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COUR SUPÉRIEURE
(Chambre civile)
N° : 500-17-095218-163
DOUGLAS KUKURA
Défendeur
______________________________________________________________________
JUGEMENT
______________________________________________________________________
I
[1] Par sa demande en injonction interlocutoire provisoire, la demanderesse Pivotal
Payments Corporation (« Pivotal ») requiert l’émission de diverses ordonnances visant
à obliger le défendeur, M. Kukura, à respecter les obligations auxquelles il s’est engagé
dans son contrat de travail, à savoir des engagements de non-concurrence et de non-
sollicitation de clients ou d’employés pendant une période de 12 mois suivant la fin de
son emploi et un engagement de non-divulgation de renseignements confidentiels.
[2] M. Kukura, par l’entremise de ses procureurs, conteste vivement cette demande
d’injonction provisoire et en demande le rejet pour divers motifs qui seront analysés ci-
après.
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II
[4] La technologie et les services de Pivotal sont utilisés par plus de 60 000
marchands à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe. Le principal établissement
de Pivotal et son siège social sont situés à Montréal d’où ses employés peuvent
dispenser des services et interagir avec la plupart des marchands.
[6] Elle affirme que l’industrie du e-commerce est très compétitive. En tout temps,
les marchands peuvent cesser d’utiliser ses services et sa technologie pour utiliser ceux
d’une entreprise compétitrice. Afin d’assurer la rétention de sa clientèle, Pivotal assigne
à ses plus importants marchands un petit groupe d’employés afin qu’ils reçoivent un
service hors pair. Pour mieux servir ses marchands et générer une nouvelle clientèle,
Pivotal donne à ses gérants accès à des informations hautement confidentielles sur ses
stratégies d’affaires.
[7] Afin de s’assurer de la compétence de ses gérants, Pivotal leur fournit une
formation de six à douze mois pour qu’ils puissent desservir adéquatement la clientèle.
[8] M. Kukura a été engagé par Pivotal à titre de « Relationship Manager » [gérant
des relations avec la clientèle] le 7 avril 2014, tel qu’en fait foi son contrat de travail
signé le 2 avril 2014 (P-2).
[10] Quoique M. Kukura pouvait négocier les termes de son contrat de travail, il n’a
pas jugé bon de le faire, même si d’autres employés de Pivotal l’ont fait.
[13] Quand M. Kukura a quitté Pivotal le 8 juillet 2016, il était alors responsable des
relations avec 89 marchands V.I.P. représentant approximativement 94 comptes de
marchands. De surcroît, le portfolio de marchands V.I.P. dont il s’occupait représentait
des revenus bruts annuels excédant 2 millions de dollars. Entre autres, M. Kukura
administrait 11 comptes appartenant aux 50 plus importants marchands de Pivotal
incluant le deuxième plus important compte de la compagnie.
[14] Le 8 juin 2016, M. Kukura a avisé Pivotal qu’il démissionnait de son poste à
compter du 8 juillet 2016. Son courriel de démission mentionne notamment :
« [h]owever, I’ll be leaving to welcome my son into this world then pursue a new
opportunity »1. Cette démission a littéralement pris par surprise Pivotal étant donné
l’intense implication de M. Kukura dans les activités de l’entreprise.
[15] Le 4 août 2016, Pivotal a appris que M. Kukura avait été engagé depuis juin
2016 par son compétiteur direct Paysafe Group (« Paysafe »). À la lumière de ces faits,
la demanderesse a été en mesure de conclure que les agissements de M. Kukura
étaient en violation des engagements de son contrat d’emploi, notamment
l’engagement de ne pas travailler pour un compétiteur direct, l’engagement de ne pas
utiliser de l’information confidentielle appartenant à Pivotal et l’engagement de ne pas
solliciter ses clients ou ses employés.
[16] C’est ainsi que, sur le fondement de ces violations, Pivotal a intenté le 17 août
2016 sa demande d’injonction provisoire, interlocutoire et permanente afin d’obliger
M. Kukura à respecter les engagements qu’il a contractés en vertu de son contrat de
travail .
1
Pièce P-3.
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III
[18] Les procureurs du défendeur ont produit quant à eux une déclaration
assermentée de M. Kukura qui explique notamment les raisons de sa démission du 8
juin 2016. Cette déclaration confirme aussi qu’il a été engagé en juin 2016 par la
compagnie Paysafe, compétitrice directe de Pivotal. Selon M. Kukura, son départ de
Pivotal et son emploi au sein de Paysafe ne causent absolument aucun préjudice à la
demanderesse.
[23] Ils contestent aussi la demande d’injonction provisoire visant le respect de son
obligation de non-sollicitation de clients et d’employés vu l’absence de preuve de
préjudice à cet égard.
[25] Toutefois, les procureurs de M. Kukura ne s’opposent pas à ce qu’il lui soit
ordonné de respecter l’obligation de confidentialité stipulée dans son contrat de travail2.
[26] Pour répondre à la question en litige, le tribunal se penchera d’abord sur les
principes régissant l’exécution en nature d’obligations contractuelles en droit civil
québécois. Ensuite, il examinera le droit substantiel invoqué par Pivotal. Il s’attardera
enfin sur le véhicule procédural utilisé en l’instance pour obtenir l’exécution en nature
afin de déterminer si Pivotal a droit aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées
et s’il est opportun pour le tribunal de les accorder.
2
L’art. 2088 al. 1 C.c.Q. oblige d’ailleurs le salarié à ne pas faire usage de l’information à caractère
confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
3 e
Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7 éd., Cowansville,
Éd. Yvon Blais, 2013 (ci-après « Baudouin »).
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[28] L’exécution en nature comporte deux composantes qui ne doivent pas être
confondues : (1) le droit substantiel dont on veut forcer l’exécution en nature; et (2) le
véhicule procédural pour mettre en œuvre l’exécution en nature de ce droit substantiel
(Baudouin, no 732, p. 859). Il importe d’analyser chacune de ces composantes.
[30] Il s’agit de trois obligations de ne pas faire (art. 1373 C.c.Q.). L’exécution en
nature de ces trois obligations est reconnue depuis longtemps en droit civil québécois et
ne pose donc pas problème en l’espèce.
[32] En l’espèce, Pivotal a clairement le droit de forcer le respect des trois obligations
de ne pas faire auxquelles s’est engagé M. Kukura en signant son contrat de travail, en
acceptant pendant deux ans le salaire qui lui a été versé et en profitant de la formation
que Pivotal lui a fournie dans le cadre de son emploi.
[33] Essentiellement, Pivotal doit établir qu’elle a droit aux ordonnances d’injonction
provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal de les accorder. En effet,
l’injonction – il convient de le rappeler – est un recours exceptionnel et discrétionnaire
tirant son origine de la common law (A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la
Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2; [2004] 1 R.C.S. 43, par. 13-14).
(1) L’urgence
[40] Ce critère est peu exigeant et vise essentiellement à écarter les recours futiles
ou vexatoires : RJR — Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S.
311, 337-338; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec
(Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339; Placements Pellicano inc. c. Montréal (Ville
de), 2012 QCCS 2805, par. 62.
[41] Évidemment, l’apparence de droit doit être examinée à la lumière de l’art. 2089
C.c.Q., règle d’ordre public, qui dispose :
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2089. Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même
après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni
participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.
[43] Cependant, à la présente étape des procédures, le tribunal estime que les
arguments du défendeur, fondés sur le caractère déraisonnable du délai de 12 mois, du
territoire canadien, de l’interdiction de travailler pour une entreprise faisant concurrence
à Pivotal et de la protection des intérêts légitimes de cette dernière, ne rendent ni futile
ni vexatoire son recours fondé notamment sur la clause de non-concurrence stipulée
dans le contrat de travail de M. Kukura. Ces arguments soulèvent tout au plus des
questions sérieuses à juger satisfaisant ainsi au critère de l’apparence de droit.
[44] Mais il importe de souligner cet extrait des motifs conjoints des juges Sopinka et
Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 337-338, qui confirme sans équivoque que le
présent jugement ne préjuge aucunement de la validité des trois obligations « de ne pas
faire » stipulées dans le contrat de travail du défendeur :
Once satisfied that the application is neither vexatious nor frivolous, the motions
judge should proceed to consider the second and third tests, even if of the
opinion that the plaintiff is unlikely to succeed at trial. A prolonged examination
of the merits is generally neither necessary nor desirable. [soulignement ajouté]
[45] En l’espèce, il est manifeste que le défendeur viole son obligation de non-
concurrence en travaillant pour une compétitrice directe de la demanderesse.
[46] La clause de non-concurrence à laquelle s’est engagé M. Kukura est claire : il lui
est interdit de travailler pour une compétitrice directe de Pivotal. À cet égard, l’art. 2089
C.c.Q. prévoit à son 1er alinéa que : « [l]es parties peuvent, par écrit et en termes
exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire
concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui
lui ferait concurrence» (soulignement ajouté).
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[47] Ainsi, cet article prévoit que Pivotal avait deux options : (1) interdire à M. Kukura
de lui faire concurrence ou (2) lui interdire de participer à quelque titre que ce soit à une
entreprise qui lui ferait concurrence. La deuxième option retenue par Pivotal interdit à
M. Kukura de travailler pour une entreprise qui lui ferait concurrence sans égard à la
[48] Les agissements de M. Kukura établissent la cause d’action de Pivotal par l’effet
conjugué des art. 2089, 1458 al. 1, 1590 et 1601 C.c.Q. En tant que signataire du
contrat de travail, M. Kukura a l’obligation de l’exécuter entièrement, correctement et
sans retard. Pivotal a, quant à elle, le droit de forcer l’exécution en nature des
obligations découlant de ce contrat de travail.
[49] Enfin, aucune des deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne
devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond ne s’applique en l’espèce
(RJR – MacDonald, p. 338-339).
[52] De plus, la nature du préjudice que subit Pivotal par la violation des
engagements du défendeur est clairement sérieuse et irréparable car les clauses
contractuelles avaient justement pour but d’éviter la présente situation.
[53] La difficulté de quantifier les pertes subies par Pivotal, résultant de la violation
par le défendeur de son engagement de ne pas travailler pour une entreprise lui faisant
concurrence, constitue un autre motif pour conclure que le critère du préjudice sérieux
ou irréparable est rempli en l’espèce.
dans cette affaire, il n’y avait pas de clause de non-concurrence limitant les activités
post-emploi d’un employé. Or, en l’occurrence, le défendeur est lié par une clause de
non-concurrence clairement stipulée dans son contrat de travail.
[56] Selon le droit québécois, ce critère ne doit être analysé que si le droit de Pivotal
est douteux4. Pourtant, les arrêts de la Cour suprême énonçant les critères de
l’injonction interlocutoire ne rendent aucunement ce critère de la prépondérance des
inconvénients conditionnel à ce que le droit invoqué par le demandeur soit douteux 5. Ce
critère doit, selon les enseignements de la Cour suprême, toujours être analysé et doit
favoriser le demandeur pour qu’une ordonnance d’injonction interlocutoire soit émise.
Les motifs conjoints des juges Sopinka et Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 342 et
343 sont, à cet égard, éloquents :
4
Société de développement de la Baie-James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166; Brassard c. Société
zoologique de Québec inc., 1995 CanLII 4710 (QC CA), EYB 1995-29033, [1995] R.D.J. 573 (C.A.).
5
Voir notamment Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR - - MacDonald
inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.
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[57] Tout comme le droit le plus clair ne donne pas droit à une injonction
interlocutoire en l’absence de préjudice irréparable (Brassard, préc., p. 582), un droit
clair ne devrait pas non plus donner droit à une injonction interlocutoire si la
prépondérance des inconvénients ne favorise pas le demandeur.
[58] Partant, quoique le tribunal soit d’avis que Pivotal a démontré en l’espèce
l’apparence d’un droit clair, il importe de déterminer si la prépondérance des
inconvénients la favorise.
[59] Après analyse, le tribunal est d’avis que le poids des inconvénients favorise
nettement la demanderesse. Si la demande d’injonction est refusée, les obligations de
« ne pas faire » stipulées dans le contrat de travail de M. Kukura resteront lettre morte,
alors que la demanderesse est en droit de forcer le défendeur à respecter ses
engagements. De plus, Pivotal ne bénéficiera pas du temps et de l’argent investis au
bénéfice du défendeur qui travaille maintenant pour une compétitrice directe, Paysafe.
En outre, la stratégie et le mode de marketing de Pivotal vont probablement être utilisés
à son détriment par le défendeur. Il existe aussi un risque réel de perte de clientèle.
Enfin, la violation par le défendeur de ses engagements contractuels risque
vraisemblablement d’avoir une influence néfaste sur les autres employés de Pivotal.
D’ailleurs, la preuve révèle que d’autres employés de Pivotal pourraient être tentés
d’imiter M. Kukura. Il est donc urgent et nécessaire d’arrêter cette hémorragie qui
pourrait conduire ultimement à la destruction de l’entreprise de Pivotal.
[61] Cet argument ne peut, dans les circonstances, être retenu. Au moment de sa
démission, M. Kukura avait déjà été engagé par Paysafe. Or, le défendeur savait – ou
devait savoir – que son contrat de travail lui interdisait clairement de travailler pour
Paysafe sans égard à la question de savoir s’il ferait ou non concurrence à son ancien
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* *
*
[70] Ensuite, la demanderesse n’a rien à se reprocher, elle a agi avec diligence, elle
n’a pas renoncé à ses droits et elle n’a pas non plus d’autres recours utiles pour forcer
l’exécution en nature des engagements contractuels du défendeur.
If parties, for valuable consideration, with their eyes open, contract that a
particular thing shall not be done, all that a Court of Equity has to do is to say, by
way of injunction, that which the parties have already said by way of covenant,
that the thing shall not be done; and in such case the injunction does nothing
more than give the sanction of the process of the Court to that which already is
the contract between the parties. It is not then a question of the balance of
convenience or inconvenience, or of the amount of damage or of injury – it is the
specific performance, by the Court, of that negative bargain which the parties
have made, with their eyes open, between themselves.6
[72] Plus près de nous, ce même principe découle de l’effet conjugué des art. 1373,
1458, 1590, 1601 C.c.Q. et de l’art. 509 C.p.c.
[73] Il ne faut pas non plus minimiser la vertu préventive d’une injonction prohibitive
lorsque la probabilité d’un préjudice appréhendé est établie : 9055-6473 Québec inc. c.
Montréal Auto Prix inc., 2006 QCCA 627, par. 46.
* *
*
[74] En conséquence, le tribunal conclut que Pivotal a démontré qu’elle avait droit
aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal
de les accorder.
6
Dans cette affaire, il s’agissait d’une injonction permanente, mais le principe demeure le même en
matière d’injonction interlocutoire.
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VI
[75] En somme, en droit civil québécois, la signature d’un contrat entraîne pour
chaque contractant le devoir d’honorer ses engagements. En l’espèce, les ordonnances
[76] Comme la Cour d’appel du Québec l’a souligné avec beaucoup d’à-propos :
Dans un monde où la signature d'un contrat veut dire quelque chose, la Cour ne
peut pas fermer les yeux sur une situation où une partie paraît transgresser
délibérément et indifféremment ses engagements contractuels.7
[78] GRANTS a provisional injunction, to be valid and executory until September 2nd,
2016, at 5 p.m.;
7
Ubi Soft Divertissements Inc. c. Champagne-Pelland, 2003 CanLII 13559 (QC CA), EYB 2003-48437,
J.E. 2003-1981, par. 20.
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be developed, customer lists, the prices it obtains or has obtained from the
sale of, or at which it sells or has sold its products, and services used by it,
the suppliers and costs thereof, the manner of its operation, its marketing,
product development and other plans, and any financial affairs of plaintiff
[80] ORDERS any person who becomes aware of these orders to abide by them;
[83] AUTHORIZES all persons responsible for service of any order issued in the
present judgment to take all necessary measures to serve it and to prevent or remove
any impediment to its service, including service of the orders outside legal hours, by
bailiff, telecopy, electronic mail or by leaving certified copies of such orders (as well as
of the present proceedings) in Defendants’ mailbox, by sliding same under the door or
by any other means in the absence of Defendants’ or should any one of them refuse to
answer or to accept such service;
__________________________________
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.
Me Luc Thibaudeau
Me Laurence Bich-Carrière
Mme Marie Catherine Ducharme
LAVERY, DE BILLY, S.E.N.C.R.L.
Procureurs de la demanderesse
Me Alexandre W. Buswell
Me Frédéric Massé
BORDEN LADNER GERVAIS
Procureurs du défendeur
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COUR SUPÉRIEURE
N° : 250-17-000714-092
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JUGEMENT
sur requête en injonction interlocutoire
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JP 1223
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LES PARTIES
[2] SAMSON sont des producteurs de porcs certifiés «Humane» sous le chapeau de
Les Viandes Du Breton inc. qui achète les porcs de SAMSON et qui détient une
[3] DU BRETON fait l'achat et l'abattage de ces porcs en plus de l'abattage de porcs
conventionnels.
LE CONTRAT
«Généralités
«J. Annexes
(Mon soulignement)
«K. Arbitrage
«Les objectifs et les normes requises pour le programme ci-haut mentionné sont
les suivants:
(Mon soulignement)
[6] À l'annexe 3, il y a une «entente de prise pour les animaux du programme non-
conformes» où les cochons qui ont nécessité des soins seront payés à 165$ (ajusté à
l'indice 100). Les variations de l'indice 100 ne seront pas bonifiées, par contre, les
cochons trop légers seront pénalisés selon les ententes sur le contrat en vigueur.
LES FAITS
[7] De mai 2003 au 15 juin 2009, DU BRETON paie le prix prévu au contrat, soit
1,74$ le kilo.
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[8] À la suite d'un différend entre les parties sur l'ajustement du prix à la hausse,
notamment pour le coût de la moulée prévu à l'annexe 1, les parties ont soumis leur
grief à l'arbitrage qui s'est terminé le 24 août dernier après neuf jours d'audition.
L'arbitre rendra sa décision en janvier 2010.
[10] Les différends soulevés par cet arbitrage n'ont rien à voir avec la présente
demande d'injonction.
[12] L'origine du différend qui fera l'objet du deuxième arbitrage remonte à l'audition
de l'arbitrage les 8, 9 et 10 juin dernier où DU BRETON a appris que tous les porcelets
ont reçu, durant une certaine période après leur naissance, une moulée médicamentée
que les parties appellent «petite moulée» Shur-Gain (délice-nourrisson). Elle est livrée
en sacs individuels contrairement à la moulée médicamentée en vrac qui se trouve
dans les silos.
[13] Toujours selon DU BRETON, elle a également appris, lors de cette audition, que
SAMSON auraient livré des porcs médicamentés qui n'étaient pas tagués de sorte que,
sans le savoir, elle a livré à ses acheteurs du porc médicamenté. Aussi, DU BRETON
a-t-elle avisé ces derniers qu'elle ne pourrait plus leur livrer de porcs pour un certain
temps.
[14] Pour sa part, SAMSON prétendent que DU BRETON savait que les porcs étaient
médicamentés et nient les prétentions de DU BRETON.
[15] Les parties ont produit au dossier de nombreux affidavits. Or, il n'appartient pas
au présent Tribunal de se prononcer sur le fond du litige et de décider qui dit vrai. Elles
seront à nouveau en arbitrage et il appartiendra à l'arbitre de décider si DU BRETON
pouvait mettre fin au contrat après l'avis de trente jours signifié le 19 juin dernier.
LA PROCÉDURE D'INJONCTION
[17] Même si SAMSON ne contestent pas que DU BRETON puisse mettre fin au
contrat à la suite d'un préavis de six mois, ils contestent cependant la décision de cette
[20] Sur la balance des inconvénients, ils disent qu'ils seront placés dans une
situation de faillite et qu'ils risquent de tout perdre avant la fin du contrat. Ils devront
réorienter leur production s'ils ne peuvent plus vendre de porcs «Humane» à DU
BRETON, ce qui nécessitera vraisemblablement des transformations de leur ferme
d'élevage.
LE DROIT
[23] Dans l'affaire Brassard c. La Société zoologique du Québec inc.1, le juge Louis
LeBel réaffirme l'importance de considérer ces critères les uns en fonction des autres.
Plus particulièrement, explique-t-il, moins l'apparence du droit s'avère forte plus la
nécessité de l'examen attentif du caractère irréparable du préjudice s'impose et,
éventuellement, celui de la balance des inconvénients.
1
[1995] R.D.J. 573 (C.A.)
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[27] Ainsi, le test visant l'apparence de droit consiste à se demander si, prima facia,
SAMSON paraissent avoir un droit sérieux et valable à faire valoir. Or, en l'espèce, pour
espérer avoir droit au remède recherché, à ce stade des procédures, SAMSON doivent
démontrer une apparence de leur droit par opposition au fardeau plus lourd de prouver
l'existence d'un droit clair3.
[28] Dans leur volume sur l'injonction les auteurs dont les juges Paul A. Gendreau et
France Thibault tous deux à la Cour d'appel, traitent du caractère exceptionnel de
l'injonction 4:
First the applicant has to convince the court that he appears to be entitled to
an interlocutory injunction, that is that the right he is asserting has a
reasonable prospect of being recognized by the final judgment. Secondly the
applicant, if successful on the first test, then has to show that it is an
exceptional case in which an interlocutory injunction is ncesssary in order to
avoid: (i) serious or irreparable injury to the applicant, or (ii) a factual or legal
situation of such a nature as to render the final judgment ineffectual5.»
[29] Dans Précis de procédure civile du Québec6, les auteurs Denis Ferland et Benoit
Emery réitèrent l'approche global des trois critères les uns par rapport aux autres et non
pris distinctement, tout comme l'avait fait auparavant le juge LeBel dans l'affaire Société
zoologique du Québec citée plus haut.
L'APPARENCE DE DROIT
[30] En l'espèce, force nous est de constater que le droit de SAMSON doit être
qualifié de douteux. Se référant au contrat liant les parties, il est clairement mentionné
que les annexes font partie intégrante du contrat et à l'annexe 2, il est également
2
Id.
3
Lampe Berger Canada inc. c. Pot-pourri Accent inc., J.E. 2005-2221 (C.A.)
4
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine,
L'injonction, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, p. 25
5
Société de développement de la Baie James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166, 183
6
FERLAND, Denis, EMERY, Benoit, Précis de procédure civile du Québec, Volume 2, 4e Éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais
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spécifié clairement qu'il est interdit d'utiliser toute forme de médicaments dans la
formulation des moulées.
[31] Or, il est admis par SAMSON que, jusqu'au 13 juin 2009, à la suite de la
[32] Avec cette admission, il est évident que c'est contraire au cahier de charges et
ces porcs ne peuvent plus être vendus comme porcs certifiés «Humane» et doivent être
éliminés du programme «Naturel». Les porcs doivent être vendus comme porcs
commodités et/ou conventionnels à un coût moindre.
[33] Les nombreux affidavits produits de part et d'autre sur la connaissance ou non
de DU BRETON de l'existence de médicaments dans la moulée d'engraissement ou la
«petite moulée» pour les cochons naissants feront l'objet de débat au fond devant
l'arbitre. Il appartiendra à cette dernière, à la suite des témoignages des parties et des
témoins, de déterminer s'il y a eu modification au contrat 2003 ou encore s'il y a eu
entente sur la médication à donner aux cochons.
[34] Par contre, à ce stade des procédures d'injonction, le droit semble beaucoup
plus clair en faveur de DU BRETON puisque, contrairement au contrat, SAMSON ont
livré des porcs médicamentés et non identifiés par des tags noirs numérotés prévus au
cahier de charges.
[35] Dans son affidavit, Pierre Levesque, qui n'est plus à l'emploi de DU BRETON,
précise que Richard Samson l'a assuré que les porcs médicamentés étaient dans un
parc isolé et vendus ailleurs qu'à DU BRETON. C'est pourquoi les porcs livrés à cette
dernière ne portaient pas de tags noirs. Pour sa part, dans son affidavit du 31 août
2009, Richard Samson nie non seulement n'avoir jamais affirmé que ses animaux
médicamentés étaient livrés ailleurs, chez d'autres clients, mais qu'il n'a jamais eu de
parc d'isolement pour les animaux médicamentés. Toute cette preuve reliée au fond du
litige est de la compétence de l'arbitre.
[36] Avec égards pour l'opinion contraire, en matière d'injonction, la théorie des
mains propres peut s'appliquer même si elle origine de la Common Law. Les auteurs
Paul-Arthur Gendreau, France Thibault et les autres mentionnent que les tribunaux
québécois ont utilisé leur discrétion et rejeté la demande d'injonction sur la base de
cette théorie notamment lorsque le demandeur a lui-même failli à ses obligations
contractuelles. Voici comment il s'exprime:
«La théorie des mains propres veut que celui qui se présente devant le tribunal
ait lui-même respecté ses obligations. Lorsque tel n'est pas le cas, la Cour utilise
son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'émettre l'ordonnance d'injonction, et
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ce, bien que le requérant puisse avoir démontré son droit à l'émission d 'une telle
injonction. 7.
[37] Traitant de la théorie des mains propres, Céline Gervais s'exprime ainsi:
[38] Aussi, le Tribunal pourrait-il rejeter la demande d'injonction sans pousser plus
loin l'analyse des critères de l'article 752 C.p.c.
[40] Avec égards, le Tribunal est d'avis que l'arbitre peut évaluer les pertes et les
dommages s'il donne raison à SAMSON. D'ailleurs, comme le signale DU BRETON,
dans son avis daté du 8 juillet 2009 voulant soumettre le différend à l'arbitrage,
SAMSON quantifient leur réclamation.
«Il est depuis longtemps reconnu qu'une demande d'injonction interlocutoire peut
être rejetée lorsque le préjudice subi par le requérant résulte en une perte
pécuniaire qui peut être compensée adéquatement par des dommages-intérêts.
Comme il s'agit d'un préjudice remédiable par voie d'une action en dommages,
les tribunaux rejettent généralement le recours en injonction interlocutoire dans
de tels cas9.»
7
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine, op.
cit., note 4 p. 29
8
GERVAIS, Céline, L'injonction, Procédure civile, Points de droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 52
9
GENDREAU, Paul. A., THIBAULT, France, FERLAND Denis, CLICHE Bernard et GRAVEL Martine, op.
cit., note 4, p. 35
250-17-000714-092 PAGE : 9
«On l'a vu, l'existence d'un autre recours constitue un obstacle à l'émission
d'une ordonnance d'injonction. Cet obstacle prend le plus souvent la forme d'un
[44] Sur le préjudice irréparable, SAMSON prétendent qu'ils risquent de faire faillite et
de perdre leur ferme. Le Tribunal ne peut retenir ces motifs pour les raisons
mentionnées plus haut puisque, à ce stade des procédures, force nous est de constater
que SAMSON se sont placés eux-mêmes dans cette situation en ne respectant pas,
sous réserve d'une preuve contraire devant l'arbitre, les clauses du contrat et privant
ainsi DU BRETON de vendre des porcs «Humane» à ses clients.
[45] Par contre, si la résiliation du contrat ne portait que sur les déficiences ou
défauts de 2007 ou de 2009, ce qui est fortement contesté par SAMSON, et que les
porcs répondaient toujours à la norme «Humane», le Tribunal n'aurait pas hésité à
maintenir le statu quo par une ordonnance d'injonction puisque la balance des
inconvénients aurait joué en leur faveur.
[46] En l'espèce, il est établi que si SAMSON ont gain de cause devant l'arbitre, DU
BRETON a la capacité financière pour satisfaire à la décision de l'arbitre.
__________________________________
GAÉTAN PELLETIER, j.c.s.
Me Paule Lafontaine
Eidinger & associés (2015, rue Peel, bureau 1020, Montréal (Qc) H3A 1T8)
Procureur des demandeurs
10
C. Gervais, op. cit., note 8, p. 23
Ville de Baie-d'Urfé c. Hirtle 2020 QCCS 2975
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
N: 500-17-113628-203
VILLE DE BAIE-D’URFÉ
Demanderesse
c.
ANN HIRTLE
Défenderesse
______________________________________________________________________
CONTEXTE
[1] La demanderesse, la Ville de Baie-D’Urfé, cherche par l’entremise d’une
injonction provisoire à interrompre ou à arrêter les travaux de construction entrepris par
la défenderesse à sa résidence située au [...]. Il s’agit d’un bâtiment résidentiel
unifamilial de deux (2) étages.
500-17-113628-203 PAGE : 2
[3] De l’avis de la Ville, la seule exception prévue dans le Règlement 878 à l’égard
des obtentions de permis se trouve à l’article 4.2 (d) qui prévoit :
[…]
1
Toutes les citations dans ce jugement sont reproduites telles quelles.
500-17-113628-203 PAGE : 3
[4] La Ville soumet que l’article 1.5 (b) de son règlement lui permet, outre les
recours par action pénale, d’exercer, devant les tribunaux de juridiction compétente,
tous les recours de droit nécessaires pour faire respecter les dispositions de ce
règlement – d’où sa demande en injonction provisoire qui nécessite la satisfaction des
quatre critères suivants : l’apparence du droit, le préjudice irréparable, la balance des
inconvénients et l’urgence.
[7] Selon Mme Mateus, les travaux effectués au [...] sont de nature à rénover une
propriété construite en 1957, ne modifient pas la structure du bâtiment existant et
n’ajoutent aucune pièce ou chambre.
ANALYSE
[9] À mon avis, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être rejetée. La
demanderesse n’a pas réussi à démontrer l’urgence ni le préjudice sérieux ou
[10] La demande d’injonction provisoire est un remède exceptionnel qui doit être
interprété avec beaucoup de rigueur et ne doit être accordé que pour éviter un mal
évident, imminent et irréparable. S’il y a le moindre doute, la demande doit être rejetée.
[12] Or, la preuve prima facie à ce stade-ci démontre qu’une technicienne au service
de l’urbanisme de la Ville a inspecté la résidence de la défenderesse le 8 juillet 2020 et
qu’elle a constaté que des travaux non autorisés par la Ville et sans permis municipal
étaient en cours.
[13] Trois photos en couleur datées du 8 juillet 2020, prises à 14 h 31, démontrent
clairement la présence de deux conteneurs bleus remplis de débris de construction à
l’avant du [...]. Les photos montrent aussi que la résidence en question est sous
construction.
[14] Dix-neuf jours plus tard, soit le 27 juillet 2020, dans un courrier recommandé, la
Ville envoie l’avis suivant à la défenderesse :
Following an inspection carried out at the above mentioned address on July 08th,
2020 we noticed that construction works are being done without a permit, as per
art 4.1 of Permits and certificates By-Law 878.
Since we are receiving complaints about what is going on your property and this
situation needs to be resolved immediately.
Please contact the Urban Planning Department in the next five (5) days to open
your permit application and to obtain a building permit to finish the work and
remediate the situation. In the meantime, all works shall be stopped onsite.
Please note that if this notice is not respected, fines and court proceedings will
follow.
Best regards,
500-17-113628-203 PAGE : 5
[15] Il est clair à la lumière de cet avis que la défenderesse est mise en demeure de
se conformer aux exigences de la Ville. L’historique de repérage de l’avis du 27 juillet
démontre qu’il a été « livré » le 31 juillet 2020, à 8 h 13.
Madam,
This letter is in response to the first notice of violation, dated July 27, 2020,
concerning work being done without permit on your property located at [...], in
Baie-D’Urfé.
On September 1, 2020, the construction work on your property has not ceased
but persisted, as noted by another employee of the Urban Planning Department
during his inspection.
As of this date, the Town continues to receive complaints regarding your property
for work done without permit. As the owner of the property, you must obtain the
necessary permits beforehand in order to proceed with the work. Otherwise, you
are not authorized to continue with the work and the latter must immediately be
stopped.
Considering the foregoing, you are officially given formal notice to submit to the
Urban Department within ten (10) days following receipt of this letter:
- A permit request;
Should you fail to comply with this formal notice within the deadline mentioned
above, we will proceed with all administrative and judicial recourses necessary to
ensure compliance with the municipal by-laws, without further notice or delay.
[17] La Ville s’est présentée devant le Tribunal avec une grande précipitation le 16
septembre 2020 et a inclus avec sa preuve les photos en couleur datées du 14
500-17-113628-203 PAGE : 6
septembre 2020 qui décrivent l’état encore plus avancé des travaux chez la
défenderesse.
[19] En soi, ce seul fait, sans prendre en considération les autres critères de
l’injonction provisoire recherchée, est fatal pour la Ville. Sa demande doit donc être
rejetée.
[21] Pourquoi est-ce plus urgent le 16 septembre que le 6 août 2020, lorsque le délai
de cinq (5) jours prévu dans la lettre de la Ville datée du 27 juillet 2020 est échu, alors
que la Ville avait constaté au moins depuis le 8 juillet 2020 que la défenderesse
entreprenait des travaux de construction?
[22] Si la Ville a décidé d’attendre, de ne pas agir et d’envoyer un deuxième avis près
de deux mois plus tard, elle ne peut aujourd’hui se plaindre de ses propres décisions.
[23] Donc, sur ce point aussi, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être
rejetée.
[26] La Ville n’a donc pas, ici non plus, réussi à démontrer qu’elle rencontrait ce
critère.
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