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3.

4 Les grands cycles biogéochimiques et les changements


climatiques

La planète Terre est un système, c’est-à-dire un ensemble composé d’éléments


variés mais intimement reliés entre eux et fonctionnant comme un tout complexe.
On a vu au premier chapitre que la tectonique des plaques constituait un sous-
système très important de ce système. Dans cette section 3.4, nous verrons
comment les grands cycles biogéochimiques constituent une autre facette de ce
système planétaire et comment ils sont en définitive reliés à la tectonique des
plaques.

Si la planète Terre est capable de maintenir de l'eau liquide à sa surface, condition


essentielle pour l'apparition et le maintien de la Vie, c'est en grande partie parce
qu'elle possède des systèmes naturels de recyclage des éléments essentiels à cette
Vie: carbone, azote, phosphore et soufre, auxquels il faut ajouter les molécules
O2 (oxygène libre) et H2O (eau). Ultimement, ces systèmes de recyclage sont liés à
la tectonique des plaques. Nous allons examiner ici ces grands systèmes naturels de
recyclage, en prenant comme toile de fond, les quatre grandes composantes du
système Terre: atmosphère, hydrosphère, litho/asthénosphère et biosphère; cette
dernière est placée au centre sur la figure ci-dessous, bien sûr pour satisfaire notre
nature anthropocentriste, mais surtout pour mettre en évidence cette spécificité de
la Terre qui exerce un contrôle primordial sur l'ensemble du recyclage: la Vie. Les
flèches indiquent qu'il y a une interaction constante entre ces quatre grandes
composantes.
Quelques termes utiles.
Biomasse: masse totale de la matière organique des organismes vivants dans un
réservoir donné.
Effet de serre: mécanisme naturel par lequel la surface d’une planète est
réchauffée grâce à l’absorption des radiations infrarouges par les gaz de son
atmosphère.
État stationnaire: condition sous laquelle l'état d'une composante d'un système est
inchangé dans l'espace et le temps. Par exemple, il entre la même quantité de cette
substance dans un réservoir qu'il en sort.
Flux: transfert d'une substance d'un réservoir à un autre.
Gaz à effet de serre: gaz qui, dans l’atmosphère d’une planète, absorbent les
radiations solaires infrarouges et les redirigent vers la surface, contribuant ainsi à
augmenter la température de surface de cette planète. Dans l’atmosphère terrestre,
les principaux gaz à effet de serre sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane
(CH4), l’oxyde nitreux (N2O), la vapeur d’eau (H2O) et les chlorofluorocarbures
(CFC), ces derniers d’origine exclusivement anthropique, les autres ayant une
origine mixte, naturelle et anthropique, sauf H2O qui est d'origine essentiellement
naturelle.
Puits: un terme à la mode pour désigner le captage d'un élément et son stockage
dans un réservoir.
Réservoir: partie d'un système qui peut accumuler, stocker ou être la source d'une
certaine quantité d'une des composantes du système.
Temps de résidence: le temps moyen qu'une substance demeure dans un réservoir
donné dans un état stationnaire par rapport aux processus qui ajoutent ou
soustraient de cette substance au réservoir. S'exprime par la masse totale d'une
substance dans le réservoir divisée par l'ajoût ou la soustraction de cette même
substance au réservoir.

Ce chapitre a été construit à l'aide des références bibliographiques données au point


3.4.14 ci-dessous. Nous examinerons successivement les sujets suivants. Cliquez
sur la rubrique pour y accéder (il est préférable de les consulter dans l'ordre).

 3.4.1 Le cycle de l'eau


 3.4.2 Le cycle du carbone
 3.4.3 Le cycle de l'oxygène libre et le couplage CO2 - O2
 3.4.4 Le cycle de l’azote
 3.4.5 Le cycle du phosphore
 3.4.6 Le cycle du soufre
 3.4.7 Les cycles biogéochimiques: perspective historique
 3.4.8 Les gaz à effet de serre
 3.4.9 Le réchauffement planétaire
 3.4.10 Les causes des émissions de CO2
 3.4.11 Les conséquences du réchauffement planétaire
 3.4.12 La fiabilité des modèles climatiques
 3.4.13 Que faire?
 3.4.14 Bibliographie
3.4.1 Le cycle de l'eau

Les planétoïdes, comètes et astéroïdes qui ont formé la planète Terre par leur
accrétion contenaient toute l’eau de notre planète. Après cette accrétion, qui s'est
terminée il y a 4,55 Ga (milliards d’années), la Terre a connu une période intense
de dégazage qui a libéré l’eau sous forme de vapeur par l’intermédiaire des volcans.
Aussi longtemps que la température terrestre s’est maintenue au-dessus de 100 °C,
cette vapeur fut gardée dans l’atmosphère, créant un effet de serre important.
Quand la température est descendue sous les 100 °C, la vapeur atmosphérique a
condensé pour former les océans. On ne sait trop quand ceux-ci sont apparus, mais
on a des évidences de la présence des océans il y a quelques 3,8 Ga comme en
témoignent les premières roches sédimentaires, des roches qui nécessitent la
présence d’eau pour se former (altération de massifs rocheux, érosion, transport et
dépôt des particules, comme nous l'avons vu au point 2.2.2). Une faible quantité de
vapeur d’eau est demeurée dans l’atmosphère, suffisamment pour maintenir un
certain niveau d’effet de serre (avec le CO2 venant aussi des volcans) sans lequel
notre planète serait une boule de glace. Cela explique aussi que la lithosphère et
l’asthénosphère contiennent un immense volume d’eau.
La circulation annuelle de l'eau constitue le plus grand déplacement d'une substance
chimique à la surface de la Planète. Par les processus de l'évaporation-précipitation
et la circulation océanique, l'eau transfère, des tropiques aux pôles, une grande
partie de l'énergie calorifique reçue par la Terre et constitue ainsi le régulateur des
températures du globe. Ces déplacements de l'eau déterminent les patrons
climatiques de notre planète. Autre élément important pour la survie de notre
espèce, la quantité d'eau disponible annuellement est le facteur déterminant de la
croissance des plantes terrestres et par conséquent influence énormément la
productivité primaire. Le ruissellement des eaux continentales transfère les produits
de l'altération physique et chimique vers les océans.

On a vu plus haut (point 3.1.1) quel était le bilan hydrologique de la surface


terrestre, sur la base du cycle externe précipitation-ruissellement-évaporation. La
figure ci-dessous présente le cycle complet (externe et interne) de l'eau à l'échelle
du globe terrestre tout entier.

Sur cette figure, les boîtes représentent les réservoirs, les flèches bleues les flux du
cycle externe, et les flèches rouges les flux du cycle interne. Selon les conditions de
température et de pression, l'eau se retrouve sous trois états: solide, liquide et
vapeur.

Le cycle externe est celui qui est observable directement. L'énergie solaire
transforme l'eau liquide en vapeur. L'évaporation se fait principalement au-dessus
des océans (84%). Les vents et autres mouvements de l'atmosphère redistribuent la
vapeur d'eau; celle-ci retombe sous forme de pluie qui, au niveau des continents,
ruisselle et retourne à l'océan (section 3.1.1). Comme on l'a vu précédemment, une
certaine quantité d'eau est stockée sous forme de glace (section 3.1.2). L'eau
(liquide et solide) constitue l'agent essentiel de l'altération et la désagrégation des
roches de la croûte terrestre et contribue ainsi au recyclage de plusieurs éléments.

Le cycle interne est celui qui concerne la circulation de l'eau entre l'océan, la
lithosphère et l'asthénosphère. Un important volume d'eau s'infiltre dans les pores et
les fractures de la couverture sédimentaire sur la lithosphère; on évalue à
330.106 km3 ce réservoir. Un autre volume important d'eau s'infiltre dans les
fractures de la lithosphère. On n'a qu'à penser à ce système de pompage que
constituent les sources hydrothermales au niveau des dorsales médio-océaniques.
Cette eau est un agent fort efficace de l'altération chimique des basaltes océaniques,
modifiant les propriétés physico-chimiques et la composition de la croûte
océanique et contribuant à la composition chimique de l'eau de mer. La subduction
de la lithosphère dans l'asthénosphère introduit aussi de l'eau dans cette dernière.
Les minéraux du manteau même contiennent une énorme quantité d'eau. Ensemble,
lithosphère et asthénosphère contiennent un volume d'eau évalué à 400.106 km3.

Le tableau suivant permet de comparer le volume des divers réservoirs d'eau dans
les deux cycles.

On y voit immédiatement l'importance du réservoir océanique, ainsi que celle des


réservoirs du cycle interne. Il n'en demeure pas moins que l'eau stockée dans les
glaciers, qui en comparaison apparaît peu importante, compte tout de même pour
un volume appréciable; un réchauffement climatique qui amènerait une fonte
importante aurait comme conséquence une élévation significative du niveau marin.
On peut s'amuser à des petits calculs simples. Compte tenu que la surface des
océans est de 3,6.108 km2, si toute la glace stockée dans les calottes glaciaires et les
glaciers fondait, la montée du niveau marin serait de 120 mètres; si le quart
seulement du réservoir de glace fondait, la montée serait de 30 mètres. Farfelu?
Peut-être pas autant qu'il n'y paraît. N'oublions pas que durant les deux derniers
millions d'années (le Grand Âge Glaciaire), on a connu des fluctuations très
importantes du niveau marin qui a oscillé entre +7 et -130 mètres au gré des phases
d'englaciation et de fonte. Évidemment, on ne tient pas compte dans ce calcul
simpliste des rétroactions comme des changements inévitables dans la circulation
atmosphérique, des taux d'évaporation modifiés, des changements dans la
circulation des eaux océaniques, de l'isostasie et surtout de la dilatation des eaux
océaniques reliées à leur réchauffement.

Des interruptions importantes dans l'état stationnaire du cycle de l'eau sont causées,
entre autres, par les périodes de glaciation continentale. Celles-ci affectent
particulièrement la circulation des océans et l'interaction océan-atmosphère. Ainsi,
un refroidissement global abaisse les taux d'évaporation, entraînant une réduction
de la circulation de l'air humide dans l'atmosphère et des précipitations. Par
exemple, on évalue que durant la dernière glaciation, il y a 18 Ka (milliers
d'années), la précipitation totale fut de 14% inférieure à celle d'aujourd'hui,
entraînant une expansion de la désertification, une diminution importante de la
productivité primaire terrestre, ainsi qu'une accentuation de l'érosion éolienne des
sols désertiques. Une glaciation entraîne aussi un changement dans les taux
globaux du transfert, des continents aux océans, des matières dissoutes et en
suspension dans l'eau. Durant les périodes de glaciation, une plus grande surface
continentale est exposée à l'érosion parce que le niveau marin est plus bas (-120
mètres, il y a 18 Ka), ce qui entraîne un apport accru de matériaux dans l'océan.
Une telle situation augmente le niveau de nutriments dans le milieu marin et une
augmentation de la productivité primaire.

L'eau est le support essentiel sans lequel tous les grands cycles biogéochimiques ne
sauraient exister. Tout changement climatique risque de se répercuter sur son cycle
et par conséquent perturber les patrons globaux de la végétation, les taux
d'altération des roches continentales et, en bout de ligne, les grands cycles
biogéochimiques.
3.4.2 Le cycle du carbone

L'hydrogène (H), l'hélium (He), l'oxygène (O) et le carbone (C) sont, dans l'ordre,
les éléments les plus abondants dans le cosmos. Sur Terre cependant, ce sont
l'oxygène et le silicium qui dominent, le carbone venant en quatorzième place
seulement.

Le recyclage des éléments à travers les diverses composantes à la surface de la


Planète est fortement lié au fait que la Terre est une planète vivante. L'élément le
plus critique attaché à ce recyclage est sans contredit le carbone. Depuis que le
cycle biologique du carbone est apparu sur Terre, il a en quelque sorte transformé
cette planète en un système fermé qui assure sa continuité. Il est le constituant
majeur de deux gaz à effet de serre, CO2 et CH4, sans lequel il ne saurait y avoir de
vie sur terre ; son recyclage influence particulièrement la productivité biologique et
le climat. Le cycle global du carbone implique des processus qui agissent en milieu
terrestre et en milieu océanique et où interviennent des réactions chimiques
biologiques et non-biologiques. On ne peut discuter sérieusement de changements
climatiques sans connaître le B.A.-Ba de ces processus.
Précisons d'abord que dans la nature, le carbone se retrouve sous deux formes: le
carbone organique (Corg) et le carbone inorganique (Cinorg). Il est souvent utile de
faire la distinction. Le Corg est celui qui est produit par des organismes vivants et
qui est lié à d'autres carbones ou à des éléments comme l'hydrogène (H), l'azote (N)
ou le phosphore (P) dans les molécules organiques ou les hydrocarbures. Le
Cinorg est celui qui est associé à des composés inorganiques, c'est-à-dire des
composés qui ne sont pas et n'ont pas été du vivant et qui ne contiennent pas de lien
C-C ou C-H, comme par exemple le carbone du CO2 atmosphérique ou celui des
calcaires CaCO3.

Le cycle global du carbone

La figure ci-dessous présente le cycle global du carbone et ses flux entre les quatre
sphères "superficielles" de la Planète: lithosphère, hydrosphère, biosphère et
atmosphère. Y est indiquée aussi la dimension des réservoirs de carbone impliqués,
exprimée en Gtc (Gtc = gigatonnes en équivalent carbone), c'est-à-dire en milliards
de tonnes métriques de carbone.
On y voit que le grand réservoir de carbone est constitué par les roches
sédimentaires. Un autre grand réservoir est l'océan; on verra qu'il s'agit en fait de
l'océan profond (plus de 100 mètres de profondeur). C'est dire que la pellicule
superficielle de la planète recèle relativement peu de carbone, mais ce carbone est ô
combien important pour la Vie et l'influence qu'il y exerce. Au niveau des flux
entre les réservoirs, on évalue que le temps de résidence d'un atome de carbone est
de 4 ans dans l'atmosphère, de 11 ans dans la biosphère, de 385 ans dans
l'hydrosphère superficielle (océan de 0 à 100 m), de plus de 100 Ka (milliers
d'années) dans l'océan profond et de quelques 200 Ma (millions d'années) dans la
lithosphère. Il est important de se rappeler de ces valeurs relatives dans toute
discussion sur l’impact des gaz à effet de serre, en particulier le CO2, sur les
changements climatiques et les échelles de temps impliquées.
Dans le cycle global du carbone, il y a une hiérarchie de sous-cycles opérant à
diverses échelles, de la décennie (le recyclage du CO2 par les plantes) aux centaines
de millions d'années (le recyclage du carbone organique par l'intermédiaire des
roches sédimentaires ou des hydrocarbures par exemple). Les processus physiques,
chimiques et biologiques agissent ensemble et sont si intimement liés qu'il devient
difficile de les départager. Pour fin de simplification, nous allons examiner
séparément le recyclage des deux types de carbone: le cycle du carbone organique
et celui du carbone inorganique. Il faut bien réaliser cependant que cette séparation
est artificielle et qu'en réalité ces deux cycles sont intimement liés. Mais elle est
susceptible d'aider à mieux comprendre un système très complexe.

Le cycle du carbone organique

Le cycle court du carbone organique

La figure qui suit résume les deux cycles, court et long, du Corg, avec un chiffrage
des flux et des réservoirs exprimé en Gtc.
Pour le cycle court, on parle de processus qui s'étalent sur des temps inférieurs au
siècle. Le processus de base du recyclage du carbone à court terme est le couple
photosynthèse-respiration, c'est-à-dire la conversion du Cinorg du CO2 en Corg par la
photosynthèse, et subséquemment l'inverse, la conversion du Corg de la matière
organique en Cinorg par la respiration. Il faut considérer trois réactions de base.

D'abord, la photosynthèse qui utilise l'énergie solaire pour synthétiser la matière


organique en fixant le carbone dans des hydrates de carbone (CH2O):

La matière organique est représentée ici par CH2O, la forme la plus simple
d'hydrate de carbone. En réalité, il s'agit de molécules beaucoup plus grosses et
plus complexes dont la base demeure les éléments C, H et O, mais auxquels
viennent se joindre d'autres éléments en faibles quantités comme l'azote (N), le
phosphore (P) et/ou le soufre (S). Cette partie de la matière organique correspond à
la productivité primaire, et les organismes impliqués (bactéries, algues et plantes)
sont les producteurs primaires. Ceux-ci captent l'énergie solaire et la transforment
en énergie chimique qu'ils stockent dans leurs tissus. Cette dernière est transférée
aux organismes consommateurs, incluant les animaux. Il est intéressant de noter
que dans la nature la biomasse des consommateurs est bien inférieure (ne comptant
que pour environ 1% de la masse totale) à celle des producteurs primaires.

Les consommateurs tirent leur énergie de celle qui est contenue dans les
producteurs primaires en ingérant leurs tissus et en respirant. La respiration est
l'inverse de la photosynthèse: à partir de l'oxygène libre O2, elle transforme toute
matière organique en CO2:

Il s'agit d'une réaction qui nécessite la disponibilité d'oxygène libre O 2. Dans la


nature, une partie de la matière organique est respirée (oxydée) par les animaux ou
les plantes elles-mêmes; une autre partie se retrouve dans les sols terrestres ou les
sédiments marins. La décomposition se fait sous l'action de micro-organismes,
bactéries et champignons. Ces micro-organismes forment deux groupes: ceux qui
utilisent l'oxygène libre O2 pour leur métabolisme, ce sont les aérobies, et ceux qui
utilisent l'oxygène des molécules de la matière organique même en absence
d'oxygène libre, ce sont les anaérobies. La décomposition aérobie produit du
CO2 (équation 2). Dans les milieux anoxiques (sans oxygène libre), les anaérobies
décomposent la matière organique par le processus de la fermentation.
La fermentation produit du dioxyde de carbone et du méthane (l'hydrocarbure le
plus simple, avec une seule molécule de carbone).

Ces deux gaz peuvent s'échapper dans l'atmosphère oxygénée. Le méthane, qui est
un gaz à effet de serre 20 fois plus efficace que le CO2, est alors oxydé et se
transforme rapidement en dioxyde de carbone. En fait, son temps de résidence dans
l'atmosphère n'est que de 10 ans, mais il ne faut pas oublier qu'il se transforme en
CO2, … ce qui n'est guère mieux pour notre planète. Une partie du méthane
demeure cependant dans le sédiment où il forme des réservoirs de gaz naturel (voir
section 3.3.2 - Les combustibles fossiles). On vient de découvrir (Science, v. 293,
juillet 2001) qu'un important volume de méthane est "bouffé" par des bactéries sur
les fonds océaniques mêmes. On est tenté d'ajouter: fort heureusement!

Le cycle long du carbone organique

Les processus discutés plus haut (photosynthèse, respiration, fermentation)


affectent le cycle du carbone organique, et en particulier l'équilibre du
CO2 atmosphérique, sur une échelle de temps inférieure au siècle. Sur des échelles
de temps beaucoup plus longues, ce sont les processus de nature géologique qui
deviennent les contrôles les plus importants, des processus qui agissent sur des
milliers et des millions d'années. Il s'agit de processus tels l'enfouissement des
matières organiques dans les sédiments et roches sédimentaires, leur transformation
en combustibles fossiles et leur altération (oxygénation) subséquente. Les flux de
carbone reliés à ces processus sont faibles; en revanche, les réservoirs sont
immenses (voir figure du cycle du carbone organique plus haut) et le temps
impliqué très long.

Le remplissage de l’immense réservoir que constituent les roches sédimentaires,


principalement les schistes, s'est fait petit à petit au cours des temps géologiques,
avec deux accélérations importantes, d’abord lors de l'explosion de la vie
métazoaire il y a quelques 600 Ma (millions d'années), puis lors de l’avènement de
la grande forêt il y a 360 Ma. Le flux de carbone est faible, mais s'étend sur une
longue période de temps. Il en est ainsi pour l'oxydation du réservoir de carbone qui
se trouve dans les kérogènes, hydrocarbures et charbons. Celle-ci s'est faite au gré
de l'exposition à l'air ou aux eaux souterraines oxygénées des roches sédimentaires
et de leur contenu, lorsque les mouvements tectoniques qui ont affecté la croûte
terrestre ont amené ces roches vers la surface. On évalue le temps de résidence du
carbone organique dans ce réservoir à plus de 200 millions d'années, soit en gros le
laps de temps correspondant au dépôt des sédiments et matières organiques dans un
bassin océanique, à l'enfouissement et la transformation des sédiments en roches
sédimentaires, et finalement le soulèvement et l'émergence lors de la formation
d'une chaîne de montagne. L'extraction et la combustion des pétroles, gaz et
charbons que nous pratiquons allègrement sont venues transformer une partie de ce
cycle long en cycle court.

Le cycle du carbone inorganique

On a vu que l'interaction photosynthèse-respiration-fermentation est le noeud du


cycle du carbone organique. Il y a cependant d'autres processus de recyclage du
carbone qui impliquent cette fois le carbone inorganique, entre autres, celui qui est
contenu dans le dioxyde (CO2) et dans les calcaires (CaCO3). Les réservoirs
importants de Cinorg sont l'atmosphère, les océans, ainsi que les sédiments et roches
carbonatées, principalement les calcaires CaCO3, mais aussi les dolomies
CaMg(CO3)2. Pour bien comprendre ce cycle, il est essentiel d'avoir d'abord
quelques notions de base sur la chimie du carbone inorganique dans l'eau.

La figure qui suit résume le cycle du carbone inorganique, en indiquant la


dimension des réservoirs (chiffres noirs) et les flux (chiffres rouges) entre ces
réservoirs.
L'échange entre le CO2 atmosphérique et le CO2 de la surface des océans a tendance
à se maintenir à l'équilibre. L'altération chimique des roches continentales convertit
le CO2dissout dans les eaux météoriques (eaux de pluies et des sols) en HCO3- qui
est transporté dans les océans par les eaux de ruissellement. Les organismes
combinent ce HCO3- au Ca2+ pour secréter leur squelette ou leur coquille de CaCO3.
Une partie de ce CaCO3 se dissout dans la colonne d'eau et sur les fonds
océaniques; l'autre partie s'accumule sur les planchers océaniques et est
éventuellement enfouie pour former des roches sédimentaires carbonatées. Ces
dernières sont ramenées à la surface après plusieurs dizaines de millions d'années
par les mouvements tectoniques reliés à la tectonique des plaques. Une partie du
carbone des roches carbonatées est recyclée dans les magmas de subduction et
retournée à l'atmosphère sous forme de CO2 émis par les volcans.

La chimie du carbone inorganique dans l'eau et le captage du CO2

Captage du CO2 et chimie du carbone inorganique (Cinorg) dans l'eau sont deux
sujets à toutes fins pratiques indissociables et sont traités ici ensemble.

Un premier niveau de captage du CO2 qui agit sur terre et dans l'océan est celui de
la photosynthèse qui transforme le Cinorg du CO2 en Corg et qui s'exprime par
l'équation suivante:

Un second niveau très important est la dissolution du CO 2 dans l'océan. Quand le


CO2 est dissout dans l'eau, qu'elle soit douce (terrestre) ou salée (océans), de l'acide
carbonique se forme:

Cet acide carbonique se dissocie en libérant ses atomes d'hydrogène. Quand son
premier atome est libéré, il se forme un ion bicarbonate:

Le pH de l'eau contrôle cette réaction. Si la concentration en H+ diminue, ce qui


correspond à une augmentation de pH, le rééquilibrage de l'équation entraîne une
réaction vers la droite et une plus grande quantité d'acide carbonique se dissocie. À
l'inverse, une augmentation de la concentration en H+ (soit une diminution du pH)
entraîne une réaction vers la gauche et forme H2CO3 au détriment de HCO3-.

Quand le second atome d'hydrogène de l'acide carbonique est libéré, le bicarbonate


HCO3- se transforme en carbonate CO32- selon:

Pour une concentration en H+ donnée, c'est-à-dire à un pH de l'eau donné, les


quantités relatives d'ions carbonates et bicarbonates s'ajustent jusqu'à l'atteinte de
l'équilibre. Un pH supérieur à 7 (on se rapellera que 7 est le pH neutre), favorise la
production des ions carbonates, alors qu'un pH inférieur à 7 favorise les ions
bicarbonates. De manière générale, les eaux marines sont alcalines (pH > 7) et les
eaux douces continentales sont acides (pH < 7).

La perturbation de cet équilibre, par exemple par la diffusion de CO 2 anthropique


de l'atmosphère vers l'océan, changera le pH de l'eau marine. Un changement de pH
affectera les concentrations relatives de l'acide carbonique H2CO3, des ions
bicarbonates HCO3- et des ions carbonates CO32- de la façon suivante: la dissolution
du CO2 forme de l'acide carbonique (réaction 2), et la dissociation de l'acide
carbonique produit des ions bicarbonates et hydrogènes (réaction 3), la production
de ces derniers entraînant un abaissement de pH. Les ions hydrogènes réagissent
alors avec les ions carbonates pour former d'autres ions bicarbonates (inverse de la
réaction 4, c'est-à-dire réaction vers la gauche). La réaction chimique exprimant le
captage d'un excès de CO2 par l'océan est la somme de ces trois réactions, soit:

Ainsi, à cause du fait qu'il y a conversion du carbone du CO2 en d'autres formes de


carbone, la capacité de l'océan à capter un excès de CO2 atmosphérique (par
exemple, anthropique) est augmentée par rapport à ce qu'elle serait s'il n'y avait
qu'un simple équilibre des pressions entre atmosphère et océan. Mais, il y a
une limite à cette capacité. Ce sont les ions carbonates CO32- qui tamponnent le pH
de l'eau marine et c'est leur quantité qui fixera la limite. À cet égard, deux choses
sont à considérer par rapport à la production de CO2 atmosphérique issue de la
combustion des pétroles et des charbons: 1) la capacité de tamponnage de l'océan
superficiel (de 0 à 100 mètres de profondeur) est très faible; 2) on évalue que
l'océan intermédiaire et profond (de 100 à 4000 mètres) contient une quantité d'ions
carbonates pour tamponner au plus 30% du réservoir actuel des combustibles
fossiles. La conclusion n’est pas des plus difficiles à tirer!
Une chimie semblable à celle des eaux océaniques s'applique à la dissolution du
CO2 dans les eaux de pluies (réactions 2 et 3), les rendant naturellement acides (pH
normalement entre 5 et 6, quand il n'est pas encore plus faible à cause de la
pollution). Ces eaux acides viennent altérer chimiquement les massifs rocheux
continentaux. Les produits de cette altération, une fois transférés dans le bassin
océanique par les cours d'eau, ont une influence sur la capacité de captage du
CO2 des océans.

L'altération chimique des deux grands types de minéraux, les silicates et les
carbonates (voir au point 2.1.4 les minéraux constitutifs de l’écorce terrestre), est
particulièrement significative. Un des produits d'altération important ici est l'ion
calcium Ca2+. Ce calcium est abondant chez les carbonates dont les deux principaux
minéraux sont la calcite CaCO3(carbonate de calcium) et la dolomite
CaMg(CO3)2 (carbonate de calcium et magnésium). Chez les silicates, on trouve du
calcium dans des minéraux comme les feldspaths plagioclases (Na,Ca)AlSi3O8 ou
les amphiboles comme la hornblende NaCa2(Mg,Fe,Al) 5(Si,Al)8O22 (OH)2. Pour
simplifier les écritures chimiques, nous allons utiliser la wollastonite CaSiO3 pour
représenter les silicates de calcium.

Lorsque soumis aux pluies (acides), ces deux groupes de minéraux se dissolvent,
les carbonates étant de loin les plus rapidement attaqués. Dans les deux cas, des
ions calcium et bicarbonates sont produits:

Chez les deux processus d'altération, des ions calcium Ca2+ et bicarbonates HCO3-
sont produits. Dans le cas des silicates calciques, l'altération produit en sus de la
silice. Calcium, bicarbonate et silice sont arrachés aux sols par l'érosion et
transportés vers l'océan par les cours d'eau. Ces trois produits viennent contribuer à
la charge sédimentaire des océans. Certains organismes comme les diatomées, les
radiolaires et les éponges utilisent la silice dissoute dans l'eau de mer pour secréter
leur squelette. Le gros des ions Ca2+ et HCO3- est utilisé par la plupart des autres
organismes marins à squelette minéralisé pour secréter un squelette ou une coquille
de carbonate de calcium (CaCO3, calcite ou aragonite); une autre partie des ions
Ca2+ et HCO3-, vient former abiotiquement du CaCO3, mais en volume beaucoup
plus faible par rapport à celui des squelettes des organismes. Cette précipitation du
carbonate de calcium, qu'elle soit biotiquement ou abiotiquement contrôlée, vient
soustraire à l'eau marine des ions Ca2+ et HCO3- selon la réaction inverse de la
réaction 6:
Cette production de CaCO3 modifie la chimie du carbone des océans en entraînant
deux choses: 1) une augmentation de la concentration en acide carbonique
(H2CO3 qui peut aussi s'écrire CO2 + H2O, selon l'équation 1) et, par voie de
conséquence, de celle du CO2; 2) une réduction de la concentration en ions
bicarbonates, ce qui signifie un abaissement du pH. L'augmentation de la
concentration en CO2 reliée à cette production de CaCO3 entraîne la création d'un
gradient entre l'océan et l'atmosphère qui favorise une diffusion du CO 2de l'océan
vers l'atmosphère.

En somme, on peut dire qu'une accélération de l'altération des carbonates et des


silicates continentaux (par exemple, par des pluies rendues plus acides par la
pollution) aura pour conséquence une augmentation de la production océanique de
CaCO3, qui entraînera une augmentation de la pression partielle de CO2 dans l'eau
de mer, qui entraînera à son tour une plus grande diffusion de CO2 dans
l'atmosphère à partir de l'océan, ce qui vient modérer cette capacité de l'océan à
capter un excès de CO2 atmosphérique dont on a discuté plus haut (réactions 2 à
5).

La modélisation n'est pas des plus simples, n'est-ce pas?

3.4.3 Le cycle de l'oxygène libre et le couplage CO2 - O2

Un cycle géochimique essentiel à la Vie sur terre est en grande partie contrôlé par
l'océan. Il s'agit du cycle de l'oxygène libre (O2). Si la vie a pu se maintenir et
proliférer à la surface du globe, c'est qu'elle a inventé un mécanisme de défense
contre ce poison violent pour elle qu'est l'oxygène, ainsi que la capacité d'exploiter
cette ressource. Ce mécanisme, c'est la respiration. En même temps qu'elle inventait
ce mécanisme, elle en devenait dépendante.

Même si le rayonnement UV brise les molécules de vapeur d’eau (H2O) et de


dioxyde de carbone (CO2) atmosphériques et produit ainsi de l’oxygène libre (O2),
cette production est insignifiante en volume. L’O2 est essentiellement un sous-
produit de la photosynthèse, ce processus qui, à partir du CO2 et de l'eau, utilise
l'énergie solaire pour fixer le carbone dans des hydrates de carbone (CH2O), la
matière des premières cellules végétales, ou encore des formes très simples de
bactéries. Cette réaction dégage de l'oxygène comme nous l’avons vu au point
précédent 3.4.2 et comme le répète l’équation au haut du schéma qui suit.
Le cycle de l’oxygène est donc un cycle court, attaché au cycle court du carbone
organique. Au niveau des continents, la végétation, comme par exemple celle des
grandes forêts, produit une certaine quantité d'oxygène grâce à l'activité de
photosynthèse des végétaux. Le bilan net, sur plusieurs années, d'une forêt mature
est pratiquement nul. C'est-à-dire qu'elle consomme autant d'oxygène qu'elle en
produit, ne fournissant aucune quantité significative supplémentaire d'oxygène à
l'atmosphère pour la respiration des animaux. C'est pourquoi il est faux de qualifier
la grande forêt amazonienne de poumon de la Terre. Il y a bien d'autres raisons de
vouloir protéger la forêt amazonienne, mais pas celle-là. C’est là une donnée
importante à considérer lorsqu’on parle de puits de carbone dans la problématique
actuelle des émissions de gaz à effet de serre.

C'est l'océan qui pratiquement à lui seul joue le rôle de régulateur de l'oxygène
atmosphérique. La composante végétale du plancton, le phytoplancton, produit de
l'oxygène grâce à la photosynthèse. Comme sur les continents, cet oxygène est
utilisé pour la respiration par la composante animale du plancton, le zooplancton, et
par les autres animaux marins, ainsi que pour l'oxydation de la matière organique.
Cependant, une partie seulement de la matière organique est oxydée, l'autre partie
se dépose au fond de l’océan et est incorporée dans les sédiments (voir au point
3.2.2 - les dépôts océaniques) où elle est gardée à l'abri de l'oxygène. Comme on l’a
vu plus haut (point 3.4.2), cette matière organique sera éventuellement ramenée à la
surface terrestre sous forme de combustibles fossiles, pétrole et charbon, ou de
kérogènes, beaucoup plus tard dans le cycle géologique. Finalement, une partie de
l'oxygène océanique est donc libérée dans l'atmosphère. Celle-ci est utilisée pour la
respiration des animaux terrestres et dans les divers processus d’oxydation, comme
celui du fer Fe2+. Dans une grande mesure, c’est donc le taux d’enfouissement du
carbone organique, ainsi que celui de l’oxydation des matériaux terrestres qui vont
contrôler le taux d’émission et la teneur en O2 dans l’atmosphère.

La courbe qui suit présente les variations de la teneur en oxygène libre de


l’atmosphère par rapport au niveau actuel pour les derniers 600 Ma. Elle est déduite
du taux d’enfouissement (séquestration) et d’altération du carbone organique et des
sulfures (pyrite) pour la même période tel qu’établi par le modèle mathématique de
R.A. Berner et D.E. Canfield (1989).

Bien que la marge d’erreur (zone en rose pâle) apparaisse relativement grande,
force est de reconnaître que les teneurs en oxygène atmosphérique ont varié durant
cette période de temps géologique et que le Carbonifère-Permien a connu une
augmentation importante.

Puisque l’oxygène atmosphérique est le produit de la photosynthèse et que cette


dernière utilise le dioxyde de carbone, il y a donc un couplage évident entre les taux
d’O2 et de CO2dans l’atmosphère. Plus la photosynthèse consommera du CO2, plus
elle émettra de l’O2. On devrait donc s’attendre à des augmentations sensibles de la
concentration atmosphérique en O2 durant les périodes de grande activité
photosynthétique. Si le tout est accompagné d’un enfouissement accéléré des
produits de la photosynthèse (= séquestration de carbone), moins d’oxygène libre
sera utilisé pour la respiration et plus la teneur en oxygène de l’atmosphère
augmentera. C’est ce qui s’est produit au Carbonifère-Permien avec l’avènement, à
la fin du Dévonien, des plantes vasculaires et la colonisation des surfaces
continentales par la grande forêt (voir au point 3.4.7).

3.4.4 Le cycle de l’azote

On a vu que la vie sur terre influence profondément la compositon de l’atmosphère


en produisant du dioxyde de carbone CO2 et du méthane CH4 à travers les
processus de la respiration et la fermentation reliés au recyclage du carbone. La Vie
a aussi influencé la composition de l’atmosphère à travers le recyclage d’un autre
élément, l’azote (N). Ce gaz est le premier en importance dans l’atmosphère
terrestre (78%). Il s’y trouve sous sa forme moléculaire normale diatomique N 2, un
gaz relativement inerte (peu réactif). Les organismes ont besoin d’azote pour
fabriquer des protéines et des acides nucléiques, mais la plupart ne peuvent utiliser
la molécule N2. Ils ont besoin de ce qu’on nomme l’azote fixée dans lequel les
atomes d’azote sont liés à d’autre types d’atomes comme par exemple à
l’hydrogène dans l’ammoniac NH3 ou à l’oxygène dans les ions nitrates NO3-. Le
cycle de l’azote est très complexe; le schéma suivant en présente une
simplification.
Trois processus de base sont impliqués dans le recyclage de l’azote: la fixation de
l’azote diatomique N2, la nitrification et la dénitrification.

La fixation de l’azote correspond à la conversion de l’azote atmosphérique en


azote utilisable par les plantes et les animaux. Elle se fait par certaines bactéries qui
vivent dans les sols ou dans l’eau et qui réussissent à assimiler l’azote diatomique
N2. Il s’agit en particulier des cyanobactéries et de certaines bactéries vivant en
symbiose avec des plantes (entre autres, des légumineuses). La réaction chimique
type est:

Dans les sols où le pH est élevé, l’ammonium se transforme en ammoniac gazeux:

La réaction nécessite un apport d’énergie de la photosynthèse (cyanobactéries et


symbiotes de légumineuses). Cette fixation tend à produire des composés
ammoniaqués tels l’ammonium NH4+ et son acide conjugé l’ammoniac NH3. Il
s’agit ici d’une réaction de réduction qui se fait par l’intermédiaire de substances
organiques notées {CH2O} dans l’équation 1.

La nitrification transforme les produits de la fixation (NH4+, NH3) en NOx (soient


NO2- et NO3-), des nitrites et nitrates. C’est une réaction d’oxydation qui se fait par
catalyse enzymique reliée à des bactéries dans les sols et dans l’eau. La réaction en
chaîne est de type:

soit:

La dénitrification retourne l’azote à l’atmosphère sous sa forme moléculaire N2,


avec comme produit secondaire du CO2 et de l’oxyde d’azote N2O, un gaz à effet
de serre qui contribue à détruire la couche d’ozone dans la stratosphère. Il s’agit
d’une réaction de réduction de NO3- par l’intermédiaire de bactéries transformant la
matière organique. La réaction est de type :
L’activité humaine contribue à l’augmentation de la dénitrification, entre autres, par
l’utilisation des engrais qui ajoutent aux sols des composés ammoniaqués (NH4+,
NH3) et des nitrates (NO3-). L’utilisation des combustibles fossiles dans les moteurs
ou les centrales thermiques transforme l’azote en oxyde d’azote NO2-. Avec N2 et
CO2, la dénitrification émet dans l’atmosphère une faible quantité d’oxyde d’azote
N2O. La concentration de ce gaz est faible, 300 ppb (parties par milliard).
Cependant, il faut savoir qu’une molécule de N2O est 200 fois plus efficace qu’une
molécule de CO2 pour créer un effet de serre. On évalue aujourd’hui que la
concentration en N2O atmosphérique augmente annuellement de 0.3% et que cette
augmentation est pratiquement reliée entièrement aux émissions dues à la
dénitrification des sols. Les études des carottes glaciaires de l’Antarctique ont
montré que la concentration en N2O atmosphérique était de 270 ppb à la fin du
dernier âge glaciaire (il y a 10 000 ans) et que cette concentration s’est maintenue à
ce niveau jusqu’à l’ère industrielle où elle a fait un bond pour atteindre son niveau
actuel de 300 ppb; une augmentation de 11%.

3.4.5 Le cycle du phosphore

Comme dans le cas de l’azote (N), le phosphore (P) est important pour la Vie
puisqu’il est essentiel à la fabrication des acides nucléiques ARN et ADN. On le
retrouve aussi dans le squelette des organismes sous forme de PO4. Dans la Terre
primitive, tout le phosphore se trouvait dans les roches ignées. C’est par l’altération
superficielle de ces dernières sur les continents que le phosphore a été
progressivement transféré vers les océans. On a calculé qu’il a fallu plus de 3 Ga
(milliards d’années) pour saturer les océans par rapport au minéral apatite
[Ca5(PO4)3OH], un phosphate. Le cycle du phosphore est unique parmi les cycles
biogéochimiques majeurs: il ne possède pas de composante gazeuse, du moins en
quantité significative, et par conséquent n’affecte pratiquement pas l’atmosphère. Il
se distingue aussi des autres cycles par le fait que le transfert de phosphore (P) d’un
réservoir à un autre n’est pas contrôlé par des réactions microbiennes, comme c’est
le cas par exemple pour l’azote.

Pratiquement tout le phosphore en milieu terrestre est dérivé de l’altération des


phosphates de calcium des roches de surface, principalement de l’apatite. Bien que
les sols contiennent un grand volume de phosphore, une petite partie seulement est
accessible aux organismes vivants. Ce phosphore est absorbé par les plantes et
transféré aux animaux par leur alimentation. Une partie est retournée aux sols à
partir des excréments des animaux et de la matière organique morte. Une autre
partie est transportée vers les océans où une fraction est utilisée par les organismes
benthiques et ceux du plancton pour secréter leur squelette; l’autre fraction se
dépose au fond de l’océan sous forme d’organismes morts ou de particules et est
intégrée aux sédiments. Ces derniers sont transformés progressivement en roches
sédimentaires par l’enfouissement; beaucoup plus tard, les roches sont ramenées à
la surface par les mouvements tectoniques et le cycle recommence.

Le schéma qui suit résume le cycle du phosphore.

Le phosphore est un élément limitant dans plusieurs écosystèmes terrestres, du fait


qu’il n’y a pas de grand réservoir atmosphérique de phosphore comme c’est le cas
pour le carbone, l’oxygène et l’azote, et que sa disponibilité est directement liée à
l’altération superficielle des roches. Il n’est pas clair si cette limitation est
applicable à l’océan, mais la plupart des chercheurs considèrent qu’elle le serait sur
une longue échelle de temps. L’activité humaine intervient dans le cycle du
phosphore en exploitant des mines de phosphate, en grande partie pour la
fabrication des fertilisants. Ajoutés aux sols en excès, les phosphates sont drainés
vers les systèmes aquatiques. Puisque le phosphore est souvent un nutriment
limitatif dans les rivières, les lacs et les eaux marines côtières, une addition de
phosphore dans ces systèmes peut agir comme fertilisant et générer des problèmes
d’eutrophisation (forte productivité biologique résultant d’un excès de nutriments).

3.4.6 Le cycle du soufre

Tout comme l’azote et le phosphore, le soufre est un élément essentiel à la Vie. À


l’origine de la Terre, le soufre était contenu dans les roches ignées, principalement
dans la pyrite (FeS2). Le dégazage de la croûte terrestre et subséquement
l’altération sous des conditions aérobies ont transféré à l’océan une grande quantité
de soufre sous la forme de SO42-. Quand SO4 est assimilé par les organismes, il est
réduit et converti en soufre organique qui est un élément essentiel des protéines.
Comme dans le cas de l’azote, les réactions microbiennes sont déterminantes dans
le cycle du soufre.

La compréhension du cycle global du soufre acquiert une grande importance pour


l’économie minérale et dans le débat sur les changements climatiques et la
pollution atmosphérique. Plusieurs métaux, dont le cuivre, le zinc, le plomb, sont
extraits des sulfures des dépôts hydrothermaux. Dans certains cas, des réactions
microbiennes sont utilisées pour concentrer des sulfures métalliques à partir de
solutions diluées. Le soufre est un constituant important des pétroles et des
charbons et leur combustion libère du dioxyde de soufre SO2 dans l’atmosphère.
Pouvoir départager les sources naturelles des sources anthropiques des composés
du soufre dans l’atmosphère est fondamental pour cerner les causes des pluies
acides et leur impact sur les écosystèmes.

Les composés du souffre sont multiples. Les principaux sont les suivants:

a) dans l’atmosphère, à l’état gazeux:

 le soufre réduit comme dans le diméthylsulfure (acronyme: DMS) dont la


formule chimique est CH3SCH3 et le carbonyl de sulfure COS,
 le dioxyde de soufre SO2,
 les sulfates en aérosols SO4.

b) dans les systèmes aquatiques: les composés majeurs sont les sulfates dissouts
SO4-

c) dans les sédiments et les roches sédimentaires:

 les sulfures métalliques, surtout la pyrite FeS2,


 les évaporites: gypse CaSO4. nH2O et anhydrite CaSO4,
 les matières organiques.

Le schéma qui suit résume à grands traits le cycle global du soufre.


Au niveau du cycle océanique, le DMS est un produit naturel issu de la
décomposition des cellules du phytoplancton dans la couche supérieure de l’océan.
Il s’échappe dans l’atmosphère pour former moins de 1% de la totalité des gaz
atmosphériques. Néanmoins, il a une influence sur les climats. En quelques jours, il
est oxydé en dioxyde (SO2), puis en sulfate (SO4) qui condense en minuscules
particules aérosols. Celles-ci agissent comme noyaux pour la formation de gouttes
de pluie et de nuages. Ces nuages vont réfléchir une partie du rayonnement solaire
et ainsi tempérer le réchauffement de la Planète. Mais ils vont aussi éventuellement
contribuer à des précipitations acides à cause de la réaction des aérosols avec la
vapeur d’eau et les radiations solaires.

Le carbonyl de sulfure COS est produit à partir des sulfures organiques dissouts
dans l’eau de mer et acquis en partie de l’érosion continentale. Il s’échappe par la
surface des océans vers l’atmosphère. Il est inerte dans la troposphère, mais
s’oxyde en sulfates dans la stratosphère pour former une couche tout autour de la
Planète. Tout comme les nuages de la troposphère, cette couche de sulfates en
aérosols va réfléchir une partie du rayonnement solaire, avec le même effet de
modération sur la chauffe de la Planète.

Une autre influence naturelle importante sur le cycle du soufre est celle des
volcans. Parmi les gaz qu’ils émettent jusque dans la stratosphère, il y a les sulfates
SO4 en aérosols qui viennent s’ajouter à ceux qui sont issus du COS. Couplées aux
émissions de cendres créant un effet de voile, ces émissions de sulfates peuvent
résulter en des refroidissements à très court terme. Ainsi, on évalue que le Pinatubo
aux Philippines qui a fait éruption en 1991 a abaissé la température planétaire
moyenne de 1 °C pendant une année dû à l’effet combiné des émissions de cendres
et de SO4.

Au niveau des continents, l’altération et l’érosion des sulfures métalliques, ainsi


que le transport de poussières de sulfates (gypse et anhydrite) dans les déserts
transfèrent du soufre aux océans. Les gaz biogéniques des sols anaérobies et des
marécages contiennent aussi du H2S, ainsi que du DMS et COS en moindre
quantité, lesquels sont libérés dans l’atmosphère. Mais la plus grande contribution
en composés sulfurés vient de la combustion des pétroles et des charbons qui
contiennent pratiquement toujours du soufre. Ce sont des émissions de sulfates SO4,
mais surtout de dioxyde de soufre SO2. Ce dioxyde sous l’effet des radiations
solaires se combine avec la vapeur d’eau et les radicaux OH pour former de
minuscules gouttes de H2SO4 (acide sulfurique), un processus en partie responsable
des pluies acides. Le flux anthropique de ces gaz excède par endroits de beaucoup
le flux naturel. On peut dire que globalement le flux principal dans l’échange de
soufre entre la surface de la Planète et l’atmosphère est celui d’origine anthropique
relié à la combustion des hydrocarbures et des charbons.

3.4.7 Les grands cycles biogéochimiques: perspective historique

Dans les sections précédentes (3.4.1 à 3.4.6), on a examiné les grands cycles
biogéochimiques surtout tel qu’ils fonctionnent présentement. Notre planète a une
histoire de 4,56 Ga (milliards d’années). Ces cycles n’ont pas tous commencé au
début de cette histoire, pas plus qu’ils n’ont fonctionné comme ils le font
aujourd’hui. Pour bien comprendre comment a évolué le système Terre, il est
important d’étudier ces grands cycles biogéochimiques dans la perspective du
temps géologique. Nous verrons que cette histoire met en évidence l’intervention
prépondérante de la Vie dans ces cycles.

L’Hadéen: de -4,56 à -4,03 Ga

On nomme Hadéen cette période des tous débuts de la Terre dont nous ne
possédons aucun vestige rocheux. Les archives de l’histoire géologique de notre
planète sont les roches, et puisque la roche la plus vieille connue a été datée à 4,03
Ga, l’histoire géologique documentée dans les roches commence donc à 4,03 Ga,
avec la période archéenne (voir 4.1.3 Le calendrier géologique)

C’est durant l’Hadéen que poussières cosmiques, astéroïdes, météorites et


planétoïdes se sont entrechoqués et agglomérés pour former la Terre primitive. Les
météorites que nous recueillons aujourd’hui nous donnent des indications sur l’âge
et la composition primaire de la Planète. La température devait être très élevée, à
cause des chocs de collision et de la dégradation radioactive de certains éléments
des minéraux (uranium, thorium, potassium) du matériel originel, résultant en un
océan de magma. La différenciation par densité de ce matériel en fusion a fait en
sorte que le matériel le plus dense (fer, nickel) s’est enfoncé vers le centre sous
l’effet de la gravité pour former le noyau, que le matériel un peu moins dense
(minéraux ultramafiques) a formé une épaisse couche autour du noyau, le manteau,
et que le matériel le plus léger (minéraux mafiques à felsiques) a formé une mince
pellicule externe, la croûte. C’est ainsi qu’on a obtenu une terre zonée.

Combien de temps a-t-il fallu pour que se complète cette accrétion et


différenciation terrestre? La Terre a commencé à se former il y a 4,56 Ga. Cet âge
du début de la formation de la Terre correspond à celui des météorites. D’une taille
initiale égale à un planétoïde d’une dizaine de kilomètres, on évalue qu’il a fallu
quelques 120 à 150 Ma (millions d’années) pour qu’elle atteigne sa taille actuelle,
soit entre -4.41 et -4.45 Ga. Les continents apparurent plus tard, vers la fin de la
différenciation. Ils sont les seuls qui gardent la mémoire des premiers temps de
l’histoire terrestre, les planchers océaniques étant perpétuellement détruits dans les
zones de subduction. Comme mentionné plus haut, l’âge de la plus vieille roche
connue est de 4,03 Ga. Cependant, on a découvert dans des roches légèrement plus
jeunes dans l’ouest de l’Australie des zircons, minéral presque indestructible, d’âge
se situant entre -4,1 et -4,2 Ga. La présence de ce minéral recyclé dans les roches
en question indique qu’il y avait une ou des surfaces continentales il y a 4,1 ou
même 4,2 Ga, soit peut-être quelques 200 Ma seulement après la fin de l’accrétion
terrestre.

Le dégazage de cette Terre primitive a probablement formé une première


atmosphère composée d’hydrogène (H), argon (Ar), azote (N), néon (Ne) et hélium
(He). Cependant, la faible teneur de la Terre en ces éléments suggère que cet
atmosphère a été rapidement perdue, possiblement balayée par les vents solaires.
Le dégazage subséquent du manteau à travers les volcans, qui devaient être
beaucoup plus nombreux à l’époque, a produit une seconde atmosphère ou
prédominaient l’azote (N), le dioxyde de carbone (CO2) et la vapeur d’eau (H2O),
avec du dioxyde de soufre (SO2) et peut-être du chlorure d’hydrogène (HCl), de
l’ammoniac (NH3) et du méthane (CH4), une atmosphère plus dense que celle
d’aujourd’hui. On peut aisément penser que c’était là une planète nettement hostile
à la Vie.

Cette Terre primitive s’est progressivement refroidie. L’eau qui ne se trouvait que
sous forme de vapeur dans l’atmosphère à cause des températures supérieures à
100°C a commencé à condenser et à tomber en pluie lorsque les températures sont
passées sous les 100°C. Les gaz atmosphériques se sont dissouts dans ces gouttes
de pluie pour former des acides carbonique (H2CO3), nitrique (HNO3), sulfurique
(H2SO4) et chloridrique (HCl), produisant des pluies acides. Ces dernières sont
venues altérer chimiquement la toute nouvelle croûte terrestre silicatée. Il en est
résulté la formation des premiers sédiments. Ces réactions chimiques ont
commencé à changer l’atmosphère, entre autres par le captage du CO 2 relié à
l’altération chimique, un processus discuté au point 3.4.2.

On ne sait trop si la Vie est apparue dans ce contexte de la fin de l’Hadéen. Les
premières preuves de sa présence sur terre remonte à il y a 3,76 Ga, donc à
l’Archéen.

L’Archéen: de -4,03 à -2,5 Ga

Astronomes et astro-physiciens considèrent qu’au début de l’Archéen la luminosité


du Soleil, et partant l’énergie transmise à la Terre par rayonnement solaire, était de
75% celle d’aujourd’hui. Si la composition de l’atmosphère avait été semblable à
celle d’aujourd’hui, la Terre aurait été une boule de glace. La seule façon de
résoudre ce dilemme est de considérer que l’atmosphère du début de l’Archéen était
plus riche qu’aujourd’hui en gaz à effet de serre, tels la vapeur d’eau, le dioxyde de
carbone CO2, le méthane CH4, l’ammoniac NH3 et/ou l’oxyde nitreux N2O. Pour
diverses raisons, les chercheurs dans ce domaine considèrent aujourd’hui que les
gaz à effet de serre dominants étaient la vapeur d’eau et le CO2, avec peut-être du
méthane. On évalue que la concentration en CO2 était 100 fois plus élevée
qu’aujourd’hui et que la température devait se situer autour de 60°C. Il n’y avait
pas d’oxygène libre O2 dans l’atmosphère au début de l’Archéen.

Un tournant critique dans l’histoire des températures terrestres est qu’il a fallu que
se fasse l’élimination d’une partie de ce CO2 atmosphérique, sinon la Terre serait
devenue aussi chaude que Vénus à cause de l’effet de serre causé par ce gaz. Le
captage du CO2 s’est fait grâce à la précipitation de calcaires (CaCO3) et du dépôt
des matières organiques primitives, le tout progressivement stocké dans les roches
sédimentaires (voir au point 3.4.2).

On évalue à quelques 50.106 Gtc le carbone présentement stocké dans les roches
sédimentaires. Tout ce carbone a été soustrait au CO2 atmosphérique. Compte tenu
des taux d’altération et du transport et dépôt des produits de cette altération (Ca2+,
HCO3-, SiO2), on peut calculer qu’il aurait fallu un temps inférieur au milliard
d’années (plusieurs centaines de millions d’années tout de même) pour stocker
toute cette quantité de carbone. À ce rythme, l’atmosphère aurait été vidée de son
CO2 bien avant la fin de l’Archéen (celui-ci a duré 1,5 Ga), et la Terre devenue une
boule de glace. Il faut donc qu’une certaine quantité de CO2 ait été retournée à
l’atmosphère pour maintenir cet effet de serre si nécessaire au maintien de l’eau
liquide à la surface du Globe. Le mécanisme responsable de ce retour de CO2 à
l’atmosphère est la tectonique des plaques qui recycle perpétuellement les
planchers océaniques dans les zones de subduction où, sous des températures et des
pressions élevées, le CaCO3 et le SiO2 stockés dans les sédiments et les roches se
métamorphisent en silicates (CaSiO3), une réaction qui dégage du CO2. Les
matières organiques, aussi séquestrées dans les roches et sédiments, dégagent aussi
du CO2 dans ces conditions. Tout ce CO2 est retourné à l’atmosphère grâce aux
volcans. Il s’agit donc là d’un cycle long du carbone qui fonctionne depuis le début
de l’Archéen, soit depuis 4 Ga, et qui régule le CO2atmosphérique.

Il y a donc une relation entre les concentrations en CO2 de l’atmosphère et la


tectonique des plaques. Ces concentrations vont varier avec les variations dans
l’activité de la tectonique des plaques. En somme, on peut dire que ce qui a rendu et
qui rend encore notre terre habitable, c’est bien sûr sa position par rapport au soleil
(ni trop près, ni trop loin), mais aussi la tectonique des plaques.

On ne sait trop à quel moment la Vie est apparue à l’Archéen, mais on a de bonnes
raisons de croire qu’elle était déjà sur terre il y a 3,76 Ga comme en témoignent les
roches du Groupe d’Isua au Groenland (voir 4.3.2 La longue vie solitaire des
bactéries pour plus de détails). Parmi les premières bactéries apparues, il y avait les
pourpres et les vertes, capables d’oxyder le soufre réduit (S2- dans les sulfures
comme la pyrite FeS2) en sulfate (SO42-, comme dans l’anhydrite CaSO4). Ces
bactéries furent donc reponsables de la dissolution de sulfates dans l’hydrosphère,
dès les premiers temps de l’Archéen, une première modification du milieu physico-
chimique par des organismes vivants. La production d’oxygène libre O2 a
commencé avec l’arrivée des premières bactéries capables de faire la
photosynthèse, les cyanobactéries, qu’on appelle aussi les algues bleues-vertes.
Celles-ci nous sont connues comme fossiles dans les roches sédimentaires, à partir
de -3,5 Ga (3500 Ma). C’est le début du cycle court du carbone. La production
d’O2 est minime à l’Archéen, mais prendra son essor au Protérozoïque. C’est aussi
le début de la formation de la couche d’ozone (O3) bloquant les UV.

Le Protérozoïque: de -2,5 Ga à -544 Ma

Au début du Protérozoïque, la production d’oxygène libre est encore faible et


l’atmosphère est réductrice. Les stromatolites, ces colonnes de CaCO3 construites
par les cyanobactéries, avaient commencé leur développement à l’Archéen (autour
de -3,5 Ga); ils vont prendre énormément d’expansion au Protérozoïque et
contribuer à soustraire du CO2de l’atmosphère grâce à la photosynthèse effectuée
par les cyanobactéries et à stocker du carbone dans le CaCO3 dont ils sont
constitués (voir Stromatolites).

Les températures terrestres n’ont pas toujours été constantes. La surface de la


Planète a connu des alternances de périodes chaudes et de périodes froides. En
anglais, on a désigné les périodes chaudes de « greenhouse » et les froides de «
icehouse », deux termes imagés que je me permets de traduire par « planète-serre »
et « planète-igloo ». On verra plus loin qu’il y a encore plus froid que planète-igloo,
la planète « boule de neige »! Pour toute l’histoire géologique, on a documenté cinq
grandes périodes de planète-igloo qui se sont traduites chacune par une ou plusieurs
glaciations:
 autour de -2,3 Ga (glaciation huronnienne),
 entre -1 Ga et -544 Ma, avec quatre maxima dont les périodes sturtienne,
Varanger et sinienne,
 à la fin de l'Ordovicien, à -450 Ma,
 au Carbonifère, circa -300 Ma,
 depuis la fin du Pliocène, il y a 2 Ma.

C’est dire que nous sommes présentement dans une période de planète-igloo (voir
Le Grand Âge Glaciaire en Amérique au point 3.1.2).

Ces alternances de planète-serre et de planète-igloo ont eu une profonde influence


sur le cycle de l’eau (voir au point 3.4.1). Elles constituent aussi un bel exemple de
rétroaction négative qui en fait explique en partie l’existence de ces alternances.

 En période de réchauffement vers une planète-serre, l’atmosphère contient


de plus en plus de vapeur d’eau, ce qui entraîne une suite de réactions en
chaîne: augmentation des pluies sur les continents, augmentation de
l’altération chimique des silicates, augmentation de la production et de
l’apport dans les océans de Ca2+, HCO3- et SiO2, augmentation de la
précipitation de CaCO3, augmentation du stockage du carbone dans les
sédiments et roches sédimentaires, ce qui en bout de ligne constitue un
captage du carbone et une diminution de la concentration de
CO2 atmosphérique, laquelle résulte en une diminution de l’effet de serre et
un refroidissement du climat conduisant à une planète-igloo.
 En période de refroidissement vers une planète-igloo, moins de vapeur
d’eau dans l’atmosphère cause une diminution de l’altération chimique,
d’où une diminution du captage du CO2 atmosphérique par l’altération. Le
carbone stocké dans le CaCO3 des sédiments et roches sédimentaires
durant la période de planète-serre précédente sera englouti dans les zones
de subduction et retourné à l’atmosphère sous forme de CO2 par les
volcans, d’où une augmentation de l’effet de serre et des températures, et
le retour à une planète-serre.
Deux périodes de planète-igloo ont marqué le Protérozoïque. La première, autour
des -2,3 Ga, correspond à une période de glaciation majeure, la Glaciation
huronnienne. Deux causes sont invoquées pour expliquer cette glaciation: a) la
prolifération massive des stromatolites à compter de -2,5 Ga qui a abaissé
drastiquement la concentration en CO2 de l’atmosphère et par conséquent a
diminué de façon importante l’effet de serre; b) une diminution dans l’activité de
la tectonique des plaques entraînant une diminution des émissions de CO2 par les
volcans.

La seconde période de planète-igloo du Protérozoïque correspond, en gros, au


temps Néoprotérozoïque (entre -1000 et -544 Ma), une longue période froide qui
aurait duré plus de 450 Ma. Plus précisément, elle a été marquée par quatre
glaciations importantes: vers -940 Ma, de -760 à -700 Ma (Glaciation sturtienne),
de -610 à -580 Ma (Glaciation Varangar ou marinoenne) et la dernière vers -550
Ma (Glaciation sinienne) au tournant du Précambrien-Cambrien. Cette dernière fut
plutôt douce, mais l’avant-dernière, la Varanger, aurait été particulièrement sévère;
certains y réfèrent comme une période de « terre boule de neige » qui a sévi
pendant une trentaine de millions d’années.

Durant la période allant de -2,2 à -1,6 Ga, le Protérozoïque a connu le dépôt d’un
volume exceptionnel de roches sédimentaires riches en fer dans lesquelles le fer se
trouve sous sa forme oxydée Fe3+, comme par exemple dans le minéral hématite
Fe2O3. Ces roches qu’on appelle « formations de fer » constituent la source de 90%
du fer qu’on extrait des mines. La présence de ces formations de fer indique le
début de l’oxygénation de l’atmosphère-hydrosphère. On a vu que durant tout
l’Archéen, l’atmosphère était à toute fin pratique réductrice, ce qui est aussi vrai
pour l’hydrosphère. Le gros des eaux de la Planète était anoxique, avec un énorme
volume en fer réduit Fe2+ en solution. Les premières venues d’oxygène libre dans
l’atmosphère au tout début du Protérozoïque grâce à la photosynthèse des
cyanobactéries a oxydé les couches superficielles de l’hydrosphère, transformant le
Fe2+ en Fe3+. Ce dernier n’est pas soluble dans l’eau et par conséquent a précipité
sous forme solide dans les formations de fer. Cette précipitation a consommé de
l’oxygène libre et a sans doute ralenti pour un temps l’oxygénation de
l’atmosphère. Voir aussi L’oxygénétion de l’atmosphère).

Vers -1,4 Ga, sont apparues les eucariotes, de nouvelles cellules à noyau, aérobies
(tolérant l’oxygène libre) et capables de photosynthèse, comme les algues
unicellulaires. Elles sont responsables d’une oxygénation rapide de l’atmosphère,
étant beaucoup plus efficaces que les cyanobactéries pour produire de l’O2.
(N’oublions pas que ces formes de vie existent toujours et qu’on peut comparer
leurs « performances » respectives). On évalue que l’atmosphère avait atteint son
taux actuel en oxygène libre à la fin du Protérozoïque.
Le Protérozoïque se termine avec un réchauffement du climat terrestre. Le
mégacontinent Rodinia (voir La période Protérozoïque au point 4.2.1 Les temps
précambriens) se fragmente vers les -650 Ma et l’activité de la tectonique des
plaques est grande, ce qui entraîne une augmentation de la concentration en CO2 de
l’atmosphère et amorce en conséquence un réchauffement planétaire qui prendra
effet au tout début du Phanérozoïque.

Le Phanérozoïque: les derniers 544 Ma

L’histoire des cycles biogéochimiques et des grands changements climatiques est


beaucoup mieux connue qu’aux temps précédents. La raison tient dans une bien
meilleure connaissance des séquences sédimentaires, dans l’abondance et la
diversité des fossiles qui aident à comprendre les paléomilieux et à dater plus
facilement les couches géologiques et à la résolution beaucoup plus fine des
datations, le tout permettant de mieux comprendre la paléogéographie et son
évolution dans le temps.

http://www.scotese.com/sitemap.htm. On y trouve une série de cartes


paléogéographiques (les mêmes qui sont présentées aux points 4.2.2 et 4.2.3) et de
cartes paléoclimatiques pour tout le Phanérozoïque.

On peut résumer ainsi l’histoire climatique du Phanérozoïque:

 la première demie du Paléozoïque (Cambrien à Dévonien; de -544 à -360


Ma) fut une période de planète-serre, si on exclut une brève période de
glaciation à la fin de l'Ordovicien (voir plus bas),
 la seconde demie du Paléozoïque et le tout début du Mésozoïque
(Carbonifère, Permien et tout début Trias : de -360 à -240 Ma) ont constitué
la 3ème période de planète-igloo,
 le gros du Mésozoïque (-240 à -65 Ma) fut un retour à une période de
planète-serre,
 le Cénozoïque (-66 Ma à aujourd’hui) amorça la 4ème période de planète-
igloo sur laquelle nous vivons présentement.

Le diagramme qui suit présente les variations de la teneur en CO2 atmosphérique


durant le Phanérozoïque. Il s’agit de la courbe connue sous le nom de GEOCARB II,
basée sur un modèle mathémathique et analytique établi par Robert A. Berner en
1994 (Am. Jour. Science) et 1997 (Science). On y voit le nombre et la répartition
des points qui ont servi à construire la courbe, ainsi que la marge d’erreur reliée à
la méthode. RCO2 exprime une proportion, c’est-à-dire le nombre de fois le niveau
actuel du CO2 atmosphérique (soit 300 partie par million, valeur d’avant l’ère
industrielle). Exemple: à l’Ordovicien, le niveau de CO2 a été jusqu’à 22 fois plus
élevée que juste avant l’ère industrielle.

Deux courbes des températures de surface se superposent à cette courbe, l’une (la
droite orangée) calculée uniquement en fonction de la variation dans le temps de
l’intensité du rayonnement solaire, sans tenir compte de la présence de CO2, l’autre
(bleue) calculée en tenant compte de la variation temporelle de l’intensité du
rayonnement solaire, couplée aux teneurs en CO2 atmosphérique (effet de serre).

Les faits saillants de la courbe du CO2 durant les quelques derniers 600 Ma sont les
suivants: 1) la concentration atmosphérique de CO2 fut plus élevée dans la première
demie du Paléozoïque qu’elle ne le fut pour les derniers 400 Ma; 2) le Carbonifère-
Permien a connu une chute drastique du niveau de CO2 atmosphérique; 3) après
cette chute, les niveaux de CO2 ne sont jamais remontés à leur position du début du
Paléozoïque; 4) les niveaux de CO2 baissent progressivement depuis le Trias, avec
une accélération à partir du Cénozoïque.

La forte concentration de l’atmosphère en CO2 durant la période du Cambrien au


Dévonien est due au fait que l’activité de la tectonique des plaques était assez
élevée, entraînant un dégazage en CO2 par les volcans, et que le captage du
CO2 atmosphérique était limité. En fait, le seul puits de carbone significatif à cette
époque était relié au processus de l’altération superficielle des silicates
continentaux qui, par captage du CO2 atmosphérique, conduisait au stockage du
carbone dans le CaCO3 des sédiments et roches sédimentaires marines, un
processus dont nous avons discuté plus haut. La production biologique primaire
était pratiquement limitée à la vie marine à cette époque et par conséquent le
volume de matière organique pouvant être stoké était peu important.

C’est l’avènement des plantes vasculaires à racines et la colonisation de vastes


surfaces continentales à la fin du Dévonien qui a sérieusement modifié le décors et
accéléré le stockage du carbone, de deux manières. D’abord par l’action des racines
des plantes vasculaires qui accélèrent l’altération chimique des silicates en
profondeur dans les sols et captent ainsi le CO2 atmosphérique, libérant une
quantité de produits beaucoup plus grande que précédemment et augmentant
substantiellement le stockage du carbone dans les sédiments et roches
sédimentaires marines. Puis, cette végétation terrestre a produit une énorme
quantité de matière organique qui est venue s’accumuler dans les marécages et les
zones côtières marines. Les décomposeurs (bactéries, champignons) capables
d’oxyder cette nouvelle matière organique (entre autres les lignines) n’étaient pas
encore apparus sur terre à cette époque; ils ne viendront que plus tard, au
Mésozoïque. En effet, l’oxydation de la lignine dans la biosphère actuelle est
assurée par les champignons supérieurs dont les plus anciens fossiles connus
remontent au Trias. Ce qui fait que ces matières se sont accumulées, ont été
progressivement transformées en charbon et ont constitué un véritable tonneau des
Danaïdes, un puits de carbone sans fond. Le Carbonifère-Permien contient le gros
des réserves en charbon de la Planète. De là cette chute drastique du niveau de
CO2 à la fin du Dévonien et le maintien d’un bas niveau tout au long du
Carbonifère-Permien.

À la fin du Permien - début du Mésozoïque, c’est la Pangée. Les surfaces


continentales sont vastes, car le niveau marin est bas. Le puits de carbone de
l’altération superficielle fonctionne encore bien. Mais le début du Mésozoïque est
une période de forte activité tectonique: c’est la fragmentation de la Pangée et
l’ouverture de l’Océan Atlantique. Le dégazage au niveau des dorsales et des
volcans de zone de subduction est intense et émet une grande quantité de CO 2. Le
niveau de CO2 atmosphérique se reconstruit, mais ne reviendra pas à son niveau de
la première demie du Paléozoïque. L’altération continentale à travers les pluies
acides et les racines des plantes va continuer à agir comme puits de carbone, mais
les nouveaux décomposeurs des végétaux terrestres vont contribuer à diminuer
énormément le stockage du carbone sous forme de charbon.

À partir de - 80 Ma, on note une chute significative du niveau de


CO2 atmosphérique. On sait qu’il y a une nette diminution de l’activité tectonique
aux dorsales médio-océaniques à partir de ce moment, ce qui aurait diminué les
émissions de CO2 reliées au dégazage par les volcans. Cependant, cette diminution
de l’activité tectonique n’est sans doute pas suffisante pour expliquer la chute plus
importante à partir de -30 Ma. Une hypothèse récente relie cette chute à la collision
de l’Inde avec l’Asie. Cette collision a créé une gigantesque chaîne de montagnes,
l’Himalaya, avec au nord des terrains surélevés, le plateau du Tibet. Les nouveaux
reliefs de la chaîne auraient offert des surfaces rocheuses facilement érodables et
altérables chimiquement, contribuant efficacement au captage du CO2. En même
temps, le soulèvement du plateau tibétain aurait favorisé les grandes pluies
saisonnières (mousson) et fourni l’eau nécessaire à l’altération chimique au front de
l’Himalaya. Ce serait là un autre exemple de l’implication de la tectonique des
plaques dans un des grands cycles biogéochimiques. Finalement, les glaciations des
2 derniers Ma (Pléistocène) ont contribué au captage du CO2 atmosphérique et son
piégeage dans les sédiments marins en offrant à l’altération chimique de plus
grandes surfaces continentales durant les périodes de bas niveaux marins (jusqu’à -
135 mètres).

Il y a une corrélation assez évidente entre la courbe des variations des niveaux de
CO2 et celle des variations des températures. Le rôle du CO2 en tant que gaz à effet
de serre apparaît bien démontré ici. Point n’est besoin d’élaborer longuement sur ce
sujet. Si les températures du Mésozoïque se retrouvent au même niveau que celles
de la première demie du Paléozoïque pour une teneur atmosphérique en CO2 bien
inférieure, c’est qu’il y a eu, au Mésozoïque, une augmentation dans l'intensité du
rayonnement solaire (courbe orangée).

Un événement climatique important qui n’a pas été détecté par le modèle de la
courbe des températures est une brève période de glaciation qui eut lieu à la fin de
l’Ordovicien. Cette glaciation est bien documentée par la présence de dépôts
glaciaires (tillites) sur les masses continentales qui se situaient à l’époque au pôles
sud (voir carte paléoclimatique du milieu et fin Ordovicien de Scotese
à http://www.scotese.com/mlordcli.htm). Elle est aussi fort probablement
responsable d’une des cinq grandes extinctions de masse (voir L'extinction de la fin
de l'Ordovicien à la section 4.3.3 sous Les grands chambardements de la vie: les
extinctions de masse ).

La 3ème période de planète-igloo a conduit à un âge glaciaire important, les


glaciations permo-carbonifères. Celles-ci nous sont connues par les nombreux
dépôts glaciaires qui ont été répertoriés sur la grande masse continentale qu’était la
Pangée, principalement dans l’hémisphère sud, du pôle juqu’à la frontière entre les
zone tempérée et tropicale (voir carte paléoclimatique du Permien de Scotese
à http://www.scotese.com/epermcli.htm). On se souviendra que la distribution de
ces dépôts a été utilisée par Alfred Wegener comme l’un des arguments appuyant
l’idée d’une ancienne Pangée et de la dérive des continents (voir Les traces
d’anciennes glaciations à la section 1.1 La dérive des continents).

Finalement, la 4ème période de planète-igloo s’est amorcée avec le Cénozoïque, et


sa première grande glaciation (le stade glaciaire Nébraskien) a débuté il y a 2 Ma.
Nous vivons depuis dans ce Grand Âge Glaciaire. Il y a fort à parier que nous
sommes présentement dans un stade interglaciaire, attendant une prochaine
englaciation, ... à moins que nos émissions accélérées de CO2 atmosphérique amène
un réchauffement si important qu’il mettra fin à cette 4ème période de planète-igloo
et amorcera une nouvelle période de planète-serre! Allons voir au point suivant.

4.3.2 La longue vie solitaire des bactéries et des algues

Si nos archives géologiques, c'est-à-dire les roches, ne nous ont pas donné la
réponse quant à l'origine de la vie, elles nous renseignent sur la façon dont cette vie,
une fois implantée, s'est développée. Elles nous renseignent sur au moins quatre
points importants:

 quelles ont été les premières formes de vie, du moins celles qui ont été
conservées fossiles,
 comment celles-ci se sont modifiées et ont donné naissance à d'autres
formes,
 à quel moment chacune est apparue,
 quand et comment est apparue et s'est développée l'atmosphère
oxygénée en relation directe avec les premières formes de la vie.

Ce sont ces aspects que vont développer cette rubrique (4.3.2) et la suivante (4.3.3).

On a vu que la terre est née il y a 4,55 Ga. Précédemment, on a exprimé le temps


géologique sur une échelle divisée en ères, périodes et époques. Pour cette étude du
développement de la vie, nous allons utiliser ici un mode de représentation qui se
veut plus imagé: l'horloge géologique de la Vie.

Pour concrétiser le temps géologique depuis la formation de la Terre (4,55 Ga), on


peut comparer tout ce temps à une période de 12 heures, ce qui permet de situer
chaque événement sur une horloge.
Disons que la Terre a été formée à minuit (0h00) et qu'aujourd'hui il est midi
(12h00).

1h33

C'est la première roche datée; il s'agit des premières roches ignées de l'Archéen
datées à 4,03 Ga.

1h58

Les plus vieilles roches sédimentaires connues datent de 3,76 Ga (série d'Isua dans
l'ouest du Groenland), soit à 1h58 sur l'horloge; elles indiquent la présence d'eau (la
soupe primitive!), mais on n'y a décelé aucune trace de vie sous forme fossile.
Cependant, l'analyse des isotopes du carbone de ces roches a indiqué un
enrichissement en isotope 12 par rapport à l'isotope 13, ce qui pour le géochimiste
est une indication de la présence de matière organique. On suppose donc, sur cet
argument indirect, qu'il y avait déjà de la vie sur terre à ce moment et que les
roches sédimentaires ont gardé la trace chimique de cette vie. Il n'y a pas de fossiles
dans ces roches, seulement un enrichissement en carbone-12.

2h45

Ce n'est que dans des roches datant de 3,5 Ga, soit à 2h45 sur l'horloge, 300 Ma
après les premiers sédiments, qu'apparaissent les premiers fossiles de bactéries. En
effet, ces fossiles les plus vieux ont été découverts en 1987 dans deux gisements
différents, en Afrique du Sud et en Australie. Les paléontologues Schopf et Parker
y ont découvert, dans des couches associées à des stromatolites, des sphéroïdes
carbonacées de 2,5 mm de diamètre, se présentant souvent en amas, et montrant des
évidences de division binaire. Ces sphéroïdes sont accompagnés de tubulures et de
filaments. On y voit, sans pouvoir le démontrer, une nette ressemblance avec les
cyanobactéries.

Les stromatolites

4h37

Puis on a retrouvé, dans des roches datant de 2,8 Ga, dans l'ouest de l'Australie, à
4h37 sur l'horloge, des structures filamenteuses qui ont apparamment tout de la
cyanobactérie. Il faut savoir que les cyanobactéries, qu'on appelait autrefois les
algues bleues-vertes ou les cyanophycées sont des bactéries particulières qui font la
photosynthèse. C'est dire qu'elles produisent de l'oxygène. Elles ont une autre
qualité fondamentale: elles résistent aux rayonnement UV. Ces bactéries sont très
abondantes aujourd'hui et comme on le voit elles sont apparues assez tôt dans
l'histoire de la terre. On peut relier l'oxygénation de l'atmosphère terrestre à leur
apparition.

6h43

Les premiers véritables fossiles de cyanobactéries furent retrouvés dans des roches
vieilles de 2 Ga, soit à 6h43 sur l'horloge, dans les cherts du Gunflint sur les rives
du Lac Supérieur en Ontario. C'est là un des plus beaux gisements de
cyanobactéries fossiles qu'on connaisse. Les micro-organismes y sont superbement
conservés dans des stromatolites cherteux, c'est-à-dire composés de silice (SiO2) à
grains très fins. On y trouve de véritables filaments cyanobactériens, des sphéroïdes
bactériens à membrane épaisse comme celle qui protège aujourd'hui les
nitrogénases contre l'oxygène libre, ainsi que des spores.

Toutes ces bactéries dont on vient de parler sont des cellules procaryotes, c'est-à-
dire des cellules dont le noyau n'est pas nettement séparé du cytoplasme,
contrairement aux cellules eucaryotes où le noyau est enveloppé d'une membrane
protégeant entre autres l'ADN.

8h17

Les cellules eucaryotes fossiles les plus anciennes datent d'il y a 1,4 Ga, 8h17 sur
l'horloge. Ce sont des cellules plus grosses que les précédentes (procaryotes). Les
procaryotes ont des tailles inférieures à 10 µm, les eucaryotes vont de 10 à 100 µm.
Elles montrent une organisation beaucoup plus complexe de la matière vivante,
avec l'individualisation du noyau.

De 10h25 à 12h00
À partir de 600 Ma (10h25 sur l'horloge), il y aura une sorte d'accélération dans le
développement de la Vie: d'abord de nombreux animaux étranges (la faune
d'Édiacara), considérés par certains comme les premiers métazoaires connus
(organismes pluricellulaires), ainsi que les premiers squelettes minéralisés; puis, ce
que certains ont appelé le "big bang" de la vie, avec la faune de Burgess (-525 Ma).
Pour présenter la relativité du développement de la vie, l'horloge indique la durée
de vie des fameux dinosaures (de 11h19 à 11h48, soit de -230 à -66 Ma); quant à
l'homme, c'est un animal de dernière minute, étant apparu vers les 11h58 (il y a
moins de 1 Ma).

Voir rubrique suivante (4.3.3) pour cette portion du temps géologique.

http://www.ucmp.berkeley.edu/alllife/threedomains.html (un bon point de départ


pour en savoir plus sur les bactéries).

Les stromatolites

On ne peut discuter de la vie au Précambrien sans parler des stromatolites qui sont
des structures columnaires construites par les bactéries.
Ces stromatolites sont trouvés dans des couches qui varient en âge de 3,5 Ga à
l'Actuel. En fait, on les retrouve pratiquement à tous les âges durant cette période
de 3,5 milliards d'années. Avant la découverte de stromatolites actuels, c'est-à-dire
des stromatolites en voie de formation, à la fin des années 1950, dans le nord-ouest
de l'Australie, les géologues et paléontologues arrivaient mal à expliquer l'origine
de telles structures. Il y avait toutes sortes de querelles, certains prétendant qu'il
s'agissait de véritables fossiles d'organismes disparus, d'autres que c'était là de
simples structures sédimentaires, avec diverses propositions entre ces deux
extrêmes.

Pour mieux comprendre la nature des stromatolites, nous allons examiner des
structures qu'on retrouve fréquemment sur les estrans actuels, particulièrement en
climat chaud: les tapis bactériens. Ce sont des tapis organiques qui recouvrent les
sédiments sur de très grandes surfaces.

Si on y regarde de plus près, il s'agit d'un tapis de consistance gélatineuse,


laminaire, qui contient souvent des sédiments. Cette "gélatine" est composée d'un
treillis de filaments bactériens dont plusieurs sont des cyanobactéries.

Ce tapis agit de deux façons: 1) il piège les particules sédimentaires entre ses
filaments; 2) il induit la cimentation des particules sédimentaires, grâce à
son activité photosynthétiquequi, en consommant du CO2, abaisse la pression
partielle de CO2 dans ce micromilieux et favorise ainsi la précipitation du CaCO3.
Les particules piégées sont donc soudées ensemble, pour finalement constituer une
succession de croûtes solides qui vont former une roche qu'on appelle laminite
cyanobactérienne.

Ce sont ces mêmes processus qui s'appliquent à la construction des stromatolites.

C'est à Shark Bay, dans le nord-ouest de l'Australie, qu'on a découvert des


stromatolites en voie de formation. En fait, on retrouve des stromatolites dans la
zone d'estran (zone intertidale, entre marée haute et marée basse), ainsi que dans la
zone infratidale supérieure (juste sous la marée basse). On a d'abord cru que ceux
de la zone d'estran étaient en voie de formation, mais on a réalisé récemment, qu'ils
constituent les vestiges de stromatolites qui ont été formés il y a quelques dizaines
de milliers d'années, lors d'un niveau marin quelque peu plus haut que
présentement, alors que ceux que l'on retrouve dans la zone infratidale
supérieure sont effectivement en voie de formation.

Le gros d'une colonne stromatolitique est du solide, à l'exception d'une mince


couche en surface qui constitue la partie vivante. Cette couche vivante est formée
par cette "gélatine" de filaments cyanobactériens, comme chez les tapis bactériens.
La colonne stromatolitique se construit par les mêmes processus de piégeage et de
cimentation de sédiment dont on a discuté plus haut. Le stromatolite n'est donc pas
à proprement parlé un fossile; c'est une structure construite par l'action des
cyanobactéries. C'est pourquoi on dit qu'il s'agit d'unestructure organo-
sédimentaire. Il peut arriver cependant qu'on y trouve des fossiles de
cyanobactéries, comme ceux du Précambrien. Une des caractéristiques principales
des stromatolites est leur fine lamination interne. On interprète que chaque lamine
représente une accrétion diurne.

Bien que les stromatolites soient plus abondants au Précambrien, on en trouve à


tous les âges géologiques. Les "colonnes" stromatolitiques peuvent prendre
diverses formes. Elles peuvent être isolées ou agglomérées. Les stromatolites
actuels sont en général de taille modeste (inférieure à 1 m, quoiqu'on ait découvert
des stromatolites d'assez grande taille sur la plate-forme des Bahamas), mais
autrefois ils ont atteint des tailles impressionnantes, comme dans ces deux
exemples.

Exemples de stromatolites anciens

Les stromatolites demeurent un sujet de recherche très important en


paléontologie. Ils sont à la fois les dépositaires des premières traces de vie sur
Terre et à la fois les premières manifestations de cette vie. Ils sont susceptibles de
nous renseigner sur l'histoire de ces organismes de la biosphère les plus abondants
et les mieux adaptés à leur milieu, les bactéries.
Ils sont construits de carbonate de calcium (CaCO3) par l'action des bactéries et se
sont agglomérés en formations calcaires. Ces formations stromatolitiques ont
constitué un volume impressionnant de calcaires à certaines époques du
précambrien et, en ce sens, ont constitué un drain très important de CO2 (gaz
carbonique) en stockant celui-ci dans le CaCO3, modifiant ainsi l'atmosphère
terrestre en la débarassant progressivement de ce gaz (voir au point 3.4.7).

Tapis cyanobactérien
Ce tapis cyanobactérien recouvre entièrement les sédiments de la zone intertidale,
Shark Bay, nord-ouest de l'Australie.

Nature du tapis cyanobactérien


Ce tapis est en général mince, de l'ordre du centimètre, possède une consistance
gélatineuse et est souvent laminaire mais pas nécessairement. Il stabilise les
sédiments, empêchant leur érosion par les vagues et les courants. Shark Bay, nord-
ouest de l'Australie.

e treillis bactérien

Le tapis bactérien est formé par un treillis de filaments dont la plupart sont des
cyanobactéries, mais aussi des algues et autres microorganismes. Les illustrations
ci-dessous sont extraites de Scoffin (1970), Journal of Sedimentary Petrology.
Filaments bactériens piégeant les particules sédimentaires et formant ainsi une
couche organo-sédimentaire. Les filaments photosynthétiseurs sont érigés durant le
jour constituant un piège efficace et se couchent en absence de lumière (nuit). C'est
cette alternance qui est responsable de la fine lamination de certains tapis.

Le tapis bactériens est constitué d'une communauté relativement complexe.


Treillis de filament bactériens Enteromorpha prolifera (gauche) et vue
microscopique du filament Lyngbya (droite).

Laminites cyanobactériennes

Ces laminites sont généralement indicatrices de dépôt en milieu intertidal.


Formation silurienne de West Point, Port-Daniel, Gaspésie, Québec.
Shark Bay (flèche) dans le nord-ouest de l'Australie est une localité mythique en ce
qui concerne les stromatolites: c'est là qu'on a découvert pour la première fois ces
structures en voie de formation.
Stromatolites columnaires dans la zone infratidale supérieure

Stromatolites columnaires en voie de formation dans la zone infratidale supérieure,


Shark Bay, nord-ouest de l'Australie.
Stromatolites columnaires agglomérés dans la zone infratidale supérieure. Largeur
de la construction d'environ 1 mètre. Shark Bay.

Vue rapprochée d'un stromatolite columnaire dont la surface est formée d'une
couche cyanobactérienne vivante piégeant les sédiments. Shark Bay.
Colonnes stromatolitiques illustrant la morphologie externe (gauche) et interne
(droit).

Grands stromatolites, Exumas Sound, Bahamas


Grands stromatolites dans la zone intertidale, Exumas Sound, Bahamas. Photo
extraite de Dill et al., Nature, v. 324.
Colonne stromatolitique sciée, exposée sur le campus de l'Université de Miami et
provenant de la zone intertidale d'Exumas Sound, Bahamas. À remarquer la nature
laminaire interne complexe.

rands stromatolites anciens


Grands stromatolites à la localité où E. Kalkowski a décrit ces structures - les
stromatolites - pour la première fois en 1908. Trias supérieur, monts Hartz,
Allemagne.
Stromatolite géant. Cambrien de Terreneuve.

Exemples de stromatolites anciens


Petit stromatolite digité, Silurien de Gaspésie, Québec.

Petits stromatolites columnaires digités, Dévonien du bassin de Canning, nord-


ouest de l'Australie.
Grands stromatolites columnaires à la localité où E. Kalkowski a décrit ces
structures - les stromatolites - pour la première fois en 1908. Trias supérieur, monts
Hartz, Allemagne.
Stromatolites en "galettes" dont la structure interne est distinctement laminaire
(photo de droite, à la hauteur du crayon). Silurien de Gaspésie, Québec.

Stromatolites columnaires à structure complexe: sortes de cones très allongés sur


lesquels viennent se greffer des excroissances, nommés Jacutophyton.
Protérozoïque (environ 1,2 milliard d'années), région d'Atar, Mauritanie.
Vue montrant plusieurs colonnes côte à côte. À remarquer le développement
important des excroissances vers le haut des colonnes ressemblant à des branches
(coin supérieur gauche).
Une autre vue montrant l'abondance des colonnes stromatolitiques cordées comme
un régiment de soldats.
Ces "régiments de soldats" forment des unités massives (partie supérieure de la
falaise) qui se répètent dans la région d'Atar sur plusieurs dizaines de mètres
d'épaisseur. Ces unités formaient, il y a 1,2 milliards d'années, une ceinture
"récifale" stromatolitique qui s'étendait, à la marge du bouclier précambrien
africain, de la Mauritanie à l'Algérie sur une distance de plus de 2500 km.
On retrouve aussi dans cette même région d'Atar des stromatolites en toutes petites
colonnes effilées, cordées les unes contre les autres.
Par endroits, ces fines colonnes forment de gros beignets, sortes de "récifs" isolés
les uns des autres. À remarquer en arrière-plan le mur de Jacutophyton.
Protérozoïque (environ 1,2 milliard d'années), région d'Atar, Mauritanie.

Colonnes stromatolitiques datant du Protérozoïque (circa 2 milliards d'années).


Bloc erratique provenant vraisemblablement de la région du lac Albanel, nord du
Québec. Hauteur: 60 cm. Spécimen exposé au Musée René-Bureau du département
de géologie et de génie géologique de l'Université Laval, Québec. Plusieurs autres
blocs plus grands se trouvent dans le Jardin géologique, entre les pavillons Pouliot
et Vachon sur le campus universitaire.

L'oxygénation de l'atmosphère terrestre


Si nous ne sommes pas trop certains de la composition de l'atmosphère primitive,
on sait qu'il n'y avait pas d'oxygène libre (une molécule formée de deux atomes
d'oxygène, O2). D'où vient donc cet oxygène libre qui caractérise aujourd'hui notre
atmosphère?

Même si les radiations solaires peuvent briser les molécules d'eau (H2O) dans la
haute atmosphère et produire des atomes d'oxygène qui se combinent deux à deux,
ce processus est trop lent pour expliquer la concentration actuelle de l'atmosphère
en oxygène libre. Tous s'accordent à dire que l'oxygène est un produit de la
photosynthèse.

CO2 + H2O + énergie solaire = CH2O (hydrate de carbone) + O2

La courbe qui suit montre à quel rythme s'est faite l'oxygénation de l'atmosphère.

Nous avons relativement peu d'information en ce qui concerne la portion


précambrienne de la courbe. Dans les premiers âges de la Terre, soit entre -4 et -2,5
Ga, l'oxygène atmosphérique n'était produit que par l'action du rayonnement UV
sur la vapeur d'eau (H2O) et le dioxyde de carbone (CO2), et son niveau était très
bas, entre 0,005 et 0,01% du niveau actuel. Les premières traces d'oxydation sont
apparues il y a quelques 2,2 Ga, ce qui implique une augmentation sensible du
niveau d'oxygène libre atmosphérique à ce moment. On évalue que le niveau
atteignait environ 0,15% du niveau actuel vers 2,2 Ga. Les premières traces
d'oxygène apparaissent autour des 2,5 Ga. Les évidences nous viennent de la
présence des premiers oxydes de fer dans les roches. En effet, pour produire des
oxydes de fer comme l'hématite par exemple, il faut de l'oxygène. Les grandes
formations de fer, lesquelles contiennent des oxydes de fer en grande quantité, sont
apparues au début du Protérozoïque, comme par exemple celles de la fosse du
Labrador. C'est dire que déjà les procaryotes photosynthétiques étaient à l'oeuvre.

A la fin du Précambrien, au moment où se termine la longue vie solitaire des


bactéries et où commence la diversification de la vie avec la faune d'Édiacara, on
évalue que l'atmosphère avait atteint un niveau d'oxygène comparable au niveau
actuel; il semble donc y avoir une possible relation entre ce niveau d'oxygène
atmosphérique et la diversification de la vie. On estime qu'il y a eu une chute très
importante du niveau d'oxygène atmosphérique au Néoprotérozoïque, entre -725 et
-600 Ma, une chute reliée à une période de glaciation exceptionnelle et unique dans
l'histoire de la Planète (voir la Terre boule de neige). La Terre entière aurait été
couverte de glace, réduisant drastiquement la photosynthèse (pour en savoir plus
sur ce sujet, voir "Quand la Terre était gelée", par P. Hoffman et D. Schrag, Pour la
Science, no 268, février 2000).

On a plus de données en ce qui concerne le Phanérozoïque (Paléo-, Méso- et


Cénozoïque) (voir au point 3.4.3). Le schéma qui suit exprime les variations de la
concentration en oxygène atmosphérique selon une modélisation par R.A Berner et
D.E. Canfield (American Journal of Science, v. 289, 1989).
Il apparaît que l'augmentation significative du niveau d'oxygène atmosphérique au
Carbonifère puisse être relié à l'avènement de la grande forêt équatoriale. Il semble
qu'à cette époque, les spécialistes de l'oxydation de la nouvelle matière végétale en
gaz carbonique n'étaient pas encore apparus et que par conséquent, le bilan net du
cycle photosynthèse-respiration présentait un excédent en oxygène libre,
contrairement à la forêt actuelle qui présente un bilan à l'équilibre.

Il y a 610 Ma: une Terre « boule de neige » ?

Cette glaciation Varanger nous est connue grâce à la présence de tillite (un type de
dépôt glaciaire) sur des continents qui à l’époque se seraient situés plutôt près de
l’équateur. Une anomalie dans la géochimie isotopique du carbone indique qu’il y
aurait eu à cette époque une diminution drastique de la productivité organique
océanique reliée à une coupure au niveau de la photosynthèse.

Le scénario catastrophique invoqué serait le suivant. Les températures auraient été


aussi basses que -50°C. Tous les continents auraient été couverts de glace, ainsi
qu’une grande partie des océans jusqu’à des profondeurs atteignant plusieurs
centaines de mètres. Les calottes glaciaires se seraient étendues pratiquement
jusqu’à l’équateur. Il y aurait eu une coupure significative de la photosynthèse
entraînant un arrêt de la productivité primaire pendant plusieurs millions d’années
et une baisse significative de l’O2 atmosphérique. Les aires de vie auraient été
réduites de façon très importante. En fait, le seul refuge possible pour la Vie aurait
été le fond des océans. La glaciation aurait causé un arrêt de l’érosion par les eaux
de ruissellement. Avec le temps, le dégazage des volcans aurait progressivement
créé un renversement de situation. Le CO2 des volcans se serait accumulé dans
l’atmosphère, créant un effet de serre et une augmentation des températures
suffisants pour fondre les glaces. Ce réchauffement soudain aurait entraîné ces
volumineux dépôts de calcaires (CaCO3) qu’on observe généralement recouvrant
les dépôts glaciaires du Varanger.

Certains proposent que cette période de grand stress écologique aurait eu une
influence sur l’explosion de la diversité et l’apparition de la Vie métazoaire qui
s'est faite immédiatement après la glaciation. Durant la période glaciaire, les
mutations auraient été favorisées à cause entre autres des isolements géographiques
et de la sélection naturelle. C’est en effet immédiatement après cette glaciation
qu’est apparue la faune d’Ediacara et les premiers métazoaires (voir L’explosion de
la diversité).

Ce modèle de la terre boule de neige ne fait pas l’unanimité. Il n’y a qu’à consulter
par exemple les numéros des deux dernières années (2000-2001) des
périodiques Science etNature pour s’en convaincre. Il ne semble pas faire de doute
qu’il y a eu à cette époque une glaciation affectant des masses continentales qui,
semble-t-il, se trouvaient tout près de l’équateur, même si certains, peu nombreux,
mettent en doute la reconstruction paléogéographique de l’époque. En fait, c’est
particulièrement sur l’intensité de la glaciation que portent les doutes, une
glaciation qui aurait transformé la planète entière en boule de glace, contrairement
aux autres glaciations qui se contentent de recouvrir de glace seulement les pôles.

Comment expliquer une glaciation à l’équateur? Certains ont proposé un


changement dans l’obliquité de la Terre (angle entre l’axe de rotation de la Terre et
la perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre autour du soleil). C’est cette
obliquité qui est responsable de nos changements de saisons. C’est aussi ce qui
détermine quelle partie de la Planète est froide et quelle partie est chaude.
Aujourd’hui, l’obliquité de la Terre est de 23,5°; les pôles sont les zones les plus
froides et l’équateur les plus chaudes. Mais si l’obliquité dépassait les 54°, la
situation serait renversée: les pôles deviendraient chauds et les zones équatoriales
froides. Est-il sensé de penser que cette situation ait pu exister il y a 610 Ma?

Il faudrait démontrer alors que les traces de glaciations (dépôts) de cet âge ne se
retrouvent que sur les masses continentales équatoriales. Un inventaire récent des
dépôts glaciaires Néoprotérozoïque (période de -1000 à -544 Ma) et de leur
contraintes d’âge (Evans, 2000, Am. Jour. Science, v. 300) a montré que, malgré
des incertitudes sur les contraintes paléomagnétiques, les dépôts se retrouvant aux
basses latitudes (se rapprochant de l’équateur) sont plus communs que ce à quoi on
aurait pu s’attendre et qu’aucun dépôt se situant aux hautes latitudes (au-dessus de
60°) n’a pu être documenté sérieusement. Ceci semble donc aller dans le sens de
cette hypothèse d’une obliquité élevée durant cette période de près de 500 Ma,
impliquant que les glaces ne recouvraient pas les zones polaires et que les aires
habitables étaient plus vastes que ne le propose le modèle de la terre boule de neige.
Notons cependant qu’une absence de dépôt ne signifie pas nécessairement
l’absence de glace.

Une autre objection apportée est que la rétroaction de l’albédo (réflexion du


rayonnement solaire) des glaces aurait été si forte que l’océan aurait gelé sur toute
sa profondeur, ce qui aurait tuer toute vie sur terre.

Quoiqu’il en soit, cette hypothèse de la terre boule de neige, utilisant des


observations et des données concrètes, a eu et continue d’avoir pour conséquence
d’initier une recherche fructueuse qui permet de mieux comprendre le système
Terre. C’est un bel exemple d’hypothèse créatrice de science.

L'explosion de la diversité

Une des périodes clé du développement de la vie sur terre se situe entre -600 et -
520 Ma. C'est là que la diversité biologique a littéralement explosé.

On peut considérer que cette explosion de la diversité s'est faite en deux pulsations:
un moment préparatoire, la faune d'Édiacara, puis la grande explosion, ce que
certains appellent le "big bang" de la vie, représentée par la faune des schistes de
Burgess.

Avant d'examiner chacune de ces trois faunes et voir ce qu'elles nous enseignent, il
faut ouvrir une courte parenthèse sur la façon dont les paléontologues de la
première moitié du 20esiècle appréhendaient ces nouvelles faunes.
Ces paléontologues avaient été profondément marqués par la pensée de Darwin sur
l'évolution. Que la vie avait évolué progressivement d'une manière linéaire, selon la
sélection naturelle, du plus simple au plus complexe, était à toutes fins pratiques
devenu un fait acquis. On ne peut d'ailleurs leur en tenir rigueur, car ils travaillaient
le plus souvent sur des groupes bien définis et sur des échelles de temps très
courtes; ils pouvaient effectivement, à l'intérieur des groupes qu'ils étudiaient,
établir des lignées évolutives où se reconnaissaient bien ancêtres et descendants.
Cette façon de voir avait une implication très directe sur la méthode
paléontologique: chaque organisme fossile avait un ancêtre qui devait être moins
complexe - on disait moins évolué - et des descendants qui eux se devaient d'être
plus "évolués". En pratique, lorsqu'on trouvait une forme énigmatique très ancienne
dont on n'arrivait pas à bien saisir l'affinité biologique, on tentait de trouver à qui
elle pouvait bien avoir donné naissance et on pouvait ensuite la classer dans ce
groupe en disant voilà l'ancêtre.

Le tableau qui suit présente la répartition dans le temps et la diversité relative, selon
les données les plus récentes, des faunes dont nous discuterons. Il vous aidera à
mieux suivre la discussion. On a ici un intervalle de 70 millions d'années parmi les
plus importants en ce qui touche l'évolution de la vie.

La faune d'Édiacara

La faune d'Édiacara est apparue il y a quelques 600 Ma et une grande partie de ses
éléments est brusquement disparue 56 millions d'années plus tard, à - 544 Ma.
Certains considèrent cette première faune comme correspondant à l'apparition
des métazoaires [= organismes pluricellulaires, c'est-à-dire ceux qui possèdent des
cellules diversement spécialisées, soit pour l'absorbtion des nutriments, le transport
de diverses substances, la reproduction, etc.; par opposition à protozoaires,
organismes dont les cellules remplissent toutes les mêmes fonctions, sans
distinction].

Elle a d'abord été découverte dans les monts Édiacara en Australie, de là son nom.
Par la suite, on a découvert une vingtaine de sites répartis sur les cinq continents.
Ce point est important à signaler: il ne s'agit pas d'un assemblage d'organismes qui
est apparu en un seul lieu particulier et qui y aurait été confiné, à cause de
conditions spéciales à cet endroit, mais une faune répartie à la surface du globe, une
faune qui représente une véritable étape dans le développement de la vie.

Un autre caractère très important de la faune d'Édiacara est qu'elle est composée en
grande partie d'organismes à corps mous, c'est-à-dire des organismes sans squelette
minéralisé. C'est donc dire que tout ce qu'on retrouve, c'est l'empreinte de l'animal
sur le sédiment, et non l'animal fossilisé; ceci implique que l'interprétation joue un
rôle important dans la compréhension de cette faune.

Ci-dessous quelques formes qu'on y trouve, représentées selon l'iconographie


traditionelle. En fait, il s'agit de dessins interprétatifs qui datent du début des années
80. L'interprétation traditionnelle de cette faune est de considérer ses membres
comme des représentants primitifs de groupes plus jeunes, essentiellement des
membres de l'embranchement des cnidaires (coraux mous et médusoïdes), des
annélides (vers segmentés) ou des arthropodes. Ces exemples montrent ici des
organismes ressemblant, soit à des méduses (a), soit à d'autres cnidaires modernes
comme les coraux mous (b), ou encore à des arthropodes nus ou à des vers
annélides (c). Par contre, (d et e) ne ressemblent à aucun animal connu.
On a donné le nom de vendobiotes à ce groupe d'organismes énigmatiques (de la
période de temps où cette faune a vécu, le Vendien, intervalle de temps de la fin du
Protérozoïque). [Dessins extraits de Cloud, P., 1983, La Biosphère. Pour la
Science, novembre 1983, numéro spécial 73].

Les vendobiotes d'Édiacara en images

Ci-dessous, une reconstitution de la communauté des vendobiotes sur le fond marin


telle que conçue par l'interprétation traditionnelle. [Selon une vitrine du
Smithsonian Museum à Washington. Photo: P.-A. Bourque, 1995].

Un spécialiste de l'étude des traces fossiles, Adolph Seilacher des Universités de


Tubingen (Allemagne) et de Yale (USA), a proposé une façon tout à fait différente
d'interpréter cette faune. En utilisant les principes de la morphologie fonctionnelle,
il a conclu que les vendobiotes n'ont pu fonctionner comme leurs supposés
équivalents modernes, malgré une certaine similitude superficielle de leur
apparence extérieure. Ils appartiendraient tous plutôt à un même groupe
taxinomique, dans la mesure où ils ne représentent que des variations sur un même
plan d'organisation anatomique: une forme aplatie divisée en parties formant un
matelassage, constituant peut-être un squelette hydraulique, un peu à la manière
d'un matelas pneumatique.
[Source: A. Seilacher, 1984, cité dans Gould, S. (1991), La Vie est belle, Éditions du
Seuil].

Ainsi, sur la rangée du haut, on a des formes à croissance unipolaire, c'est-à-dire


dont la croissance part d'un seul point: ce sont les coraux mous et les vers annélides
ou arthropodes nus de l'interprétation traditionelle. Sur la rangée du milieu, des
formes à croissance bipolaire de part et d'autre d'une ligne centrale. Et sur la rangée
du bas, des formes à croissance radiaire, à partir d'un point central; ce sont les
méduses et les disques de l'interprétation précédente.

Dans la mesure où cette organisation ne ressemble à aucune de celles que nous


connaissons actuellement, Seilacher a proposé que les vendobiotes constituent une
expérience totalement distincte dans l'histoire de la vie. Il voit ces organismes
comme des amas de cellules formant une sorte de matelas pneumatique
protoplasmique étalé sur les fonds marins et absorbant passivement les nutriments
du milieu, possiblement avec l'aide de symbiotes algaires. Cette expérience aurait
finalement échouer, constituant une extinction précambrienne.

Le paléontologue Bruce Runnegar de l'Université de Californie continue pour sa


part de considérer les vendobiotes comme les ancêtres de cnidaires comme les
coraux mous et les médusoïdes, ou de certaines grandes algues marines, ou encore
de vers ou d'arthropodes.

Il s'est fait beaucoup de travaux de recherches sur la faune d'Édiacara ces dernières
années. Nous avons appris, entre autres, que la faune d'Édiacara n'est pas
monolithique.
1. Elle n'est pas uniquement composée des vendobiotes: on y a découvert des
pistes et terriers fossiles, ce qui implique qu'il y avait des organismes actifs
remaniant les sédiments, ainsi que des petites coquilles (voir ci-dessous,
sous faune tommotiennne); ces organismes ne pouvaient être que des
métazoaires.
2. Elle montre, en fait, dans l'intervalle de 56 millions d'années où elle a vécu,
une évolution dans sa diversité. Les assemblages de -600 Ma présentent
une diversité très faible; en fait, il ne s'agit que de simples disques de type
vendobiotes, sans aucune structures de remaniement, ni de petites
coquilles. À partir de -560 Ma environ, on note une augmentation de la
diversité, avec un apogée vers 550 Ma, où apparaissent les structures de
remaniement et les petites coquilles. À -544 Ma, c'est l'extinction subite
d'une grande partie des organismes d'Édiacara, dont les énigmatiques
vendobiotes.

Il reste encore pas mal de chemin à faire avant que l'on comprenne bien cette faune
d'Édiacara. Mais on peut dire d'ores et déjà qu'à côté de cette faune classique que
sont les vendobionts qui n'étaient peut-être pas des métazoaires, il y avait des
organismes actifs, certainement métazoaires, qui remobilisaient les sédiments et
une faune coquillère à squelette minéralisé.

http://www.ucmp.berkeley.edu/vendian/critters.html Un petit bout de texte et


d'autres illustrations de la faune d'Édiacara avec descriptions de quelques formes.

La faune tommotienne

Une étape importante de l'évolution après l'apparition des métazoaires est la


minéralisation des squelettes. De ce point de vue, la faune tommotienne a
longtemps été considérée comme faune clé. Elle tire son nom de Tommot, une
petite ville de Sibérie. Comme la faune d'Édiacara, elle est aussi reconnue un peu
partout au monde. Elle est apparue il y a 530 Ma et fut de courte durée (quelques
millions d'années seulement). Jusqu'à ces dernières années, on la considérait
comme la première faune dotée de parties dures. Elle contient certains organismes
d'aspect moderne, mais la plupart consiste en de minuscules lames, tubes, aiguilles,
calottes ou coupoles d'affinités incertaines comme illustré ci-dessous (A à C).
Illustrations : (A-C) A. Y. Rozanov (1986), cité dans Gould, S. J., 1991., La vie est
belle, Éditions du Seuil; (D) Clarkson, E.N.K., 1993, Invertebrate Palaeontology and
Evolution, Chapman & Hall)

Les paléontologues l'appellent la "faune à petites coquilles". Il s'agit peut-être


simplement de fragments épars des premiers types de coquilles encore
imparfaitement constituées. Peut-être que ces pièces recouvraient des animaux bien
connus et que ceux-ci développèrent plus tard des coquilles plus élaborées
constituant leur signature classique dans les archives fossiles. Mais peut-être que la
plupart des étrangetés tommotiennes représentent des organismes uniques en leur
genre qui sont apparus précocement et qui sont disparus rapidement.

Cependant, la découverte récente d'organismes à squelette minéralisé, dans des


couches de la fin du Précambrien et du début du Cambrien (entre -550 et -540 Ma,
donc en partie contemporaines de la faune d'Édiacara), reporte l'apparition de la
minéralisation des squelettes antérieurement à la faune tommotienne.

La faune tommotienne est importante à un autre titre: elle marque aussi l'apparition
d'un groupe d'organismes appartenant fort probablement à l'embranchement des
éponges (Porifera) et qui n'a vécu que jusqu'à la fin du Cambrien,
les archaeocyathes (D). Ces derniers représentent les premiers bioconstructeurs
qui ont édifié, en association avec des communautés microbiennes calcifiantes
(calcimicrobes), des masses organiques de 1 à 2 mètres de hauteur par quelques
mètres de diamètre sur les fonds marins. Ces masses sont les précurseurs de cet
écosystème récifal complexe qui s'est développé dès la fin de l'Ordovicien (voir
rubrique suivante).
Jusqu'à tout récemment, les évolutionnistes considéraient qu'il y avait un "trou"
important entre faune d'Édiacara et faune tommotienne (voir par exemple Gould,
1991, La vie est belle, Seuil) indiquant une décimation importante à la fin du
Précambrien. On réalise aujourd'hui que, si les vendobiotes semblent effectivement
disparus, plusieurs autres organismes, dont les responsables des traces fossiles de
remaniement et la faune coquillère, constituent un pont entre faunes d'Édiacara et
tommotienne.

La faune de Burgess

La troisième faune de cette période clé de l'évolution de la vie est la faune du


Schiste de Burgess, la faune du "big bang". Par rapport aux deux faunes
précédentes, elle constitue effectivement une véritable explosion, en termes de
diversité et de complexité des organismes qui la constituent.

Cette faune, d'abord découverte dans le Schiste de Burgess dans le Parc national de
Yoho, en Colombie-Britannique, a été retrouvée dans plusieurs parties du monde:
Groenland, Europe, Chine, Australie et ailleurs en Amérique du Nord. Il s'agit donc
d'une faune de répartition mondiale. Elle est apparue il y a 528 Ma et disparue
brusquement à -510 Ma, représentant un intervalle de temps de presque 20 millions
d'années.

Le Schiste de Burgess, comme tout schiste, résulte de l'induration d'une boue. Ce


qui distingue cependant ce schiste des autres schistes, une roche très abondante à la
surface du globe, c'est qu'il contient une faune fossile unique dans toute l'histoire de
la vie sur Terre. Les animaux du Burgess vivaient probablement sur des talus de
boue accumulés au pied d'une muraille massive presque verticale. Ce genre
d'habitat ne constitue pas une situation exceptionnelle, mais tout à fait ordinaire; on
ne peut donc invoquer de particularité écologique pour expliquer la singularité de la
faune de Burgess. Ce qui est exceptionnel, c'est la conservation des parties molles
de plusieurs de ces organismes qui s'est sans doute faite à la faveur d'un
enfouissement rapide causé par des coulées de boue. L'absence d'oxygène et de
nécrophages dans le milieu d'enfouissement expliqueraient la conservation.

Le site fossilifère du Schiste de Burgess fut découvert en 1909 par le paléontologue


américain Charles Doolittle Walcott, alors secrétaire de la Smithsonian Institution
de Washington. Il consacra une bonne partie de sa carrière de chercheur à la
description de cette faune, jusqu'à sa mort en 1927. Il fallut attendre la fin des
années 1960 pour que Harry Whittington de l'Université de Cambridge
(Angleterre), en collaboration avec Simon Conway Morris et Derek Briggs,
procède, sous l'impulsion de la Commission géologique du Canada, à une
réévaluation en profondeur de cette faune.
Walcott était un spécialiste des faunes cambriennes et des trilobites en particulier.
En accord avec les vues de son époque qui voulaient qu'une faune cambrienne soit
l'embryon (donc une faune primitive) des faunes plus jeunes, il lui fallait classer
chaque organisme dans un groupe connu. La force de l'équipe de Whittington a été
de sortir de cette ligne de pensée et de reconnaître que plusieurs formes
représentent des plans d'organisation anatomique inconnue aujourd'hui.

La somme actuelle des organismes décrits par l'équipe de Whittington se chiffre à


120 genres. Parmi ceux-ci, 33 genres sont des organismes ordinaires, appartenant à
des embranchements que l'on connaît bien, et qui possèdent un exosquelette
(éponges, algues, brachiopodes, trilobites, échinodermes, mollusques). Cependant,
on dénombre 87 genres d'organismes à corps mou (c'est-à-dire sans squelette), ce
qui fait l'unicité de cette faune. La présence d'organismes qui représentent des
formes qui ne se retrouveront plus par la suite dans les temps géologiques est aussi
unique. Entre autres, huit genres représentent autant d'embranchements qui n'ont
pas survécu. Chez les arthropodes, on trouve 24 types fondamentaux d'organisation,
alors que seulement 4 ont persisté. Actuellement, on a classé comme "animaux
divers" ou "problematica", près de 40 formes, parmi lesquelles la probabilité de
découvrir de nouveaux types d'organisation sont fortes.

Voici quelques exemples des trouvailles du Schiste de Burgess qui représentent


chacune des essais infructueux d'embranchements (phyla). Tous ces dessins sont de
Marianne Collins dans Gould, S.J., 1991, La vie est belle, Editions du Seuil, sauf
celui d'Hallucigenia par Ramsköld (1992).
Parmi ces bêtes étranges, il en est une qui a donné de sérieux maux de tête à Simon
Conway-Morris, ce qui explique le nom que ce dernier lui a donné: Hallucigenia.
Tous les spécimens du site de Burgess en Colombie-Britannique examinés par
Conway-Morris lui ont permis de faire la reconstitution suivante: un animal à corps
allongé avec, d'un côté 7 paires d'épines droites, rigides et non-articulées, sauf à la
jonction du corps, et de l'autre côté une seule rangée de 7 appendices flexibles.
Conway-Morris n'avait donc d'autre choix que de conclure que l'animal devait se
déplacer sur ses paires d'épines, comme sur des échasses. Imaginez un animal qui
se déplace sur des échasses rigides pointues dans de la boue, ce qui était le substrat
où vivaient les animaux du Burgess. Hallucinant!
Ce n'est qu'au début des années 90 qu'on a découvert, en Chine, des spécimens
beaucoup mieux conservés que ceux du Schiste de Burgess, montrant en fait que
les appendices flexibles que Conway-Morris voyait sur le dos de l'animal se
trouvaient par paires (Ramsköld, L., 1992. The second leg row of Hallucigenia
discovered. Lethaia, v. 25, p. 221-224). Ces appendices étaient certainement mieux
adaptées à la marche dans la boue que les échasses de Conway-Morris.

Cette découverte venait aussi résoudre une des énigmes de la faune de Burgess:
ainsi orienté, Hallucigenia s'apparente à des organismes connus, les onychophores,
animaux de la forêt pluviale tropicale et tempérée (Ramskold, L. et X.-G. Hou,
1991. New early Cambrian animal and onychophoran affinities of engimatic
metozoans. Nature, v. 351, p. 225-228).

Outre ces étrangetés dont on ne connaît pas l'affinité, il y eut aussi des essais
infructueux dans le groupe des arthropodes où seulement 4 essais sur 24 ont
persisté. Voici quatre exemples qui portent toutes les caractéristiques
fondamentales de l'embranchement des arthropodes. Elles font partie de ces 20
types d'organisation qui n'ont pas réussi.
Finalement, il faut signaler un tout petit animal, le tout premier chordé, trouvé dans
le Schiste de Burgess. Notre ancêtre. S'il n'avait survécu à la décimation du stock
initial de Burgess, nous ne serions peut-être pas là!

La grande conclusion à laquelle sont arrivés Whittington et ses collaborateurs est


que la faune du Schiste de Burgess montre une extraordinaire différence entre la vie
actuelle et celle d'un lointain passé: avec un beaucoup plus petit nombre d'espèces,
le Schiste de Burgess présente une diversité des plans d'organisation anatomique
bien plus grande que la gamme que l'on peut observer actuellement dans le monde
entier. En un instant géologique, au milieu du Cambrien, presque tous les
embranchements modernes ont fait leur apparition, en même temps qu'une vaste
gamme de formes animales qui sont autant d'expériences anatomiques, mais qui ne
survivront pas très longtemps. Les 500 Ma suivants n'ont vu naître aucun
embranchement (sauf peut-être les bryozoaires), seulement des variantes sur des
modèles de base établis.
L'étude de cette faune nous enseigne que l'histoire de la vie multicellulaire a été
dominée par la décimation d'un vaste stock initial, qui s'était constitué en peu de
temps lors de l'explosion cambrienne. L'histoire des 500 derniers Ma a été
caractérisée par la restriction de la disparité, suivie de la prolifération de quelques
types d'organisation stéréotypée, et non pas par l'expansion générale de la gamme
des plans anatomiques et d'un accroissement de la complexité, comme le voudrait
notre conception de l'évolution selon un cône de diversité croissante.

GOULD, S.J.,1991, La vie est belle, Editions du Seuil. L'aventure merveilleuse de


la redécouverte de la faune de Burgess par l'équipe de Whittington, étape par étape,
et les leçons qu'on en tire sur notre conception de l'évolution. Passionnant.

NASH, J. Madeleine, 1995, When life exploded. Un superbe article du TIME


Magazine, décembre, 1995, qui présente un excellent résumé bien documenté des
récentes découvertes, des implications et des questions qu'elles suscitent en ce qui
touche l'évolution dans cette période cruciale de la fin du Précambrien - début du
Cambrien. Du grand journalisme scientifique!

Les cyanobactéries fossiles du Gun Flint


On trouve dans les cherts des sphéroïdes bactériens à membrane épaisse (A, B et C)
comme celle qui protège aujourd'hui les nitrogénases contre l'oxygène libre et de
véritables filaments cyanobactériens (D). Chert du Gunflint, rives du Lac
Supérieur, Ontario, Canada

La biodiversité de l'écosystème récifal

Durant toute la période qui va du début du Cambrien, c'est-à-dire du Big Bang


jusqu'à la fin du Dévonien, la vie était principalement (mais pas exclusivement)
confinée aux mers. Cette vie s'organisait. Il y eut prolifération de genres et
d'espèces à l'intérieur des embranchements établis, mais pas de nouveaux plans de
vie, sauf l'apparition des bryozoaires à l'Ordovicien.

Il y eut de beaux succès. Par exemple, c'est durant cette période que vont se
diversifier les chordés, notre embranchement, avec entre autres, les poissons.

La vie marine benthique, c'est-à-dire celle qui vit sur le fond des mers, était
constituée d'une variété d'organismes à coquillage, comme les brachiopodes qui
formaient des communautés diversifiées se répartissant selon la profondeur d'eau et
le type de substrat sur lequel ils vivaient. Les mollusques, moules, palourdes,
colimaçons, abondaient dans diverses zones écologiques. Il y avait aussi
les trilobites qui vivaient dans la vase et qui seront pratiquement décimés à la fin
du Dévonien; un seul petit groupe survivra jusqu'à la fin du Permien, où il sera
alors complètement effacé de la planète. Les échinodermes, avec principalement
les lys de mer qui ont formé par endroits de véritables prairies sous-marines.
Leséponges ont réussi très tôt, dès le début du Cambrien, à construire de grands
monticules organiques, probablement en association avec des communautés de
bactéries.

Quelques fossiles d'organismes benthiques marins

Dès la toute fin de l'Ordovicien-début du Silurien, l'écosystème récifal dont on a


discuté au chapitre sur les océans (voir La Vie dans les océans) était implanté. On y
a vu que cet écosystème est responsable pour l'édification de grandes barrières
récifales à la marge des plateaux continentaux ou encore des atolls comme ceux du
Pacifique.

Voyons d'un peu plus près de quoi il s'agit.

Le récif corallien : un écosystème des plus réussis

Par définition, un récif est un rocher ou groupe de rochers à fleur d'eau,


généralement au voisinage des côtes; il constitue souvent un écueil à la navigation.
On le dit corallien lorsqu'il a été construit par les coraux. Les coraux sont les grands
bâtisseurs des récifs actuels, assurant la charpente de ces mégapoles des mers.
Présenter le récif corallien comme une mégapole, c'est vouloir insister sur
l'interaction qu'il y a entre les membres de toute une troupe d'acteurs, chacun jouant
un rôle essentiel au fonctionnement de l'écosystème. Avec les bâtisseurs de
condominiums coralliens, il y a toute une cohorte d'organismes: algues calcaires
encroûtantes qui solidifient la structure, éponges qui font office d'usines de
purification des eaux, grands nettoyeurs que sont les poissons, les oursins et les
mollusques de toutes sortes, photosynthétiseurs microbiens et algaires qui
favorisent la précipitation chimique du carbonate de calcium, producteurs de
sédiments (algues calcaires, coquillages de toutes sortes) qui contribuent à
remblayer la structure et ainsi la solidifier, lui permettant de résister à l'énergie des
vagues. Mais il y a aussi ceux qui contribuent à détruire l'édifice: corrodeurs
lithophages, poissons friands de coraux, certaines éponges perforantes, ainsi que la
grande ennemie des coraux, l'étoile de mer Acanthaster, ... et l'Homme.

La charpente corallienne engendre une infinité de niches écologiques procurant un


habitat à des dizaines de milliers d'espèces de plantes et d'animaux, ce qui contribue
à la singularité de cet écosystème et à sa biodiversité très élevée. Tout comme on
considère la grande forêt équatoriale comme l'un des principaux dépositaires de la
biodiversité terrestre actuelle, on peut dire que le récif corallien est le principal
dépositaire de la biodiversité marine. L'écosystème récifal fut aussi l'un des grands
creusets de l'évolution des espèces marines à diverses époques géologiques.

Les coraux et leurs alliés construisent des récifs qui prennent diverses formes:
atolls encerclant les îles du Pacifique, récifs frangeants du Yucatan et des Caraïbes,
grandes barrières à la marge des plateaux continentaux, telles la barrière de Bélize
dans la mer des Caraïbes, qui s'étend sur près de 300 kilomètres et, le joyau, la
Grande Barrière d'Australie qui s'étire sur plus de 2000 kilomètres. Ces barrières
jouent un rôle important de protection des côtes contre les effets des ouragans.

Un écosystème ancien

L'écosystème récifal n'est pas neuf. L'interrogation des archives paléontologiques


nous apprend que les premières constructions assimilables à des récifs sont
apparues il y a environ deux milliards et demi d'années (2,5 Ga), au début de la
période protérozoïque (schéma ci-dessous), mais que ces récifs n'avaient rien de la
biodiversité actuelle : ils n'étaient que des amas de stromatolites, des structures
construites par les bactéries et les algues, car, comme on l'a vu, les organismes
multicellulaires n'étaient pas encore apparus à la surface de la Terre.
Il aura fallu attendre la fin de la période ordovicienne (autour de 450 Ma), et surtout
les temps siluriens et dévoniens (entre 410 et 360 Ma), pour voir apparaître une
communauté récifale présentant une diversité approchant celle que nous
connaissons aujourd'hui. Au Silurien, en particulier, l'écosystème récifal se
présentait comme le grand dépositaire de la biodiversité planétaire. En effet, la
biodiversité des milieux terrestres y était très faible, infime par rapport à ce que l'on
connaît aujourd'hui; les plantes primitives commencaient à peine à coloniser les
terres et le monde animal terrestre se résumait à quelques insectes, scorpions et
mollusques.

A cette époque, les grands bâtisseurs n'étaient pas les coraux, mais un groupe
d'organismes aujourd'hui éteints, les stromatoporoïdés, sortes d'éponges au
squelette massivement calcifié et à formes de croissance variées.

Les stromatoporoïdés en images


Il y avait bien des coraux, mais ils y jouaient un rôle secondaire. Il n'appartenaient
pas au même groupe que les coraux modernes (les Scléractinia) qui ont des
symbiotes algaires, mais à deux autres groupes aujourd'hui disparus et dont on
connaît mal l'affinité biologique et l'écologie: les Rugosa et les Tabulata

Les Rugosa et les Tabulata en images

Par la suite, la communauté récifale a connu des succès et des insuccès. Ainsi, elle
fut décimée à la fin du Dévonien (360 Ma) lors d'une extinction qui a emporté plus
de 65% de toutes les espèces des terres et des mers. Elle est réapparue à la période
triassique (autour de 230 Ma), cette fois avec des coraux comme ceux que l'on
connaît aujourd'hui, mais fut décimée à nouveau au début du Crétacé (140 Ma)
pour une raison que nous comprenons encore mal. Finalement, la communauté
récifale telle que nous la connaissons aujourd'hui est réapparue il y a à peine une
cinquantaine de millions d'années.

Sur le plan plus large de l'évolution, on a ici un exemple, non pas d'un plan de vie,
mais d'un écosystème qui existe depuis longtemps et qui n'a pas subi de
modifications fondamentales depuis son apparition, sauf une permutation au niveau
des groupes d'organismes.

Un écosystème fragilisé

Le Québec aussi a connu sa grande barrière récifale.

On l'a vu, la tectonique des plaques fait bouger les continents à la surface de la
planète. Il y a quelques 420 Ma, à la fin du Silurien, le Québec n'occupait pas la
position géographique nordique qu'il occupe aujourd'hui, mais se trouvait dans la
zone tropicale, au sud de l'équateur.
Les eaux qui baignaient les côtes de l'ancien continent Laurentia, ce continent
formé en grande partie du bouclier canadien, étaient chaudes. Une longue barrière
récifale de quelques 1000 kilomètres bordait la marge du plateau continental de
l'époque. Les forces tectoniques qui ont déformé la croûte terrestre et conduit à la
formation des Appalaches québécoises il y a quelques 380 Ma ont exhumé des
parties de cette grande barrière silurienne, par exemple, le long de la côte de la Baie
des Chaleurs, au nord de Murdochville, dans la région du Lac Témiscouata, au sud
de Rimouski et dans les Cantons de l'Est.

La barrière a été construite par les stromatoporoïdés, aidés des coraux anciens, des
éponges et d'encroûtements bactériens qui se calcifiaient rapidement. Par endroits,
les masses calcaires ainsi construites atteignent les 800 mètres d'épaisseur. En plus
de présenter un intérêt scientifique certain pour ceux qui cherchent à comprendre la
vie passée et son évolution, elles offrent un potentiel économique non négligeable,
entre autres, comme réservoirs potentiels pour les hydrocarbures, comme pierre
ornementale (marbre) ou comme matériaux calcaires de base.
Pourquoi les pétroliers s'intéressent-ils tant aux récifs gaspésiens?

Pourquoi les pétroliers s'intéressent-ils tant aux récifs gaspésiens?

À partir du moment où Charles Darwin a formulé sa théorie sur l'évolution des


atolls, les géologues et biologistes se sont mis à l'étude des récifs actuels et anciens
avec essentiellement des préoccupations d'ordre scientifique. Avec la découverte de
grandes réserves de pétrole dans les récifs siluriens et dévoniens de la région des
Grands Lacs (USA) et de l'Ouest canadien après la Seconde Guerre mondiale, s'est
ajouté un volet économique important à ces études.

On a vu que les hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) ne se retrouvent pas, comme


le veut souvent la croyance populaire, dans une sorte de grand lac souterrain, mais
qu'ils se trouvent emmagasinés dans les pores de la roche, tout comme les eaux
souterraines se retrouvent dans les pores des sables et du roc (section 3 -
Ressources naturelles - Les combustibles fossiles). Mais contrairement à l'eau
potable qui se situe dans les premières dizaines de mètres du sous-sol, les
hydrocarbures se trouvent à des profondeurs allant de plusieurs centaines à
quelques milliers de mètres.

C'est à ces profondeurs qu'ils se forment, à partir des matières organiques (roche-
mère), qu'ils migrent le long des couches ou des failles et qu'ils se concentrent et
sont emmagasinés dans des roches dont la qualité première est d'être poreuses, une
sorte de roche-éponge (roche réservoir). La roche récifale est un excellent candidat
en ce domaine.

En effet, la construction récifale produit une roche calcaire qui à l'origine est très
poreuse. La charpente elle-même laisse des vides, et les sédiments associés sont le
plus souvent des sables poreux. La porosité d'une roche, c'est-à-dire la quantité de
vides par rapport au volume total de roche, s'exprime en pourcentage. La porosité
primaire d'un récif peut atteindre les 50-60%. Même si les vides se colmatent
progressivement à mesure de l'enfouissement du récif sous l'accumulation
continuelle des sédiments, on peut encore compter sur des porosités de l'ordre de 15
à 20% à des profondeurs de quelques milliers de mètres, ce qui est suffisant pour
assurer une accumulation d'hydrocarbures économiquement exploitable. De plus, le
calcaire est une roche chimiquement très réactive avec les fluides de la croûte
terrestre, et il est fréquent qu'il soit dissout, augmentant ainsi sa porosité.

Voilà pourquoi les pétroliers s'intéressent tant aux récifs et, en particulier, à ceux de
la Gaspésie. Il y a présentement un regain de l'exploration pétrolière dans le nord-
est de la Gaspésie. Ce regain est dû en grande partie à des découvertes récentes
dans l'ouest de Terreneuve; il est aussi rendu possible grâce aux travaux de
recherches d'une équipe du département de géologie et de génie géologique de
l'Université Laval qui a mis en évidence cette grande barrière récifale siluriennne
du Québec dont les récifs pourraient contenir du pétrole.

Quelques fossiles d'organismes benthiques marins


Petits brachiopodes, organismes à deux valves (coquilles) à symétrie bilatérale. À
droite, une colonie de bryozoaires. Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Les brachiopodes étaient souvent grégaires. Aussi, trouve-t-on fréquemment des
couches exposant un grand nombre de spécimens cordés les uns près des autres.
Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Un autre exemple de colonie de brachiopodes dominée par un seul genre. Silurien
de l'île d'Anticosti, Québec.
Couche calcaire où se retrouve un assemblage fossilifère comportant au moins
quatre genres différents de brachiopodes. Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Assemblage fossilifère dominé par un genre de brachiopode (pentaméridé), avec
quelques tiges de crinoïdes. Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Bryozoaires de la famille des fenestellidés, un groupe très fragile rarement aussi
bien conservé. Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Chez le phylum des échinodermes, une classe a été particulièrement abondante au
Paléozoïque, les crinoïdes. Ceux-ci étaient formés d'un petit corps armé de plaques
(calice), fixé sur une tige et avec des bras à pinnules (cils) adaptés pour recueillir la
nourriture. Ici, un spécimen à très petit calice sur une longue tige. Ordovicien de la
région de Québec. Collection Musée René-Bureau, Université Laval.
Le crinoïde Scyphocrinites particulièrement bien conservé. Silurien supérieur de la
région d'Erfoud, Sahara marocain. Collection P.-A. Bourque.
Le calice et les bras des crinoïdes sont rarement conservés. Ils sont formés de
plaques de calcite qui se disloquent très rapidement après la mort de l'organisme.
On retrouve le plus souvent les tiges plus ou moins encore articulées, comme ici.
Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Les éléments désarticulés des crinoïdes forment des dépôts composés
presqu'uniquement de ces éléments. Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Les trilobites étaient des éléments communs des fonds marins au Paléozoïque. Ils
ont subi une première décimation à la fin du Dévonien et sont finalement disparus
lors de la grande extinction de masse de la fin du Permien. Ici, le genre Isotelus,
commun à l'Ordovicien; il pouvait atteindre la taille de quelques dizaines de
centimètres. Ordovicien de la région de Québec. Collection Musée René-Bureau,
Université Laval.

Petits trilobites Phacopidés, communs de l'Ordovicien au Dévonien. Ordovicien de


la région de Québec. Collection Musée René-Bureau, Université Laval.
Chez le phylum des mollusques, les fossiles de gastéropodes (colimaçons) se
retrouvent assez fréquemment. Leur coquille d'aragonite n'est pas conservée dans
les couches paléozoïques. Silurien de Gaspésie, Québec.
Les bivalves (pélécypodes) peuvent aussi être très abondants, comme ici dans ce
banc d'huîtres fossilisées. Quaternaire de la région de Marseille.
Les éponges constituent un cas particulier. Leur fossilisation pose problème car
leur squelette n'est constitué que d'un réseau de spicules de silice, calcite ou
spongine, incorporé dans de la matière organique. Certains spécimens sont
néanmoins très bien conservé comme ici, ces spécimens de
l'éponge Malumispongium hartnageli. Silurien de Cap-Noir, Gaspésie, Québec.

Spécimen de Malumispongium à la localité de Cap-Noir en Gaspésie, Québec.


Un autre spécimen de Malumispongium montrant la structure interne de l'éponge.
Coupe polie dans un spécimen de Malumispongium montrant le détail des canaux,
provenant de la localité de Cap-Noir en Gaspésie, Québec. Collection P.-A.
Bourque.

Les Stromatoporoïdés

Les stromatoporoïdés (on dit plus simplement stromatopores) sont des organismes
aujourd'hui disparus et dont l'affinité biologique a longtemps intrigué les
paléontologues. On les a considérés comme des hydrozoaires, des cnidaires ou
même des stromatolites, mais aujourd'hui il y a un assez fort concensus pour les
considérer comme un groupe particulier d'éponges, les calcispongiaires, éponges
au squelette massivement calcifié.
Voici quelques exemples de formes que peuvent prendre ces calcispongiaires.

Forme conique commune d'un stromatopore. À droite, morphologie externe


mamelonnée. À gauche, coupe dans le même spécimen montrant la structure
interne laminaire type des stromatopores. Les stromatopores sont formés d'une
superposition de couches (les latilaminae) de quelques milimètres d'épaisseur qui se
forment au rythme de la croissance de l'éponge. Complexe récifal de West Point,
Silurien supérieur de Gaspésie, Port-Daniel, Québec. Collection P.-A. Bourque.
Échelle de 5 cm.
Grand stromatopore conique d'une hauteur de plus de 50 cm. Silurien de l'île de
Gotland, mer Baltique, Suède. Longueur du crayon: 30 cm.
Autre grand stromatopore conique d'une hauteur de 1 mètre. Silurien de Gotland.
Stromatopore à plusieurs mamelons. Silurien de Gotland

Grandes "colonies" de stromatopores assurant la charpente d'un récif silurien sur


Gotland. À proprement parler, on ne devrait pas utiliser le terme de colonie puisque
qu'il ne s'agit pas d'une structure construite par des organismes coloniaux comme
par exemple les coraux. Le terme approprié est coenosteum.

Empilement de stromatopores globulaires formant pratiquement 80% de la roche.


Un tel empilement se retrouve en général dans la partie arrière-récifale. Silurien de
Gotland.
Stromatopore arborescent atteignant près de 1 mètre en hauteur. Complexe récifal
de West Point, Silurien supérieur de Gaspésie, Anse-aux-Gascons, Québec.
On connaît, dans le Silurien de Gaspésie, un stromatopore à squelette très
particulier, formant un réticule très ouvert, Ecclimadictyon stylotum. Complexe
récifal de West Point, Port-Daniel, Gaspésie, Québec.
Les coenostea d'Ecclimadictyon s'empilent pour former une structure récifale
solide, capable de résister aux assauts des vagues. Complexe récifal silurien de
West Point, Port-Daniel, Gaspésie, Québec.
Bien que de manière générale les coenostea de stromatopores soient assez grands, il
existe des formes très petites, comme ces petites "tiges" qui s'entrelacent pour
former des unitées caractéristiques des zones lagunaires. Il s'agit du
genre Amphipora. Complexe récifal silurien de West Point, Port-Daniel, Gaspésie,
Québec.

Les coraux paléozoïques

Les coraux paléozoïques sont très différents des coraux actuels (scléractiniens
hermatypiques). On ne sait pas s'ils étaient hermatypiques ou non. On compte deux
grands groupes: lesTabulata et les Rugosa. Bien que localement ils ont construits
de modestes récifs, ils n'ont pas été de grands constructeurs comme les
stromatoporoïdés.

Ci-dessous, quelques exemples de ces deux groupes de coraux anciens.


Grande colonie du corail tabulé Favosites à la surface d'un lit. Formation de
Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec. Pièce de 2 dollars (2,8 cm) comme
échelle.
Vue rapprochée de la surface supérieure de Favosites montrant sa structure
caractéristique en "nid d'abeille". Les gens de l'île l'appellent "peau de crocodile"!
Chaque petit polygone est une corallite dans laquelle vivait un polype. Formation
de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec. Pièce de 1 dollars (2,5 cm)
comme échelle.
Corail Favosites vu en coupe montrant bien la structure de la colonie. Les éléments
verticaux sont les corallites dans lesquelles se retrouvent les tabulae horizontales.
Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.

Les Favosites en "galettes" (c), tout comme les stromatopores (s), peuvent
contribuer à stabiliser les sédiments, comme ici dans ce dépôt (bank) à crinoïdes
(les particules arrondies) vu en coupe verticale. À remarquer que les stromatopores
encroûtent les coraux par endroits. Formation de Chicotte, Silurien de l'île
d'Anticosti, Québec.
Grande colonie du corail tabulé Halysites, un corail dont la caractéristique est d'être
"en chapelet". Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec. Pièce de
2 dollars comme échelle.
Vue rapprochée d'Halysites montrant bien son architecture. Pièce de 1 cent (2 cm)
comme échelle. Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Structure interne d'Halysites vue en coupe verticale. Les éléments verticaux sont les
corallites dans lesquelles se retrouvent les tabulae horizontales. Formation de
Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Petit récif dont la construction est assurée par le corail Halysites (H) et des
stromatopores (s). Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Corail Rugosa (R) solitaire dont la base s'évase pour qu'il puisse bien s'ancrer dans
le sédiment. À noter la présence des septes verticaux dans la corallite (calice). Les
Rugosa solitaires ne possèdent qu'une seule corallite, plus grande que chez les
tabulés. Présence aussi de tiges de crinoïdes (Cr) et du corail Favosites sur la même
surface de litage. Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Plusieurs coraux Rugosa solitaires, pratiquement en position de vie. Coupe
verticale. Formation de La Vieille, Silurien de Gaspésie, Cap Noir, Québec.
Petits massifs de coraux Rugosa coloniaux. Carbonifère, région de Béchar, Sahara
algérien.

Un écosystème fragilisé

La faiblesse de l'écosystème récifale actuel découle de sa force: sa capacité à ériger


une charpente rigide responsable de la diversité des milieux grâce au seul groupe
écologique des coraux à symbiotes algaires. L'écosystème ne survivra qu'à la
condition que ces coraux restent en bonne santé. Les facteurs menant à un déclin
peuvent être divers: les ouragans qui affaiblissent et brisent la charpente
corallienne; les maladies du corail, dont la fameuse "maladie blanche" qui résulte
de la perte des symbiotes algaires dans le tissu corallien et dont on arrive mal à
identifier la cause (dans certaines régions, on a nettement établi une relation entre le
réchauffement de l'eau et cette maladie); la surpêche qui favorise la prolifération
des algues en diminuant la population herbivore; les techniques de pêche sauvage à
la dynamite ou au cyanure; la collection de spécimens pour les aquariums;
l'euthrofication qui enrichit artificiellement le milieu récifal en matières nutritives
d'origine industrielle ou agricole; l'apport excessif de sédiments venant des côtes
relié, entre autres, à la déforestation et à une mauvaise utilisation des sols; la
construction de grands complexes récréo-touristiques qui perturbent sérieusement
le milieu et concentrent une population pas toujours respectueuse des règles de la
nature.

L'écosystème récifal a été décimé à au moins deux reprises dans le passé et les deux
fois il a mis plus de 100 Ma à se réimplanter. Il est pour le moment difficile de faire
la part des choses entre les facteurs purement naturels et la contribution de
l'Homme au déclin des récifs coralliens, mais il apparaît assez certain que les
activités humaines y jouent un rôle qui risque d'être déterminant. Sommes-nous à
l'aube d'une troisième décimation? Peut-être bien que dans plusieurs dizaines de
millions d'années, des espèces ayant atteint un degré de conscience différent du
nôtre feront-elles le constat que la troisième extinction de l'écosystème récifale a
découlé des activités désordonnées de la première espèce de l'histoire de la Vie
capable d'agir consciemment sur son environnement.

Le necton: poissons et autres organismes entre deux eaux

Tout ce dont on a discuté dans les pages précédentes concerne essentiellement les
organismes du benthos marins, c'est-à-dire ceux qui vivent sur ou dans les
sédiments du fond marin, les épibenthiques et les endobenthiques, respectivement.
Au Paléozoïque, les organismes nectoniques, ceux qui se déplacent entre deux
eaux, se sont rapidement développés et ont proliféré. Deux groupes retiennent
l'attention, les céphalopodes et les poissons.

Les céphalopodes

Les céphalopodes (littéralement, une tête avec des pieds) constituent un groupe de
mollusques carnivores et chasseurs, ayant une tête portant des tentacules et se
propulsant entre deux eaux en expulsant de l'eau par un siphon. Pieuvre, calmar,
seiche et nautile actuels font partie de ce groupe. Ceux qui nous intéressent ici sont
ceux qui possèdent un squelette externe, vivant dans une coquille conique droite ou
enroulée. Les formes droites ont été prolifiques à partir de l'Ordovicien, alors que
les formes enroulées l'ont été surtout à partir du Dévonien. Sauf le Nautilus, une
forme enroulée, ils ont été décimés à la fin du Crétacé lors de la grande extinction
qui a emporté entre autres les dinosaures.

Les céphalopodes en images

Les poissons
On a presqu'envie de dire que le Dévonien, c'est l'ère des poissons. Ils sont apparus
à la fin du Silurien et se sont diversifiés durant le Dévonien pour donner naissance
à tous ceux qu'on connaît maintenant. Pratiquement, tous les grands groupes actuels
étaient déjà là.

Les premiers poissons sont apparus à la fin du Silurien (vers -420 Ma). C'étaient
des poissons sans mâchoire (Agnathes) qui sont pratiquement tous disparus au
Dévonien; le seul survivant de ce groupe est la lamproie actuelle. Rapidement, ils
ont donné naissance aux poissons à mâchoire: les placodermes, poissons cuirassés
dont le corps était protégé par une véritable armure fabriquée de plaques de
carbonate de calcium (ex., le célèbre Bothriolepis du site fossilifère de Miguasha,
en Gaspésie), et les sélaciens, des poissons cartilagineux (ex., les requins actuels).
Ils ont aussi conduit aux poissons osseux primitifs, les ancêtres des poissons osseux
actuels. Parmi ces poissons osseux primitifs, il y a les crossoptérygiens; le fameux
coelacanthe Latimeria qui vit dans l'archipel des Comores, en Afrique, et qu'on
qualifie de fossile vivant, est le seul survivant des crossoptérygiens. Par ailleurs, les
crossoptérygiens ont donné naissance au premier amphibien à la fin du Dévonien
(vers -370 Ma).

Puis, au début du Carbonifère, on est passé de l'amphibien au premier reptile par


l'invention de l'oeuf amniote qui libérait les amphibiens du milieu marin, ... une
histoire à suivre à la rubrique suivante.

Les céphalopodes
Les céphalopodes constituent la classe la plus complexe de l'embranchement
(phylum) des mollusques. Sauf le groupe des calmars, seiches et pieuvres, ils
possèdent une conque droite ou enroulée, partiellement cloisonnée en chambres
liées par un siphoncule et permettant le contrôle de la flottabilité. Ils ont une tête
bien définie, avec des organes senseurs élaborés. Ils se déplacent par propulsion
d'un jet d'eau à partir de la cavité du manteau. Un bon exemple de céphalopode
enroulé est le Nautilus moderne.

Le Nautilus appartient à la sous-classe des nautiloïdes à laquelle il a donné son


nom. Il est un des rares survivants des céphalopodes enroulés. Ces derniers ont été
particulièrement abondants du Dévonien à la fin du Crétacé, alors qu'ils ont presque
tous été emportés par la grande extinction du Crétacé-Tertiaire. Le Nautilus se
caractérise par la présence de cloisons simples (A sur la photo) et d'un siphoncule
(B sur la photo) servant à la distribution de l'air dans les chambres pour contrôler la
flottabilité de la conque. Le corps de l'animal se trouvait dans la chambre ouverte
sur l'extérieur (C). L'animal se déplaçait entre deux eaux en se propulsant par un jet
d'eau, dans la position présentée ici. Collection Musée René-Bureau, Université
Laval.

Les nautiloïdes "primitifs" avaient des conques droites avec, comme chez
le Nautilus, des cloisons très simples, comme sur la photo ci-dessous illustrant un
nautiloïde droit, région de l'Anse-aux-Gascons, Silurien de Gaspésie.
Ci-dessous, une goniatite, soit un céphalopode enroulé à cloisons plus complexe
que le Nautilus, appartenant à la sous-classe des ammonoïdes, toutes disparues à la
fin du Crétacé. Elle n'est pas comme on pourrait le croire à première vue l'ancêtre
du Nautilus; ce dernier appartient à une autre lignée à cloisons plus simples, les
nautiloïdes qui eux sont passés à travers l'extinction de la fin du Crétacé comme en
témoigne le Nautilus. Spécimen dont la conque a été enlevée pour exposer la
structure interne; les chambres sont remplies par du matériel sédimentaire et des
cristaux de calcite. (Ces spécimens sont vendus sous le nom d'ammonites, alors
qu'ils sont en fait des goniatites). Dévonien de la région d'Erfoud, sud du Maroc.
Collection P. Dansereau.
Si vous voyagez dans le sud du Maroc, en particulier dans la région d'Erfoud, vous
aurez probablement l'occasion de voir de spectaculaires spécimens comme illustrés
ci-dessous. Ces plaques sont offertes à la vente comme représentant un assemblage
de goniatites et de nautiloïdes droits représentant les restes d'organismes déposés
sur le fond marin et se retrouvant aujourd'hui sur un même lit sédimentaire. S'il est
vrai que ces fossiles sont les restes d'organismes ayant vécu au même temps, il
s'agit ici d'un habile montage auquel s'adonnent les artisans d'Erfoud, les fossiles
étant cependant de vrais fossiles, ... ce qui n'enlève rien au spectalulaire de la pièce.
Largeur de la pièce, environ 1 mètre. Dévonien de la région d'Erfoud, Sahara
marocain.
Ci-dessous, un autre de ces habiles montages.
La pièce ci-dessous n'est pas un montage, mais véritablement un assemblage de
nautiloïdes droits (orthocères) tous orientés approximativement dans le même sens.
L'artisan s'est contenté de prolonger quelque peu le fossile original (voir l'orthocère
central en diagonal dont le tiers droit ne fait pas partie du fossile, mais n'est qu'une
sculpture). L'erreur principale ici est d'avoir façonné les deux extrémités des
orthocères en pointes, alors que ces derniers sont des cônes, donc une extrémité en
pointe et l'autre s'évasant. Largeur de la pièce environ 1 mètre. Dévonien de la
région d'Erfoud, Sahara marocain.
Les artisans d'Erfoud fabriquent divers objets avec le calcaire dévonien à orthocères
et goniatites de leur région, comme les assiettes ci-dessous. Collection P.-A.
Bourque.
De la mer à la terre: un passage réussi

Lorsqu'on discute ou qu'on présente la venue des vertébrés sur la terre ferme, on
laisse toujours entendre que le milieu terrestre, c'est-à-dire le milieu à l'air libre,
était tout à fait dénudé de vie, que ces pauvres animaux sont arrivés dans un désert.
Il n'en est pourtant rien.

Les premières formes de vie à coloniser les continents furent probablement


les cyanobactéries; comme nous l'avons vu précédemment, ce sont des micro-
organismes capables de résister aux rayons ultra-violets et qui sont apparus sur
terre il y a au moins 2,8 milliards d'années. Ces cellules ont dû faire face à deux
problèmes pour passer du milieu marin à la terre ferme: 1) l'eau douce qui tend à
s'infiltrer dans la cellule et vient dissoudre les sels essentiels à sa survie; 2) la
sécheresse qui risque de déshydrater la cellule. Il semble donc que les
cyanobactéries aient réussi à résoudre ces problèmes puisqu'on trouve dans les sols
précambriens, des taux anormalement élevés en carbone 12, indiquant la
contribution des photosynthétiseurs à la fixation du carbone.

Les algues vertes, qui étaient déjà présentes dans le milieu marin depuis au moins
le Cambrien, ont suivi à l'Ordovicien-Silurien. Elles ont procédé à l'implantation
des végétaux terrestres en inventant deux mécanismes importants: les spores pour
la reproduction et les racines pour l'alimentation.

Les premières formes de végétaux terrestres furent les bryophytes, des plantes qui
restent au ras du sol, comme les mousses. On retrouve des spores de bryophytes dès
la fin de l'Ordovicien. Puis, à la fin du Silurien, sont apparues les premières plantes
vasculaires, c'est-à-dire des plantes munies de cellules capables de transporter
l'eau.

Du côté animal, on a découvert des fossiles d'arthropodes ressemblant aux


scorpions, associés à des plantes vasculaires dans des couches du Dévonien
inférieur. Dans des couches à peine plus jeunes de quelques millions d'années, on a
trouvé des arthropodes qui appartiennent au même groupe que les insectes et les
myriapodes actuels.

Tout cela, plusieurs millions d'années avant que le premier vertébré amphibien
viennent mettre le pied sur terre! En fait, on considère qu'à la fin du Dévonien, au
moment de l'arrivée des amphibiens, un grand nombre d'invertébrés avaient déjà
rejoint la terre ferme: escargots, insectes, araignées, scorpions.

En cette fin du Dévonien, les arbres étaient déjà présents, mais c'est dans la
seconde moitié du Carbonifère que la grande forêt de type équatorial s'est
développée. Celle-ci devait ressembler à cette illustration.
Il y avait de grands arbres à écailles, Lepidodendron (1), à très haut port; on connaît
des troncs fossiles qui atteignent 35 m de longueur et on estime la hauteur totale de
l'arbre à plus de 40 m. Il y avait aussi un grand arbre columnaire, Sigillaria (2),
mesurant 30 m et plus, terminé par des bouquets de longues feuilles d'un mètre.
Puis Cordaites (3), un autre grand arbre de 30 m, élancé, avec un tronc de 60 cm de
diamètre et de longues feuilles. Calamites (4), plante arborescente ou semi-
arborescente, croissant en bordure des plans d'eau, formant un axe dressé de 15 à
20 m, une sorte de prêle géante. Finalement, un arbre-fougère (5) pouvant atteindre
les 20 m de hauteur, avec un tronc de 60 cm de diamètre.

Cette grande forêt a certes contribué à une augmentation du niveau d'oxygène de


l'atmosphère terrestre au Carbonifère (voir oxygénation de l'atmosphère terrestre),
mais elle a surtout contribué à accumuler d'énormes quantités de charbon, de là le
nom de cette période du Carbonifère. Par la suite, on n'a jamais connu
d'accumulations aussi importantes de charbon. Cela tient fort probablement au fait
que les spécialistes de la transformation des végétaux nouvellement arrivé sur terre,
c'est-à-dire les bonnes bactéries, n'étaient pas encore nés.

Mais revenons à nos vertébrés marins en mal de quitter la mer. On peut se


demander: pourquoi ont-ils voulu coloniser le milieu terrestre? On pourrait toujours
avancer que la compétition devenait difficile en milieu marin, mais on peut aussi
supposer que le simple fait de vouloir profiter de ressources immenses inexploitées
offrait un attrait certain. Non seulement des ressources alimentaires, mais des
ressources en oxygène, l'air étant évidemment beaucoup plus riche que l'eau en
cette ressource. Mais nous sommes là en terrain tout à fait spéculatif.

Ces vertébrés marins qui veulent quitter l'eau pour la terre ont à résoudre un certain
nombre de problèmes. Un de ces problèmes, et non le moindre, c'est la pesanteur.
Ceux qui ont fait de la plongée sous-marine en scaphandre autonome (SCUBA)
connaissent bien cette sensation de la quasi apesanteur, cette grande liberté de
mouvement que procure le support de l'eau. Chez les poissons, la colonne
vertébrale est adaptée à la nage, principalement, aux mouvement latéraux
ondulatoires. Chez les amphibiens, cette colonne doit s'adapter pour soutenir le
poids des viscères, une force dirigée vers le bas. De nouveaux muscles doivent
donc se développer pour répondre aux nouvelles conditions.

La locomotion constitue un second problème de taille pour les nouveaux habitants


de la terre ferme. Les nageoires du poisson sont conçues pour un mouvement bien
particulier, la natation, un mouvement bien différent de la marche. À ce titre, un
poisson du nom d'Eusthenopteron, un des joyaux de la faune à poisson du site de
Miguasha en Gaspésie (on l'a baptisé le prince de Miguasha), est vu comme un des
chaînons évolutifs très important entre poissons et tétrapodes primitifs (animaux à
quatre pattes). Ses nageoires montrent un arrangement des os qui préfigure
l'arrangement des os des pattes des tétrapodes. Un autre poisson du site de
Miguasha (site d'âge Dévonien supérieur, autour de -370 Ma),Elpistostege, est
considéré comme étant encore plus près du premier tétrapode.

Un troisième problème auquel ont dû faire face les nouveaux candidats à la vie sur
la terre ferme est le désèchement, un problème qu'ils n'ont résolu que
partiellement; les premiers amphibiens sont demeurés cantonnés près de l'eau.

Un quatrième problème touchait le mode de reproduction. Les poissons pondent


leurs oeufs dans l'eau. Les premiers amphibiens n'ont pas résolu ce problème; ils
ont continué à en faire autant. Ils demeuraient donc dépendant de l'eau à ce point de
vue. Il faudra attendre les reptiles pour se libérer de cette contrainte.

Un dernier problème que les amphibiens semblent avoir réglé relativement


facilement, c'est l'utilisation de l'oxygène à partir de l'air plutôt que de l'eau.

En somme, on peut dire que les amphibiens ont réussi à mettre au point toutes
sortes d'innovations "technologiques" dans le domaine du transport des charges et
de la mécanique du mouvement, innovations qui leur ont permis de se tenir debout
et de se déplacer sur terre. Par contre, ils sont restés tributaires de l'eau, entre autres
pour la reproduction.

Ce qui a permis aux nouveaux habitants terrestres de s'affranchir de l'eau et


finalement d'aller coloniser l'intérieur des terres, c'est l'invention de l'oeuf
amniotique, l'oeuf qui possède une coquille semi-perméable qui enveloppe les
réserves alimentaires permettant à l'embryon de se développer dans un endroit sûr
et bien protégé. Cette invention est le fait des reptiles qui très rapidement ont
dominé les milieux terrestres.

Selon les archives paléontologiques, les premiers reptiles dateraient du début du


Carbonifère. On saute ici des étapes, mais disons que ces premiers reptiles, qui
étaient relativement petits, ont donné naissance aux grands sauriens, ces fameux
dinosaures, qui ont dominé l'ère Mésozoïque, surtout durant les périodes Jurassique
et Crétacé. Puis, à la fin du Crétacé, ces grandes bêtes furent terrassées; elles furent
complètement éliminées de la carte. Et c'est grâce à cette décimation que les
mammifères, tous petits jusque là, ont connu un essor fabuleux qui les a amené là
où ils sont aujourd'hui, incluant une espèce parmi les autres, l'Homo sapiens.

Mais qui a bien pu tuer les dinosaures? La réponse à la rubrique suivante ...

L'oxygénation de l'atmosphère terrestre


Si nous ne sommes pas trop certains de la composition de l'atmosphère primitive,
on sait qu'il n'y avait pas d'oxygène libre (une molécule formée de deux atomes
d'oxygène, O2). D'où vient donc cet oxygène libre qui caractérise aujourd'hui notre
atmosphère?

Même si les radiations solaires peuvent briser les molécules d'eau (H2O) dans la
haute atmosphère et produire des atomes d'oxygène qui se combinent deux à deux,
ce processus est trop lent pour expliquer la concentration actuelle de l'atmosphère
en oxygène libre. Tous s'accordent à dire que l'oxygène est un produit de la
photosynthèse.

CO2 + H2O + énergie solaire = CH2O (hydrate de carbone) + O2

La courbe qui suit montre à quel rythme s'est faite l'oxygénation de l'atmosphère.

Nous avons relativement peu d'information en ce qui concerne la portion


précambrienne de la courbe. Dans les premiers âges de la Terre, soit entre -4 et -2,5
Ga, l'oxygène atmosphérique n'était produit que par l'action du rayonnement UV
sur la vapeur d'eau (H2O) et le dioxyde de carbone (CO2), et son niveau était très
bas, entre 0,005 et 0,01% du niveau actuel. Les premières traces d'oxydation sont
apparues il y a quelques 2,2 Ga, ce qui implique une augmentation sensible du
niveau d'oxygène libre atmosphérique à ce moment. On évalue que le niveau
atteignait environ 0,15% du niveau actuel vers 2,2 Ga. Les premières traces
d'oxygène apparaissent autour des 2,5 Ga. Les évidences nous viennent de la
présence des premiers oxydes de fer dans les roches. En effet, pour produire des
oxydes de fer comme l'hématite par exemple, il faut de l'oxygène. Les grandes
formations de fer, lesquelles contiennent des oxydes de fer en grande quantité, sont
apparues au début du Protérozoïque, comme par exemple celles de la fosse du
Labrador. C'est dire que déjà les procaryotes photosynthétiques étaient à l'oeuvre.

A la fin du Précambrien, au moment où se termine la longue vie solitaire des


bactéries et où commence la diversification de la vie avec la faune d'Édiacara, on
évalue que l'atmosphère avait atteint un niveau d'oxygène comparable au niveau
actuel; il semble donc y avoir une possible relation entre ce niveau d'oxygène
atmosphérique et la diversification de la vie. On estime qu'il y a eu une chute très
importante du niveau d'oxygène atmosphérique au Néoprotérozoïque, entre -725 et
-600 Ma, une chute reliée à une période de glaciation exceptionnelle et unique dans
l'histoire de la Planète (voir la Terre boule de neige). La Terre entière aurait été
couverte de glace, réduisant drastiquement la photosynthèse (pour en savoir plus
sur ce sujet, voir "Quand la Terre était gelée", par P. Hoffman et D. Schrag, Pour la
Science, no 268, février 2000).

On a plus de données en ce qui concerne le Phanérozoïque (Paléo-, Méso- et


Cénozoïque) (voir au point 3.4.3). Le schéma qui suit exprime les variations de la
concentration en oxygène atmosphérique selon une modélisation par R.A Berner et
D.E. Canfield (American Journal of Science, v. 289, 1989).
Il apparaît que l'augmentation significative du niveau d'oxygène atmosphérique au
Carbonifère puisse être relié à l'avènement de la grande forêt équatoriale. Il semble
qu'à cette époque, les spécialistes de l'oxydation de la nouvelle matière végétale en
gaz carbonique n'étaient pas encore apparus et que par conséquent, le bilan net du
cycle photosynthèse-respiration présentait un excédent en oxygène libre,
contrairement à la forêt actuelle qui présente un bilan à l'équilibre.

Eusthenopteron foordi, appelé le "prince de Miguasha" est un fossile clé dans la


lignée évolutive des poissons vers les tétrapodes (animaux à quatre pattes).
Dévonien de Gaspésie, Parc de Miguasha, Québec. Échelle = 5 cm.
Les grands chambardements de la vie: les extinctions de masse

Les extinctions de masse qui ont eut lieu à travers les temps géologiques
constituent un aspect des plus enigmatiques, mais combien passionnant, pour celui
qui étudie l'évolution de la vie.

Depuis pas mal longtemps, les archives paléontologiques nous avaient enseigné
qu'il y avait eu des moments de grand chambardement de la vie dans les temps
géologiques. On a vu par exemple, que de grands changements fauniques avaient
servi à délimiter les grandes ères lorsqu'on a construit le calendrier des temps
géologiques. Ces grands chambardements correspondent à ce qu'on appelle des
extinctions de masse, un phénomène qui a forcé la vie à se réorganiser à plusieurs
reprises durant les temps géologiques.

Les extinctions de masse à travers les temps géologiques

On considère que la biodiversité actuelle représente tout au plus 1% de toutes les


espèces qui ont vécu dans le passé. En clair, cela signifie que 99% des espèces se
sont éteintes. Cette extinction n'est pas linéaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas
uniquement le fait de remplacement progressif d'une espèce par une autre, comme
par exemple sous l'impulsion de la sélection naturelle. Cela ne signifie pas que le
remplacement progressif n'a pas existé: il n'a simplement pas été le seul processus
impliqué. Les extinctions d'espèces ont procédé souvent par soubresaults.
Plusieurs de ces soubresaults ont été répertoriés à travers les temps géologiques par
les paléontologues. Ce tableau nous montre la répartition temporelle des
principaux.

Il y a des degrés dans l'ampleur d'une extinction de masse. Ici, les barres
horizontales de couleurs diverses indiquent plusieurs extinctions; leur longueur se
veut proportionnelle à l'ampleur de l'extinction. On se réfère le plus souvent aux
cinq grandes.

 À la fin de l'Ordovicien (autour de -445 Ma): un tiers de la faune marine


s'est éteinte; les trilobites furent particulièrement affectés.
 À la fin du Dévonien (-360 Ma): l'écosystème récifal a été fortement atteint;
les récifs disparaissent pour ne revenir que beaucoup plus tard, au Trias,
cette fois, érigés non plus par les stromatopores et coraux Rugosa et
Tabulata, mais par les coraux Scléractiniens et des calcispongiaires; les
poissons marins sont affectés, alors que ceux d'eau douce le sont beaucoup
moins; peu de trilobites survivent (une seule famille).
 À la fin du Permien (-248 Ma): c'est la plus grande crise; plus de la moitié
des familles d'organismes marins disparaissent et les vertébrés terrestres
sont décimés; on évalue qu'environ 95% des espèces sont disparus de la
surface du Globe.
 À la fin du Trias (-206 Ma): les ammonoïdes et les nautiloïdes, des
organismes nectoniques, sont particulièrement affectés.
 À la fin du Crétacé (-65 Ma; l'extinction K-T pour Crétacé-Tertiaire): c'est la
fameuse disparition des dinosaures; avec eux sont disparus, le plancton
marin, les rudistes, les ammonites et presque tous les habitants des fonds
marins; ont survécu, les petits mammifères, les plantes terrestres, les
poissons et certains coraux.

Qu'est-ce qui cause une extinction de masse?

On parle ici d'extinction de masse, c'est-à-dire l'extinction simultanée de plusieurs


espèces non apparentées et de constitutions variées. Cette définition est importante
à retenir lorsqu'on tente de déterminer les causes d'une extinction. Certains
événements peuvent causer l'extinction d'une seule espèce, sans nécessairement
causer celles de plusieurs autres. Par exemple, un virus, comme le virus HIV chez
l'homme, peut causer la disparition totale de cette espèce à la surface du globe, sans
entraîner nécessairement les autres espèces.

Pour expliquer les extinctions de masse, il faut chercher des causes universelles. On
peut considérer deux grands ensembles de causes: 1) des causes biologiques,
comme par exemple l'effondrement de vastes systèmes écologiques, ou encore la
disparition de tout le plancton; 2) des causes physiques, comme par exemple, la
détérioration marquée du climat, la chute de grandes météorites, du volcanisme
exceptionnel ou une configuration particulière des masses continentales. Bien sûr,
les premières sont souvent le résultat des secondes.

Au chapitre des causes biologiques, deux conceptions extrêmes s'opposent en ce


qui concerne les systèmes écologiques. L'idée la plus véhiculée de ce qu'est un
écosystème est que les communautés animales et végétales sont des systèmes
délicats, formés de dépendances et d'interactions en équilibre harmonieux, mais
facilement perturbables. Ces systèmes sont souvent vus comme le résultat de
millions d'années d'adaptation réalisés dans le cadre de l'évolution et que par
conséquent, retirer une seule pièce du système risque de tout détruire.

À l'autre extrême, il y a ceux qui prétendent que les communautés sont une
collection d'espèces dont les habitats se trouvent coïncider par hasard dans l'espace,
chacune des espèces s'efforçant de vivre du mieux qu'elle peut en étant
opportuniste, se nourrissant de tout ce qui se présente.

Ces deux façons de voir les choses revêtent un grande importance pour comprendre
les causes des extinctions de masse. Si la première vision est la bonne, des
événements plutôt anodins vont causer des extinctions de masse en tuant une seule
espèce. Si au contraire, c'est la seconde vision qui est la bonne, il faudra des
événements extraordinaires touchant plusieurs espèces non apparentées à la fois.
Les archives géologiques et paléontologiques semblent donner raison à la seconde
en ce qui concerne les extinctions de masse.

Au chapitre des causes physiques, celles qu'on a le plus souvent invoquées dans le
passé pour expliquer les extinctions de masse sont les changements climatiques et
les variations du niveau des mers qui en découlent. Jusqu'au début des années 1980,
l'hypothèse qu'on retrouvait dans la plupart des manuels de géologie ou de
paléontologie concernant l'extinction Crétacé-Tertiaire (celle qui a entraîné la
disparition des dinosaures) était un changement climatique important qui avait
affecté autant les aires terrestres que marines, un changement climatique
(glaciation? mouvement des plaques tectoniques?) ayant entraîné une détérioration
des conditions de vie sur la terre ferme et un abaissement du niveau des mers, ce
qui aurait fait disparaître plusieurs espèces terrestres et marines.

Deux chercheurs, Jablonski et Flassa, ont tenté, en 1984, de tester cette relation
extinction-abaissement du niveau des mers. Par exemple, ils ont calculé quel serait
le taux d'extinction, à l'échelle planétaire, si tous les organismes vivants
actuellement sur les plateaux continentaux disparaissaient, disons par un
abaissement du niveau des mers de l'ordre de 135 m. Ils ont pris comme groupe
cible les mollusques, un groupe abondant. La réponse obtenue est de 13%. Par
comparaison, le niveau d'extinction pour ce seul groupe à la fin du Permien a été de
52%. Il semble donc que ce ne soit pas là une cause suffisante.

Un autre exemple va dans le même sens. La dernière grande glaciation du


Pléistocène a abaissé le niveau des mers jusqu'à -130 m, de quoi dénuder
pratiquement tous les plateaux continentaux. Bien qu'on ait noté une baisse de la
biodiversité marine, on n'a noté aucune extinction qui pourrait être qualifiée de
masse. La raison est finalement simple: les abaissements du niveau marin reliés aux
changements climatiques ou à la tectonique des plaques sont relativement lents: les
organismes ont le temps de migrer, de s'adapter. Il faut trouver des causes plus
catastrophiques pour expliquer ces extinctions.

Pour discuter plus à fond des causes des extinctions, commençons avec le cas le
plus médiatisée et qui, depuis que les enfants américains sont tombés en amour
avec les dinosaures, excite l'imagination populaire: l'extinction qui a entraîné la
disparition de ces grosses bêtes. Comment et pourquoi sont disparus les dinosaures,
à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d'années?

Qui a tué les dinosaures?

Durant des décennies, les paléontologues (et bien d'autres amoureux des grosses
bêtes) ont recherché la cause de la disparition subite des dinosaures à la fin du
Crétacé. Une multitude d'explications ont été suggérées, pour la plupart axées sur la
vision darwiniste de la sélection naturelle: la compétition entre les espèces, la
mésadaptation de certaines fonctions qui mènent à l'élimination des mésadaptés et
les adversités de la vie ou du milieu qui forcent les espèces à s'adapter ou
disparaître. Voici quelques exemples.

 La compétition: les petits mammifères auraient mangé les oeufs des grands
dinosaures, ce qui aurait empêcher l'éclosion de leur progéniture, ... et la
victoire de David sur Goliath; c'est une hypothèse qui a souvent été
invoquée.
 La mésadaptation de certaines fonctions: c'est une hypothèse énoncée
dans les années 1950 et qui voudrait qu'une augmentation de la
température globale ait rendu les dinosaures stériles. On sait que les
testicules des mammifères ne fonctionnent que dans un intervalle de
température bien spécifique; une trop grande chaleur les empêchent d'être
productives. C'est pourquoi celles des mammifères pendent à l'extérieur du
corps. On a donc mis ici dinosaures et mammifères dans le même sac.
 Les adversités: on sait que les angiospermes, les plantes à fleurs, sont
apparues vers la fin du règne des dinosaures. Certaines contiennent des
substances psychotropes et les animaux d'aujourd'hui ont appris à les
éviter, entre autres à cause d'un goût trop amer. Nos pauvres dinosaures ne
le savaient pas et ils sont morts d'overdose! Quelle adversité! La science est
souvent tributaire de la culture: cette hypothèse a été proposée par un
psychiâtre californien dans les années 1960!

On aura compris que toutes ces hypothèses ne sont pas très convaincantes, même si
elles ont connu leur heure de gloire. Aujourd'hui, les hypothèse les plus crédibles se
rattachent aux cataclysmes naturels, tels les chutes d'astéroïdes ou du volcanisme
exceptionnel.

Avant d'évaluer ces hypothèses, il y a une donnée fondamentale dont on doit tenir
compte en ce qui concerne l'extinction K-T: il n'y a pas que les dinosaures qui sont
disparus, mais avec eux, 75% des espèces à la surface de la planète, ce dont ne
prenaient pas en compte les hypothèse précédentes. Ainsi, avec les dinosaures, sont
disparus:

 presque tout le plancton


 presque tous les habitants des fonds marins, incluant les rudistes, des
mollusques bivalves très florissants
 plusieurs organismes du necton, comme les ammonites, des mollusques
nectoniques parfaitement adaptés
 une grande partie de la végétation terrestre

Seuls sont passés à travers la crise:


 les petits mammifères terrestres,
 les plantes terrestres,
 quelques poissons
 et quelques coraux.

Il faut tenir compte de cette donnée fondamentale qui nous dit qu'il s'agit là d'une
véritable extinction de masse, c'est-à-dire la disparition simultanée de plusieurs
espèces non apparentées et de constitutions variées.

a) L'hypothèse de l'astéroïde (météorite)

Au début des années 1980, on s'est affranchi de la recherche de causes dites


normales pour s'aventurer dans l'examen de causes extrêmes. Cet affranchissement
est venu d'une proposition des chercheurs Walter et Luis Alvarez, père et fils, l'un
physicien (prix Nobel de physique) , l'autre géochimiste, à l'effet que l'extinction K-
T aurait été causée par la chute d'un astéroïde qui aurait projeté des tonnes de
matériaux dans l'atmosphère et profondément bouleversé les conditions de vie à la
surface de la planète.

Ces deux chercheurs ont eu l'idée de vérifier si, non seulement la vie, mais les
sédiments avaient aussi enregistré un événement important qui pourrait expliquer
l'extinction. Ils ont choisi d'analyser une séquence de roches sédimentaires à grains
très fins, des schistes, qui justement contiennent les couches de cette limite du
Crétacé-Tertiaire. En d'autres termes, ils ont étudié une séquence continue qui
présentait les couches sous la limite, à la limite et au-dessus de la limite K-T. Ils
espéraient donc pouvoir déceler des changements, si changements il y avait.

Ils ont découvert une anomalie géochimique très importante au niveau de la limite
K-T, une concentration anormalement élevée d'iridium. L'iridium est un élément
très rare dans les roches terrestres, mais pas dans les cailloux qui nous viennent de
l'espace, les météorites. C'est là qu'ils ont formulé l'idée d'un impact météoritique,
la chute d'un astéroïde. [Question de sémantique: astéroïde = petite planète ou
morceau de planète se déplaçant dans le système solaire; météorite = la roche elle-
même qui constitue l'astéroïde et qui nous parvient lors de la collision de ce dernier
avec notre planète].

Cette météorite, comme toutes les grandes météorites, se serait pulvérisée,


vaporisée au contact de la terre et aurait projeté dans l'atmosphère, un immense
nuage de poussière qui se serait rapidement dispersé tout autour de la planète,
voilant le soleil et créant une sorte d'hiver nucléaire, une avant-première en quelque
sorte de ce que risque de produire l'homme un jour! Les gros organismes comme
les dinosaures qui dépendent d'une nourriture abondante seraient disparus en peu de
temps, de même que le plancton qui dépend de la photosynthèse, avec tout ce que
cela entraîne comme conséquences pour la vie marine. Les spores et les graines des
plantes terrestres ont sans doute pu patienter et attendre quelques années le retour
des temps meilleurs. Les petits mammifères ont peut-être trouvé leur nourriture
parmi les graines.

L'iridium de la météorite aurait été distribué, avec les poussières, à la grandeur de


la terre, puis déposé avec les retombées de poussières. On devrait donc retrouver
cet iridium un peu partout dans les sédiments de cet âge: c'est en effet le cas.

Depuis, plusieurs observations sont venues s'ajouter à l'argument de l'iridium:


présence de quartz de haute température et de sphérules de verre typiques des
impacts météoritiques; présence anormale de carbone issu de la suie qui indique
qu'il y a eu de grandes incendies à cette époque; plus récemment, la découverte par
une équipe française de magnétites nickellifères qui ne peuvent se former qu'en
présence d'oxygène et d'une grande quantité de nickel et qui sont pratiquement
absente à la surface de la planète. Ces magnétites nickellifères se forment
lorsqu'une météorite riche en nickel entre en contact avec l'atmosphère oxygénée de
la terre. Ainsi, elles n'existent pas sur la lune, puisqu'il n'y a pas d'atmosphère
oxygénée.

La cerise sur le gâteau: on a découvert au début des années 1990, 10 ans après la
proposition des Alvarez, le cratère météoritique (astroblème) correspondant en âge
à la frontière Crétacé-Tertiaire. Il s'agit de l'astroblème de Chicxulub, dans le nord-
ouest de la péninsule du Yucatan, au Mexique (Carte paléogéographique de
l'époque). Cet astroblème fait 260 km de diamètre, soit trois fois celui de
Manicouagan au Québec, un des grands astroblèmes connus. Il présente un
escarpement de 3000 m et est enfoui sous plusieurs centaines de mètres de
sédiments. Il a affecté en partie le continent et en partie le plateau continental peu
profond. On évalue que l'impact fut équivalent à un séisme de magnitude
supérieure à 10. La dimension de la météorite est évaluée à 10 km de diamètre et
l'énergie cynétique dégagée à 100 millions de mégatonnes. De quoi perturber
sérieusement l'atmosphère terrestre, créer un tsunami important, créer un effet de
voile autour de la planète et causer des incendies à l'échelle tout au moins
continentale.

Nulle doute donc qu'il y a eu un impact météoritique il y a 65 Ma. Doit-on pour


autant conclure qu'il est responsable de l'extinction de masse K-T?

b) l'hypothèse du volcanisme exceptionnel

On a démontré qu'à la fin du Crétacé il y a eu sur le continent indien, pendant sa


migration vers le nord (carte paléogéographique de l'époque), un volcanisme
exceptionnellement intense relié à un point chaud. On a appelé les dépôts de laves
résultants, les Traps du Deccan [traps = escaliers; empilement de coulées de laves
formant les falaises en escaliers du plateau du Deccan dans le sud de l'Inde], une
épaisseur considérable de laves, près de 2500 m, sur une superficie immense qu'on
évalue à plus de 2 millions de km2. On peut dire que c'est là, en effet, un événement
exceptionnel. Un tel volcanisme a pu chambarder l'atmosphère par des émissions
importantes de CO2 et/ou de SO4, causant une intensification de l'effet de serre
entraînant une augmentation de la température, des changements climatiques très
importants, des pluies acides causées par des émissions d'hydrogène sulfureux par
les volcans, des modifications probables des eaux océaniques, etc. On peut
facilement penser que la vie sur la planète aurait été profondément affectée.

Comme pour la chute de la météorite, aucun doute que ce volcanisme a eu lieu,


mais est-il responsable de l'extinction de masse?

c) Une relation de cause à effet?

De la coïncidence de deux événements, il ne découle pas nécessairement une


relation de cause à effet. La présence de X sur les lieux d'un accident ne fait pas de
lui le responsable de l'accident. Voilà tout le dilemme. On a fait aujourd'hui, sans
nuance, un dogme voulant que la météorite soit la responsable exclusive de
l'extinction K-T et de la disparition des dinosaures.

Récemment, Vincent Coutillot, dans un ouvrage de vulgarisation très intéressant


(La Vie en Catastrophes, Fayard, 1995) a montré que l'événement volcanique
exceptionnel de la fin du Crétacé s'était produit sur une courte période d'environ un
demi-million d'années à peine et que l'éjection de CO2 aurait été de d'ordre de dix
fois supérieure à ce que l'on connaît aujourd'hui. Un demi-million d'années
représente tout de même un intervalle de temps plus long que la chute d'une
météorite, mais un tel volcanisme en si peu de temps a de quoi détériorer
sérieusement le climat.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'un ou l'autre des deux scénarios
constituent à première vue un candidat sérieux dans la recherche des causes de
l'extinction K-T. Chacun aurait pu pertuber l'atmosphère terrestre au point de
détruire la chaîne trophique photosynthèse-herbivores-carnivores et conduire à une
extinction de masse. La paléontologie peut-elle apporter une réponse?

Certains ont proposé qu'en fait les dinosaures étaient déjà sur leur déclin et qu'il
n'était pas nécessaire d'invoquer un événement catastrophique pour leur disparition.
On a cependant démontré que, sur une base statistique, la diversité des dinosaures
était aussi grande durant les deux derniers millions d'années de leur existence que
durant tout le Crétacé. Mais encore là, il faut éviter de se centrer sur les dinosaures
et examiner l'ensemble de la faune.

Ainsi, deux études (Archibald et Bryant, 1990; Sheehan et Fastovski, 1992) ont
montré que 88% des espèces qui vivent sur la terre ferme se sont éteintes, alors que
par contre 90% des espèces d'eau douce ont survécu. Une telle situation peut
s'expliquer par la nature de la chaîne alimentaire à laquelle participe chaque
groupe: les espèces qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux plantes
vivantes (herbivores) sont disparues (dinosaures, la plupart des vertébrés terrestres),
alors que celles qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux détritus (les
détritivores) laissés dans les lacs, les cours d'eau, les sols, les racines, etc. ont
survécu. C'est ce qui a pu faire la différence entre les dinosaures et les petits
mammifères; ces derniers n'étaient pas adaptés à brouter les végétaux, mais étaient
plutôt insectivores, omnivores ou détritivores. On peut en dire autant pour les
espèces marines: le plancton qui dépend de la photosynthèse et toute la vie
benthique ou nectonique qui filtre le plancton sont disparus, alors que les
détritivores comme les poissons sont passés à travers la crise. Chez les oiseaux,
ceux qui vivaient en forêts sont disparus, alors que ceux des rives marines ont
survécu.

Il apparaît assez clairement que l'évènement qui a causé l'extinction K-T en est un
qui a perturbé sérieusement la chaîne alimentaire à partir de la photosynthèse. Dans
les deux cas, chute de météorite ou volcanisme exceptionnel, les quantités énormes
de poussières et de gaz éjectées dans l'atmosphère ont créé un voile qui a fort
probablement inhibé la photosynthèse pour plusieurs années, avec les conséquences
que l'on connaît sur la chaîne alimentaire.

Peut-être que le volcanisme à lui seul n'aurait pas été suffisant pour créer une
extinction et qu'il a fallu le coup de grâce de l'astéroïde? Peut-être, à l'inverse, que
l'astéroïde seul n'aurait pas suffit s'il n'y avait eu d'abord ce volcanisme
exceptionnel? Peut-être faut-il la coïncidence d'au moins deux événements
extrêmes pour causer une extinction de masse? Les quatre autres extinctions
peuvent-elles nous apprendre quelque chose à ce sujet?

Les autres extinctions de masse

L'extinction de la fin du Permien constitue la plus grande crise entre toutes; on


évalue que 95% des espèces sont disparus, contre de 60 à 75% pour les quatre
autres crises (75% pour l'extinction K-T). Mais ici, aucune trace de chute d'un
astéroïde: pas d'iridium, pas d'impactites, pas de quartz de haute température, pas
de magnétite nickellifère, pas de concentrations anormales en carbone, pas de
cratère météoritique; rien de ce qui nous sert à diagnostiquer un tel événement
catastrophique.

Par contre, du volcanisme exceptionnel a bien eu lieu vers la fin du Permien-tout


début du Trias, un volcanisme daté à 248 ± 2 Ma en Sibérie. Les Traps de Sibérie
sont formés d'une épaisseur de 3700 m de laves, déposées en moins d'un million
d'années, sur une superficie de 350 000 km2, représentant moins de 3% du volume
des Traps du Deccan. Peut-être pas suffisant pour produire une extinction de
l'ampleur de celle de la fin du Permien. Mais ...

Mais, à la fin du Permien, on a connu une situation extraordinaire: toutes les


masses continentales étaient rassemblées en un seul mégacontinent, la Pangée.
En quoi cela peut-il affecter la vie sur la planète? La configuration actuelle des
continents et des océans permet, entre autres, un patron de circulation océanique
qui régule la distribution des températures à la surface de la planète, d'où une
régulation des climats (Section 3 - Les océans - L'océan régulateur des
températures atmosphériques). Une configuration comme celle de la fin du
Permien, avec un seul grand continent et un seul grand océan, a conduit à une
mauvaise circulation qui aurait causé une détérioration des climats et une anoxie
partielle des bassins marins. Aussi, la configuration actuelle en plusieurs petites
masses continentales procure une grande superficie de plateaux continentaux où
prolifère la vie marine benthique, alors que la configuration d'une seule grande
masse diminue de beaucoup cette superficie disponible pour la vie marine
benthique. On a vu aussi précédemment que l'accumulation de chaleur sous un
mégacontinent soulève celui-ci, d'où une émergence progressive des plateaux
continentaux. Il faut voir cependant que le rassemblement des continents pour
former la Pangée n'est pas un événement subit, donc que l'on pourrait invoquer à lui
seul pour causer une extinction de masse qui, elle, intervient dans un laps de temps
relativement court.
Le volcanisme de Sibérie a peut-être été le coup de grâce à une détérioration
progressive des conditions de vie sur terre qui durait depuis quelques dizaines de
millions d'années. Ajoutons aux causes possibles de cette détérioration, que certains
chercheurs avancent, sur la base d'une anomalie importante en carbone-12 à la toute
fin du Permien, qu'il y aurait eu une déstabilisation massive des hydrates de
méthane des fonds marins, produisant une émission importante du gaz méthane
dans l'atmosphère, un gaz à effet de serre très efficace qui aurait entraîné une
augmentation substancielle (4 à 5 °C) des températures.

L'extinction de la fin de l'Ordovicien (autour de -445 Ma) présente aussi un cas


intéressant et des causes différentes des deux précédentes. Comme pour le Permien,
aucune trace de chute de météorite. On note cependant un événement très important
à la fin de l'Ordovicien: une grande glaciation qui s'est concrétisée par la présence
d'une calotte glaciaire au pôle sud. Mais une glaciation est-elle suffisante pour
causer à elle seule une extinction de masse de l'envergure de celle de la fin de
l'Ordovicien? Il semble bien que non, puisque la grande glaciation du Pléistocène
(les deux derniers millions d'années) n'a pas eu cet effet.

Pourtant, les études les plus récentes sur l'extinction de la fin de l'Ordovicien
concluent à la relation glaciation-extinction. Sans entrer dans les détails, disons
qu'il faut tenir compte ici d'un second paramètre très important qui vient s'ajouter à
celui de la glaciation: la dimension des plateaux continentaux de l'époque. La carte
qui suit est celle qui représente la configuration des continents et des océans au
milieu de l'Ordovicien.
On voit bien sur cette carte que les plateaux continentaux sont immenses par
rapport aux terres émergées (voir, par exemple, les continents Laurentia, Siberia et
Baltica), formant ce qu'on appelle de grandes mers épicontinentales. Cette carte
représente la situation au milieu de l'Ordovicien, mais la situation n'avait pas
vraiment changée à la fin de l'Ordovicien en ce qui concerne la dimension des mers
épicontinentales (carte non disponible dans la série des cartes de C.R. Scotese).
Outre le refroidissement du climat, l'effet principal d'une glaciation est de causer un
abaissement du niveau des mers, un abaissement qui peut exposer l'ensemble des
plateaux continentaux. À l'Ordovicien, la vie était essentiellement cantonnée dans
les mers, surtout dans ces grandes mers épicontinentales peu profondes. On évalue
à environ une centaine de mètre l'abaissement du niveau marin, ce qui a vidé une
grande partie des mers épicontinentales. Voilà donc à nouveau la coïncidence de
deux situations exceptionnelles, glaciation et présence de grandes mers
épicontinentales, qui peut-être a permis une extinction de masse.

Quant aux deux autres grandes extinctions, l'extinction de la fin du Dévonien (-


360 Ma) et l'extinction de la fin du Trias (-208 Ma), on cerne mal pour le moment
leurs causes. Chute de météorites? Pas certain. On connaît un des beaux cratères
météoritique, celui de Manicouagan au Québec, qui date de la fin du Trias, plus
précisément à -214 Ma; la coïncidence des âges n'est pas idéale. De plus, on évalue
la météorite à environ 5 km de diamètre, ce qui est la moitié de celle de Chicxulub
(extinction K-T). Quant à la fin du Dévonien, on a retrouvé quelques évidences
suggérant un impact météoritique, mais rien d'aussi certain que le cas de Chicxulub.
On sait aussi qu'il y eut un événement anoxique marin très important, mais on en
cerne mal la cause.

On aimerait bien pouvoir identifier une cause unique aux grandes extinctions de
masse; c'est malheureusement ce qui est le plus souvent véhiculé, ... en citant
toujours le cas de la météorite de Chicxulub. C'est tellement plus simple. Mais la
géologie et la paléontologie nous enseignent deux choses: 1) que les causes peuvent
être multiples; 2) qu'il n'est pas certain qu'une de ces causes, aussi catastrophique
soit-elle, puisse à elle seule conduire à une extinction de masse. Il est peut-être
nécessaire d'avoir la coïncidence de plus d'un événement extrême. N'oublions pas
qu'en terme de probabilités, ce qui apparaît improbable à notre échelle, comme par
exemple la coïncidence d'une chute de météorite et d'un volcanisme exceptionnel,
le devient à l'échelle des temps géologiques.

La périodicité des extinctions

Les paléontologues Raup et Sepkoski ont attiré l'attention sur l'aspect périodique
des extinctions. On ne parle pas ici uniquement des cinq grandes discutées plus
haut, mais de plusieurs extinctions de moindre importance, mais qui demeurent
toujours des extinctions de masse. En compilant les fluctuations numériques des
familles et des genres marins depuis le Permien, c'est-à-dire pour les derniers 285
millions d'années, ces chercheurs ont mis en évidence une périodicité de 26 Ma
dans les extinctions.
Pour certains, une telle évidence renforce l'hypothèse d'une cause extra-terrestre,
mais on est loin d'avoir cerné l'explication à cette périodicité.

Dans quelle mesure, les extinctions de masse ont-elles eu une influence sur
l'évolution de la vie? A voir à la rubrique suivante ...

Lectures suggérées

 Courtillot, V., 1995, La Vie en Catastrophes. Fayard, Les Chemins de la


Science, 278 p.
 Raupp, D. M., 1993, De l'Extinction des Espèces - Sur les Causes de la
Disparition des Dinosaures et de quelques milliards d'autres. Gallimard NRF
Essais, 233 p.
 Leaky, R. et Lewin, R., 1997, La 6ème Extinction - Evolution et Catastrophes.
Flammarion, 339 p.

http://www.astrosurf.com/lombry/menu-impacts.htm. Un excellent dossier sur les


impacts météoritiques et leurs effets. À consulter en particulier, la rubrique sur les
extinctions périodiques des espèces où sont discutées en long et en large les
diverses hypothèses.

http://www.lpl.arizona.edu/SIC/impact_cratering/Chicxulub/Chicx_title.html. Les
données de base sur l'astroblème de Chicxulub.

http://miac.uqac.ca/MIAC/chicxulub.htm. Une autre page venant de l'Université du


Québec à Chicoutimi sur Chicxulub.

http://geoweb.princeton.edu/people/faculty/keller/chicxulub.html. Sans remettre en


question la chute d'une météorite à la fin du Crétacé, tous ne sont pas d'accord que
l'astroblème de Chicxulub représente l'arme du crime (le smoking gun) qui a fait
disparaître les dinosaures et bien d'autres espèces. Voici le dossier!

Retour au plan 4.3.3


3.2.4 - L'océan régulateur de températures et de salinité

Les océans couvrent 70% de la surface de la planète et forment un réservoir


énorme qui agit comme un régulateur très important. Nous nous limiterons ici
qu'à deux aspects du rôle de grand régulateur qu'est l'océan: l'océan régulateur
des températures atmosphériques et l'océan régulateur de sa propre salinité.
Nous verrons plus loin (section 3.4) que l'océan joue un rôle primordial dans
plusieurs grands cycles biogéochimiques, entre autres, les cycles de l'oxygène et
du carbone.

L'océan régulateur des températures atmosphériques

Il y a une nette relation entre la circulation des eaux océaniques et les températures
atmosphériques. Les courants de surface sont reliés au régime des vents et
contribuent à réguler les températures atmosphériques. Durant la période estivale,
l'océan absorbe les fortes radiations solaires, les stocke sous forme de chaleur et
redistribue ensuite cette dernière grâce au divers courants océaniques de surface qui
déplacent les masses d'eau chaude vers les latitudes polaires et les masses d'eau
froide vers les zones équatoriales et tropicales où elles viennent se réchauffer.

Cet échange nord-sud a une forte influence sur les températures atmosphériques.
On évalue que s'il n'y avait pas ce régulateur, le flux de chaleur des latitudes
méridionales vers les hautes latitudes serait deux fois moindre, avec la conséquence
que les contrastes entre les climats seraient encore plus marqués: il ferait plus froid
aux pôles et plus chaud à l'équateur.

Les courants profonds ne sont pas directement influencés par le régime des vents,
mais sont plutôt contrôlés par les changements de température et de salinité des
masses d'eau. Les océanographes ont reconnu un cycle important de la circulation
océanique à l'échelle de l'ensemble des océans et à une échelle de temps de l'ordre
d'un millier d'années. C'est lacirculation thermohaline.
Il s'agit d'une boucle qui prend son origine dans l'Atlantique-Nord où les eaux
froides (refroidies par les vents froids du Canada), salées, denses et bien oxygénées
plongent vers les profondeurs, s'écoulent vers le sud sur les fonds océaniques tout
au long de l'Atlantique, traversent l'Océan Indien, puis remontent vers le nord le
long du Pacifique, pour refaire surface dans le Pacifique-Nord, froides et mal
oxygénées. Ces eaux se réchauffent et s'oxygènent tout au long de leur parcours en
surface, du Pacifique à l'Atlantique, et, refroidies à nouveau dans l'Atlantique-Nord,
plongent pour recommencer le cycle. Il faut environ 1000 ans pour un aller-retour.
C'est l'océan global (selon Broeker, 1995, Scientific American, v. 273).

Atmosphère et océan forment un couple intimement lié. La circulation


atmosphérique influence les courants marins et vice versa. Le meilleur exemple de
cette relation intime est le fameux phénomène El Niño.

L'océan régulateur de sa propre salinité

Qui ne s'est pas demandé un jour pourquoi l'eau de la mer est salée, alors que celle
des lacs et rivières ne l'est pas? L'eau marine contient en effet une quantité
relativement importante de « sels » dissouts (et non uniquement du sel, NaCl). Les
constituants primaires des sels marins sont, par ordre d'importance, les ions chlore
Cl- (18,98 g/kg), sodium Na+ (10,56 g/kg), sulfate SO42- (2,65 g/kg), magésium
Mg2+ (1,27 g/kg), calcium Ca2+ (0,40 g/kg) et potassium K+ (0,38 g/kg). Sauf pour
le calcium dont la quantité peut varier d'un endroit à l'autre, la proportion entre
chacun des ions est assez constante à la grandeur des océans. Avec d'autres ions en
quantité moindre, ces principaux ions comptent pour 35 g/kg en moyenne dans les
océans, qu'on exprime plus communément en pour-mille, soit 35‰, la salinité dite
normale de l'océan. On a vu à la section 2 du cours que ces ions peuvent se lier
entre eux pour former les minéraux de la séquence évaporitique, la calcite (CaCO3),
le gypse (CaSO4.nH2O), la halite (NaCL, le sel de table) et la sylvite (KCl).

D'où viennent ces ions? Tous ces ions proviennent de l'altération superficielle des
roches, un processus qu'on a brièvement abordé au point 2.2.2 et qui est discuté
plus en détail, plus loin dans le cadre de certains grands cycles biogéochimiques
(section 3.4). L'eau qui circule sur et dans les roches s'accapare les ions solubles et
les transporte vers l'océan. On évalue que les rivières apportent entre 2,5 et 4
milliards de tonnes de sels dissouts dans les océans chaque année. L'eau s'évapore à
la surface des océans, laissant derrière les sels. Une partie de cette eau évaporée
(eau pure, sans sel) retourne aux continents où elle ruisselle, altère les roches et
rapporte à l'océan de nouveaux sels. À recevoir ainsi continuellement des ions, les
océans deviendraient-ils progressivement de plus en plus salés!

C'est ce qu'a cru un scientifique irlandais (John Joly) au début du 20 ème siècle. Il
faut savoir qu'à cette époque, la radioactivité qui aujourd'hui nous sert à dater les
roches n'était pas connue (la méthode n'a été mise au point qu'au milieu du
20ème siècle) et que par conséquent l'âge de la Terre était on ne peut plus mal connu;
on s'accrochait à l'âge de 100 Ma que Lord Kelvin avait « calculé » en 1866. Cet
irlandais s'est donc dit, à partir d'une vieille idée d'un astronome britannique (Sir
Edmund Halley) du début du 18ème siècle, que si l'océan avait commencé à se «
saler » au début de l'histoire de la Terre, il ne s'agissait que de diviser le volume
total des sels de l'océan actuel par le volume apporté chaque année par les rivières
pour connaître le nombre d'années qu'il a fallu pour apporter tout ce sel, donc l'âge
de la Terre. Ses calculs l'ont amené à proposer un âge se situant entre 80 et 89
millions d'années, un âge plutôt « conservateur » par rapport à l'âge de 4,55
milliards d'années (4550 millions d'années) que l'on a déterminé par la méthode
radiométrique. En fait, si on reprenait les calculs de Joly avec les valeurs des
volumes que l'on évalue beaucoup mieux aujourd'hui, on arriverait à un âge de ...
13 millions d'années!

Alors, force est de conclure que l'océan se débarasse annuellement d'une quantité
de sel égale à celle que lui apportent les cours d'eau. Il faut donc des puits de sel.

 Dans certaines régions côtières du globe, l'évaporation importante


contribue à précipiter les minéraux de la séquence évaporitique et à stocker
ces sels dans les sédiments et roches sédimentaires.
 Le captage de plusieurs ions par les organismes du plancton ou du benthos
qui les utilisent pour former leur squelette ou leur coquille minéralisés
(CaCO3, SiO2); après la mort de l'organisme, les restes minéralisés se
déposent sur les fonds marins et sont incorporés dans les sédiments et les
roches sédimentaires.
 Les embruns marins sont constitués d'eau salée, puisqu'il ne s'agit pas
d'évaporation, mais carrément de fines gouttelettes transportées par les
vents vers les zones côtières continentales.
 À la surface des océans, de minuscules bulles d'air viennent éclater (comme
à la surface de votre verre de pepsi ou de votre coupe de champagne, c'est
selon vos habitudes de consommation) projetant de l'eau salée qui
immédiatement s'évapore, laissant de minuscules cristaux de sels qui sont
entraînés par les vents ascendants vers l'atmosphère et transportés vers les
continents où ils vont se déposer avec les pluies.

En somme, la salinité actuelle des océans ne représente pas le résultat


d'une accumulation progressive de sels, mais l'équilibre entre ce qui
entre et ce qui sort de l'océan. Les hydrates de méthane: une réserve énergétique
énorme, mais une bombe écologique en puissance

Les trois dernières décennies du XXème siècle ont vu des découvertes étonnantes
sur les fonds océaniques : sources chaudes précipitant des sulfures massifs et
soutenant une biomasse impressionante, communautés chimiotrophes tirant leur
énergie d'évents sulfureux, méthaniques ou amoniaqués, hydrates de gaz, etc. Les
hydrates de méthane, entre autres, constituent une réserve énorme d'énergie. On
peut prévoir sans trop se tromper que l'Homme tentera d'exploiter cette réserve.
Mais saura-t-il le faire sans dommages pour l'environnement planétaire?

On estime aujourd'hui que les hydrates de méthane des fonds océaniques


contiennent deux fois plus en équivalent carbone que la totalité des gisements de
gaz naturel, de pétrole et de charbon connus mondialememt. Le long de la seule
côte sud-est des USA, une zone de 26 000 kilomètres carrés contient 35 Gt
(gigatonnes = milliards de tonnes) de carbone, soit 105 fois la consommation de
gaz naturel des USA en 1996! La carte qui suit, extraite de Sues, Bohrmann,
Greinert et Lausch (Pour la Science, octobre 1999), montre la répartition des
gisements connus d'hydrates de méthane dans le monde.
Les points jaunes indiquent les gisements sur les plateaux ou les talus continentaux,
les losanges rouges, les gisements dans le pergélisol (sol gelé en permanence).

Qu'est-ce qu'un hydrate de méthane?

Sous des conditions de température et de pression particulières, la glace (H2O) peut


piéger des molécules de gaz, formant une sorte de cage emprisonnant les molécules
de gaz. On appelle les composés résultants des hydrates de gaz ou encore des
clathrates. Les gaz piégés sont variés, dont le dioxyde de carbone (CO2), le sulfure
d'hydrogène (H2S) et le méthane (CH4). Ces cages cristallines peuvent stocker de
très grandes quantité de gaz. Le cas qui nous intéresse ici est celui de l'hydrate de
méthane, une glace qui contient une quantité énorme de gaz: la fonte de 1
centimètre cube de cette glace libère jusqu'à 164 centimètre cubes de méthane!

Origine et stabilité des hydrates de méthane

Une importante quantité de matière organique qui se dépose sur les fonds
océaniques est incorporée dans les sédiments. Sous l'action des bactéries
anaérobies, ces matières organiques se transforment en méthane dans les premières
centaines de mètres de la pile sédimentaire (voir section 3.3.2 - Les combustibles
fossiles). Un volume très important de méthane est ainsi produit. Une partie de ce
méthane se combine au molécules d'eau pour former l'hydrate de méthane, dans une
fourchette bien définie de température et de pression (partie droite du schéma ci-
dessous). Vous trouverez des diagrammes plus complets aux liens internet
conseillés à la fin de cette page.
Dans la zone en gris, eau et méthane se combinent pour former un hydrate à l'état
de glace, alors qu'à l'extérieur de cette zone, les deux composés sont séparés et se
trouvent sous leur propre état, liquide et gaz. C'est dire que l'hydrate de méthane est
stable sous les conditions de température et de pression exprimées par la zone en
gris, et instable sous les conditions à l'extérieur de cette zone. Par exemple, un
hydrate de méthane qui se trouve dans les sédiments océaniques par 600 mètres de
fond à 7°C est stable; il deviendra instable avec une augmentation de température
de moins de 1°C. Devenir instable signifie que la glace fond et libère son gaz
méthane à raison de 164 centimètres cubes de gaz par centimètre de glace.

Où trouve-t-on les hydrates de méthane?

On retrouve les hydrates de méthane en milieu océanique, principalement à la


marge des plateaux et sur les talus continentaux (zone en rouge sur le schéma ci-
dessus), mais aussi à plus faible profondeur dans les régions très froides, comme
dans l'Arctique. La marge des plateaux continentaux et les talus constituent une
zone privilégiée pour accumuler les hydrates de méthane parce que c'est là que se
dépose la plus grande quantité de matières organiques océaniques. On retrouve
aussi des hydrates de méthane dans les pergelisols, c'est-à-dire dans cette couche du
sol gelée en permanence, même durant les périodes de dégel en surface. Le grand
volume de matières organiques terrestres accumulées dans les sols est transformé
en méthane biogénique qui, au contact de l'eau est piégé dans des hydrates. Les
pressions y sont faibles, mais la température très froide, bien au-dessous de 0°C.
Une réserve énergétique énorme

À mesure que les réserves conventionnelles d'hydrocarbure s'épuisent, on devra se


rabattre sur les réserves dites non-conventionnelles, comme les gisements des
régions éloignées et d'exploitation onéreuse, les sables bitumineux et peut-être un
jour, les hydrates de méthane. Comme mentionné plus haut, les hydrates de
méthane des fonds océaniques constituent une réserve énergétique énorme, ... mais
pour l'instant inaccessible. Cette glace méthanique se trouve, soit dans les
interstices du sédiment entre les particules de sable ou d'argile cimentant ces
derniers ou sous forme de vésicules dans les sédiments, soit en couches de
plusieurs millimètres ou centimètres d'épaisseur parallèles aux strates ou en veines
les recoupant. Les hydrates de méthane sont donc dispersés dans les sédiments et
ne peuvent être exploités par des forages conventionnels; il faudrait plutôt penser à
une exploitation massive du sédiment à l'aide de dragues comme on le fait par
exemple pour nettoyer les chenaux de navigation des sables et des boues, ou encore
d'un système sophistiqué de pompage du sédiment. Mais voilà un énorme risque de
déstabiliser rapidement les hydrates et de libérer des quantités considérables de
méthane dans l'atmosphère, sans compter les accidents probables associés à ce
genre d'exploitation. Il n'en demeure pas moins que l'industrie pétrolière salive à la
pensée d'avoir peut-être un jour accès à de telles réserves.

Une bombe écologique en puissance

Une déstabilisation massive des hydrates de méthane causée par exemple par une
augmentation de 1 ou 2°C de la température des océans, ce qui est tout à fait
compatible avec les modèles climatiques actuels, risque de produire une
augmentation catastrophique des gaz atmosphériques à effet de serre. Une telle
déstabilisation pourrait aussi causer d'immenses glissements de terrain sous-marins
sur le talus continental, entraînant des tsunamis très importants qui affecteraient les
populations riveraines. Ce pourrait être là deux des effets catastrophiques du
réchauffement climatique actuel causé par une augmentation des gaz
atmosphériques à effet de serre. Le méthane eat 21 fois plus efficace que le
CO2 comme gaz à effet de serre !

Les leçons de la paléontologie

L'évolution de la vie à travers les temps géologiques est généralement perçue


comme un processus linéaire, une longue marche vers le progrès, réglée par la
sélection naturelle seulement. L'iconographie habituelle la représente le plus
souvent comme un cône de diversité croissante, un arbre avec de plus en plus de
branches, même si à l'occasion certaines d'entre elles se sont éteintes (traits rouges).
La paléontologie nous enseigne que cette conception ne correspond pas à la réalité.

La croissance de la biodiversité?

La biodiversité actuelle est très grande au niveau du nombre des espèces à


l'intérieur d'un groupe donné. Mais l'explosion du Cambrien a montré qu'au niveau
des plans de vie, représentrés par divers embranchements, la biodiversité fut plus
grande, à cette époque, qu'elle ne l'a jamais été. Par exemple, chez les arthropodes,
un groupe aujourd'hui très diversifié qui va du homard au maringouin, seuls quatre
plans de base ont survécu sur 24 essais au Cambrien (faune de Burgess).

L'analogie suivante permet de mieux saisir ces différences de diversité. Dans le


monde des moyens de transports, il y a peu de plan de base: la bicyclette,
l'automobile, le train, l'avion, une diversité relativement faible; mais il y a une
diversité élevée, soit une infinité de variantes à l'intérieur de chacun. L'automobile
n'a pas changé de plan de base depuis son invention par Henry Ford, mais ô
combien de modèles par la suite!

Rapidement, après la longue vie solitaire des bactéries et des algues, les plans de
base ont été établis, plus qu'il n'en fallait même. Il serait plus juste de parler des
broussailles de la diversité plutôt que de l'arbre de la diversité croissante.
Les extinctions de masse: moteur de l'évolution

S'il est certain que la sélection naturelle est un processus qui agit sur l'évolution,
elle ne saurait être seule. Si elle était le seul processus à régler l'évolution, cette
dernière serait prédictible. C'est ainsi que certains voient dans l'évolution une
finalité, sa réussite: l'espèce humaine. Mais, on ne peut nier que des événements
fortuits, imprédictibles, aléatoires, non contrôlés par la dynamique biologique, sont
venus modifier le cours de l'évolution en effaçant de la planète des groupes entiers
et forcant à une réorganisation.

Les grandes catastrophes n'ont pas réussi à éteindre complètement la vie sur terre,
mais à chaque fois, un très petit nombre d'espèces ou de genres dans les principaux
embranchements a réussi à passer à travers pour se diversifier à nouveau. La
conséquence la plus directe d'une extinction de masse – ce qui offre énormement
d'intérêt pour le paléontologue de l'évolution – est l'apparition d'une flore et d'une
faune de récupération qui donnent lieux assez rapidement à des assemblages
nouveaux, à une réorganisation de la vie. Fait intéressant à noter: les recherches les
plus récentes semblent indiquer que la communauté la plus rapide à coloniser les
espaces nouveaux est la communauté des bactéries qui précède les communautés à
métazoaires, comme si on refaisait l'histoire du Précambrien-Cambrien à chaque
fois.

Le hasard et l'évolution

Il faut se rendre à l'évidence qu'on se doit de faire une bonne place au hasard dans
l'évolution de la vie. C'est le hasard qui a fait que Pikaia, un pauvre petit chordé, le
premier, qui se trouvait dans la faune de Burgess, a échappé à la disparition de
plusieurs grands groupes au milieu du Cambrien. C'est le hasard qui a fait que les
gros dinosaures ont été terrassés par une chute d'astéroïde et/ou du volcanisme
exceptionnellement intense à la fin du Crétacé, que les petits mammifères ont pu
profiter de cette disparition pour se développer et ... que finalement nous sommes
là. En somme, il semble bien que ceux qui ont survécu sont ceux qui ont tiré le bon
numéro.

Il devient difficile de croire à une finalité de l'évolution. Pour utiliser l'image de


Stephen Jay Gould, si on rebobinait la bande enregistreuse de la vie à zéro, et si on
la remettait en marche pour un nouvel enregistrement, quelles sont les chances
qu'elle nous présente la même histoire? Quasi nulles si on pense aux catastrophes,
grandes et petites, qui ont changé le cours de l'évolution. De plus, " la probabilité
pour que ce scénario fasse apparaître une créature ressemblant, même de loin, à un
être humain est effectivement nulle, et celle de voir émerger un être doté d'une
conscience, extrêmement faible" (S.J. Gould, L'éventail du vivant, Seuil, 1997).

L'évolution: une lente marche vers le progrès?

Dans son dernier ouvrage de vulgarisation, Stephen Jay Gould (L'éventail du


vivant, Seuil, 1997) apporte des arguments plutôt convainquants à la non existence
du progrès dans l'évolution. Pour conclure sur les leçons que nous donne la
paléontologie, citons un bref extrait de ce livre. " Je crois que les spécialistes les
mieux avertis de la vie ont toujours eu le sentiment que les archives fossiles
décevaient l'espoir d'y trouver le réconfort désiré pour la pensée occidentale : un
signal clair de l'existence d'un progrès se traduisant par une complexité sans cesse
croissante, au cours du temps, de la vie dans son ensemble. Les données
immédiates confirment ce sentiment, car, comme dans le passé, la plupart des
environnement sont encore aujourd'hui dominés par des formes organiques
élémentaires [bactéries]. Face à une telle évidence, les défenseurs du progrès (...) se
sont alors désespéremment raccrochés à un autre argument (...). Ils se sont
étroitement focalisés sur l'histoire de l'organisme le plus complexe et ont invoqué la
complexité sans cesse croissante de cet organisme au fil du temps comme un
substitut fallacieux au progrès de la vie dans son ensemble (p. 207).

GOULD, S.J., 1997, L'éventail du vivant - Le mythe du progrès. éditions du Seuil,


Paris, 303 p. Le dernier ouvrage de l'auteur qui vient compléter (et non répéter) son
précédent bouquin (La vie est belle, 1991, Seuil). Une réflexion sur les notions de
diversité et de progrès vues à travers la méthode statistique dont dépend la
paléontologie évolutionniste. Le titre dit tout : l'évolution comme une longue
marche vers le progrès est un mythe si on considère tout l'éventail du vivant et non
une seule de ses composantes. Un "must" pour tous ceux que l'évolution
questionne.
Terminons sur une note divertissante. Certains suggèrent que les extinctions ne
sont venues interrompre que temporairement des tendances générales établies
depuis longtemps vers une augmentation de la complexité des comportements. On
sait par exemple que le rapport dimension du cerveau/dimension générale du corps
a conduit chez les mammifères à la conscience humaine. On a relevé que cette
tendance à l'augmentation de ce rapport avec le temps géologique a existée aussi
chez les dinosaures; en fait, les mammifères l'ont poursuivie. Il existait, vers la fin
du Crétacé, un petit dinosaure bipède qui possédait des "mains" préhensiles et un
gros cerveau (rapport cerveau/corps au-dessus de la moyenne de ses congénères).
En extrapolant, sur la base de la courbe de l'augmentation du rapport cerveau/corps
des mammifères, on peut dire que s'il n'y avait pas eu d'extinction K-T, une créature
dinosaure aurait atteint aujourd'hui (peut-être même avant) le rapport cerveau/corps
des humains. Quel beau sujet de film! Allez monsieur Spielberg!

.4.8 Les gaz à effet de serre (GES)

Nos inquiétudes concernant les changements climatiques actuels et à venir sont


centrées sur le réchauffement planétaire. « Effet de serre » et « réchauffement
planétaire » sont deux termes qui sont souvent considérés comme interchangeables,
alors qu’ils ne le sont pas puisqu’ils réfèrent à deux phénomènes différents. L’effet
de serre est un phénomène naturel qui maintient les températures de la surface
planétaire plus élevées qu’elles ne le seraient s’il était absent. Tel qu’utilisé dans le
contexte actuel, le réchauffement planétaire réfère à une augmentation des
températures terrestres causée par les activités anthropiques (industrie, agriculture,
mode de vie, etc.).

Le réchauffement planétaire est un sujet complexe parce qu’il implique plusieurs


parties du système Terre. Il est aussi un sujet controversé parce qu’il n’est pas
facile de discriminer entre les influences naturelles et les influences anthropiques.
Et parce qu’elles découlent de notre monde industrialisé et de nos modes de vie, les
causes du réchauffement sont et seront très difficiles à éliminer ... si jamais nous
souhaitons le faire.

Les opinions sont partagées quant au réchauffement planétaire parmi les chercheurs
et les divers organismes impliqués. Certains, peu nombreux, n’y croient carrément
pas, considérant qu’il s’agit d’une sorte d’hystérie collective et que les chiffres sont
triturés pour faire croire à la catastrophe imminente. Mais la grande majorité est
persuadée qu’il y a eu effectivement réchauffement durant le dernier siècle.
Certains hésitent encore à relier ce réchauffement aux activités anthropiques, alors
que d’autres, beaucoup plus nombreux, sont persuadés qu’Homo
sapiens (sapiens en latin = sage!) altère présentement le climat terrestre et qu’il
continuera à le faire dans le futur. Les espèces se succèdent sur la Planète depuis
près de 4 milliards d’années. Homo sapiens est la première à comprendre
suffisamment celle-ci pour pouvoir sciemment la modifier et contrôler son devenir.
Dans l’atmosphère terrestre, les principaux gaz à effet de serre sont la vapeur d’eau
(H2O), le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde nitreux (N2O) et les
chlorofluorocarbures (CFC). Les CFC ont une origine exclusivement anthropique,
alors que CO2, CH4 et N2O ont une double origine, naturelle et anthropique. De loin
la plus abondante dans l’atmosphère, la vapeur d’eau n’est pas directement reliée
aux activités de l’homme. Les quantités respectives de ces gaz dans l’atmosphère
sont indiquées au tableau suivant:

Les gaz à effet de serre n’ont pas tous la même capacité d’absorption du
rayonnement infrarouge; en clair, leur efficacité en termes d’effet de serre est
variable. Ainsi, le méthane est 21 fois plus efficace que le dioxyde de carbone et les
CFC-12 (fréon-12), 15 800 fois plus efficaces. C’est la vapeur d’eau qui est la plus
grande responsable de l’effet de serre. Au second rang c’est le CO2. En effet, en
tenant compte des teneurs actuelles des gaz et de leur efficacité à agir comme gaz à
effet de serre, on peut dire, en simplifiant les calculs, que dans l’atmosphère
terrestre actuelle, c’est le CO2, après l’eau, qui est le grand contributeur à l’effet de
serre; le méthane représente l’équivalent d’un dixième de la contribution du CO 2, le
N2O un centième et les CFC de un à deux centièmes. Il n’est donc pas surprenant
que l’on cible les émissions de CO2 dans l’analyse des causes du réchauffement
planétaire. Par ailleurs, si les CFC ne sont pas de grands contributeurs à l’effet de
serre, il n’en demeure pas moins qu’ils sont extrêmement nocifs pour la couche
d’ozone.

Il n’y a pas de doute qu’un réchauffement ou un refroidissement climatique est


directement relié à la quantité des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, en
particulier le CO2 et dans une bien moindre mesure le CH4, deux gaz reliés au cycle
du carbone. Le problème majeur qui interpelle les chercheurs dans le domaine est
de faire la part des choses entre les émissions naturelles et celles qui sont d’origine
anthropique. Examinons les faits à la page suivante.

3.4.9 Vivons-nous réellement un réchauffement planétaire?


Notre étude de l’histoire géologique des climats au point précédent 3.4.7 nous a
montré que depuis la fin du Mésozoïque les températures terrestres ont
progressivement chuté et que nous sommes présentement dans une période de
planète-igloo et même, depuis 2 Ma, carrément dans un Grand âge glaciaire (voir la
répartition des stades glaciaires et interglaciairesdes derniers 2 Ma).

La courbe qui suit trace cette chute depuis le début du Tertiaire (Selon University
Corporation for Atmospheric Research/Office for Interdisciplinary Earth Studies
(UCAR/OIES), 1991; cité dans Mackenzie, 1998).

Les deux autres graphiques qui suivent sont tirés de UCAR/OIES (1991) et du
rapport d’évaluation de 1990 de l’Intergovernmental Panel on Climate Change
(IPCC) (appellation française, GIEC - Groupe d’experts Intergouvernemental sur
l’évolution du Climat), cités dans Mackenzie, 1998. Le graphique A présente les
fluctuations de température durant les derniers 18 milliers d'années. Depuis 10,000
ans, nous sommes dans un stade interglaciaire, alors qu'entre 10,000 et 18,000 ans,
nous étions en pleine englaciation (la glaciation wisconsinienne), ce qui se reflète
nettement sur la courbe des températures. Le graphique B montre les fluctuations
de température durant le dernier millénaire.
À noter qu'entre le milieu du 15ème siècle et le milieu du 19ème siècle, on aurait
connu une période où les conditions climatiques, à la grandeur du globe, furent
sensiblement plus froides qu'aujourd'hui, de l'ordre de 1°C. Les climatologues ont
appelé cette période le Petit Âge glaciaire. Les écrits de la Renaissance font état par
contre d'une période relativement chaude durant le Moyen-Âge.

Il est à noter cependant que dans son dernier rapport d’évaluation scientifique
(2001), l’IPCC (GIEC) modifie ses conclusions au sujet de cette idée, sur la base de
nouvelles données exprimées par les graphiques suivants qui présentent les
fluctuations durant le dernier millénaire dans l’hémisphère nord, telles que
reconstituées à partir des anneaux des arbres, des coraux, des carottes glaciaires et
des documents historiques (courbe bleue), ainsi que des mesures instrumentales
(coube orangée) pour le dernier siècle. La zone grise exprime la marge d’erreur de
deux écarts-types.
Source: http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-20.htm

http://www.manicore.com/documentation/serre/GIEC.html. Pour en savoir plus sur


le GIEC (IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change). Une page de
l’excellent site de Jean-Marc Jancovici qu’il vous est suggéré de consulter en
Bibliographie.

D’une façon générale, on voit sur ce graphique qu'il y a une légère baisse continue
(trait rouge) depuis le 11ème siècle jusqu'au 20ème siècle et qu'il n’y a pas d’évidences
que ces périodes chaude du Moyen Âge et froide du Petit Âge glaciaire aient
affecté l’ensemble de la Planète. Le Petit Âge glaciaire serait plutôt une variation
locale centrée sur l’Europe de l’Ouest. Ce dernier graphique montre aussi que le
taux d’augmentation et la durée du réchauffement au 20ème siècle n’ont aucun
précédent durant tout le millénaire; ils ne peuvent être considérés comme une
simple récupération de ce qui a été appelé le Petit âge glaciaire, un argument
parfois avancé pour expliquer ce réchauffement.

Malgré tout ce froid planétaire dans lequel nous baignons, les températures
terrestres se sont élevées durant les derniers 150 ans comme le montre cette courbe
fréquemment citée de leurs fluctuations pour la période 1856-1995 (selon les
rapports d’évaluation scientifique de l’IPCC, 1990, 1996 et 2001). Les barres grises
indiquent les écarts de températures moyennes annuelles par rapport à la moyenne
des températures de la période 1961-1990 (ligne 0). La courbe rouge représente les
valeurs moyennes annuelles filtrées.

Vous trouverez des courbes plus détaillées dans le 3ème rapport d’évaluation 2001
de l’IPCC et présentées aux URL suivants:
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-1.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-6.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-7.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-8.htm

Le réchauffement est plus important dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère
sud. Les deux cartes qui suivent, construites selon les scénarios A2 et B2 du SRES
(ces scénarios sont présentés plus loin), montrent bien cette différence importante
entre les deux hémisphères et surtout un réchauffement inquiétant aux latitudes
arctiques.
3.4.10 - Y a-t-il une relation de causalité entre nos émissions de gaz à effet de serre,
surtout de CO2, et ce réchauffement?
On peut difficilement douter que la dernière décennie du 20 ème siècle a connu un
réchauffement exceptionnel. Reste à savoir si nos émissions de gaz à effet de serre
en sont responsables.

Établissons d’abord qu’il y a une relation directe entre fluctuations des teneurs en
gaz à effet de serre et les fluctuations des températures. Le graphique qui suit
montre un beau parallélisme entre fluctuations des températures et fluctuations des
teneurs en CO2 et en CH4.

Sources:
Courbe du CO2 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig3-2.htm
Courbe du CH4 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-1.htm
Il s’agit ici des teneurs en CO2 et CH4 obtenues par l’analyse de minuscules bulles
d’air piégées dans la glace de la carotte du sondage de Vostok, ainsi que des
températures déduites des isotopes stables de l’oxygène. Les fluctuations de
température sont indiquées selon leur déviation par rapport aux températures de
1993 (année de l'étude). La largeur des courbes du CO2 et du CH4 exprime la marge
d’erreur des évaluations. On peut toujours se demander si ce sont des variations
dans les teneurs en CO2 et CH4 atmosphériques qui ont amené des variations de
température ou plutôt l’inverse, des variations de températures qui ont contrôlé les
teneurs en CO2 et CH4 atmosphériques. N’oublions pas ici les variations reliées aux
paramètres orbitaux de la Terre et les cycles de Milankovich.

La figure qui suit montre les changements de teneur en CO2, CH4 et N2O au cours
du dernier millénaire. Ces données sont basées sur les carottes de glace et les
anneaux des arbres de divers sites de l’Antarctique et du Groenland (les divers
symboles sur les courbes), avec en plus les données provenant d’échantillons
atmosphériques pour les dernières décennies (ligne noire sur la courbe du CO2 et
partie terminale de la courbe du CH4). On peut difficilement nier une augmentation
exponentielle depuis l’ère industrielle de ces trois gaz à effet de serre.
Sources :
Courbe du CO2 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig3-2.htm
Courbe du CH4 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-1.htm
Courbe du N2O : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-2.htm

Voici quelques chiffres qui décrivent bien ces augmentations, chiffres extraits du
3ème rapport d’évaluation (2001) de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate
Change) qui conclut « qu’il y a des évidences nouvelles et plus fortes que le gros
du réchauffement des derniers 50 ans est attribuable aux activités humaines ».

 La teneur atmosphérique en CO2 a augmenté de 31% depuis 1750. La


teneur actuelle n’a jamais été dépassée durant les derniers 420 000 ans, ni
même vraisemblablement durant les derniers 20 millions d’années. De plus,
le taux d’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique a été en
moyenne de 1,5 ppm (0,4%) par année (variation de 0,9 à 2,8 ppm) durant
les deux dernières décennies; un tel taux d’augmentation ne s’est pas
produit durant au moins les derniers 20 000 ans.
 On évalue que trois-quarts des émissions anthropiques de CO2 dans
l’atmosphère durant les derniers 20 ans sont dus à la consommation des
combustibles fossiles. Le quart restant est dû en grande partie au
changement de pratiques dans l’utilisation des terres, en particulier la
déforestation.
 Présentement, l’océan et les continents captent ensemble la moitié
seulement des émissions anthropiques de CO2.
 La teneur atmosphérique en CH4 a augmenté de 151% (soit 1060 ppb)
depuis 1750 et continue d’augmenter. La teneur actuelle n’a pas été
dépassée durant les derniers 420 000 ans. Un peu plus de la moitié des
émissions de CH4 sont anthropiques (combustibles fossiles, ruminants,
rizières).
De plus, les émissions de monoxydes de carbone (CO) ont récemment été
identifiées comme une cause de l’augmentation des teneurs en CH4.
 La teneur atmosphérique en N2O a augmenté de 17% (soit 46 ppb) depuis
1750 et continue d’augmenter. La teneur actuelle n’a pas été dépassée
durant au moins le dernier milliers d’années. Environ le tiers des émissions
de N2O est anthropique (agriculture, alimentation du bétail, industrie
chimique).
 Depuis 1995, les teneurs atmosphériques de plusieurs des CFC qui sont à la
fois nocifs pour la couche d’ozone et à la fois des gaz à effet de serre,
augmentent plus lentement qu’auparavant ou même diminuent, grâce au
protocole de Montréal. Par contre, leurs substituts, bien que plus amicaux
pour la couche d’ozone, sont aussi des gaz à effet de serre et leur teneur
augmentent.
Dans le 3ème rapport d’évaluation de l’IPCC (2001), on trouve aussi les résultats
d’une modélisation qui simule les changements de température à la surface terrestre
depuis 1960. Les résultats sont comparés à la courbe des températures réellement
mesurées et on tente de séparer les causes naturelles des causes anthropiques. Les
trois graphiques qui suivent expriment ces résultats. Sur les trois, la ligne rouge
correspond aux températures mesurées et le profil en gris au modèle. Le profil en A
ne tient compte que de causes naturelles (variations solaires, activité volcanique);
celui en B, que des causes anthropiques (émissions de gaz à effet de serre, aérosols
sulfatés); celui en C, de la somme des causes naturelles et anthropiques.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig12-7.htm

On voit bien que les causes naturelles seules ne peuvent expliquer l’augmentation
des températures des dernières décennies (graphique A): il y a peu de
correspondance entre le profil du modèle qui ne tient compte que des causes
naturelles et la courbe des températures mesurées. Le profil qui tient compte plutôt
des causes anthropiques (graphique B) colle un peu mieux à la courbe des
températures mesurées, mais c’est vraiment celui qui additionne les deux types de
causes (graphique C) qui colle le plus à la réalité. En clair, ces résultats démontrent
deux choses: 1) que les paramètres utilisés pour la modélisation sont valables, ce
qui n’exclut pas la possibilité qu’il y en ait d’autres; 2) que le réchauffement
planétaire que nous vivons est en majeure partie causé par des activités
anthropiques.

En développant des modèles prévisionnels pour les teneurs en gaz à effet de serre et
en aérosols pour les climats futurs, le 3ème rapport d’évaluation de l’IPCC (2001) en
arrive aussi à la conclusion que « les effets des activités d’origine anthropique vont
continuer à changer la composition de l’atmosphère tout au long du 21 ème siècle ».

 Il est virtuellement certain que les émissions de CO2 dues à la


consommation des combustibles fossiles seront l’influence dominante sur
la tendance à l’augmentation de la teneur atmosphérique en CO2 durant le
21ème siècle.
 Avec l’augmentation des teneurs atmosphériques en CO2, l’océan et les
continents vont capter une fraction de moins en moins grande des
émissions anthropiques de CO2.
 Au tournant du prochain siècle, on évalue que la teneur atmosphérique en
CO2 se situera entre 540 et 970 ppm, selon le modèle utilisé, soit de 90 à
250% au-dessus de la teneur étalon de 280 ppm en 1750.

Tous les modèles développés prévoient une augmentation des températures


terrestres moyennes et du niveau des mers. La figure qui suit présente les
prévisions pour le prochain siècle selon six scénarios développés à partir de divers
modèles complexes.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig9-14.htm

Sur cette figure, SRES signifie Special Report on Emission Scenarios. Ces
scénarios ont été développés par l’IPCC à compter de 1996 pour remplacer ceux
d’une modélisation plus ancienne identifiés ici comme IS92. Un ensemble de 40
scénarios, dont 35 utilisent des données sur la totalité des gaz influençant le climat,
ont été développés en tenant compte de facteurs démographiques, économiques et
technologiques susceptibles d’influencer les émissions futures de gaz à effet de
serre et de soufre. Il est à noter que ces scénarios ne tiennent pas compte des
initiatives en cours ou proposées pour réduire les émissions, tel le protocole de
Kyoto. Ces 40 scénarios ont été groupés en quatre familles, A1, A2, B1 et B2; sur
le graphique, la famille A1 a été subdivisée en trois sous-familles. Les scénarios
présentés correspondent à ces regroupements.

 Famille A1 : décrit un monde futur à croissance économique très rapide,


une population mondiale qui atteint un sommet au milieu du siècle et qui
diminue ensuite, et l’introduction de technologies nouvelles et plus
efficientes. Les traits dominants sont la convergence des régions,
l’augmentation des interactions culturelles et sociales, avec une réduction
substantielle des différences régionales. Les trois sous-familles de A1
expriment leurs différences principalement dans leur choix au niveau des
énergies : A1T choisit des sources d’énergie non fossiles, A1F1 est
fortement centrée sur les énergies fossiles, et A1B tente un équilibre entre
toutes les sources d’énergie.
 Famille A2 : décrit un monde très hétérogène. Le trait dominant est l’auto-
suffisance et la préservation des identités locales. La convergence des
patrons de fertilité entre les régions est très lente, ce qui résulte en une
augmentation continue de la population. Le développement économique
est d’abord orienté régionalement et sur la croissance individuelle. Les
changements technologiques sont plus fragmentés et plus lents que chez
les autres familles.
 Famille B1 : décrit un monde convergent qui, comme en A1, possède la
même population mondiale qui culmine au milieu du siècle et décline par la
suite. Elle s’en distingue par un changement rapide des structures
économiques qui se dirigent vers une économie de services et de
l’information, avec une réduction du matérialisme et l’introduction de
technologies propres et efficientes au niveau des ressources. L’emphase est
mise sur des solutions globales quant à la durabilité du développement
économique, social et environnemental, incluant une amélioration de
l’équité, mais sans initiatives additionnelles concernant le climat.
 Famille B2 : décrit un monde où l’emphase est mise sur des solutions
locales en ce qui concerne la durabilité du développement économique,
social et environnemental. C’est un monde où la population mondiale croît
continuellement, mais à un rythme plus lent que A2. Le développement
économique se situe à un niveau intermédiaire et les changements
technologiques sont moins rapides et moins diversifiés par rapport à B1 et
A1. Bien que ce scénario soit aussi orienté vers la protection de
l’environnement et l’équité sociale, il est centré sur le local et le régional.

Quelque soit le scénario le plus probable dans cette nouvelle modélisation (SRES),
on doit donc s’attendre à une augmentation des températures se situant entre 1,4 et
5,8°C vers la fin de ce siècle, une prévision à la hausse par rapport à la
modélisation précédente (2ème rapport de l’IPCC, 1995) qui indiquait une fourchette
de 1,0 à 3,5°C. Les modèles climatiques nous disent aussi que le réchauffement
planétaire ne se fera pas de façon uniforme à la surface du Globe. Ainsi, le
réchauffement des surfaces continentales sera plus élevé que la moyenne globale.
Aussi, le réchauffement des régions nordiques de l’Amérique du Nord et de l’Asie
centrale excède de 40% le réchauffement global dans tous les modèles, avec ce que
cela implique sur la fonte des glaces. Par contre, le réchauffement est plus faible
que la moyenne dans le sud et le sud-est de l’Asie en été et le sud de l’Amérique du
Sud en hiver. Plusieurs modèles indiquent que la tendance des températures de
surface dans le Pacifique tropical à présenter un patron de type El Niño devrait se
poursuivre, c’est-à-dire un réchauffement plus important dans le Pacifique-Est que
dans le Pacifique-Ouest, impliquant un déplacement vers l’est des précipitations.
Ayant bien établi qu'il y a bel et bien réchauffement planétaire et que les activités
anthropiques en sont la causes, voyons maintenant quelles en seront les
conséquences. ... Page suivante.

Qu'est ce qui est responsable des glaciations?

D'après la théorie formulée par l'astronome Milutin Milankovitch, les périodes


glaciaires seraient dues à des variations chez trois paramètres de l'orbite de la Terre,
exprimées par les courbes suivantes:
L'excentricité mesure l'écart entre l'orbite de la Terre autour du Soleil et un cercle
parfait. L'angle d'inclinaison est l'angle entre l'axe de la Terre et la perpendiculaire
au plan de son orbite. La direction dans laquelle pointe l'axe lorsque la Terre passe
au plus près du Soleil est variable selon la date du périhélie. Chacun des
paramètres évolue lentement sous l'influence de l'attraction gravitationnelle de la
Lune et des autres planètes.

Des variations des paramètres orbitaux conduisent à des variations de la quantité de


lumière solaire captée par la Terre; l'insolation globale annuelle change peu, mais il
existe des modifications relativement importantes de l'insolation estivale aux hautes
latitudes. Le calcul des variations de l'excentricité, de l'inclinaison et de la date du
périhélie montrent que les époques d'excentricité maximale sont séparées par
approximativement 100 Ka (mais il existe un harmonique de période égal à 400
Ka), alors que les périodes des cycles de l'inclinaison et de la date du périhélie sont
de 40 Ka et de 20 Ka respectivement. La variation de la date du périhélie n'est pas
une simple sinusoïde; elle est composée de deux cycles de 19 Ka et 23 Ka.

Le graphique du bas est en quelque sorte la somme des trois autres et représente la
variation de l'insolation dans la zone comprise entre 60 et 70° de latitude Nord au
mois de juillet.

Source: Covey, C., 1984, L'orbite de la Terre et les périodes glaciaires. Pour la
Science, No 78, avril 1984.

3.4.11 - Les conséquences d’un réchauffement planétaire

Nous allons examiner ici quatre des principales conséquences d'un réchauffement
planétaire.

a) La montée du niveau des mers.

Une des conséquences à laquelle on pense en premier lieu lorsqu’on invoque un


réchauffement planétaire est la montée du niveau des mers, avec ses effets néfastes
sur les terres basses côtières (inondations, vulnérabilité aux tempêtes), comme les
Pays-Bas ou les grandes plaines deltaïques (Bangladesh, Louisianne, etc.). Cette
montée des eaux est le plus souvent attribuée à la seule fonte des calottes glaciaires.
Nuançons.

L'histoire des derniers 140 milliers d'années nous apprend que les fluctuations du
niveau des mers se sont faites au gré des alternances de stades glaciaires et
interglaciaires, avec des chutes atteignant les 135 mètres.
Les chercheurs évaluent que le niveau marin s’est élevé de 12 cm depuis 1880. Il
n’est pas simple d’évaluer cette élévation puisque la croûte terrestre n’est pas stable
partout: dans une grande partie du Canada et de l’Europe, la croûte se soulève à
cause du réajustement isostatique suite à la dernière glaciation, alors que dans
certaines zones comme les zones deltaïques, elle s’abaisse à cause du poids des
sédiments. Cette élévation progressive de 12 cm depuis 1880 est concordante avec
le réchauffement observé. Deux facteurs sont à considérer quand on cherche à
cerner les causes d’une élévation du niveau marin: la fonte des glaces, bien sûr,
mais aussi la dilatation thermique des eaux océaniques. En fait, on évalue que près
de la moitié de l’élévation a été causée par la dilatation des eaux de la couche
supérieure de l’océan reliée à leur réchauffement. Le réchauffement des eaux de
l’océan profond causera aussi une montée du niveau marin, mais cette fois à
beaucoup plus long terme, compte tenu que la circulation thermohaline est
beaucoup plus lente. On a calculé qu’un réchauffement de 0,5°C des eaux de
surface (le réchauffement depuis 1880) ont entraîné, par dilatation, une élévation de
5 cm. Les autres 7 cm de la montée des eaux depuis 1880 correspondent à la fonte
des glaciers de montagne. Par exemple, on a observé des retraits importants de
glaciers dans les Alpes durant les deux derniers siècles et plusieurs glaciers des
Andes retraitent rapidement présentement. On peut donc s’attendre à ce que la
fonte des glaciers de montagne contribue à gonfler l’eau des océans dans un proche
avenir.

Le graphique qui suit exprime les prévisions de montée du niveau marin, selon les
mêmes scénarios (SRES, IPCC 2001) que pour le réchauffement planétaire.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig11-12.htm

Pour le siècle à venir, l’IPCC prévoit que:

 la couverture neigeuse et le couvert de glaces océannes de l’hémisphère


nord vont encore diminuer.
 Les glaciers de montagne et les calottes glaciaires vont continuer à fondre.
 Par contre, le volume de la calotte de l’Antarctique devrait plutôt
augmenter à cause de précipitations plus importantes reliées au
réchauffement global, tandis qu’au contraire, celui de la calotte du
Groenland devrait diminuer à cause d’une augmentation de la fonte et du
ruissellement dépassant le volume des précipitations, l’hémisphère nord
demeurant plus chaud que l’hémisphère sud.
 Conséquemment, le niveau marin devrait connaître une élévation se situant
entre 9 et 88 centimètres, selon le scénario impliqué, à cause de la
dilatation thermique de l’océan supérieur et de la fonte des glaces. Il s’agit
là d’une élévation moindre que celle qui avait été prévue dans le
2ème rapport d’évaluation (1995), l’amélioration des modèles ayant minimisé
la contribution de la fonte des glaces.
b) L’impact sur les écosystèmes

Les différents types de plantes ont différents mécanismes de fixation du carbone, ce


processus qui fait que durant la photosynthèse le CO2 est converti en carbone
organique. Sans entrer dans les détails, disons que pour certaines plantes, ce
mécanisme passe par la synthèse de composés à trois atomes de carbone. C’est ce
qu’on appelle la photosynthèse C3 qui implique les plantes dites plantes C3. Il y a
aussi la photosynthèse C4, impliquant des composés à quatre atomes de carbone, et
conséquemment les plantes C4 (maïs, canne à sucre, pâturages). Les plantes C4 sont
capables de photosynthétiser à des teneurs atmosphériques de CO2 bien inférieures
à celles qui sont nécessaires pour les plantes C3, mais aussi, elles répondent plus
mal que les plantes C3 à une augmentation des teneurs en CO2; ce qui implique que
dans un scénario d’augmentation du CO2 atmosphérique certaines cultures seront
défavorisées par rapport à d'autres.

Au sein même du monde des plantes C3, différents types de plantes répondront de
façons différentes aux changements de température et de taux d’humidité qui
accompagneront les variations de teneurs en CO2. Ainsi, certaines espèces d’arbres
supportent mieux les augmentations de température et de teneurs en CO2 que
d’autres. Par exemple, le pin et le bouleau supportent bien les teneurs élevées en
CO2, alors que le tremble et l’épinette dépérissent quand les températures
deviennent trop chaudes. En somme, sans entrer dans les détails, on peut dire que
l’abondance relative et la distribution de certaines espèces de végétaux dans un
écosystème donné risquent d’être modifiées par un réchauffement planétaire, avec
ce que cela implique sur les autres végétaux et la vie animale.

Les changements de température provoquent un déplacement des limites entre les


zones de température et conséquemment de la migration des espèces dont la
répartition géographique est contrôlée par la température. Ainsi on pourrait assister
à la migration d’insectes nuisibles aux cultures ou tout simplement aux humains
aujourd’hui confinés aux zones tropicales vers les zones tempérées actuelles,
élargissant leur territoire de façon substantielle (exemple, l’insecte vecteur de la
malaria qui ne peut supporter les hivers froids). La rapidité avec laquelle les
changements de température se font pourront aussi avoir une influence. Certaines
espèces pourraient ne pas avoir la rapidité de réaction suffisante (reproduction,
colonisation) pour suivre le changement et carrément disparaître.

Dans le domaine marin, un réchauffement des eaux de la tranche de surface peut


affecter la vie benthique. Les coraux en sont un bon exemple. La fameuse maladie
blanche qui affecte présentement les récifs coralliens est considérée comme étant
reliée au réchauffement de l’eau. Le coraux expulsent leur symbiotes algaires
(zooxanthelles) et se voient ainsi dépérir (voir Vers une nouvelle décimation
s4/decimation.coraux.html). On évalue aujourd’hui que 20% des récifs coralliens
ont été détruits et que 40% sont en danger, par diverses causes dont le
réchauffement des eaux superficielles.
c) L’impact sur la circulation de l’océan global (circulation thermohaline)

On a vu plus haut (point 3.2.4) que la circulation de l’océan global forme une
boucle qui prend son origine dans l'Atlantique-Nord où les eaux froides (refroidies
par les vents froids du Canada), salées, denses et bien oxygénées plongent vers les
profondeurs. Il s’agit d’un cycle de 1000 ans environ. C’est cette plongée des eaux
froides et denses de l’Atlantique-Nord qui constitue en quelque sorte le moteur de
cette circulation en boucle. C’est la remontée locale (upwelling) de ces eaux froides
riches en nutriments qui alimentent le plancton en surface et qui contribuent ainsi à
la forte productivité biologique marine dans certaines régions, par exemple au
niveau des pêcheries, comme sur les Grands Bancs de Terre-Neuve ou les côtes du
Pérou. C’est aussi cette circulation thermohaline (i.e., reliée aux gradients de
température et de salinité) qui redistribue la chaleur.

Un ralentissement, ou à la limite un arrêt, dans le transport des masses d’eau


océaniques aura certes une influence néfaste sur la ressource halieutique et les
climats en général. L’effet El Niño est un bon exemple de l’interrelation climat-
circulation océanique-ressources marines. Un tel ralentissement peut être causé, au
point de départ de la boucle, par un réchauffement des eaux de surface dans
l’Atlantique-Nord et par une diminution de leur salinité par la fonte des glaces du
Groenland et de l’Arctique.

Le graphique qui suit montre, à partir de plusieurs modèles, que déjà la circulation
thermohaline décline depuis quelques décennies et que, sauf pour deux modèles,
cette diminution ira en s’accentuant. Le zéro de base correspond à la moyenne des
années 1961-1990.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig9-21.htm

Certains modèles vont même jusqu’à prévoir qu’une augmentation de 1% par an de


la teneur atmosphérique en CO2 pendant 100 ans entraînera une coupure nette de la
circulation thermohaline. Un autre modèle conclut qu’avec une augmentation de
1% par an, la coupure se produira lorsque la teneur atteindra 4 fois la teneur de base
(280 ppm). Rappelons-nous que le taux d’augmentation de la teneur en
CO2 atmosphérique a été en moyenne de 1,5 ppm (0,4%) par année durant les deux
dernières décennies (voir plus haut).

d) L’impact sur « le temps qu’il fera » et les événements climatiques extrêmes

Le dernier rapport d’évaluation de l’IPCC présente une liste de changements


probables à ce niveau reliés au réchauffement planétaire.

1. Des maxima de température plus élevés et un plus grand nombre de jours


chauds dans pratiquement toutes les zones continentales.
2. Des minima de température plus élevés, moins de jours froids et de jours
de gel dans pratiquement toutes les zones continentales.
3. Des écarts de température réduits dans la plupart des zones continentales.
4. Une augmentation de l’indice de chaleur (une combinaison température-
humidité qui mesure les effets sur le confort des humains) dans la plupart
des zones continentales.
5. Un plus grand nombre d’événements extrêmes au niveau des
précipitations.
6. Une augmentation de l’assèchement estival continental, entraînant une
augmentation des risques de sécheresse.
7. Une augmentation dans l’intensité des vents de pointe des cyclones
tropicaux.
8. Une augmentation des moyennes et des maxima de précipitations reliées
aux cyclones tropicaux.

Plusieurs de ces changements ont déjà été observés et même quantifiés dans
certains cas durant la dernière moitié du 20ème siècle. Les changements 1 à 5 sont
qualifiés de très vraisemblables (probabilité de 90 à 99% qu’un énoncé soit vrai),
les autres de vraisemblables (probabilité de 66 à 90%) pour le 21ème siècle.

Tous ces résultats et ces données sont-ils fiables? Question légitime. ... Page
suivante...

3.4.12 - Quelle crédibilité peut-on accorder aux données du passé et à la modélisation


prévisionelle?
Pour comprendre les climats futurs et leurs changements, nous nous référons
beaucoup à l’histoire des climats anciens et actuels, une démarche uniformitariste
(actualisme) vue différemment qu'à l'habitude.

Rappel : le principe d’uniformitarisme (aussi appelé actualisme), cher aux


géologues, dit que « le présent est la clé du passé ».

Ici, c’est le passé qui devient la clé du futur. Nous avons des données factuelles
(écrits, mesures, relevés, etc.) sur un certains nombres de paramètres climatiques,
en gros pour les deux ou trois derniers siècles, et quelques unes plus vagues pour
les deux ou trois derniers millénaires (écrits historiques). En ce qui concerne
l’histoire plus ancienne, nous devons nous fier aux données issues des travaux des
géologues et paléontologues, des données qui découlent de l’observation, de
l’analyse et de l’interprétation. Ce cours vous donne maints exemples de la nature
et du degré de fiabilité de ces données géologiques (voir en particulier la section 4
et le point 3.4.7).

Dans son 3ème rapport d’évaluation (2001), l’IPCC présente un tableau qui, entre
autres, exprime le degré de compréhension qu’ont les scientifiques par rapport aux
divers agents qui ont contribué aux changements de l’irradiation terrestre pour les
dernières 250 années. On y voit que le niveau de confiance est assez élevé en ce qui
concerne les données sur les gaz à effet de serre, mais qu’il devient très faible en ce
qui concerne les aérosols et autres contributeurs. Une telle constatation est à mettre
en perspective dans l’évaluation du degré de fiabilité des modèles climatiques.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig6-6.htm

Le sommet ou la base des rectangles correspond aux valeurs centrales ou aux


meilleures évaluations des données publiées. Les lignes verticales expriment l’écart
d’incertitude basé sur les écarts dans les données publiées.

Pour qui se préoccupe de savoir ce qu’il adviendra de notre planète dans les
décennies, siècles et millénaires à venir, et plus particulièrement au niveau des
changements climatiques amorcés, il y a deux groupes de démarches possibles :
d'une part, la boule de cristal, les feuilles de thé, l’astrologie, votre voisine et tutti
frutti, et d'autre part, les méthodes de modélisation numérique (rien à voir avec la
numérologie!); c’est l’un ou l’autre, les deux souffrant d’une incompatibilité
définitive. Certains politiciens ont préféré choisir les premières, mais les
scientifiques ont préféré jusqu’à aujourd’hui le second groupe et s’attachent à
produire des modèles climatiques les plus représentatifs possibles de la nature et de
ses comportements.

Un modèle climatique est en quelque sorte un gros logiciel, un gros programme


pour ordinateur, à l’aide duquel on tente de résoudre une équation longue et
complexe dans laquelle les innombrables variables et constantes sont les
paramètres physiques, chimiques et biologiques, ainsi que les lois naturelles qui
définissent le climat et son évolution dans l’espace et le temps. Dans le cas qui
nous préoccupe, l’espace est la surface entière de la Planète que l’on matérialise par
une infinité de noeuds (points d’intersection d’une maille plus ou moins serrée) et
le temps peut être les décennies et siècles passés ou le siècle à venir. À partir d’une
série de paramètres définis introduits dans le modèle, on fait « tourner » ce dernier
qui finalement résoudra l’équation selon certaines variables recherchées, telles la
température, la teneur en CO2 ou l’ampleur des fluctuations du niveau marin.

La fiabilité du modèle et surtout du résultat obtenu est beaucoup fontion de la


compréhension que l’on a des lois de la nature et des interactions entre les divers
paramètres climatiques. On doit admettre que physiciens, chimistes, géologues et
climatologues connaissent assez bien ces lois depuis au moins quelques décennies
et qu’en fait, la limite à la modélisation était la capacité de traitement informatique,
une limite passablement repoussée aujourd’hui. En plus des paramètres physiques,
chimiques et biologiques, on a vu plus haut qu’on introduit dans la modélisation,
depuis qu’on est certain que les activités humaines ont une influence directe sur les
changements climatiques, les paramètres sociétaux (économie, politique,
comportement social, etc.).

Il faut cependant réaliser que si nous connaissons adéquatement les lois naturelles
régissant individuellement chacun des paramètres impliqués, nous éprouvons
encore souvent beaucoup de difficulté à cerner les interactions entre les paramètres,
même si on fait présentement d’immenses progrès en ce domaine. On l’a dit plus
haut, la planète Terre est un système complexe, un ensemble composé d’éléments
variés, intimement reliés entre eux et fonctionnant comme un tout. Nos modèles
veulent représenter ce système ou une partie de ce système. Dans le cas de modèles
climatiques, le fait qu’ils peuvent adéquatement représenter une réalité connue,
comme par exemple la concordance entre le modèle et les observations dans le cas
de l’augmentation des températures depuis 1860 présenté plus haut, nous conforte
dans leur fiabilité.

Cela dit, il est un domaine où la modélisation climatique trouve ses limites: c'est
notre compréhension très limitée des effets de seuil. La réponse d'un processus à
une perturbation donnée n'est pas toujours linéaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas
nécessairement proportionnelle à la perturbation. Pour utiliser une analogie, une
augmentation de la tension sur une bande élastique par faibles incréments
entraînera son étirement progressif, jusqu'à ce qu'on atteigne un seuil où un seul
incrément, aussi faible soit-il, fera casser la bande élastique, un effet
disproportionné par rapport à la taille de la dernière perturbation et au-delà duquel
il n'y a pas de retour possible. Personne présentement ne peut dire où se situe le
seuil de température au-delà duquel la machine terrestre risque de s'emballer.

En définitive, il ne faut pas voir les modèles climatiques prévisionnels comme


définitifs et sans faille. L’avancement des connaissances les rendront toujours
perfectibles. Et ce n’est pas parce qu’ils sont imparfaits qu’ils sont faux et inutiles
comme voudrait le laisser croire une certaine presse. Il ne faut pas tomber dans le
piège de la pensée simpliste et réductrice, comme celle des créationnistes qui
refutent l’évolution parce que les évolutionnistes ne s’entendent pas sur certains
mécanismes de l’évolution. Ce n'est pas parce qu'on est pas certain si Un Tel est
arrivé à 15h15 ou à 15h25 qu'on doit conclure qu'il n'est pas venu! Ce n’est pas
parce que le modèle ne peut prévoir avec précision l’augmentation des
températures ou la montée du niveau des mers qu’on doit le mettre à la poubelle ...
et sortir sa boule de cristal ou l’horoscope chinois. Les valeurs avancées par le
modèle sont susceptibles d’être revisées à la hausse ou à la baisse, mais une chose
est certaine, c’est qu’il y a et qu’il y aura réchauffement planétaire, qu’il y a et qu’il
y aura montée du niveau des mers.
3.4.13 - Que faire?
Nous vivons un réchauffement planétaire en grande partie causé par les activités
anthropiques et tous les modèles prévoient une augmentation importante des
températures, avec les conséquences dont nous avons discuté plus haut. L’activité
anthropique prédominante ciblée est la combustion des hydrocarbures et des
charbons qui contribuent à augmenter de façon importante les teneurs
atmosphériques en CO2, un gaz à effet de serre. Nier cette évidence relève de
l’ignorance ... ou de l’intérêt à le faire.

La question fondamentale qui se pose, c’est d’abord: devons-nous agir ou


non? Les réponses ne font pas l’unanimité.

Scénario 1 : n’agissons pas!

« Il est temps de mettre fin aux idées préconçues et aux exagérations qui
polluent le discours des écologistes.»
« On connaît le refrain. Ça ne l’empêche pas d’être faux ou, du moins,
grandement exagéré. »
« Je ne peux pas concevoir que nous allons continuer à utiliser des quantités
massives d’énergie fossile et que nous allons rejeter jusqu’à quatre fois plus
de CO2dans l’air [en faisant référence aux 40 scénarios du GIEC; en fait le
GIEC prévoit 3,4 fois plus et non 4 fois plus de CO2 selon le pire des
scénarios] quand on sait que le prix de l’énergie renouvelable a chuté de
50% tous les 10 ans au cours des trois dernières décennies et devrait
continuer à baisser »
« Le réchauffement de la planète est un problème important, mais pas le
plus important. Et le protocole de Kyoto ne fera que le retarder de six ans!
Autrement dit, on atteindra en 2100 la température qu’on aurait sinon
atteinte en 2094. On ne sauve pas les habitants du Bangladesh, on ne fait
que leur donner six ans de plus pour fuir la montée des eaux. (...) Le
protocole de Kyoto va coûter annuellement de 150 à 350 milliards de dollars
américains. Or, selon l’Unicef, pour 70 à 80 milliards par an, on pourrait
résoudre le plus grave problème auquel l’humanité est en butte: donner à
chaque habitant de la planète accès à de l’eau potable et à des installations
sanitaires. Ça sauverait deux millions de vies chaque année et éviterait à un
demi-milliard de personnes de tomber gravement malades. Ça aiderait dès
maintenant des gens dépouvus de tout et le tiers-monde serait en bien
meilleure posture pour s’adapter au réchauffement futur. »

Ces citations sont extraites d’un interview par Jean-François Bégin, publié
dans l’Actualité (octobre, 2001), de Bjorn Lomborg, professeur de statistique au
département de Sciences politiques de l’Université d’Aarhus, au Danemark, et
auteur de « The Skeptical Environmentalist » (Cambridge University Press).

Il y a là de quoi hérisser le poil de l’individu soucieux de son environnement et


celui de la Planète, n'est-ce pas? Elles ont cependant le mérite, ces citations, de
mettre sur la table les véritables enjeux, la question fondamentale : pouvons-nous
vivre avec un réchauffement de la Planète et ses conséquences. Le géologue
historien de la Terre (que je suis) constatera qu’on ne connaît aucun exemple dans
l’histoire géologique d’un réchauffement climatique planétaire qui aurait été
préjudiciable à la Vie, mais que certains refroidissements par contre l’ont été (par
exemple la grande extinction de la fin de l’Ordovicien). Mais, il y a une nouveauté
ici: le rythme accéléré avec lequel nous réchauffons la planète n’a peut-être jamais
été expérimenté dans le passé géologique; ce rythme risque peut-être de faire
franchir un seuil qui amènera des perturbations imprévisibles, inconnues et
irréversibles. Malgré tout, se pourrait-il que nous nous soyons lancés avec tellement
d’enthousiasme et de conviction dans le « sauvetage » de la Planète que nous avons
oublié de nous poser la question de base, soit le pourquoi de notre action?

Par contre, ces citations ont le démérite de conforter dans ses opinions la droite peu
encline à se préoccuper de l’environnement, qui voit l’IPCC (GIEC) comme une
sorte d’épouvantail et qui trouvera là un support à l’inaction et à la poursuite des
émissions de gaz à effet de serre. Le rejet de Georges W. Bush du protocole de
Kyoto et sa nouvelle politique énergétique centrée sur l’utilisation des combustibles
fossiles en est un bon exemple. On pourrait aussi se demander si les milliards de
dollars économisés seraient réellement utilisés pour régler les problèmes
d’alimentation et de bien-être de l’humanité ou si ces argents ne retourneraient pas
plutôt dans les goussets de ceux qui vont considérer avoir le plus contribué à
réduire les émissions, soit les grands consommateurs d’énergie (industrie lourde,
habitants des pays industrialisés).

Mais, si nous décidions de ne pas agir, il faudra bien nous assurer que nous, nos
enfants et nos petits enfants pourrons vivre les conséquences d’un réchauffement
planétaire. Pouvons-nous prendre ce risque?

Scénario 2 : agissons!

Plusieurs sont convaincus qu’il faut agir. La convention de Rio, le protocole de


Montréal et ses accords subséquents, ainsi que le protocole de Kyoto sont de bons
exemples d’actions entreprises par la communauté internationale. Après les
émissions de CFC (protocole de Montréal), ce sont manifestement les réductions
d’émissions de CO2 qui sont dans la mire des intervenants.

Les défenseurs du protocole de Kyoto ont crié victoire après la conférence de Bonn
en juillet dernier (2001). On s’est réjoui du « sauvetage » du protocole. Les
écologistes ont jubilé. Selon l'un d'entre eux, « c'est un accord historique et une
grande victoire pour l'environnement » (Le Devoir, 24 juillet 2001). Le Canada
serait sorti grand gagnant de l'opération. Il pourra soustraire de ses émissions de
CO2 ce qu'il aura englouti dans des puits de carbone. La bonne affaire quoi! Planter
un arbre délivrera un permis de pouvoir utiliser son gros 4x4 climatisé pour aller
acheter ses cigarettes au dépanneur du coin. Allez donc comprendre ces écologistes
qui juste avant la « rencontre secrète » de Montréal (30 mars 2001) dénonçaient ce
projet de puits de carbone, accusant le Canada de faire « la sale job à la place des
Américains » (Le Devoir, 26 mars 2001). Pourtant, comme il est dit plus haut, le
protocole de Kyoto n’est qu’une goutte d’eau dans la grande marre des réductions
qu’il serait nécessaire de mettre en place pour freiner le réchauffement, et on a
peine à y adhérer.

Pour ma part, je doute qu’il y ait lieu de crier victoire. On aura sauvé une image,
mais en pratique on s'est soumis aux impératifs des USA. George W. Bush se
sentira plus à l'aise d'aller de l'avant avec sa politique énergétique fondée sur
l'utilisation accélérée des combustibles fossiles: abandon des accords de Kyoto,
augmentation de l'offre des hydrocarbures au détriment d'un contrôle de la
demande, ouverture de l'exploration pétrolière et gazière et des forages dans un
parc écologique de l'Alaska (Arctic National Wildlife Refuge), remise au goût du
jour des centrales thermiques fonctionnant au charbon. On évalue que d'ici deux
décennies la consommation de pétrole augmentera aux USA, de 45% et celle du
gaz naturel de 50%. Georges W. trouvera bien une commission socio-economico-
scientifique qui démontrera que les USA font plus que tout autre pays en
enfouissant le CO2 dans des puits de carbone.

Le signal du départ de la course aux puits de carbone est donné. Chaque organisme
gouvernemental, chaque entreprise de recherche, chaque chercheur universitaire
tentera de se tailler une part du gâteau des subventions. Qui côtoie les milieux
scientifiques américains sait bien que déjà les fonds sont presqu'illimités pour qui
propose de trouver des puits de carbone, ce qui risque d’entraîner parfois des
propositions les plus farfelues et sans fondement scientifique.

Note personnelle. La dernière que j’ai entendue à ce sujet proposait de


contrôler tout le drainage d’une région vers une sorte de lac où les matières
organiques se décomposeraient en méthane et que ce méthane «
s’enfoncerait » (en anglais, sink) dans le sol et serait ainsi stocké pour des
millénaires. Proposition faites par un chercheur d’une des plus grandes
institutions océanographiques des USA! Pour ceux qui ne verraient pas la
bourde, revoir le point 3.3.2 sur la formation et la migration des
combustibles fossiles. Comment croyez-vous qu’un politicien, dont la
culture scientifique est en général mince, réagira face à une telle
proposition?
On a abondamment discuté des divers puits de carbone au point 3.4.2. Le moyen
le plus immédiat de capter le carbone à une grande échelle, c'est de le stocker
dans la matière organique dont la fabrication est reliée au cycle photosynthèse-
respiration (cycle court). Donc de fabriquer de la matière organique. Simple!
Plantons des arbres! Mais, en contrepartie, plus on produira de matière
organique, plus il y aura production de CO2 par oxydation; le soi-disant puits de
carbone risque de devenir un miroir aux alouettes. Car il s'agit là d'un puits à cycle
très court. En effet, au delà de la démarche toute bucolique de planter un arbre, il
faut savoir que les géochimistes ont démontré qu'une forêt à maturité consomme
autant d'O2 qu'elle en produit et qu'en terme de puits de carbone, le bilan est nul,
c’est-à-dire qu’il y a équilibre entre photosynthèse et respiration en terme
d’échange de carbone. La grande forêt boréale canadienne ou russe en est un
exemple. Une autre donnée importante à considérer est qu'une forêt ou une
prairie en friche recèle dans son sol de 5 à 10 fois plus de carbone qu’un sol
cultivé. C’est donc dire que la seule reforestation susceptible d’agir comme puits
de carbone est celle qui remplacerait des sols cultivés. Est-on prêt à sacrifier des
terres cultivées?

Il y a, à mon avis, un énorme risque que cette course aux puits de carbone devienne
un faux-fuyant qui permettra aux pays industrialisés, dont le Canada, de soustraire
de ses émissions de CO2 un volume jugé équivalent par des plantations de
végétaux. Déjà, on a fait état, il y a quelques temps, de la volonté de l’Ontario de
développer des forêts dans ... les Caraïbes et de considérer ceci comme sa
contribution à la réduction des émissions de CO2.

Ne nous berçons pas d’illusions. À mon avis, il n’y a qu’une seule véritable
solution pour réduire les émissions de CO2 et le réchauffement qu’elles entraînent:
cesser de court-circuiter le cycle long du carbone en puisant dans les combustibles
fossiles et en brûlant les calcaires (cimenteries), ce qui implique un changement
drastique dans nos habitudes de vie. La recherche de divers puits de carbone
appartenant au cycle court est certes louable en soi et ne doit pas être abandonnée,
mais la somme de leur captage du CO2 demeurera bien en deça de la somme des
émissions reliées à notre surconsommation des hydrocarbures et charbons qui eux
appartiennent au cycle long. Il a fallu quelques 600 millions d'années pour
constituer le stock de carbone des combustibles fossiles, nous prendrons quelques
siècles pour les épuiser!

Le talon d'Achille de Kyoto

On vient d'adopter le protocole de Kyoto (février 2005). Évidemment, on ne peut


qu'applaudir. Mais ..., car il y a un mais! Avec Kyoto, on a accepté le marché du
carbone. Les grands consommateurs de pétrole et éventuellement de charbon,
canadiens ou autres, pourront en quelque sorte acheter un permis de production de
CO2. Il est vrai que, dans une perspective d'émissions de CO2 à l'échelle planétaire,
la chose peut à la rigueur être défendable. Cependant, le problème est qu'on se
concentre uniquement sur les émissions de CO2. On oublie de prendre en compte
que la combustion des pétroles et des charbons émet avec le CO2, toute une
panoplie de polluants qui contribuent, entre autres, à la production locale de smog
(anhydride sulfureux, monoxyde de carbone, ozone, microparticules variées).
L'Alberta pourra demain si elle le désire (et elle le désirera!) utiliser la combustion
des charbons pour produire des pétroles à partir des sables bitumineux; elle n'aura
qu'à acheter des permis. Nos voisins ontariens et américains pourront de la même
façon produire leur électricité à partir du charbon, sans pour autant augmenter les
émissions mondiales de CO2. Mais tout cela va contribuer à augmenter
considérablement les émissions locales de polluants et par conséquent la production
locale de smog, une situation qui est déjà responsable de milliers de décès
annuellement. À la limite, on peut même concevoir que le Québec puisse devenir
un vendeur de permis. Il n'en demeurera pas moins étouffé par le smog!

3.4.9 - Bibliographie

 D’abord, deux liens internet incontournables (par ordre d’intérêt):

http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/.
Le site officiel de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), connu en
français sous le sigle GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution
du Climat). En anglais. On y trouvera le 3ème rapport d’évaluation scientifique 2001
de l’IPCC au complet, ainsi que le résumés pour les décideurs, une version PDF
résumée téléchargeable et plusieurs autres rapports connexes. Essentiel pour celui
ou celle qui veut suivre de près les développements en ce domaine et surtout avoir
l’heure juste.

http://www.manicore.com/documentation/serre/.
Un excellent site français de Jean-Marc Jancovici, très fouillé sur le sujet des
changements climatiques, construit sous forme de questions et réponses, bien
vulgarisé et surtout nuancé et critique. Vous y trouverez aussi plusieurs liens
pertinents.

 Les monographies qui traitent du sujet:

KUMP, L.R, KASTING, J.F. et CRANE R.G. 1999. The Earth System. Prentice
Hall, Upper Saddle River, New Jersey, 351p.
Un excellent bouquin. Très complet. Le meilleur à mon avis sur le sujet. Mérite
l’achat.
MACKENZIE, F.T., 1998, Our Changing Planet - An introduction to Earth Science
and global environmental change. Prentice-Hall, Upper Saddle River, 2ème édition,
486p.
Un autre excellent bouquin qui couvre l’ensemble du sujet. Mérite aussi l’achat.

SCHLESINGER, W.H. 1991. Biogeochemistry, an analysis of global change.


Academic Press Inc., Toronto, 443p.
Un peu plus vieux que les autres (les choses changent vite en ce domaine), mais un
bon livre tout de même.

BERNER, E.K. et BERNER, R.A. 1996. Global Environment. Prentice-Hall,


Upper Saddle River, 2ème édition, 365p.
À conseiller pour les cycles biogéochimiques surtout.

BRAHIC, A., HOFFERT, M., SCHAFF, A. et TARDY, M., sous la direction de


DANIEL, J.-Y., 1999, Sciences de la Terre et de l'Univers. Vuibert, Paris, 634p.
Bouquin général qui comporte une section sur les climats (p. 247-349). En français.
Très bons textes en général, très bien illustré, mais pour moi il y a une chose très
agaçante et à la limite de l’acceptabilité éthique: contrairement au bouquins
américains et ce qui devrait être, la source des figures n’est pas indiquée, laissant
croire qu’elles sont des auteurs, ce qui n’est pas le cas. Une telle pratique va, à mon
avis, à l’encontre de l’enseignement universitaire qui devrait inciter l’étudiant à
aller aux sources et à fouiller plus avant.

 Autres travaux cités dans cette section 3.4:

AUBOURG, C., DANIEL, J.Y. et DE WEVER, P., sous la direction de DANIEL,


J.Y., 2000. Problèmes résolus de Sciences de la Terre et de l’Univers. Vuibert,
Paris, 371p.

BERNER, R.A. 1994. GEOCARB II: a revised model of atmospheric CO2 over
Phanerozoic time. American Journal of Science, v. 294, p. 56-91.

BERNER, R.A. et CANFIELD, D.E. 1989. A new model for atmospheric oxygen
over Phanerozoic time. American Journal of Science, v. 289, p. 333-361.

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