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GRUSSY Céline I.R.T.

S de Lorraine

DC 1 : Accompagnement social et éducatif spécialisé


Dossier de Pratiques Professionnelles
« L’art du lien, l’air de rien »

D.E.E.S session juin 2018


Sommaire

Introduction 1

I. Présentation des cas étudiés 2


A. Natacha, le dessin comme support de communication 2
B. Anna, la médiation permet la confiance 4
C. Anthony, la médiation est un autre regard 6

II. Analyse 8
A. Première analyse, le dessin comme support de communication 8
B. La médiation comme terrain de confiance 10
C. Comment la médiation révèle 12

III. Positionnement professionnel 14


A. La médiation comme moyen de communication 14
B. La médiation comme lieu 15
C. La médiation comme révélateur 16

Conclusion 17
Introduction

Dans le cadre du domaine de compétences DC1 Accompagnement social et éducatif


spécialisé, il nous est demandé de relater et de faire état du cheminement de notre pratique
professionnelle dans le cadre de ce dossier.
En ce qui me concerne, je suis arrivée en formation avec dans mes bagages une licence en
arts plastiques ainsi que quelques notions d’art-thérapie acquises lors d’une formation suivie
auprès de Lony Schiltz, docteur en psychologie clinique au Luxembourg.
Si mon but n’est pas de mettre en place des ateliers d’art-thérapie, et je n’en ai d’ailleurs pas la
prétention, il n’en reste pas moins que je souhaite mettre mes compétences au service des publics
que je pourrai rencontrer car je suis convaincue que la pratique d’une activité plastique est pour
toute personne un moyen d’expression et d’épanouissement.
De plus, cette pratique en tant que proposition est avant toute chose une médiation, un
support pour entrer en relation en sortant des actions quotidiennement proposées, un moyen pour
établir un échange privilégié et établir un lien de confiance. On retrouve d’ailleurs dans notre
référentiel professionnel que l’éducateur spécialisé “ établit une relation de confiance avec la
personne ou le groupe accompagné et élabore son intervention en fonction de son histoire et de
ses potentialités psychologiques, physiques, affectives, cognitives, sociales et culturelles”1.
Durant mes stages, j’ai eu l’occasion de proposer et de participer à des activités qui ont pu
être le support de développement d’une relation qui peut être parfois difficile à instaurer, à
approfondir, avec un public parfois difficile à appréhender. Les différentes expériences que je
vais relater ici m’ont démontrée et m’ont permises d’apprendre que la médiation est un outil
essentiel pour l'éducateur qui vise à instaurer une relation éducative optimale. Sur quels aspects
de la relation, la médiation intervient-elle ? Au travers de trois cas exposés et de leur analyse,
nous verrons que la médiation peut être un moyen de communiquer avec l’autre, qu’elle permet
un cadre d’échanges privilégiés mais qu’elle peut être également un moyen d’échanger
différemment, de se rendre compte du positionnement de la personne et de son cheminement.

1 Arrêté du 20 juin 2007 relatif au diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé - Article Annexe I [en ligne]
consulté le 10/12/2017
<https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=EAB25B07C827E76F35AC0D3C64009AA
1.tpdila20v_3?idArticle=LEGIARTI000028354952&cidTexte=LEGITEXT000006056546&dateTexte=20160
309>

1
I. Présentation des cas étudiés
A. Natacha, le dessin comme support de communication

Nous sommes dans une Maison d'Enfants à Caractère Social du département de la


Moselle, sur le groupe des petits. Ce stage de première année a été d’une durée de huit semaines.
Le groupe est constitué de 10 d'enfants, 4 filles et 6 garçons de six à huit ans. Ces enfants sont
placés par l'Aide Sociale à l'Enfance sur demande du juge des enfants suite à un signalement ou
dans le cadre de la dégradation d'une prise en charge dépendant d'une Action Éducative en Milieu
Ouvert. Il s'agit uniquement de placements judiciaires.
J’y ai rencontré la petite Natacha2. Âgée alors de huit ans, elle est accueillie sur ce groupe
depuis deux et demi suite à une ordonnance de placement judiciaire et après une mesure de
protection d’urgence au sein du Centre Départemental de l’Enfance de la Moselle d’une durée de
quelques mois. Les droits de visites et d’hébergements (D.V.H.) sont établis comme suit: Natacha
rencontre sa mère et sa grand-mère maternelle au sein d’un centre de médiation un samedi après-
midi tous les quinze jours. Le père ne peut bénéficier de D.V.H. du fait de son incarcération. En
effet, il purge une peine de prison pour tentative d’homicide envers la mère de Natacha et sa sœur
Carole, son aînée de deux ans qui est elle aussi placée dans cette structure.
En tant que nouvelle stagiaire sur ce groupe, j’ai très rapidement eu à poser un cadre avec
à Natacha. Si certains enfants peuvent être distant ou discret, elle est en apparence tout le
contraire et met l’équipe éducative en difficulté. Elle semble en perpétuelle recherche d’attention
et se montre prête à tout pour l’obtenir. Natacha est dans l’agitation motrice et la transgression,
elle se moque de la sanction et le système de récompense ne la touche pas. Dès le premier jour,
elle m’a complimenté sur mes bracelets et a voulu que je les lui prête. Comme j’ai refusé, elle a
essayé de les prendre. L’éducatrice présente est intervenue et l’a punie. Elle a refusé la punition et
a commencé à jeter tout ce qui se trouvait à sa portée jusqu’à ce que l’éducatrice la contraigne à
rejoindre sa chambre. Cet événement illustre parfaitement le schéma relationnel dans lequel elle
se trouvait quand je l’ai rencontré.
Dans le groupe de vie, les activités sont collectives et les enfants sont rarement laissés en
autonomie. Le système de gratification auquel Natacha n’adhère pas la disqualifie
systématiquement de toute activité privilégiée. Je suis donc partie du principe qu’elle était

2 Le prénom a été modifié dans le cadre de l’anonymat

2
enfermée dans son mode de fonctionnement et j’ai donc demandé à me libérer un temps pour
faire quelque chose avec elle en individuel. Pour ne pas récompenser un comportement inadapté
ou supplanter les règles du groupe, j’ai attendu qu’un repas se passe dans des conditions
d’agitation modérée pour lui proposer: “tu m’aides à débarrasser et ensuite on va dessiner dans ta
chambre?”. Natacha a montré le plus grand zèle et nous sommes allées dans sa chambre.
La première question qu’elle me pose alors est “tu dessines aussi?” en voyant les feuilles
blanches et le grand bac à crayons, je lui réponds que oui et que je vais aller chercher une chaise.
Elle se précipite pour y aller. J’en profite pour trier les crayons, cherchant à en piocher un de
chaque couleur et à les tailler. En revenant, elle ouvre de grand yeux ravis mais semble chercher
quelque chose. Je pose une feuille devant elle et une devant moi et lui demande ce qu’elle veut
comme couleur, “le violet qui fait des paillettes” me répond-elle. On le cherche, le trouve, je le
taille et je lui tends. Faisant mine de ne m’occuper que de ma feuille, je me demande à voix haute
“mais qu’est-ce que je vais pouvoir dessiner?” en la regardant et elle me répond “tu n’as qu’à
faire ta maison!” et elle se met aussitôt à dessiner. Je m’exécute de mon côté un instant puis je lui
demande “et toi, tu fais quoi?”, “ma maison!” me répond-t-elle. Elle a dessiné un début de ce qui
ressemble à un plan d’évacuation, au milieu duquel elle a mis un canapé, une télé, alors bêtement
je lui demande “c’est par où qu’on entre?” et s’est mise à m’expliquer “c’est lààà, mais c’est un
appartement et ça c’est le canapé et la télé et la table avec le téléphone et le tapis il est bleu avec
du doré…” puis elle fouille dans les crayons à la recherche d’un bleu en particulier que je lui
taille pour faire le tapis et se lance dans le dessin d’une boîte et ses détails près du canapé.
J’attends qu’elle s’arrête pour lui demander ce que c’est, il s’agit de la collection de fèves de sa
mère, qu’elle me détaille puis s’arrête, regarde son dessin, me demande si elle peut le garder, ce
que je lui permet, et repart dans l’agitation qui la caractérise: elle veut qu’on joue à la poupée,
qu’on regarde des films, veut une peluche dans le salon, tout ce qui n’est pas possible car il est
l’heure de se brosser les dents et elle le sait très bien mais elle déborde d'un cadre dont elle
connait très bien les limites jusqu'à la sanction sauf que cette fois je la regarde et j’attends qu’elle
me regarde à son tour pour lui dire “c’était chouette de dessiner, tu vas te brosser les dents?”, ce
qu’elle a fait. Il n’y avait personne de dessiné dans son appartement et elle n’a jamais voulu en
parler par la suite, le dessin de la séance suivante était le “foyer” où elle se dessine avec une autre
enfant, un chien qu’elle aimerait avoir, une éducatrice “qu’elle aime bien”, moi et ma voiture.

3
Au vu de cette situation, peut-on faire l'hypothèse que la médiation est un moyen de
communication ?

B. Anna, la médiation permet la confiance

Nous sommes dans ma deuxième année de formation lors de mon troisième stage qui se
déroule dans le service Hébergement Éclaté d'un Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale
en Moselle. La prise en charge dispensée consiste en un accompagnement global incluant la mise
à disposition d'un logement en contrat de sous-location.
Ma référente suit une nouvelle résidente dont on ne sait presque rien. Le document
nécessaire à une prise en charge « un toit - une grille »3 a été complété de manière très succincte
par l'assistante sociale de secteur du département voisin. Anna4 a 27 ans, est maman de quatre
enfants de huit, six, quatre et deux ans et elle a quitté son conjoint et le domicile conjugal il y a
neuf mois. Après plusieurs mois d'errance, elle est hébergée aujourd'hui chez ses grands-parents,
à 1h30 de trajet de son ancien domicile, d'où sa demande d'admission au sein de notre service.
Encouragée par ses grands-parents, elle a recommencé depuis peu à entreprendre des démarches
administratives auprès de l'assistante sociale de secteur qui a initié la demande d'hébergement.
Nous rencontrons une jeune femme à la santé fragile, épuisée psychologiquement, et avec
qui nous débutons un accompagnement pour lequel le terme « global » prend tout son sens. Tout
lui paraissait insurmontable car tout la renvoyait à sa rupture, APL, RSA, CMU, CMUC, tout
était versé sur le compte de son ex-conjoint. De plus, elle avait entamé des demandes de
rapatriement des dossiers dans le département de ses grands-parents, ce qui bloquait tout. Des
avances alimentaires ont été débloquée tout de suite. Grâce à l'aide obtenue, elle a compris
qu’elle pouvait compter sur nous et sans cela nous n’aurions sans doute pas créé ce lien de
confiance qui lui a permis d’avoir le courage et l’envie de participer à notre projet théâtre.
Ma référente est en charge des actions collectives au sein du service et dans ce cadre, a
répondu à un appel d’offre de partenariat avec le théâtre NEST de Thionville qui, par le projet
DYNAMO, se donne pour mission de rendre le théâtre accessible au plus grand nombre et, pour

3 Document d’évaluation et d’orientation rempli par un travailleur social à destination du Service Intégré
d’Accueil et d’Orientation qui le transmettra à la structure d’accueil désignée afin qu’elle se mette en
relation avec le demandeur
4 Le prénom a été modifié dans le cadre de l’anonymat

4
ce faire, propose à la fois des spectacles et des médiations sous forme d’ateliers. Dans le cadre de
ce partenariat sont organisées trois actions successives: des brunchs, opération consistant à
découvrir le théâtre en tant que lieu par le biais d’un repas puis d’une lecture de textes, des
ateliers, journées de découverte du théâtre en tant que discipline proposant aux participants de
partager le processus de création et de travailler avec des professionnels et des amateurs sur un
plan horizontal, et enfin les spectacles, afin de découvrir le théâtre en tant que divertissement.
Ce projet construit la place de spectateur de la personne accueillie pas-à-pas, en lui
permettant de s’acclimater, d’accéder aux coulisses jusqu’à arriver au jour du spectacle en “V.I.
P”, saluant les membres de la troupe et l’encadrement du théâtre avant de s’installer dans le
public. Nous constituons donc un groupe de huit femmes vivant seules en leur proposant le projet
comme une occasion de sortir, de se changer les idées et découvrir de nouvelles choses.
Le matin du brunch, je vais chercher Anna en bas de chez elle. Elle a l’air enjouée, et
impatiente. Elle découvre les lieux avec émerveillement et se sent un peu tendue, ne sais pas quoi
faire de ses affaires ni où se mettre. On mange, on discute, l’atmosphère se détend. On partage un
repas mais pas seulement, on crée du lien en faisant avec ce que l’on est : on aime la compote de
pommes, c’est facile à faire, elle nous confie qu’elle ne cuisine plus depuis qu’elle ne vit plus
avec ses enfants… De nombreuses choses se jouent, on se confie autour de confitures et c’est une
autre forme de confiance qui se dessine. Les langues se délient. Nous l’avons hébergée malgré
nous dans le quartier de son ex-conjoint et bien sûr, elle a voulu revoir ses enfants, peu importe
les conditions, elle se dit prête à tout accepter. Elle a accepté de voir ses enfants dans son ancien
domicile, quand son ex conjoint a envie de sortir avec sa nouvelle compagne et même si les
enfants de cette dernière sont là eux aussi… On s'aperçoit qu’elle sert de babysitter à ce nouveau
ménage. On se voyait une fois par semaine dans le cadre de sa prise en charge, et si on a pu
prendre conscience tout de suite que travailler la parentalité et travailler sur la question juridique
de la garde des enfants est aussi important que la régularisation de ses problèmes administratifs,
on ne s’est pas rendues compte de la situation morale dans laquelle elle s’est enlisée. Les
semaines passent et on se voit au bureau, elle dit que ça va, qu’elle va prendre les enfants chez
elle, pas tous à la fois. Elle nous rassure.
Lors de l'action suivante, elle me parait plus tendue. Elle me dit à demi-mots qu’elle ne
devrait pas être là, que son ex-conjoint lui reproche son indisponibilité, qu'elle ne veut pas
participer. Je lui explique que durant les ateliers de théâtre, on pratique ou on assiste, on n’est pas

5
obligé de se mettre en scène pour être en scène car on participe en regardant les autres faire et en
partageant son ressenti sur ce qui se joue. Cela permet de rester en retrait tout en faisant partie du
groupe. Comme moi, les membres du groupe présentes au brunch sont allées lui adresser un mot,
certaines se sont permis un partage d’expériences aux vues des confidences faites le jour du
brunch. On partage, on parle de soutien, d’emprise, de se soulager par la parole. Au bureau, la
semaine suivante, Anna acceptera de prendre rendez-vous avec la psychologue de l’association.
Dans le cas d'Anna, je me suis posée la question suivante : Partie intégrante et satellite de
la prise en charge, qu’est ce qui fait que la médiation propose à la fois un cadre suffisamment
informel et sécurisant pour se confier et avoir confiance ?

C. Anthony, la médiation est un autre regard

Nous sommes dans ma troisième année de formation lors de mon quatrième stage qui se
déroule dans un Institut Médico-Éducatif du département de la Moselle, au sein du Pôle de Prise
En Charge Adaptée. Le groupe sur lequel je suis est constitué de six enfants qui ont entre neuf et
douze ans et qui présente des troubles du spectre autistique.
Anthony5 est un jeune garçon de dix ans qui a été orienté vers le C.R.A. (Centre de
Ressources Autisme) par le C.A.M.S.P. (Centre d’Action Médico-Social Précoce) au sein duquel
il bénéficiait d’un suivi à la demande conjointe de l’école maternelle dans laquelle il était inscrit
alors et de ses parents. Le diagnostic d’autisme sévère a été posé par le C.R.A. il y a deux ans,
mais Anthony a intégré l’I.M.E. dès la rentrée 2012, alors âgé de cinq ans. C’était un enfant qui
présentait une importante hyperactivité, des stéréotypies envahissantes, qui s’échappait sans
cesse, déterminé à poursuivre un but dicté par ses “pulsions”. Non verbal, il n’avait pas moyen de
communication, n’était pas dans l’échange, n’avait pas conscience de ce et de ceux qui l’entourait
et était dans la mise en danger permanente ; en bref “il grimpait partout et n’écoutait rien”.
Au moment où je commence mon stage, le travail sur ces problématiques a déjà porté ses
fruits. Il utilise son classeur PECS pour faire des demandes mais si on ne répond pas
favorablement ou si sa pulsion ne lui laisse pas le temps de formuler sa demande, Anthony peut
se sauver en courant pour obtenir ce qu'il veut et sans considération pour l’environnement dans
lequel il évolue. Aujourd’hui, l’élément complexe dans la prise en charge d’Anthony est de

5 Le prénom a été modifié dans le cadre de l’anonymat

6
réussir à l’empêcher de se sauver, à le rattraper quand on échoue, à le contraindre à retourner sur
le groupe et à limiter ses stimulations visuelles quand elles deviennent trop envahissantes pour
lui. Ses parents se sentent en échec et ont fait appel à une équipe mobile afin qu’ils viennent à
domicile leur prodiguer des conseils.
En ce qui me concerne, il semble me considérer comme un adulte de référence car il a intégré
qu’il peut me faire des demandes, que je suis en mesure de faire son emploi du temps avec lui ou
de le rattraper quand il se sauve. Il prend la fuite, je le rattrape, le tenant par la main et le ramène
sur le groupe. Si je parviens à l’attraper avant qu’il se sauve, il reprend l’activité précédente
jusqu’à ce que j’aie le dos tourné. Si je le laisse se sauver pour voir ce qu’il veut faire, je le suis,
lui indique que ce n’est pas le moment ou pas approprié et le ramène sur le groupe. Ce petit
manège a pris au fil du temps une valeur d’échange et la forme d’un jeu. Tentant de rentrer dans
une relation d’échange différente, j’ai donc demandé à l’équipe la possibilité de le prendre en
charge sur un temps individuel afin de lui proposer un atelier graphique. On m’indique qu’il a
déjà fait de la peinture mais que l'activité risque d’être de courte durée et qu’elle sera sans doute
plus axée dans une dimension sensorielle. Peu importe la forme ou le résultat car c’est la relation
que je cherche.
J’ai donc préparé un atelier de peinture dans la salle de travail individuel, en lui proposant
les couleurs séparées, une grande feuille et des pinceaux de différentes tailles. Je lui ai proposé
cet atelier deux fois. Lors du premier atelier, je l’ai accueilli en lui montrant le pictogramme
“peinture” et le tablier, il s’est dirigé vers moi pour l’enfiler. Etant dans la proposition et non pas
dans la contrainte, je l’ai laissé pousser la chaise et lui ai tendu un pinceau. Il l’a regardé sans le
prendre et a jeté les autres hors de la table. J’ai trempé le pinceau dans la peinture et lui ai tendu,
sa réponse a été de prendre mon poignet et de me faire peindre pour lui. Après quatre minutes
intenses, il a lâché mon poignet et s’est mis à faire du flapping6. Je lui ai demandé “encore ?” en
lui tendant le pinceau et il a repoussé ma main en tentant de se défaire du tablier. Je lui ai dit
“attends” en m’avançant pour lui retirer et il s’est montré calme et m’a laissé faire. Ceci a mis fin
à la séance et je l’ai raccompagné dans le “coin calme” du groupe où il s’est assis en prenant sur
lui la tortue lestée7.

6 Stéréotypies exercées en agitant les mains autour de sa tête


7 Animal en tissu rempli de sable

7
Lors de la mise en place du deuxième atelier, j’ai intégré le pictogramme peinture à son
emploi du temps de l’après-midi, mis à sa disposition une chaise à accoudoirs et l’objectif était
qu’il fasse par lui-même. Au moment de l’activité, je l’ai emmené vers son emploi du temps
visuel afin qu’il pointe le pictogramme et me suive. Il s’est installé sur la chaise en s’accrochant
aux bords, s’est balancé un instant et a pris un pinceau, l’a trempé dans la peinture et me l’a
tendu. Je lui ai pris le poignet comme il avait fait avec moi pour initier le mouvement et il a alors
eu un mouvement pour se dégager. Je lui ai donc montré la feuille en lui disant “Tu fais, toi”. Il
s’est exécuté, tendant à nouveau le pinceau à chaque fois qu’il le trempait dans une nouvelle
couleur. Ma réponse restant constante, il s’est exécuté quelques fois jusqu’au moment où il a
martelé le pinceau sur la feuille, l’a lâché et est parti en courant. Je l’ai rattrapé, lui ai retiré le
tablier qu’il semblait ne plus pouvoir supporter car il se mouvait dans tous les sens puis lui ai dit
“stop, laver les mains”. L’eau et la mousse du savon n’ont fait que s’ajouter à la stimulation
visuelle et tactile, il a commencé à stéréotyper pour partir ensuite en courant vers le groupe.
Qu'essaye-t-il de me dire par ce comportement ? Que se passe-t-il durant la médiation ?
Que me permet-elle d'apprendre d'une personne, comment et que dit-elle ?

II. Analyse

La relation éducative est le fondement du métier d'éducateur spécialisé ; sans elle, il ne


peut y avoir d'échange. Elle est le lien qui va se mettre en place entre l’éducateur et l'usager, et
une fois qu'une relation de confiance est établie, que l’éducateur est reconnu comme légitime, que
l'usager est prêt à écouter, qu'il sait qu'il peut se confier, et donc est enclin à se laisser guider vers
un objectif qui, même s’il est dans son intérêt, peut lui faire peur ou sembler inatteignable. Elle
va permettre de pouvoir expliquer, accompagner, soutenir la personne afin de la faire évoluer et
de lui permettre de s’émanciper. Elle se forge à force d'observations, de tentatives, d'échecs et de
réussites mais aussi d'une constance dans le soutien, l'écoute et la présence.

D. Première analyse, le dessin comme support de communication

Il n’a pas été simple pour moi de gérer la relation avec Natacha et c’est pour cela que j’ai
choisi de faire état de cette situation ici. Cela a été déroutant de se retrouver face à une enfant qui

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rejette la relation en la cherchant désespérément. En discutant avec les membres de l’équipe, j’ai
pu me rendre compte qu’elle cherchait la relation individuelle par la sanction, se sclérosant dans
un système de fonctionnement.
Le cadre physique de la chambre s’est imposé à nous car c’est pour elle le seul lieu
d’intimité dans ce groupe de vie. Paradoxalement, la chambre est pour elle un lieu de sanction
dans lequel on la renvoie en soustrayant la caisse de jeu, et sans doute également un lieu
d’angoisse (Natacha est énurétique, change ses draps tous les matins et met un petit symbole sur
son calendrier indiquant si oui ou non elle a fait pipi cette nuit).
Je n’ai pas cherché à mettre en place un projet, c’était juste une proposition de faire quelque
chose ensemble, afin de sortir de ce schéma de bêtises-sanctions. Seulement voilà, un schéma,
quel qu’il soit, est un système de fonctionnement connu, en sortir c’est s’aventurer ! Et quelle
aventure que de dessiner, de produire quelque chose… On peut avoir peur d’être jugée, être
angoissée, manquer de confiance, peut-être même que ce média lui a déjà été proposé et la rend
méfiante, d’où sa question d’ailleurs: “est ce que tu dessines aussi?”.
Les dessins proposés d’habitude sont des coloriages, et là je lui propose une feuille
blanche, cela lui a peut-être fait peur, ou peut-être fait penser à une interrogation? En tout cas je
sens bien que je l’ai déstabilisée et c’est pour cela que je prends les devants en me demandant à
voix haute ce que je vais dessiner. Je cherche à projeter sa question sur moi pour lui montrer que
nous sommes sur un plan horizontal. C’est elle qui me répond, je mets volontairement de côté ma
position d’adulte, de “sujet supposé savoir” pour faire référence au concept de Joseph Rouzel.
J’ai tout de suite pensé qu’elle me répond « une maison » car c’est la première chose que l’on fait
dessiner aux enfants en thérapie et il y a fort à parier qu’on lui a déjà fait faire cet exercice. Il y a
quelque chose aussi dans le choix du crayon. C’est important de pouvoir avoir le choix quand on
vit dans un environnement imposé et je pense que son application dans cette démarche prouve le
plaisir qu’elle éprouve à ce moment-là. Je fais la sotte en lui demandant où est la porte mais c’est
parce que je cherche à entrer et elle m’accueille en m’expliquant et au fur à mesure les souvenirs
reviennent, les couleurs. Devant son application à dessiner la collection de fèves, je devine
qu’elle devait beaucoup lui plaire. Quelque chose se passe quand elle me dit que c’est la
collection de sa mère. L’appartement qu’elle m’a dessiné est vide mais ces objets y ont introduit
un souvenir, quelque chose dont elle ne veut pas parler et on s’arrête là. Une production
appartient à celui qui la crée et je lui propose de choisir ce qu’elle veut en faire. Ce petit temps

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d’activité impacté notre relation, je lui avais accordé de l’attention uniquement à elle et ce sans la
sanctionner, nous avions gagné une nouvelle forme de dialogue.
Lorsque j’ai pu, suivant le même procédé de petite récompense, aménager un autre temps
pour dessiner avec elle, je lui ai demandé ce qu’était devenu le dessin de la première fois et elle
m’a répondu qu’elle ne savait plus. Je n’ai pas insisté. Dans le cadre de sa chambre, elle s’est
montrée bien moins méfiante envers moi. Elle a taillé un crayon pour moi et a commencé
spontanément à dessiner “le foyer” en m’expliquant au fur et à mesure. Dans son dessin, il faisait
beau et elle s’est appliquée à mettre une couleur à chaque chose. Elle a choisi de représenter les
choses comme elle les désirait, avec un petit chien à elle, sans les autres enfants, une éducatrice
de groupe (en me disant qu’elle est gentille). J’ai vraiment ressenti l’envie d’imaginer les choses
comme elles lui faisaient plaisir et l’absence des autres enfants n’est pas anodine, le poids que
peut représenter la vie en communauté se remarquait tous les jours. C’est l’absence de sa sœur
qui m’a interrogé en revanche et quand je lui ai posé la question, elle s’est dépêchée de la
dessiner à côté d’elle et d’une seule couleur. J’ai eu l’impression de lui forcer la main en
réveillant sa culpabilité de l’avoir oubliée. Puis elle a fini en dessinant un peu plus loin une
voiture et un petit personnage à coté en me disant que c’était moi et ma voiture… Elle savait très
bien que j’étais stagiaire et que j’allais partir, mais je faisais partie du dessin. Ces dessins nous
ont permis de communiquer de manière privilégiée, ce qui n’est pas facile dans un groupe de vie
de dix enfants. Ils ont été moyen de communication, à la fois support et terreau de notre relation.

B. La médiation comme terrain de confiance

Ce qui a été complexe pour moi dans ce stage a été la question de la place et de
l’implication du public dans leur projet personnel. Ce public, tour à tour nommé des “personnes
bénéficiaires”, des “usagers” ou des “personnes accueillies” suivant l’interlocuteur, n’a pas
d’autre choix que de requérir une aide s’il veut accéder à un logement, on va proposer un
appartement en sous-location qu’il n’est pas vraiment en mesure de refuser ni de choisir, et on va
démarrer un accompagnement global parce que ça fait partie du contrat de séjour, et surtout un
public qui va devoir travailler main dans la main avec nous, éducateur, pour se sortir de sa
situation et aller vers un logement autonome.

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Et l’adhésion à la démarche dans tout ça ? Guy Hardy nous en explique les jeux
relationnels8, nommant ce phénomène “aide contrainte” et expliquant les trois choix qui s’offre à
la personne : le refus de l’aide ou le repli, l’adhésion et l’adhésion stratégique. Si le refus ou le
repli devant l’aide proposée mettent d’emblée tout travail en échec car cela consisterait à “faire
boire un âne qui n’a pas soif” et concerne plus le domaine de l’injonction de soin, la différence
entre adhésion et adhésion stratégique concerne bien plus notre domaine de compétences. Guy
Hardy nous explique que dans l’adhésion, soit la personne reconnait avoir un problème, soit elle
en prend conscience et vient à le reconnaître, tandis que dans l’adhésion dite “stratégique” la
personne va feindre vouloir de l’aide, construire un projet avec l’aidant et finalement ne
s’attachera pas à travailler sur les problématiques soulevées ou ne les révélera jamais.
Dans l’hébergement éclaté, on accueille des personnes qui n’ont pas la possibilité
d’accéder à un logement autonome mais on ne peut parfois pas savoir quelles sont les
problématiques qui les ont amenés à cette situation. Accident de la vie, séparation, expulsion
locative, autant de raisons annoncées qui peuvent couvrir des problématiques plus profondes,
(barrière de la langue, problèmes de papiers, de ressources, de travail, d’alcoolisme, de violences,
etc…) sur lesquelles l’éducateur peut soutenir une intervention mais ne peut pas forcer l’aide.
C’est la médiation qui a permis de passer le cap de l’adhésion stratégique à l’adhésion dans le cas
d’Anna. Elle a répondu à toutes nos demandes de démarches dans le cadre du projet établi avec
elle sans jamais mentionner la problématique qui se cachait sous cette situation. Si elle n’a pu
nier aux vues des démarches juridiques que ex-conjoint a entamé que leur relation n’était pas
cordiale, elle ne se serait jamais livrée sans ce projet de médiation théâtrale. Sous ses airs de
temps de récréation, de nombreuses choses se jouent. Ces actions composées à la fois d’ateliers,
de spectacles et de médiations constituent le médium qui permet de travailler sans en avoir l’air
sur des problématiques comme l’isolement, la difficulté à s’intégrer dans un groupe, l’estime de
soi - par le travail qui est effectué sur un plan horizontal avec les éducateurs, comédiens et
metteurs en scènes, et par la bienveillance réciproque des uns pour les autres au cours des temps
partagés ensemble - mais aussi sur la confiance en soi, par la prise de parole en public et la
participation au sein à une activité gratifiante. Enfin cela oblige un public en situation d’exclusion
à renouer avec des obligations comme respecter ses engagements, ou se plier à des horaires.

8 Guy Hardy. L’aide psycho-médico-sociale sous contrainte. In S’il te plait ne m’aide pas. Toulouse,
Editions Eres 2016 (première édition 2012). 181 p

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Pour Anna, le fait de rompre son isolement, de se confier, mais aussi de participer à
l’atelier en tant que spectatrice lui ont permis de reconnaître notre bienveillance ainsi que celle
des autres personnes présentes, de s’autoriser à faire confiance et de se lancer vers une démarche
d’adhésion. C’est la médiation en tant que lieu physique mais aussi en tant que lieu mental qui a
favorisé cette rencontre, offrant un terrain d’écoute et de partage éphémère et quelque part
sécurisé de fait car si on pourra toujours dire que c’était au théâtre.

C. Comment la médiation révèle

Pour entrer en relation avec un enfant autiste, il faut adopter ce que l’auteur Hilde de
Clercq appelle le “penser différemment”. Dans son livre “Dis maman, c’est un homme ou un
animal?”9, elle explique et illustre entre autres la difficulté pour un autiste à généraliser, donnant
de ce fait une fonction à chaque chose. Pour cela, elle prend l’exemple des verres en expliquant
que chaque contenant est défini par son contenu et il ne peut en être autrement. Partant de ce
principe et dans ma démarche de recherche de relation, j’ai donc établi mon atelier dans la salle
de travail individuel afin de poser le cadre par le lieu, lui signifiant ainsi que je voulais lui
proposer quelque chose à lui, en tête à tête, qui allait requérir un effort de sa part, tout en mettant
à sa disposition un espace calme, et une table de travail installée au préalable dans un objectif de
réduction de stress10. J’ai ensuite cherché de la documentation sur le déroulement de médiations
plastiques dans le domaine du handicap et plus particulièrement de l’autisme et j’ai découvert le
livre “Art thérapie et autisme, du geste à la parole, récits d’atelier et réflexions cliniques”11.
Même si je n’ai ni l’intention ni l’ambition de mettre en place un atelier d’art thérapie, ce livre,
constitué comme un dialogue entre Christine Lopez, art-thérapeute, et Michel Arnaud,
psychanalyste, a été́ pour moi une source d’inspiration et de réflexion que j'ai utilisé dans un
objectif d'accompagnement éducatif. Il m’a conforté dans la mise en place et l’approche que je
voulais adopter : un cadre particulier, imposé, à l’intérieur duquel on propose et on laisse
s’exprimer en se mettant à l’écoute. Cette dimension, il me l’a clairement rappelé en prenant ma

9 Hilde de Clercq. Dis maman, c’est un homme ou un animal, Paris, AFD Editions, seconde édition 2012.
116 p.
10 Technique inspirée de la méthode TEACCH qui consiste à organiser la table de travail en rendant

visible tous les éléments qui vont être utilisés lors de la séance afin de permettre à l’enfant de décoder
ce nouvel environnement
11 Paris, Ed. L’Harmattan, 2016. 164 p.

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main pour peindre lors de la première séance. Bien sûr, il s’agit là d’une hypothèse de ma part,
déduite du constat que, devant ma demande de peindre et son incapacité à y répondre (pour des
raisons sensorielles, comme le révèlera la deuxième séance), il a mis en place une stratégie pour y
palier : utiliser ma main. En effet, il faut rappeler que l’autisme est un trouble du développement
neurologique qui affecte les fonctions cérébrales, empêchant la personne de faire les liens qui
semblent évident pour “nous autres” neurotypiques, obligeant de fait la personne autiste à mettre
en place des stratégies pour appréhender son environnement (la “pensée en détail” 12 pour palier à
la difficulté à généraliser par exemple). Ces stratégies donnent souvent lieu à des comportements
atypiques qu’il nous faut décoder pour comprendre. Il ne prend pas l’objet sur lequel il veut
qu’on agisse, il est plus logique de prendre la main qui va agir!
En discutant avec l’équipe, nous nous sommes aperçus que cette séance a permis de
mettre en lumière un comportement qu’il adopte dans d’autres situations, car Anthony a tendance
à se saisir de la main de l’éducateur pour ouvrir un goûter, faire un puzzle…Est ce que cela veut
dire que c’est sa façon d’utiliser les personnes qui l’entourent comme une ressource? Sommes-
nous à la fois un moyen d’obtenir ce qu’il veut et un exécuteur de sa demande? Il fait de même
avec son père, lui prenant la main pour la mettre sur son sac quand il veut la tablette qui s’y
trouve, grimpant sur le dossier du siège et glissant derrière lui pour l’obliger à se lever quand il
veut s’en aller, etc... Il semblerait qu’Anthony ait conscience que les personnes qui l’entourent
peuvent l’aider à accéder à quelque chose qu’il ne peut faire seul, et que la stratégie mise en place
pour y parvenir est de se saisir ou de pousser la personne ressource pour qu’elle s'exécute à sa
place. L’équipe s’entend sur le fait que ce comportement est inapproprié et qu’il nécessite une
rééducation en deux temps; une demande se fait à l’aide du classeur PECS et si la réponse est
négative, il faut tenir bon et rester cohérent même s’il insiste physiquement. La référente
d’Anthony sera chargée d’entretenir les parents de ce nouvel objectif, en attendant l’équipe
portera une attention particulière à ne pas répondre favorablement à ce comportement.
Un autre fait notable de la première séance est qu’il semble en être sorti apaisé. L’atelier a
provoqué chez lui des stimulations qui ont nécessité de passer à la stéréotypie pour se recentrer,
puis de retour sur le groupe il a eu besoin de se poser avec un objet lesté.

12 Hilde de Clercq. Dis maman, c’est un homme ou un animal, Paris, AFD Editions, seconde édition 2012.
116 p.

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Lors de la deuxième séance, je travaille toujours sur mon cadre en réajustant ma
démarche, inscrivant l’atelier dans son emploi du temps dès le matin afin de rendre l’action
prévisible. Cette fois il me tend le pinceau, mais refuse que je le guide, à moins que le refus soit
que je lui prenne le poignet ? Pourquoi ne veut-il pas faire ? Visiblement il y a un trop plein à
gérer et c’est en ce sens que ma réflexion va porter. En effet, les troubles du développement
neurologique dus à l’autisme impactent également l’interprétation des informations transmises
par les sens, et Anthony présente notamment une hypo-sensibilité visuelle et une hyper-sensibilité
tactile, ce qui explique pourquoi il est toujours en recherche de stimulations visuelles et qu’elles
provoquent des émotions très intenses et difficiles à gérer quand il les obtient. De la même
manière, son hyper-sensibilité tactile ne lui permet pas de supporter que je lui prenne le poignet et
seul lui sait quelles sensations lui procurent le pinceau qui glisse. Enfin, qu’en est-il du lien entre
ces deux sources de sensations ?
Ce constat amène à faire une transposition, à sortir du cadre de l’atelier, et à se demander quelle
est la place de la sensorialité dans ses comportements ? Anthony est décrit comme hyperactif
mais il semble ne s’agir là que de la conséquence de l’impossibilité pour lui à gérer et à
coordonner les informations sensorielles qui le submerge et vis-à-vis desquelles il semble ne
pouvoir qu’osciller entre recherche et fuite… Viens ensuite les questionnements en équipe autour
des propositions qu’il est possible de lui faire pour l’apaiser, l’atelier peinture est suspendu pour
l’instant et une tentative de limitation de ses stimulations visuelles est engagée.

III. Positionnement professionnel


A. La médiation comme moyen de communication

` Ce premier stage de huit semaines en M.E.C.S. est la première chose qui m’a fait remettre
en question mon entrée en formation et je me souviens avoir mis une bonne quinzaine de jours
pour me recentrer. Ce terrain de stage n’était pas un choix de ma part, tant pour le public que pour
la tranche d’âge concernée. J’ai été planifié essentiellement de soirée en semaine avec une
éducatrice, de 15h30 à 22h, sur un groupe de dix enfants qu’il fallait chercher à l’école primaire
du village à 16h, puis faire goûter, accompagner dans le difficile et détesté exercice du soir que
sont les devoirs, puis venait ensuite le temps des douches, du repas, des dents et du coucher ! Un
rythme difficile à tenir dans un cadre difficile à mettre en place, je ne voyais pas comment tisser

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des liens avec les enfants de manière individuelle. Et puis un jour, cette idée du dessin m’est
apparue comme lumineuse. Il me fallait un moyen de partager quelque chose avec eux, autre que
des contraintes. Les demandes diverses servant de prétexte fusaient de toutes parts, qu’elles
soient formulées (il m’a tapé, je ne trouve plus mon spiderman...) ou exprimées par leur
comportement (refuse d’aller se coucher, fait une bêtise juste sous votre nez...), ces enfants
transpiraient le besoin d’attention. Je me suis servie de ce que je savais faire sans pouvoir
l’exploiter complètement (huit semaines c’est bien court et les mercredis après-midi sont
organisés autour des activités et des prises en charge à l’extérieur) en me glissant dans le tout
petit créneau entre le repas du soir et le coucher (globalement 19h30-20h, avec brossage de dents
et coucher dans la foulée) créant ainsi une petite bulle dans le quotidien. J’ai mis du temps à
préserver ce moment, à faire comprendre aux autres enfants que leur tour viendra, mais dans les
chambres collectives, la tentation est trop forte ! Si le caractère sacré de la démarche commençait
à peine à se mettre en place à la fin de mon stage, ces moments de dessins m’ont permis de
communiquer avec ces enfants, et de manière individuelle, ce qui est un luxe sur un tel groupe de
vie. Ces moments particuliers nous ont permis nous extraire de la simple gestion du quotidien et
de la portée éducative limitée et contrainte. La médiation a ainsi été un moyen privilégié pour les
rencontrer différemment et communiquer avec eux.

B. La médiation comme lieu

C’est grâce à cette aventure théâtrale que j’ai vraiment pu mesurer la dimension du lieu en
tant que médiation, de me rendre compte que la médiation n’est pas uniquement ce qu’on fait
mais également où on le fait. Il offre un cadre invisible, hors de celui que l’on a l’habitude de
côtoyer, de l’obligation, du bureau, des formulaires, il se laisse totalement oublier alors qu’il est
là et qu’il contient. Il fait se rencontrer des personnes, il rend possible le déroulement d’une
proposition, d’une action, de partages, tout en les protégeant. La médiation théâtrale a de plus une
sorte de caractère fantasque derrière lequel on pourrait presque se réfugier. On se joue, on se
livre, on donne, on reçoit… Car même regarder n’est pas anodin, voir les autres faire et ne pas
pouvoir, se sentir emprisonnée alors que les autres sont libres…
Le lieu dans lequel nous sommes et l’environnement qui nous entoure sont composantes
qui vont influer sur notre état d’esprit et notre manière d’être, de nous comporter.

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L’occasion de participer à cette médiation m’a fait réfléchir sur l’importance et les possibilités
des lieux dans lesquels il est possible d’intervenir, portant ainsi la structure en dehors de ses
murs. En effet, le NEST n’est pas le seul lieu culturel à adopter une politique sociale dans le
cadre de ses missions et à proposer gracieusement des visites médiatisées voir même des ateliers
aux personnes en situation de précarité, ou de handicap. Dans le cadre d’une démarche de
partenariat, il est possible de visiter le Centre Pompidou, mais également l’Arsenal ou l’Opéra de
Metz, d’assister aux répétitions de l’Orchestre National de Lorraine, ou de contacter toute
structure culturelle. C'est à nous d'être vigilants en repérant les possibilités qui s'offrent à nous,
mais également d'être force de proposition. Il nous faut mettre de nous, de nos intérêts, de nos
passions, de notre curiosité, afin d'espérer, par résonance, y emmener avec nous les personnes
accueillies.

C. La médiation comme révélateur

Mon objectif de départ a été d’utiliser l’atelier de peinture comme médiation afin de
permettre et de mettre en place une nouvelle façon d’échanger par le changement du cadre et
donc des “règles du jeu”. Le but intrinsèque étant de proposer une nouvelle forme de
communication afin de sortir de cette relation subie et imposée pour aller vers un partage de la
relation. Si la médiation artistique peut être un outil de communication formidable, cette
expérience m’a avant tout permis d’en explorer un nouvel aspect. En effet, cette proposition
d’atelier a été un révélateur; en nous plongeant dans ce cadre, c’est le système de fonctionnement
d’Anthony qui est apparu. Elle m’a permis de comprendre et de mettre en lumière des
comportements qui s’étaient jusqu’ici noyés dans une masse d’agitation et d’interactions,
permettant ainsi un changement de point de vue à la lumière de ce nouvel éclairage, une nouvelle
analyse et une meilleure compréhension.
Encore une fois, c’est en proposant l’atelier de peinture et non pas en imposant une
activité manuelle que cet éclairage a pu avoir lieu, en laissant faire dans un cadre défini et en
accordant de l’importance à tout ce qui s’y passe avant de s’intéresser à ce qui y est fait.
Forte de ses expériences, je continuerai à défendre l’utilité de ces propositions de
médiation car elles permettent de changer de regard, tout en continuant à me former sur les
spécificités de ce public afin de pouvoir décoder les précieux indices que peuvent constituer des

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comportements qui peuvent se noyer dans la prise en charge quotidienne et semblent ne pas
présenter de sens pour les neurotypiques que nous sommes.

Durant ces différents stages, j'ai donc eu l'occasion de mettre en place plusieurs formes de
médiations, me permettant ainsi d'expérimenter, de comprendre mais aussi de mettre à l'épreuve
ce moyen, ce pont, ce liant entre les acteurs de la prise en charge. J'ai pu ainsi apprendre et
observer de quelle manière elle enrichissait la relation. Ses différents domaines d'application
amènent des bénéfices au niveau de la communication, la possibilité d'offrir un cadre différent
ouvrant de fait le champ des possibles, ainsi que l'opportunité de porter un autre regard et
d'acquérir un nouveau point de vue sur la personne.

Conclusion

Si je suis restée sur mes acquis durant mon premier stage en ayant l’agréable surprise de
pouvoir constater que “ça marche !” (Car oui, la médiation est un merveilleux moyen de
communication, surtout quand elle passe par une activité de plaisir comme le dessin avec de
jeunes enfants et qu’en plus elle permet d’aménager un temps de partage en individuel avec
l’adulte au milieu d’un groupe de vie qu’on n'a pas choisi), je suis sortie bien vite de ma zone de
confort en explorant les possibilités offertes par un cadre différent tel que la médiation théâtrale
et l’application de la médiation graphique auprès d’enfants autistes.
Passer ainsi de la théorie à la pratique est toujours une aventure excitante dans laquelle se mêle
impatience, exaltations, déconvenues et interrogations, qui vont nourrir la réflexion et la faire
progresser, nourrissant ainsi la pratique et permettant de fait de mettre en place un cercle
vertueux.
J'ai pu découvrir en l'expérimentant que la médiation regorge d’aspects et de possibilités, la
rendant adaptable et modulable avec tous les publics. .
Elle nécessite de rechercher, d’explorer dans l’écoute et le partage avec la personne accompagnée
afin de mener à bien l’entrée et l’optimisation d'une relation éducative, permettant ainsi la co-
construction d’un lien de confiance indispensable pour la faire vivre. .
Marcel Duchamp ne disait-il pas à juste titre que “l’art, c’est la vie !”

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