos technique, méticuleusement, l’artiste
du monde, de cacher les irrégularités possibilités. Juan Gugger réaffirme la moule un par un les emballages cartonnés
symboliques et physiques des sols. Par question de l’emballage comme “le point qu’il récupère, une boîte pouvant né-
ailleurs, 80 % des produits aujourd’hui aveugle de l’histoire des entreprises cessiter jusqu’à 26 heures de travail.
vendus sur internet sont conditionnés en et du commerce”. L’omniprésence depuis Ce geste joue sur la singularité de la
carton. Devenu emballage de transport quelques mois de la flèche d’Amazon tra- confluence de ces deux matériaux opposés.
réglementaire aux Etats-Unis au début duit le monopole monstrueux de la mul-

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Juan Gugger détourne le comportement classique du bé-
ton qui devient ici friable, pliable, léger. Chaque boîte en
béton unique s’oppose à l’idée de reproductibilité indus-
trielle massive. Par ailleurs, si ces boîtes peuvent se re-
trouver dans le monde entier, le béton dont elles sont ici
faites, est lui directement issu du contexte géologique local.
Ce matériau difficilement transportable et facilement productible,
se consomme en général dans un rayon de 200 km. Les boîtes pro-
duites à Paris ont donc une teneur minérale et physique singu-
lière, elles sont intrinsèquement différentes de celles produites
à Bogota ou à Los Angeles. Les œuvres de Juan Gugger interrogent
les connexions entre les territoires géographiques, le commerce,
et la nature non-humaine. Ces matériaux transformés ont tous une
origine naturelle, mais ont été métamorphosés par la technique
industrielle. Celle-ci crée une distance et une séparation de nos
sociétés urbaines avec les éléments non-humains.
Sa pratique s’articule ainsi entre différents espaces
clés : la ville qui est le lieu de la collecte du matériel de tra-
vail, des cartons et des palettes échoués, le studio, à la fois
physique et mental, où il élabore méthodiquement ses sculptures,
et enfin la galerie qu’il subvertit et questionne. Juan Gugger ré-
cupère les débris échoués du monde contemporain, comme un acte de
résistance silencieux, une tentative poétique, de contenir la pro-
fusion du monde.

Texte Margaux Knight

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GALERIE GARDETTE 12 RUE ROCHEBRUNE
75011 PARIS

VALÉRY DEVILDER
+33 (0) 6 70 85 11 27
CONTACT@GALERIEGARDETTE.COM
WWW.GALERIEGARDETTE.COM

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