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Pivotal Payments Corporation c.

Kukura 2016 QCCS 3969

COUR SUPÉRIEURE
(Chambre civile)

2016 QCCS 3969 (CanLII)


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL

N° : 500-17-095218-163

DATE : LE 23 AOÛT 2016


______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.


______________________________________________________________________

PIVOTAL PAYMENTS CORPORATION


Demanderesse
c.

DOUGLAS KUKURA
Défendeur

______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________
I
[1] Par sa demande en injonction interlocutoire provisoire, la demanderesse Pivotal
Payments Corporation (« Pivotal ») requiert l’émission de diverses ordonnances visant
à obliger le défendeur, M. Kukura, à respecter les obligations auxquelles il s’est engagé
dans son contrat de travail, à savoir des engagements de non-concurrence et de non-
sollicitation de clients ou d’employés pendant une période de 12 mois suivant la fin de
son emploi et un engagement de non-divulgation de renseignements confidentiels.

[2] M. Kukura, par l’entremise de ses procureurs, conteste vivement cette demande
d’injonction provisoire et en demande le rejet pour divers motifs qui seront analysés ci-
après.
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II

[3] Pivotal est un fournisseur de services aux marchands de paiements

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électroniques, au point de vente, « B2B » et dans l’industrie du commerce électronique.
Directement ou par l’entremise de ses filiales, elle offre de la technologie, des logiciels
et des appareils qui permettent aux marchands d’accepter les paiements pour la vente
de leurs biens et services par cartes de crédit, cartes de débit ou cartes de fidélité.

[4] La technologie et les services de Pivotal sont utilisés par plus de 60 000
marchands à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe. Le principal établissement
de Pivotal et son siège social sont situés à Montréal d’où ses employés peuvent
dispenser des services et interagir avec la plupart des marchands.

[5] Afin de desservir d’une façon globale l’industrie du commerce électronique,


Pivotal opère GlobalOnePay (« an online proprietary payment getaway »). Elle recrute
les marchands par l’entremise de ses propres employés ainsi que par l’intermédiaire de
sous-traitants indépendants.

[6] Elle affirme que l’industrie du e-commerce est très compétitive. En tout temps,
les marchands peuvent cesser d’utiliser ses services et sa technologie pour utiliser ceux
d’une entreprise compétitrice. Afin d’assurer la rétention de sa clientèle, Pivotal assigne
à ses plus importants marchands un petit groupe d’employés afin qu’ils reçoivent un
service hors pair. Pour mieux servir ses marchands et générer une nouvelle clientèle,
Pivotal donne à ses gérants accès à des informations hautement confidentielles sur ses
stratégies d’affaires.

[7] Afin de s’assurer de la compétence de ses gérants, Pivotal leur fournit une
formation de six à douze mois pour qu’ils puissent desservir adéquatement la clientèle.

[8] M. Kukura a été engagé par Pivotal à titre de « Relationship Manager » [gérant
des relations avec la clientèle] le 7 avril 2014, tel qu’en fait foi son contrat de travail
signé le 2 avril 2014 (P-2).

[9] Ce contrat d’emploi comportait trois clauses importantes : (1) un engagement à


ne pas utiliser l’information confidentielle appartenant à Pivotal; (2) un engagement de
non-concurrence interdisant M. Kukura, pour une période de 12 mois suivant la fin de
son emploi, de travailler pour une entreprise faisant concurrence à Pivotal; et (3) un
engagement de M. Kukura de ne pas solliciter les clients et les employés de Pivotal
pour une période de 12 mois suivant la fin de son emploi. Toutefois, ces engagements
n’interdisent pas à M. Kukura de gagner sa vie à titre de représentant des ventes dans
un secteur différent de celui dans lequel œuvre Pivotal, comme il le faisait d’ailleurs
avant d’être embauché par cette dernière.
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[10] Quoique M. Kukura pouvait négocier les termes de son contrat de travail, il n’a
pas jugé bon de le faire, même si d’autres employés de Pivotal l’ont fait.

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[11] M. Kukura a été engagé par Pivotal parce qu’il avait de l’expérience dans la
vente, bien que cette expérience n’était pas liée au secteur des paiements
électroniques.

[12] La position de M. Kukura au sein de Pivotal impliquait qu’il avait une


connaissance intime des produits et services de son employeur, une relation étroite
avec les marchands ainsi qu’une excellente compréhension des stratégies
commerciales de Pivotal. Il a acquis dans le cadre de son emploi beaucoup
d’informations confidentielles appartenant à son employeur. Le portfolio de marchands
dont il s’occupait était situé partout au Canada, soit en Nouvelle-Écosse, au Québec, en
Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

[13] Quand M. Kukura a quitté Pivotal le 8 juillet 2016, il était alors responsable des
relations avec 89 marchands V.I.P. représentant approximativement 94 comptes de
marchands. De surcroît, le portfolio de marchands V.I.P. dont il s’occupait représentait
des revenus bruts annuels excédant 2 millions de dollars. Entre autres, M. Kukura
administrait 11 comptes appartenant aux 50 plus importants marchands de Pivotal
incluant le deuxième plus important compte de la compagnie.

[14] Le 8 juin 2016, M. Kukura a avisé Pivotal qu’il démissionnait de son poste à
compter du 8 juillet 2016. Son courriel de démission mentionne notamment :
« [h]owever, I’ll be leaving to welcome my son into this world then pursue a new
opportunity »1. Cette démission a littéralement pris par surprise Pivotal étant donné
l’intense implication de M. Kukura dans les activités de l’entreprise.

[15] Le 4 août 2016, Pivotal a appris que M. Kukura avait été engagé depuis juin
2016 par son compétiteur direct Paysafe Group (« Paysafe »). À la lumière de ces faits,
la demanderesse a été en mesure de conclure que les agissements de M. Kukura
étaient en violation des engagements de son contrat d’emploi, notamment
l’engagement de ne pas travailler pour un compétiteur direct, l’engagement de ne pas
utiliser de l’information confidentielle appartenant à Pivotal et l’engagement de ne pas
solliciter ses clients ou ses employés.

[16] C’est ainsi que, sur le fondement de ces violations, Pivotal a intenté le 17 août
2016 sa demande d’injonction provisoire, interlocutoire et permanente afin d’obliger
M. Kukura à respecter les engagements qu’il a contractés en vertu de son contrat de
travail .

1
Pièce P-3.
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III

[17] L’instruction de cette demande d’injonction provisoire a eu lieu les 18 et 19 août

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2016. Au soutien de sa demande particulièrement détaillée, Pivotal a soumis la
déclaration assermentée de son vice-président sénior, M. Ed Garcia, et a produit
plusieurs pièces.

[18] Les procureurs du défendeur ont produit quant à eux une déclaration
assermentée de M. Kukura qui explique notamment les raisons de sa démission du 8
juin 2016. Cette déclaration confirme aussi qu’il a été engagé en juin 2016 par la
compagnie Paysafe, compétitrice directe de Pivotal. Selon M. Kukura, son départ de
Pivotal et son emploi au sein de Paysafe ne causent absolument aucun préjudice à la
demanderesse.

[19] Les procureurs du défendeur ont aussi produit la déclaration assermentée de


Mme Mary Borsellino, directrice des ressources humaines chez Paysafe pour la
province de Québec. Selon cette dernière, M. Kukura, dans le cadre de son emploi
chez Paysafe, n’est pas appelé à solliciter les clients de la demanderesse ni à utiliser
de l’information confidentielle appartenant à cette dernière. Mme Borsellino affirme qu’à
la réception de la lettre de mise en demeure de Pivotal, il fut ordonné au défendeur de
ne pas utiliser de l’information confidentielle appartenant à la demanderesse et de ne
pas solliciter ses clients, fournisseurs ou employés pour quelque raison que ce soit. Elle
affirme elle aussi que le départ du défendeur à titre d’employé de Pivotal ne cause
absolument aucun préjudice à cette dernière. Elle souligne toutefois qu’il est connu
dans l’industrie que Pivotal a perdu ou mis à pied un nombre significatif d’employés au
cours des 12 derniers mois. D’ailleurs, elle confirme que Paysafe a reçu – et continue
de recevoir – des demandes d’emploi d’un certain nombre d’employés de la
demanderesse. Enfin, elle souligne que Pivotal n’aurait pas les mains propres
puisqu’elle aurait elle-même sollicité agressivement divers employés séniors de
Paysafe.
IV

[20] Une seule question se pose en l’espèce : la demanderesse est-elle en droit


d’obtenir l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire afin de faire respecter les
trois obligations (1) de non-concurrence; (2) de confidentialité et (3) de non-sollicitation
stipulées dans le contrat de travail signé par le défendeur Kukura le 2 avril 2014 (P-2)?

[21] La demanderesse soutient qu’elle a un droit clair à obtenir l’exécution en nature


de ces trois obligations, qu’elle subira un préjudice irréparable si sa demande
d’injonction est refusée et que la prépondérance des inconvénients la favorise
nettement.
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[22] Les procureurs du défendeur plaident que le droit de la demanderesse est au


mieux douteux étant donné que la clause de non-concurrence est invalide, parce que le

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délai de 12 mois est déraisonnable dans les circonstances, que le territoire « Canada »
est trop vaste et que cette obligation est beaucoup plus large que ce qui est nécessaire
pour protéger les intérêts légitimes de Pivotal en tant qu’employeur de M. Kukura.

[23] Ils contestent aussi la demande d’injonction provisoire visant le respect de son
obligation de non-sollicitation de clients et d’employés vu l’absence de preuve de
préjudice à cet égard.

[24] Les procureurs du défendeur soutiennent que le droit de la demanderesse étant


douteux, le poids des inconvénients le favorise clairement puisque si l’injonction
sollicitée est émise par le tribunal, M. Kukura sera empêché de travailler jusqu’à ce que
la validité des obligations de son contrat de travail soit tranchée au mérite. C’est donc
M. Kukura qui subirait un préjudice irréparable résultant de l’émission d’une injonction
provisoire, et non Pivotal.

[25] Toutefois, les procureurs de M. Kukura ne s’opposent pas à ce qu’il lui soit
ordonné de respecter l’obligation de confidentialité stipulée dans son contrat de travail2.

[26] Pour répondre à la question en litige, le tribunal se penchera d’abord sur les
principes régissant l’exécution en nature d’obligations contractuelles en droit civil
québécois. Ensuite, il examinera le droit substantiel invoqué par Pivotal. Il s’attardera
enfin sur le véhicule procédural utilisé en l’instance pour obtenir l’exécution en nature
afin de déterminer si Pivotal a droit aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées
et s’il est opportun pour le tribunal de les accorder.

A. L’exécution en nature d’obligations contractuelles

[27] En droit civil québécois, le créancier a droit, en principe, à l’exécution en nature


des obligations contractuelles dans les cas qui le permettent (art. 1590 et 1601 C.c.Q.).
Il existe au moins quatre exceptions à ce principe, mais aucune d’elles ne s’applique en
l’espèce (Baudouin, no 739, p. 866-869) 3.

2
L’art. 2088 al. 1 C.c.Q. oblige d’ailleurs le salarié à ne pas faire usage de l’information à caractère
confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
3 e
Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7 éd., Cowansville,
Éd. Yvon Blais, 2013 (ci-après « Baudouin »).
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[28] L’exécution en nature comporte deux composantes qui ne doivent pas être
confondues : (1) le droit substantiel dont on veut forcer l’exécution en nature; et (2) le
véhicule procédural pour mettre en œuvre l’exécution en nature de ce droit substantiel
(Baudouin, no 732, p. 859). Il importe d’analyser chacune de ces composantes.

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(1) Le droit substantiel

[29] En l’espèce, Pivotal veut forcer M. Kukura à respecter trois obligations


contractuelles : (a) celle de ne pas travailler pour un concurrent; (b) celle de ne pas
utiliser ou divulguer des renseignements confidentiels appartenant à Pivotal; et (c)
l’obligation de ne pas solliciter de clients ou d’employés de Pivotal.

[30] Il s’agit de trois obligations de ne pas faire (art. 1373 C.c.Q.). L’exécution en
nature de ces trois obligations est reconnue depuis longtemps en droit civil québécois et
ne pose donc pas problème en l’espèce.

[31] Il importe de souligner que la demanderesse n’a pas à démontrer un préjudice


sérieux ou une violation marquée de ces trois obligations afin d’obtenir l’exécution en
nature de celles-ci (Baudouin, no 731, p. 859). Évidemment, on peut être tenté de
s’interroger sur la façon de concilier cette affirmation avec les exigences propres au
recours en injonction. La solution est simple : le droit à l’exécution en nature d’une
obligation est une chose; les conditions pour l’émission d’une ordonnance d’injonction
en sont une autre. Bref, ces deux notions ne doivent pas être confondues.

[32] En l’espèce, Pivotal a clairement le droit de forcer le respect des trois obligations
de ne pas faire auxquelles s’est engagé M. Kukura en signant son contrat de travail, en
acceptant pendant deux ans le salaire qui lui a été versé et en profitant de la formation
que Pivotal lui a fournie dans le cadre de son emploi.

(2) Le véhicule procédural : l’injonction interlocutoire provisoire

[33] Essentiellement, Pivotal doit établir qu’elle a droit aux ordonnances d’injonction
provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal de les accorder. En effet,
l’injonction – il convient de le rappeler – est un recours exceptionnel et discrétionnaire
tirant son origine de la common law (A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la
Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2; [2004] 1 R.C.S. 43, par. 13-14).

[34] Il reste donc maintenant à déterminer si les conditions régissant le recours en


injonction interlocutoire provisoire sont satisfaites dans les circonstances et s’il est
opportun de l’accueillir.
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B. Pivotal a-t-elle droit aux ordonnances d’injonction provisoires


sollicitées?

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[35] Afin d’avoir droit aux ordonnances qu’elle sollicite, Pivotal doit démontrer qu’elle
remplit les quatre conditions suivantes : (1) l’urgence; (2) l’apparence de droit; (3) un
préjudice sérieux ou irréparable; et (4) que la prépondérance des inconvénients la
favorise.

(1) L’urgence

[36] La demanderesse a appris le 4 août 2016 que M. Kukura travaillait maintenant


pour une de ses compétitrices directes, soit Paysafe. Le 18 août, elle a présenté sa
demande d’injonction provisoire dont l’audition s’est poursuivie le lendemain. Chaque
jour qui passe sans que M. Kukura ne respecte son contrat de travail, Pivotal voit ses
droits, clairement stipulés dans ce contrat, bafoués. Cette situation confirme l’urgence
d’agir en l’espèce.

[37] Lors de l’audience du 19 août, le tribunal a émis une ordonnance de gestion du


présent dossier et fixé l’instruction de la demande d’injonction interlocutoire au
25 octobre 2016. Le tribunal formulera plus loin une observation sur cette décision.

[38] La demande d’injonction provisoire d’une durée de 10 jours vise à fixer la


situation des parties pendant cette période eu égard aux trois obligations de ne pas
faire auxquelles s’est engagé M. Kukura en signant son contrat de travail. Il est donc
manifestement urgent de statuer sur cette question.

[39] En conséquence, le tribunal estime que ce critère est clairement satisfait en


l’espèce.

(2) L’apparence de droit

[40] Ce critère est peu exigeant et vise essentiellement à écarter les recours futiles
ou vexatoires : RJR — Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S.
311, 337-338; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec
(Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339; Placements Pellicano inc. c. Montréal (Ville
de), 2012 QCCS 2805, par. 62.

[41] Évidemment, l’apparence de droit doit être examinée à la lumière de l’art. 2089
C.c.Q., règle d’ordre public, qui dispose :
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2089. Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même
après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni
participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.

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Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre
de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de
l’employeur.

Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide.

[42] Le tribunal devra, au mérite, trancher la validité des trois engagements


contractuels du défendeur à la lumière des exigences impératives de l’art. 2089 qui
impose d’ailleurs le fardeau de la preuve à Pivotal.

[43] Cependant, à la présente étape des procédures, le tribunal estime que les
arguments du défendeur, fondés sur le caractère déraisonnable du délai de 12 mois, du
territoire canadien, de l’interdiction de travailler pour une entreprise faisant concurrence
à Pivotal et de la protection des intérêts légitimes de cette dernière, ne rendent ni futile
ni vexatoire son recours fondé notamment sur la clause de non-concurrence stipulée
dans le contrat de travail de M. Kukura. Ces arguments soulèvent tout au plus des
questions sérieuses à juger satisfaisant ainsi au critère de l’apparence de droit.

[44] Mais il importe de souligner cet extrait des motifs conjoints des juges Sopinka et
Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 337-338, qui confirme sans équivoque que le
présent jugement ne préjuge aucunement de la validité des trois obligations « de ne pas
faire » stipulées dans le contrat de travail du défendeur :

Once satisfied that the application is neither vexatious nor frivolous, the motions
judge should proceed to consider the second and third tests, even if of the
opinion that the plaintiff is unlikely to succeed at trial. A prolonged examination
of the merits is generally neither necessary nor desirable. [soulignement ajouté]

[45] En l’espèce, il est manifeste que le défendeur viole son obligation de non-
concurrence en travaillant pour une compétitrice directe de la demanderesse.

[46] La clause de non-concurrence à laquelle s’est engagé M. Kukura est claire : il lui
est interdit de travailler pour une compétitrice directe de Pivotal. À cet égard, l’art. 2089
C.c.Q. prévoit à son 1er alinéa que : « [l]es parties peuvent, par écrit et en termes
exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire
concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui
lui ferait concurrence» (soulignement ajouté).
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[47] Ainsi, cet article prévoit que Pivotal avait deux options : (1) interdire à M. Kukura
de lui faire concurrence ou (2) lui interdire de participer à quelque titre que ce soit à une
entreprise qui lui ferait concurrence. La deuxième option retenue par Pivotal interdit à
M. Kukura de travailler pour une entreprise qui lui ferait concurrence sans égard à la

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question de savoir si, dans les faits, cette entreprise lui fait concurrence. Quoi qu’il en
soit, il est admis en l’espèce que Paysafe, pour laquelle travaille M. Kukura, fait
directement concurrence à Pivotal.

[48] Les agissements de M. Kukura établissent la cause d’action de Pivotal par l’effet
conjugué des art. 2089, 1458 al. 1, 1590 et 1601 C.c.Q. En tant que signataire du
contrat de travail, M. Kukura a l’obligation de l’exécuter entièrement, correctement et
sans retard. Pivotal a, quant à elle, le droit de forcer l’exécution en nature des
obligations découlant de ce contrat de travail.

[49] Enfin, aucune des deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne
devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond ne s’applique en l’espèce
(RJR – MacDonald, p. 338-339).

[50] En conséquence, le tribunal conclut que ce critère est rempli en l’instance.

(3) Préjudice sérieux ou irréparable

[51] Le législateur a conféré à la Cour supérieure le pouvoir d’accorder une injonction


interlocutoire « [...] si elle est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux
ou irréparable ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le
jugement au fond inefficace ne soit créé » (art. 511 C.p.c., soulignement ajouté). En
l’espèce, il est manifeste que de ne pas forcer M. Kukura à respecter ses engagements
contractuels crée un état de fait de nature à rendre le jugement au fond inefficace
puisque celui-ci ne pourra le forcer rétroactivement à les respecter.

[52] De plus, la nature du préjudice que subit Pivotal par la violation des
engagements du défendeur est clairement sérieuse et irréparable car les clauses
contractuelles avaient justement pour but d’éviter la présente situation.

[53] La difficulté de quantifier les pertes subies par Pivotal, résultant de la violation
par le défendeur de son engagement de ne pas travailler pour une entreprise lui faisant
concurrence, constitue un autre motif pour conclure que le critère du préjudice sérieux
ou irréparable est rempli en l’espèce.

[54] Les procureurs du défendeur soutiennent qu’il y a absence de preuve de


préjudice. Ils invoquent le jugement rendu dans Éditions CEC inc. c. Hough, 2008
QCCS 4526, portant notamment sur la « doctrine de la divulgation inévitable de
l’information détenue par un ex-employé » qui serait inapplicable au Québec. Une
simple lecture de ce jugement confirme qu’il ne s’applique pas en l’espèce puisque,
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dans cette affaire, il n’y avait pas de clause de non-concurrence limitant les activités
post-emploi d’un employé. Or, en l’occurrence, le défendeur est lié par une clause de
non-concurrence clairement stipulée dans son contrat de travail.

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[55] Partant, le tribunal est d’avis que ce critère est rencontré dans les circonstances.

(4) La prépondérance des inconvénients

[56] Selon le droit québécois, ce critère ne doit être analysé que si le droit de Pivotal
est douteux4. Pourtant, les arrêts de la Cour suprême énonçant les critères de
l’injonction interlocutoire ne rendent aucunement ce critère de la prépondérance des
inconvénients conditionnel à ce que le droit invoqué par le demandeur soit douteux 5. Ce
critère doit, selon les enseignements de la Cour suprême, toujours être analysé et doit
favoriser le demandeur pour qu’une ordonnance d’injonction interlocutoire soit émise.
Les motifs conjoints des juges Sopinka et Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 342 et
343 sont, à cet égard, éloquents :

The third test to be applied in an Dans l'arrêt Metropolitan Stores, le juge


application for interlocutory relief was Beetz décrit, à la p. 129, le troisième
described by Beetz J. in Metropolitan critère applicable à une demande de
Stores at p. 129 as: "a determination redressement interlocutoire comme un
of which of the two parties will suffer critère qui consiste «à déterminer
the greater harm from the granting or laquelle des deux parties subira le plus
refusal of an interlocutory injunction, grand préjudice selon que l'on accorde
pending a decision on the merits". In ou refuse une injonction interlocutoire
light of the relatively low threshold of en attendant une décision sur le fond».
the first test and the difficulties in Compte tenu des exigences minimales
applying the test of irreparable harm relativement peu élevées du premier
in Charter cases, many interlocutory critère et des difficultés d'application du
proceedings will be determined at this critère du préjudice irréparable dans des
stage. cas relevant de la Charte, c'est à ce
stade que seront décidées de
nombreuses procédures interlocutoires.
The factors which must be considered
Il y a de nombreux facteurs à examiner
in assessing the "balance of
dans l'appréciation de la "prépondérance
inconvenience" are numerous and will
des inconvénients" et ils varient d'un cas
vary in each individual case.
à l'autre. Dans l'arrêt American
In American Cyanamid, Lord Diplock
Cyanamid, lord Diplock fait la mise en
cautioned, at p. 408, that:
garde suivante (à la p. 408):
[i]t would be unwise to attempt even
[TRADUCTION] [i]l serait peu sage de
to list all the various matters which
tenter ne serait-ce que d'énumérer tous

4
Société de développement de la Baie-James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166; Brassard c. Société
zoologique de Québec inc., 1995 CanLII 4710 (QC CA), EYB 1995-29033, [1995] R.D.J. 573 (C.A.).
5
Voir notamment Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR - - MacDonald
inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.
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may need to be taken into les éléments variés qui pourraient


consideration in deciding where the demander à être pris en considération au
balance lies, let alone to suggest the moment du choix de la décision la plus
relative weight to be attached to convenable, encore moins de proposer

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them. These will vary from case to le poids relatif à accorder à chacun de
case. ces éléments. En la matière, chaque cas
est un cas d'espèce.
Il ajoute, à la p. 409: [TRADUCTION] «Il
He added, at p. 409, that "there may be
peut y avoir beaucoup d'autres éléments
many other special factors to be taken
particuliers dont il faut tenir compte
into consideration in the particular
dans les circonstances particulières d'un
circumstances of individual cases."
cas déterminé.»

[57] Tout comme le droit le plus clair ne donne pas droit à une injonction
interlocutoire en l’absence de préjudice irréparable (Brassard, préc., p. 582), un droit
clair ne devrait pas non plus donner droit à une injonction interlocutoire si la
prépondérance des inconvénients ne favorise pas le demandeur.

[58] Partant, quoique le tribunal soit d’avis que Pivotal a démontré en l’espèce
l’apparence d’un droit clair, il importe de déterminer si la prépondérance des
inconvénients la favorise.

[59] Après analyse, le tribunal est d’avis que le poids des inconvénients favorise
nettement la demanderesse. Si la demande d’injonction est refusée, les obligations de
« ne pas faire » stipulées dans le contrat de travail de M. Kukura resteront lettre morte,
alors que la demanderesse est en droit de forcer le défendeur à respecter ses
engagements. De plus, Pivotal ne bénéficiera pas du temps et de l’argent investis au
bénéfice du défendeur qui travaille maintenant pour une compétitrice directe, Paysafe.
En outre, la stratégie et le mode de marketing de Pivotal vont probablement être utilisés
à son détriment par le défendeur. Il existe aussi un risque réel de perte de clientèle.
Enfin, la violation par le défendeur de ses engagements contractuels risque
vraisemblablement d’avoir une influence néfaste sur les autres employés de Pivotal.
D’ailleurs, la preuve révèle que d’autres employés de Pivotal pourraient être tentés
d’imiter M. Kukura. Il est donc urgent et nécessaire d’arrêter cette hémorragie qui
pourrait conduire ultimement à la destruction de l’entreprise de Pivotal.

[60] D’autre part, si l’injonction est accueillie, l’argument principal du défendeur


voulant que le poids des inconvénients le favorise est fondé sur le fait qu’il ne pourra
plus travailler pour son nouvel employeur Paysafe.

[61] Cet argument ne peut, dans les circonstances, être retenu. Au moment de sa
démission, M. Kukura avait déjà été engagé par Paysafe. Or, le défendeur savait – ou
devait savoir – que son contrat de travail lui interdisait clairement de travailler pour
Paysafe sans égard à la question de savoir s’il ferait ou non concurrence à son ancien
500-17-095218-163 PAGE : 12

employeur. En fait, le défendeur est l’artisan de sa propre situation et invoque sa propre


turpitude. Il doit honorer les engagements de son contrat de travail.

[62] De plus, ce n’est pas l’ordonnance d’injonction provisoire qui l’empêchera de

2016 QCCS 3969 (CanLII)


travailler, mais bien le contrat de travail qu’il a dûment signé, dont il a pleinement tiré
profit et qu’il doit maintenant respecter.

[63] De surcroît, rien n’empêche M. Kukura de travailler pour d’autres employeurs


que le compétiteur direct de Pivotal.

[64] Une autre façon d’envisager la prépondérance des inconvénients est de


déterminer dans quelle situation devrait se retrouver chacune des parties en attendant
la décision sur le mérite : Pivotal devrait-elle attendre que ses clauses contractuelles
soient déclarées valides avant de forcer M. Kukura à les respecter? Ou M. Kukura
devrait-il être forcé de respecter ses engagements contractuels jusqu’à ce qu’ils soient
déclarés invalides le cas échéant?

[65] Malheureusement pour le défendeur, le législateur a lui-même tranché ces


questions en faveur de la demanderesse Pivotal : « [l]’obligation confère au créancier le
droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard » (art. 1590
al. 1 C.c.Q., soulignement ajouté).

[66] À la lumière de l’ensemble des circonstances, le tribunal est d’avis que la


prépondérance des inconvénients favorise concrètement la demanderesse.

* *
*

[67] En conséquence, le tribunal conclut que Pivotal a droit aux ordonnances


d’injonction provisoires sollicitées. Il reste maintenant à déterminer s’il est opportun pour
le tribunal de les accorder.

C. Est-il opportun d’accorder les ordonnances d’injonction sollicitées?

[68] Cette question découle du caractère discrétionnaire du recours en injonction. À


la réflexion, le tribunal estime qu’une réponse affirmative s’impose à cette question.

[69] D’abord, le défendeur ne s’oppose pas à l’ordonnance d’injonction concernant


son engagement de ne pas utiliser les renseignements confidentiels appartenant à
Pivotal.
500-17-095218-163 PAGE : 13

[70] Ensuite, la demanderesse n’a rien à se reprocher, elle a agi avec diligence, elle
n’a pas renoncé à ses droits et elle n’a pas non plus d’autres recours utiles pour forcer
l’exécution en nature des engagements contractuels du défendeur.

2016 QCCS 3969 (CanLII)


[71] L’ensemble de ces facteurs milite en faveur de l’émission des ordonnances
d’injonction provisoires sollicitées en l’espèce. D’ailleurs, on l’a dit, l’injonction tire son
origine de la common law. Ainsi, pour juger de l’opportunité d’émettre une injonction
prohibitive visant à obliger le défendeur à respecter ses obligations de ne pas faire, on
peut s’inspirer des propos de Lord Cairns L.C., formulés dans Doherty v. Allman, (1878)
3 App. Cas. 709 (H.L.), p. 720 :

If parties, for valuable consideration, with their eyes open, contract that a
particular thing shall not be done, all that a Court of Equity has to do is to say, by
way of injunction, that which the parties have already said by way of covenant,
that the thing shall not be done; and in such case the injunction does nothing
more than give the sanction of the process of the Court to that which already is
the contract between the parties. It is not then a question of the balance of
convenience or inconvenience, or of the amount of damage or of injury – it is the
specific performance, by the Court, of that negative bargain which the parties
have made, with their eyes open, between themselves.6

[72] Plus près de nous, ce même principe découle de l’effet conjugué des art. 1373,
1458, 1590, 1601 C.c.Q. et de l’art. 509 C.p.c.

[73] Il ne faut pas non plus minimiser la vertu préventive d’une injonction prohibitive
lorsque la probabilité d’un préjudice appréhendé est établie : 9055-6473 Québec inc. c.
Montréal Auto Prix inc., 2006 QCCA 627, par. 46.

* *
*

[74] En conséquence, le tribunal conclut que Pivotal a démontré qu’elle avait droit
aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal
de les accorder.

6
Dans cette affaire, il s’agissait d’une injonction permanente, mais le principe demeure le même en
matière d’injonction interlocutoire.
500-17-095218-163 PAGE : 14

VI

[75] En somme, en droit civil québécois, la signature d’un contrat entraîne pour
chaque contractant le devoir d’honorer ses engagements. En l’espèce, les ordonnances

2016 QCCS 3969 (CanLII)


d’injonction provisoires sollicitées ne font que forcer M. Kukura à respecter les
engagements qu’il a contractés.

[76] Comme la Cour d’appel du Québec l’a souligné avec beaucoup d’à-propos :

Dans un monde où la signature d'un contrat veut dire quelque chose, la Cour ne
peut pas fermer les yeux sur une situation où une partie paraît transgresser
délibérément et indifféremment ses engagements contractuels.7

[77] Au final, une observation s’impose. Le tribunal a fixé l’instruction de l’injonction


interlocutoire au 25 octobre prochain. Or, puisque les critères de l’injonction provisoire
sont, à l’exception de l’urgence, les mêmes que ceux régissant l’injonction
interlocutoire, les parties auraient avantage à procéder sur le mérite de l’injonction
permanente afin que soit tranchée la validité des engagements contractuels du
défendeur à la lumière des exigences impératives de l’art. 2089 C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[78] GRANTS a provisional injunction, to be valid and executory until September 2nd,
2016, at 5 p.m.;

[79] ORDERS defendant Douglas Kukura to refrain:

i) from working, in Canada, whether directly or indirectly, with a business in


competition with plaintiff Pivotal Payments Corporation, i.e. a business that
offers sales of merchant processing services in connection with card
present as well as card-not-present electronic transactions including but
not limited to, nationwide credit and debit card processing, gift and loyalty
programs, terminal management solutions as well as online credit card
processing, virtual terminals and gateway solutions, including the Paysafe
Group PLC;

ii) from divulging, disclosing, communicating, or using any confidential


information concerning the affairs and business of plaintiff Pivotal
Payments Corporation, subsidiaries and affiliates, including any information
concerning plaintiff Pivotal Payments Corporation's products, product
designs, technical information, concepts, systems, software, existing or to

7
Ubi Soft Divertissements Inc. c. Champagne-Pelland, 2003 CanLII 13559 (QC CA), EYB 2003-48437,
J.E. 2003-1981, par. 20.
500-17-095218-163 PAGE : 15

be developed, customer lists, the prices it obtains or has obtained from the
sale of, or at which it sells or has sold its products, and services used by it,
the suppliers and costs thereof, the manner of its operation, its marketing,
product development and other plans, and any financial affairs of plaintiff

2016 QCCS 3969 (CanLII)


Pivotal Payments Corporation;

iii) from soliciting, procuring or assisting in the soliciting, whether directly or


indirectly, any customers or employees of plaintiff Pivotal Payments
Corporation;

[80] ORDERS any person who becomes aware of these orders to abide by them;

[81] DISPENSES plaintiff Pivotal Payments Corporation from having to provide


suretyship;

[82] ORDERS provisional execution of the present judgment notwithstanding appeal;

[83] AUTHORIZES all persons responsible for service of any order issued in the
present judgment to take all necessary measures to serve it and to prevent or remove
any impediment to its service, including service of the orders outside legal hours, by
bailiff, telecopy, electronic mail or by leaving certified copies of such orders (as well as
of the present proceedings) in Defendants’ mailbox, by sliding same under the door or
by any other means in the absence of Defendants’ or should any one of them refuse to
answer or to accept such service;

[84] ABRIDGES the delay for presentation of the present application;

[85] THE WHOLE with legal costs to follow.

__________________________________
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

Me Luc Thibaudeau
Me Laurence Bich-Carrière
Mme Marie Catherine Ducharme
LAVERY, DE BILLY, S.E.N.C.R.L.
Procureurs de la demanderesse

Me Alexandre W. Buswell
Me Frédéric Massé
BORDEN LADNER GERVAIS
Procureurs du défendeur
500-17-095218-163 PAGE : 16

2016 QCCS 3969 (CanLII)


Samson c. Viandes du Breton inc. 2009 QCCS 4853

COUR SUPÉRIEURE

2009 QCCS 4853 (CanLII)


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE KAMOURASKA
<Chambre civile>

N° : 250-17-000714-092

DATE : 30 septembre 2009


______________________________________________________________________

L'HONORABLE GAÉTAN PELLETIER, j.c.s.


______________________________________________________________________

RICHARD SAMSON ET LOUISE SAMSON, domiciliés au [...], North Lancaster


(Ontario)
demandeurs
c.
LES VIANDES DU BRETON INC., corporation légalement constituée, ayant son
siège social situé au 150, Chemin des Raymond, Rivière-du-Loup (Qc)
défenderesse

______________________________________________________________________

JUGEMENT
sur requête en injonction interlocutoire
______________________________________________________________________

[1] Richard Samson et Louise Samson (SAMSON) recherchent l'émission d'une


ordonnance d'injonction interlocutoire ordonnant à Les Viandes Du Breton inc. (DU
BRETON) d'acheter les porcs au prix convenu au contrat pour une période de six mois
à la suite de l'avis de DU BRETON de résilier le contrat. Ce dernier prévoit en effet que
l'une ou l'autre des parties peut mettre fin au contrat en tout temps après un préavis de
six mois.

JP 1223
250-17-000714-092 PAGE : 2

LES PARTIES

[2] SAMSON sont des producteurs de porcs certifiés «Humane» sous le chapeau de
Les Viandes Du Breton inc. qui achète les porcs de SAMSON et qui détient une

2009 QCCS 4853 (CanLII)


certification de l'organisme «Humane Farm Animal Care» à titre de «Pooled Product
Operator (PPO)».

[3] DU BRETON fait l'achat et l'abattage de ces porcs en plus de l'abattage de porcs
conventionnels.

LE CONTRAT

[4] Le 22 mai 2003, un contrat de production de porcs intitulé «Programme Naturel


Free Farmed» intervient entre les parties et il y a lieu d'en reproduire certains extraits.

«Généralités

Chaque producteur participant doit, pour ses établissements de production


porcine, se conformer au cahier de charges prescrit par le transformateur et être
conforme aux lois, règlements et certificats d'autorisation en vigueur et plus
spécifiquement ceux ayant trait à la Loi sur la qualité de l'environnement.»

«ii) Obligations du producteur.

1. Se conformer minutieusement au cahier de charges du programme


sélectionné. Le cahier de charges se trouve à l'annexe 2.

3. Transmettre l'information contenue en annexe «3 et 4» sur le programme


alimentaire utilisé, et la génétique des reproducteurs ainsi que tous les
changements appropriés au programme durant la période du contrat.»

«G. Bris de contrat, avis de correction, pénalités et résolution de conflits

S'il y avait défaut ou non-respect du cahier de charges ou d'un des éléments de


cette entente, la partie lésée doit fournir un avis écrit dans les 30 jours suivant
l'incident à l'autre partie. Si après 30 jours de l'avis écrit, le problème de non-
conformité au cahier de charges n'est pas résolu, toute perte économique
(remboursement de la prime) doit être compensée par l'autre partie dans les 30
jours suivant la réception de l'avis de correction. Si après avis écrit le problème
ne s'est pas réglé, la partie subissant la perte peut mettre fin à l'entente.
Advenant le cas où les parties ne pouvaient s'entendre et résoudre un conflit,
elles entendent se soumettre à la procédure d'arbitrage du Code civil du
Québec.»
250-17-000714-092 PAGE : 3

«J. Annexes

Les annexes 1, 2, 3 et 4 font partie intégrante de ce contrat, ainsi que leurs


mises à jours périodiques. Le producteur reconnaît avoir reçu et pris

2009 QCCS 4853 (CanLII)


connaissance des annexes.»

(Mon soulignement)

«K. Arbitrage

Tout différend ou litige survenant à l'occasion du présent contrat ou à la suite de


celui-ci tranché définitivement par voie d'arbitrage, excluant ainsi le recours aux
tribunaux, selon les articles 940 et suivants du Code de procédure civile du
Québec en vigueur au moment de la signature des présentes et auxquels les
parties déclarent adhérer.

La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la procédure


arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires et l'octroi de telles mesures
par un tribunal ne sont pas incompatibles avec la présente convention
d'arbitrage.»

[5] À l'annexe 2, intitulée «Cahier de charges pour le programme «Naturel Free


Farmed-Maternité-Finition», il est mentionné ce qui suit:

«Les objectifs et les normes requises pour le programme ci-haut mentionné sont
les suivants:

SOUS CE PROGRAMME, IL EST INTERDIT D'UTILISER TOUTE FORME DE


MÉDICAMENTS ET SOUS-PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE DANS LA
FORMULATION DES MOULÉES. TOUTEFOIS, POUR DES RAISONS
HUMANITAIRES ET SUR PRESCRIPTION VÉTÉRINAIRE, ON PEUT TRAITER
LES ANIMAUX. CES DERNIERS DEVRONT ÊTRE IDENTIFIÉS AU MOMENT
DE L'INTERVENTION À L'AIDE D'UN TAG NOIR NUMÉROTÉ ET ÊTRE
ÉLIMINÉS DU PROGRAMME NATUREL. »

(Mon soulignement)

[6] À l'annexe 3, il y a une «entente de prise pour les animaux du programme non-
conformes» où les cochons qui ont nécessité des soins seront payés à 165$ (ajusté à
l'indice 100). Les variations de l'indice 100 ne seront pas bonifiées, par contre, les
cochons trop légers seront pénalisés selon les ententes sur le contrat en vigueur.

LES FAITS

[7] De mai 2003 au 15 juin 2009, DU BRETON paie le prix prévu au contrat, soit
1,74$ le kilo.
250-17-000714-092 PAGE : 4

[8] À la suite d'un différend entre les parties sur l'ajustement du prix à la hausse,
notamment pour le coût de la moulée prévu à l'annexe 1, les parties ont soumis leur
grief à l'arbitrage qui s'est terminé le 24 août dernier après neuf jours d'audition.
L'arbitre rendra sa décision en janvier 2010.

2009 QCCS 4853 (CanLII)


[9] L'arbitre aura à se prononcer sur une réclamation de SAMSON d'environ
1 200 000$ et sur celle de DU BRETON qui réclame 650 000$ payés en trop selon le
contrat SAMSON retenu par l'arbitre.

[10] Les différends soulevés par cet arbitrage n'ont rien à voir avec la présente
demande d'injonction.

[11] En effet, la demande d'injonction relève plutôt de différends soulevés à la suite


de la décision de DU BRETON de ne plus acheter les porcs à compter du 16 juillet
2009 et de la résiliation du contrat en date du 21 juillet 2009. Cette décision de DU
BRETON a fait l'objet d'une nouvelle demande d'arbitrage qui aura lieu dans les
prochaines semaines devant la même arbitre, Me Paule Gauthier.

[12] L'origine du différend qui fera l'objet du deuxième arbitrage remonte à l'audition
de l'arbitrage les 8, 9 et 10 juin dernier où DU BRETON a appris que tous les porcelets
ont reçu, durant une certaine période après leur naissance, une moulée médicamentée
que les parties appellent «petite moulée» Shur-Gain (délice-nourrisson). Elle est livrée
en sacs individuels contrairement à la moulée médicamentée en vrac qui se trouve
dans les silos.

[13] Toujours selon DU BRETON, elle a également appris, lors de cette audition, que
SAMSON auraient livré des porcs médicamentés qui n'étaient pas tagués de sorte que,
sans le savoir, elle a livré à ses acheteurs du porc médicamenté. Aussi, DU BRETON
a-t-elle avisé ces derniers qu'elle ne pourrait plus leur livrer de porcs pour un certain
temps.

[14] Pour sa part, SAMSON prétendent que DU BRETON savait que les porcs étaient
médicamentés et nient les prétentions de DU BRETON.

[15] Les parties ont produit au dossier de nombreux affidavits. Or, il n'appartient pas
au présent Tribunal de se prononcer sur le fond du litige et de décider qui dit vrai. Elles
seront à nouveau en arbitrage et il appartiendra à l'arbitre de décider si DU BRETON
pouvait mettre fin au contrat après l'avis de trente jours signifié le 19 juin dernier.

[16] L'arbitre aura également à décider si DU BRETON devait, en vertu de son


contrat et l'annexe 3, acheter les porcs au prix de 1,74$ le kilogramme durant la période
de préavis de six mois.
250-17-000714-092 PAGE : 5

LA PROCÉDURE D'INJONCTION

[17] Même si SAMSON ne contestent pas que DU BRETON puisse mettre fin au
contrat à la suite d'un préavis de six mois, ils contestent cependant la décision de cette

2009 QCCS 4853 (CanLII)


dernière d'arrêter l'achat de porcs au prix de 1,74$ qu'elle a payé jusqu'en juin dernier.

[18] Aussi, par leur demande d'injonction, SAMSON demandent-ils d'ordonner à DU


BRETON, durant cette période de six mois, d'acheter les porcs au prix mentionné,
désirant ainsi le maintien du statu quo jusqu'au 16 janvier 2010.

[19] SAMSON prétendent également qu'ils subiront un préjudice irréparable si DU


BRETON n'achète pas leur porc à 1,74$ le kilo au lieu de 1$ à 1,05$ le kilo
actuellement pour le porc conventionnel. Il en sera question plus loin.

[20] Sur la balance des inconvénients, ils disent qu'ils seront placés dans une
situation de faillite et qu'ils risquent de tout perdre avant la fin du contrat. Ils devront
réorienter leur production s'ils ne peuvent plus vendre de porcs «Humane» à DU
BRETON, ce qui nécessitera vraisemblablement des transformations de leur ferme
d'élevage.

LE DROIT

[21] Au stade de l'injonction interlocutoire, le rôle du Tribunal est restreint. Comme


l'édicte l'article 752 C.p.c., il se limite à apprécier les trois critères suivants: l'apparence
de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et enfin, la balance des inconvénients.

[22] La doctrine et la jurisprudence traitent abondamment de ces trois critères.

[23] Dans l'affaire Brassard c. La Société zoologique du Québec inc.1, le juge Louis
LeBel réaffirme l'importance de considérer ces critères les uns en fonction des autres.
Plus particulièrement, explique-t-il, moins l'apparence du droit s'avère forte plus la
nécessité de l'examen attentif du caractère irréparable du préjudice s'impose et,
éventuellement, celui de la balance des inconvénients.

[24] En d'autres mots, selon la Cour d'appel, à ce stade de l'injonction interlocutoire,


les droits du requérant sont, selon le cas, clairs, douteux ou inexistants. Dans la
première alternative, celui-ci doit également démontrer qu'il encourt un préjudice
sérieux et irréparable. Dans le deuxième cas, la Cour devra prendre en considération la
balance des inconvénients.

[25] Enfin, si le droit est inexistant, il y a lieu de rejeter purement et simplement la


demande d'injonction interlocutoire.

[26] Sur l'apparence de droit, le juge LeBel écrit:

1
[1995] R.D.J. 573 (C.A.)
250-17-000714-092 PAGE : 6

«Dans l'étude de cette apparence de droit, la prudence s'impose. Le juge n'est


pas saisi du fond de la demande. Il ne doit apprécier le mérite des moyens
soulevés que pour se satisfaire de l'existence de la qualité de l'apparence de
droit. Dès que les moyens semblent suffisamment sérieux pour offrir une

2009 QCCS 4853 (CanLII)


perspective raisonnable de succès, il lui faut conclure que le requérant a satisfait
à la première exigence de l'article 752 C.p.c.»2

[27] Ainsi, le test visant l'apparence de droit consiste à se demander si, prima facia,
SAMSON paraissent avoir un droit sérieux et valable à faire valoir. Or, en l'espèce, pour
espérer avoir droit au remède recherché, à ce stade des procédures, SAMSON doivent
démontrer une apparence de leur droit par opposition au fardeau plus lourd de prouver
l'existence d'un droit clair3.

[28] Dans leur volume sur l'injonction les auteurs dont les juges Paul A. Gendreau et
France Thibault tous deux à la Cour d'appel, traitent du caractère exceptionnel de
l'injonction 4:

«Ainsi dans l'affaire Société de développement de la Baie James c. Kanatewat,


la Cour d'appel établit que, après avoir convaincu le tribunal de l'apparence de
son droit, le plaideur doit justifier le caractère exceptionnel des faits en cause
pour émettre l'injonction.»

First the applicant has to convince the court that he appears to be entitled to
an interlocutory injunction, that is that the right he is asserting has a
reasonable prospect of being recognized by the final judgment. Secondly the
applicant, if successful on the first test, then has to show that it is an
exceptional case in which an interlocutory injunction is ncesssary in order to
avoid: (i) serious or irreparable injury to the applicant, or (ii) a factual or legal
situation of such a nature as to render the final judgment ineffectual5.»

[29] Dans Précis de procédure civile du Québec6, les auteurs Denis Ferland et Benoit
Emery réitèrent l'approche global des trois critères les uns par rapport aux autres et non
pris distinctement, tout comme l'avait fait auparavant le juge LeBel dans l'affaire Société
zoologique du Québec citée plus haut.

L'APPARENCE DE DROIT

[30] En l'espèce, force nous est de constater que le droit de SAMSON doit être
qualifié de douteux. Se référant au contrat liant les parties, il est clairement mentionné
que les annexes font partie intégrante du contrat et à l'annexe 2, il est également

2
Id.
3
Lampe Berger Canada inc. c. Pot-pourri Accent inc., J.E. 2005-2221 (C.A.)
4
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine,
L'injonction, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, p. 25
5
Société de développement de la Baie James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166, 183
6
FERLAND, Denis, EMERY, Benoit, Précis de procédure civile du Québec, Volume 2, 4e Éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais
250-17-000714-092 PAGE : 7

spécifié clairement qu'il est interdit d'utiliser toute forme de médicaments dans la
formulation des moulées.

[31] Or, il est admis par SAMSON que, jusqu'au 13 juin 2009, à la suite de la

2009 QCCS 4853 (CanLII)


naissance des cochonnets, de la moulée médicamentée a été donnée à tous les
cochonnets.

[32] Avec cette admission, il est évident que c'est contraire au cahier de charges et
ces porcs ne peuvent plus être vendus comme porcs certifiés «Humane» et doivent être
éliminés du programme «Naturel». Les porcs doivent être vendus comme porcs
commodités et/ou conventionnels à un coût moindre.

[33] Les nombreux affidavits produits de part et d'autre sur la connaissance ou non
de DU BRETON de l'existence de médicaments dans la moulée d'engraissement ou la
«petite moulée» pour les cochons naissants feront l'objet de débat au fond devant
l'arbitre. Il appartiendra à cette dernière, à la suite des témoignages des parties et des
témoins, de déterminer s'il y a eu modification au contrat 2003 ou encore s'il y a eu
entente sur la médication à donner aux cochons.

[34] Par contre, à ce stade des procédures d'injonction, le droit semble beaucoup
plus clair en faveur de DU BRETON puisque, contrairement au contrat, SAMSON ont
livré des porcs médicamentés et non identifiés par des tags noirs numérotés prévus au
cahier de charges.

[35] Dans son affidavit, Pierre Levesque, qui n'est plus à l'emploi de DU BRETON,
précise que Richard Samson l'a assuré que les porcs médicamentés étaient dans un
parc isolé et vendus ailleurs qu'à DU BRETON. C'est pourquoi les porcs livrés à cette
dernière ne portaient pas de tags noirs. Pour sa part, dans son affidavit du 31 août
2009, Richard Samson nie non seulement n'avoir jamais affirmé que ses animaux
médicamentés étaient livrés ailleurs, chez d'autres clients, mais qu'il n'a jamais eu de
parc d'isolement pour les animaux médicamentés. Toute cette preuve reliée au fond du
litige est de la compétence de l'arbitre.

[36] Avec égards pour l'opinion contraire, en matière d'injonction, la théorie des
mains propres peut s'appliquer même si elle origine de la Common Law. Les auteurs
Paul-Arthur Gendreau, France Thibault et les autres mentionnent que les tribunaux
québécois ont utilisé leur discrétion et rejeté la demande d'injonction sur la base de
cette théorie notamment lorsque le demandeur a lui-même failli à ses obligations
contractuelles. Voici comment il s'exprime:

«La théorie des mains propres veut que celui qui se présente devant le tribunal
ait lui-même respecté ses obligations. Lorsque tel n'est pas le cas, la Cour utilise
son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'émettre l'ordonnance d'injonction, et
250-17-000714-092 PAGE : 8

ce, bien que le requérant puisse avoir démontré son droit à l'émission d 'une telle
injonction. 7.

[37] Traitant de la théorie des mains propres, Céline Gervais s'exprime ainsi:

2009 QCCS 4853 (CanLII)


«Lorsqu'elle est appliquée, cette théorie fait en sorte que le requérant en
injonction ne doit pas avoir mis en péril son droit à l'injonction par sa conduite;
bref, il doit n'avoir rien à se reprocher.»8

[38] Aussi, le Tribunal pourrait-il rejeter la demande d'injonction sans pousser plus
loin l'analyse des critères de l'article 752 C.p.c.

[39] Il convient toutefois de traiter du préjudice sérieux ou irréparable invoqué par


SAMSON. Ces derniers prétendent notamment que la perte est non quantifiable. Si le
Tribunal n'émet pas la présente injonction obligeant DU BRETON à payer le prix de
1,74$ le kilo ou subsidiairement 1,65$ le kilo jusqu'au 16 janvier 2010, SAMSON vont
devoir possiblement fermer leurs portes, perdre leur investissement et risquent de faire
faillite.

[40] Avec égards, le Tribunal est d'avis que l'arbitre peut évaluer les pertes et les
dommages s'il donne raison à SAMSON. D'ailleurs, comme le signale DU BRETON,
dans son avis daté du 8 juillet 2009 voulant soumettre le différend à l'arbitrage,
SAMSON quantifient leur réclamation.

[41] À l'audition, SAMSON ont demandé au Tribunal, dans l'éventualité où il


accueillait l'injonction, de ne pas les obliger à livrer les porcs à DU BRETON s'il
n'obligeait pas cette dernière à payer le porc à 1,74$ ou 1,65$ le kilo. SAMSON
préfèrent vendre leur porc à d'autres fournisseurs et à un meilleur prix pour du porc
conventionnel. Il n'y a donc plus d'inquiétude pour eux de disposer des porcs prêts à
l'abattage.

[42] Sur la question de la perte pécuniaire, voici comment s'expriment Paul-Arthur


Gendreau et ses co-auteurs qui résument une jurisprudence nombreuse et unanime de
même que la doctrine:

«Il est depuis longtemps reconnu qu'une demande d'injonction interlocutoire peut
être rejetée lorsque le préjudice subi par le requérant résulte en une perte
pécuniaire qui peut être compensée adéquatement par des dommages-intérêts.
Comme il s'agit d'un préjudice remédiable par voie d'une action en dommages,
les tribunaux rejettent généralement le recours en injonction interlocutoire dans
de tels cas9.»

7
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine, op.
cit., note 4 p. 29
8
GERVAIS, Céline, L'injonction, Procédure civile, Points de droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 52
9
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine, op.
cit., note 4, p. 35
250-17-000714-092 PAGE : 9

[43] Sur le sujet, Céline Gervais s'exprime ainsi:

«On l'a vu, l'existence d'un autre recours constitue un obstacle à l'émission
d'une ordonnance d'injonction. Cet obstacle prend le plus souvent la forme d'un

2009 QCCS 4853 (CanLII)


recours en dommages. La jurisprudence considère en effet que si le requérant
en injonction peut voir ses dommages compensés de façon monétaire, le
préjudice qu'il subit de la situation en litige n'est pas irréparable et ne donne donc
pas ouverture à une injonction.»10

[44] Sur le préjudice irréparable, SAMSON prétendent qu'ils risquent de faire faillite et
de perdre leur ferme. Le Tribunal ne peut retenir ces motifs pour les raisons
mentionnées plus haut puisque, à ce stade des procédures, force nous est de constater
que SAMSON se sont placés eux-mêmes dans cette situation en ne respectant pas,
sous réserve d'une preuve contraire devant l'arbitre, les clauses du contrat et privant
ainsi DU BRETON de vendre des porcs «Humane» à ses clients.

[45] Par contre, si la résiliation du contrat ne portait que sur les déficiences ou
défauts de 2007 ou de 2009, ce qui est fortement contesté par SAMSON, et que les
porcs répondaient toujours à la norme «Humane», le Tribunal n'aurait pas hésité à
maintenir le statu quo par une ordonnance d'injonction puisque la balance des
inconvénients aurait joué en leur faveur.

[46] En l'espèce, il est établi que si SAMSON ont gain de cause devant l'arbitre, DU
BRETON a la capacité financière pour satisfaire à la décision de l'arbitre.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[47] REJETTE la demande d'injonction interlocutoire des demandeurs;

[48] LE TOUT, avec dépens.

__________________________________
GAÉTAN PELLETIER, j.c.s.

Me Paule Lafontaine
Eidinger & associés (2015, rue Peel, bureau 1020, Montréal (Qc) H3A 1T8)
Procureur des demandeurs

Me Réjean Bouchard (casier 6)


Joli-Cœur Lacasse, S.E.N.C.R.L.
Procureur de la défenderesse

Date d’audience : 21-22 septembre 2009

10
C. Gervais, op. cit., note 8, p. 23
Ville de Baie-d'Urfé c. Hirtle 2020 QCCS 2975

COUR SUPÉRIEURE

2020 QCCS 2975 (CanLII)


(Chambre civile)

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL

N: 500-17-113628-203

DATE : Le 18 septembre 2020


______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE BABAK BARIN, J.C.S.


______________________________________________________________________

VILLE DE BAIE-D’URFÉ
Demanderesse
c.

ANN HIRTLE
Défenderesse

______________________________________________________________________

ORDONNANCE D’INJONCTION PROVISOIRE


(ARTICLE 510 C.P.C.)
______________________________________________________________________

CONTEXTE
[1] La demanderesse, la Ville de Baie-D’Urfé, cherche par l’entremise d’une
injonction provisoire à interrompre ou à arrêter les travaux de construction entrepris par
la défenderesse à sa résidence située au [...]. Il s’agit d’un bâtiment résidentiel
unifamilial de deux (2) étages.
500-17-113628-203 PAGE : 2

[2] Selon la Ville, la défenderesse est en défaut d’obtenir un permis de construction


avant d’entreprendre des travaux, tel que requis par l’article 4.1 du Règlement 878 sur
les permis et certificats de la Ville. Cet article se lit comme suit1 :

2020 QCCS 2975 (CanLII)


Chapitre 4
PERMIS DE CONSTRUCTION

4.1 NÉCESSITÉ D’UN PERMIS DE CONSTRUCTION

Sur l’ensemble du territoire de la Ville de Baie-D’Urfé, on ne peut :

- entreprendre un projet de construction, de transformation,


d’agrandissement, d’addition de bâtiments ou de piscines ou d’excavation
à cet effet,

- entreprendre un projet de construction d’un mur de soutènement de un


(1,0) mètre (3,3’) ou plus de hauteur,

- réaliser toute construction, tout ouvrage ou tous travaux susceptibles de


détruire ou de modifier la couverture végétale des rives, de porter le sol à
nu, d’en affecter la stabilité ou qui empiètent sur le littoral;

- dans les plaines inondables, réaliser toute construction, tout ouvrage ou


tous travaux susceptibles de modifier le régime hydrique, de nuire à la
libre circulation des eaux en période de crue, de perturber les habitats
fauniques ou floristiques ou de mettre en péril la sécurité des personnes
et des biens,

sans obtenir au préalable un permis de construction.

[3] De l’avis de la Ville, la seule exception prévue dans le Règlement 878 à l’égard
des obtentions de permis se trouve à l’article 4.2 (d) qui prévoit :

4.2 PRÉSENTATION DES DEMANDES DE PERMIS DE CONSTRUCTION

[…]

d) Nonobstant les dispositions de l’alinéa c) qui précède, dans le cas de


travaux de rénovation intérieure d’une habitation unifamiliale ou de finition d’un
sous-sol d’une habitation unifamiliale, aucun permis de construction n’est requis
en autant qu’aucun de ces travaux n’implique :

1
Toutes les citations dans ce jugement sont reproduites telles quelles.
500-17-113628-203 PAGE : 3

- l’enlèvement ou la construction d’un mur porteur ou d’une partie de mur


porteur,
- l’enlèvement ou la coupe d’une solive, d’une poutre ou d’une colonne,

2020 QCCS 2975 (CanLII)


- l’enlèvement, le changement ou la fermeture d’un escalier ou autre moyen
de sortie,

- l’augmentation du nombre de chambres ou de salles de toilette,

- la transformation d’un accès ou d’une issue.

[4] La Ville soumet que l’article 1.5 (b) de son règlement lui permet, outre les
recours par action pénale, d’exercer, devant les tribunaux de juridiction compétente,
tous les recours de droit nécessaires pour faire respecter les dispositions de ce
règlement – d’où sa demande en injonction provisoire qui nécessite la satisfaction des
quatre critères suivants : l’apparence du droit, le préjudice irréparable, la balance des
inconvénients et l’urgence.

[5] La défenderesse réplique que la Ville ne satisfait surtout pas le critère de


l’urgence. Elle allègue que l’absence de ce critère est fatale à l’égard de sa demande.
Elle ajoute qu’en aucun moment avant le 15 septembre 2020 elle n’a obtenu les avis ou
correspondance antérieurs de la Ville. Apparemment, elle a commencé à habiter au [...]
seulement à compter du 11 septembre 2020. Avant, elle demeurait à son ancienne
adresse sur la rue Picardie et chez des amis, passant à la propriété située au [...] sur
une base quasi-quotidienne afin, entre autres, de récupérer la poste.

[6] Enfin, la défenderesse explique par l’entremise de la vice-présidente et


secrétaire de la société Construction & Rénovation Josan inc., l’entreprise mandatée
pour compléter les travaux de construction au [...], que Mme Sandra Mateus a été
avisée par M. Philippe Lacavone, le directeur de l’urbanisme de la Ville, que « le simple
remplacement de vieux matériaux par du neuf, sans changer la structure,
l’agrandissement et sans ajout de chambre ne nécessitait aucun permis ».

[7] Selon Mme Mateus, les travaux effectués au [...] sont de nature à rénover une
propriété construite en 1957, ne modifient pas la structure du bâtiment existant et
n’ajoutent aucune pièce ou chambre.

[8] La défenderesse demande ainsi le rejet de la demande de la Ville. Elle ajoute


que son projet se termine vers la fin septembre et, sans admission, qu’elle est disposée
à déposer une demande de permis.
500-17-113628-203 PAGE : 4

ANALYSE

[9] À mon avis, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être rejetée. La
demanderesse n’a pas réussi à démontrer l’urgence ni le préjudice sérieux ou

2020 QCCS 2975 (CanLII)


irréparable.

[10] La demande d’injonction provisoire est un remède exceptionnel qui doit être
interprété avec beaucoup de rigueur et ne doit être accordé que pour éviter un mal
évident, imminent et irréparable. S’il y a le moindre doute, la demande doit être rejetée.

[11] En l’espèce, la question de l’urgence mérite certes une considération spéciale


puisque sans elle la demande de la Ville ne saurait être émise. L’urgence dans ce
contexte doit être immédiate et apparente. Quoique le fait d’effectuer des travaux de
construction – même s’il s’agit de rénovation et du simple remplacement de vieux
matériaux par du neuf – sans permis laisse planer un certain doute, il n’en demeure pas
moins que les critères de l’émission d’une injonction provisoire doivent être appliqués
rigoureusement.

[12] Or, la preuve prima facie à ce stade-ci démontre qu’une technicienne au service
de l’urbanisme de la Ville a inspecté la résidence de la défenderesse le 8 juillet 2020 et
qu’elle a constaté que des travaux non autorisés par la Ville et sans permis municipal
étaient en cours.

[13] Trois photos en couleur datées du 8 juillet 2020, prises à 14 h 31, démontrent
clairement la présence de deux conteneurs bleus remplis de débris de construction à
l’avant du [...]. Les photos montrent aussi que la résidence en question est sous
construction.

[14] Dix-neuf jours plus tard, soit le 27 juillet 2020, dans un courrier recommandé, la
Ville envoie l’avis suivant à la défenderesse :

Following an inspection carried out at the above mentioned address on July 08th,
2020 we noticed that construction works are being done without a permit, as per
art 4.1 of Permits and certificates By-Law 878.

Since we are receiving complaints about what is going on your property and this
situation needs to be resolved immediately.

Please contact the Urban Planning Department in the next five (5) days to open
your permit application and to obtain a building permit to finish the work and
remediate the situation. In the meantime, all works shall be stopped onsite.

Please note that if this notice is not respected, fines and court proceedings will
follow.

Best regards,
500-17-113628-203 PAGE : 5

[15] Il est clair à la lumière de cet avis que la défenderesse est mise en demeure de
se conformer aux exigences de la Ville. L’historique de repérage de l’avis du 27 juillet
démontre qu’il a été « livré » le 31 juillet 2020, à 8 h 13.

2020 QCCS 2975 (CanLII)


[16] Plus d’un mois plus tard, trente-trois jours pour être précis, le 2 septembre 2020,
la Ville réécrit à la défenderesse la lettre suivante :

Madam,

This letter is in response to the first notice of violation, dated July 27, 2020,
concerning work being done without permit on your property located at [...], in
Baie-D’Urfé.

On July 8, 2020, an inspection was carried out by an employee of the Urban


Planning Department, Ms. Yasmine Ben. It appeared that work was being done
prior to a duly issued permit by the Town, in violation of Article 4.1 of By-law no
878 – Permits and Certificates. As a result, the first notice of violation dated July
27, 2020, was sent to your attention by registered mail.

On September 1, 2020, the construction work on your property has not ceased
but persisted, as noted by another employee of the Urban Planning Department
during his inspection.

As of this date, the Town continues to receive complaints regarding your property
for work done without permit. As the owner of the property, you must obtain the
necessary permits beforehand in order to proceed with the work. Otherwise, you
are not authorized to continue with the work and the latter must immediately be
stopped.

Considering the foregoing, you are officially given formal notice to submit to the
Urban Department within ten (10) days following receipt of this letter:

- A permit request;

- Any other document or requirement that may be required by the Urban


Planning Department.

Should you fail to comply with this formal notice within the deadline mentioned
above, we will proceed with all administrative and judicial recourses necessary to
ensure compliance with the municipal by-laws, without further notice or delay.

THEREFORE, DO GOVERN YOURSELF ACCORDINGLY.

Encore une fois, l’historique de repérage de la lettre du 2 septembre démontre qu’elle a


été « livrée » le 8 septembre 2020, à 12 h 22.

[17] La Ville s’est présentée devant le Tribunal avec une grande précipitation le 16
septembre 2020 et a inclus avec sa preuve les photos en couleur datées du 14
500-17-113628-203 PAGE : 6

septembre 2020 qui décrivent l’état encore plus avancé des travaux chez la
défenderesse.

[18] À noter qu’au moment où la Ville présenté sa demande au Tribunal, le délai

2020 QCCS 2975 (CanLII)


d’échéance de dix (10) jours prévu dans la lettre du 2 septembre n’est pas encore
expiré. Ce délai venait à échéance dix jours suivant le 8 septembre 2020, moment où,
selon l’historique de repérage de Postes Canada, la lettre du 2 septembre a été
« livrée ». Ainsi, le délai de dix jours expire aujourd’hui le 18 septembre 2020.

[19] En soi, ce seul fait, sans prendre en considération les autres critères de
l’injonction provisoire recherchée, est fatal pour la Ville. Sa demande doit donc être
rejetée.

[20] Mais, il y a plus.

[21] Pourquoi est-ce plus urgent le 16 septembre que le 6 août 2020, lorsque le délai
de cinq (5) jours prévu dans la lettre de la Ville datée du 27 juillet 2020 est échu, alors
que la Ville avait constaté au moins depuis le 8 juillet 2020 que la défenderesse
entreprenait des travaux de construction?

[22] Si la Ville a décidé d’attendre, de ne pas agir et d’envoyer un deuxième avis près
de deux mois plus tard, elle ne peut aujourd’hui se plaindre de ses propres décisions.

[23] Donc, sur ce point aussi, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être
rejetée.

[24] Mais, il y a plus encore.

[25] À l’audience, l’avocat de la Ville a concédé que même si la demande d’injonction


provisoire de la Ville est rejetée, elle ne sera pas sans recours même si la construction
entreprise par la défenderesse est complétée. Encore une fois, c’est la Ville qui a
sciemment choisi les conclusions recherchées dans sa demande introductive d’instance
en injonction provisoire, interlocutoire et permanente. Si tel est le cas, comme le soumet
l’avocate de la défenderesse, le préjudice sérieux et irréparable, si tant qu’il existe,
serait plutôt au détriment de la défenderesse dans les circonstances.

[26] La Ville n’a donc pas, ici non plus, réussi à démontrer qu’elle rencontrait ce
critère.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande introductive d’instance en injonction provisoire;

AVEC FRAIS DE JUSTICE.


500-17-113628-203 PAGE : 7

__________________________________

2020 QCCS 2975 (CanLII)


BABAK BARIN, J.C.S.

Maître Alex Lévesque


DUNTON RAINVILLE
Avocat de la demanderesse

Maître Marie-Pier Rodi


CROCHETIÈRE PÉTRIN
Avocate de la défenderesse

Date d’audience : Le 16 septembre 2020

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