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Les planétoïdes, comètes et astéroïdes qui ont formé la planète Terre par leur
accrétion contenaient toute l’eau de notre planète. Après cette accrétion, qui s'est
terminée il y a 4,55 Ga (milliards d’années), la Terre a connu une période intense
de dégazage qui a libéré l’eau sous forme de vapeur par l’intermédiaire des volcans.
Aussi longtemps que la température terrestre s’est maintenue au-dessus de 100 °C,
cette vapeur fut gardée dans l’atmosphère, créant un effet de serre important.
Quand la température est descendue sous les 100 °C, la vapeur atmosphérique a
condensé pour former les océans. On ne sait trop quand ceux-ci sont apparus, mais
on a des évidences de la présence des océans il y a quelques 3,8 Ga comme en
témoignent les premières roches sédimentaires, des roches qui nécessitent la
présence d’eau pour se former (altération de massifs rocheux, érosion, transport et
dépôt des particules, comme nous l'avons vu au point 2.2.2). Une faible quantité de
vapeur d’eau est demeurée dans l’atmosphère, suffisamment pour maintenir un
certain niveau d’effet de serre (avec le CO2 venant aussi des volcans) sans lequel
notre planète serait une boule de glace. Cela explique aussi que la lithosphère et
l’asthénosphère contiennent un immense volume d’eau.
La circulation annuelle de l'eau constitue le plus grand déplacement d'une substance
chimique à la surface de la Planète. Par les processus de l'évaporation-précipitation
et la circulation océanique, l'eau transfère, des tropiques aux pôles, une grande
partie de l'énergie calorifique reçue par la Terre et constitue ainsi le régulateur des
températures du globe. Ces déplacements de l'eau déterminent les patrons
climatiques de notre planète. Autre élément important pour la survie de notre
espèce, la quantité d'eau disponible annuellement est le facteur déterminant de la
croissance des plantes terrestres et par conséquent influence énormément la
productivité primaire. Le ruissellement des eaux continentales transfère les produits
de l'altération physique et chimique vers les océans.
Sur cette figure, les boîtes représentent les réservoirs, les flèches bleues les flux du
cycle externe, et les flèches rouges les flux du cycle interne. Selon les conditions de
température et de pression, l'eau se retrouve sous trois états: solide, liquide et
vapeur.
Le cycle externe est celui qui est observable directement. L'énergie solaire
transforme l'eau liquide en vapeur. L'évaporation se fait principalement au-dessus
des océans (84%). Les vents et autres mouvements de l'atmosphère redistribuent la
vapeur d'eau; celle-ci retombe sous forme de pluie qui, au niveau des continents,
ruisselle et retourne à l'océan (section 3.1.1). Comme on l'a vu précédemment, une
certaine quantité d'eau est stockée sous forme de glace (section 3.1.2). L'eau
(liquide et solide) constitue l'agent essentiel de l'altération et la désagrégation des
roches de la croûte terrestre et contribue ainsi au recyclage de plusieurs éléments.
Le cycle interne est celui qui concerne la circulation de l'eau entre l'océan, la
lithosphère et l'asthénosphère. Un important volume d'eau s'infiltre dans les pores et
les fractures de la couverture sédimentaire sur la lithosphère; on évalue à
330.106 km3 ce réservoir. Un autre volume important d'eau s'infiltre dans les
fractures de la lithosphère. On n'a qu'à penser à ce système de pompage que
constituent les sources hydrothermales au niveau des dorsales médio-océaniques.
Cette eau est un agent fort efficace de l'altération chimique des basaltes océaniques,
modifiant les propriétés physico-chimiques et la composition de la croûte
océanique et contribuant à la composition chimique de l'eau de mer. La subduction
de la lithosphère dans l'asthénosphère introduit aussi de l'eau dans cette dernière.
Les minéraux du manteau même contiennent une énorme quantité d'eau. Ensemble,
lithosphère et asthénosphère contiennent un volume d'eau évalué à 400.106 km3.
Le tableau suivant permet de comparer le volume des divers réservoirs d'eau dans
les deux cycles.
Des interruptions importantes dans l'état stationnaire du cycle de l'eau sont causées,
entre autres, par les périodes de glaciation continentale. Celles-ci affectent
particulièrement la circulation des océans et l'interaction océan-atmosphère. Ainsi,
un refroidissement global abaisse les taux d'évaporation, entraînant une réduction
de la circulation de l'air humide dans l'atmosphère et des précipitations. Par
exemple, on évalue que durant la dernière glaciation, il y a 18 Ka (milliers
d'années), la précipitation totale fut de 14% inférieure à celle d'aujourd'hui,
entraînant une expansion de la désertification, une diminution importante de la
productivité primaire terrestre, ainsi qu'une accentuation de l'érosion éolienne des
sols désertiques. Une glaciation entraîne aussi un changement dans les taux
globaux du transfert, des continents aux océans, des matières dissoutes et en
suspension dans l'eau. Durant les périodes de glaciation, une plus grande surface
continentale est exposée à l'érosion parce que le niveau marin est plus bas (-120
mètres, il y a 18 Ka), ce qui entraîne un apport accru de matériaux dans l'océan.
Une telle situation augmente le niveau de nutriments dans le milieu marin et une
augmentation de la productivité primaire.
L'eau est le support essentiel sans lequel tous les grands cycles biogéochimiques ne
sauraient exister. Tout changement climatique risque de se répercuter sur son cycle
et par conséquent perturber les patrons globaux de la végétation, les taux
d'altération des roches continentales et, en bout de ligne, les grands cycles
biogéochimiques.
3.4.2 Le cycle du carbone
L'hydrogène (H), l'hélium (He), l'oxygène (O) et le carbone (C) sont, dans l'ordre,
les éléments les plus abondants dans le cosmos. Sur Terre cependant, ce sont
l'oxygène et le silicium qui dominent, le carbone venant en quatorzième place
seulement.
La figure ci-dessous présente le cycle global du carbone et ses flux entre les quatre
sphères "superficielles" de la Planète: lithosphère, hydrosphère, biosphère et
atmosphère. Y est indiquée aussi la dimension des réservoirs de carbone impliqués,
exprimée en Gtc (Gtc = gigatonnes en équivalent carbone), c'est-à-dire en milliards
de tonnes métriques de carbone.
On y voit que le grand réservoir de carbone est constitué par les roches
sédimentaires. Un autre grand réservoir est l'océan; on verra qu'il s'agit en fait de
l'océan profond (plus de 100 mètres de profondeur). C'est dire que la pellicule
superficielle de la planète recèle relativement peu de carbone, mais ce carbone est ô
combien important pour la Vie et l'influence qu'il y exerce. Au niveau des flux
entre les réservoirs, on évalue que le temps de résidence d'un atome de carbone est
de 4 ans dans l'atmosphère, de 11 ans dans la biosphère, de 385 ans dans
l'hydrosphère superficielle (océan de 0 à 100 m), de plus de 100 Ka (milliers
d'années) dans l'océan profond et de quelques 200 Ma (millions d'années) dans la
lithosphère. Il est important de se rappeler de ces valeurs relatives dans toute
discussion sur l’impact des gaz à effet de serre, en particulier le CO2, sur les
changements climatiques et les échelles de temps impliquées.
Dans le cycle global du carbone, il y a une hiérarchie de sous-cycles opérant à
diverses échelles, de la décennie (le recyclage du CO2 par les plantes) aux centaines
de millions d'années (le recyclage du carbone organique par l'intermédiaire des
roches sédimentaires ou des hydrocarbures par exemple). Les processus physiques,
chimiques et biologiques agissent ensemble et sont si intimement liés qu'il devient
difficile de les départager. Pour fin de simplification, nous allons examiner
séparément le recyclage des deux types de carbone: le cycle du carbone organique
et celui du carbone inorganique. Il faut bien réaliser cependant que cette séparation
est artificielle et qu'en réalité ces deux cycles sont intimement liés. Mais elle est
susceptible d'aider à mieux comprendre un système très complexe.
La figure qui suit résume les deux cycles, court et long, du Corg, avec un chiffrage
des flux et des réservoirs exprimé en Gtc.
Pour le cycle court, on parle de processus qui s'étalent sur des temps inférieurs au
siècle. Le processus de base du recyclage du carbone à court terme est le couple
photosynthèse-respiration, c'est-à-dire la conversion du Cinorg du CO2 en Corg par la
photosynthèse, et subséquemment l'inverse, la conversion du Corg de la matière
organique en Cinorg par la respiration. Il faut considérer trois réactions de base.
La matière organique est représentée ici par CH2O, la forme la plus simple
d'hydrate de carbone. En réalité, il s'agit de molécules beaucoup plus grosses et
plus complexes dont la base demeure les éléments C, H et O, mais auxquels
viennent se joindre d'autres éléments en faibles quantités comme l'azote (N), le
phosphore (P) et/ou le soufre (S). Cette partie de la matière organique correspond à
la productivité primaire, et les organismes impliqués (bactéries, algues et plantes)
sont les producteurs primaires. Ceux-ci captent l'énergie solaire et la transforment
en énergie chimique qu'ils stockent dans leurs tissus. Cette dernière est transférée
aux organismes consommateurs, incluant les animaux. Il est intéressant de noter
que dans la nature la biomasse des consommateurs est bien inférieure (ne comptant
que pour environ 1% de la masse totale) à celle des producteurs primaires.
Les consommateurs tirent leur énergie de celle qui est contenue dans les
producteurs primaires en ingérant leurs tissus et en respirant. La respiration est
l'inverse de la photosynthèse: à partir de l'oxygène libre O2, elle transforme toute
matière organique en CO2:
Ces deux gaz peuvent s'échapper dans l'atmosphère oxygénée. Le méthane, qui est
un gaz à effet de serre 20 fois plus efficace que le CO2, est alors oxydé et se
transforme rapidement en dioxyde de carbone. En fait, son temps de résidence dans
l'atmosphère n'est que de 10 ans, mais il ne faut pas oublier qu'il se transforme en
CO2, … ce qui n'est guère mieux pour notre planète. Une partie du méthane
demeure cependant dans le sédiment où il forme des réservoirs de gaz naturel (voir
section 3.3.2 - Les combustibles fossiles). On vient de découvrir (Science, v. 293,
juillet 2001) qu'un important volume de méthane est "bouffé" par des bactéries sur
les fonds océaniques mêmes. On est tenté d'ajouter: fort heureusement!
Captage du CO2 et chimie du carbone inorganique (Cinorg) dans l'eau sont deux
sujets à toutes fins pratiques indissociables et sont traités ici ensemble.
Un premier niveau de captage du CO2 qui agit sur terre et dans l'océan est celui de
la photosynthèse qui transforme le Cinorg du CO2 en Corg et qui s'exprime par
l'équation suivante:
Cet acide carbonique se dissocie en libérant ses atomes d'hydrogène. Quand son
premier atome est libéré, il se forme un ion bicarbonate:
L'altération chimique des deux grands types de minéraux, les silicates et les
carbonates (voir au point 2.1.4 les minéraux constitutifs de l’écorce terrestre), est
particulièrement significative. Un des produits d'altération important ici est l'ion
calcium Ca2+. Ce calcium est abondant chez les carbonates dont les deux principaux
minéraux sont la calcite CaCO3(carbonate de calcium) et la dolomite
CaMg(CO3)2 (carbonate de calcium et magnésium). Chez les silicates, on trouve du
calcium dans des minéraux comme les feldspaths plagioclases (Na,Ca)AlSi3O8 ou
les amphiboles comme la hornblende NaCa2(Mg,Fe,Al) 5(Si,Al)8O22 (OH)2. Pour
simplifier les écritures chimiques, nous allons utiliser la wollastonite CaSiO3 pour
représenter les silicates de calcium.
Lorsque soumis aux pluies (acides), ces deux groupes de minéraux se dissolvent,
les carbonates étant de loin les plus rapidement attaqués. Dans les deux cas, des
ions calcium et bicarbonates sont produits:
Chez les deux processus d'altération, des ions calcium Ca2+ et bicarbonates HCO3-
sont produits. Dans le cas des silicates calciques, l'altération produit en sus de la
silice. Calcium, bicarbonate et silice sont arrachés aux sols par l'érosion et
transportés vers l'océan par les cours d'eau. Ces trois produits viennent contribuer à
la charge sédimentaire des océans. Certains organismes comme les diatomées, les
radiolaires et les éponges utilisent la silice dissoute dans l'eau de mer pour secréter
leur squelette. Le gros des ions Ca2+ et HCO3- est utilisé par la plupart des autres
organismes marins à squelette minéralisé pour secréter un squelette ou une coquille
de carbonate de calcium (CaCO3, calcite ou aragonite); une autre partie des ions
Ca2+ et HCO3-, vient former abiotiquement du CaCO3, mais en volume beaucoup
plus faible par rapport à celui des squelettes des organismes. Cette précipitation du
carbonate de calcium, qu'elle soit biotiquement ou abiotiquement contrôlée, vient
soustraire à l'eau marine des ions Ca2+ et HCO3- selon la réaction inverse de la
réaction 6:
Cette production de CaCO3 modifie la chimie du carbone des océans en entraînant
deux choses: 1) une augmentation de la concentration en acide carbonique
(H2CO3 qui peut aussi s'écrire CO2 + H2O, selon l'équation 1) et, par voie de
conséquence, de celle du CO2; 2) une réduction de la concentration en ions
bicarbonates, ce qui signifie un abaissement du pH. L'augmentation de la
concentration en CO2 reliée à cette production de CaCO3 entraîne la création d'un
gradient entre l'océan et l'atmosphère qui favorise une diffusion du CO 2de l'océan
vers l'atmosphère.
Un cycle géochimique essentiel à la Vie sur terre est en grande partie contrôlé par
l'océan. Il s'agit du cycle de l'oxygène libre (O2). Si la vie a pu se maintenir et
proliférer à la surface du globe, c'est qu'elle a inventé un mécanisme de défense
contre ce poison violent pour elle qu'est l'oxygène, ainsi que la capacité d'exploiter
cette ressource. Ce mécanisme, c'est la respiration. En même temps qu'elle inventait
ce mécanisme, elle en devenait dépendante.
C'est l'océan qui pratiquement à lui seul joue le rôle de régulateur de l'oxygène
atmosphérique. La composante végétale du plancton, le phytoplancton, produit de
l'oxygène grâce à la photosynthèse. Comme sur les continents, cet oxygène est
utilisé pour la respiration par la composante animale du plancton, le zooplancton, et
par les autres animaux marins, ainsi que pour l'oxydation de la matière organique.
Cependant, une partie seulement de la matière organique est oxydée, l'autre partie
se dépose au fond de l’océan et est incorporée dans les sédiments (voir au point
3.2.2 - les dépôts océaniques) où elle est gardée à l'abri de l'oxygène. Comme on l’a
vu plus haut (point 3.4.2), cette matière organique sera éventuellement ramenée à la
surface terrestre sous forme de combustibles fossiles, pétrole et charbon, ou de
kérogènes, beaucoup plus tard dans le cycle géologique. Finalement, une partie de
l'oxygène océanique est donc libérée dans l'atmosphère. Celle-ci est utilisée pour la
respiration des animaux terrestres et dans les divers processus d’oxydation, comme
celui du fer Fe2+. Dans une grande mesure, c’est donc le taux d’enfouissement du
carbone organique, ainsi que celui de l’oxydation des matériaux terrestres qui vont
contrôler le taux d’émission et la teneur en O2 dans l’atmosphère.
Bien que la marge d’erreur (zone en rose pâle) apparaisse relativement grande,
force est de reconnaître que les teneurs en oxygène atmosphérique ont varié durant
cette période de temps géologique et que le Carbonifère-Permien a connu une
augmentation importante.
soit:
Comme dans le cas de l’azote (N), le phosphore (P) est important pour la Vie
puisqu’il est essentiel à la fabrication des acides nucléiques ARN et ADN. On le
retrouve aussi dans le squelette des organismes sous forme de PO4. Dans la Terre
primitive, tout le phosphore se trouvait dans les roches ignées. C’est par l’altération
superficielle de ces dernières sur les continents que le phosphore a été
progressivement transféré vers les océans. On a calculé qu’il a fallu plus de 3 Ga
(milliards d’années) pour saturer les océans par rapport au minéral apatite
[Ca5(PO4)3OH], un phosphate. Le cycle du phosphore est unique parmi les cycles
biogéochimiques majeurs: il ne possède pas de composante gazeuse, du moins en
quantité significative, et par conséquent n’affecte pratiquement pas l’atmosphère. Il
se distingue aussi des autres cycles par le fait que le transfert de phosphore (P) d’un
réservoir à un autre n’est pas contrôlé par des réactions microbiennes, comme c’est
le cas par exemple pour l’azote.
Les composés du souffre sont multiples. Les principaux sont les suivants:
b) dans les systèmes aquatiques: les composés majeurs sont les sulfates dissouts
SO4-
Le carbonyl de sulfure COS est produit à partir des sulfures organiques dissouts
dans l’eau de mer et acquis en partie de l’érosion continentale. Il s’échappe par la
surface des océans vers l’atmosphère. Il est inerte dans la troposphère, mais
s’oxyde en sulfates dans la stratosphère pour former une couche tout autour de la
Planète. Tout comme les nuages de la troposphère, cette couche de sulfates en
aérosols va réfléchir une partie du rayonnement solaire, avec le même effet de
modération sur la chauffe de la Planète.
Une autre influence naturelle importante sur le cycle du soufre est celle des
volcans. Parmi les gaz qu’ils émettent jusque dans la stratosphère, il y a les sulfates
SO4 en aérosols qui viennent s’ajouter à ceux qui sont issus du COS. Couplées aux
émissions de cendres créant un effet de voile, ces émissions de sulfates peuvent
résulter en des refroidissements à très court terme. Ainsi, on évalue que le Pinatubo
aux Philippines qui a fait éruption en 1991 a abaissé la température planétaire
moyenne de 1 °C pendant une année dû à l’effet combiné des émissions de cendres
et de SO4.
Dans les sections précédentes (3.4.1 à 3.4.6), on a examiné les grands cycles
biogéochimiques surtout tel qu’ils fonctionnent présentement. Notre planète a une
histoire de 4,56 Ga (milliards d’années). Ces cycles n’ont pas tous commencé au
début de cette histoire, pas plus qu’ils n’ont fonctionné comme ils le font
aujourd’hui. Pour bien comprendre comment a évolué le système Terre, il est
important d’étudier ces grands cycles biogéochimiques dans la perspective du
temps géologique. Nous verrons que cette histoire met en évidence l’intervention
prépondérante de la Vie dans ces cycles.
On nomme Hadéen cette période des tous débuts de la Terre dont nous ne
possédons aucun vestige rocheux. Les archives de l’histoire géologique de notre
planète sont les roches, et puisque la roche la plus vieille connue a été datée à 4,03
Ga, l’histoire géologique documentée dans les roches commence donc à 4,03 Ga,
avec la période archéenne (voir 4.1.3 Le calendrier géologique)
Cette Terre primitive s’est progressivement refroidie. L’eau qui ne se trouvait que
sous forme de vapeur dans l’atmosphère à cause des températures supérieures à
100°C a commencé à condenser et à tomber en pluie lorsque les températures sont
passées sous les 100°C. Les gaz atmosphériques se sont dissouts dans ces gouttes
de pluie pour former des acides carbonique (H2CO3), nitrique (HNO3), sulfurique
(H2SO4) et chloridrique (HCl), produisant des pluies acides. Ces dernières sont
venues altérer chimiquement la toute nouvelle croûte terrestre silicatée. Il en est
résulté la formation des premiers sédiments. Ces réactions chimiques ont
commencé à changer l’atmosphère, entre autres par le captage du CO 2 relié à
l’altération chimique, un processus discuté au point 3.4.2.
On ne sait trop si la Vie est apparue dans ce contexte de la fin de l’Hadéen. Les
premières preuves de sa présence sur terre remonte à il y a 3,76 Ga, donc à
l’Archéen.
Un tournant critique dans l’histoire des températures terrestres est qu’il a fallu que
se fasse l’élimination d’une partie de ce CO2 atmosphérique, sinon la Terre serait
devenue aussi chaude que Vénus à cause de l’effet de serre causé par ce gaz. Le
captage du CO2 s’est fait grâce à la précipitation de calcaires (CaCO3) et du dépôt
des matières organiques primitives, le tout progressivement stocké dans les roches
sédimentaires (voir au point 3.4.2).
On évalue à quelques 50.106 Gtc le carbone présentement stocké dans les roches
sédimentaires. Tout ce carbone a été soustrait au CO2 atmosphérique. Compte tenu
des taux d’altération et du transport et dépôt des produits de cette altération (Ca2+,
HCO3-, SiO2), on peut calculer qu’il aurait fallu un temps inférieur au milliard
d’années (plusieurs centaines de millions d’années tout de même) pour stocker
toute cette quantité de carbone. À ce rythme, l’atmosphère aurait été vidée de son
CO2 bien avant la fin de l’Archéen (celui-ci a duré 1,5 Ga), et la Terre devenue une
boule de glace. Il faut donc qu’une certaine quantité de CO2 ait été retournée à
l’atmosphère pour maintenir cet effet de serre si nécessaire au maintien de l’eau
liquide à la surface du Globe. Le mécanisme responsable de ce retour de CO2 à
l’atmosphère est la tectonique des plaques qui recycle perpétuellement les
planchers océaniques dans les zones de subduction où, sous des températures et des
pressions élevées, le CaCO3 et le SiO2 stockés dans les sédiments et les roches se
métamorphisent en silicates (CaSiO3), une réaction qui dégage du CO2. Les
matières organiques, aussi séquestrées dans les roches et sédiments, dégagent aussi
du CO2 dans ces conditions. Tout ce CO2 est retourné à l’atmosphère grâce aux
volcans. Il s’agit donc là d’un cycle long du carbone qui fonctionne depuis le début
de l’Archéen, soit depuis 4 Ga, et qui régule le CO2atmosphérique.
On ne sait trop à quel moment la Vie est apparue à l’Archéen, mais on a de bonnes
raisons de croire qu’elle était déjà sur terre il y a 3,76 Ga comme en témoignent les
roches du Groupe d’Isua au Groenland (voir 4.3.2 La longue vie solitaire des
bactéries pour plus de détails). Parmi les premières bactéries apparues, il y avait les
pourpres et les vertes, capables d’oxyder le soufre réduit (S2- dans les sulfures
comme la pyrite FeS2) en sulfate (SO42-, comme dans l’anhydrite CaSO4). Ces
bactéries furent donc reponsables de la dissolution de sulfates dans l’hydrosphère,
dès les premiers temps de l’Archéen, une première modification du milieu physico-
chimique par des organismes vivants. La production d’oxygène libre O2 a
commencé avec l’arrivée des premières bactéries capables de faire la
photosynthèse, les cyanobactéries, qu’on appelle aussi les algues bleues-vertes.
Celles-ci nous sont connues comme fossiles dans les roches sédimentaires, à partir
de -3,5 Ga (3500 Ma). C’est le début du cycle court du carbone. La production
d’O2 est minime à l’Archéen, mais prendra son essor au Protérozoïque. C’est aussi
le début de la formation de la couche d’ozone (O3) bloquant les UV.
C’est dire que nous sommes présentement dans une période de planète-igloo (voir
Le Grand Âge Glaciaire en Amérique au point 3.1.2).
Durant la période allant de -2,2 à -1,6 Ga, le Protérozoïque a connu le dépôt d’un
volume exceptionnel de roches sédimentaires riches en fer dans lesquelles le fer se
trouve sous sa forme oxydée Fe3+, comme par exemple dans le minéral hématite
Fe2O3. Ces roches qu’on appelle « formations de fer » constituent la source de 90%
du fer qu’on extrait des mines. La présence de ces formations de fer indique le
début de l’oxygénation de l’atmosphère-hydrosphère. On a vu que durant tout
l’Archéen, l’atmosphère était à toute fin pratique réductrice, ce qui est aussi vrai
pour l’hydrosphère. Le gros des eaux de la Planète était anoxique, avec un énorme
volume en fer réduit Fe2+ en solution. Les premières venues d’oxygène libre dans
l’atmosphère au tout début du Protérozoïque grâce à la photosynthèse des
cyanobactéries a oxydé les couches superficielles de l’hydrosphère, transformant le
Fe2+ en Fe3+. Ce dernier n’est pas soluble dans l’eau et par conséquent a précipité
sous forme solide dans les formations de fer. Cette précipitation a consommé de
l’oxygène libre et a sans doute ralenti pour un temps l’oxygénation de
l’atmosphère. Voir aussi L’oxygénétion de l’atmosphère).
Vers -1,4 Ga, sont apparues les eucariotes, de nouvelles cellules à noyau, aérobies
(tolérant l’oxygène libre) et capables de photosynthèse, comme les algues
unicellulaires. Elles sont responsables d’une oxygénation rapide de l’atmosphère,
étant beaucoup plus efficaces que les cyanobactéries pour produire de l’O2.
(N’oublions pas que ces formes de vie existent toujours et qu’on peut comparer
leurs « performances » respectives). On évalue que l’atmosphère avait atteint son
taux actuel en oxygène libre à la fin du Protérozoïque.
Le Protérozoïque se termine avec un réchauffement du climat terrestre. Le
mégacontinent Rodinia (voir La période Protérozoïque au point 4.2.1 Les temps
précambriens) se fragmente vers les -650 Ma et l’activité de la tectonique des
plaques est grande, ce qui entraîne une augmentation de la concentration en CO2 de
l’atmosphère et amorce en conséquence un réchauffement planétaire qui prendra
effet au tout début du Phanérozoïque.
Deux courbes des températures de surface se superposent à cette courbe, l’une (la
droite orangée) calculée uniquement en fonction de la variation dans le temps de
l’intensité du rayonnement solaire, sans tenir compte de la présence de CO2, l’autre
(bleue) calculée en tenant compte de la variation temporelle de l’intensité du
rayonnement solaire, couplée aux teneurs en CO2 atmosphérique (effet de serre).
Les faits saillants de la courbe du CO2 durant les quelques derniers 600 Ma sont les
suivants: 1) la concentration atmosphérique de CO2 fut plus élevée dans la première
demie du Paléozoïque qu’elle ne le fut pour les derniers 400 Ma; 2) le Carbonifère-
Permien a connu une chute drastique du niveau de CO2 atmosphérique; 3) après
cette chute, les niveaux de CO2 ne sont jamais remontés à leur position du début du
Paléozoïque; 4) les niveaux de CO2 baissent progressivement depuis le Trias, avec
une accélération à partir du Cénozoïque.
Il y a une corrélation assez évidente entre la courbe des variations des niveaux de
CO2 et celle des variations des températures. Le rôle du CO2 en tant que gaz à effet
de serre apparaît bien démontré ici. Point n’est besoin d’élaborer longuement sur ce
sujet. Si les températures du Mésozoïque se retrouvent au même niveau que celles
de la première demie du Paléozoïque pour une teneur atmosphérique en CO2 bien
inférieure, c’est qu’il y a eu, au Mésozoïque, une augmentation dans l'intensité du
rayonnement solaire (courbe orangée).
Un événement climatique important qui n’a pas été détecté par le modèle de la
courbe des températures est une brève période de glaciation qui eut lieu à la fin de
l’Ordovicien. Cette glaciation est bien documentée par la présence de dépôts
glaciaires (tillites) sur les masses continentales qui se situaient à l’époque au pôles
sud (voir carte paléoclimatique du milieu et fin Ordovicien de Scotese
à http://www.scotese.com/mlordcli.htm). Elle est aussi fort probablement
responsable d’une des cinq grandes extinctions de masse (voir L'extinction de la fin
de l'Ordovicien à la section 4.3.3 sous Les grands chambardements de la vie: les
extinctions de masse ).
Si nos archives géologiques, c'est-à-dire les roches, ne nous ont pas donné la
réponse quant à l'origine de la vie, elles nous renseignent sur la façon dont cette vie,
une fois implantée, s'est développée. Elles nous renseignent sur au moins quatre
points importants:
quelles ont été les premières formes de vie, du moins celles qui ont été
conservées fossiles,
comment celles-ci se sont modifiées et ont donné naissance à d'autres
formes,
à quel moment chacune est apparue,
quand et comment est apparue et s'est développée l'atmosphère
oxygénée en relation directe avec les premières formes de la vie.
Ce sont ces aspects que vont développer cette rubrique (4.3.2) et la suivante (4.3.3).
1h33
C'est la première roche datée; il s'agit des premières roches ignées de l'Archéen
datées à 4,03 Ga.
1h58
Les plus vieilles roches sédimentaires connues datent de 3,76 Ga (série d'Isua dans
l'ouest du Groenland), soit à 1h58 sur l'horloge; elles indiquent la présence d'eau (la
soupe primitive!), mais on n'y a décelé aucune trace de vie sous forme fossile.
Cependant, l'analyse des isotopes du carbone de ces roches a indiqué un
enrichissement en isotope 12 par rapport à l'isotope 13, ce qui pour le géochimiste
est une indication de la présence de matière organique. On suppose donc, sur cet
argument indirect, qu'il y avait déjà de la vie sur terre à ce moment et que les
roches sédimentaires ont gardé la trace chimique de cette vie. Il n'y a pas de fossiles
dans ces roches, seulement un enrichissement en carbone-12.
2h45
Ce n'est que dans des roches datant de 3,5 Ga, soit à 2h45 sur l'horloge, 300 Ma
après les premiers sédiments, qu'apparaissent les premiers fossiles de bactéries. En
effet, ces fossiles les plus vieux ont été découverts en 1987 dans deux gisements
différents, en Afrique du Sud et en Australie. Les paléontologues Schopf et Parker
y ont découvert, dans des couches associées à des stromatolites, des sphéroïdes
carbonacées de 2,5 mm de diamètre, se présentant souvent en amas, et montrant des
évidences de division binaire. Ces sphéroïdes sont accompagnés de tubulures et de
filaments. On y voit, sans pouvoir le démontrer, une nette ressemblance avec les
cyanobactéries.
Les stromatolites
4h37
Puis on a retrouvé, dans des roches datant de 2,8 Ga, dans l'ouest de l'Australie, à
4h37 sur l'horloge, des structures filamenteuses qui ont apparamment tout de la
cyanobactérie. Il faut savoir que les cyanobactéries, qu'on appelait autrefois les
algues bleues-vertes ou les cyanophycées sont des bactéries particulières qui font la
photosynthèse. C'est dire qu'elles produisent de l'oxygène. Elles ont une autre
qualité fondamentale: elles résistent aux rayonnement UV. Ces bactéries sont très
abondantes aujourd'hui et comme on le voit elles sont apparues assez tôt dans
l'histoire de la terre. On peut relier l'oxygénation de l'atmosphère terrestre à leur
apparition.
6h43
Les premiers véritables fossiles de cyanobactéries furent retrouvés dans des roches
vieilles de 2 Ga, soit à 6h43 sur l'horloge, dans les cherts du Gunflint sur les rives
du Lac Supérieur en Ontario. C'est là un des plus beaux gisements de
cyanobactéries fossiles qu'on connaisse. Les micro-organismes y sont superbement
conservés dans des stromatolites cherteux, c'est-à-dire composés de silice (SiO2) à
grains très fins. On y trouve de véritables filaments cyanobactériens, des sphéroïdes
bactériens à membrane épaisse comme celle qui protège aujourd'hui les
nitrogénases contre l'oxygène libre, ainsi que des spores.
Toutes ces bactéries dont on vient de parler sont des cellules procaryotes, c'est-à-
dire des cellules dont le noyau n'est pas nettement séparé du cytoplasme,
contrairement aux cellules eucaryotes où le noyau est enveloppé d'une membrane
protégeant entre autres l'ADN.
8h17
Les cellules eucaryotes fossiles les plus anciennes datent d'il y a 1,4 Ga, 8h17 sur
l'horloge. Ce sont des cellules plus grosses que les précédentes (procaryotes). Les
procaryotes ont des tailles inférieures à 10 µm, les eucaryotes vont de 10 à 100 µm.
Elles montrent une organisation beaucoup plus complexe de la matière vivante,
avec l'individualisation du noyau.
De 10h25 à 12h00
À partir de 600 Ma (10h25 sur l'horloge), il y aura une sorte d'accélération dans le
développement de la Vie: d'abord de nombreux animaux étranges (la faune
d'Édiacara), considérés par certains comme les premiers métazoaires connus
(organismes pluricellulaires), ainsi que les premiers squelettes minéralisés; puis, ce
que certains ont appelé le "big bang" de la vie, avec la faune de Burgess (-525 Ma).
Pour présenter la relativité du développement de la vie, l'horloge indique la durée
de vie des fameux dinosaures (de 11h19 à 11h48, soit de -230 à -66 Ma); quant à
l'homme, c'est un animal de dernière minute, étant apparu vers les 11h58 (il y a
moins de 1 Ma).
Les stromatolites
On ne peut discuter de la vie au Précambrien sans parler des stromatolites qui sont
des structures columnaires construites par les bactéries.
Ces stromatolites sont trouvés dans des couches qui varient en âge de 3,5 Ga à
l'Actuel. En fait, on les retrouve pratiquement à tous les âges durant cette période
de 3,5 milliards d'années. Avant la découverte de stromatolites actuels, c'est-à-dire
des stromatolites en voie de formation, à la fin des années 1950, dans le nord-ouest
de l'Australie, les géologues et paléontologues arrivaient mal à expliquer l'origine
de telles structures. Il y avait toutes sortes de querelles, certains prétendant qu'il
s'agissait de véritables fossiles d'organismes disparus, d'autres que c'était là de
simples structures sédimentaires, avec diverses propositions entre ces deux
extrêmes.
Pour mieux comprendre la nature des stromatolites, nous allons examiner des
structures qu'on retrouve fréquemment sur les estrans actuels, particulièrement en
climat chaud: les tapis bactériens. Ce sont des tapis organiques qui recouvrent les
sédiments sur de très grandes surfaces.
Ce tapis agit de deux façons: 1) il piège les particules sédimentaires entre ses
filaments; 2) il induit la cimentation des particules sédimentaires, grâce à
son activité photosynthétiquequi, en consommant du CO2, abaisse la pression
partielle de CO2 dans ce micromilieux et favorise ainsi la précipitation du CaCO3.
Les particules piégées sont donc soudées ensemble, pour finalement constituer une
succession de croûtes solides qui vont former une roche qu'on appelle laminite
cyanobactérienne.
Tapis cyanobactérien
Ce tapis cyanobactérien recouvre entièrement les sédiments de la zone intertidale,
Shark Bay, nord-ouest de l'Australie.
e treillis bactérien
Le tapis bactérien est formé par un treillis de filaments dont la plupart sont des
cyanobactéries, mais aussi des algues et autres microorganismes. Les illustrations
ci-dessous sont extraites de Scoffin (1970), Journal of Sedimentary Petrology.
Filaments bactériens piégeant les particules sédimentaires et formant ainsi une
couche organo-sédimentaire. Les filaments photosynthétiseurs sont érigés durant le
jour constituant un piège efficace et se couchent en absence de lumière (nuit). C'est
cette alternance qui est responsable de la fine lamination de certains tapis.
Laminites cyanobactériennes
Vue rapprochée d'un stromatolite columnaire dont la surface est formée d'une
couche cyanobactérienne vivante piégeant les sédiments. Shark Bay.
Colonnes stromatolitiques illustrant la morphologie externe (gauche) et interne
(droit).
Même si les radiations solaires peuvent briser les molécules d'eau (H2O) dans la
haute atmosphère et produire des atomes d'oxygène qui se combinent deux à deux,
ce processus est trop lent pour expliquer la concentration actuelle de l'atmosphère
en oxygène libre. Tous s'accordent à dire que l'oxygène est un produit de la
photosynthèse.
La courbe qui suit montre à quel rythme s'est faite l'oxygénation de l'atmosphère.
Cette glaciation Varanger nous est connue grâce à la présence de tillite (un type de
dépôt glaciaire) sur des continents qui à l’époque se seraient situés plutôt près de
l’équateur. Une anomalie dans la géochimie isotopique du carbone indique qu’il y
aurait eu à cette époque une diminution drastique de la productivité organique
océanique reliée à une coupure au niveau de la photosynthèse.
Certains proposent que cette période de grand stress écologique aurait eu une
influence sur l’explosion de la diversité et l’apparition de la Vie métazoaire qui
s'est faite immédiatement après la glaciation. Durant la période glaciaire, les
mutations auraient été favorisées à cause entre autres des isolements géographiques
et de la sélection naturelle. C’est en effet immédiatement après cette glaciation
qu’est apparue la faune d’Ediacara et les premiers métazoaires (voir L’explosion de
la diversité).
Ce modèle de la terre boule de neige ne fait pas l’unanimité. Il n’y a qu’à consulter
par exemple les numéros des deux dernières années (2000-2001) des
périodiques Science etNature pour s’en convaincre. Il ne semble pas faire de doute
qu’il y a eu à cette époque une glaciation affectant des masses continentales qui,
semble-t-il, se trouvaient tout près de l’équateur, même si certains, peu nombreux,
mettent en doute la reconstruction paléogéographique de l’époque. En fait, c’est
particulièrement sur l’intensité de la glaciation que portent les doutes, une
glaciation qui aurait transformé la planète entière en boule de glace, contrairement
aux autres glaciations qui se contentent de recouvrir de glace seulement les pôles.
Il faudrait démontrer alors que les traces de glaciations (dépôts) de cet âge ne se
retrouvent que sur les masses continentales équatoriales. Un inventaire récent des
dépôts glaciaires Néoprotérozoïque (période de -1000 à -544 Ma) et de leur
contraintes d’âge (Evans, 2000, Am. Jour. Science, v. 300) a montré que, malgré
des incertitudes sur les contraintes paléomagnétiques, les dépôts se retrouvant aux
basses latitudes (se rapprochant de l’équateur) sont plus communs que ce à quoi on
aurait pu s’attendre et qu’aucun dépôt se situant aux hautes latitudes (au-dessus de
60°) n’a pu être documenté sérieusement. Ceci semble donc aller dans le sens de
cette hypothèse d’une obliquité élevée durant cette période de près de 500 Ma,
impliquant que les glaces ne recouvraient pas les zones polaires et que les aires
habitables étaient plus vastes que ne le propose le modèle de la terre boule de neige.
Notons cependant qu’une absence de dépôt ne signifie pas nécessairement
l’absence de glace.
L'explosion de la diversité
Une des périodes clé du développement de la vie sur terre se situe entre -600 et -
520 Ma. C'est là que la diversité biologique a littéralement explosé.
On peut considérer que cette explosion de la diversité s'est faite en deux pulsations:
un moment préparatoire, la faune d'Édiacara, puis la grande explosion, ce que
certains appellent le "big bang" de la vie, représentée par la faune des schistes de
Burgess.
Avant d'examiner chacune de ces trois faunes et voir ce qu'elles nous enseignent, il
faut ouvrir une courte parenthèse sur la façon dont les paléontologues de la
première moitié du 20esiècle appréhendaient ces nouvelles faunes.
Ces paléontologues avaient été profondément marqués par la pensée de Darwin sur
l'évolution. Que la vie avait évolué progressivement d'une manière linéaire, selon la
sélection naturelle, du plus simple au plus complexe, était à toutes fins pratiques
devenu un fait acquis. On ne peut d'ailleurs leur en tenir rigueur, car ils travaillaient
le plus souvent sur des groupes bien définis et sur des échelles de temps très
courtes; ils pouvaient effectivement, à l'intérieur des groupes qu'ils étudiaient,
établir des lignées évolutives où se reconnaissaient bien ancêtres et descendants.
Cette façon de voir avait une implication très directe sur la méthode
paléontologique: chaque organisme fossile avait un ancêtre qui devait être moins
complexe - on disait moins évolué - et des descendants qui eux se devaient d'être
plus "évolués". En pratique, lorsqu'on trouvait une forme énigmatique très ancienne
dont on n'arrivait pas à bien saisir l'affinité biologique, on tentait de trouver à qui
elle pouvait bien avoir donné naissance et on pouvait ensuite la classer dans ce
groupe en disant voilà l'ancêtre.
Le tableau qui suit présente la répartition dans le temps et la diversité relative, selon
les données les plus récentes, des faunes dont nous discuterons. Il vous aidera à
mieux suivre la discussion. On a ici un intervalle de 70 millions d'années parmi les
plus importants en ce qui touche l'évolution de la vie.
La faune d'Édiacara
La faune d'Édiacara est apparue il y a quelques 600 Ma et une grande partie de ses
éléments est brusquement disparue 56 millions d'années plus tard, à - 544 Ma.
Certains considèrent cette première faune comme correspondant à l'apparition
des métazoaires [= organismes pluricellulaires, c'est-à-dire ceux qui possèdent des
cellules diversement spécialisées, soit pour l'absorbtion des nutriments, le transport
de diverses substances, la reproduction, etc.; par opposition à protozoaires,
organismes dont les cellules remplissent toutes les mêmes fonctions, sans
distinction].
Elle a d'abord été découverte dans les monts Édiacara en Australie, de là son nom.
Par la suite, on a découvert une vingtaine de sites répartis sur les cinq continents.
Ce point est important à signaler: il ne s'agit pas d'un assemblage d'organismes qui
est apparu en un seul lieu particulier et qui y aurait été confiné, à cause de
conditions spéciales à cet endroit, mais une faune répartie à la surface du globe, une
faune qui représente une véritable étape dans le développement de la vie.
Un autre caractère très important de la faune d'Édiacara est qu'elle est composée en
grande partie d'organismes à corps mous, c'est-à-dire des organismes sans squelette
minéralisé. C'est donc dire que tout ce qu'on retrouve, c'est l'empreinte de l'animal
sur le sédiment, et non l'animal fossilisé; ceci implique que l'interprétation joue un
rôle important dans la compréhension de cette faune.
Il s'est fait beaucoup de travaux de recherches sur la faune d'Édiacara ces dernières
années. Nous avons appris, entre autres, que la faune d'Édiacara n'est pas
monolithique.
1. Elle n'est pas uniquement composée des vendobiotes: on y a découvert des
pistes et terriers fossiles, ce qui implique qu'il y avait des organismes actifs
remaniant les sédiments, ainsi que des petites coquilles (voir ci-dessous,
sous faune tommotiennne); ces organismes ne pouvaient être que des
métazoaires.
2. Elle montre, en fait, dans l'intervalle de 56 millions d'années où elle a vécu,
une évolution dans sa diversité. Les assemblages de -600 Ma présentent
une diversité très faible; en fait, il ne s'agit que de simples disques de type
vendobiotes, sans aucune structures de remaniement, ni de petites
coquilles. À partir de -560 Ma environ, on note une augmentation de la
diversité, avec un apogée vers 550 Ma, où apparaissent les structures de
remaniement et les petites coquilles. À -544 Ma, c'est l'extinction subite
d'une grande partie des organismes d'Édiacara, dont les énigmatiques
vendobiotes.
Il reste encore pas mal de chemin à faire avant que l'on comprenne bien cette faune
d'Édiacara. Mais on peut dire d'ores et déjà qu'à côté de cette faune classique que
sont les vendobionts qui n'étaient peut-être pas des métazoaires, il y avait des
organismes actifs, certainement métazoaires, qui remobilisaient les sédiments et
une faune coquillère à squelette minéralisé.
La faune tommotienne
La faune tommotienne est importante à un autre titre: elle marque aussi l'apparition
d'un groupe d'organismes appartenant fort probablement à l'embranchement des
éponges (Porifera) et qui n'a vécu que jusqu'à la fin du Cambrien,
les archaeocyathes (D). Ces derniers représentent les premiers bioconstructeurs
qui ont édifié, en association avec des communautés microbiennes calcifiantes
(calcimicrobes), des masses organiques de 1 à 2 mètres de hauteur par quelques
mètres de diamètre sur les fonds marins. Ces masses sont les précurseurs de cet
écosystème récifal complexe qui s'est développé dès la fin de l'Ordovicien (voir
rubrique suivante).
Jusqu'à tout récemment, les évolutionnistes considéraient qu'il y avait un "trou"
important entre faune d'Édiacara et faune tommotienne (voir par exemple Gould,
1991, La vie est belle, Seuil) indiquant une décimation importante à la fin du
Précambrien. On réalise aujourd'hui que, si les vendobiotes semblent effectivement
disparus, plusieurs autres organismes, dont les responsables des traces fossiles de
remaniement et la faune coquillère, constituent un pont entre faunes d'Édiacara et
tommotienne.
La faune de Burgess
Cette faune, d'abord découverte dans le Schiste de Burgess dans le Parc national de
Yoho, en Colombie-Britannique, a été retrouvée dans plusieurs parties du monde:
Groenland, Europe, Chine, Australie et ailleurs en Amérique du Nord. Il s'agit donc
d'une faune de répartition mondiale. Elle est apparue il y a 528 Ma et disparue
brusquement à -510 Ma, représentant un intervalle de temps de presque 20 millions
d'années.
Cette découverte venait aussi résoudre une des énigmes de la faune de Burgess:
ainsi orienté, Hallucigenia s'apparente à des organismes connus, les onychophores,
animaux de la forêt pluviale tropicale et tempérée (Ramskold, L. et X.-G. Hou,
1991. New early Cambrian animal and onychophoran affinities of engimatic
metozoans. Nature, v. 351, p. 225-228).
Outre ces étrangetés dont on ne connaît pas l'affinité, il y eut aussi des essais
infructueux dans le groupe des arthropodes où seulement 4 essais sur 24 ont
persisté. Voici quatre exemples qui portent toutes les caractéristiques
fondamentales de l'embranchement des arthropodes. Elles font partie de ces 20
types d'organisation qui n'ont pas réussi.
Finalement, il faut signaler un tout petit animal, le tout premier chordé, trouvé dans
le Schiste de Burgess. Notre ancêtre. S'il n'avait survécu à la décimation du stock
initial de Burgess, nous ne serions peut-être pas là!
Il y eut de beaux succès. Par exemple, c'est durant cette période que vont se
diversifier les chordés, notre embranchement, avec entre autres, les poissons.
La vie marine benthique, c'est-à-dire celle qui vit sur le fond des mers, était
constituée d'une variété d'organismes à coquillage, comme les brachiopodes qui
formaient des communautés diversifiées se répartissant selon la profondeur d'eau et
le type de substrat sur lequel ils vivaient. Les mollusques, moules, palourdes,
colimaçons, abondaient dans diverses zones écologiques. Il y avait aussi
les trilobites qui vivaient dans la vase et qui seront pratiquement décimés à la fin
du Dévonien; un seul petit groupe survivra jusqu'à la fin du Permien, où il sera
alors complètement effacé de la planète. Les échinodermes, avec principalement
les lys de mer qui ont formé par endroits de véritables prairies sous-marines.
Leséponges ont réussi très tôt, dès le début du Cambrien, à construire de grands
monticules organiques, probablement en association avec des communautés de
bactéries.
Les coraux et leurs alliés construisent des récifs qui prennent diverses formes:
atolls encerclant les îles du Pacifique, récifs frangeants du Yucatan et des Caraïbes,
grandes barrières à la marge des plateaux continentaux, telles la barrière de Bélize
dans la mer des Caraïbes, qui s'étend sur près de 300 kilomètres et, le joyau, la
Grande Barrière d'Australie qui s'étire sur plus de 2000 kilomètres. Ces barrières
jouent un rôle important de protection des côtes contre les effets des ouragans.
Un écosystème ancien
A cette époque, les grands bâtisseurs n'étaient pas les coraux, mais un groupe
d'organismes aujourd'hui éteints, les stromatoporoïdés, sortes d'éponges au
squelette massivement calcifié et à formes de croissance variées.
Par la suite, la communauté récifale a connu des succès et des insuccès. Ainsi, elle
fut décimée à la fin du Dévonien (360 Ma) lors d'une extinction qui a emporté plus
de 65% de toutes les espèces des terres et des mers. Elle est réapparue à la période
triassique (autour de 230 Ma), cette fois avec des coraux comme ceux que l'on
connaît aujourd'hui, mais fut décimée à nouveau au début du Crétacé (140 Ma)
pour une raison que nous comprenons encore mal. Finalement, la communauté
récifale telle que nous la connaissons aujourd'hui est réapparue il y a à peine une
cinquantaine de millions d'années.
Sur le plan plus large de l'évolution, on a ici un exemple, non pas d'un plan de vie,
mais d'un écosystème qui existe depuis longtemps et qui n'a pas subi de
modifications fondamentales depuis son apparition, sauf une permutation au niveau
des groupes d'organismes.
Un écosystème fragilisé
On l'a vu, la tectonique des plaques fait bouger les continents à la surface de la
planète. Il y a quelques 420 Ma, à la fin du Silurien, le Québec n'occupait pas la
position géographique nordique qu'il occupe aujourd'hui, mais se trouvait dans la
zone tropicale, au sud de l'équateur.
Les eaux qui baignaient les côtes de l'ancien continent Laurentia, ce continent
formé en grande partie du bouclier canadien, étaient chaudes. Une longue barrière
récifale de quelques 1000 kilomètres bordait la marge du plateau continental de
l'époque. Les forces tectoniques qui ont déformé la croûte terrestre et conduit à la
formation des Appalaches québécoises il y a quelques 380 Ma ont exhumé des
parties de cette grande barrière silurienne, par exemple, le long de la côte de la Baie
des Chaleurs, au nord de Murdochville, dans la région du Lac Témiscouata, au sud
de Rimouski et dans les Cantons de l'Est.
La barrière a été construite par les stromatoporoïdés, aidés des coraux anciens, des
éponges et d'encroûtements bactériens qui se calcifiaient rapidement. Par endroits,
les masses calcaires ainsi construites atteignent les 800 mètres d'épaisseur. En plus
de présenter un intérêt scientifique certain pour ceux qui cherchent à comprendre la
vie passée et son évolution, elles offrent un potentiel économique non négligeable,
entre autres, comme réservoirs potentiels pour les hydrocarbures, comme pierre
ornementale (marbre) ou comme matériaux calcaires de base.
Pourquoi les pétroliers s'intéressent-ils tant aux récifs gaspésiens?
C'est à ces profondeurs qu'ils se forment, à partir des matières organiques (roche-
mère), qu'ils migrent le long des couches ou des failles et qu'ils se concentrent et
sont emmagasinés dans des roches dont la qualité première est d'être poreuses, une
sorte de roche-éponge (roche réservoir). La roche récifale est un excellent candidat
en ce domaine.
En effet, la construction récifale produit une roche calcaire qui à l'origine est très
poreuse. La charpente elle-même laisse des vides, et les sédiments associés sont le
plus souvent des sables poreux. La porosité d'une roche, c'est-à-dire la quantité de
vides par rapport au volume total de roche, s'exprime en pourcentage. La porosité
primaire d'un récif peut atteindre les 50-60%. Même si les vides se colmatent
progressivement à mesure de l'enfouissement du récif sous l'accumulation
continuelle des sédiments, on peut encore compter sur des porosités de l'ordre de 15
à 20% à des profondeurs de quelques milliers de mètres, ce qui est suffisant pour
assurer une accumulation d'hydrocarbures économiquement exploitable. De plus, le
calcaire est une roche chimiquement très réactive avec les fluides de la croûte
terrestre, et il est fréquent qu'il soit dissout, augmentant ainsi sa porosité.
Voilà pourquoi les pétroliers s'intéressent tant aux récifs et, en particulier, à ceux de
la Gaspésie. Il y a présentement un regain de l'exploration pétrolière dans le nord-
est de la Gaspésie. Ce regain est dû en grande partie à des découvertes récentes
dans l'ouest de Terreneuve; il est aussi rendu possible grâce aux travaux de
recherches d'une équipe du département de géologie et de génie géologique de
l'Université Laval qui a mis en évidence cette grande barrière récifale siluriennne
du Québec dont les récifs pourraient contenir du pétrole.
Les Stromatoporoïdés
Les stromatoporoïdés (on dit plus simplement stromatopores) sont des organismes
aujourd'hui disparus et dont l'affinité biologique a longtemps intrigué les
paléontologues. On les a considérés comme des hydrozoaires, des cnidaires ou
même des stromatolites, mais aujourd'hui il y a un assez fort concensus pour les
considérer comme un groupe particulier d'éponges, les calcispongiaires, éponges
au squelette massivement calcifié.
Voici quelques exemples de formes que peuvent prendre ces calcispongiaires.
Les coraux paléozoïques sont très différents des coraux actuels (scléractiniens
hermatypiques). On ne sait pas s'ils étaient hermatypiques ou non. On compte deux
grands groupes: lesTabulata et les Rugosa. Bien que localement ils ont construits
de modestes récifs, ils n'ont pas été de grands constructeurs comme les
stromatoporoïdés.
Les Favosites en "galettes" (c), tout comme les stromatopores (s), peuvent
contribuer à stabiliser les sédiments, comme ici dans ce dépôt (bank) à crinoïdes
(les particules arrondies) vu en coupe verticale. À remarquer que les stromatopores
encroûtent les coraux par endroits. Formation de Chicotte, Silurien de l'île
d'Anticosti, Québec.
Grande colonie du corail tabulé Halysites, un corail dont la caractéristique est d'être
"en chapelet". Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec. Pièce de
2 dollars comme échelle.
Vue rapprochée d'Halysites montrant bien son architecture. Pièce de 1 cent (2 cm)
comme échelle. Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Structure interne d'Halysites vue en coupe verticale. Les éléments verticaux sont les
corallites dans lesquelles se retrouvent les tabulae horizontales. Formation de
Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Petit récif dont la construction est assurée par le corail Halysites (H) et des
stromatopores (s). Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Corail Rugosa (R) solitaire dont la base s'évase pour qu'il puisse bien s'ancrer dans
le sédiment. À noter la présence des septes verticaux dans la corallite (calice). Les
Rugosa solitaires ne possèdent qu'une seule corallite, plus grande que chez les
tabulés. Présence aussi de tiges de crinoïdes (Cr) et du corail Favosites sur la même
surface de litage. Formation de Chicotte, Silurien de l'île d'Anticosti, Québec.
Plusieurs coraux Rugosa solitaires, pratiquement en position de vie. Coupe
verticale. Formation de La Vieille, Silurien de Gaspésie, Cap Noir, Québec.
Petits massifs de coraux Rugosa coloniaux. Carbonifère, région de Béchar, Sahara
algérien.
Un écosystème fragilisé
L'écosystème récifal a été décimé à au moins deux reprises dans le passé et les deux
fois il a mis plus de 100 Ma à se réimplanter. Il est pour le moment difficile de faire
la part des choses entre les facteurs purement naturels et la contribution de
l'Homme au déclin des récifs coralliens, mais il apparaît assez certain que les
activités humaines y jouent un rôle qui risque d'être déterminant. Sommes-nous à
l'aube d'une troisième décimation? Peut-être bien que dans plusieurs dizaines de
millions d'années, des espèces ayant atteint un degré de conscience différent du
nôtre feront-elles le constat que la troisième extinction de l'écosystème récifale a
découlé des activités désordonnées de la première espèce de l'histoire de la Vie
capable d'agir consciemment sur son environnement.
Tout ce dont on a discuté dans les pages précédentes concerne essentiellement les
organismes du benthos marins, c'est-à-dire ceux qui vivent sur ou dans les
sédiments du fond marin, les épibenthiques et les endobenthiques, respectivement.
Au Paléozoïque, les organismes nectoniques, ceux qui se déplacent entre deux
eaux, se sont rapidement développés et ont proliféré. Deux groupes retiennent
l'attention, les céphalopodes et les poissons.
Les céphalopodes
Les céphalopodes (littéralement, une tête avec des pieds) constituent un groupe de
mollusques carnivores et chasseurs, ayant une tête portant des tentacules et se
propulsant entre deux eaux en expulsant de l'eau par un siphon. Pieuvre, calmar,
seiche et nautile actuels font partie de ce groupe. Ceux qui nous intéressent ici sont
ceux qui possèdent un squelette externe, vivant dans une coquille conique droite ou
enroulée. Les formes droites ont été prolifiques à partir de l'Ordovicien, alors que
les formes enroulées l'ont été surtout à partir du Dévonien. Sauf le Nautilus, une
forme enroulée, ils ont été décimés à la fin du Crétacé lors de la grande extinction
qui a emporté entre autres les dinosaures.
Les poissons
On a presqu'envie de dire que le Dévonien, c'est l'ère des poissons. Ils sont apparus
à la fin du Silurien et se sont diversifiés durant le Dévonien pour donner naissance
à tous ceux qu'on connaît maintenant. Pratiquement, tous les grands groupes actuels
étaient déjà là.
Les premiers poissons sont apparus à la fin du Silurien (vers -420 Ma). C'étaient
des poissons sans mâchoire (Agnathes) qui sont pratiquement tous disparus au
Dévonien; le seul survivant de ce groupe est la lamproie actuelle. Rapidement, ils
ont donné naissance aux poissons à mâchoire: les placodermes, poissons cuirassés
dont le corps était protégé par une véritable armure fabriquée de plaques de
carbonate de calcium (ex., le célèbre Bothriolepis du site fossilifère de Miguasha,
en Gaspésie), et les sélaciens, des poissons cartilagineux (ex., les requins actuels).
Ils ont aussi conduit aux poissons osseux primitifs, les ancêtres des poissons osseux
actuels. Parmi ces poissons osseux primitifs, il y a les crossoptérygiens; le fameux
coelacanthe Latimeria qui vit dans l'archipel des Comores, en Afrique, et qu'on
qualifie de fossile vivant, est le seul survivant des crossoptérygiens. Par ailleurs, les
crossoptérygiens ont donné naissance au premier amphibien à la fin du Dévonien
(vers -370 Ma).
Les céphalopodes
Les céphalopodes constituent la classe la plus complexe de l'embranchement
(phylum) des mollusques. Sauf le groupe des calmars, seiches et pieuvres, ils
possèdent une conque droite ou enroulée, partiellement cloisonnée en chambres
liées par un siphoncule et permettant le contrôle de la flottabilité. Ils ont une tête
bien définie, avec des organes senseurs élaborés. Ils se déplacent par propulsion
d'un jet d'eau à partir de la cavité du manteau. Un bon exemple de céphalopode
enroulé est le Nautilus moderne.
Les nautiloïdes "primitifs" avaient des conques droites avec, comme chez
le Nautilus, des cloisons très simples, comme sur la photo ci-dessous illustrant un
nautiloïde droit, région de l'Anse-aux-Gascons, Silurien de Gaspésie.
Ci-dessous, une goniatite, soit un céphalopode enroulé à cloisons plus complexe
que le Nautilus, appartenant à la sous-classe des ammonoïdes, toutes disparues à la
fin du Crétacé. Elle n'est pas comme on pourrait le croire à première vue l'ancêtre
du Nautilus; ce dernier appartient à une autre lignée à cloisons plus simples, les
nautiloïdes qui eux sont passés à travers l'extinction de la fin du Crétacé comme en
témoigne le Nautilus. Spécimen dont la conque a été enlevée pour exposer la
structure interne; les chambres sont remplies par du matériel sédimentaire et des
cristaux de calcite. (Ces spécimens sont vendus sous le nom d'ammonites, alors
qu'ils sont en fait des goniatites). Dévonien de la région d'Erfoud, sud du Maroc.
Collection P. Dansereau.
Si vous voyagez dans le sud du Maroc, en particulier dans la région d'Erfoud, vous
aurez probablement l'occasion de voir de spectaculaires spécimens comme illustrés
ci-dessous. Ces plaques sont offertes à la vente comme représentant un assemblage
de goniatites et de nautiloïdes droits représentant les restes d'organismes déposés
sur le fond marin et se retrouvant aujourd'hui sur un même lit sédimentaire. S'il est
vrai que ces fossiles sont les restes d'organismes ayant vécu au même temps, il
s'agit ici d'un habile montage auquel s'adonnent les artisans d'Erfoud, les fossiles
étant cependant de vrais fossiles, ... ce qui n'enlève rien au spectalulaire de la pièce.
Largeur de la pièce, environ 1 mètre. Dévonien de la région d'Erfoud, Sahara
marocain.
Ci-dessous, un autre de ces habiles montages.
La pièce ci-dessous n'est pas un montage, mais véritablement un assemblage de
nautiloïdes droits (orthocères) tous orientés approximativement dans le même sens.
L'artisan s'est contenté de prolonger quelque peu le fossile original (voir l'orthocère
central en diagonal dont le tiers droit ne fait pas partie du fossile, mais n'est qu'une
sculpture). L'erreur principale ici est d'avoir façonné les deux extrémités des
orthocères en pointes, alors que ces derniers sont des cônes, donc une extrémité en
pointe et l'autre s'évasant. Largeur de la pièce environ 1 mètre. Dévonien de la
région d'Erfoud, Sahara marocain.
Les artisans d'Erfoud fabriquent divers objets avec le calcaire dévonien à orthocères
et goniatites de leur région, comme les assiettes ci-dessous. Collection P.-A.
Bourque.
De la mer à la terre: un passage réussi
Lorsqu'on discute ou qu'on présente la venue des vertébrés sur la terre ferme, on
laisse toujours entendre que le milieu terrestre, c'est-à-dire le milieu à l'air libre,
était tout à fait dénudé de vie, que ces pauvres animaux sont arrivés dans un désert.
Il n'en est pourtant rien.
Les algues vertes, qui étaient déjà présentes dans le milieu marin depuis au moins
le Cambrien, ont suivi à l'Ordovicien-Silurien. Elles ont procédé à l'implantation
des végétaux terrestres en inventant deux mécanismes importants: les spores pour
la reproduction et les racines pour l'alimentation.
Les premières formes de végétaux terrestres furent les bryophytes, des plantes qui
restent au ras du sol, comme les mousses. On retrouve des spores de bryophytes dès
la fin de l'Ordovicien. Puis, à la fin du Silurien, sont apparues les premières plantes
vasculaires, c'est-à-dire des plantes munies de cellules capables de transporter
l'eau.
Tout cela, plusieurs millions d'années avant que le premier vertébré amphibien
viennent mettre le pied sur terre! En fait, on considère qu'à la fin du Dévonien, au
moment de l'arrivée des amphibiens, un grand nombre d'invertébrés avaient déjà
rejoint la terre ferme: escargots, insectes, araignées, scorpions.
En cette fin du Dévonien, les arbres étaient déjà présents, mais c'est dans la
seconde moitié du Carbonifère que la grande forêt de type équatorial s'est
développée. Celle-ci devait ressembler à cette illustration.
Il y avait de grands arbres à écailles, Lepidodendron (1), à très haut port; on connaît
des troncs fossiles qui atteignent 35 m de longueur et on estime la hauteur totale de
l'arbre à plus de 40 m. Il y avait aussi un grand arbre columnaire, Sigillaria (2),
mesurant 30 m et plus, terminé par des bouquets de longues feuilles d'un mètre.
Puis Cordaites (3), un autre grand arbre de 30 m, élancé, avec un tronc de 60 cm de
diamètre et de longues feuilles. Calamites (4), plante arborescente ou semi-
arborescente, croissant en bordure des plans d'eau, formant un axe dressé de 15 à
20 m, une sorte de prêle géante. Finalement, un arbre-fougère (5) pouvant atteindre
les 20 m de hauteur, avec un tronc de 60 cm de diamètre.
Ces vertébrés marins qui veulent quitter l'eau pour la terre ont à résoudre un certain
nombre de problèmes. Un de ces problèmes, et non le moindre, c'est la pesanteur.
Ceux qui ont fait de la plongée sous-marine en scaphandre autonome (SCUBA)
connaissent bien cette sensation de la quasi apesanteur, cette grande liberté de
mouvement que procure le support de l'eau. Chez les poissons, la colonne
vertébrale est adaptée à la nage, principalement, aux mouvement latéraux
ondulatoires. Chez les amphibiens, cette colonne doit s'adapter pour soutenir le
poids des viscères, une force dirigée vers le bas. De nouveaux muscles doivent
donc se développer pour répondre aux nouvelles conditions.
Un troisième problème auquel ont dû faire face les nouveaux candidats à la vie sur
la terre ferme est le désèchement, un problème qu'ils n'ont résolu que
partiellement; les premiers amphibiens sont demeurés cantonnés près de l'eau.
En somme, on peut dire que les amphibiens ont réussi à mettre au point toutes
sortes d'innovations "technologiques" dans le domaine du transport des charges et
de la mécanique du mouvement, innovations qui leur ont permis de se tenir debout
et de se déplacer sur terre. Par contre, ils sont restés tributaires de l'eau, entre autres
pour la reproduction.
Mais qui a bien pu tuer les dinosaures? La réponse à la rubrique suivante ...
Même si les radiations solaires peuvent briser les molécules d'eau (H2O) dans la
haute atmosphère et produire des atomes d'oxygène qui se combinent deux à deux,
ce processus est trop lent pour expliquer la concentration actuelle de l'atmosphère
en oxygène libre. Tous s'accordent à dire que l'oxygène est un produit de la
photosynthèse.
La courbe qui suit montre à quel rythme s'est faite l'oxygénation de l'atmosphère.
Les extinctions de masse qui ont eut lieu à travers les temps géologiques
constituent un aspect des plus enigmatiques, mais combien passionnant, pour celui
qui étudie l'évolution de la vie.
Depuis pas mal longtemps, les archives paléontologiques nous avaient enseigné
qu'il y avait eu des moments de grand chambardement de la vie dans les temps
géologiques. On a vu par exemple, que de grands changements fauniques avaient
servi à délimiter les grandes ères lorsqu'on a construit le calendrier des temps
géologiques. Ces grands chambardements correspondent à ce qu'on appelle des
extinctions de masse, un phénomène qui a forcé la vie à se réorganiser à plusieurs
reprises durant les temps géologiques.
Il y a des degrés dans l'ampleur d'une extinction de masse. Ici, les barres
horizontales de couleurs diverses indiquent plusieurs extinctions; leur longueur se
veut proportionnelle à l'ampleur de l'extinction. On se réfère le plus souvent aux
cinq grandes.
Pour expliquer les extinctions de masse, il faut chercher des causes universelles. On
peut considérer deux grands ensembles de causes: 1) des causes biologiques,
comme par exemple l'effondrement de vastes systèmes écologiques, ou encore la
disparition de tout le plancton; 2) des causes physiques, comme par exemple, la
détérioration marquée du climat, la chute de grandes météorites, du volcanisme
exceptionnel ou une configuration particulière des masses continentales. Bien sûr,
les premières sont souvent le résultat des secondes.
À l'autre extrême, il y a ceux qui prétendent que les communautés sont une
collection d'espèces dont les habitats se trouvent coïncider par hasard dans l'espace,
chacune des espèces s'efforçant de vivre du mieux qu'elle peut en étant
opportuniste, se nourrissant de tout ce qui se présente.
Ces deux façons de voir les choses revêtent un grande importance pour comprendre
les causes des extinctions de masse. Si la première vision est la bonne, des
événements plutôt anodins vont causer des extinctions de masse en tuant une seule
espèce. Si au contraire, c'est la seconde vision qui est la bonne, il faudra des
événements extraordinaires touchant plusieurs espèces non apparentées à la fois.
Les archives géologiques et paléontologiques semblent donner raison à la seconde
en ce qui concerne les extinctions de masse.
Au chapitre des causes physiques, celles qu'on a le plus souvent invoquées dans le
passé pour expliquer les extinctions de masse sont les changements climatiques et
les variations du niveau des mers qui en découlent. Jusqu'au début des années 1980,
l'hypothèse qu'on retrouvait dans la plupart des manuels de géologie ou de
paléontologie concernant l'extinction Crétacé-Tertiaire (celle qui a entraîné la
disparition des dinosaures) était un changement climatique important qui avait
affecté autant les aires terrestres que marines, un changement climatique
(glaciation? mouvement des plaques tectoniques?) ayant entraîné une détérioration
des conditions de vie sur la terre ferme et un abaissement du niveau des mers, ce
qui aurait fait disparaître plusieurs espèces terrestres et marines.
Deux chercheurs, Jablonski et Flassa, ont tenté, en 1984, de tester cette relation
extinction-abaissement du niveau des mers. Par exemple, ils ont calculé quel serait
le taux d'extinction, à l'échelle planétaire, si tous les organismes vivants
actuellement sur les plateaux continentaux disparaissaient, disons par un
abaissement du niveau des mers de l'ordre de 135 m. Ils ont pris comme groupe
cible les mollusques, un groupe abondant. La réponse obtenue est de 13%. Par
comparaison, le niveau d'extinction pour ce seul groupe à la fin du Permien a été de
52%. Il semble donc que ce ne soit pas là une cause suffisante.
Pour discuter plus à fond des causes des extinctions, commençons avec le cas le
plus médiatisée et qui, depuis que les enfants américains sont tombés en amour
avec les dinosaures, excite l'imagination populaire: l'extinction qui a entraîné la
disparition de ces grosses bêtes. Comment et pourquoi sont disparus les dinosaures,
à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d'années?
Durant des décennies, les paléontologues (et bien d'autres amoureux des grosses
bêtes) ont recherché la cause de la disparition subite des dinosaures à la fin du
Crétacé. Une multitude d'explications ont été suggérées, pour la plupart axées sur la
vision darwiniste de la sélection naturelle: la compétition entre les espèces, la
mésadaptation de certaines fonctions qui mènent à l'élimination des mésadaptés et
les adversités de la vie ou du milieu qui forcent les espèces à s'adapter ou
disparaître. Voici quelques exemples.
La compétition: les petits mammifères auraient mangé les oeufs des grands
dinosaures, ce qui aurait empêcher l'éclosion de leur progéniture, ... et la
victoire de David sur Goliath; c'est une hypothèse qui a souvent été
invoquée.
La mésadaptation de certaines fonctions: c'est une hypothèse énoncée
dans les années 1950 et qui voudrait qu'une augmentation de la
température globale ait rendu les dinosaures stériles. On sait que les
testicules des mammifères ne fonctionnent que dans un intervalle de
température bien spécifique; une trop grande chaleur les empêchent d'être
productives. C'est pourquoi celles des mammifères pendent à l'extérieur du
corps. On a donc mis ici dinosaures et mammifères dans le même sac.
Les adversités: on sait que les angiospermes, les plantes à fleurs, sont
apparues vers la fin du règne des dinosaures. Certaines contiennent des
substances psychotropes et les animaux d'aujourd'hui ont appris à les
éviter, entre autres à cause d'un goût trop amer. Nos pauvres dinosaures ne
le savaient pas et ils sont morts d'overdose! Quelle adversité! La science est
souvent tributaire de la culture: cette hypothèse a été proposée par un
psychiâtre californien dans les années 1960!
On aura compris que toutes ces hypothèses ne sont pas très convaincantes, même si
elles ont connu leur heure de gloire. Aujourd'hui, les hypothèse les plus crédibles se
rattachent aux cataclysmes naturels, tels les chutes d'astéroïdes ou du volcanisme
exceptionnel.
Avant d'évaluer ces hypothèses, il y a une donnée fondamentale dont on doit tenir
compte en ce qui concerne l'extinction K-T: il n'y a pas que les dinosaures qui sont
disparus, mais avec eux, 75% des espèces à la surface de la planète, ce dont ne
prenaient pas en compte les hypothèse précédentes. Ainsi, avec les dinosaures, sont
disparus:
Il faut tenir compte de cette donnée fondamentale qui nous dit qu'il s'agit là d'une
véritable extinction de masse, c'est-à-dire la disparition simultanée de plusieurs
espèces non apparentées et de constitutions variées.
Ces deux chercheurs ont eu l'idée de vérifier si, non seulement la vie, mais les
sédiments avaient aussi enregistré un événement important qui pourrait expliquer
l'extinction. Ils ont choisi d'analyser une séquence de roches sédimentaires à grains
très fins, des schistes, qui justement contiennent les couches de cette limite du
Crétacé-Tertiaire. En d'autres termes, ils ont étudié une séquence continue qui
présentait les couches sous la limite, à la limite et au-dessus de la limite K-T. Ils
espéraient donc pouvoir déceler des changements, si changements il y avait.
Ils ont découvert une anomalie géochimique très importante au niveau de la limite
K-T, une concentration anormalement élevée d'iridium. L'iridium est un élément
très rare dans les roches terrestres, mais pas dans les cailloux qui nous viennent de
l'espace, les météorites. C'est là qu'ils ont formulé l'idée d'un impact météoritique,
la chute d'un astéroïde. [Question de sémantique: astéroïde = petite planète ou
morceau de planète se déplaçant dans le système solaire; météorite = la roche elle-
même qui constitue l'astéroïde et qui nous parvient lors de la collision de ce dernier
avec notre planète].
La cerise sur le gâteau: on a découvert au début des années 1990, 10 ans après la
proposition des Alvarez, le cratère météoritique (astroblème) correspondant en âge
à la frontière Crétacé-Tertiaire. Il s'agit de l'astroblème de Chicxulub, dans le nord-
ouest de la péninsule du Yucatan, au Mexique (Carte paléogéographique de
l'époque). Cet astroblème fait 260 km de diamètre, soit trois fois celui de
Manicouagan au Québec, un des grands astroblèmes connus. Il présente un
escarpement de 3000 m et est enfoui sous plusieurs centaines de mètres de
sédiments. Il a affecté en partie le continent et en partie le plateau continental peu
profond. On évalue que l'impact fut équivalent à un séisme de magnitude
supérieure à 10. La dimension de la météorite est évaluée à 10 km de diamètre et
l'énergie cynétique dégagée à 100 millions de mégatonnes. De quoi perturber
sérieusement l'atmosphère terrestre, créer un tsunami important, créer un effet de
voile autour de la planète et causer des incendies à l'échelle tout au moins
continentale.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'un ou l'autre des deux scénarios
constituent à première vue un candidat sérieux dans la recherche des causes de
l'extinction K-T. Chacun aurait pu pertuber l'atmosphère terrestre au point de
détruire la chaîne trophique photosynthèse-herbivores-carnivores et conduire à une
extinction de masse. La paléontologie peut-elle apporter une réponse?
Certains ont proposé qu'en fait les dinosaures étaient déjà sur leur déclin et qu'il
n'était pas nécessaire d'invoquer un événement catastrophique pour leur disparition.
On a cependant démontré que, sur une base statistique, la diversité des dinosaures
était aussi grande durant les deux derniers millions d'années de leur existence que
durant tout le Crétacé. Mais encore là, il faut éviter de se centrer sur les dinosaures
et examiner l'ensemble de la faune.
Ainsi, deux études (Archibald et Bryant, 1990; Sheehan et Fastovski, 1992) ont
montré que 88% des espèces qui vivent sur la terre ferme se sont éteintes, alors que
par contre 90% des espèces d'eau douce ont survécu. Une telle situation peut
s'expliquer par la nature de la chaîne alimentaire à laquelle participe chaque
groupe: les espèces qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux plantes
vivantes (herbivores) sont disparues (dinosaures, la plupart des vertébrés terrestres),
alors que celles qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux détritus (les
détritivores) laissés dans les lacs, les cours d'eau, les sols, les racines, etc. ont
survécu. C'est ce qui a pu faire la différence entre les dinosaures et les petits
mammifères; ces derniers n'étaient pas adaptés à brouter les végétaux, mais étaient
plutôt insectivores, omnivores ou détritivores. On peut en dire autant pour les
espèces marines: le plancton qui dépend de la photosynthèse et toute la vie
benthique ou nectonique qui filtre le plancton sont disparus, alors que les
détritivores comme les poissons sont passés à travers la crise. Chez les oiseaux,
ceux qui vivaient en forêts sont disparus, alors que ceux des rives marines ont
survécu.
Il apparaît assez clairement que l'évènement qui a causé l'extinction K-T en est un
qui a perturbé sérieusement la chaîne alimentaire à partir de la photosynthèse. Dans
les deux cas, chute de météorite ou volcanisme exceptionnel, les quantités énormes
de poussières et de gaz éjectées dans l'atmosphère ont créé un voile qui a fort
probablement inhibé la photosynthèse pour plusieurs années, avec les conséquences
que l'on connaît sur la chaîne alimentaire.
Peut-être que le volcanisme à lui seul n'aurait pas été suffisant pour créer une
extinction et qu'il a fallu le coup de grâce de l'astéroïde? Peut-être, à l'inverse, que
l'astéroïde seul n'aurait pas suffit s'il n'y avait eu d'abord ce volcanisme
exceptionnel? Peut-être faut-il la coïncidence d'au moins deux événements
extrêmes pour causer une extinction de masse? Les quatre autres extinctions
peuvent-elles nous apprendre quelque chose à ce sujet?
Pourtant, les études les plus récentes sur l'extinction de la fin de l'Ordovicien
concluent à la relation glaciation-extinction. Sans entrer dans les détails, disons
qu'il faut tenir compte ici d'un second paramètre très important qui vient s'ajouter à
celui de la glaciation: la dimension des plateaux continentaux de l'époque. La carte
qui suit est celle qui représente la configuration des continents et des océans au
milieu de l'Ordovicien.
On voit bien sur cette carte que les plateaux continentaux sont immenses par
rapport aux terres émergées (voir, par exemple, les continents Laurentia, Siberia et
Baltica), formant ce qu'on appelle de grandes mers épicontinentales. Cette carte
représente la situation au milieu de l'Ordovicien, mais la situation n'avait pas
vraiment changée à la fin de l'Ordovicien en ce qui concerne la dimension des mers
épicontinentales (carte non disponible dans la série des cartes de C.R. Scotese).
Outre le refroidissement du climat, l'effet principal d'une glaciation est de causer un
abaissement du niveau des mers, un abaissement qui peut exposer l'ensemble des
plateaux continentaux. À l'Ordovicien, la vie était essentiellement cantonnée dans
les mers, surtout dans ces grandes mers épicontinentales peu profondes. On évalue
à environ une centaine de mètre l'abaissement du niveau marin, ce qui a vidé une
grande partie des mers épicontinentales. Voilà donc à nouveau la coïncidence de
deux situations exceptionnelles, glaciation et présence de grandes mers
épicontinentales, qui peut-être a permis une extinction de masse.
On aimerait bien pouvoir identifier une cause unique aux grandes extinctions de
masse; c'est malheureusement ce qui est le plus souvent véhiculé, ... en citant
toujours le cas de la météorite de Chicxulub. C'est tellement plus simple. Mais la
géologie et la paléontologie nous enseignent deux choses: 1) que les causes peuvent
être multiples; 2) qu'il n'est pas certain qu'une de ces causes, aussi catastrophique
soit-elle, puisse à elle seule conduire à une extinction de masse. Il est peut-être
nécessaire d'avoir la coïncidence de plus d'un événement extrême. N'oublions pas
qu'en terme de probabilités, ce qui apparaît improbable à notre échelle, comme par
exemple la coïncidence d'une chute de météorite et d'un volcanisme exceptionnel,
le devient à l'échelle des temps géologiques.
Les paléontologues Raup et Sepkoski ont attiré l'attention sur l'aspect périodique
des extinctions. On ne parle pas ici uniquement des cinq grandes discutées plus
haut, mais de plusieurs extinctions de moindre importance, mais qui demeurent
toujours des extinctions de masse. En compilant les fluctuations numériques des
familles et des genres marins depuis le Permien, c'est-à-dire pour les derniers 285
millions d'années, ces chercheurs ont mis en évidence une périodicité de 26 Ma
dans les extinctions.
Pour certains, une telle évidence renforce l'hypothèse d'une cause extra-terrestre,
mais on est loin d'avoir cerné l'explication à cette périodicité.
Dans quelle mesure, les extinctions de masse ont-elles eu une influence sur
l'évolution de la vie? A voir à la rubrique suivante ...
Lectures suggérées
http://www.lpl.arizona.edu/SIC/impact_cratering/Chicxulub/Chicx_title.html. Les
données de base sur l'astroblème de Chicxulub.
Il y a une nette relation entre la circulation des eaux océaniques et les températures
atmosphériques. Les courants de surface sont reliés au régime des vents et
contribuent à réguler les températures atmosphériques. Durant la période estivale,
l'océan absorbe les fortes radiations solaires, les stocke sous forme de chaleur et
redistribue ensuite cette dernière grâce au divers courants océaniques de surface qui
déplacent les masses d'eau chaude vers les latitudes polaires et les masses d'eau
froide vers les zones équatoriales et tropicales où elles viennent se réchauffer.
Cet échange nord-sud a une forte influence sur les températures atmosphériques.
On évalue que s'il n'y avait pas ce régulateur, le flux de chaleur des latitudes
méridionales vers les hautes latitudes serait deux fois moindre, avec la conséquence
que les contrastes entre les climats seraient encore plus marqués: il ferait plus froid
aux pôles et plus chaud à l'équateur.
Les courants profonds ne sont pas directement influencés par le régime des vents,
mais sont plutôt contrôlés par les changements de température et de salinité des
masses d'eau. Les océanographes ont reconnu un cycle important de la circulation
océanique à l'échelle de l'ensemble des océans et à une échelle de temps de l'ordre
d'un millier d'années. C'est lacirculation thermohaline.
Il s'agit d'une boucle qui prend son origine dans l'Atlantique-Nord où les eaux
froides (refroidies par les vents froids du Canada), salées, denses et bien oxygénées
plongent vers les profondeurs, s'écoulent vers le sud sur les fonds océaniques tout
au long de l'Atlantique, traversent l'Océan Indien, puis remontent vers le nord le
long du Pacifique, pour refaire surface dans le Pacifique-Nord, froides et mal
oxygénées. Ces eaux se réchauffent et s'oxygènent tout au long de leur parcours en
surface, du Pacifique à l'Atlantique, et, refroidies à nouveau dans l'Atlantique-Nord,
plongent pour recommencer le cycle. Il faut environ 1000 ans pour un aller-retour.
C'est l'océan global (selon Broeker, 1995, Scientific American, v. 273).
Qui ne s'est pas demandé un jour pourquoi l'eau de la mer est salée, alors que celle
des lacs et rivières ne l'est pas? L'eau marine contient en effet une quantité
relativement importante de « sels » dissouts (et non uniquement du sel, NaCl). Les
constituants primaires des sels marins sont, par ordre d'importance, les ions chlore
Cl- (18,98 g/kg), sodium Na+ (10,56 g/kg), sulfate SO42- (2,65 g/kg), magésium
Mg2+ (1,27 g/kg), calcium Ca2+ (0,40 g/kg) et potassium K+ (0,38 g/kg). Sauf pour
le calcium dont la quantité peut varier d'un endroit à l'autre, la proportion entre
chacun des ions est assez constante à la grandeur des océans. Avec d'autres ions en
quantité moindre, ces principaux ions comptent pour 35 g/kg en moyenne dans les
océans, qu'on exprime plus communément en pour-mille, soit 35‰, la salinité dite
normale de l'océan. On a vu à la section 2 du cours que ces ions peuvent se lier
entre eux pour former les minéraux de la séquence évaporitique, la calcite (CaCO3),
le gypse (CaSO4.nH2O), la halite (NaCL, le sel de table) et la sylvite (KCl).
D'où viennent ces ions? Tous ces ions proviennent de l'altération superficielle des
roches, un processus qu'on a brièvement abordé au point 2.2.2 et qui est discuté
plus en détail, plus loin dans le cadre de certains grands cycles biogéochimiques
(section 3.4). L'eau qui circule sur et dans les roches s'accapare les ions solubles et
les transporte vers l'océan. On évalue que les rivières apportent entre 2,5 et 4
milliards de tonnes de sels dissouts dans les océans chaque année. L'eau s'évapore à
la surface des océans, laissant derrière les sels. Une partie de cette eau évaporée
(eau pure, sans sel) retourne aux continents où elle ruisselle, altère les roches et
rapporte à l'océan de nouveaux sels. À recevoir ainsi continuellement des ions, les
océans deviendraient-ils progressivement de plus en plus salés!
C'est ce qu'a cru un scientifique irlandais (John Joly) au début du 20 ème siècle. Il
faut savoir qu'à cette époque, la radioactivité qui aujourd'hui nous sert à dater les
roches n'était pas connue (la méthode n'a été mise au point qu'au milieu du
20ème siècle) et que par conséquent l'âge de la Terre était on ne peut plus mal connu;
on s'accrochait à l'âge de 100 Ma que Lord Kelvin avait « calculé » en 1866. Cet
irlandais s'est donc dit, à partir d'une vieille idée d'un astronome britannique (Sir
Edmund Halley) du début du 18ème siècle, que si l'océan avait commencé à se «
saler » au début de l'histoire de la Terre, il ne s'agissait que de diviser le volume
total des sels de l'océan actuel par le volume apporté chaque année par les rivières
pour connaître le nombre d'années qu'il a fallu pour apporter tout ce sel, donc l'âge
de la Terre. Ses calculs l'ont amené à proposer un âge se situant entre 80 et 89
millions d'années, un âge plutôt « conservateur » par rapport à l'âge de 4,55
milliards d'années (4550 millions d'années) que l'on a déterminé par la méthode
radiométrique. En fait, si on reprenait les calculs de Joly avec les valeurs des
volumes que l'on évalue beaucoup mieux aujourd'hui, on arriverait à un âge de ...
13 millions d'années!
Alors, force est de conclure que l'océan se débarasse annuellement d'une quantité
de sel égale à celle que lui apportent les cours d'eau. Il faut donc des puits de sel.
Les trois dernières décennies du XXème siècle ont vu des découvertes étonnantes
sur les fonds océaniques : sources chaudes précipitant des sulfures massifs et
soutenant une biomasse impressionante, communautés chimiotrophes tirant leur
énergie d'évents sulfureux, méthaniques ou amoniaqués, hydrates de gaz, etc. Les
hydrates de méthane, entre autres, constituent une réserve énorme d'énergie. On
peut prévoir sans trop se tromper que l'Homme tentera d'exploiter cette réserve.
Mais saura-t-il le faire sans dommages pour l'environnement planétaire?
Une importante quantité de matière organique qui se dépose sur les fonds
océaniques est incorporée dans les sédiments. Sous l'action des bactéries
anaérobies, ces matières organiques se transforment en méthane dans les premières
centaines de mètres de la pile sédimentaire (voir section 3.3.2 - Les combustibles
fossiles). Un volume très important de méthane est ainsi produit. Une partie de ce
méthane se combine au molécules d'eau pour former l'hydrate de méthane, dans une
fourchette bien définie de température et de pression (partie droite du schéma ci-
dessous). Vous trouverez des diagrammes plus complets aux liens internet
conseillés à la fin de cette page.
Dans la zone en gris, eau et méthane se combinent pour former un hydrate à l'état
de glace, alors qu'à l'extérieur de cette zone, les deux composés sont séparés et se
trouvent sous leur propre état, liquide et gaz. C'est dire que l'hydrate de méthane est
stable sous les conditions de température et de pression exprimées par la zone en
gris, et instable sous les conditions à l'extérieur de cette zone. Par exemple, un
hydrate de méthane qui se trouve dans les sédiments océaniques par 600 mètres de
fond à 7°C est stable; il deviendra instable avec une augmentation de température
de moins de 1°C. Devenir instable signifie que la glace fond et libère son gaz
méthane à raison de 164 centimètres cubes de gaz par centimètre de glace.
Une déstabilisation massive des hydrates de méthane causée par exemple par une
augmentation de 1 ou 2°C de la température des océans, ce qui est tout à fait
compatible avec les modèles climatiques actuels, risque de produire une
augmentation catastrophique des gaz atmosphériques à effet de serre. Une telle
déstabilisation pourrait aussi causer d'immenses glissements de terrain sous-marins
sur le talus continental, entraînant des tsunamis très importants qui affecteraient les
populations riveraines. Ce pourrait être là deux des effets catastrophiques du
réchauffement climatique actuel causé par une augmentation des gaz
atmosphériques à effet de serre. Le méthane eat 21 fois plus efficace que le
CO2 comme gaz à effet de serre !
La croissance de la biodiversité?
Rapidement, après la longue vie solitaire des bactéries et des algues, les plans de
base ont été établis, plus qu'il n'en fallait même. Il serait plus juste de parler des
broussailles de la diversité plutôt que de l'arbre de la diversité croissante.
Les extinctions de masse: moteur de l'évolution
S'il est certain que la sélection naturelle est un processus qui agit sur l'évolution,
elle ne saurait être seule. Si elle était le seul processus à régler l'évolution, cette
dernière serait prédictible. C'est ainsi que certains voient dans l'évolution une
finalité, sa réussite: l'espèce humaine. Mais, on ne peut nier que des événements
fortuits, imprédictibles, aléatoires, non contrôlés par la dynamique biologique, sont
venus modifier le cours de l'évolution en effaçant de la planète des groupes entiers
et forcant à une réorganisation.
Les grandes catastrophes n'ont pas réussi à éteindre complètement la vie sur terre,
mais à chaque fois, un très petit nombre d'espèces ou de genres dans les principaux
embranchements a réussi à passer à travers pour se diversifier à nouveau. La
conséquence la plus directe d'une extinction de masse – ce qui offre énormement
d'intérêt pour le paléontologue de l'évolution – est l'apparition d'une flore et d'une
faune de récupération qui donnent lieux assez rapidement à des assemblages
nouveaux, à une réorganisation de la vie. Fait intéressant à noter: les recherches les
plus récentes semblent indiquer que la communauté la plus rapide à coloniser les
espaces nouveaux est la communauté des bactéries qui précède les communautés à
métazoaires, comme si on refaisait l'histoire du Précambrien-Cambrien à chaque
fois.
Le hasard et l'évolution
Il faut se rendre à l'évidence qu'on se doit de faire une bonne place au hasard dans
l'évolution de la vie. C'est le hasard qui a fait que Pikaia, un pauvre petit chordé, le
premier, qui se trouvait dans la faune de Burgess, a échappé à la disparition de
plusieurs grands groupes au milieu du Cambrien. C'est le hasard qui a fait que les
gros dinosaures ont été terrassés par une chute d'astéroïde et/ou du volcanisme
exceptionnellement intense à la fin du Crétacé, que les petits mammifères ont pu
profiter de cette disparition pour se développer et ... que finalement nous sommes
là. En somme, il semble bien que ceux qui ont survécu sont ceux qui ont tiré le bon
numéro.
Les opinions sont partagées quant au réchauffement planétaire parmi les chercheurs
et les divers organismes impliqués. Certains, peu nombreux, n’y croient carrément
pas, considérant qu’il s’agit d’une sorte d’hystérie collective et que les chiffres sont
triturés pour faire croire à la catastrophe imminente. Mais la grande majorité est
persuadée qu’il y a eu effectivement réchauffement durant le dernier siècle.
Certains hésitent encore à relier ce réchauffement aux activités anthropiques, alors
que d’autres, beaucoup plus nombreux, sont persuadés qu’Homo
sapiens (sapiens en latin = sage!) altère présentement le climat terrestre et qu’il
continuera à le faire dans le futur. Les espèces se succèdent sur la Planète depuis
près de 4 milliards d’années. Homo sapiens est la première à comprendre
suffisamment celle-ci pour pouvoir sciemment la modifier et contrôler son devenir.
Dans l’atmosphère terrestre, les principaux gaz à effet de serre sont la vapeur d’eau
(H2O), le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde nitreux (N2O) et les
chlorofluorocarbures (CFC). Les CFC ont une origine exclusivement anthropique,
alors que CO2, CH4 et N2O ont une double origine, naturelle et anthropique. De loin
la plus abondante dans l’atmosphère, la vapeur d’eau n’est pas directement reliée
aux activités de l’homme. Les quantités respectives de ces gaz dans l’atmosphère
sont indiquées au tableau suivant:
Les gaz à effet de serre n’ont pas tous la même capacité d’absorption du
rayonnement infrarouge; en clair, leur efficacité en termes d’effet de serre est
variable. Ainsi, le méthane est 21 fois plus efficace que le dioxyde de carbone et les
CFC-12 (fréon-12), 15 800 fois plus efficaces. C’est la vapeur d’eau qui est la plus
grande responsable de l’effet de serre. Au second rang c’est le CO2. En effet, en
tenant compte des teneurs actuelles des gaz et de leur efficacité à agir comme gaz à
effet de serre, on peut dire, en simplifiant les calculs, que dans l’atmosphère
terrestre actuelle, c’est le CO2, après l’eau, qui est le grand contributeur à l’effet de
serre; le méthane représente l’équivalent d’un dixième de la contribution du CO 2, le
N2O un centième et les CFC de un à deux centièmes. Il n’est donc pas surprenant
que l’on cible les émissions de CO2 dans l’analyse des causes du réchauffement
planétaire. Par ailleurs, si les CFC ne sont pas de grands contributeurs à l’effet de
serre, il n’en demeure pas moins qu’ils sont extrêmement nocifs pour la couche
d’ozone.
La courbe qui suit trace cette chute depuis le début du Tertiaire (Selon University
Corporation for Atmospheric Research/Office for Interdisciplinary Earth Studies
(UCAR/OIES), 1991; cité dans Mackenzie, 1998).
Les deux autres graphiques qui suivent sont tirés de UCAR/OIES (1991) et du
rapport d’évaluation de 1990 de l’Intergovernmental Panel on Climate Change
(IPCC) (appellation française, GIEC - Groupe d’experts Intergouvernemental sur
l’évolution du Climat), cités dans Mackenzie, 1998. Le graphique A présente les
fluctuations de température durant les derniers 18 milliers d'années. Depuis 10,000
ans, nous sommes dans un stade interglaciaire, alors qu'entre 10,000 et 18,000 ans,
nous étions en pleine englaciation (la glaciation wisconsinienne), ce qui se reflète
nettement sur la courbe des températures. Le graphique B montre les fluctuations
de température durant le dernier millénaire.
À noter qu'entre le milieu du 15ème siècle et le milieu du 19ème siècle, on aurait
connu une période où les conditions climatiques, à la grandeur du globe, furent
sensiblement plus froides qu'aujourd'hui, de l'ordre de 1°C. Les climatologues ont
appelé cette période le Petit Âge glaciaire. Les écrits de la Renaissance font état par
contre d'une période relativement chaude durant le Moyen-Âge.
Il est à noter cependant que dans son dernier rapport d’évaluation scientifique
(2001), l’IPCC (GIEC) modifie ses conclusions au sujet de cette idée, sur la base de
nouvelles données exprimées par les graphiques suivants qui présentent les
fluctuations durant le dernier millénaire dans l’hémisphère nord, telles que
reconstituées à partir des anneaux des arbres, des coraux, des carottes glaciaires et
des documents historiques (courbe bleue), ainsi que des mesures instrumentales
(coube orangée) pour le dernier siècle. La zone grise exprime la marge d’erreur de
deux écarts-types.
Source: http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-20.htm
D’une façon générale, on voit sur ce graphique qu'il y a une légère baisse continue
(trait rouge) depuis le 11ème siècle jusqu'au 20ème siècle et qu'il n’y a pas d’évidences
que ces périodes chaude du Moyen Âge et froide du Petit Âge glaciaire aient
affecté l’ensemble de la Planète. Le Petit Âge glaciaire serait plutôt une variation
locale centrée sur l’Europe de l’Ouest. Ce dernier graphique montre aussi que le
taux d’augmentation et la durée du réchauffement au 20ème siècle n’ont aucun
précédent durant tout le millénaire; ils ne peuvent être considérés comme une
simple récupération de ce qui a été appelé le Petit âge glaciaire, un argument
parfois avancé pour expliquer ce réchauffement.
Malgré tout ce froid planétaire dans lequel nous baignons, les températures
terrestres se sont élevées durant les derniers 150 ans comme le montre cette courbe
fréquemment citée de leurs fluctuations pour la période 1856-1995 (selon les
rapports d’évaluation scientifique de l’IPCC, 1990, 1996 et 2001). Les barres grises
indiquent les écarts de températures moyennes annuelles par rapport à la moyenne
des températures de la période 1961-1990 (ligne 0). La courbe rouge représente les
valeurs moyennes annuelles filtrées.
Vous trouverez des courbes plus détaillées dans le 3ème rapport d’évaluation 2001
de l’IPCC et présentées aux URL suivants:
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-1.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-6.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-7.htm
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig2-8.htm
Le réchauffement est plus important dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère
sud. Les deux cartes qui suivent, construites selon les scénarios A2 et B2 du SRES
(ces scénarios sont présentés plus loin), montrent bien cette différence importante
entre les deux hémisphères et surtout un réchauffement inquiétant aux latitudes
arctiques.
3.4.10 - Y a-t-il une relation de causalité entre nos émissions de gaz à effet de serre,
surtout de CO2, et ce réchauffement?
On peut difficilement douter que la dernière décennie du 20 ème siècle a connu un
réchauffement exceptionnel. Reste à savoir si nos émissions de gaz à effet de serre
en sont responsables.
Établissons d’abord qu’il y a une relation directe entre fluctuations des teneurs en
gaz à effet de serre et les fluctuations des températures. Le graphique qui suit
montre un beau parallélisme entre fluctuations des températures et fluctuations des
teneurs en CO2 et en CH4.
Sources:
Courbe du CO2 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig3-2.htm
Courbe du CH4 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-1.htm
Il s’agit ici des teneurs en CO2 et CH4 obtenues par l’analyse de minuscules bulles
d’air piégées dans la glace de la carotte du sondage de Vostok, ainsi que des
températures déduites des isotopes stables de l’oxygène. Les fluctuations de
température sont indiquées selon leur déviation par rapport aux températures de
1993 (année de l'étude). La largeur des courbes du CO2 et du CH4 exprime la marge
d’erreur des évaluations. On peut toujours se demander si ce sont des variations
dans les teneurs en CO2 et CH4 atmosphériques qui ont amené des variations de
température ou plutôt l’inverse, des variations de températures qui ont contrôlé les
teneurs en CO2 et CH4 atmosphériques. N’oublions pas ici les variations reliées aux
paramètres orbitaux de la Terre et les cycles de Milankovich.
La figure qui suit montre les changements de teneur en CO2, CH4 et N2O au cours
du dernier millénaire. Ces données sont basées sur les carottes de glace et les
anneaux des arbres de divers sites de l’Antarctique et du Groenland (les divers
symboles sur les courbes), avec en plus les données provenant d’échantillons
atmosphériques pour les dernières décennies (ligne noire sur la courbe du CO2 et
partie terminale de la courbe du CH4). On peut difficilement nier une augmentation
exponentielle depuis l’ère industrielle de ces trois gaz à effet de serre.
Sources :
Courbe du CO2 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig3-2.htm
Courbe du CH4 : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-1.htm
Courbe du N2O : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig4-2.htm
Voici quelques chiffres qui décrivent bien ces augmentations, chiffres extraits du
3ème rapport d’évaluation (2001) de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate
Change) qui conclut « qu’il y a des évidences nouvelles et plus fortes que le gros
du réchauffement des derniers 50 ans est attribuable aux activités humaines ».
On voit bien que les causes naturelles seules ne peuvent expliquer l’augmentation
des températures des dernières décennies (graphique A): il y a peu de
correspondance entre le profil du modèle qui ne tient compte que des causes
naturelles et la courbe des températures mesurées. Le profil qui tient compte plutôt
des causes anthropiques (graphique B) colle un peu mieux à la courbe des
températures mesurées, mais c’est vraiment celui qui additionne les deux types de
causes (graphique C) qui colle le plus à la réalité. En clair, ces résultats démontrent
deux choses: 1) que les paramètres utilisés pour la modélisation sont valables, ce
qui n’exclut pas la possibilité qu’il y en ait d’autres; 2) que le réchauffement
planétaire que nous vivons est en majeure partie causé par des activités
anthropiques.
En développant des modèles prévisionnels pour les teneurs en gaz à effet de serre et
en aérosols pour les climats futurs, le 3ème rapport d’évaluation de l’IPCC (2001) en
arrive aussi à la conclusion que « les effets des activités d’origine anthropique vont
continuer à changer la composition de l’atmosphère tout au long du 21 ème siècle ».
Sur cette figure, SRES signifie Special Report on Emission Scenarios. Ces
scénarios ont été développés par l’IPCC à compter de 1996 pour remplacer ceux
d’une modélisation plus ancienne identifiés ici comme IS92. Un ensemble de 40
scénarios, dont 35 utilisent des données sur la totalité des gaz influençant le climat,
ont été développés en tenant compte de facteurs démographiques, économiques et
technologiques susceptibles d’influencer les émissions futures de gaz à effet de
serre et de soufre. Il est à noter que ces scénarios ne tiennent pas compte des
initiatives en cours ou proposées pour réduire les émissions, tel le protocole de
Kyoto. Ces 40 scénarios ont été groupés en quatre familles, A1, A2, B1 et B2; sur
le graphique, la famille A1 a été subdivisée en trois sous-familles. Les scénarios
présentés correspondent à ces regroupements.
Quelque soit le scénario le plus probable dans cette nouvelle modélisation (SRES),
on doit donc s’attendre à une augmentation des températures se situant entre 1,4 et
5,8°C vers la fin de ce siècle, une prévision à la hausse par rapport à la
modélisation précédente (2ème rapport de l’IPCC, 1995) qui indiquait une fourchette
de 1,0 à 3,5°C. Les modèles climatiques nous disent aussi que le réchauffement
planétaire ne se fera pas de façon uniforme à la surface du Globe. Ainsi, le
réchauffement des surfaces continentales sera plus élevé que la moyenne globale.
Aussi, le réchauffement des régions nordiques de l’Amérique du Nord et de l’Asie
centrale excède de 40% le réchauffement global dans tous les modèles, avec ce que
cela implique sur la fonte des glaces. Par contre, le réchauffement est plus faible
que la moyenne dans le sud et le sud-est de l’Asie en été et le sud de l’Amérique du
Sud en hiver. Plusieurs modèles indiquent que la tendance des températures de
surface dans le Pacifique tropical à présenter un patron de type El Niño devrait se
poursuivre, c’est-à-dire un réchauffement plus important dans le Pacifique-Est que
dans le Pacifique-Ouest, impliquant un déplacement vers l’est des précipitations.
Ayant bien établi qu'il y a bel et bien réchauffement planétaire et que les activités
anthropiques en sont la causes, voyons maintenant quelles en seront les
conséquences. ... Page suivante.
Le graphique du bas est en quelque sorte la somme des trois autres et représente la
variation de l'insolation dans la zone comprise entre 60 et 70° de latitude Nord au
mois de juillet.
Source: Covey, C., 1984, L'orbite de la Terre et les périodes glaciaires. Pour la
Science, No 78, avril 1984.
Nous allons examiner ici quatre des principales conséquences d'un réchauffement
planétaire.
L'histoire des derniers 140 milliers d'années nous apprend que les fluctuations du
niveau des mers se sont faites au gré des alternances de stades glaciaires et
interglaciaires, avec des chutes atteignant les 135 mètres.
Les chercheurs évaluent que le niveau marin s’est élevé de 12 cm depuis 1880. Il
n’est pas simple d’évaluer cette élévation puisque la croûte terrestre n’est pas stable
partout: dans une grande partie du Canada et de l’Europe, la croûte se soulève à
cause du réajustement isostatique suite à la dernière glaciation, alors que dans
certaines zones comme les zones deltaïques, elle s’abaisse à cause du poids des
sédiments. Cette élévation progressive de 12 cm depuis 1880 est concordante avec
le réchauffement observé. Deux facteurs sont à considérer quand on cherche à
cerner les causes d’une élévation du niveau marin: la fonte des glaces, bien sûr,
mais aussi la dilatation thermique des eaux océaniques. En fait, on évalue que près
de la moitié de l’élévation a été causée par la dilatation des eaux de la couche
supérieure de l’océan reliée à leur réchauffement. Le réchauffement des eaux de
l’océan profond causera aussi une montée du niveau marin, mais cette fois à
beaucoup plus long terme, compte tenu que la circulation thermohaline est
beaucoup plus lente. On a calculé qu’un réchauffement de 0,5°C des eaux de
surface (le réchauffement depuis 1880) ont entraîné, par dilatation, une élévation de
5 cm. Les autres 7 cm de la montée des eaux depuis 1880 correspondent à la fonte
des glaciers de montagne. Par exemple, on a observé des retraits importants de
glaciers dans les Alpes durant les deux derniers siècles et plusieurs glaciers des
Andes retraitent rapidement présentement. On peut donc s’attendre à ce que la
fonte des glaciers de montagne contribue à gonfler l’eau des océans dans un proche
avenir.
Le graphique qui suit exprime les prévisions de montée du niveau marin, selon les
mêmes scénarios (SRES, IPCC 2001) que pour le réchauffement planétaire.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig11-12.htm
Au sein même du monde des plantes C3, différents types de plantes répondront de
façons différentes aux changements de température et de taux d’humidité qui
accompagneront les variations de teneurs en CO2. Ainsi, certaines espèces d’arbres
supportent mieux les augmentations de température et de teneurs en CO2 que
d’autres. Par exemple, le pin et le bouleau supportent bien les teneurs élevées en
CO2, alors que le tremble et l’épinette dépérissent quand les températures
deviennent trop chaudes. En somme, sans entrer dans les détails, on peut dire que
l’abondance relative et la distribution de certaines espèces de végétaux dans un
écosystème donné risquent d’être modifiées par un réchauffement planétaire, avec
ce que cela implique sur les autres végétaux et la vie animale.
On a vu plus haut (point 3.2.4) que la circulation de l’océan global forme une
boucle qui prend son origine dans l'Atlantique-Nord où les eaux froides (refroidies
par les vents froids du Canada), salées, denses et bien oxygénées plongent vers les
profondeurs. Il s’agit d’un cycle de 1000 ans environ. C’est cette plongée des eaux
froides et denses de l’Atlantique-Nord qui constitue en quelque sorte le moteur de
cette circulation en boucle. C’est la remontée locale (upwelling) de ces eaux froides
riches en nutriments qui alimentent le plancton en surface et qui contribuent ainsi à
la forte productivité biologique marine dans certaines régions, par exemple au
niveau des pêcheries, comme sur les Grands Bancs de Terre-Neuve ou les côtes du
Pérou. C’est aussi cette circulation thermohaline (i.e., reliée aux gradients de
température et de salinité) qui redistribue la chaleur.
Le graphique qui suit montre, à partir de plusieurs modèles, que déjà la circulation
thermohaline décline depuis quelques décennies et que, sauf pour deux modèles,
cette diminution ira en s’accentuant. Le zéro de base correspond à la moyenne des
années 1961-1990.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig9-21.htm
Plusieurs de ces changements ont déjà été observés et même quantifiés dans
certains cas durant la dernière moitié du 20ème siècle. Les changements 1 à 5 sont
qualifiés de très vraisemblables (probabilité de 90 à 99% qu’un énoncé soit vrai),
les autres de vraisemblables (probabilité de 66 à 90%) pour le 21ème siècle.
Tous ces résultats et ces données sont-ils fiables? Question légitime. ... Page
suivante...
Ici, c’est le passé qui devient la clé du futur. Nous avons des données factuelles
(écrits, mesures, relevés, etc.) sur un certains nombres de paramètres climatiques,
en gros pour les deux ou trois derniers siècles, et quelques unes plus vagues pour
les deux ou trois derniers millénaires (écrits historiques). En ce qui concerne
l’histoire plus ancienne, nous devons nous fier aux données issues des travaux des
géologues et paléontologues, des données qui découlent de l’observation, de
l’analyse et de l’interprétation. Ce cours vous donne maints exemples de la nature
et du degré de fiabilité de ces données géologiques (voir en particulier la section 4
et le point 3.4.7).
Dans son 3ème rapport d’évaluation (2001), l’IPCC présente un tableau qui, entre
autres, exprime le degré de compréhension qu’ont les scientifiques par rapport aux
divers agents qui ont contribué aux changements de l’irradiation terrestre pour les
dernières 250 années. On y voit que le niveau de confiance est assez élevé en ce qui
concerne les données sur les gaz à effet de serre, mais qu’il devient très faible en ce
qui concerne les aérosols et autres contributeurs. Une telle constatation est à mettre
en perspective dans l’évaluation du degré de fiabilité des modèles climatiques.
Source : http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg1/fig6-6.htm
Pour qui se préoccupe de savoir ce qu’il adviendra de notre planète dans les
décennies, siècles et millénaires à venir, et plus particulièrement au niveau des
changements climatiques amorcés, il y a deux groupes de démarches possibles :
d'une part, la boule de cristal, les feuilles de thé, l’astrologie, votre voisine et tutti
frutti, et d'autre part, les méthodes de modélisation numérique (rien à voir avec la
numérologie!); c’est l’un ou l’autre, les deux souffrant d’une incompatibilité
définitive. Certains politiciens ont préféré choisir les premières, mais les
scientifiques ont préféré jusqu’à aujourd’hui le second groupe et s’attachent à
produire des modèles climatiques les plus représentatifs possibles de la nature et de
ses comportements.
Il faut cependant réaliser que si nous connaissons adéquatement les lois naturelles
régissant individuellement chacun des paramètres impliqués, nous éprouvons
encore souvent beaucoup de difficulté à cerner les interactions entre les paramètres,
même si on fait présentement d’immenses progrès en ce domaine. On l’a dit plus
haut, la planète Terre est un système complexe, un ensemble composé d’éléments
variés, intimement reliés entre eux et fonctionnant comme un tout. Nos modèles
veulent représenter ce système ou une partie de ce système. Dans le cas de modèles
climatiques, le fait qu’ils peuvent adéquatement représenter une réalité connue,
comme par exemple la concordance entre le modèle et les observations dans le cas
de l’augmentation des températures depuis 1860 présenté plus haut, nous conforte
dans leur fiabilité.
Cela dit, il est un domaine où la modélisation climatique trouve ses limites: c'est
notre compréhension très limitée des effets de seuil. La réponse d'un processus à
une perturbation donnée n'est pas toujours linéaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas
nécessairement proportionnelle à la perturbation. Pour utiliser une analogie, une
augmentation de la tension sur une bande élastique par faibles incréments
entraînera son étirement progressif, jusqu'à ce qu'on atteigne un seuil où un seul
incrément, aussi faible soit-il, fera casser la bande élastique, un effet
disproportionné par rapport à la taille de la dernière perturbation et au-delà duquel
il n'y a pas de retour possible. Personne présentement ne peut dire où se situe le
seuil de température au-delà duquel la machine terrestre risque de s'emballer.
« Il est temps de mettre fin aux idées préconçues et aux exagérations qui
polluent le discours des écologistes.»
« On connaît le refrain. Ça ne l’empêche pas d’être faux ou, du moins,
grandement exagéré. »
« Je ne peux pas concevoir que nous allons continuer à utiliser des quantités
massives d’énergie fossile et que nous allons rejeter jusqu’à quatre fois plus
de CO2dans l’air [en faisant référence aux 40 scénarios du GIEC; en fait le
GIEC prévoit 3,4 fois plus et non 4 fois plus de CO2 selon le pire des
scénarios] quand on sait que le prix de l’énergie renouvelable a chuté de
50% tous les 10 ans au cours des trois dernières décennies et devrait
continuer à baisser »
« Le réchauffement de la planète est un problème important, mais pas le
plus important. Et le protocole de Kyoto ne fera que le retarder de six ans!
Autrement dit, on atteindra en 2100 la température qu’on aurait sinon
atteinte en 2094. On ne sauve pas les habitants du Bangladesh, on ne fait
que leur donner six ans de plus pour fuir la montée des eaux. (...) Le
protocole de Kyoto va coûter annuellement de 150 à 350 milliards de dollars
américains. Or, selon l’Unicef, pour 70 à 80 milliards par an, on pourrait
résoudre le plus grave problème auquel l’humanité est en butte: donner à
chaque habitant de la planète accès à de l’eau potable et à des installations
sanitaires. Ça sauverait deux millions de vies chaque année et éviterait à un
demi-milliard de personnes de tomber gravement malades. Ça aiderait dès
maintenant des gens dépouvus de tout et le tiers-monde serait en bien
meilleure posture pour s’adapter au réchauffement futur. »
Ces citations sont extraites d’un interview par Jean-François Bégin, publié
dans l’Actualité (octobre, 2001), de Bjorn Lomborg, professeur de statistique au
département de Sciences politiques de l’Université d’Aarhus, au Danemark, et
auteur de « The Skeptical Environmentalist » (Cambridge University Press).
Par contre, ces citations ont le démérite de conforter dans ses opinions la droite peu
encline à se préoccuper de l’environnement, qui voit l’IPCC (GIEC) comme une
sorte d’épouvantail et qui trouvera là un support à l’inaction et à la poursuite des
émissions de gaz à effet de serre. Le rejet de Georges W. Bush du protocole de
Kyoto et sa nouvelle politique énergétique centrée sur l’utilisation des combustibles
fossiles en est un bon exemple. On pourrait aussi se demander si les milliards de
dollars économisés seraient réellement utilisés pour régler les problèmes
d’alimentation et de bien-être de l’humanité ou si ces argents ne retourneraient pas
plutôt dans les goussets de ceux qui vont considérer avoir le plus contribué à
réduire les émissions, soit les grands consommateurs d’énergie (industrie lourde,
habitants des pays industrialisés).
Mais, si nous décidions de ne pas agir, il faudra bien nous assurer que nous, nos
enfants et nos petits enfants pourrons vivre les conséquences d’un réchauffement
planétaire. Pouvons-nous prendre ce risque?
Scénario 2 : agissons!
Les défenseurs du protocole de Kyoto ont crié victoire après la conférence de Bonn
en juillet dernier (2001). On s’est réjoui du « sauvetage » du protocole. Les
écologistes ont jubilé. Selon l'un d'entre eux, « c'est un accord historique et une
grande victoire pour l'environnement » (Le Devoir, 24 juillet 2001). Le Canada
serait sorti grand gagnant de l'opération. Il pourra soustraire de ses émissions de
CO2 ce qu'il aura englouti dans des puits de carbone. La bonne affaire quoi! Planter
un arbre délivrera un permis de pouvoir utiliser son gros 4x4 climatisé pour aller
acheter ses cigarettes au dépanneur du coin. Allez donc comprendre ces écologistes
qui juste avant la « rencontre secrète » de Montréal (30 mars 2001) dénonçaient ce
projet de puits de carbone, accusant le Canada de faire « la sale job à la place des
Américains » (Le Devoir, 26 mars 2001). Pourtant, comme il est dit plus haut, le
protocole de Kyoto n’est qu’une goutte d’eau dans la grande marre des réductions
qu’il serait nécessaire de mettre en place pour freiner le réchauffement, et on a
peine à y adhérer.
Pour ma part, je doute qu’il y ait lieu de crier victoire. On aura sauvé une image,
mais en pratique on s'est soumis aux impératifs des USA. George W. Bush se
sentira plus à l'aise d'aller de l'avant avec sa politique énergétique fondée sur
l'utilisation accélérée des combustibles fossiles: abandon des accords de Kyoto,
augmentation de l'offre des hydrocarbures au détriment d'un contrôle de la
demande, ouverture de l'exploration pétrolière et gazière et des forages dans un
parc écologique de l'Alaska (Arctic National Wildlife Refuge), remise au goût du
jour des centrales thermiques fonctionnant au charbon. On évalue que d'ici deux
décennies la consommation de pétrole augmentera aux USA, de 45% et celle du
gaz naturel de 50%. Georges W. trouvera bien une commission socio-economico-
scientifique qui démontrera que les USA font plus que tout autre pays en
enfouissant le CO2 dans des puits de carbone.
Le signal du départ de la course aux puits de carbone est donné. Chaque organisme
gouvernemental, chaque entreprise de recherche, chaque chercheur universitaire
tentera de se tailler une part du gâteau des subventions. Qui côtoie les milieux
scientifiques américains sait bien que déjà les fonds sont presqu'illimités pour qui
propose de trouver des puits de carbone, ce qui risque d’entraîner parfois des
propositions les plus farfelues et sans fondement scientifique.
Il y a, à mon avis, un énorme risque que cette course aux puits de carbone devienne
un faux-fuyant qui permettra aux pays industrialisés, dont le Canada, de soustraire
de ses émissions de CO2 un volume jugé équivalent par des plantations de
végétaux. Déjà, on a fait état, il y a quelques temps, de la volonté de l’Ontario de
développer des forêts dans ... les Caraïbes et de considérer ceci comme sa
contribution à la réduction des émissions de CO2.
Ne nous berçons pas d’illusions. À mon avis, il n’y a qu’une seule véritable
solution pour réduire les émissions de CO2 et le réchauffement qu’elles entraînent:
cesser de court-circuiter le cycle long du carbone en puisant dans les combustibles
fossiles et en brûlant les calcaires (cimenteries), ce qui implique un changement
drastique dans nos habitudes de vie. La recherche de divers puits de carbone
appartenant au cycle court est certes louable en soi et ne doit pas être abandonnée,
mais la somme de leur captage du CO2 demeurera bien en deça de la somme des
émissions reliées à notre surconsommation des hydrocarbures et charbons qui eux
appartiennent au cycle long. Il a fallu quelques 600 millions d'années pour
constituer le stock de carbone des combustibles fossiles, nous prendrons quelques
siècles pour les épuiser!
3.4.9 - Bibliographie
http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/.
Le site officiel de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), connu en
français sous le sigle GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution
du Climat). En anglais. On y trouvera le 3ème rapport d’évaluation scientifique 2001
de l’IPCC au complet, ainsi que le résumés pour les décideurs, une version PDF
résumée téléchargeable et plusieurs autres rapports connexes. Essentiel pour celui
ou celle qui veut suivre de près les développements en ce domaine et surtout avoir
l’heure juste.
http://www.manicore.com/documentation/serre/.
Un excellent site français de Jean-Marc Jancovici, très fouillé sur le sujet des
changements climatiques, construit sous forme de questions et réponses, bien
vulgarisé et surtout nuancé et critique. Vous y trouverez aussi plusieurs liens
pertinents.
KUMP, L.R, KASTING, J.F. et CRANE R.G. 1999. The Earth System. Prentice
Hall, Upper Saddle River, New Jersey, 351p.
Un excellent bouquin. Très complet. Le meilleur à mon avis sur le sujet. Mérite
l’achat.
MACKENZIE, F.T., 1998, Our Changing Planet - An introduction to Earth Science
and global environmental change. Prentice-Hall, Upper Saddle River, 2ème édition,
486p.
Un autre excellent bouquin qui couvre l’ensemble du sujet. Mérite aussi l’achat.
BERNER, R.A. 1994. GEOCARB II: a revised model of atmospheric CO2 over
Phanerozoic time. American Journal of Science, v. 294, p. 56-91.
BERNER, R.A. et CANFIELD, D.E. 1989. A new model for atmospheric oxygen
over Phanerozoic time. American Journal of Science, v. 289, p. 333-361.