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SGT9 Assurance Emprunteur – Projet Article Sélection Comportementale

Rédacteurs : Vincent Roger, David Govaere, Nathalie Paillot, Meriem Raiti

Titre : la sélection comportementale, quelles perspectives pour l’assurance emprunteur ?

L’entrée en vigueur de la loi Lemoine le 1 er juin 2022 interdit aux assureurs de solliciter des
informations relatives à l’état de santé ou des examens médicaux en Assurance Emprunteur dès lors
que l’encours de crédit cumulé ne dépasse pas 200 000 € et que le remboursement intervienne avant
60 ans.

Pour ces contrats, la sélection va donc désormais reposer uniquement sur des données
comportementales qui, généralement en assurance emprunteur, regroupent : profil tabagique,
catégorie socioprofessionnelle, activité professionnelle (travail en hauteur, travail manuel ou
déplacements) ou données d’activité sportives.

Cela nous a conduits à dresser un état des lieux de la sélection comportementale avec l’appui de trois
experts du sujet en France.

Que regroupe la sélection comportementale ?

La sélection comportementale est un dispositif d’échange entre l’assureur et ses clients. Il permet à
l’assureur de sélectionner les risques et de fidéliser ses clients. En contrepartie, les assurés
bénéficient de dispositifs d’incitation qui peuvent prendre diverses formes : avantages tarifaires,
gratifications (ex : chèques cadeaux), conseils…

Comme le souligne Eric Gaubert (RGA), le plus important pour la mise en place d’un programme de
sélection comportementale est de définir une stratégie d’interaction avec le client qui regroupe :
- la recherche d’un équilibre gagnant - gagnant pour l’assureur et ses assurés,
- le ciblage et la qualification des données pertinentes au regard de la connaissance client
recherchée qui permettent d’éviter de récupérer un large éventail de données inexploitables,
- la démarche permettant de faire vivre le modèle dans la durée et de développer
progressivement la relation avec le client.

Une démarche de sélection comportementale peut s’appuyer sur différentes données :


- les données individuelles, dont le recueil nécessite le consentement du client, peuvent être
collectées par une simple déclaration à l’adhésion. Le développement des objets connectés
(montres, smartphones, miroirs connectés) ou le développement de l’open banking ouvrent
également de nouvelles possibilités,
- les données non individuelles (ex : health datahub) permettent également de disposer
d’information complémentaires.

Quel retour d’expérience suite aux premières initiatives lancées en France et à l’étranger ?
Les experts interrogés s’accordent pour estimer que les initiatives entreprises dans ce domaine
restent timides. Selon David DUBOIS (PREVOIR), les assureurs auraient une stratégie attentiste à ce
sujet.

Ainsi, les initiatives citées par nos experts s’orientent plus vers l’amélioration de la relation client et la
fidélisation du portefeuille que vers la conquête d’affaires nouvelles.

Nous pouvons citer par exemple le programme Vitality mis en place par Generali qui permet aux
clients de recevoir des bons cadeaux Amazon moyennant le partage de leurs données d’activité
sportive.

Eric Gaubert souligne à ce titre que ces approches de behaviour science permettent à des experts de
délivrer un conseil adapté à des clients sur leur style de vie, leur bien-être, leur sommeil ou leur santé
à partir des données collectées, et insiste sur le fait que le principal facteur clé de succès d’une telle
approche réside dans la définition claire du but escompté par la compagnie et l’utilité potentielle
pour le client.

En effet, Eric Gaubert estime qu’il est essentiel de créer une expérience client personnalisée afin de
ne pas générer de la déception chez l’utilisateur et favoriser l’échange d’informations

C’est dans ce rapport win-win que se développent des synergies pertinentes entre l’assureur et
l’assuré : cet échange d’information permettrait non seulement une connaissance plus fine de la
clientèle ce qui favoriserait la fidélisation et la rétention du portefeuille mais générerait également
des opportunités commerciales supplémentaires (connaissance de la situation client et donc
possibilité de lui proposer des nouveaux produits, ou des extensions de garanties).

Toutefois, il conviendrait de noter que ces nouvelles approches sont encore émergentes en France et
doivent être abordées avec humilité en veillant à trouver un juste équilibre nécessaire au
développement d’une relation de confiance.

Eric Bourdin (QUMATA) confirme également que cette « gamification » de la relation commerciale a
été adoptée chez certains assureurs qui poussent les assurés à faire une activité physique et
fournissent des services même à des non-clients.

Enfin, la mise en place d’un programme de sélection comportementale implique une qualification en
amont des données pertinentes au regard de la connaissance client que l’on souhaite développer
sans chercher à récupérer un maximum de données que l’on ne saurait exploiter.

Par ailleurs, il convient d’inscrire cette démarche dans la durée ce qui permet de construire et
enrichir progressivement les modèles et donc d’obtenir des résultats pertinents.

Si l’essor des nouvelles technologies (téléphones, montres connectées, applications, etc.) facilitent la
collecte des données, leur exploitation se heurte à plusieurs contraintes opérationnelles et
réglementaires.

D’abord la fiabilité de la donnée n’est pas garantie car la validité de ce processus est sensible au
comportement des assurés : est-ce qu’ils ont en permanence leur montre ou portable, est-ce qu’ils
oublient de les recharger, est-ce qu’ils sont enclins à déclarer des données à leur assureur, etc.
A cela s’ajouterait des comportements de fraude ou de fausse déclaration. A ce titre, les experts
interrogés ont proposé quelques méthodes pour les contourner : QUMATA retient le nombre de pas
par seconde et non par jour pour analyser les données des pas, Eric Gaubert considère que les
avantages fournis doivent rester proportionnés afin de limiter l’incitation à la fraude éventuelle.

Enfin, le ROI de la sélection comportementale n’est pas facile à quantifier à cause des
comportements de chutes et de remplacement de portefeuilles. Ce n’est pas chose aisée que
d’inscrire des démarches long terme dans un contexte commercial mouvant.

A ce titre, Eric Gaubert, estime que partage d’expérience entre acteurs devrait permettre de favoriser
l’émergence de pratiques de place au bénéfice des assurés

Comment s’assurer de la conformité par rapport au cadre règlementaire en vigueur (notamment


RGPD) ? Quelles adaptations estimez-vous nécessaires afin de faciliter cette approche ?

Selon les trois experts interviewés, le cadre juridique actuel permet de développer ces approches.

Eric Gaubert (RGA) souligne en effet que la directive DSP2, entrée en vigueur en 2018, permet au
travers de l’open banking de donner accès aux transactions bancaires avec le consentement du client
et pour un usage défini. Ceci illustre l’évolution progressive du cadre règlementaire.

Selon Etienne Bourdon (Qumata), les assureurs et réassureurs s’autocensurent sur la collecte des
données de leurs assurés, plus par crainte de l’interprétation qui peut être faite par la Commission
nationale de l’information et des libertés (CNIL) du règlement général sur la protection des données
(RGPD) que par le règlement lui-même. Il estime que les avantages pour toutes les parties prenantes
de l’utilisation des données comportementales ne sont pas encore suffisamment connus et reconnus
pour une utilisation massive. Il pense nécessaire que la CNIL précise ses positions, afin de lever les
incertitudes juridiques qui freinent au développement de cette méthode de tarification.

Un des usages innovants envisagés par David Dubois (Prévoir) de la collecte des données
comportementales, serait la possibilité d’accorder des ristournes de primes au terme du contrat
emprunteur, en fonction du « bon comportement » de l’assuré. Ce système de « ristournes de
primes » (ou claw back en anglais) nécessiterait une analyse de sa prise en compte sous le régime
Solvabilité II, et certainement une modification des textes législatifs concernant l’assurance, pour
permettre de développer ce nouveau type de produit en assurance emprunteurs.

Conclusion :

La sélection comportementale se profile comme un générateur de nouvelles opportunités dans un


nouveau prisme commerciale sans sélection médicale.

Si dans l’ère avant la loi lemoine, les assureurs procédait à une sélection négative des clients en
surprimant ou excluant les mauvais risques, l’ère post lemoine obligera les acteurs à procéder à une
sélection positive des clients. La chasse aux « bon prospects » est donc ouverte, et la sélection
comportementale se profile aujourd’hui plus que jamais comme un générateur de nouvelles
opportunités dans ce nouveau prisme commercial.

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