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L’âge d’homme de Michel Leiris est le résultat d’un projet autobiographique écrit entre 1930 et

1935 après une cure psychanalytique et publié en 1939, divisé en huit chapitres, plus un premier
qui n’est pas titré. À l'aune des figures mythologiques qui symbolisent son rapport au monde –
Judith et Lucrèce notamment –, Leiris effectue un parallèle constant entre les épisodes de sa vie et
ces deux icônes, celle de la dévoratrice et celle de la femme blessée, le bourreau et le martyr.
Fin 1945, il revient sur cette œuvre dans un court texte, De la littérature considérée comme une
tauromachie, où il compare sa prise de risque dans la description autobiographique de son intimité
à celle d'un torero lors d'une corrida.
L’extrait se situe au début du chapitre trois, Lucrèce, et constitue une description de la corrida dont
l’art précis donne pour Leiris un aspect religieux à la cérémonie :
LIRE
Il compare le taureau, à la fin de l’introduction du chapitre Lucrèce, à Lucrèce, en tant que martyr.
Cet extrait vise à exposer les arguments de la thèse de la signification curieusement sacrificielle de
la corrida, comme il le dit juste avant, curieusement car celle-ci ne vient pourtant pas de l’héritage
d’un culte et car elle était effectuée plus grossièrement auparavant.
Comment l’argumentation de Leiris élève-t-elle la corrida au rang de fête sacrificielle à l’allure de
culte ?
L’extrait peut se scinder en trois parties selon les points de vue d’où se place l’auteur, toujours pour
expliquer que, où que l’on regarde, la corrida se déroule en tous points semblablement à une
cérémonie religieuse : d’abord du point de vue du torero (de… à…), puis de celui des spectateurs
(de… à…) et, enfin, il termine par la citation d’exemples d’usages traditionnels pris aussi bien chez
les toreros que chez le public.

Première phrase= argument, thèse pour laquelle il va donner des preuves et des exemples
regardant plus au fond des choses : rhétorique : a commencé par l’argument le plus faible,
continue avec les plus subtils, les plus fondamentaux mais donc pas les plus simples, car ce sont
ceux pour lesquels il faut creuser en profondeur pour les trouver, ils ne se voient pas
superficiellement. Par la double modalisation de la tournure restrictive « on ne peut manquer
de... » et du verbe « manquer » (il aurait pu simplement dire « on ne peut qu’être frappé »), il
renforce son énoncé et soumet notre esprit à s’entendre avec lui pour le considérer comme une
vérité évidente. (il soumet l’idée au sens de la donner, la présenter, ce qui dans la manière dont il
la formule permet d’entendre le 2e sens du verbe « soumettre », à savoir imposer, ici
discrètement). Leiris exagère encore sa formulation par l’adjectif « extrême » minutie. C’est donc la
précision du calcul de cette étiquette qui est avancée, le mot d’étiquette renvoyant à un protocole
où chacun a son rôle, à un rituel, mot qui n’apparaît qu’à la fin de l’extrait. Le champ lexical de la
précision et du rituel se trouve tout au long de l’extrait, et l’ « extrême minutie de l’étiquette »
trouve un écho dans la fin de ce qui est notre première partie, dans le « déroulement
méticuleusement calculé, où les questions d’étiquette priment l’immédiate efficacité » : ainsi,
l’argumentation retombe sur ses pieds, on tombe sur une conclusion correspondant à l’hypothèse
de départ. Le raisonnement est déductif : Leiris part d’une affirmation générale pour ensuite
observer les cas particuliers.

B/
Il fait cela toujours par comparaisons ou analogies.
Avec la locution « du côté de » qui structure en partie l’extrait, il commence par comparer les
règles de la corrida aux règles sportives pour les opposer.
L’opposition se perçoit formellement dans l’antithèse à l’intérieur de chaque proposition « coups
permis/coups défendus », et dans le chiasme antithétique entre les 2 propositions « grand nombre
de coups/nombre restreint de coups, nombre très petit de coups/nombre considérable de coups ».
Ce chiasme antithétique est doublé d’une hypozeuxe, ce qui renforce le caractère marquant de
cette phrase longue (et qui continue, en fait, après le point virgule).
Le verbe de pensée « constater » implique encore l’expérience directe qui établit la vérité, la
réalité de ce qu’il est train d’avancer : la tauromachie est un art plus précis, plus rigoureux que le
sport car, puisque le nombre de coups permis est réduit, il est beaucoup plus facile de tomber à
côté et de rater (on ne sait pas exactement quoi, encore). L’opposition se trouve encore dans les
verbes : « laisser » donne l’idée d’une permission très vaste et non surveillée, ou pas très
rigoureusement, justement, tandis que « mettre à la disposition du joueur » suggère une
permission active. Les règles sportives, au pluriel, donc, multiples, dispersées, s’opposent au code
singulier de la tauromachie qui désigne lui un ensemble unique de règles très précises. Le mot de
code renvoie aussi à ses autres connotations, à savoir recueil de loi, décret ou loi de grande
importance, au code d’honneur : il y a quelque chose de plus prestigieux et sacré dans ce mot – on
commence déjà à trouver les éléments du religieux qui vont arriver dans la suite.
En plus, Leiris insiste sur l’indéfini du nombre pour les règles sportives (« grand nombre » et
« nombre restreint », et sur une plus grande précision du nombre pour le code de la tauromachie
(« considérable », « nombre très petit »). De ce fait, il exagère hyperboliquement, paradoxalement,
les formules plus précises qui fixent des limites plutôt que les formules larges, infinies car
indéfinies. Considérable, c’est plus grand qu’un vague grand nombre, et un très petit nombre, c’est
plus petit qu’un vague nombre restreint.
C
Avec l’adverbe « ainsi », Leiris formule la conclusion de cette comparaison utilisée pour opposer
des éléments analogues dans le comparé et le comparant : il a cherché à déterminer les contours
de la pratique de la tauromachie, et ce n’est pas un jeu, en tout cas pas sportif, mais «  une
opération magique au déroulement méticuleusement calculé, où les questions d’étiquette, de style
priment l’immédiate efficacité. » On retrouve le champ lexical de la précision, du calcul, avec l’idée
d’un déroulement, donc de quelqu’un chose de prévu – si ça se déroule, c’est qu’il y a un ordre
dans la façon dont ça se produit - , avec « méticuleusement calculé », « opération », qu’on entend
au sens mathématique mais aussi, à cause de l’adjectif « magique » qui l’accompagne, au sens
d’opération presque divine. On entend également le nom d’ « étiquette » au double sens de rôle à
jouer et de cérémonial en usage auprès d’un grand personnage, ou d’étiquette comme marquant
la classe, l’honneur d’un individu, surtout après le mot de « code » pour désigner les règles de la
tauromachie.
Pourtant, l’opération magique semble former un oxymore avec le « déroulement méticuleusement
calculé » : peut-être est-ce parce qu’il ne faut pas qu’on voie le calcul, que ça ait l’air spontané,
naturel, que l’art cache l’art comme disait joseph joubert – la tauromachie serait donc un art, ce
qu’atteste l’idée du style qui doit primer l’immédiate efficacité – et au moment où il parle du style,
« calculé » et « efficacité » riment. On peut se demander quelle est cette efficacité ; celle de la
mise à mort sûrement, qui effectivement est primordiale pour Leiris pour que la corrida soit
authentique et pas seulement symbolique mais qui, précisément, ne doit pas être immédiate.
D’ailleurs, l’art est justement ce dont l’importance n’est pas l’immédiate efficacité, l’immédiate
utilité.
Ce n’est donc pas un sport, car la corrida ne cherche pas l’efficacité.
II
2e argument avec la locution « du côté du public », cette fois : après avoir constaté, on remarque,
vocabulaire toujours assez scientifique, comme s’il décrivait une expérience : et le on impersonnel
et généralisant donne encore une fois à son argumentation une apparence de vérité universelle.
« La mise à mort s’accomplit dans une atmosphère de nette solennité ». Encore un adjectif qui
souligne la précision, nette, et un nom qui souligne le caractère sacré, la solennité.
La locution conjonctive de subordination « QUE le matador soit... » introduit une seconde
proposition subordonnée de concession : « que le matador soit acclamé en homme courageux en
même temps qu’en grand artiste ou qu’il soit accablé sous les sifflets et les clameurs indignées de
ceux qui l’accusent de ne pas avoir tué ainsi qu’il aurait fallu mais simplement assassiné » : on a
encore un effet de miroir par l’hypozeuxe et l’antithèse : acclamé/accablé – et la paronomase, qui
souligne la porosité entre les deux, la facilité avec laquelle le matador peut glisser de l’un à l’autre
à cause de la précision difficile que demande cet art. Le matador est donc à la fois vertueux par son
courage et par son étiquette d’artiste, même « grand » artiste, et puisque la locution adverbiale
précise « en homme courageux en même temps qu’en grand artiste », il serait peut-être grand
artiste car courageux. En effet, pour Leiris, pour qu’une course soit émouvante, « l’essentiel est
qu’il y ait meurtre d’un animal selon des lois – et pas des règles – précises et danger de mort pour
celui qui le tue », et il parle du matador qui « risque de se faire tuer (peut-être émasculer?) d’un
coup de corne, au moment où il affirme le plus nettement sa virilité ». Or l’art est par définition ce
qui produit de l’émotion, et ce serait dans ce flirt constant avec la mort, avec les limites, ce qui
demande du courage, que le matador serait artiste.
Dans la seconde proposition subordonnée, Leiris multiplie le lexique de la honte et même de la
condamnation morale, juridique, avec « accablé », « sifflets », « clameurs indignées »,
« accusent », « assassiner » avec un crescendo dans la gravité : l’importance donnée à la corrida
avec son prestige, son caractère sacré, sa solennité donnerait à son échec, par voie de
conséquence logique, une importance, une gravité équivalente.
Il y a donc une certaine façon de tuer, comme il y a certaines façon d’accomplir chaque geste, qui
n’est pas assassiner brutalement, grossièrement, ce qui serait plus simple.
Assassiner c'est l'acte de tuer d'une manière indigne. C'est parce que le matador se met en danger
qu'il tue et non qu'il assassine. Ainsi, Judith quand elle tue Holopherne est dans son territoire à lui.
Elle est à sa merci, comme le matador est à la merci du taureau – même si c’est finalement lui –
elle – qui contrôle plus ou moins la situation. Reste qu’à tout moment, il y a la possibilité qu’il
perde le contrôle. Donc, pour tuer, il faut être dans l'élément de l'autre et le faire dans un acte
mystique. On peut tracer un lien avec Lucrèce qui meurt dignement, elle se tue et ne s’assassine
pas, d’ailleurs on ne dit pas, pour un suicide, « s’assassiner », mais bien se tuer.
Tout ceci explique peut-être la fascination de Leiris à la fois pour la tauromachie, pour Judith et
pour Lucrèce.
Judith, quand elle tue, est dans un acte à la fois de foi, de survie et de séduction, comme le
matador, ou comme ce que voit Leiris dans le matador. D’ailleurs, l’italique qu’il plaque toujours
sur ce nom peut s’expliquer par l’étiquette, la fonction qu’il représente.

Séparées des précédentes par une virgule, 2 autres propositions subordonnées construites de la
même manière (ie « que… ou que +subjonctif) suivent, cette fois-ci pour parler du taureau :
« qu’on applaudisse le taureau qui s’est comporté vaillamment ou qu’on hue celui qui a fait montre
de veulerie » : déjà, on prête au taureau des comportements assez humains : le courage ou la
lâcheté. Toutefois, il ne peut pas être artiste contrairement au matador. Pourtant, on peut
l’applaudir ou le huer comme s’il nous livrait une prestation plus ou moins bien réussie, donc avec
ou sans art.
B « il n’en reste pas moins que l’attitude du public à ce moment est une attitude religieuse à l’égard
de la mort qu’une créature vient de subir » : comme la première fois, l’argument énoncé en une
première phrase (le public est dans une atmosphère de nette solennité lors de la mise à mort) se
trouve validé dans la conclusion après une série d’exemples donnant les preuves de cet argument.
La racine du mot « religion » apparaît ici pour la première fois dans cette « attitude religieuse ».
Par la locution conjonctive « il n’en reste pas moins que », Leiris souligne donc que, que la
cérémonie soit réussie ou non, le public est dans un état sinon d’empathie, du moins de respect –
religieux – à l’égard de la mort, qui plus est d’un meurtre aux accents sacrificiel. Le nom de
« créature » renvoie aussi au champ lexical de la religion, comme si c’était en tant que créature de
Dieu que cette religiosité s’impose.
Leiris continue avec un exemple, toujours introduit par des outils argumentatifs structurants,
« ainsi que pourrait tendre à le prouver », donc « ainsi que pourrait tendre à le prouver le fait
qu’en certaines plazas tous se lèvent sitôt l’animal écroulé et ne se rasseyent que pour l’entrée en
lice de l’animal suivant. » L’analogie, ici, est implicite : le mot plazas, en italique, aurait aussi son
étiquette ; elle constituerait une sorte d’église dont les fidèles, comme à la messe, sauraient à quel
moment se lever et se rassoir. L’adjectif indéfini « tous » marque l’unisson et la codification des
comportements. Le moment est précis ; c’est « sitôt » l’animal écroulé qu’ils se lèvent.
Le raisonnement de Leiris est donc déductif et analogique : la religion est marquée par le rituel, les
fidèles, les sacrifices, or la corrida aussi, donc la corrida est comparable à une religion.

III
A
La locution « d’autre part » annonce trois autres exemples à l’appui de la thèse de Michel Leiris de
la signification religieusement sacrificielle de la corrida ; du point de vue rhétorique, c’est efficace
car il montre ainsi qu’il a encore une foule d’exemples, appuyés par le conditionnel « on pourrait
citer », comme par le « ou encore » au 3e exemple : on pourrait citer ces exemples parmi tant
d’autres. Appuyé aussi par le « d’autre part », locution qui semble introduire un nouvel argument,
comme c’est souvent le cas, et qui nous laisse cette impression alors qu’elle n’introduit ici qu’une
succession d’exemples de même ordre que les précédents. Sauf que, bien sûr, ses exemples ne
sont pas pris au hasard, sont au nombre circulaire et parfait de trois et d’une longueur croissante.
Le premier usage cité, l’alternative, mise en italique – qui joue donc un rôle particulièrement
symbolique - , est une investiture, c’est-à-dire un acte solennel d’adoubement et de transmission
du plus vieux au plus jeune. Avec le terme de « chevalier », on retrouve ce rapport à l’honneur.

B Le 2e usage est « celui, pour le tueur, de dédier la bête qu’il se prépare à estoquer à une
personnalité présente, à l’ensemble du public ou à la ville dans laquelle la fête se déroule (de sorte
que le taureau ainsi offert fait, à proprement parler, figure de victime) ».
L’énumération va ici du plus restreint au plus large, de l’individu à la ville. Nouveau rôle, nouvelle
étiquette, la victime, dont le terme de « figure » qui lui est attaché vient appuyer la dimension
symbolique. Comme dans la religion, le matador fait une offrande, non à un dieu mais à un
homme, à son public ou à la ville. La mention de cet usage de la dédicace m’a fait penser à «  the
sun also rises » d’Hemigway, où Pedro Romero dédie son taureau au personnage de Brett, la
femme qu’il aime.
On retrouve les mêmes idées dans la description de la corrida que fait Hemigway à travers le
personnage de Jake qui explique à Brett, pendant qu’ils assistent à une corrida, en quoi elle
consiste. Je traduis directement . Il dirige son regard de sorte que ça devienne pour elle davantage
quelque chose qui se passait avec une fin définie plus qu’un spectacle d’horreurs inexpliquées,
donc toujours la valeur symbolique, et précise, plus que spectaculaire
« Elle vit à quel point Romero travaillait toujours près du taureau, et je lui montrai les astuces que
les autres toreros utilisaient pour donner l'impression qu'ils travaillaient très proches de lui.
Romero ne faisait jamais de contorsions. Les autres se tordaient comme des tire-bouchons, les
coudes levés et s'appuyaient contre les flancs du taureau après le passage de ses cornes, pour
donner un faux semblant de danger. Par la suite, tout ce qui était truqué devenait mauvais et
procurait une sensation désagréable. La corrida de Romero procurait une réelle émotion, car il
gardait la pureté absolue de la ligne dans ses mouvements et tj tranquillement et calmement
laissait les cornes le frôler à chaque fois. Il n'avait pas à souligner leur proximité. Brett vit comment
quelque chose de beau fait près du taureau était ridicule si cela se faisait un peu plus loin. Je lui
expliquai comment depuis la mort de Joselito tous les toreros développaient une technique qui
simulait cette apparence de danger afin de donner un faux sentiment émotionnel, alors que le
torero était vraiment en sécurité. » On retrouve la précision, c’est une vraie danse dont un même
geste, s’il est accompli juste un peu à côté, un peu plus loin du taureau, peut devenir faux, et
l’authenticité de l’émotion recherchée dans la corrida, directement liée à l’authenticité du danger.
Il ne faut pas truquer.
La locution adverbiale « à proprement parler » : oppose implicitement, alors que d’autres passages
de l’oeuvre le font explicitement, la sincérité, l’authenticité à la fausseté, l’artifice, la pâle imitation.
Là est le paradoxe : Leiris associe la corrida à des rituels théâtraux puisque calculés, stylisés, mais
veut de la sincérité. Ce n’est pas le spectacle qui compte, c’est tuer ; mais tuer selon des règles
précises. Ce n’est pas du théâtre car il ne s’agit pas d’un divertissement. Cependant on s’en
rapproche par le caractère chorégraphique et ritualisé, et par son caractère artistique que Leiris
relève véritablement, qui doit émouvoir.

C Le troisième usage est celui de « la consommation des génitoires de la bête immolée, coutume,
paraît-il, récente que pratiquent certains amateurs convaincus, se les faisant apporter à leur place
et les mangeant en regardant les autres courses, se livrant ainsi sur la dépouille du taureau mort à
une espèce de festin rituel, comme s’ils se proposaient d’assimiler sa vertu. »
Leiris emploie un verbe à tournure impersonnelle, « paraît-il », comme s’il n’était pas connaisseur
dans ce dont il parle. On dirait qu’il joue l’innocence.
Les amateurs convaincus font penser à des fanatiques et, en effet, toute religion a ses fanatiques.
Le verbe pronominal « se les faire apporter » souligne la passivité de ces amateurs convaincus : on
les sert littéralement sur un plateau, comme s’ils étaient eux-même des dieux : d’ailleurs, si le
taureau est une offrande, alors ils mangent l’offrande normalement destinée au dieu (ici, à un
homme, au public en général ou à la ville). Or les fanatiques, précisément, se prennent pour dieu,
en croyant que dieu a besoin de leur aide.
On a une impression de sadisme en lisant qu’ils les mangent « en regardant les autres courses » ;
pourtant, au niveau du contenu, il n’y a rien de particulièrement sadique là-dedans ; mais la
formule qui nous indique qu’ils sont capables de manger cela tout en faisant autre chose, en
regardant d’autres courses qui finiront par d’autres mises à mort, nous conduit à éprouver cette
impression.
Le verbe pronominal « se livrer sur » donne quant à lui une impression de débauche, de démesure,
de profanation ; mais dans un culte profane où l’on mange les génitoires du taureau, cette
profanation serait donc en fait un acte de la plus pure piété.
La dépouille du taureau mort est une tautologie – une dépouille est forcément morte – qui insiste
sur la sauvagerie ou la brutalité de l’activité. Elle peut aussi traduire un certain humour, amplifié
par l’utilisation du terme archaïsant, généralement pour plaisanter, de « génitoires », l’hyperbole
du « festin » - qui renvoie à cette idée de démesure et de débauche – et la locution conjonctive de
subordination « comme si » : on a l’impression soit que Leiris se moque un peu de ces amateurs
convaincus, soit qu’il fait preuve d’un peu d’humour pour essayer de mettre légèrement à distance
cette pratique un peu trop étrange et barbare à force de conviction. Le « festin rituel » ressemble à
un rituel satanique.
C’est pourtant la « vertu » du taureau qu’ils se donneraient pour but d’assimiler – encore une
qualité normalement humaine : le taureau devient la figure du martyr.

Conclu :

En conclusion, Leiris nous expose dans ce texte sa thèse de la corrida comme religion, cérémonie
sacrificielle, un culte profane à travers la figure du taureau-martyr par comparaisons et analogies,
aussi rigoureusement que les mouvements du torero sont précis. Son argumentation n’est pas
morale mais cherche à réhabiliter la corrida comme un art plutôt que comme un sport populaire,
et plus précisément comme un art cathartique plutôt que simplement divertissant. La corrida est
pour Leiris sacrée plus que sadique, « union en même temps que combat », et donc amour. En
cela, il illustre la phrase de Cocteau : « la haine est absente d’une corrida ; n’y règnent que la peur
et l’amour. » Elle est aussi artiste, raison de l’émotion qu’elle suscite. Mais ce qu’elle fait naître,
c’est, comme il l’écrit, de la « beauté surhumaine ».
Il ne s’agit pas de théâtre car il n’y a aucun faux, aucune émotion distribuée par artifice, aucun filet
de sécurité, aucun aller-retour constant entre l’illusion du vrai et la perception du faux comme au
théâtre, mais seulement aller-retour constant entre l’approche de la mort lorsque la corne du
taureau frôle le torero et la distance rassurante où le torero ne peut – pour le moment – être
atteint.

https://en.wikipedia.org/wiki/Coastal_hazards#Coastal_environments_of_the_USA

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